2-425/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2000-2001

17 AVRIL 2000


La criminalité organisée en Belgique


PREMIER RAPPORT INTERMÉDIAIRE

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DU SUIVI EN MATIÈRE DE CRIMINALITÉ ORGANISÉE PAR MM. LOZIE ET ISTASSE


SOMMAIRE


CHAPITRE PREMIER

INTRODUCTION

Section première — Antécédents

Le 18 juillet 1996 fut créée au Sénat une commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique (1).

Cette commission avait pour missions :

« — de réaliser une enquête sur l'étendue, la nature et la gravité de la criminalité organisée en Belgique;

— de déterminer comment il serait possible de combattre efficacement et dans le cadre d'un ordre juridique cette criminalité organisée;

— après avoir fait l'analyse de la situation existante, d'en tirer des conclusions et de formuler des recommandations et des propositions en vue d'atteindre cet objectif » (2).

Assistée d'une équipe scientifique composée d'experts issus de diverses universités du pays, la commission d'enquête a, en un premier temps, procédé à l'audition de fonctionnaires supérieurs et de magistrats concernés par la lutte contre la criminalité grave.

Elle a également examiné si des analyses stratégiques avaient déjà été réalisées en Belgique en matière de criminalité organisée.

La commission entendait ainsi se faire une idée des moyens de lutte disponibles et des lacunes de la législation actuelle.

Les structures, les méthodes de recherche et les moyens de fonctionnement ont, eux aussi, pu faire l'objet d'une radioscopie.

Afin d'élargir au maximum l'éventail des sources, il a été décidé d'envoyer des questionnaires détaillés tant aux procureurs du Roi et aux parquets généraux qu'aux divers secteurs économiques.

Dans un premier rapport intermédiaire (3), la commission d'enquête s'est intéressée aux notions de criminalité organisée et d'organisation criminelle.

Elle a ensuite traité, dans son deuxième rapport intermédiaire, de l'impact de la lutte contre la criminalité organisée, entre autres par l'utilisation de techniques spéciales d'enquête, sur l'organisation des services de police et du ministère public (4).

La commission a également examiné le paysage policier belge, et le contexte juridique international de la lutte contre la criminalité organisée.

Enfin, la commission a sélectionné, en se basant sur les sources précitées, une série de secteurs pour lesquels elle a procédé à une enquête complémentaire et organisé des auditions supplémentaires : le secteur de la viande, le secteur du diamant, et le secteur pétrolier (5).

La commission a souligné qu'elle ne voulait en aucune façon donner par là l'impression de viser des secteurs économiques déterminés ou de les stigmatiser comme étant suspects, le postulat de l'enquête étant précisément d'examiner dans quelle mesure des activités parfaitement légales pâtissent de la criminalité organisée.

Au terme de ses travaux, la commission d'enquête a, dans son rapport final déposé le 8 décembre 1998, formulé un certain nombre de constatations et de recommandations. Parmi ces dernières figure la création d'une commission parlementaire de suivi.

On peut lire à cet égard, dans le rapport final de la commission :

« 3.1. Collecte d'informations

La collecte classique d'informations par les services de police sur le terrain doit être maintenue sans que l'on doive obtenir l'autorisation préalable du ministère public. Cette information doit toutefois être enregistrée, de telle manière qu'un contrôle a posteriori soit possible. En revanche, si l'information est recherchée de manière ciblée dans le cadre d'un programme ou d'une recherche proactive, l'autorisation du ministère public est requise (cf. article 28bis du Code d'instruction criminelle). Dans la lutte contre la criminalité organisée, la justice ne peut se permettre d'adopter une attitude attentiste. Elle doit dès lors renoncer à une approche incidente et se mettre proactivement à la recherche d'informations lui permettant de se forger une image de la criminalité organisée. Étant donné la menace qu'une telle approche implique pour la vie privée, on peut envisager de créer (par exemple au sein du parquet fédéral) un comité d'accompagnement pour les matières sensibles, voire éventuellement de prévoir un contrôle parlementaire par une commission spéciale de suivi (6). »

( ... )

« 3.8. Commission parlementaire de suivi

Au point 3.1 est évoquée l'idée d'un contrôle parlementaire sur la collecte des informations.

La commission estime toutefois qu'il n'est pas souhaitable de limiter le rôle du Parlement à ce point spécifique. C'est pourquoi elle propose de créer une commission parlementaire de suivi chargée de suivre de près l'évolution de la criminalité organisée, de contrôler systématiquement, en concertation avec le pouvoir exécutif, l'efficacité des mesures qui ont été prises et de formuler des propositions en vue d'améliorer l'approche (7). »

Les conclusions de la commission d'enquête ont été approuvées par le Sénat le 17 décembre 1998 (8).

Section 2 — Cadre politique et stratégique

1. La déclaration gouvernementale et l'accord de gouvernement

On peut lire, dans la déclaration du gouvernement fédéral du 14 juillet 1999, les considérations suivantes :

« La justice est la troisième priorité des nouvelles autorités envisagées par le gouvernement. Pour répondre aux problèmes de la police et la justice, l'année dernière les accords Octopus ont été conclus. Leur concrétisation rapide et complète est un objectif majeur du gouvernement. Elle est à la base de la création d'un environnement sûr et d'une organisation judiciaire efficace et rapide et du recul de la violence.

Mais cela ne suffit pas. Avant la fin de l'année, nous établirons un plan de sécurité s'inspirant du concept de la gestion intégrée de la sécurité. Ce plan sera constitué d'un volet préventif, d'un volet répressif et de l'accompagnement des victimes et du suivi des auteurs. Ce plan, étayé scientifiquement, a un double objectif : la réduction effective de toutes les formes de criminalité et l'accroissement substantiel du taux d'élucidation. La police se concentrera sur ses tâches fondamentales et sera davantage présente sur le terrain. Le droit pénal sera modernisé et l'application des normes apportera une réponse rapide et adaptée à chaque type d'infraction. Un service anti-corruption sera créé dans le cadre de la police fédérale. La coopération internationale et la lutte contre le crime organisé et la criminalité en col blanc seront intensifiées.

( ... )

Une autorité juste est aussi une autorité accueillante. Le point de départ est l'intégration de tous les citoyens notamment des personnes de nationalité étrangère. Pour ce qui les concerne la procédure d'acquisition de la nationalité belge sera radicalement simplifiée. Elle contiendra l'engagement du demandeur de respecter la Constitution, les lois et les droits et libertés fondamentaux. En outre, le ministre de la Justice demandera aux parquets de s'inscrire dans cette nouvelle approche et de combattre toute infraction à la législation de naturalisation par des organisations criminelles. Le gouvernement évaluera la nouvelle réglementation un an après son entrée en vigueur. »

Quant à l'accord de gouvernement du 7 juillet 1999, il précise, à propos de l'établissement d'un plan de sécurité :

« L'établissement d'un plan de sécurité

Le gouvernement fédéral dressera, avant la fin de l'année, un plan de sécurité qui s'inspirera du concept de la gestion intégrée de la sécurité. Cette gestion intégrée de la sécurité se traduira par une chaîne constituée successivement d'un maillon préventif, d'un maillon répressif et du suivi des victimes et des auteurs.

Le plan de sécurité sera étayé par des apports scientifiques et se traduit par deux objectifs : une réduction effective de toutes les formes de criminalité et un accroissement substantiel du taux d'élucidation des infractions.

Le plan comprendra les priorités suivantes :

— diminuer le nombre des délits accompagnés de violences;

— circonscrire et combattre la criminalité organisée;

— mieux dépister et réprimer la criminalité en col blanc;

— lutter contre la traite des êtres humains et les autres formes d'exploitation;

— prévenir au maximum les délits sexuels;

— combattre la délinquance juvénile;

— endiguer le hooliganisme;

— limiter les troubles et la criminalité liés à l'approvisionnement et au trafic de drogue;

— réduire les accidents de la circulation entraînant des dommages corporels.

Pour chacune de ces priorités, des instruments spécifiques seront mis au point et des moyens seront prévus. Les principaux moyens d'action du plan de sécurité sont :

1. une police moderne, ancrée dans la société et orientée vers les véritables tâches policières fondamentales. À cet égard, l'on aura recours à un management actualisé et à une approche professionnelle : les agents de la police locale autonome seront davantage présents dans la rue au service et à l'écoute du citoyen. En effet, une présence accrue d'agents dans les quartiers favorise le sentiment de sécurité du citoyen et combat préventivement la criminalité. À cet égard, les citoyens doivent avoir accès 24h/24h à un service de police.

2. une simplification du droit pénal, liée à une procédure pénale plus efficace;

3. l'application stricte des normes relatives à certaines infractions; une réponse adaptée et rapide à chaque infraction soit de manière préventive, soit de manière répressive;

4. la lutte contre la corruption, les comportements corrupteurs et l'estompement de la norme par la création d'un service anti-corruption renforcé au sein de la police criminelle fédérale;

5. l'intensification des efforts en matière de construction et d'aménagement sûrs, de sécurité de quartier et de gestion des risques en particulier dans les quartiers les plus touchés;

6. une coopération internationale contre le crime organisé et la criminalité en col blanc;

7. le renforcement de la médiation pénale et des peines alternatives;

8. la mise en place d'un système efficace de saisie et de confiscation du patrimoine d'origine criminelle, une meilleure perception des amendes.

Mis à part le plan de sécurité fédéral, des plans de sécurité locaux seront établis prioritairement pour les grandes villes. Ces plans locaux prendront en compte le volet « sécurité » des contrats de sécurité et de société. Chaque intervenant, agent de police ou travailleur social remplira sa tâche dans le strict respect des règles de déontologie spécifiques. Le renforcement de l'efficacité de l'appareil répressif doit aller de pair avec une meilleure protection des droits fondamentaux des individus confrontés à cet appareil répressif. En particulier, des mesures seront prises pour combattre les abus du droit d'enquête et les dénonciations malveillantes. »

2. Le plan fédéral de sécurité et de politique pénitentiaire

Le plan fédéral de sécurité et de politique pénitentiaire, déposé par le ministre de la Justice comporte, à propos de la criminalité organisée, un certain nombre de considérations qui peuvent être synthétisées comme suit.

Pour établir un profil de la criminalité organisée et lutter contre celle-ci, le ministre de la Justice prendra l'initiative de mettre au point des statistiques criminelles complètes, utilisables dans le cadre de nombreuses analyses sur la criminalité.

Le gouvernement fédéral porte un grand intérêt à l'idée que l'on peut se faire des divers domaines dans lesquels se manifeste cette forme de criminalité grave. Ce profil est en passe d'évoluer d'une analyse plutôt quantitative et d'une méthodologie à court terme vers une analyse qualitative associée à une analyse stratégique à part entière.

Dans le passé, pour affiner ce profil, certaines initiatives ont déjà été prises telles que la révision du questionnaire en vue de procéder à une analyse plus approfondie, l'adaptation de la banque de données statistiques, le recours à des analystes stratégiques chargés de procéder à la collecte des données, l'intégration de mécanismes de contrôles supplémentaires pour garantir que l'information fournie est correcte et l'ajout d'éléments d'évaluation qualitatifs. Cette politique sera poursuivie pour améliorer ce profil.

Il faut que la collecte des données puisse se faire de manière automatisée et que l'analyse stratégique soit développée davantage. Tous les services qui contribuent à élaborer ce profil doivent participer : non seulement les services de police, les parquets, la Sûreté de l'État, la Cellule de traitement des informations financières mais aussi l'Inspection fiscale, sociale et économique.

En outre, les données de base doivent être complétées par les données relatives aux poursuites, à la condamnation et à l'exécution de la peine, si l'on veut avoir une vue complète de la grande criminalité.

Enfin, l'analyse stratégique sera également alimentée par des analyses contextuelles. L'analyse du contexte suit les développements d'ordre social, décèle les causes et examine l'impact de la criminalité organisée sur certaines parties de la société. Pour élaborer cette analyse, on cherchera avant tout à mesurer l'impact de la criminalité organisée sur les secteurs économiques légaux.

Les rapports annuels sur la criminalité organisée indiquent que certains secteurs économiques, principalement les secteurs du transport, de l'horeca, de l'import-export et du diamant, sont plus sensibles que les autres secteurs. L'analyse des secteurs à risque aidera à évaluer la menace et, si nécessaire, à prendre les mesures appropriées.

Il apparaît indispensable d'investir dans les statistiques criminelles et dans l'analyse criminelle ainsi que dans l'appui scientifique lorsque l'on établira le profil.

Il va de soi que la coopération internationale est une condition sine qua non si l'on veut lutter sérieusement contre la criminalité organisée car elle a généralement des ramifications internationales.

Section 3 — Création de la commission du suivi en matière de criminalité organisée — Composition — Mission

Pour faire suite à la recommandation précitée, formulée par la commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique, une commission du suivi en matière de criminalité organisée a été créée au Sénat, le 18 novembre 1999, et ce pour la durée de la législature.

Cette commission compte neuf membres, un par groupe politique représenté au Bureau du Sénat, et est composée comme suit :

VLD : Mme Kestelijn-Sierens

CVP : M. Vandenberghe

PS : M. Istasse

PRL-FDF-MCC : M. Malmendier

VL. BLOK : M. Verreycken

SP : Mme Vanlerberghe

ECOLO : M. Morael

AGALEV : M. Lozie

PSC : Mme Nyssens

La commission du suivi a pour mission de vérifier la manière dont on met en oeuvre les recommandations et les avis de la commision d'enquête. Par analogie avec les comités P & R, la commission est la cellule qui, au Parlement, assure le suivi de la problématique du crime organisé.

La commission pourrait également servir d'intermédiaire entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire, et plus particulièrement le collège des procureurs généraux, dans les cas où la lutte contre le crime organisé fait apparaître des problèmes de législation.

La commission du suivi pourrait entre autres faire office d'organe consultatif ou d'organe d'appui vis-à-vis de la commission de la Justice pour les projets ou propositions de loi relatifs à la criminalité organisée (cf. les avis que la commission d'enquête a rendus à la commission de la Justice au cours de la législature précédente).

La règle de la stricte confidentialité est d'application dans la commission du suivi.

Section 4 — Désignation du bureau — Méthodologie

La commission du suivi a commencé ses travaux le 19 janvier 2000.

1. Le bureau

La commission du suivi a tout d'abord procédé à la désignation de son bureau.

M. Vandenberghe a été nommé président à l'unanimité.

M. Malmendier et Mme Kestelijn-Sierens ont été nommés respectivement premier vice-président et deuxième vice-présidente, aussi à l'unanimité.

MM. Lozie et Istasse ont également été désignés à l'unanimité comme rapporteurs.

2. Méthodologie

La commission du suivi a souhaité, en un premier temps, actualiser les données recueillies par la commission d'enquête, pour approfondir ensuite le travail d'enquête effectué par celle-ci.

En vue de l'actualisation de ces données, il a été proposé d'interroger, dans un premier temps, les instances suivantes :

a) le cabinet du ministre de la Justice, afin d'organiser à bref délai une audition des personnes suivantes :

— le ministre de la Justice au sujet du rapport annuel 1999 sur le crime organisé en 1998 (éventuellement aussi le rapport annuel 2000 sur le crime organisé en 1999) et des éléments de son plan de sécurité et de détention qui concernent spécifiquement la criminalité organisée;

— le Service de la politique criminelle, au sujet de son rapport annuel;

b) le ministre de l'Intérieur;

c) les procureurs généraux, concernant les problèmes qu'ils rencontrent dans leur ressort;

d) les magistrats fédéraux;

e) la gendarmerie (BCR);

f) la police judiciaire;

g) le SGAP.

Cette collecte d'informations pourrait donner à la commission une idée de l'état d'avancement de l'analyse stratégique du phénomène du crime organisé.

Certains membres ont proposé que la commission se consacre ensuite à l'étude de la fraude fiscale (carrousels à la TVA) et des pratiques de blanchiment d'argent, dans la mesure où celles-ci sont utilisées par le crime organisé. À ce sujet, la commission devrait organiser des auditions de :

a) l'ISI;

b) l'OCDEFO;

c) la CTIF.

Á ce sujet, un membre signale qu'il faut étudier également l'incrustation du milieu criminel dans la société légale et le risque d'infiltration des organisations criminelles dans les entreprises de bonne foi. Ce danger qui, d'après certaines sources, est manifestement très réel, constitue une menace pour l'économie, car il fausse la concurrence entre les entreprises. L'intervenant songe, par exemple, au racket d'entreprises dans la région bruxelloise.

Un autre membre a proposé de refaire l'enquête auprès des 27 parquets avec l'approbation du collège des procureurs généraux.

Au terme de cet échange de vues, la commission a décidé de consacrer l'une de ses premières réunions à la présentation, par le ministre de la Justice, en présence de la presse, du rapport annuel 1999 sur la criminalité organisée en 1998 (9), et de procéder ensuite à l'audition des procureurs du Roi d'Anvers, de Bruxelles, de Liège, de Charleroi et de Gand.

