3-1774/3

3-1774/3

Sénat de Belgique

SESSION DE 2005-2006

5 JUILLET 2006


Projet de loi-programme


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES PAR

MMES DE ROECK ET ANNANE


I. INTRODUCTION

Le projet de loi qui fait l'objet du présent rapport relève de la procédure bicamérale facultative et a été déposé initialement à la Chambre des représentants par le gouvernement (doc. Chambre, nº 51-2517/1).

Il a été adopté à la Chambre des représentants le 29 juin 2006, par 85 voix contre 42 et 3 abstentions. Il a été transmis le 30 juin 2006 au Sénat, qui l'a évoqué le 3 juillet 2006.

En application de l'article 27, 1, alinéa 2, du règlement du Sénat, la commission des Affaires sociales, qui a été saisie des articles 31 à 62, 69 et 70, a entamé la discussion de ce projet de loi avant le vote final à la Chambre des représentants.

La commission a examiné le projet de loi au cours de ses réunions des 28 juin, 5 et 10 juillet 2006, en présence du ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, du ministre de l'Emploi, de la ministre des Classes moyennes et de l'Agriculture, du ministre de l'Environnement et des Pensions ainsi que du ministre de la Fonction publique, de l'Intégration sociale, de la Politique des grandes villes et de l'Égalité des chances.

II. EXPOSÉS INTRODUCTIFS

A. Exposé introductif du ministre des Affaires sociales et de la Santé publique

Le Titre « Affaires sociales » du projet de loi-programme traite contient dix chapitres qui s'articulent autour des huit thèmes suivants:

1. la cotisation de solidarité « véhicules de société »;

2. les allocations familiales sous deux angles, à savoir, d'une part, l'intégration de la totalité du secteur public dans le cadre des allocations familiales et, d'autre part, la problématique du délai de prescription;

3. la gestion globale et le financement de la sécurité sociale;

4. l'INAMI et les Gestions globales;

5. l'INAMI et la lutte contre les assuétudes;

6. plusieurs modifications dans le cadre de la législation relative aux réductions de cotisations de sécurité sociale;

7. l'exécution de l'accord social pour les services de santé fédéraux;

8. et enfin, des mesures dans le cadre de la responsabilité des dirigeants d'entreprise en ce qui concerne les dettes dans le domaine de la sécurité sociale.

1. LA COTISATION DE SOLIDARITÉ RELATIVE AUX VÉHICULES DE SOCIÉTÉ

Conformément à l'avis du Service Affaires juridiques, Évaluation de la Législation et Analyse documentaire du Sénat, le texte de l'article 38, § 3quater de la loi de 1981 a été réécrit.

Les deux mesures prévues dans le cadre du contrôle budgétaire ont été intégrées dans cette réécriture.

La première mesure exécutant le contrôle budgétaire a trait à la clarification du champ d'application « travailleur » de la cotisation de solidarité « véhicules de société ».

La seconde mesure a trait à l'instauration d'une sanction civile spécifique à l'encontre des employeurs qui ne déclarent pas des véhicules soumis à la cotisation de solidarité ou fournissent des informations inexactes de sorte que la cotisation effectivement due est supérieure à celle résultant de la déclaration.

Les employeurs ont disposé d'une dernière possibilité pour rectifier les déclarations relatives aux véhicules de société.

Pour la période du 1er janvier 2005 au 31 mars 2006, la nouvelle sanction civile ne s'appliquera qu'à l'égard des employeurs qui n'auront pas saisi la nouvelle chance qui leur est accordée.

2. ALLOCATIONS FAMILIALES

Les dispositions relatives aux allocations familiales reprises dans le projet de loi-programme font l'objet de deux chapitres.

En premier lieu, une disposition est prévue en vue de mieux lutter contre une fraude aux allocations familiales.

Il s'agit d'intégrer dans le Cadastre des allocations familiales, pour le 1er avril 2007 au plus tard, les employeurs du secteur public qui paient eux-mêmes les allocations familiales pour tout ou partie de leur personnel.

La seconde mesure modifie le délai de prescription dans la réglementation « allocations familiales » et dans celle relative aux prestations familiales garanties.

