3-115/2

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2003-2004

7 JANVIER 2004


Proposition de loi modifiant l'article 289bis du Code des impôts sur les revenus 1992


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES PAR M. RAMOUDT


I. INTRODUCTION

La commission a examiné la présente proposition de loi au cours de ses réunions des 19 novembre et 3 décembre 2003. Le rapport a été lu le 7 janvier 2004.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE M. THISSEN, AUTEUR DE LA PROPOSITION DE LOI

Beaucoup de déclarations ont été faites sur la nécessité de relancer l'économie qui se trouve en grande difficulté depuis un certain temps. Pour favoriser le développement d'une croissance économique accompagnée de création d'emplois, il faut la combinaison de 3 facteurs : l'investissement en capital physique des entreprises, la recherche-développement et le développement du capital humain.

Cette proposition de loi a pour objet d'essayer de stimuler ces facteurs et en particulier les deux derniers. À cette fin, une disposition est insérée dans le Code des impôts sur les revenus 1992, qui vise à octroyer une déduction additionnelle à l'impôt des personnes physiques et des sociétés, sous forme de crédit d'impôt pour les dépenses de formation et de recherche-développement.

En effet, il est important pour ce qui concerne la recherche-développement, d'augmenter le niveau des investissements, non seulement des établissements publics mais également du secteur privé. Tout le monde est bien conscient de l'importance de la recherche fondamentale, notamment dans les universités qui sont des établissements publics, mais il faut également continuer à stimuler la recherche et le développement dans les entreprises privées en incitant à la mise au point de nouveaux procédés de production et de nouvelles méthodes de travail ainsi que le lancement de nouveaux produits par ces entreprises.

Quant à la formation, il est clair aussi que dans les entreprises et plus particulièrement dans les plus petites, les employeurs ne sont probablement pas suffisamment conscients de la nécessité d'investir dans la formation de leur personnel. Un des moyens d'y remédier est de créer des incitants fiscaux.

Globalement, la proposition de loi vise à imputer sur l'impôt des personnes physiques et sur l'impôt des sociétés, un crédit d'impôt de 20 %, avec un maximum de 25 % des bénéfices et profits nets imposables, des dépenses de formation et de recherche et développement.

La présente proposition de loi permettra de libérer des moyens pour stimuler la recherche et le développement dans les entreprises, en particulier dans les PME. L'aide à l'investissement est encore trop souvent réservée aux grandes entreprises ou aux centres spécialisés, de sorte qu'un important potentiel n'est pas exploité.

La proposition de loi est d'autant plus nécessaire que, dans un communiqué de presse récent, le ministre des Finances a annoncé son intention de taxer davantage les petites entreprises, même si c'est indirectement. Pour pouvoir bénéficier des taux réduits de l'impôt des sociétés, le chef d'entreprise doit en effet percevoir une rémunération d'au moins un million de francs. Le ministre souhaite à présent relever considérablement ce minimum, de sorte que les entreprises concernées auront moins de possibilités de se constituer des réserves qu'elles pourraient ensuite utiliser à des fins d'investissement.

Si l'on part du principe que les entreprises ont besoin d'investissements, surtout d'investissements en matière de recherche et développement et en matière de formation, le gouvernement doit prendre les mesures appropriées correspondant à l'objectif qu'il s'est fixé.

III. DISCUSSION GÉNÉRALE

Selon le ministre des Finances, la proposition de loi à l'examen vise à accroître les efforts d'investissement en matière de recherche et de développement, pour qu'ils atteignent le niveau souhaité de 3 % du PNB. Il souligne toutefois que le gouvernement a déjà pris des mesures en la matière.

Déjà maintenant, il existe une déduction du revenu pour les chercheurs qualifiés en ce sens que cette déduction s'élève pour l'instant à 11 990 euros. Pour les chercheurs hautement qualifiés, cette déduction a été doublée et portée à 23 980 euros (montant de base : 800 000 francs). Il existe donc déjà une aide certaine à la recherche.

Bien sûr, le gouvernement doit tenir compte des contraintes budgétaires. Malgré cela, il vient de prendre une mesure dans la recherche scientifique qui a un impact budgétaire considérable. Il vient d'exonérer à concurrence de 50 % le versement du précompte professionnel afférent aux rémunérations de chercheurs et de doctorants dans les universités et certains établissements scientifiques comme le FNRS par exemple.