Section 5 — Collaboration externe

La commission du suivi a fait appel, pour l'assister dans ses travaux, à la collaboration scientifique du professeur Armand Vandeplas, président de la chambre honoraire de la cour d'appel d'Anvers et professeur extraordinaire émérite à la Katholieke Universiteit Leuven.

Le professeur Vandeplas avait déjà apporté sa collaboration scientifique à la commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée.

CHAPITRE II

Présentation par le ministre de la Justice du rapport annuel 1999 sur le crime organisé en 1998 — Discussion

Deux réunions, tenues respectivement le 27 avril et le 11 mai 2000, ont été consacrées à l'examen du rapport annuel 1999 sur la criminalité organisée en 1998. Lors de la première réunion, qui était publique, le ministre a présenté son rapport, en présence de la presse, puis une séance de questions et réponses a eu lieu. Lors de la seconde réunion, la commission a poursuivi la discussion à huis clos.

1. Exposé du ministre de la Justice

Le ministre déclare que ce n'est pas sans quelque appréhension qu'il se présente devant la commission pour commenter le rapport annuel 1999. Ce rapport traite, en effet, de l'évolution de la criminalité organisée en 1998, année où, faut-il le rappeler, il n'avait encore aucune responsabilité ministérielle. Cependant, le phénomène de la criminalité organisée est trop important pour que l'on ne s'arrête pas aux données que contient ce rapport. Le gouvernement actuel, rendu attentif au problème par le rapport final de la commission d'enquête parlementaire sur le crime organisé en Belgique, en a donc fait une de ses priorités.

Le ministre commente ensuite le rapport au moyen d'un communiqué à la presse.

En ce qui concerne la méthodologie suivie pour l'établissement du rapport, le ministre attire l'attention sur le fait que tant la commission de suivi que le collège des procureurs généraux dans sa décision du 30 mars 2000 ont plaidé pour une attitude plus pragmatique. Selon eux, le rapport sur les données chiffrées devrait être annuel et l'évaluation bisannuelle. Ce choix part de l'idée que vu la durée des enquêtes, il serait préférable de mesurer à plus long terme l'efficacité du nouvel instrumentaire juridique dont on dispose pour lutter contre la criminalité organisée. En continuant à limiter le délai d'enquête à un an, on donne l'impression que l'on n'enregistre aucun progrès.

Parmi les autres aspects pouvant être améliorés, citons l'augmentation du nombre de sources d'information, l'adjonction de données pertinentes tirées des procédures pénales, une attention plus pointue pour les stratégies à long terme, un rapport plus strict sur le suivi, l'assistance active du Comité scientifique d'accompagnement et la description de certains phénomènes criminels, de groupes criminels et de secteurs à risques prioritaires.

2. Questions

Un membre demande au ministre d'approfondir deux thèmes.

D'abord, il souhaite connaître les données sur la base desquelles le rapport arrive à la conclusion que « l'ampleur des organisations actives en Belgique reste restreinte » (p. 5). Formulés de cette manière, ces propos donnent à croire que le danger que représentent les organisations criminelles peut être relativisé. Or, la question se pose de savoir si la criminalité organisée ne se caractérise pas par son habilité à masquer ses activités, de sorte que celles-ci ne font pas l'objet d'enquêtes judiciaires et administratives. Il va de soi que, dans cette hypothèse, les autorités ne disposent pas de données chiffrées à ce sujet. Si cela s'avère être le cas, la criminalité organisée a pris une ampleur beaucoup plus large que le rapport annuel ne le fait apparaître.

Deuxièmement, l'intervenant souhaite savoir quelles mesures le gouvernement et les autorités publiques ont prises pour pallier les défaillances que la commission d'enquête parlementaire a découvertes dans la lutte contre la criminalité organisée dans les secteurs de la viande, du pétrole et du diamant.

Un autre membre se pose également des questions sur l'ampleur prétendument restreinte de la criminalité organisée. Cette déclaration ne va-t-elle pas à l'encontre de la thèse répandue au sein de l'opinion publique, selon laquelle la Belgique est une plaque tournante de la criminalité organisée ? Ainsi court le bruit que certains quartiers de grandes villes abritent des organisations criminelles qui se servent du secteur de l'horeca. La question se pose de savoir si ces organisations, même si elles restent restreintes, ne prennent quand même pas une certaine ampleur.

Ceci appelle une autre question. Le nouvel instrumentaire juridique mis en place lors de la précédente législature suffit-il ou y a-t-il lieu de prendre de nouvelles initiatives législatives ? Le ministre dispose-t-il déjà de statistiques relatives à l'application par l'appareil judiciaire des nouvelles dispositions relatives aux organisations criminelles, à la corruption et à la responsabilité pénale des personnes morales, ou est-il encore trop tôt pour évaluer l'emprise de ces nouvelles lois ?

Enfin, l'intervenante souhaite savoir si le projet de loi relatif à la recherche proactive et aux techniques de recherche sera élaboré sur la base de l'étude faite par le professeur Bosly ou bien si une autre voie sera suivie.

Un membre souhaite obtenir des renseignements à propos des enquêtes sur les réseaux de pédophilie et le trafic d'enfants.

Un autre membre insiste pour que le gouvernement inclue les recommandations de la commission d'enquête sur la criminalité organisée dans son Plan de sécurité et veille à ce qu'elles soient mises en application dès que possible. En effet, ce plan doit viser non seulement la petite délinquance urbaine, mais aussi la criminalité organisée.

L'intervenant cite quelques points qui suscitent des observations :

1. En ce qui concerne la coordination des services et l'échange d'informations, il ne suffit pas d'instituer de nouveaux services pour combattre certains aspects de la criminalité organisée. Il faut les incorporer dans un réseau avec d'autres services et mettre en commun leurs stratégies.

2. Les délais de prescription posent problème parce que les enquêtes judiciaires prennent de plus en plus de temps. Bien qu'il s'agisse d'une matière sensible, la question se pose de savoir si le ministre envisage une révision de ces délais pour certaines formes de la criminalité organisée.

3. En ce qui concerne les enquêtes financières et fiscales, il semble que pour les fraudes de moins de 100 millions de francs, les services fiscaux ne prennent plus la peine de porter plainte auprès du parquet. En effet, le volume des dossiers est trop important par rapport au personnel disponible. Sans parler d'impunité, cette attitude constitue une incitation à la fraude.

4. Le ministre a exprimé le souhait de « décriminaliser » certains délits à caractère financier. Quelles sont ses intentions ?

5. Les techniques spéciales de recherche sont nécessaires, mais il faut également investir dans les enquêtes financières permettant de découvrir les circuits de fraude et de blanchiment.

6. En ce qui concerne la confiscation des biens, avec quels pays étrangers des accords ont-ils été conclus, dans lesquels il est fait application de « l'asset sharing » ? Ce système permet aux autorités étrangères qui procédent à la confiscation de biens résultant de crimes commis en Belgique, de se réserver une partie de ces biens, ce qui constitue une incitation à la coopération internationale.

7. Le passage à l'euro aura des effets pour les produits de la criminalité organisée. Les organisations criminelles devront avant le 28 février 2002 opérer la conversion de leurs profits en euro. Ne faut-il pas anticiper cette opération et renforcer les services pour qu'ils puissent dépister des mouvements de capitaux suspects et notamment des opérations de blanchiment ?

Un membre constate que le nombre des enquêtes de criminalité organisée a augmenté de 16 % en 1998 (p. 16). Cela ne signifie pas pour autant que la criminalité a augmenté dans cette proportion, mais plutôt que les magistrats et les services de police font preuve d'une plus grande vigilance.

Le rapport annuel est, comme l'a indiqué le ministre, une première analyse habillant une ossature de chiffres. Vu la nécessité d'une analyse stratégique, c'est une bonne chose de passer à une évaluation bisannuelle.

Il est remarquable de constater que le milieu criminel recourt de plus en plus à la couverture commerciale. C'est l'indice d'un professionnalisme accru.

Force est de constater à cet égard que la fraude à la TVA reste un problème majeur. Ce n'est pas étonnant. Étant donné que la législation TVA est déterminante pour la rentabilité économique, il est normal que cette législation soit très sujette à la fraude. La question se pose en outre de savoir s'il ne faudrait pas développer de nouveaux moyens — électroniques — notamment l'internet, pour s'attaquer non seulement à la fraude mais aussi à la fraude aux documents.

En ce qui concerne les secteurs investis par la criminalité organisée, le membre s'attarde sur trois secteurs que la commission d'enquête a examinés.

1. Le secteur pétrolier

Le rapport annuel 1999 fait état pour la première fois de la fraude pétrolière, qui a indéniablement des répercussions négatives sur le Trésor public et sur la concurrence. À cet égard, d'aucuns estiment que l'on s'attaque plutôt aux symptômes du mal qu'à ses causes (p. 52).

Le fisc concentre ses efforts sur la récupération des droits éludés et sur la perception d'amendes, qui se chiffrent en millions et parfois même en milliards, mais il ne parvient pas à récupérer les bénéfices recueillis illégalement ni à mettre à nu les réseaux. Les causes de cet échec sont multiples. Soit les sociétés disparaissent avant qu'on ait pu les dépister, soit elles font faillite. Il convient de relever à cet égard que la douane, qui devrait jouer un rôle essentiel en la matière, souffre d'une pénurie d'effectifs qui l'empêche de mettre en place un réseau de contrôle efficace. Bien que la douane ne relève pas des attributions du ministre de la Justice, il serait intéressant de savoir quelles mesures le ministre ou le gouvernement envisagent de prendre pour remédier à la situation.

2. Le secteur de la viande

L'on s'est engagé sur la bonne voie dans ce secteur.

Le membre souhaite tout simplement obtenir une confirmation de la rumeur selon laquelle le professeur De Ruyver de l'université de Gand a été chargé d'élaborer une stratégie anticorruption dans le secteur de la viande. À quoi devrait servir cette stratégie ?

3. Le secteur diamantaire

Le rapport annuel ne contient aucune information spécifique à ce sujet. Cela confirme la constatation de la commission d'enquête qui souligne, dans son rapport final, que ce secteur ne fait pas l'objet d'une enquête systématique.

Force est cependant de constater qu'il y a des problèmes dans ce secteur, comme le prouve le rapport de l'ONU sur le commerce illégal des diamants, qui révèle que l'embargo décrété par cette institution est systématiquement violé et qui décrit en particulier le rôle qu'Anvers joue ou jouerait dans ce commerce illégal.

Autre détail piquant, aucun des 77 cas possibles de corruption relevés sur le territoire belge en 1998 et ayant fait l'objet d'une instruction ne se situait à Anvers. Il est permis de se demander, et ce, sans vouloir accuser personne, si ce chiffre est conforme à la réalité quand on connaît le poids financier des dossiers importants qui ont été instruits à l'époque. Nous pouvons citer à cet égard, le dossier relatif à la banque Max Fisher, dont certaines activités étaient liées à la criminalité organisée. Ce dossier donne à penser qu'Anvers et son port international baignent dans un microclimat d'impunité.


Le rapport annuel consacrait, à juste titre, beaucoup d'attention au développement du marché de la drogue, qui est devenu un des secteurs d'activité les plus lucratifs, et dans lequel les organisations criminelles réalisent des marges bénéficiaires oscillant entre 1 000 et 2 500 %.

L'on se référera à cet égard à l'impressionnant rapport annuel de l'« Observatoire géopolitique mondial des drogues » (10) relatif à la période 1998-1999, selon lequel l'Europe est devenue le plus grand marché de la drogue. Cela s'explique notamment par la banalisation de la consommation de drogue et par le fait que le trafic de la drogue est aux mains d'organisations criminelles qui produisent à la fois des produits légaux et des produits illégaux. Dans l'état actuel des choses, il est impossible d'évaluer l'importance des sommes qui sont brassées dans le cadre de ce trafic. Il serait parfaitement illusoire de penser que notre pays échappe à ce fléau. Anvers et Zeebrugge sont d'ailleurs régulièrement cités comme points d'entrée. Le fait que la douane ne puisse pas intervenir efficacement contre ce trafic par manque d'effectifs n'est sans doute pas étranger à cette situation.

Le gouvernement reconnaît-il qu'il faut éviter de banaliser ce problème et que la plus grande prudence s'impose ?

Pour ce qui est de l'aspect législatif, le membre aimerait savoir ce qui suit :

1. Dans quelle mesure utilise-t-on les services d'informateurs ? À la suite des discussions qui ont été menées au sein des diverses commissions d'enquête, l'on recourt beaucoup moins à ceux-ci pour collecter des informations. C'est ainsi que l'on n'a enregistré que seize informateurs pour l'année 1998 (p. 73). Comme une bonne collecte d'informations est importante pour les services de police de première ligne, il y a lieu de résoudre ce problème rapidement.

2. Quel contenu donnera-t-on à la notion d'enquête proactive dont il est question à l'article 28bis, § 2, du Code d'instruction criminelle ?

3. Où en sont les arrêtées d'exécution qui doivent rendre opérationnelle la loi sur les écoutes téléphoniques ?

4. Qu'en est-il de la réforme visant à l'intégration verticale du parquet ? Un des objectifs de celle-ci était de promouvoir la spécialisation au sein de la magistrature. L'on avait prévu de désigner un haut magistrat du parquet fédéral chargé de la lutte contre le crime organisé sur l'ensemble du territoire.

Un sénateur fait remarquer que le rapport annuel fait le point sur la situation qui régnait en 1998, mais qui ne contient aucune information permettant d'analyser la question en détail. Bien que le nombre d'enquêtes ait augmenté de 16 %, on ne sait pas si le phénomène prend ou non de l'ampleur et il est dès lors difficile d'évaluer la gravité de la menace que fait planer la criminalité organisée. Le rapport fait mention d'une enquête sur la traite des êtres humains, qui est menée dans le Nord du pays (p. 36). Peut-on en déduire qu'il n'y a aucun cas de traite des êtres humains dans le reste du pays ? Comment ce phénomène évolue-t-il ?

Plusieurs journalistes demandent des précisions concernant la répartition géographique de la criminalité organisée, l'origine éthnique des organisations criminelles détectées et le nombre d'organisations qui ont été démantelées.

3. Réponses du ministre de la Justice

3.1. Il ne faut pas sous-estimer l'importance de la criminalité organisée. Elle représenterait en effet un avantage patrimonial de quelque 31 milliards de francs pour l'année 1998, selon les évaluations. Il ne faut pas déduire de l'augmentation de 16 % du nombre d'enquêtes (p. 16) que la forme de criminalité en question prend de l'ampleur mais plutôt que l'appareil judiciaire a de plus en plus la volonté de combattre énergiquement ce phénomène. Les rapports annuels successifs y ont contribué en fournissant aux services de police et à l'appareil judiciaire les informations détaillées qui leur sont nécessaires pour pouvoir percer à jour les structures des organisations criminelles.

3.2. En ce qui concerne l'influence de la criminalité organisée dans le secteur de la viande, du pétrole et du diamant, le rapport annuel 1999 ne constitue pas un bon critère pour évaluer dans quelle mesure les recommandations de la commission d'enquête sur la criminalité organisée ont été suivies, et ce, pour la simple raison que le rapport final de la commission d'enquête n'a paru qu'à la fin de 1998. Il n'en montre pas moins que des progrès tangibles ont été accomplis dans la lutte contre la fraude en matière de viande et de pétrole. Il n'est pas question du secteur du diamant en tant que tel dans le rapport annuel, quand bien même il subissait déjà les pressions de la criminalité en 1998. On tient plus étroitement ce secteur à l'oeil depuis 1999; l'on prend aussi, depuis cette année-là, les mesures qui s'imposent et l'on ouvre les enquêtes qui sont nécessaires pour pouvoir le protéger. Cette stratégie porte ses fruits, à preuve les vives réactions contre les actions récentes de la police et du monde judiciaire dans la Pelikaanstraat à Anvers.

3.3. Il semble bien qu'il soit encore prématuré de vouloir mesurer l'efficacité de la législation qui a été adoptée au cours de la précédente législature en vue de lutter contre la criminalité organisée. Le collège des procureurs généraux n'en a pas moins demandé au Service de la politique criminelle de fournir aussi rapidement que possible au collège des informations concernant l'application des nouvelles dispositions légales. En tout cas, sur le terrain, on est fermement décidé à faire des nouvelles dispositions légales le fondement nécessaire à l'ouverture d'informations et d'instructions.