Le délai de prescription pour qu'une caisse puisse récupérer des allocations familiales indûment payées s'articule à partir du 1er octobre 2006 autour des 3 règles suivantes:

— règle générale: 3 ans au lieu de 5 ans;

— en cas de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes de la part du bénéficiaire, de l'attributaire ou de l'allocataire: 5 ans au lieu de 10 ans;

— si le paiement indu résulte d'une erreur de droit ou d'une erreur matérielle de l'organisme d'allocations familiales et que la personne erronément créditée ne savait pas ou ne devait pas savoir qu'elle n'avait pas ou plus droit, en tout ou en partie, à la prestation versée: 1 an.

3. GESTION GLOBALE ET FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

La première section de ce chapitre vise à prévoir une nouvelle source de financement pour l'Office National de l'Emploi qui doit supporter les coûts de l'accord de coopération relatif à l'économie sociale et des cellules de mise à l'emploi.

La deuxième section de ce chapitre vise, en parallèle, à fournir la base légale nécessaire afin que l'État puisse transférer les moyens nécessaires en financement alternatif à la sécurité sociale.

De plus, en ce qui concerne la sécurité sociale des indépendants, les montants reconnus lors du Conseil extraordinaire de Gembloux sont ici inscrits pour les années 2006 et 2007. En outre, et toujours au sujet de la sécurité sociale des travailleurs indépendants, le remboursement de la reprise de la dette du régime par l'État est, encore une fois, accéléré.

Finalement, le montant du financement alternatif destiné au paiement, par l'INAMI, de la part « État » du financement du prix de journée des hôpitaux est modifié. Il s'agit d'une diminution de financement qui correspond à une diminution des dépenses. En effet, l'ensemble des dépenses effectuées au titre des détenus ne peuvent être prises en charge par l'INAMI.

4. L'INAMI ET LES GESTIONS GLOBALES

Un fonds provisionnel a été constitué au sein de l'INAMI pour couvrir les dépassements éventuels du budget des dépenses en matière de médicaments.

Dans un souci de cohérence, le produit des versements destinés à ce fonds sera transféré aux sources principales de financement des dépenses de « soins de santé », à savoir les gestions globales des travailleurs salariés et des indépendants.

5. INAMI ET LUTTE CONTRE LES ASSUÉTUDES

Les missions du « Fonds Tabac » sont étendues à toutes les assuétudes et le budget de ce Fonds est adapté en conséquence.

6. MODIFICATIONS DE LA RÉGLEMENTATION RELATIVE AUX RÉDUCTIONS DE COTISATIONS

La section première du Chapitre 7 vise à apporter des corrections techniques aux textes de loi relatifs à la nouvelle réduction de cotisations pour le groupe-cible des jeunes travailleurs, introduite par le Pacte de solidarité entre les générations, et à rectifier certaines erreurs matérielles.

La section 2 de ce chapitre a pour objet d'abroger l'interdiction de combiner des allocations de travail dans le cadre d'une mesure d'activation avec une convention de premier emploi.

7. EXÉCUTION DE L'ACCORD RELATIF AUX SECTEURS FÉDÉRAUX DE LA SANTÉ

Dans le cadre de l'instauration d'un deuxième pilier pensions pour les secteurs fédéraux de la santé — tant du secteur privé que du secteur public et tant pour les salariés que pour les infirmiers à domicile indépendants — des fonds d'épargne sectoriels seront constitués via un versement de l'INAMI à l'O.N.P. qui les thésaurisera.

8. RESPONSABILITÉ DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE

Les dispositions du chapitre 9 posent le principe de la responsabilité personnelle et solidaire des responsables de sociétés qui ont une personnalité juridique complète (à savoir: SPRL, SC et SA) en ce qui concerne le paiement des cotisations de sécurité sociale de ces sociétés à l'ONSS.

Cette responsabilité personnelle et solidaire des dirigeants d'entreprise ne s'appliquera que lorsqu'une faute grave peut leur être reprochée au moment du prononcé de la faillite de la société ou si elle se trouve dans la situation décrite à l'article 38, § 3octies, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés.

La mesure s'inscrit dans le cadre de la meilleure perception des cotisations de sécurité sociale.

La responsabilité personnelle et solidaire des anciens dirigeants de l'entreprise supposera une action menée devant le Tribunal de Commerce compétent pour la faillite concernée.

Les dispositions relatives à cette responsabilité personnelle et solidaire s'appliqueront aux faillites prononcées à partir du 1er septembre 2006.