L'article 385 de la loi-programme du 24 décembre 2002 prévoit également que cette mesure peut aussi être étendue à toute une série d'établissements scientifiques qui doivent toutefois faire l'objet d'un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres.

L'impact budgétaire de cette dernière mesure, rien qu'en ce qui concerne le premier volet d'institutions bénéficiaires, est considérable. Le gouvernement a en effet prévu une enveloppe de 30 millions d'euros.

Ladite loi-programme prévoit une extension future à des institutions scientifiques agréées. Toutefois, le gouvernement considère que budgétairement, pour l'instant, il est arrivé aux limites de ce qu'il peut octroyer.

Le gouvernement ne peut pas prévoir de nouveaux incitants fiscaux à tout bout de champ.

Sur le plan purement technique de la proposition, le ministre des Finances formule les remarques suivantes :

­ le taux maximal préconisé pour le crédit d'impôt serait de 25 %. Toutefois, dans certains cas, ce pourcentage est même légèrement supérieur au tarif de l'impôt des sociétés. En effet, depuis la dernière réforme de l'impôt des sociétés, le taux minimum de l'ISOC commence en dessous de 25 %;

­ le crédit d'impôt, en tout cas en matière de sociétés, s'insère dans un contexte dans lequel il n'est applicable qu'aux sociétés qui peuvent bénéficier du taux réduit à l'ISOC. Par conséquent, l'adoption de cette mesure pourrait créer une forme de discrimination, qui risque d'être contestée devant la Cour d'arbitrage, entre les sociétés qui bénéficient du taux réduit et celles qui n'en bénéficient pas pour un même critère, c'est-à-dire les dépenses de formation et de recherche et développement.

M. Thissen déclare ne pas bien comprendre le premier problème technique invoqué par le ministre.

Le ministre répond que le crédit d'impôt préconisé peut atteindre 25 % alors qu'il y a des cas où l'impôt n'est de 24,25 % des bénéfices.

M. Thissen rétorque que, initialement, sa proposition a été élaborée avant la dernière réforme de l'ISOC. Il est prêt à amender sa proposition pour remédier à ce problème marginal.

M. Thissen ne conteste pas le fait que certaines mesures d'aide à la recherche existent déjà à l'heure actuelle. Toutefois, ces aides s'appliquent quasi exclusivement à des institutions spécialisées dans la recherche.

Bien que la recherche fondamentale soit quelque chose d'absolument vital pour le développement des entreprises, il n'empêche que la proposition à l'étude va plus loin. Elle vise à stimuler la recherche dans les entreprises quelle que soit leur taille. Il ne paraît pas indispensable à M. Thissen que l'on soit un organisme spécialisé ou un organisme d'une taille importante pour pouvoir faire de la recherche qui, parfois, peut déboucher sur des projets industriels ou de services tout à fait performants.

Il est vrai que le gouvernement a exonéré à 50 % le précompte professionnel pour les chercheurs. M. Thissen est très favorable à cette mesure. De plus, il prend acte qu'une enveloppe budgétaire a été réservée pour couvrir les frais liés à cette mesure. La question est de savoir si cette enveloppe sera épuisée. Est-ce que l'extension future dont a parlé le ministre pourrait aller aux entreprises ?

Le ministre répond que le texte de la loi parle « d'institutions scientifiques agréées par arrêté royal ». Cela étant, il n'est pas exclu que ces institutions relèvent du domaine privé.

M. Thissen en déduit que la mesure ne sera pas étendue aux entreprises. Il souligne que toutes les études indiquent que la recherche-développement est un élément fondamental de la croissance de l'activité économique. Dès lors, pourquoi ne pas donner l'occasion aux entreprises de bénéficier aussi d'incitants fiscaux ? D'après M. Thissen, il y aurait un effet multiplicateur très important. L'imagination des gens ne se limite pas aux institutions reconnues. Il y a de la créativité dans tous les secteurs d'activité. Il semble à M. Thissen que l'on devrait essayer de valoriser cela. Aujourd'hui, il y a des poches d'initiative, des poches d'inventivité qui ne sont pas mises en valeur parce que les entreprises concernées n'ont pas la taille critique suffisante pour pouvoir se permettre des départements de recherche importants. Il n'existe pas de soutien financier pour essayer d'encourager à aller dans ce sens.