3.4. Le ministre souscrit parfaitement à la remarque selon laquelle le gouvernement doit appliquer aussi rapidement que possible les recommandations des commissions d'enquête parlementaire en vue de combattre la criminalité organisée. Il déclare qu'il a créé, pour ce faire, quatre groupes de travail, c'est-à-dire le travail nécessaire à la réforme intégrale de la procédure pénale. Selon le professeur Franchimont, les quatre points suivants devraient encore être examinés :

— la saisie;

— la coopération internationale en matière pénale;

— la recherche et les techniques spéciales d'enquête;

— les repentis et les témoins anonymes.

Ces quatre groupes de travail devraient remettre leur rapport au ministre au plus vite, certains dans les neuf mois, donc encore cette année. Les autres, qui examinent un sujet plus complexe, ne rendront probablement leur rapport que l'année prochaine. En tout cas, l'on a l'intention de légiférer dans chacune de ces quatre matières au cours de la présente législature.

3.5. En ce qui concerne la collecte des informations, l'on tente, au sein d'un groupe de travail au sein duquel collaborent les cabinets de la Justice, des Affaires économiques et des Télécommunications, de mettre au point un système facilitant un échange rapide des données. La méthode en question a porté ses fruits en France et aux Pays-Bas. Aux Pays-Bas, les équipes multidisciplinaires du Service d'information et de recherches fiscales se concentrent sur les aspects financiers et fiscaux de la criminalité organisée, ce qui a déjà mené à des saisies d'une valeur de plusieurs milliards de florins au total.

3.6. Les délais de prescription soulèvent surtout des problèmes dans les enquêtes relatives aux carrousels à la TVA. C'est pourquoi le magistrat d'appui pour la criminalité financière et économique, M. Ullmann, a complètement modifié la manière de lutter contre cette forme de criminalité. L'on a choisi de réagir rapidement. L'on concentre dès lors les enquêtes sur les carrousels qui fonctionnent encore. En effet, l'article 65 du Code pénal permet aux services de police de traiter les infractions séparément au lieu de devoir les examiner en fonction des relations qu'il y a entre elles. Grâce à cela, on arrive à obtenir le paiement des amendes et des droits éludés.

3.7. En matière de saisies internationales, l'on fait le nécessaire, au niveau européen, pour élaborer une réglementation multilatérale efficace. L'on s'intéresse également comme il se doit aux problèmes qui concernent le passage à l'euro. Il est régulièrement question de tous ces points au cours des réunions informelles des ministres de la Justice et de l'Intérieur de l'Union européenne. L'on progresse bien sûr, mais on n'a toujours pas réussi à conclure un accord formel. C'est pourquoi les États membres de l'Union européenne passent, entre eux et avec des pays tiers, des accords bilatéraux fixant les conditions d'une saisie internationale.

3.8. Il est exact que le manque de personnel auprès de la douane constitue un problème important. Il n'est pas exclu que la police fédérale spécialisée soit confrontée au même problème quand elle commencera à exercer sa mission. Ce service, qui devra lutter contre la criminalité organisée, devra disposer d'un personnel hautement qualifié pour pouvoir enquêter sur les formes complexes de criminalité. Il devra dès lors coopérer étroitement avec, entre autres, la douane, la BSR, l'OCDEFO et l'inspection sociale. À cet égard, le ministre a demandé aux procureurs du Roi d'Anvers, de Bruxelles, de Charleroi, de Gand et de Liège d'accorder une attention particulière à la criminalité organisée. Comme un membre l'a fait remarquer, ce sont surtout les villes précitées qui sont considérées comme des foyers de criminalité organisée. À cet égard, les cinq procureurs ont déjà transmis au ministre des rapports concernant les actions qu'ils mènent contre la criminalité organisée. Le ministre déclare avoir été agréablement surpris, à la lecture de ces rapports, de constater que les procureurs du Roi font preuve d'un grand engagement et d'une grande inventivité. Ceux-ci ont toutefois attiré l'attention du ministre sur la nécessité pour eux de disposer de suffisamment de policiers et de magistrats du parquet pour pouvoir mettre leurs plans à exécution.

3.9. Dans l'intervalle, le professeur De Ruyver a achevé son enquête sur les stratégies anti-corruption dans le secteur de la viande. L'on est en train de transposer ces stratégies en termes juridiques pour pouvoir les rendre obligatoires.

3.10. Après le trafic d'armes, le trafic des stupéfiants constitue le terrain d'action le plus important de la criminalité organisée. Il semble bien que ce terrain d'action ne fera que croître et il est dès lors regrettable que l'Observatoire géopolitique mondial des drogues connaisse des difficultés financières. La Belgique a demandé plusieurs fois, instamment, au cours de conseils des ministres de l'Union européenne, que les divers États membres fassent des efforts financiers pour que l'Obervatoire puisse continuer à remplir sa mission, ce que les pays d'Amérique du Nord et d'Amérique du Sud souhaitent également.

3.11. Le rapport annuel 1999 révèle également une diminution du recours aux informateurs. Les travaux des diverses commissions d'enquête ont en effet montré qu'il se pouvait que certains de ces informateurs soient peu fiables et qu'il pouvait être dangereux de faire appel à eux. Les parquets et les services de police tentent dès lors de se mettre d'accord sur des modalités claires et précises de cette forme de récolte des informations. Actuellement, le recours aux informateurs se fait en l'absence de toute base légale. L'on ne peut se fonder que sur des circulaires ministérielles. Pour remédier au problème, le ministre a chargé un groupe de travail d'élaborer un cadre légal en la matière (cf. point 5.4).

3.12. Le 30 mars 2000, le ministre et le collège des procureurs généraux ont approuvé une directive confidentielle relative à la recherche proactive (article 28bis, § 2, du Code de procédure pénale). Cette directive constitue une amélioration par rapport à la directive ministérielle du 30 décembre 1996 et contient, outre une définition, une description détaillée du champ d'application et des procédures à suivre dans les diverses phases de l'enquête (étude préliminaire, communication, approbation, contrôle, etc.).

3.13. En ce qui concerne les écoutes téléphoniques, le ministre espère être en mesure de publier bientôt l'arrêté d'exécution au Moniteur belge.

3.14. Pour ce qui est de l'intégration verticale du ministère public, le rapport Morlet est à l'examen. Il faudra maintenant se concerter au sujet des quatre pistes qui y sont proposées. On constate cependant qu'il y a de la résistance de la part de certaines des parties à l'accord Octopus, qui estiment que la volonté que le législateur a expriméee en 1998 n'est pas respectée intégralement.

3.15. Pour ce qui est du parquet fédéral, le ministre espère pouvoir déposer bientôt un projet de loi ou qu'une proposition de loi sera déposée, de manière que le parquet fédéral puisse devenir opérationnel rapidement.

3.16. À la question de savoir si on a enregistré un progrès tangible dans la lutte contre la traite des êtres humains, le ministre répond affirmativement. Les services de police constatent en effet que les criminels adoptent de nouvelles formes de traite des êtres humains et abandonnent les méthodes anciennes qui ont été percées à jour. Faire passer en fraude des étrangers mineurs illégaux non accompagnés est un exemple d'une de ces nouvelles méthodes. Comme les services de police ont désormais une meilleure idée de la situation, ils sont en mesure d'affiner leurs méthodes de lutte contre la traite « professionnelle » des êtres humains. Le rapport annuel 1999 ne contient pas de données sur les réseaux de pédophilie, mais il contient des informations sur le développement de la pornographie enfantine sur Internet. Depuis, les services de police sont devenus plus sensibles en ce qui concerne ces formes de criminalité et il y a déjà eu quelques procès qui ont mis à nu des réseaux de pédophilie. Eu égard au principe du secret de l'instruction, le ministre ne peut pas fournir de renseignements sur les instructions en cours. Quoi qu'il en soit, les prochains rapports annuels traiteront de cette question plus en détail.

3.17. Au sujet de la répartition géographique du crime organisé, le ministre déclare qu'avec la méthodologie utilisée pour élaborer le rapport, il est parfaitement possible de déterminer dans quels arrondissements les informations et les instructions judiciaires ont été ouvertes. Le rapport annuel couvre l'ensemble du territoire belge mais la criminalité organisée est incontestablement concentrée principalement dans les grandes villes où les organisations criminelles profitent de l'absence de contrôle. 73 % des affaires se situent ainsi dans les villes de Bruxelles, d'Anvers et de Liège. L'afflux et la concentration de ces organisations dans les villes sont une des raisons pour lesquelles les services de police éprouvent des difficultés à surveiller attentivement toutes les activités suspectes. À ce sujet, il faut mentionner la réaction proactive du parquet de Bruxelles qui, partant du pouvoir d'attraction que l'Euro 2000 exerce sur le crime organisé, a pris les contre-mesures nécessaires. Les services de police ont en effet capté des signaux émanant du milieu qui donnent à penser que les organisations criminelles déplaceraient leur champ d'action vers Bruxelles pendant la durée du championnat européen de football, pour profiter du relâchement résultant de l'attention accrue que les services de police porteront aux violences éventuelles de la part des supporters.

3.18. Enfin, le ministre souligne que les informations qu'il a fournies doivent être examinées sous réserve de l'approbation par le gouvernement du Plan fédéral de sécurité et de politique pénitentiaire. Ce plan énumère en effet une série de mesures complémentaires dans le cadre de la lutte contre le crime organisé.

3.19. En ce qui concerne le démantèlement des organisations criminelles, M. Timperman déclare que l'augmentation constante du nombre d'enquêtes et du nombre d'organisations qu'on a pu détecter ne résulte pas uniquement d'une amélioration de l'instrument de perception, mais aussi d'un report des chiffres des années précédentes. Sur les 285 enquêtes recensées en 1998, 109 étaient déjà en cours en 1997. La troisième raison pour laquelle ces chiffres doivent être relativisés quelque peu, c'est qu'ils sont générés par la police de première ligne. Cette police confronte les faits suspects à une définition criminologique. Par la suite, le parquet et les juridictions d'instruction attribuent, aux cours de l'enquête préliminaire, une qualification qui est, certes, provisoire. À ce moment, on est cependant encore loin d'une décision judiciaire passée en force de choses jugée, qui contient la qualification définitive du délit. Par conséquent, il faudrait à l'avenir établir un lien rétroactif entre les 285 enquêtes de 1998 et le résultat de celles-ci. Dans le même ordre d'idées, il faudra vérifier si l'avantage patrimonial de 31 milliards de francs environ que les enquêteurs ont estimé sur la base de 42 % des enquêtes effectuées, sera confirmé. Il appartient au Service de la politique criminelle de suivre et d'apprécier l'évolution de ces chiffres au fil des ans. On ne pourra mesurer une progression éventuelle qu'en procédant à une vérification scientifiquement fondée des statistiques en fonction d'un certain nombre de paramètres.

3.20. Pour l'origine ethnique des organisations criminelles détectées ainsi que leur spécialisation, le ministre renvoie au rapport (pp. 20 et suivantes et 58 et suivantes).


4. Suite de la discussion
(à huis clos)

Après ce premier échange de vues, la commission du suivi a poursuivi la discussion à huis clos, lors de sa réunion du 11 mai 2000.

4.1. L'emploi de structures commerciales (pp. 26-29)

Un membre émet des réserves concernant l'utilisation de tableaux pour donner une représentation de la réalité. Il cite l'exemple du tableau nº 6 qui brosse un panorama des diverses formes juridiques de structures commerciales utilisées par les organisations criminelles (p. 28). D'après ce tableau, 14 ASBL ont été utilisées par des organisations criminelles en 1998. Or, l'intervenant connaît une rue de Borgerhout qui compte à elle seule 14 ASBL dont huit ont été dissoutes pour cause de trafic de drogue en 1999.

Le tableau nº 6 n'est donc absolument pas crédible quand il indique que l'on n'a recensé en 1998, pour l'ensemble du territoire, que 14 ASBL servant de paravent à des organisations criminelles. Il y a donc lieu d'examiner comment ces organisations parviennent à camoufler leurs activités illégales.

La même constatation vaut pour ce qui est de la rubrique du tableau nº 6 selon laquelle on a recensé 46 cas d'indépendants servant de paravent à des organisations criminelles. Selon l'intervenant, la ville d'Anvers compte à elle seule au moins 60 indépendants qui sont actifs dans le secteur de la contrefaçon de vêtements et d'appareils électroménagers de grande marque ainsi que dans la contrefaçon d'objets en or.

S'agissant du trafic de drogue, le membre déclare que, d'après le rapport, la criminalité organisée est principalement active dans le transport de la drogue. Il estime qu'il faut y ajouter la vente finale, car c'est à son niveau que les bénéfices réalisés sont les plus plantureux.

Il propose dès lors que la commission examine plus avant la question de l'utilisation abusive des structures juridiques par les organisations criminelles et en particulier quelles sont les formes juridiques qui s'y prêtent le mieux.

Un intervenant note qu'un projet de loi relative aux ASBL est actuellement pendant à la commission de la Justice du Sénat et que celle-ci pourrait donc examiner quelles sont les garanties qu'il y aurait lieu d'inscrire dans la loi pour prévenir une utilisation abusive de ladite forme juridique.

Le ministre ne cache pas que le comité d'accompagnement avait certaines réserves concernant ce chapitre. L'on a en effet constaté, à Anvers et à Gand plus qu'ailleurs, que la criminalité organisée utilise des structures commerciales pour commettre des délits. Bien que cela n'apparaisse pas tel quel dans le rapport, le ministre estime que ce phénomène s'explique plutôt par le fait que, dans ces villes, les services de recherche sont particulièrement attentifs à cette problématique. En effet, certaines ASBL anversoises sont placées sous étroite surveillance. Les fonctionnaires de police et les magistrats n'ont cependant pas encore tous systématiquement le réflexe de faire le lien entre un délit et la personne morale qui a commis ce délit ou dont on s'est servi pour le commettre. La responsabilité pénale des personnes morales fera certainement changer les choses.

En ce qui concerne la forme juridique des ASBL, le ministre confirme que l'utilisation abusive de celle-ci n'est pas uniquement le fait de la criminalité organisée. Cette question doit donc être examinée dans un cadre plus vaste.

L'on fait remarquer que la Belgique arrive en tête des pays européens pour ce qui est de la facilité avec laquelle on peut créer des sociétés et s'inscrire au registre du commerce.

Cette carence est imputable avant tout à l'absence de contrôle systématique. Il est extrêmement simple de créer une société à une adresse fictive ou à une adresse qui n'est qu'une simple boîte aux lettres. La seule instance de contrôle est la Banque nationale qui vérifie si les sociétés déposent régulièrement leurs comptes annuels. Comme les ASBL ne sont pas soumises à cette obligation, il n'y a rien d'étonnant au fait que la criminalité organisée utilise cette forme juridique.

L'utilisation de personnes morales offre en outre l'avantage de l'anonymat.

Enfin, lorsqu'une condamnation est prononcée, les soi-disant actionnaires peuvent mettre la société en faillite, afin de ne pas avoir à assumer les conséquences financières de leur mauvaise gestion ou des délits qu'ils ont commis.

Pour faire face à cela, il faudrait exercer un contrôle strict et systématique préalablement à la création d'une personne morale.

Un membre ajoute que l'examen du phénomène des carrousels à la TVA, qui s'accompagne d'une succession rapide de sociétés éphémères, constitue une bonne manière d'aborder la problématique en question.

4.2. Usage d'influence sur les catégories professionnelles (pp. 32-33)

Les trois catégories professionnelles principales sur lesquelles les organisations criminelles ont exercé une influence sont (1) les policiers (23 %), (2) les entreprises privées et les particuliers (18,6 %) et (3) les hommes politiques et les partis politiques (11,5 %).

Un membre se dit surpris du pourcentage relativement élevé que représente cette dernière catégorie. En effet, au cours de l'année 1998, il n'a guère entendu parler d'enquêtes portant sur des hommes politiques ou des partis politiques. Le fait que le monde financier n'occupe que la quatrième place incite également à la réflexion. Vu le rôle du secteur financier dans le blanchiment des fonds d'origine criminelle, l'on pourrait s'attendre à ce qu'il occupe une place plus élevée dans le classement.

Un autre membre fait observer que dans le formulaire de signalement (p. 119), l'on fait la distinction entre deux formes d'influence, selon que la personne que l'on pousse à faire quelque chose n'est pas consciente de l'influence (manipulation) ou qu'elle en retire consciemment un avantage. Il n'est donc pas exclu que certains hommes politiques soient manipulés et poussés à adopter un point de vue dont ils sont convaincus qu'il est correct. L'on pourrait par exemple arguer que les hommes politiques qui plaident pour la libéralisation du commerce des drogues douces doivent être considérés comme des complices objectifs des organisations criminelles qui produisent ces drogues. Pour renforcer leur position sur le marché, ces organisations peuvent choisir d'amener certains hommes politiques à agir pour que soit autorisée l'utilisation privée des drogues douces. Ces hommes politiques défendent ainsi un point de vue qui profite aux organisations susmentionnées.