9. OBLIGATION DE COMMUNICATION À L'ÉGARD DES ORGANISMES PERCEPTEURS DE COTISATIONS DE SÉCURITÉ SOCIALE

Cette mesure se situe dans le cadre de la lutte contre la fraude organisée aux cotisations de sécurité sociale.

L'objet de la disposition proposée est de rendre les dirigeants chargés de la gestion journalière solidairement et personnellement responsables pour le paiement des dettes sociales lorsque, bien que la société ait une dette de sécurité sociale, les dirigeants de l'entreprise ne donnent pas suite à la demande de l'organisme de perception des cotisations de sécurité sociale quant à la transmission de la liste des clients et tiers qui sont encore redevables de certaines sommes à l'égard de la société.

La disposition proposée entrera en vigueur le 1er juillet 2006.

B. Exposé introductif du ministre de l'Environnement et des Pensions

Au cours de l'élaboration du budget 2006, le gouvernement a décidé qu'à partir du 1er janvier 2006, l'État reprendrait les obligations de pension de la « Gemeentelijk Havenbedrijf Antwerpen ». À cet effet, le législateur a inséré dans la loi-programme du 27 décembre 2005 une disposition conférant au Roi une habilitation spéciale Lui permettant de prendre l'arrêté royal du 28 décembre 2005 réglant la reprise des obligations de pension de la « Gemeentelijk Havenbedrijf Antwerpen », lequel doit être confirmé par la loi dans les douze mois qui suivent la date de son entrée en vigueur, donc avant le 31 décembre 2006.

La disposition à l'examen, qui fait partie intégrante de la présente loi-programme, confirme l'arrêté royal du 28 décembre 2005.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

A. Affaires sociales et Santé publique

Mme de Schamphelaere remarque qu'un certain nombre de dispositions ont trait à la mise en œuvre du Pacte des générations mais qu'on constate, au vu des échéances, que plusieurs réglementations sont reportées à des dates ultérieures. Certaines ne commenceront à sortir leurs effets qu'en 2007. La mise en œuvre du Pacte des générations n'a pas été suffisamment préparée. Pour certaines mesures, des négociations doivent encore avoir lieu avec les partenaires sociaux.

La membre s'étonne que le Fonds de lutte contre le tabagisme soit étendu à toutes les assuétudes. La politique anti-tabac est certainement un succès mais l'autorité fédérale a voulu aussitôt créer un Fonds pour la prévention. C'est compréhensible dans la mesure où les acteurs politiques qui mènent une politique anti-tabac avancent l'argument que les autorités publiques retiraient des revenus importants de l'usage du tabac via les accises. Le Fonds de lutte contre le tabac est en quelque sorte le pendant du revenu des accises. Cependant, la prévention est une compétence des Communautés. Et maintenant, l'autorité fédérale va plus loin en incluant toutes les assuétudes.

La politique en matière de drogue, en particulier la loi sur les drogues qui a été annulée en partie, n'a pas du tout été clarifiée durant cette législature. Les personnes chargées de contrôler et sanctionner les contrevenants à la loi ne savent pas à quoi s'en tenir. Si le gouvernement fédéral, avec l'extension du Fonds à la lutte contre le tabagisme, entend agir préventivement, il empiète sur les compétences des communautés. Avec ce Fonds, la membre craint que ne soient financés des projets de toutes sortes: puisque le fédéral n'est pas compétent en matière de prévention, il n'y a pas de critères définis qui permettront au Parlement de contrôler l'usage de ce Fonds. La membre est d'avis que ces moyens financiers supplémentaires vont être attribués tout à fait arbitrairement à des projets en cours dans certaines villes, parfois menés à titre expérimental.

M. Demotte, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, explique qu'on a voulu avoir une approche globale des assuétudes. Il y a quelques années déjà, il a été décidé de fournir un effort au niveau fédéral parce qu'aucun compromis résultant de la concertation avec les Communautés n'était acceptable. L'idée a été de créer le Fonds au niveau fédéral, tout en attendant aussi un effort de la part des Communautés. La prévention est en effet une compétence des Communautés, mais sous réserve d'une nuance: la prévention primaire, et l'information générale, relèvent bien des Communautés, mais la prévention secondaire, « face to face », reste une compétence fédérale.