M. Jean-Marie Dedecker demande à M. Thissen comment on pourrait contrôler l'utilisation correcte de la mesure qu'il propose.

M. Thissen ne prétend pas qu'il sera facile de le faire. Il est sûr qu'il faudra mettre en place un certain nombre de mécanismes. Il estime toutefois que dans les personnes affectées à la recherche, il y a quand même certains profils. Tout le monde ne peut pas être reconnu comme chercheur. Les autorisations pourraient être basées sur des projets d'étude. Fin des années 70, il y avait des possibilités d'obtenir des subventions pour des projets.

Sur les modalités, M. Thissen est prêt à discuter. Mais sur le principe d'inciter les entreprises à véritablement consacrer une partie de leur budget à la recherche, la commission devrait pouvoir avancer.

M. Ramoudt estime qu'il existe actuellement une série de leviers, tant pour les individus que pour les entreprises qui souhaitent faire de la recherche.

Les frais de formation représentent déjà une partie importante des frais exposés par les entreprises. Il importe en effet, pour une entreprise qui veut suivre l'évolution technologique, que son personnel progresse lui aussi. Les entreprises ont donc de plus en plus recours aux possibilités de formation complémentaires qui existent. Les frais de formation sont déductibles fiscalement. Au cas où l'on pourrait aller plus loin, le VLD opterait plutôt pour une exonération de cotisations sociales. Il ne soutiendra dès lors pas la proposition de loi à l'examen.

En ce qui concerne la remarque relative à l'augmentation de la rémunération minimale pour les chefs d'entreprise, le ministre renvoie au projet de loi modifiant l'article 215 CIR 1992 (doc. Chambre nº 1-352/1 du 28 ctobre 2003 qui a été déposé à la Chambre). Le gouvernement a réduit considérablement les taux de l'impôt des sociétés, en particulier pour les petites entreprises. Cependant, pour qu'une société puisse bénéficier de ce taux, la rémunération d'un des chefs d'entreprise au moins doit être d'un million de francs au minimum. L'arrêté royal du 20 juillet 2000 (portant exécution de la loi du 20 juin 2000 relative à l'introduction de l'euro dans la législation concernant les matières visées à l'article 78 de la Constitution relevant du ministère de l'Intérieur) a ramené ce montant à 24 500 euros. Le montant non indexé n'a jamais été modifié depuis vingt ans.

Selon le ministre, il faut tenir compte de l'inflation. Par conséquent, le projet de loi prévoit que le montant de 24 500 euros sera porté à 27 000 euros pour l'exercice 2005, à 30 000 euros pour l'exercice 2003, à 33 000 euros pour l'exercice 2007 et à 36 000 euros pour l'exercice 2008. Ces montants sont inférieurs à ceux qui auraient dû être appliqués si l'indexation avait joué, car dans ce cas, un montant minimum de 30 296 euros serait applicable pour l'exercice 2004.

M. Thissen doute que la règle selon laquelle la rémunération des chefs d'entreprise doit s'élever à 1 000 000 de francs au minimum existe depuis plus de vingt ans. Cette mesure a été introduite dans le code par la loi du 28 décembre 1992.

L'intervenant reconnaît que l'on a déployé des efforts en faveur des universités, mais il estime que les petites entreprises ont été complètement exclues. Quand on analyse le marché du travail, on constate que de nombreuses petites entreprises sont des entreprises qui ont la capacité d'apporter un renouveau. La faiblesse des moyens propres de ces entreprises constitue souvent un frein; si l'on ne crée aucun incitant, on risque de perdre en l'occurrence un potentiel énorme.

L'intervenant regrette dès lors l'attitude du ministre, qui aura pour effet de décourager de nombreuses initiatives.

IV. VOTES

L'article 1er est rejeté par 8 voix contre 3, ce qui emporte le rejet de la proposition dans son ensemble.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

Le rapporteur, Le président,
Didier RAMOUDT. Jean-Marie DEDECKER.