Ce qui précède montre qu'une interprétation large de la notion d'influence favorise les accusations malveillantes et la criminalisation. C'est pourquoi il faudrait faire la distinction entre l'influence qui constitue une infraction et celle qui n'en est pas une.

Le ministre attire l'attention sur le fait que le tableau nº 10 (p. 32) suscite surtout des réactions au sein des catégories professionnelles qui y figurent.

L'examen plus approfondi des statistiques effectué par le comité d'accompagnement nous apprend qu'il faut faire preuve de prudence dans l'interprétation de ce tableau. Qu'est-ce, en effet, que l'usage d'influence ? Le rapport retient non seulement les cas avérés d'usage d'influence, mais aussi les cas potentiels, et ce parce que l'on a utilisé non pas une définition pénale de la criminalité organisée, mais bien la définition criminologique large du Bundeskriminalamt (voir pp. 106-117). Pour élaborer le tableau nº 10, l'on a pris pour hypothèse de travail un usage d'influence ayant une portée plus large que l'infraction de corruption.

Par ailleurs, il faut se demander sur la base de quels indicateurs les enquêteurs ont identifié les cas d'usage d'influence dans les dossiers concrets.

Dans le cadre de cette définition criminologique l'on considère par exemple l'usage de la violence et d'autres moyens d'intimidation comme une caractéristique essentielle de la criminalité organisée. Ainsi, le milieu des hormones est-il particulièrement créatif dans l'utilisation de moyens d'intimidation et de contre-stratégies qui frisent l'infraction. Tantôt l'on commettra une infraction, et tantôt l'on jouera le jeu à nouveau de manière plus subtile, par exemple en intentant un procès en diffamation et en réclamant des dommages-intérêts très élevés à un journaliste qui aura présenté l'organisation criminelle sous un jour négatif.

Un membre cite un autre exemple, dans lequel un parlementaire a fait l'objet d'une plainte en diffamation en raison de déclarations qu'il avait faites des mois auparavant à la télévision. La plainte a été déposée à un moment où le parlementaire participait à la rédaction du rapport final relatif aux travaux d'une commission d'enquête parlementaire. Outre le fait que cette plainte faisait clairement partie d'une stratégie d'intimidation, mais qu'elle n'était pas répréhensible en soi, ce qui est très étonnant, c'est que ce n'est qu'après que le juge d'instruction eut procédé à des interrogatoires et des confrontations que l'on a constaté que les faits sur lesquels la plainte se fondait étaient déjà prescrits au moment du dépôt de celle-ci.

Un autre membre conclut de ce qui précède qu'il faut préciser davantage les critères sur lesquels on se base pour résumer statistiquement les faits d'usage d'influence.

Selon l'intervenant précédant, s'agissant de parlementaires, l'on pourrait prévoir, par mesure de précaution, que les soupçons ou les indices d'usage d'influence ne suffisent pas en soi. Ils devraient au moins faire l'objet d'une première vérification ou pouvoir être contredits par l'interrogatoire ou la confrontation de l'homme politique concerné; sinon, il sera par trop facile pour les organisations criminelles d'entraîner les enquêteurs sur de fausses pistes dans les dossiers pénaux et de mettre sur pied une opération de diffamation en guise de contre-stratégie (cf. article 59 de la Constitution).

Un intervenant précédant estime dès lors qu'à l'instar du Sénat américain, l'on devrait créer dans chaque Chambre une commission déontologique à laquelle les parlementaires pourraient s'adresser s'ils sont face à des problèmes touchant au respect de leur déontologie. Ils bénéficieraient ainsi d'un minimum de protection contre des attaques orchestrées dans le but de les discréditer, alors que, précisément, l'on ne peut rien leur reprocher.

Le ministre déclare que le comité d'accompagnement scientifique a également des observations à formuler sur la manière dont les données relatives à l'influence ont été traitées. C'est pourquoi ce comité étudiera attentivement les rapports à l'avenir.

Le préopinant souligne que si la commission de suivi lira peut-être bien le tableau nº 10 en y mettant les nuances voulues, les données contenues dans celui-ci fourniront à certains médias le matériau rêvé pour des formules lapidaires du genre « 11,5 % des politiques sont corrompus ». Les lecteurs non avertis ou de mauvaise foi tireront donc de fausses conclusions de ce tableau nº 10. Voilà comment on peut mésuser d'analyses objectives et jeter le discrédit sur nos institutions.

On fait remarquer que, dans un régime parlementaire ouvert comme le nôtre, il est tout à fait normal que des parlementaires soient approchés en vue de défendre certains points de vue (lobbying). Lorsqu'un politique est invité à un dîner pour le convaincre de soutenir ou de rejeter une proposition de loi, cela ne signifie pas ipso facto qu'il soit corrompu. Il faudrait donc limiter la portée de la notion d'influence aux faits punissables. À défaut, on ouvre la porte aux insinuations gratuites.

4.3. Europol (p. 81)

Un membre rappelle la déclaration faite par l'ancien ministre des Affaires étrangères Erik Derycke en 1998, suivant laquelle les opérations de blanchiment d'argent via le trafic des armes ne relevaient pas du pouvoir d'investigation d'Europol.

A-t-on remédié à cette lacune dans la nouvelle convention Europol entrée en vigueur le 1er octobre 1999 ? L'usage des armes, et donc le trafic d'armes, sont une des caractéristiques essentielles du crime organisé.

Par ailleurs, l'échange d'informations entre Europol et Interpol laisse manifestement à désirer. Peut-on percevoir une quelconque amélioration dans ce domaine ?

4.4. Écoutes téléphoniques (pp. 85-86)

Le ministre qualifie d'utile la suggestion d'intégrer dans le rapport annuel sur le crime organisé le rapport d'évaluation relatif aux écoutes téléphoniques prescrit par la loi. Cette question n'est pas analysée suffisamment dans le rapport à l'examen.

Le président demande que l'on communique le nouveau rapport d'évaluation à la commission du suivi pour qu'il puisse être publié sous forme de document parlementaire.

Le ministre signale que l'on prépare également un arrêté royal obligeant les opérateurs de télécommunications à collaborer avec la Justice. Il sera dès lors possible, à l'échelle nationale, de repérer les GSM en mode actif comme en mode passif, et qu'ils fonctionnent avec des cartes prépayées ou des cartes SIM. Pour la première catégorie de cartes, il y a toutefois un problème pour rattacher le nom d'une personne à l'appareil. Par ailleurs, l'arrêté prévoit un tarif préférentiel pour les opérations d'écoute, qui représentent en effet une dépense annuelle de 200 millions de francs environ.

Un autre projet en cours d'élaboration prévoit d'installer, comme aux Pays-Bas, une unité centrale d'interception équipée de 20 à 30 chambres d'écoutes dans les arrondissements, permettant aux agents d'information d'écouter directement les conversations. Cette réforme est assez urgente, car les services de recherche et la magistrature répugnent actuellement à recourir aux écoutes téléphoniques en raison de l'extrême lourdeur de la procédure en vigueur.

4.5. Analyse stratégique (pp. 101-102)

Un membre s'étonne de constater que trois secteurs économiques seulement font l'objet d'une analyse stratégique, à savoir l'import-export, l'horeca et les transports. Sur quels critères a-t-on choisi ces trois secteurs ?

L'intervenant est d'avis qu'il existe dans bien d'autres secteurs économiques des entreprises susceptibles d'être infiltrées par les milieux criminels. D'où l'importance de l'information financière, dont l'objectif est de dépister les techniques et les méthodes mises en oeuvre par les organisations criminelles par le biais de leurs organisations de couverture, pour blanchir leurs gains illicites. C'est pourquoi il faut surveiller particulièrement le secteur financier.

En s'intéressant seulement à quelques secteurs, ne va-t-on pas inciter les organisations criminelles à emprunter la voie la plus facile et à parasiter d'autres secteurs qui ne font pas encore l'objet d'une attention particulière de la part des services de recherche ?

L'intervenant craint que la méthode décrite dans le rapport annuel ne comporte un risque de cloisonnement qui rendrait difficile une vue globale de l'infiltration éventuelles par des organisations criminelles de l'économie dans son ensemble. Ce n'est qu'en faisant le lien entre des faits qui se produisent dans divers secteurs économiques qu'on pourra détecter à un stade précoce les agissements du crime organisé.

Un autre membre demande de quelle capacité d'analyse les services de police disposent actuellement et quels sont les domaines dans lesquels cette capacité est ou sera déployée.

Le ministre déclare que, dans son plan de lutte contre la criminalité organisée de 1996, le gouvernement précédent avait opté pour une stratégie évolutive qui, à court terme, mettait l'accent sur la collecte de données statistiques fiables. À long terme, on aurait ensuite passé à une méthodologie ayant pour centre de gravité l'analyse qualitative des données chiffrées, c'est-à-dire une analyse stratégique dont l'objet serait plus vaste que celui de l'analyse des délits.

En ce qui concerne l'application de l'analyse stratégique, le ministre signale que, lorsque le projet de rapport annuel a été examiné au sein du comité d'accompagnement le 9 mars 2000, le représentant du collège des procureurs généraux a déclaré que la commission du suivi était le forum idéal pour débattre des priorités à fixer dans la lutte contre la criminalité organisée, ainsi que des secteurs à risque et des groupes cible ou groupes d'auteurs devant faire l'objet d'un suivi particulier. Les différents ministres compétents pourront alors s'en inspirer pour élaborer un plan intégré de lutte contre le crime organisé.

Ce qui précède ne doit pas faire perdre de vue que certains services de police sont dès à présent familiarisés avec l'analyse stratégique. La gendarmerie, notamment, a fortement développé sa capacité sur ce plan au fil des ans. On y pratique l'analyse des délits, l'analyse des groupes d'auteurs et des phénomènes criminels et, plus récemment, l'analyse d'environnement, qui n'en est toutefois encore qu'à ses débuts.

À la question d'un membre qui souhaite savoir s'il y a une personne ou une cellule de coordination qui prend la responsabilité finale de l'analyse statistique, le ministre répond que celle-ci est essentiellement effectuée par les services d'appui des divers services de police, in casu le BCR (Bureau central de recherche) de la gendarmerie et le commissariat général de la police judiciaire. Ces deux instances se chargent de former et d'encadrer leurs propres analystes stratégiques. Le BCR développe ainsi à la fois des programmes à long terme et des projets temporaires, à petite échelle, concernant des phénomènes criminels déterminés.

En outre, le département de la Justice a engagé, au début de l'année, une dizaine d'analystes stratégiques qui sont affectés aux parquets généraux.

Ce n'est pas parce que le rapport annuel ne cite que trois secteurs économiques que d'autres secteurs n'entrent pas en ligne de compte pour une analyse stratégique.

Un membre reconnaît que les secteurs de l'import-export, du transport et de l'horeca sont particulièrement vulnérables. Cela étant dit, le terrain d'enquête est immense. L'influence de la criminalité organisée dans le secteur du transport, par exemple, peut prendre de multiples formes. L'analyse stratégique doit donc également se concentrer sur la nature de la criminalité (cf. l'analyse du secteur du diamant par la commission d'enquête sur la criminalité organisée).

Par ailleurs, l'intervenant se demande pourquoi l'on n'a pas pris en considération le trafic de stupéfiants. C'est un trafic qui, à l'échelle mondiale, constitue l'un des secteurs économiques les plus rentables. Comme l'on constate, en outre, que ce trafic est de plus en plus banalisé, on se demande pourquoi il n'est pas réalisé d'analyse stratégique de l'infiltration des divers secteurs de la société par le trafic de stupéfiants. Ainsi fait-on miroiter aux investisseurs qu'ils peuvent réaliser de gros bénéfices en une ou deux opérations. En réalité cependant, c'est un piège qu'on leur tend, car leurs capitaux sont investis dans le trafic de stupéfiants. Ils se retrouvent de la sorte compromis et peuvent être contraints de financer d'autres opérations illégales.

Un autre membre fait observer que la criminalité organisée est une « polycriminalité ». La même organisation criminelle peut déployer des activités criminelles de nature différente dans plusieurs secteurs économiques. Par exemple, Marc Dutroux, à son niveau, était impliqué dans plusieurs types de criminalité.

L'intervenant se rallie dès lors à la proposition d'un précédent orateur, selon laquelle il y a lieu de mettre l'accent sur la lutte contre le blanchiment. En effet, le blanchiment constitue la phase finale de la plupart des opérations criminelles, dans laquelle les profits réalisés dans plusieurs secteurs économiques se rejoignent. De cette manière, il est plus aisé de remonter les flux financiers et de dévoiler l'influence de ces organisations sur les secteurs économiques.

Le ministre confirme que la lutte contre le blanchiment permet de dépasser le cloisonnement sectoriel de l'activité économique et d'avoir une vue générale de l'influence de la criminalité organisée sur l'ensemble de la vie socio-économique.

Un intervenant précédent réitère sa question, qui était de savoir qui ou quelle instance dirige l'analyse stratégique, et selon quels critères. Qui détermine ce sur quoi l'on enquête ?

Est-ce la base, le BCR ou le commissariat général, ou bien le procureur général qui a la lutte contre la criminalité organisée dans ses compétences et qui peut charger les services de police d'effectuer une analyse stratégique de certains phénomènes criminels ?

Le ministre répond que la technique de l'analyse stratégique a été développée par les services de police. Toutefois, à l'avenir, l'on ne pourra utiliser cette technique qu'après avoir consulté la magistrature. Actuellement, une telle consultation a déjà lieu pour les analyses criminelles effectuées dans le cadre d'enquêtes en cours. Cependant, il va de soi que pour les programmes et les projets, la magistrature devra prendre ses responsabilités, en concertation avec les services d'appui des services de police.

Un membre souhaite savoir si le collège des procureurs généraux a déjà élaboré des procédures qui, respectant la répartition mutuelle des tâches, permettraient à ses membres de prendre des initiatives concernant les différentes formes d'analyse criminelle. Pareilles initiatives ne semblent pas poser de problème vis-à-vis des parquets, mais bien par contre, vis-à-vis des juges d'instruction, car une fois l'instruction entamée, le parquet n'en est plus maître. Les juges d'instruction ne sont pas non plus soumis au contrôle des procureurs généraux. A-t-on déjà consulté, à cet égard, les présidents des tribunaux de première instance, pour voir quelles suites il serait possible de donner aux initiatives du parquet général sur le plan de la lutte contre la criminalité organisée ? Ou les juges d'instruction ne regardent-ils pas plus loin que leurs dossiers et ne tiennent-ils pas compte des données disponibles au parquet ?

Le ministre confirme que le collège des procureurs généraux constitue l'instrument central de la politique. Pour qu'il puisse jouer ce rôle, l'on a procédé à une répartition des tâches au sein du collège, à l'occasion de laquelle chaque membre a été chargé de s'occuper d'un domaine particulier de la criminalité (cf. l'arrêté royal du 6 mai 1997 relatif aux tâches spécifiques des membres du collège des procureurs généraux). L'on peut toutefois s'interroger sur la souplesse de cet instrument. La pratique nous apprend que de nombreuses compétences se chevauchent ou qu'elles ont à tout le moins des points communs. C'est la raison pour laquelle la répartition des tâches entre les cinq procureurs généraux est quelque peu artificielle. Chaque membre du collège a pour mission de définir des lignes d'action dans son domaine et de les porter à la connaissance des procureurs du Roi par la voie de circulaires. Les procureurs du Roi ont le devoir de suivre ces lignes d'action, les juges d'instruction non, en raison de leur position juridique. Par conséquent, la question de savoir comment formaliser juridiquement la concertation et la coopération de fait entre les procureurs généraux et les juges d'instruction est préoccupante. Un problème analogue se pose en ce qui concerne la relation entre les procureurs du Roi et les juges d'instruction. C'est ainsi que les procureurs du Roi d'Anvers, de Bruxelles, de Charleroi, de Gand et de Liège ont rédigé un plan de lutte contre la criminalité organisée auquel les juges d'instruction ont été associés, dans la mesure du possible, plus précisément dans le cadre de groupes de travail au sein desquels ils donnent leur avis directement et indirectement, notamment par l'intermédiaire de leur association. Ils obtiennent ainsi voix au chapitre pour ce qui est de la politique à mener et le regard qu'ils portent sur les phénomènes criminels s'en trouve influencé.

Un membre fait observer que l'on ne pourra résoudre le problème en question que par la création d'un parquet fédéral. Un procureur général fédéral sera alors chargé, pour l'ensemble du territoire du Royaume, de la lutte contre la criminalité organisée. Comme il connaîtra les résultats de toutes les analyses stratégiques, il pourra intervenir, dans l'exercice du droit d'action qui lui revient en tant que membre du ministère public, dans les enquêtes qui présentent des caractéristiques de criminalité organisée, lesquelles ne sont pas toujours identifiées comme telles par les juges d'instruction.

Pareille méthode de travail présente également l'avantage de faire contrepoids à l'obligation, pour le juge d'instruction, de mener l'enquête à charge et à décharge de l'inculpé, en respectant la règle d'impartialité.