Quoi qu'il en soit, il s'agit d'adopter une approche pragmatique, en vue d'obtenir des résultats. Or, le plus important résultat est d'avoir aujourd'hui une politique anti-tabac claire et visible. L'opinion publique a compris le signal donné par l'autorité publique.

Le ministre se dit fréquemment interpellé par des parlementaires qui lui demandent autre chose que des visions fragmentaires de la lutte contre les assuétudes. Il faut en effet une politique transversale s'attaquant à toutes les formes d'assuétudes. Certes, les drogues n'ont pas toutes le même effet: certaines ont un impact uniquement psychologique (p. ex: cocaïne), d'autres telles que l'héroïne créent des dépendances physiques. Mais des approches différenciées n'empêchent pas de créer un outil intégrateur. Cet outil intégrateur a, d'une part, un aspect financier — les versements au Fonds passent de 2 à 5 millions d'euros —, et, d'autre part, un aspect conceptuel: la mise en place d'un lieu de concertation.

Toutes les mesures proposées ont été débattues à plusieurs niveaux de pouvoir. La conférence interministérielle des ministres de la Santé a toujours mis l'accent sur le besoin de transversalité. Au niveau fédéral, les plans ont été intégrés dans une vision macroscopique, avec des études transversales des différents départements.

Il faut éviter les amalgames comme celui qui consiste à croire qu'on peut voir une politique de mesures contre les assuétudes à travers le prisme de quelques projets. Le ministre veut une lecture globale, sociétale. La commission de la Santé publique de la Chambre s'est rendue en Suisse, puis chez nous à Genk et à Liège, et bientôt aux Pays-Bas. Elle fait un benchmarking des différentes pratiques européennes. S'attacher à un seul projet ôterait toute qualité au débat. Les débats qui sont menés actuellement dans différents pays européens ne s'appuient jamais sur des clichés. Les Suisses germanophones, par exemple, sont favorables à la délivrance sous forme médicalisée d'héroïne à l'état pur dans la lutte contre les assuétudes parce que les essais de pharmacodépendance et de contrôle offrent des avantages en santé publique. Mais les Suisses francophones, plus conservateurs, s'y opposent.

Le ministre se laisse convaincre non pas par des clichés, mais par l'efficacité scientifique de tel ou tel projet. Le débat poursuit un objectif de santé publique, on ne peut le réduire à des a priori.

À l'autre remarque de Mme de Schamphelaere, le ministre réplique que toutes les mesures du Pacte des générations n'entreront pas en vigueur en 2007. Le Pacte lui-même prévoyait des mesures prenant effet dès 2006.

Mme de Schamphelaere déclare que, selon sa vision de ce que doit être la politique en matière de drogues, la tâche prioritaire du pouvoir fédéral est de mettre au point une politique dissuasive, c'est-à-dire essentiellement des normes claires, non sujettes à contestations et pouvant éventuellement être annulées.

Pour le reste, elle n'a pas reçu d'indications concrètes sur l'affectation des trois millions d'euros supplémentaires versés au Fonds de lutte contre les assuétudes. Le ministre a évoqué le projet très controversé consistant à délivrer de l'héroïne sous contrôle médical. Un tel projet doit-il être soutenu par des moyens financiers fédéraux ?

M. Demotte précise que le Fonds de lutte contre les assuétudes a pour but de donner des outils de lutte intégrée contre l'usage des drogues pour tout ce qui relève de l'information quant aux dangers physiologiques de l'usage de ces produits. La plupart du temps, ce n'est pas un seul produit qui est en cause, mais toutes sortes de cocktails sont possibles. Il faut aussi informer les individus sur la manière de s'en sortir avec les prestataires de soins de santé.

Des projets-pilotes en matière de drogues existent déjà aujourd'hui. Ils sont financés sur la base de conventions financées soit par des crédits spécifiques du budget de la Santé publique, soit partiellement par des crédits INAMI. Le Fonds n'a pas vocation à financer ces projets.

M. Vankrunkelsven est d'avis que le gouvernement fédéral se livre à un exercice sémantique pour éviter de reconnaître qu'il empiète sur le terrain des compétences des communautés. S'il se réjouit de toute initiative positive dans la lutte contre les assuétudes, il se doit malgré tout d'épingler le problème et d'inviter à ce que la répartition des compétences en matière de prévention soit mieux définie lors d'une prochaine réforme des institutions.