Le ministre est conscient de la nécessité d'installer au plus vite le parquet fédéral. À cet effet, une proposition de texte est sur la table. Toutefois, il faut veiller à ce que cette réforme soit réalisée parallèlement à celle des services de police.

Le préopinant souligne que l'accord Octopus de mai 1998 est resté lettre morte jusqu'à ce jour. L'absence de parquet fédéral a donc pour conséquence que la criminalité organisée gagne du terrain.

Eu égard à ce qui précède, il demande au ministre quels fonctionnaires de police ou quels magistrats pourraient être entendus concernant la technique de l'analyse stratégique.

Un membre déclare que le commissariat général de la police judiciaire a effectué une analyse de ce type pour le secteur des jeux de hasard. Peut-être pourrait-on entendre les fonctionnaires de police concernés, sans parler des instructions en cours.

4.6. Propositions de mesures à prendre (p. 104)

Un membre demande des précisions sur la conclusion du rapport qui souligne combien il est important d'examiner l'efficacité de la législation adoptée par le Parlement en vue de lutter contre la criminalité organisée et qu'il y a lieu, le cas échéant, de prendre de nouvelles initiatives sur le plan législatif.

S'agissant de l'évaluation, le ministre répond que compte tenu de la durée de l'information judiciaire, il est trop tôt selon lui pour mesurer dès aujourd'hui l'efficacité de la législation récente en matière de lutte contre les organisations criminelles et la corruption. Cette conclusion ne s'applique pas à la loi sur la responsabilité pénale des personnes morales. Le procureur général près la cour d'appel d'Anvers a signalé d'emblée que cette loi posait de nombreux problèmes d'application, par exemple dans le domaine du droit de l'environnement. Il a d'ailleurs émis une circulaire en vue de remédier à certains d'entre eux. L'on examinera prochainement s'il n'y a pas lieu d'étendre l'application de cette circulaire aux autres ressorts.

Un membre répond que ces problèmes sont inhérents au degré de complexité de la loi qui tend à incriminer une fiction. Le problème provient surtout de la définition de l'élément moral du délit, à savoir le caractère intentionnel.

S'agissant des éventuelles initiatives à prendre sur le plan législatif, le ministre déclare vouloir éviter toute rupture de tendance par rapport à l'approche du gouvernement précédent pour ce qui est de la lutte contre la criminalité organisée. C'est pourquoi l'actuel gouvernement a fait siennes les initiatives législatives de l'équipe gouvernementale précédente relatives aux repentis, aux témoins anonymes et à la répartition de la charge de la preuve. Il faut aussi garder à l'esprit que le gouvernement précédent n'a pas approuvé l'avant-projet de loi relatif aux repentis. Il avait par contre approuvé les deux autres avant-projets de loi, sur lesquels le Conseil d'État n'a toutefois pas rendu l'avis demandé.

Le gouvernement actuel aurait pu reprendre ces textes à son compte, mais il a préféré charger plusieurs professeurs d'université d'effectuer une recherche complémentaire qui devra être clôturée à court terme. Le projet relatif aux repentis soulevait en effet de nombreuses objections d'ordre pratique. Le projet relatif aux témoins anonymes posait moins de problèmes tandis que celui relatif au renversement de la charge de la preuve n'offrait aucune plus-value, de telle sorte que l'on est en train de préparer un nouveau texte qui fera le lien avec l'aticle 35 du Code d'instruction criminelle en matière de saisie. À cet effet, on étudie comment la privation du produit des délits et les recherches financières sont pratiquées aux Pays-Bas.

Le ministre a encore deux autres priorités : la recherche proactive (article 28bis du Code d'instruction criminelle) et les techniques spéciales d'enquête.

Le rapport annuel montre que les parquets hésitent encore beaucoup à se lancer dans la recherche proactive (18 % en 1998, mais sur la base de la circulaire de décembre 1996). En vue d'encourager ce type de recherche, on a édicté une nouvelle circulaire qui décrit avec précision toutes les étapes de la procédure, à savoir successivement : l'étude préalable, la notification, l'approbation, la mise en oeuvre, le debriefing et l'évaluation.

La question se pose aussi de savoir si l'article 28bis du Code d'instruction criminelle constitue une base suffisante.

Les parquets appliquent les techniques spéciales d'enquête depuis 1990 sur la base de circulaires ministérielles. Chacun s'accorde à reconnaître la nécessité de créer sans tarder une base légale ad hoc. La question essentielle qui se pose à cet égard est de savoir jusqu'où la loi doit aller. Doit-elle, oui ou non, régler les problèmes liés aux dossiers ouverts ou fermés, aux échanges d'informations, aux rapports confidentiels, etc. ? Le professeur Bosly a consacré à cette question une étude qui n'a pas entièrement satisfait certains. C'est pourquoi elle sera complétée par l'expertise des services de police, de la magistrature et de l'administration.

Un membre désire savoir si les techniques spéciales d'enquête demeureront réservées à la lutte contre la criminalité organisée ou si, au contraire, elles pourront être appliquées dans le cadre de la lutte contre d'autres formes de criminalité.

Le ministre répond que la circulaire actuelle soumet l'utilisation de ces techniques au respect des principes de subsidiarité, de proportionnalité et de spécialité. Les domaines dans lesquels ces méthodes peuvent être utilisées sont donc strictement limités.

Il est rappelé que la Commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique a prôné d'utiliser ces méthodes exclusivement dans la lutte contre la grande ciminalité, mais selon des modalités plus souples. La pratique enseigne en effet que nombre de fonctionnaires de recherche hésitent par exemple à fouiller une voiture par crainte d'enfreindre la procédure complexe en vigueur.


CHAPITRE III

Audition des procureurs du Roi d'Anvers, de Bruxelles, de Liège, de Charleroi et de Gand

L'objectif de l'audition était de chercher à savoir quelle idée les procureurs se faisaient de la criminalité organisée dans leur arrondissement, et quelles stratégies pourraient être développées tant sur le plan pénal qu'au point de vue administratif, pour lutter contre cette criminalité.

Il a également été demandé aux cinq procureurs du Roi précités de transmettre à la commission du suivi, à l'appui de leur audition, le plan d'action qu'ils ont dû communiquer au ministre de la Justice dans le cadre de leur concertation concernant son plan fédéral de sécurité et de politique pénitentiaire.

1. Constats

De façon générale, la commission de suivi a pu constater que l'on dispose aujourd'hui de plus d'informations qu'il y a quelques années sur la criminalité organisée, et que ces informations sont mieux structurées.

Les institutions semblent avoir pris conscience du danger social que représente cette criminalité, et s'organisent en vue d'y faire face.

Cependant, il faut bien constater qu'elles sont toujours handicapées, dans cette lutte, par un déficit chronique de moyens.

Si le constat avait déjà pu être fait dans le passé, il reste malheureusement d'actualité dans les parquets précités.

Le cadre de ceux-ci est loin d'être complet. Les effectifs manquants atteignent parfois jusqu'à 25 % du personnel.

En outre, même si celui-ci était complet, il s'avérerait insuffisant pour remplir l'ensemble des tâches.

Les cinq procureurs du Roi insistent sur le fait qu'il faudrait non seulement plus de magistrats, mais aussi plus de personnel de qualifications diverses.

Le souhait des magistrats est de pouvoir se consacrer à leurs tâches judiciaires, et d'être déchargés des travaux administratifs, qui occupent inutilement un temps déjà compté. Il faudrait pour cela non seulement plus de personnel administratif, mais aussi davantage de personnel spécialisé : juristes, informaticiens, analystes, assistants de justice, documentalistes, enquêteurs, etc.

De façon générale, on constate que les sections financières des parquets souffrent particulièrement du manque d'effectifs et de moyens adéquats.

Dans certains parquets, leur situation est même critique.

Dans ce secteur et dans d'autres, les magistrats devraient bénéficier d'une formation continuée, et acquérir une véritable spécialisation.

Du reste, compte tenu de la complexité grandissante des matières et des phénomènes criminels, une telle spécialisation constitue une tendance générale, qu'il s'agisse de sections du parquet ou des chambres des tribunaux.

Les procureurs soulignent également la répercussion négative du manque de moyens sur la tenue des outils statistiques et sur l'alimentation des banques de données.

Ces dernières ne peuvent par ailleurs jouer pleinement leur rôle que si tous les acteurs les alimentent régulièrement et efficacement.

2. Discussion des rapports des procureurs du Roi

2.1. ANVERS (11)

2.1.1. Exposé de M. Van Lijsebeth, procureur du Roi près le tribunal de première instance d'Anvers

Même s'il n'occupe son poste que depuis peu — M. Van Lijsebeth a pris ses fonctions le 20 septembre 1999 — le procureur connaît bien le problème de la criminalité organisée à Anvers, car il a été administrateur général de la Sûreté de l'État.

Comme la Commission d'enquête parlementaire sur la criminalité organisée l'a montré à suffisance, Anvers est confronté à une criminalité qui prend de nombreuses formes. Pour pouvoir lutter efficacement contre celles-ci, M. Van Lijsebeth a, lors de son arrivée, défini les lignes d'action suivantes en ce qui concerne les objectifs et les moyens :

1. il faut s'attaquer au coeur du problème;

2. vu le peu de moyens du parquet et des services de police — il n'y a que 40 magistrats du parquet en fonction alors que le cadre du personnel prévoit 62 places —, il faut unir ses forces pour éviter l'éparpillement.

A. Objectif

Le procureur a demandé au parquet et aux services d'enquêtes d'accorder la priorité au phénomène de la traite des êtres humains et de la prostitution sur l'ensemble des autres facettes de la criminalité organisée. Ce choix a été dicté par la conviction, dont le bien-fondé a été prouvé dans les faits, qu'il existe des liens structurels entre ces deux phénomènes et la criminalité grave accompagnée de violence du milieu des portiers albanais à Anvers.

Des enquêtes ont montré que plusieurs segments de la criminalité organisée à Anvers convergent dans ce milieu, ce qui permet de faire d'une pierre plusieurs coups.

B. Approche

Pour lutter contre la traite des êtres humains et la prostitution, le procureur place ses espoirs dans la coopération pluridisciplinaire.

1. Au niveau interne

Tout d'abord, il faut améliorer le fonctionnement interne du parquet. Cela peut paraître évident, mais ce ne l'est pas. Dans les grands parquets surtout, l'on a créé des sections spécialisées, notamment en matière civile, en matière financière, en matière de criminalité locale, de criminalité organisée, de délinquance juvénile et environnementale. Force est de constater qu'en l'an 2000, ces sections travaillent toujours en parallèle, sans concertation structurelle. Aujourd'hui, l'on ne peut plus se permettre de travailler ainsi. Comme il faut envisager le problème de fond de la traite des êtres humains, de la prostitution et de la criminalité grave accompagnée de violence sous plusieurs angles, M. Van Lijsebeth a décidé de faire coopérer les différentes sections du parquet en vue d'une approche pluridisciplinaire.

Quelques exemples :

— Le phénomène des mariages blancs, auxquels sont surtout confrontées Anvers et d'autres grandes villes, a un lien étroit avec le problème de la traite des êtres humains et la prostitution. Comme ces mariages posent un problème de droit civil, c'est la section civile qui est chargée de s'y attaquer.

— La section civile est également chargée du suivi du problème des ASBL qui se livrent, à Anvers, à la traite des êtres humains et au trafic de stupéfiants.

— Des enquêtes ont montré qu'à Anvers, une grande partie de la prostitution est dirigée de manière professionnelle. C'est tellement vrai que l'un des principaux proxénètes a créé une série de sociétés anonymes qui sont utilisées dans la région anversoise et à l'étranger pour couvrir des activités illégales. C'est pourquoi la section financière examinera en profondeur les activités de ces sociétés anonymes.

— Le Schipperskwartier et le Statiekwartier sont les foyers de la prostitution à Anvers. Ces quartiers connaissent de nombreux problèmes de sécurité routière, de protection contre l'incendie, d'hygiène publique et d'urbanisme. C'est pourquoi, en concertation avec le bourgmestre d'Anvers, l'on a choisi de s'intéresser prioritairement à tous les aspects de l'implantation de la prostitution dans ces quartiers. Au demeurant, le bourgmestre a préparé un règlement urbain concernant l'infrastructure et les activités physiques dans le Schipperskwartier, qui devrait être présenté le 19 juin 2000 au conseil communal.

Une autre démarche positive proposée par M. Van Lijsebeth est d'installer au parquet un agent de liaison de la ville d'Anvers. L'intervenant a dû constater à plusieurs reprises que la communication entre les autorités administratives et les autorités judiciaires présentait des lacunes. La présence de l'agent de liaison au parquet offre d'excellentes perspectives en matière de coopération dans le domaine de l'infrastructure dans certains quartiers, de l'urbanisme, de la sécurité routière et de la protection contre l'incendie.

— La section criminalité locale est chargée du suivi de la criminalité, non seulement dans le Schipperskwartier et le Statiekwartier, mais également dans d'autres quartiers où l'on se livre à des activités criminelles. Ici aussi, on a constaté qu'un morcellement du parquet nuit à l'efficacité de la lutte contre la criminalité. C'est pourquoi le magistrat responsable de cette section est associé étroitement aux activités de la section « criminalité organisée ».

On peut citer comme exemple l'opération Stadsstorm (« tempête sur la ville ») du 25 mai 2000, au cours de laquelle le parquet fut représenté au centre de commandement de la police communale non seulement par un magistrat de la section « criminalité organisée » mais aussi par le magistrat de la section criminalité locale responsable du Schipperskwartier et du quartier de la gare.

Il faut par conséquent en conclure que la collaboration et la communication interne entre les différentes sections des parquets est une condition fondamentale pour lutter efficacement contre la criminalité organisée.

2. Au niveau externe

La coopération multidisciplinaire avec des partenaires externes est aussi en pleine expansion. Citons par exemple la réunion du 30 mai 2000, à laquelle étaient représentés les services suivants :

— les divers magistrats du parquet d'Anvers en charge de la lutte contre la traite des êtres humains, la prostitution et la criminalité avec violences graves;

— l'auditeur du travail;

— les membres de la police communale responsables des diverses zones urbaines;

— la police judiciaire;

— les responsables des diverses cellules de la BSR en charge des portiers, des Yougoslaves, de la prostitution et de la traite des êtres humains;

— les services de la Sûreté de l'État;

— le fonctionnaire de liaison de la ville d'Anvers auprès du parquet;

— le conseiller en sécurité de la ville d'Anvers;

— l'Office des étrangers;

— l'Inspection sociale;

— l'Inspection des lois sociales.

On a même dû décider de ne pas inviter une série d'autres services car cela aurait rendu malaisé le déroulement de la concertation.

L'objectif de cette réunion était de conclure des accords opérationnels dans le cadre du plan d'action. Cette mission n'a pas encore pu être parachevée parce que certains points doivent encore être précisés.


Comment le parquet interviendra-t-il sur le terrain sous l'angle de la coopération multidisciplinaire ?

1. Un calendrier stratégique des actions prévues jusqu'à fin 2000 sera établi. Une diversification stratégique est indispensable. Le parquet et les services de police ne peuvent pas organiser des opérations comme Stadsstorm à tire-larigot. De telles opérations doivent alterner avec des opérations plus en profondeur. Sur la base de la recherche proactive et d'informations douces et dures, des actions judiciaires seront menées régulièrement dans le but de démanteler des réseaux et d'arrêter les cerveaux d'organisations criminelles. Ces actions ne sont pas toujours spectaculaires et ne reçoivent pas dans la presse le même écho que reçoivent des opérations à grande échelle du style « Stadsstorm ». C'est ainsi que le lundi 5 juin 2000, la BSR a appréhendé 6 truands, 5 Albanais et 1 Hongrois, à la suite d'une longue opération d'observation et de filature. Rien n'a encore paru dans la presse à ce sujet.

2. Dans le Schipperskwartier, on procédera à un contrôle complet du respect des prescriptions en matière d'urbanisme, de sécurité en matière d'incendie et d'hygiène publique. Le parquet a en outre insisté auprès de la ville d'Anvers pour que ce quartier soit interdit aux véhicules.

3. Il a été convenu que l'Inspection sociale interviendrait aussi à l'initiative et sous le contrôle de l'auditeur du travail.

4. En ce qui concerne les casinos et les salles de jeu, le parquet engagera un dialogue avec la Commission des jeux de hasard et le cabinet du ministre de la Justice parce qu'il existe clairement des liens entre ce secteur et la traite des êtres humains, la prostitution et la criminalité avec violences graves.

Le procureur du Roi est convaincu que toutes les autorités et instances qu'il a contactées feront cause commune dans la voie traçée par le parquet pour mettre fin aux activités de certains grands criminels à Anvers.