Mme Van de Casteele présidente, est d'avis que l'usage du Fonds, la lutte contre le tabagisme et la politique en matière de drogues feront encore l'objet de discussions à l'avenir. La frontière entre information et prévention est ténue et l'autorité fédérale risque rapidement d'empiéter sur les compétences des communautés. Cependant, il est un problème qui ressortit certainement aux compétences du ministre fédéral: il s'agit de l'accueil à long terme des alcooliques une fois qu'ils ont terminé leur traitement en institution. Se pose alors un problème de suivi et d'accompagnement psychologique de ces personnes, sans lequel elles craquent à nouveau très facilement. Il y a là apparemment un manque de moyens pour organiser ce suivi psychologique.

On épingle souvent de nouvelles formes d'assuétudes mais il ne faut pas oublier l'importance de l'alcoolisme et ses conséquences humaines et sociales dramatiques.

La présidente interroge encore le ministre sur le point 4 de son exposé et la diminution du financement pour le paiement par l'INAMI des dépenses effectuées dans les hôpitaux pour les détenus. S'agit-il uniquement de détenus ? Quel est le montant de la diminution ? La réduction est-elle liée à une diminution des détenus ?

Le ministre répond qu'il y a des dépenses qui n'ont rien à voir que les soins de santé mais qui relèvent, par exemple, de la sécurité. Cette partie des dépenses ne peut être mise à charge de l'INAMI. Les dépenses ont été examinées, une ligne de partage a été tracée, avec pour conséquence une diminution des dépenses à charge de l'INAMI.

Enfin, la présidente exprime sa préoccupation au sujet de la nouvelle réglementation concernant la responsabilité des dirigeants d'entreprise. Si elle partage évidemment la volonté du ministre de lutter au maximum contre les faillites frauduleuses, elle s'inquiète d'une remise en cause des structures que les indépendants utilisent pour se protéger dans une certaine mesure contre les risques liés à leur statut. Il faut maintenir un équilibre entre la protection offerte par le choix de la forme d'une société et la lutte contre les abus de cette forme de protection par certains.

Mme de Schamphelaere réclame un aperçu des dispositions déjà prises pour la mise en œuvre du Pacte entre les générations.

Elle revient sur le Fonds de lutte contre le tabagisme, qui devient un Fonds de lutte contre les assuétudes. Sur le plan de la Santé publique, c'est une bonne idée, mais elle pose un réel problème au niveau de la répartition des compétences entre le pouvoir fédéral et les communautés. Il est clair qu'une approche coordonnée en matière de prévention doit émaner des communautés.

Quel peut être le point de rattachement aux compétences du fédéral pour la lutte contre les assuétudes, puisqu'il s'agit essentiellement de prévention ?

Par ailleurs, elle stigmatise le manque de clarté dans la politique fédérale actuelle: l'incertitude quant à l'autorisation de certaines drogues, l'annulation de dispositions par la Cour d'arbitrage, les directives du Parquet qui ont été annoncées. La loi relative aux drogues doit édicter une norme claire, c'est là l'approche préventive qui relève du fédéral. La démarche adoptée est illogique: on crée la confusion quant à ce qui est autorisé, puis on met sur pied un Fonds de lutte contre les assuétudes.

La membre trouve aussi déconcertant qu'on attribue des millions d'euros supplémentaires à ce Fonds sans aucune précision quant à la manière dont ils vont être utilisés ni aux organisations auxquelles des subsides pourront être octroyés.

M. Beke s'est penché sur les dépenses réalisées par le Fonds de lutte contre le tabagisme. Ce qu'il a constaté l'amène à se demander souvent quel est le rapport entre l'activité financée et la prévention en matière de tabagisme. Il précise qu'il a fait appel au règlement de la Cour des Comptes pour avoir accès à ces informations.

Plusieurs projets n'ont même pas fait l'objet d'un rapport, ce que la Cour des Comptes déplore. Mais pire encore, les activités pour lesquelles un rapport a été déposé sont parfois surprenantes. Le membre cite quelques exemples.

— 10 000 euros alloués au « Women Tennis Trophy ». Il s'agit d'une initiation au tennis, dans le cadre de laquelle des sommes importantes sont payées pour couvrir le prix de la location des infrastructures, la confection d'un dossier de presse, les boissons pour les enfants, les repas pour les enfants et les moniteurs, les repas du personnel d'encadrement, et même une somme de près de 2 000 euros consacrée à des cadeaux pour les enfants, etc.

— 3 000 euros alloués au « mini cooper challenge » 2004 sans tabac: somme servant à financer la participation à des compétitions de course.

— 10 000 euros alloués à RMB « Stop la clope », dont la moitié sert à financer un voyage à New York.

Ce type de constatations ne correspond guère à une application correcte des principes d'économie, d'utilité et d'efficacité. La Cour des comptes elle-même a signalé qu'elle se posait certaines questions.

Le membre n'entend pas passer en revue toute la liste des projets mais il estime avoir démontré par ces trois exemples que le Fonds de lutte contre le tabagisme n'est guère ce qu'on en attend.

La transformation du Fonds de lutte contre le tabagisme en Fonds de lutte contre les assuétudes n'offre aucune garantie quant à une affectation des moyens plus économe, utile et efficace.

Enfin, il constate que le tabagisme est surtout un problème en Wallonie, du moins si l'on se fonde sur les moyens attribués à des projets en Région wallonne. En Région flamande, le problème est certainement moins important car beaucoup moins de moyens lui sont octroyés.

En conclusion, le membre est d'avis que le gouvernement pourrait mener une politique bien plus efficace que la politique actuelle.

M. Demotte, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, rappelle que l'objectif de départ consistait à mettre sur pied une politique anti-tabac. Les ministres qui se sont succédé manifestaient tous de bonnes intentions mais ne disposaient pas des moyens nécessaires pour les concrétiser.

Le ministre mène une politique volontariste, structurée, de lutte contre le tabac. Il ne s'agit pas uniquement d'informer mais d'adopter des mesures normatives touchant à tous les secteurs de la vie. Si l'on fait le bilan des dernières législatures, la politique anti-tabac a davantage progressé ces dernières années qu'au cours des décennies précédentes.

Les juridictions se sont penchées sur la question et ont conclu que la forme donnée au Fonds fédéral ab initio n'était pas assez solide sur le plan juridique. Il fallait une contribution financière des communautés. Le Fonds a été créé et alimenté, a connu une phase d'expérimentation en 2004 pour se structurer de plus en plus en 2005 et 2006.

L'intervenant précédent dénonce l'attribution de moyens à des compétitions sportives, à des matches de tennis, et même à un challenge mini-cooper. C'est pourtant l'élément symbolique qui est utilisé. On sait, par exemple, que la voiture, en particulier la formule 1, a été souvent utilisée pour promouvoir la cigarette. L'idée ici a été d'utiliser une course de petites cylindrées, qui ne correspondent pas à l'esprit de la formule 1, pour faire la démarche inverse. Quant aux sports très physiques, comme le tennis ou le cyclisme, ils servent d'emblème à la promotion d'une vie saine.

Le ministre rappelle que le Fonds était en phase de démarrage. Tous les projets qui ont été subsidiés jusqu'à présent ont été acceptés par un comité d'accompagnement, lequel est composé de deux membres de l'INAMI, deux représentants du SPF Santé publique, un inspecteur des finances, deux experts en tabacologie et deux représentants du ministre. La tendance actuelle est de resserrer les moyens autour de projets s'inscrivant dans une thématique transversale. L'exemple-type est celui des mesures d'interdiction de fumer dans le secteur horeca. Ces mesures doivent s'accompagner d'informations à destination des personnes concernées. Le secteur horeca s'est dit prêt à collaborer à la condition d'avoir l'information. C'est l'un des thèmes principaux dans lesquels le gouvernement a investi des moyens.

Cela vaut pour toutes les politiques de santé. Ainsi, les études démontrent que le tabagisme des femmes enceintes a des répercussions sur le foetus. Des moyens sont dès lors affectés au remboursement de traitements brisant cette assuétude pour les femmes enceintes.

On oublie souvent qu'il y a, à côté de la prévention primaire, la prévention secondaire, taillée sur mesure, selon une approche personnalisée et individualisée, qui relève du niveau fédéral.