Pour plus de détails, le procureur renvoie à son plan d'action confidentiel, qui est conservé au secrétariat de la commission.

2.1.2. Discussion

Un membre souhaite savoir qui tient les leviers de la traite des êtres humains et de la prostitution à Anvers. Dans le rapport final de la Commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique, on a souligné le rôle du milieu albanais.

M. Van Lijsebeth répond que ce sont principalement des organisations criminelles albanaises qui se sont rendues maître par la violence et les extorsions du milieu de la prostitution et de la traite des êtres humains à Anvers. L'influence qu'elles exercent a grandi et continue de croître.

L'intervenant déclare qu'au cours d'une visite professionnelle au Schipperskwartier, il a été ahuri de constater le jeune âge des prostituées de race blanche dans les vitrines. L'âge moyen variait entre 18 et 20 ans. Il n'y avait presque pas de prostituées âgées de plus de 25 ans ou de mineures. Il n'empêche que la police retire parfois des vitrines des mineures de 16 ans.

Ce qui est important, c'est que le jeune âge des prostituées indique qu'elles ne travaillent pas de manière autonome, mais sont presque toutes contrôlées par des proxénètes, en particulier des proxénètes albanais.

L'intervenant précédent demande comment les pouvoirs publics combattent la prostitution et son implantation dans certains quartiers. Comment réagit-on à la présence des étrangers ? Y a-t-il laxisme ?

M. Van Lijsebeth répond que les autorités urbaines sont en train d'organiser un contrôle administratif. Les contrôles en rue ne doivent pas être aléatoires; ils doivent être planifiés et viser des objectifs déterminés en fonction des observations effectuées. Ils doivent être réalisés en concertation avec la municipalité.

Ces contrôles doivent permettre d'arrêter un maximum d'illégaux albanais qui sévissent en tant que proxénètes et de les expulser du pays.

Les autres mesures administratives auxquelles le parquet est associé concernent la décision de soustraire le quartier de l'Athénée à l'emprise de la prostitution et d'éliminer celle-ci dans cette zone. Le parquet et la municipalité ont conclu un accord à ce sujet. Il n'est pas exact de dire que ce quartier est en proie à une criminalité grave. Les interventions sont plutôt d'ordre administratif et elles visent à maintenir l'ordre public.

La ville et le parquet ont en outre décidé de situer les contrôles administratifs dans ce quartier dans une perspective plus large, à savoir celle de concentrer la prostitution visible dans le Schipperskwartier et de créer, à terme, une zone de tolérance en bordure de la ville.

On a donc déjà fait des choix politiques importants que le parquet soutient entièrement.

Cela ne veut pas dire que le parquet dissocie la responsabilité de la ville sur le plan administratif de sa propre compétence répressive. Au cours de la concertation qu'il a eue à ce sujet avec l'autorité municipale, le parquet a fait savoir que la lutte contre la criminalité grave était une responsabilité collective. L'autorité municipale et l'Office des étrangers doivent prendre des mesures administratives, et le parquet doit assurer la répression judiciaire. Pour le parquet et pour la ville, il s'agit dès lors de parler d'une seule voix en ce qui concerne les objectifs administratifs et judiciaires proposés.

À la demande d'un membre, M. Van Lijsebeth confirme que, dans le milieu albanais, il y a des individus de nationalité albanaise, mais aussi des Kosovars.

Le même membre soupçonne les chefs des réseaux de prostitution albanais de détenir un permis de séjour alors que la plupart des prostituées que l'on trouve derrière les vitrines sont des victimes de la traite des êtres humains et résident illégalement dans notre pays. Le parquet a-t-il déjà mené une enquête pour savoir comment ces proxénètes ont obtenu un permis de séjour auprès de l'Office des étrangers et dans quel délai ils ont réussi à l'obtenir ?

M. Van Lijsebeth répond que le parquet ne dispose malheureusement pas de la capacité de recherche nécessaire pour ce faire. Il craint que le problème évoqué par le membre ne s'aggrave encore et que l'on ne soit confronté de plus en plus à des « parrains » disposant d'un permis de séjour ou ayant acquis la nationnalité belge.

C'est pourquoi le parquet souhaite utiliser ses moyens limités de manière plus ciblée et travailler plus en profondeur. Il va donc tenter de faire condamner les parrains des organisations criminelles à de lourdes peines. À ce sujet, le parquet d'Anvers a ouvert un dialogue avec la magistrature assise du tribunal de première instance, en vue d'obtenir des précisions à propos de leur politique de recherche et de poursuites. L'intervenant a également établi des contacts avec le bâtonnier pour expliquer au barreau la politique du ministère public, entre autres dans les domaines de la traite des êtres humains et de la prostitution.

Le préopinant déclare qu'il existe au sein de l'Office des étrangers une cellule qui dispose d'une compétence allant au-delà de l'octroi du permis de séjour. Par manque de temps et de moyens, cette cellule n'a toutefois pas encore enquêté sur la rapidité avec laquelle des permis sont octroyés à certaines personnes suspectes. On ne doit pourtant pas omettre de le faire. Il serait pas conséquent judicieux de charger le service anti-corruption de cette enquête.

M. Van Lijsebeth est d'accord pour dire qu'il faut détecter et réprimer les abus et les irrégularités. Il craint toutefois qu'une analyse de la rentabilité d'une telle enquête ne donne pas de résultats fort positifs au regard des efforts qui doivent être fournis dans d'autres domaines.

M. Vandeplas déclare que beaucoup de choses ont changé en bien depuis l'entrée en fonction de M. Van Lijsebeth à Anvers. On a de nouveau l'impression que le parquet agit efficacement.

En ce qui concerne la coopération multidiscplinaire externe, il souhaite savoir si un magistrat national a aussi participé à la concertation.

M. Van Lijsebeth répond par l'affirmative. La criminalité locale ne peut en effet pas être dissociée de la criminalité nationale et internationale. Cette question est abordée régulièrement avec Mme Coninsx, magistrat national. Par ailleurs, des accords ont été conclus à la faveur d'une réunion à laquelle ont participé Mme Coninsx, les chefs de cabinet des ministres de la Justices et de l'Intérieur et les magistrats du parquet d'Anvers, de Bruxelles et de Liège.

La lutte que livrent les parquets au niveau local reste néanmoins importante, surtout à court et à moyen terme, étant donné qu'aucune banque de données nationale n'est disponible. À l'heure actuelle, on développe les bureaux d'information d'arrondissement (BIA), mais les informations enregistrées dans ces banques de données devront aussi faire l'objet d'un traitement et d'un suivi au niveau national à l'avenir. Une mission importante attend ici le parquet fédéral. Vu la nature transfrontalière de la criminalité organisée, des initiatives devront aussi être prises au niveau européen.

M. Vandeplas souhaite savoir si un magistrat du parquet général est aussi associé au plan d'action du parquet d'Anvers.

M. Van Lijsebeth répond qu'un magistrat a été désigné mais qu'il y a des déficiences au niveau de la communication et du feedback.

M. Vandeplas souligne que les auditions de la Commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique ont révélé, à propos du secteur diamantaire, que les fonctionnaires chargés de la recherche sur le terrain ignoraient quel magistrat du parquet général devait assurer le suivi de ce secteur.

M. Van Lijsebeth répond que son nom est aujourd'hui connu.

Au fond, il a parfois l'impression que, dans le cadre de la lutte contre la criminalité organisée en Belgique, les autorités travaillent à un pont dont la partie médiane fait aujourd'hui toujours défaut.

Peu après son entrée en fonction, le 23 septembre 1999, le procureur a chargé ses collaborateurs de mettre sur pied un plan d'action local. Il ne lui paraissait pas justifié d'attendre que les instructions ou des plans lui parviennent d'en haut. Le parquet d'Anvers a dès lors pris ses responsabilités et a construit la première partie du pont. La fin du pont, à savoir le plan fédéral de sécurité et de politique pénitentiaire, existe lui aussi déjà. Mais la partie médiane qui doit être fournie par le service de la politique pénale, le parquet fédéral et le collège des procureurs généraux n'existe toujours pas. Il faudrait par conséquent définir le plus rapidement possible leurs missions de manière qu'ils puissent donner l'élan nécessaire pour traduire la politique fédérale au niveau local. Le parquet d'Anvers est demandeur à cet égard.

Telle est la seule manière de parvenir à une lutte cohérente contre la criminalité organisée.

M. Vandeplas souhaite savoir si les tripots clandestins chinois seront aussi visés par le contrôle des salles de jeu et des casinos.

M. Van Lijsebeth répond affirmativement. Il précise que le monde des salles de jeu et des casinos n'est pas exclusivement chinois, même si la problématique du jeu revêt certains aspects typiquement chinois. Les Chinois aiment parier. L'intervenant a constaté de ses propres yeux que certaines salles de jeu sont fréquentées quasi exclusivement par des Asiatiques et en particulier par des Chinois. Ces salles semblent en outre attirer des personnes qui fréquentent aussi d'autres milieux criminels. C'est vraisemblablement lié au fait que les salles de jeu sont régulièrement utilisées pour le blanchiment de moyens financiers provenant du crime.

La difficulté de se faire une image de ce secteur est en outre accrue par la nouvelle loi sur les jeux de hasard qui a obscurci le monde anversois du jeu. Voilà pourquoi le procureur a demandé que l'on examine ce qui est permis par la loi et ce qui ne l'est pas.

En ce qui concerne la délinquance financière et fiscale, un membre souhaite savoir si le parquet d'Anvers et les services spécialisés comme l'OCDEFO et la CTIF coordonnent leurs travaux et se concertent de manière structurelle.

M. Van Lijsebeth confirme qu'il y a une concertation. Il n'empêche que l'enquête sur les aspects financiers de la criminalité organisée, ou plus exactement sur leurs failles, est le principal point faible de son parquet à l'heure actuelle.

Voilà pourquoi le plan d'action réclame avec insistance que soit renforcée la capacité de recherche du parquet dans ce domaine. L'expertise en cette matière s'acquiert toutefois non pas en un jour mais progressivement. Il convient donc d'attirer des magistrats et des fonctionnaires de police spécialisés qui pourront être chargés, pendant une période suffisamment longue, d'enquêter sur les aspects financiers de la criminalité organisée et d'engager des poursuites à ce propos.

Un membre revient sur la déclaration selon laquelle la section financière passera certaines sociétés anonymes suspectes au crible. Le rapport entre le secteur immobilier et la maffia russe est-il retenu comme hypothèse de travail à cet égard ?

M. Van Lijsebeth répond affirmativement. Les 15 ou 16 sociétés anonymes actives dans le secteur immobilier qui sont actuellement dans le collimateur, achètent ou construisent des bâtiments dans le but d'y exercer des activités criminelles et d'en faire exercer par des hommes de paille.

Il faut souligner l'absence de tout dialogue avec le secteur concernant ce problème. On peut d'ailleurs se demander si ces milieux sont disposés à coopérer.

Un membre relève que l'on n'a pas enquêté systématiquement jusqu'à ce jour sur l'identité des acquéreurs des différents immeubles, par exemple sur la Keyserlei. Il faudrait par conséquent contrôler les données en possession du cadastre et du conservateur des hypothèques dans un délai de cinq ans pour vérifier si des organisations criminelles ne se sont pas implantées dans certaines rues et dans certains quartiers sous le couvert de sociétés-écrans. Il conviendrait de créer un service spécial à cet effet.

M. Van Lijsebeth fait remarquer que l'on a recueilli des informations à ce sujet, mais qu'elles sont disséminées entre plusieurs services. La proposition visant à faire étudier toutes ces informations par un seul et même service est dès lors pertinente. Pareilles opérations de grande envergure requièrent cependant des juristes spécialisés qui connaissent bien le secteur immobilier et qui soient capables d'analyser les données du cadastre, du conservateur des hypothèques et du registre de commerce et d'établir des corrélations entre ces diverses données.

Le préopinant se demande à cet égard si l'informatisation des données du conservateur des hypothèques ne constituerait pas un avantage. La loi a été modifiée dans ce sens, mais son exécution se fait attendre. La commission devrait insister sur ce point auprès du ministre pour qu'il fasse avancer les choses.

M. Van Lijsebeth fait remarquer que ce point est symptomatique de la manière dont on s'attaque à la criminalité organisée en Belgique. L'analyse du secteur immobilier est un travail de spécialistes dont on ne peut pas charger un substitut. La Belgique pourrait prendre exemple sur les Pays-Bas. Ainsi, le parquet de l'arrondissement de Breda (1 100 000 habitants) ne compte que 24 magistrats, qui peuvent cependant faire appel à une équipe spécialisée. Si l'on appliquait cette méthode en Belgique, on pourrait limiter à terme le nombre de magistrats. L'intervenant a proposé au ministre de la Justice de s'engager sur cette voie, mais — et c'est là une condition sine qua non — il faut alors pouvoir s'attacher les services de collaborateurs selon des modalités souples.

Le préopinant se dit frappé par le grand nombre de prostituées recensées. Ces chiffres prennent encore plus de poids lorsque l'on sait que le nombre de femmes se livrant à la prostitution privée, qui va croissant, ne figure pas dans ces statistiques. On est également frappé par le nombre de proxénètes recensés.

L'intervenant souhaite savoir comment le parquet a obtenu ce dernier chiffre.

M. Van Lijsebeth répond que lorsque l'on interprète le nombre de prostituées recensées, il faut tenir compte de l'importante rotation qui caractérise cette activité. Lorsque des prostituées disparaissent de la circulation ou mettent un terme à leurs activités, il n'en est pas toujours pris acte.

L'enregistrement des proxénètes a lieu principalement sur la base d'informations douces. Les informateurs constituent une autre source d'information. Mais ce mode de collecte d'informations n'est pas efficace. L'intervenant a dès lors insisté auprès des services de police pour qu'ils s'y attèlent. Selon lui, l'utilisation d'informateurs dans la lutte contre la criminalité organisée est une nécessité absolue. Les informations recueillies par la voie de l'observation sont en effet trop souvent susceptibles d'interprétation.

Les écoutes téléphoniques ne sont pratiquement plus utilisées dans la pratique. Cette méthode a été instaurée trop tard et est déjà dépassée.

Un membre demande de plus amples explications sur le nombre d'affaires liées aux milieux russes d'après la codification du parquet.

M. Van Lijsebeth déclare que les criminels russes exercent de multiples activités qui vont du blanchiment d'argent à la traite des êtres humains en passant par les actes criminels avec violence, les vols et les trafics.

Il est difficile de chiffrer avec exactitude le nombre de membres de la mafia russe à Anvers. Une analyse réalisée par le service de la Sûreté de l'État en 1999 a mis en lumière que la mafia russe tendrait à se déplacer d'Anvers vers Bruxelles, avec cette caractéristique particulière qui fait qu'à Bruxelles, elle travaille de manière beaucoup plus clandestine qu'à Anvers. Cette analyse est confirmée par la diminution de la criminalité liée à la mafia russe à Anvers. Les chiffres cités dans le plan ne disent cependant pas tout. Ils contiennent aussi une part de hasard et ne sont pas d'une clarté absolue. Ils ne donnent donc pas une explication complète sur l'évolution des phénomènes relevant de la criminalité.

Le repli de la maffia russe d'Anvers est imputable à deux facteurs au moins.

Tout d'abord, plusieurs dossiers répressifs ont été ouverts à l'encontre de criminels russes dont certains ont été condamnés dans l'intervalle, ce qui a eu un effet dissuasif, incitant leurs congénères à prendre le large.

Ensuite, l'émergence de la mafia albanaise dans le milieu criminel a conduit à une lutte pour le pouvoir à l'issue de laquelle plusieurs organisations criminelles russes ont dû quitter Anvers, contraintes et forcées.

Une membre souhaite savoir si l'existence d'un lien entre la mafia russe, la communauté juive et le secteur du diamant constitue une hypothèse d'enquête. En effet, une série de membres des mafias russe et géorgienne sont d'origine juive.

M. Van Lijsebeth répond que l'une des conclusions principales d'une opération de contrôle menée dans la Pelikaanstraat a été que la communauté juive ne constitue pas un bloc homogène. Les diamantaires et marchands d'or juifs traditionnels ne soutiennent absolument pas les marchands d'or de la Pelikaanstraat et de la Falconplein, qui sont surtout des Géorgiens, car ces derniers sont associés à la criminalité organisée.

L'intervenant déclare s'en réjouir. Cela ne signifie toutefois pas qu'il n'y ait pas de dérive dans le secteur classique du diamant. Cependant, l'on constate un changement dans la bonne direction, notamment sous l'impulsion du Haut Conseil du diamant. Le parquet d'Anvers et le Haut Conseil ont même conclu un accord dans lequel ce dernier s'est engagé à dénoncer au parquet les faits qui indiqueraient la présence de la criminalité organisée dans le secteur du diamant, par analogie à l'obligation prévue à l'article 29 du Code d'instruction criminelle.