Enfin, la démarche qui a été effectuée n'est pas du tout illogique. On pourrait évidemment trouver plus logique d'appréhender d'abord globalement toutes les assuétudes, puis de préciser la lutte par secteur. Cependant, il a fallu trouver un point d'ancrage pour mettre en place une politique globale. Or, l'exemple le plus significatif pour la population est celui du tabac. C'est à partir du plan fédéral de lutte anti-tabac qu'on a pu élargir le champ d'action à toutes les substances créant une assuétude. On est parti d'un élément, mais celui-ci s'imbrique parfaitement dans un tout.

La liste des projets financés par le Fonds de lutte contre le tabagisme est disponible. Peut-être certaines activités n'ont-elles pas eu un lien suffisamment évident avec la lutte contre le tabac mais il fallait en faire l'expérience pour le savoir.

M. Beke veut bien admettre que la lutte anti-tabac a progressé ces dernières années — encore que l'enquête fédérale sur la santé laissait entrevoir une image ambiguë de la situation —, mais la question est de savoir s'il y a une relation de cause à effet entre l'attribution des moyens du Fonds de lutte contre le tabagisme et un éventuel revirement dans les mentalités. Concrètement, le membre ne voit pas le rapport entre la prévention contre le tabac et l'attribution de 10 000 euros pour aller assister à un match de tennis aux USA.

Si le Fonds est élargi à toutes les assuétudes, quels mécanismes vont garantir un relevé transparent post factum des activités subventionnées ? Sur la base de quels critères les projets seront-ils retenus ? Ces critères sont inexistants actuellement. Les trois quarts des projets sont situés en Région wallonne. Peut-être cela s'explique-t-il par le peu de projets présentés par la Région flamande mais il est impossible de le savoir vu le manque de transparence.

Le contrôle a posteriori n'est actuellement pas non plus ce qu'il devrait être. Il faut en principe rendre un rapport pour obtenir les fonds mais il suffit de remplir un formulaire général avec quelques questions assez vagues. À moins que l'administration ne dispose d'autres documents que ceux qui ont été communiqués par la Cour des comptes ?

Selon Mme De Schamphelaere, il ne peut pas se déduire de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles que la prévention secondaire serait une matière fédérale, comme le prétend le ministre. L'article 5, § 1er, I, 2º, de cette loi attribue en effet aux communautés « l'éducation sanitaire ainsi que les activités et services de médecine préventive, à l'exception des mesures prophylactiques nationales ». Le législateur spécial ne fait aucune distinction entre la prévention primaire et la prévention secondaire.

Quand bien même il s'agirait d'une matière fédérale, l'intervenante trouve souhaitable d'élaborer à tout le moins une clé de répartition du Fonds de lutte contre les assuétudes entre les communautés. Mais il n'en est rien: les décisions se prennent sur la base de projets concrets et il s'avère, comme par hasard, que les trois quarts d'entre eux concernent la partie francophone du pays.

M. Demotte, ministre des Affaires sociales et de la Santé publique, répond que le Conseil d'État rejette expressément l'utilisation d'une clé de répartition. Il fait en outre remarquer qu'à l'heure actuelle, les communautés n'apportent pas la moindre contribution financière au fonctionnement du Fonds ni à une approche commune de la lutte contre le tabagisme. Il estime en conséquence que dès l'instant où les communautés participeront au financement du Fonds, elles pourront être associées à son fonctionnement.

S'agissant de la répartition entre les différentes parties du pays des moyens de fonctionnement du Fonds de lutte contre les assuétudes, le ministre précise que les projets francophones ont effectivement bénéficié de beaucoup plus de moyens en 2004. Mais la plupart des demandes de soutien émanent de la partie francophone, parce que la Communauté française communique nettement mieux à ce sujet que la Communauté flamande. Le ministre met à la disposition de la commission des Affaires sociales un relevé des projets introduits et des sommes accordées, dont il ressort qu'aucun dérapage n'est à déplorer et que le Fonds s'adresse à l'ensemble du pays.

Mme Van de Casteele souligne les différences d'interprétation en ce qui concerne la répartition des compétences entre le fédéral et les communautés dans le domaine des soins de santé. Elle-même interprète largement la compétence des communautés en la matière et déplore le manque d'efforts consentis par les communautés sur plusieurs plans. L'intervenante est favorable à l'organisation et au financement de la lutte contre le tabagisme par les communautés, afin que les moyens fédéraux puissent être mieux utilisés, par exemple pour la prise en charge des alcooliques ou pour l'aide aux victimes de l'amiante.