Certains considéreront qu'il s'agit là d'un accord de façade, à effet hautement « cosmétique ». M. Van Lijsebeth a toutefois l'impression qu'il y a au sein du secteur un fort courant qui refuse de mettre en péril ce commerce florissant (chiffre d'affaires en 1999 : 900 milliards de francs) et le savoir-faire d'Anvers et son organisation par la tolérance de pratiques illégales graves qui discréditent le secteur. Il existe néanmoins encore, au sein du secteur classique du diamant, une forte résistance à un commerce du diamant plus respectueux de la légalité et transparent.

L'intervenant espère que l'opposition entre les deux camps se réduira et que ceux qui, dans le secteur du diamant, sont partisans de la légalité, auront le dessus.

Un membre conclut de ce qui précède que l'on assure maintenant un suivi du secteur, contrairement à ce qui se passait dans le passé.

En outre, il souhaite savoir quelle est l'attitude du parquet vis-à-vis des entreprises qui ne déposent pas leurs comptes annuels, mais qui continuent à exercer leurs activités.

M. Van Lijsebeth répond que la section financière du parquet considère le non-dépôt des comptes annuels comme une question prioritaire. C'est pourquoi elle requiert, de manière conséquente, la dissolution et la mise en faillite de toute entreprise qui a omis de déposer ses comptes annuels pendant trois ans.

Un autre membre renvoie aux articles parus dans la presse internationale sur le rôle qu'Anvers jouerait dans le commerce des diamants du sang, à savoir les diamants qui proviennent de pays ravagés par la guerre civile comme la Sierra Leone et la République démocratique du Congo, et qui sont vendus par les belligérants pour financer l'achat d'armes.

Le problème est d'une envergure telle que les Nations unies et même le Conseil de sécurité ont étudié le problème (cf. le rapport Fowler dans lequel Anvers a été, dans un premier temps, clouée au pilori).

Tout ceci peut donner l'impression que les autorités belges ne luttent pas contre ce trafic et qu'elles font preuve de laxisme à Anvers.

L'intervenant souhaite dès lors savoir si le parquet d'Anvers a été contacté par les Nations unies ou par d'autres organisations internationales ou si celles-ci ont fourni des informations.

M. Van Lijsebeth répond que, lorsque cette affaire a trouvé un écho en raison du rapport Fowler et des déclarations du ministre britannique des Affaires étrangères dans la presse internationale, l'on a organisé une réunion de travail au ministère des Affaires étrangères, à laquelle le parquet d'Anvers, les départements des Affaires économiques et de la Justice, la douane et d'autres services concernés ont été invités.

Le parquet a reçu, au cours de cette réunion, le rapport Fowler, ainsi que le texte du ministre britannique. Se basant sur les informations ainsi obtenues, le parquet a ouvert de sa propre initiative une information. Dans l'intervalle, de nouveaux contrôles ont été effectués à la suite d'une concertation ultérieure entre le parquet, le département des Affaires économiques et la douane.

Le problème vient évidemment de ce que le parquet ne peut aller faire aucune constatation en Afrique.

Il serait préférable que le parquet fédéral effectue l'enquête. Le parquet d'Anvers ne dispose pas des capacités suffisantes pour ce faire, notamment parce qu'il manque de personnel.

Un membre craint qu'en l'absence de réaction judiciaire, les rumeurs aillent bon train et que l'on désigne le parquet d'Anvers comme le responsable principal de l'attentisme des autorités.

Toutefois, l'intervenant souhaite également poser une question de technique législative. Sur la base de quelles dispositions de loi le parquet peut-il agir contre la violation de l'embargo imposé par les Nations unies sur le commerce des diamants du sang, dont on utilise les revenus pour acheter des armes sur le marché noir ? Peut-on saisir les diamants d'origine douteuse ou les sommes que l'on a payées pour les acquérir ?

En réponse à cette question cruciale, M. Van Lijsebeth répond qu'il a plaidé, vers la fin du mois de février ou le début du mois de mars 2000, au cours d'une réunion qui s'est tenue au ministère des Affaires étrangères, en faveur d'une disposition légale incriminant la violation des embargos. Le seul instrument juridique dont le parquet dispose actuellement lorsque certaines données relatives à la provenance des diamants ont été falsifiées, est la poursuite du chef de faux en écriture.

M. Vandeplas fait observer que le problème du caractère punissable de la violation d'un embargo international a déjà été évoqué à l'occasion d'une saisie qui avait été opérée à Anvers sur un navire qui allait acheminer des biens vers l'ex-Yougoslavie, en violation de l'embargo contre ce pays. Cela ne reposait pourtant, selon le juge des saisies anversois, sur aucun fondement juridique.

Un membre déclare que, pour combler cette lacune, il convient de voter d'urgence une loi sur les embargos. La commission devrait prendre une initiative en ce sens. On éviterait ainsi d'exposer notre pays à la réprobation internationale en raison de son inertie.

À la lumière de la proposition du sénateur Dallemagne d'instituer une commission d'enquête chargée d'examiner la question du trafic de « diamants du sang » en provenance du Congo, il paraît souhaitable que la commission du suivi tienne encore des auditions complémentaires concernant ce problème.

L'intervenant n'est en tout cas pas partisan de la création d'une commission d'enquête, parce que celle-ci n'a aucune prise sur cette question.

Il souhaite savoir comment M. Van Lijsebeth évalue l'importance du trafic de stupéfiants.

M. Van Lijsebeth répond que la problématique des stupéfiants prend des formes de plus en plus aiguës.

Le parquet et les services de recherche luttent énergiquement contre les grands trafics de stupéfiants. La capacité nécessaire a été dégagée à cet effet. C'est ainsi que des bateaux bananiers sud-américains sont systématiquement et minutieusement contrôlés. Cela ne signifie pas que les filières d'approvisionnement soient définitivement paralysées. De grandes quantités de stupéfiants pénètrent encore dans le pays.

Le premier grand problème auquel le parquet est confronté actuellement est dû aux petits dealers de Belgique, de France, du Luxembourg et d'Allemagne, qui vont s'approvisionner aux Pays-Bas et passent parfois la frontières chargés d'un demi-kilo de cocaïne ou d'héroïne. Ce trafic frontalier est difficile à contrôler. Pourtant, il faut intervenir pour le juguler. La question est toutefois de savoir si les services de police disposent de suffisamment de personnel pour procéder à des contrôles réguliers. À l'heure actuelle, ces contrôles sont sporadiques.

Le deuxième problème, peut-être encore plus important que le premier, concerne les consommateurs finaux. En ce qui les concerne, la situation échappe à tout contrôle. On peut se demander, face à la diversité des drogues, comment s'attaquer à ces personnes. Jusqu'au milieu des années 80, le parquet de Bruxelles poursuivait systématiquement tout consommateur de cannabis. Il ne semble pas opportun à l'intervenant de poursuivre dans cette voie. Il plaide dès lors pour une approche structurelle du problème. Le procureur ne cache toutefois pas qu'il y a bien des lacunes dans la politique du parquet d'Anvers en la matière.

À la question de savoir ce qu'il en est de la criminalité secondaire, il répond que l'actuelle baisse des prix des stupéfiants génère moins de criminalité secondaire, mais qu'elle rend aussi la consommation de stupéfiants plus attrayante, surtout pour les jeunes, si bien que le problème de consommateurs s'accroît. Le procureur ne peut pas donner immédiatement une réponse adéquate à ce problème. C'est pourquoi il déplore la décision de supprimer sous peu la section stupéfiants du parquet. Il souhaite pouvoir définir, en collaboration avec d'autres instances et services, une approche plus spécialialisée de la problématique des stupéfiants pour l'avenir. Pour l'instant, les personnes et les moyens que cela nécessite lui font défaut.

Le préopinant en conclut qu'il faut pourvoir aux postes vacants au parquet et engager des collaborateurs spécialisés, pour lesquels il y a lieu d'élaborer un statut administratif et pécuniaire spécifique. De tels experts ne pourront en effet pas être attirés par les traitements actuels des fonctionnaires. Tant que l'on ne comprendra pas, en Belgique, qu'il faut rémunérer convenablement l'agent de l'État pour attirer du personnel de qualité capable de s'acquitter de sa mission en toute indépendance, la situation ne fera que s'aggraver.


Le ministre déclare apprécier l'initiative qu'a prise la commission du suivi en vue de discuter le plan d'action du parquet d'Anvers. Ce plan présente un lien évident avec son rapport annuel sur la criminalité organisée en Belgique, dans lequel il dit clairement que la criminalité organisée est concentrée surtout dans les grandes villes, la ville d'Anvers étant le principal pôle d'attraction à cet égard.

Comme l'a déclaré le procureur, le plan stratégique local concrétise le plan fédéral de sécurité et de détention, qui met également en évidence la politique des grandes villes. Pourtant, l'on a sauté quelques étapes pour ce qui est de l'élaboration et de la transposition du plan fédéral au niveau local, pour la simple raison que plusieurs maillons manquent encore dans la chaîne politique.

En premier lieu, il y a le parquet fédéral qui sera mis en place dans un proche avenir (cf. la proposition de loi concernant le parquet fédéral qui a été déposée le 12 octobre 2000 par MM. Erdman, Coveliers, Michel, Giet et Decroly et Mme Talhaoui, doc. Chambre, nº 50 0897/1).

En deuxième lieu, le collège des procureurs généraux ne pourra remplir sa mission politique qu'à la condition de recevoir l'assistance nécessaire. Le plan fédéral de sécurité prévoit les moyens nécessaires. Ainsi, le collège sera renforcé par des magistrats d'assistance et des membres du personnel de l'INCC. Par ailleurs, le service de la politique criminelle sera également rattaché au collège.

Troisièmement, on ne dispose pas du plan national de sécurité qui est exigé par la loi et qui doit être élaboré pour octobre 2000 par le groupe de travail II de la réforme des polices.

Enfin, on ne dispose pas des plans de sécurité zonaux.

Par conséquent, le ministre dit comprendre les difficultés que le parquet d'Anvers a éprouvées pour rédiger son plan d'action local.

Un membre souligne qu'il y a trois ans, il n'existait aucune approche analytique de la criminalité organisée à Anvers. Le plan d'action du parquet d'Anvers représente donc une rupture de tendance avec le passé. Il permet de traquer la criminalité en dépit du manque d'hommes et de moyens auquel le parquet est confronté.

À ce sujet, le ministre souligne l'importance de l'approche par la base. Le recouplage des plans locaux au plan de sécurité fédéral permettra d'adapter celui-ci.

En ce qui concerne la méthodologie des plans locaux, le procureur a souligné certaines déficiences ou certains éléments qui ont été oubliés.

C'est tout d'abord le cas, comme on l'a déjà dit, du collège des procureurs généraux qui, à l'avenir, sera appelé à remplir une importante mission politique.

Cela vaut également dans une certaine mesure, pour les procureurs du Roi qui, en tant que membres du conseil zonal de sécurité, seront associés à l'élaboration des plans de sécurité locaux. Pour le moment, les procureurs du Roi d'Anvers, de Bruxelles, de Charleroi, de Gand et de Liège ont pris les devants avec leurs plans locaux. On peut toutefois se demander s'il ne faudrait pas apporter une assistance à tous les parquets pour la rédaction de leur plan d'action et le suivi de ceux-ci.

M. Van Lijsebeth souscrit à la thèse du préopinant suivant laquelle il faut assurer un suivi des plans locaux. Il est demandeur pour le faire en concertation avec le ministre de la Justice, le collège des procureurs généraux, les parquets généraux et le service de la Politique criminelle.

Élaborer des plans grandioses pour échouer ensuite au niveau de l'exécution et du contrôle est une caractéristique typiquement belge.

Pour ce qui est de l'interaction entre les plans fédéral et locaux de sécurité, l'intervenant est d'avis qu'on a tout intérêt, surtout en matière de criminalité organisée, à mettre l'accent sur une approche inductive plutôt que déductive. Si on impose d'en haut des directives strictes qui ne correspondent pas à la réalité, on se trouvera confronté à des problèmes. C'est déjà le cas pour la directive sur les drogues. L'intervenant ne souhaite pas entrer dans les détails, mais il déclare que le parquet en a fait une analyse (le plan d'action drogues).

Le parquet d'Anvers a élaboré un plan d'attaque parce qu'il ne voulait pas attendre de recevoir des instructions du niveau fédéral.

Il importe que les parquets et les services de police locaux transmettent aux échelons supérieurs les informations sur la situation locale en matière de criminalité. Le ministre de la Justice et le collège des procureurs généraux pourront alors en tirer des conclusions plus générales.

2.2. BRUXELLES (12)

2.2.1. Exposé de M. Dejemeppe, procureur du Roi près le tribunal de première instance de Bruxelles

M. Dejemeppe souligne les multiples formes que peut revêtir la criminalité organisée. Les moyens de la combattre dépendent notamment de la manière dont on approche le problème.

Les parquets disposent de relativement peu de moyens. Ce constat n'est pas neuf.

Il faut rappeler que les parquets d'instance ne sont pas chargés d'élaborer la politique criminelle. Ce rôle est dévolu aux procureurs généraux et au ministre de la Justice.

Les parquets d'instance ne font qu'appliquer ce qui a été décidé, même si peu d'initiatives ont été prises en la matière au cours des dernières années.

Des actions sont menées par le parquet en ce qui concerne tant la criminalité organisée en général que la criminalité financière. On constate de plus en plus l'existence de liens entre ces deux criminalités.

Au parquet de Bruxelles, certains magistrats s'occupent déjà de mettre ces liens en évidence et, dès le mois de septembre, un magistrat sera spécialement chargé de la coordination entre la criminalité organisée « ordinaire » et la criminalité financière.

On rencontre aussi une criminalité organisée plus strictement limitée à l'aspect financier. Il y a ainsi des entreprises ou des familles qui n'ont plus besoin d'ancrage en Belgique, parce qu'elles se sont déjà développées à l'étranger (cf. les maffias russe et d'Europe de l'Est), et qui utilisent des sociétés belges pour procéder à du blanchiment d'argent, en recourant à des prête-noms et à la corruption dans le cadre notamment de l'accès à la nationalité belge.

Le parquet suit également tout ce qui concerne les car-jackings, home-jackings, trafics de véhicules, et trafic d'êtres humains. Il a notamment une collaboration assez intense avec les services de gendarmerie à Zaventem.

À Bruxelles, on a en effet deux frontières internationales, à savoir l'aéroport et l'Eurostar, qui sont des lieux de transit pour la traite des êtres humains et le trafic illicite d'étrangers.

Des réunions de coordination sont régulièrement organisées avec les services de police locale et spécialisée.

Les enquêtes sont développées de manière multidisciplinaire. Certains auditeurs du travail sont ainsi activement impliqués dans la poursuite d'infractions graves à la législation sociale.

Il est en effet fréquent que des infractions de droit commun, de droit fiscal, et de droit social soient mêlées dans les enquêtes en matière de criminalite organisée.

Du point de vue de la délinquance ordinairement qualifiée de financière, la méthodologie est régulièrement réévaluée en vue de la rendre plus simple et plus efficace (carambouille, carrousels TVA parfois exorbitants, pompes blanches).

Des contacts très positifs sont développés avec la CTIF dans le cadre d'affaires de blanchiment.

Au tribunal de Bruxelles, on a, par an, environ une trentaine de jugements en matière de blanchiment d'argent (provenant surtout de la drogue, plus facile à identifier, mais insuffisamment d'autres infractions).

Le plan d'action comporte certaines observations sur la question des moyens, auxquelles on espère qu'une suite favorable sera donnée.

On n'en est encore qu'aux balbutiements de la collaboration « horizontale » avec des juristes, des comptables, des criminologues ..., qui doit encore être optimalisée.

Bruxelles est le parquet-pilote en matière d'informatisation de la justice, mais ne dispose pas encore d'Internet.

Mais le présent exposé entend s'attacher surtout à la question de la législation.

M. Dejemeppe dépose à cet égard une note contenant des propositions d'initiatives législatives en matière de délinquance organisée, et la commente comme suit.

I. Au plan national

1. Permettre la garde à vue pendant 48 heures au lieu de 24 (modification de l'article 12 de la Constitution)

Le système belge entend protéger la liberté individuelle, raison pour laquelle le constituant de 1830 a décidé que l'on ne pouvait priver une personne de liberté pendant plus de 24 heures, sans intervention d'un juge. Ceci suppose qu'un dossier sera un jour soumis à la juridiction de fond.

Il s'agit donc d'une procédure assez lourde. Le délai de 24 heures est extrêmement court pour boucler les prémisses d'une enquête.

Paradoxalement, la saisine du juge d'instruction n'est pas nécessairement favorable ni à l'action menée contre la délinquance, ni à la situation des personnes concernées.