La membre prend acte de l'analyse du ministre, selon laquelle la communauté linguistique qui introduit le plus de demandes, obtient aussi la plus grande partie des subventions. Le même phénomène s'était déjà produit au sein du Fonds d'équipement et de services collectifs, où le déséquilibre initial était également imputable à une meilleure communication du côté francophone. Il n'empêche que l'on doit chercher à atteindre un équilibre global entre les deux grandes communautés du pays pour ce qui est de l'affectation des moyens. Une correction s'impose donc.

À titre personnel, Mme Van de Casteele est partisane d'une interdiction de fumer plus étendue que celle que le gouvernement a prévue. Elle constate que les mentalités évoluent, comme l'a montré une enquête récente effectuée dans le secteur horeca, où les partisans d'une interdiction générale de fumer sont en train de gagner du terrain.

Maintenant que les compétences de l'ancien Fonds de lutte contre le tabagisme sont étendues à toutes les assuétudes, l'intervenante demande que l'on consacre aussi toute l'attention nécessaire à la lutte contre le dopage. La commission des Affaires sociales du Sénat a déjà formulé en la matière plusieurs recommandations (doc. Sénat, nº 3- 366/7), qui sont plus que jamais d'actualité. Les moyens de ce Fonds pourraient aussi servir à promouvoir une pratique saine du sport.

B. Pensions

Mme De Schamphelaere se réfère à l'article 70 du projet à l'examen. Elle trouve que l'on applique ici une procédure pour le moins curieuse: la loi-programme du 27 décembre 2005 confère au Roi une habilitation relative à la reprise des obligations de pension, en l'assortissant — il est vrai — de l'obligation que l'arrêté royal en question soit confirmé par la loi. Or, cette confirmation intervient en faisant à nouveau usage de la technique de la loi-programme. La confirmation par la loi vise pourtant à permettre un contrôle démocratique des actes du pouvoir exécutif, par le biais d'un débat approfondi au Parlement. Ce contrôle est rendu totalement impossible, dès lors que la confirmation entre, elle aussi, dans le moule d'une loi-programme qui contient toutes sortes de dispositions et pour laquelle le gouvernement demande à nouveau le bénéfice de l'urgence.

IV. DISCUSSION DES ARTICLES

Article 46

Mme De Schamphelaere constate qu'en application de l'article 46, qui a trait à la gestion globale, le produit des contributions des demandeurs destinées à alimenter le fonds provisionnel pour les dépenses en médicaments est versé par l'INAMI aux gestions globales des travailleurs salariés et indépendants, à hauteur de 79 millions d'euros. S'il est fait appel au fonds provisionnel, celui-ci devra être réalimenté. Cela signifie-t-il qu'il y a eu, au niveau de la consommation de médicaments, un dépassement de 79 millions d'euros par rapport au budget 2006 ? Quelles en sont les principales causes ?

Le ministre répond que cet article vise uniquement à apporter une adaptation relevant de la technique comptable. L'argent provenant du fonds provisionnel est transféré aux gestions globales en vue d'améliorer la cohérence entre les deux régimes de sécurité sociale, mais les principes régissant l'alimentation de ce fonds demeurent inchangés.

Mme De Schamphelaere estime qu'un fonds provisionnel a pour vocation de servir de « tampon » en cas de dépassements inattendus. Y a-t-il eu un dépassement de 79 millions d'euros ?

Le ministre répond par la négative. Le fonds provisionnel a effectivement pour vocation de couvrir des dépassements budgétaires, mais si les moyens de ce fonds sont sollicités, celui-ci doit être réalimenté.

Article 47

Amendement nº 4

M. Beke et Mme De Schamphelaere déposent l'amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 3-1774/2), qui tend à supprimer l'article 47. Ils renvoient à la justification écrite de l'amendement ainsi qu'à la discussion générale concernant la problématique du Fonds de lutte contre les assuétudes.

V. VOTES

L'amendement nº 4 est rejeté par 9 voix contre 2.

L'ensemble des articles soumis à la commission a été adopté par 9 voix et 2 abstentions.


Confiance a été faite aux rapporteuses pour la rédaction du présent rapport.

Les rapporteuses, La présidente,
Jacinta DE ROECK. Jihane ANNANE. Annemie VAN de CASTEELE.

Texte corrigé par les commissions (voir doc. Sénat, nº 3-1774/7 - 2005/2006)