C'est pourquoi il faudrait permettre la garde à vue pendant 48 heures au lieu de 24. Ceci supposerait une modification de l'article 12 de la Constitution, qui n'est actuellement pas soumis à révision.

Une telle modification mettrait la Belgique au diapason de la plupart des pays d'Europe. En effet, à l'heure actuelle, notre pays est celui qui, en Europe, a le délai de garde à vue le plus court. Le délai moyen est de 48 heures; il peut être porté à 72 heures, voire à 96 heures en matière de terrorisme en France.

La proposition de prolongation du délai de garde à vue de 24 à 48 heures date d'il y a plus de 10 ans. Elle n'a jamais eu d'écho au Parlement, bien qu'elle ne porte pas atteinte à la liberté des individus.

Une garantie procédurale pourrait être prévue (par exemple l'autorisation motivée du procureur du Roi après 24 heures).

2. Permettre la saisie conservatoire de sommes d'argent passibles de confiscation par équivalent (modification des articles 42, 43 et 43bis du Code pénal)

Lors de la précédente législature, un certain nombre de problèmes en matière de saisie ont été réglés, notamment la saisie par équivalent par le juge du fond, mais celle-ci n'intervient que plusieurs années après les faits.

Il n'est actuellement pas possible pour le juge d'instruction de saisir à titre conservatoire des sommes d'argent en vue d'une confiscation par équivalent (par exemple l'argent découvert dans un coffre bancaire appartenant à un auteur ayant commis une infraction — hold-up, trafic de stupéfiants ou d'êtres humains — et provenant par exemple d'une succession). Ce vide juridique a été mis en exergue par la Chambre des mises en accusation notamment par un arrêt du 19 avril 1999 qui a fait jurisprudence. Cette lacune génère des conséquences dommageables en matière de criminalité organisée.

3. Réglementer la vente de cartes de téléphone anonymes (de type pay and go)

Depuis 1990-1991, et la loi « Belgacom », le Parlement a entrepris de réglementer le secteur de la téléphonie.

Or, celui-ci ne cesse de se développer. En matière de criminalité orgarnisée, on se trouve aujourd'hui confronté aux appareils de téléphonie anonymes.

Or, il est important de pouvoir repérer des numéros de téléphone entrants ou sortants, et que le juge puisse, exceptionnellement, faire écouter des communications téléphoniques.

Le problème est de pouvoir identifier les acteurs des communications, lorsqu'il est fait usage de cartes de téléphone anonymes.

S'il est illusoire d'envisager un système qui serait parfaitement fermé (on ne peut exclure l'usage de fausses pièces d'identité ni la cession de cartes pay and go de la main à la main), l'obligation pour les vendeurs de tenir un registre des acheteurs constituerait un atout supplémentaire pour faciliter les recherches.

En effet, dans les enquêtes téléphoniques, il finit toujours par y avoir, sur une longue période, quelqu'un d'identifiable.

La France dispose déjà d'une réglementation de cette nature.

4. Légiférer en matière de techniques particulières de recherche

Cette proposition est déjà examinée depuis plusieurs années. L'incertitude juridique dans un domaine qui n'est réglé que par une circulaire ministérielle devrait être levée, car elle donne lieu régulièrement à des contestations devant les tribunaux.

5. Rendre effective la loi du 22 mars 1999 relative à la procédure d'identification par analyse ADN en matière pénale

En vertu de cette loi, une empreinte génétique recueillie dans le cadre d'une affaire peut être utilisée, de l'accord de la personne concernée, dans une autre procédure. La loi devrait être mise en oeuvre (date d'entrée en vigueur, création d'une banque de données), la jurisprudence n'étant pas encline à accepter ce type de preuve sans cadre législatif (eu égard à l'atteinte à la présomption d'innocence, au respect de la vie privée, au droit au silence). La mise en vigueur de cette loi est subordonnée à un arrête royal.

Récemment encore, le tribunal correctionnel de Bruxelles a acquitté d'une prévention un suspect dans un réseau de hold-up, parce qu'il avait été identifié par ses gènes, mais qu'il ne les avait pas donnés pour la circonstance.

Cette décision est actuellement frappée d'appel.

Il faut souligner cependant que les empreintes génétiques ne sont jamais qu'une version plus moderne des empreintes digitales dont l'utilisation ne donne lieu à aucune contestation.

6. Aggraver les peines pour les fraudes fiscales complexes et dépénaliser les infractions fiscales mineures non connexes à d'autres infractions

— Dépénaliser les fraudes fiscales mineures (non connexes à d'autres infractions ou à des infractions pour lesquelles le ministère public n'estime pas devoir poursuivre)

Tous les codes fiscaux prévoient des sanctions administratives en cas de violation des obligations qu'ils contiennent. Ces sanctions peuvent s'élever jusqu'au double des droits, taxes ou impôts éludés. Une sanction pécuniaire est généralement la plus efficace pour les fraudes fiscales mineures et peut actuellement atteindre des montants beaucoup plus importants que ceux prévus par les amendes pénales.

Le cumul des sanctions administratives et pénales est actuellement fort contesté et pourrait être considéré comme contraire au droit communautaire (cf. notamment les arrêts de la Cour de cassation de France du 29 avril 1997, JDF, 1997, p. 343, du Hoge Raad der Nederlanden du 19 juin 1985, JDF, 1986, p. 351, de la Cour de cassation de Belgique du 5 février 1999, JLMB, 1999, p. 532 et 541, de la Cour d'arbitrage du 24 février 1999, JLMB, 1999, p. 532). Une harmonisation des amendes administratives et pénales s'impose.

— Sanctionner plus sévèrement la fraude fiscale grave et organisée, le « banditisme fiscal »

Quels que soient le montant de la fraude fiscale réalisée ou les mécanismes mis en oeuvre, le maximum de l'amende pénale prévue s'élève à 500 000 francs, montant non soumis au régime des décimes additionnels (cf. notamment les articles 449, 450, 457, du CIR 1992, les articles 73, 73bis et 73quinquies du Code de la TVA, les articles 133, 133bis et 133quinquies du Code des droits de succession, les articles 206 et 206bis du Code des droits d'enregistrement).

Dans un cas récent, une personne avait reconnu avoir participé à une fraude de type carrousel TVA de l'ordre de trois milliards. Elle a éte condamnée à une peine de cinq ans et à une amende de 500 000 francs, soit le maximum legal.

Un membre rappelle le délai de trois ans, dans lequel les agents peuvent indaguer dans une série d'affaires (cinq ans en cas de fraude).

Mais il y aussi des mécanismes parfois bien plus anciens, pour lesquels il faudrait que l'État puisse se constituer partie civile pour obtenir réparation (constitution de partie civile par les fonctionnaires de l'ISI au nom du ministre des Finances, en tant qu'organe de l'État).

Le procureur Dejemeppe cite l'exemple de l'affaire Bongiorno, où l'État ne s'est constitué partie civile que fort tard, et seulement pour 1 franc.

Le maximum légal de l'amende pénale de la fraude fiscale grave et organisée devrait pouvoir être égal au double du montant éludé, à l'instar de ce qui existe en matière d'amende fiscale (cf. article 441 du CIR 1992, et articles 225 à 228 de l'arrêté royal CIR, article 70 du Code de la TVA, articles 126 et 128 du Code des droits de succession, articles 201 à 204 du Code des droits d'enregistrement). Le montant minimal de l'amende pénale pourrait rester identique.

Les décimes additionnels seraient applicables.

Une infraction d'escroquerie fiscale pourrait rendre compte de cette situation et être utilement intégrée au Code pénal. Elle répondrait à la définition suivante : l'emploi systématique de manoeuvres frauduleuses ayant pour but d'éluder un montant significatif d'impôts (à noter que le Luxembourg dispose d'une incrimination de cette nature).

Cela permettrait également d'avoir une arme plus ordinaire pour la collaboration internationale. Le principe de base en la matière est celui de la souveraineté. Chacun n'accepte de collaborer avec l'autre qu'à condition qu'un certain nombre de règles soient respectées. Il faut notamment que l'infraction soit la même dans le pays demandeur et dans le pays requis, qu'elle soit susceptible d'extradition, que les réserves liées à l'intérêt supérieur de l'État, aux affaires politiques et aux affaires fiscales permettent encore l'extradition.

Toutes les conventions prises avec les pays proches (Convention Benelux, Convention de Vienne de 1959 sur la collaboration judiciaire, ... ) contiennent des réserves, notamment fiscales.

Dès lors, si l'on envoie une demande fiscale, par exemple, au Luxembourg, la collaboration sera refusée. En matière d'escroquerie fiscale, il serait utile de pouvoir compter sur la collaboration avec ce pays, d'autant que celui-ci collabore en matière fiscale s'il y a des éléments d'escroquerie, mais avec l'interdiction d'utiliser les renseignements obtenus dans ce pays à d'autres fins.

II. Au plan international

Les conclusions de la Commission d'enquête sur la criminalité organisée contenaient un grand nombre de choses intéressantes, mais il y en a peu qui ont déjà été concrétisées depuis lors.

Il convient de considérer le territoire européen comme un ensemble unique sur le plan de la justice, au même titre qu'il l'est dans le domaine économique.

Il n'est pas normal que, pour le transfert d'un sportif ou la vente d'un tableau, on applique des règles communautaires, mais qu'en matière de justice, on considère que chacun est maître chez soi.

En 1957, une convention européenne d'extradition a été approuvée. Il a fallu à la Belgique plus de 40 ans pour la ratifier (cf. la circulaire ministérielle du 16 juin 1998 sur l'application de cette convention).

Pendant ce temps, lorsqu'on demandait à l'Autriche une commission rogatoire pour aider à une enquête en matière d'abus de confiance, on refusait la collaboration parce que la convention précitée n'avait pas été ratifiée.

Propositions

1) Il faudrait que l'exécution d'un acte d'entraide ne soit plus subordonnée à la condition de la double incrimination, là où elle l'est encore.

Ainsi, la Convention OCDE de novembre 1998 sur la corruption vise en particulier l'incrimination de la corruption d'un fonctionnaire etranger.

La ratification de la Convention comporte cependant des réserves, et notamment celle de la réciprocité. On ne peut donc poursuivre un fait commis a l'étranger qu'à partir du moment où, dans le pays étranger concerné, il existe une disposition de même nature à l'égard de la Belgique.

De ce point de vue, les difficultés augmentent au fur et à mesure que l'on s'écarte du noyau dur de l'Union européenne, en particulier dans les pays de l'Est, où les problèmes sont beaucoup plus sérieux que chez nous.

2) Il faudrait également que l'autorité judiciaire s'adresse directement — dans une langue acceptée par le pays requis — au magistrat étranger du lieu de l'exécution qui, à son tour, lui remet directement les moyens de preuve recueillis, sans intervention du pouvoir exécutif.

Actuellement, le contact de juge à juge n'est toujours pas autorisé, sauf dans certains cas d'urgence. Mais, dans ce cas, le retour des documents se fait par la voie diplomatique.

Lorsqu'il y a détention préventive, on est obligé, après quelques mois, de la lever.

L'audition de M. Dassault à Paris, dans le cadre de l'affaire Agusta-Dassault, a mis 18 mois à revenir.

3) L'entraide devrait être fournie dans les meilleurs délais et, dans la mesure du possible, dans le délai exprimé dans la demande, sauf à faire connaître les motifs du retard.

4) Aucun recours ne devrait pouvoir être intenté dans le pays d'exécution (c'est souvent le maillon faible qui paralyse la demande).

(exemple : demande de perquisition au Luxembourg : la banque qui en fait l'objet peut exercer un recours préventif, susceptible de prendre un an).

5) Avec l'accord du magistrat étranger, le juge ou ses collaborateurs devraient pouvoir participer à l'exécution de la demande d'entraide au-delà des frontières nationales. À l'heure actuelle, si l'assistance passive est en général admise, aucune règle ne garantit la collaboration active, laquelle paraît pourtant légitime en pratique.

6) Spécialement en matière de criminalité organisée, il faudrait que les États acceptent d'extrader leurs nationaux, sous la réserve que la peine d'emprisonnement éventuellement prononcée puisse être exécutée dans le pays d'origine (il devient de plus en plus anachronique que les délinquants puissent circuler librement, mais qu'une fois épinglés, le principe de la nationalité reprenne le dessus en sorte qu'il n'est pas possible de juger un Belge à Rome ou un Hollandais à Bruxelles — le Royaume-Uni faisant ici exception). Tout ressortissant d'un État membre devrait être considéré comme un citoyen de l'Union, sans pouvoir se retrancher derrière sa qualité de national pour faire échec aux poursuites. Que le contentieux relatif à l'extradition et à l'exécution des jugements étrangers soit confié aux autorités judiciaires — sans intervention du pouvoir exécutif.

(exemple : dans une affaire connexe à l'affaire Bongiorno, un des auteurs italiens a été identifié en Italie, à quelques centaines de mètres de la frontière française. Pour mener l'enquête et procéder à des confrontations, il a fallu organiser une procédure longue et coûteuse avec le gouvernement italien, afin que l'individu en question puisse venir en Belgique, le temps nécessaire aux auditions et confrontations, après quoi il est retourné en Italie).

Un membre se demande si cela ne démontre pas que la justice doit être transférée au niveau européen, avec un parquet et un procureur général européens.

M. Dejemeppe répond que cela prendra encore du temps, parce que tout ce qui relève de la matière pénale est très ancré dans les traditions. Le chauvinisme judiciaire est pratiqué par tous les pays (cf. le Royaume-Uni, où l'on n'hésite pas à dire qu'en droit continental, le prévenu est présumé coupable).

7) Que le secret bancaire ou celui imposé à d'autres intermédiaires financiers ne puisse être invoqué pour faire obstacle aux investigations du juge.

8) Que les informations et moyens de preuve obtenus à l'étranger ou reçus de l'étranger puissent être utilisés dans toute procédure pénale : que soit ici abandonné le principe de la spécialité en vertu duquel certains pays vont jusqu'à exiger un engagement écrit de ne pas utiliser les renseignements obtenus dans d'autres procédures, par exemple à des fins fiscales.

2.2.2. Discussion

Un membre renvoie au plan d'action communiqué par le procureur du Roi. Il s'interroge sur l'évolution de la criminalité organisée à Bruxelles, par rapport à la situation d'il y a quelques années.

Selon le procureur du Roi d'Anvers, la maffia russe se serait partiellement déplacée vers Bruxelles. Cela peut-il être confirmé, et dans quels secteurs cette maffia est-elle active ?

Quant au trafic de drogue, prend-il de l'ampleur à Bruxelles ?

Enfin, quels sont les groupes qui y sont les plus actifs en matière de criminalité organisée, et dans quels secteurs ?

M. Dejemeppe répond à la première question que le problème est d'abord de se former une image exacte de ce que l'on appelle la maffia russe. Un plan a été mis au point avec la gendarmerie afin d'arrêter certains membres de cette maffia, et le parquet traite actuellement des dossiers relatifs à des ressortissants russes, ou à d'anciens ressortissants russes, qui ont acquis la nationalité belge et sont actifs dans le secteur du blanchiment.

Le précédent intervenant demande si le parquet a eu la possibilité de donner son avis sur l'acquisition de la nationalité belge par ces personnes.

M. Dejemeppe répond que le parquet, lorsqu'il doit rendre de tels avis, ne dispose pas toujours de renseignements précis sur l'appartenance de ces personnes à la maffia, ni sur leurs activités, lorsqu'ils n'ont pas d'entreprise à leur propre nom, lorsqu'ils n'ont pas de casier judiciaire, etc.

Certains dossiers relatifs à la maffia russe sont actuellement traités à Bruxelles, et le tribunal correctionnel a déjà prononcé des condamnations.

Il y aussi des dossiers relatifs à des Albanais et à des Bulgares pour proxénétisme, traite des êtres humains, ...

Il existe une très bonne collaboration avec le centre d'accueil PAG-ASA, qui a permis d'obtenir des témoignages de femmes victimes de ces filières.

Il y a aussi des filières africaines (Ghana, Nigeria, ...).

En ce qui concerne le trafic de drogues, et bien que l'on voudrait faire de la lutte contre ce trafic une priorité, cette lutte devient assez problématique, en raison d'un manque d'effectifs. Le nombre de gendarmes qui s'en occupent est très limité.

Il s'agit ici du trafic proprement dit, car il en va autrement, par exemple, du blanchiment.

Cette situation a eté signalée au ministre de la Justice, qui a déclaré dans l'intervalle que la problématique du trafic de drogues serait placée en dehors du plan de sécurité du gouvernement.

Le précédent intervenant renvoie aux observations qu'il a formulées à ce sujet lors de la présentation de ce plan au Parlement, le trafic de drogue ayant des répercussions sur la criminalité internationale, dont il constitue l'une des sources de financement essentielles.

M. Dejemeppe souligne les difficultés de coopération que la Belgique rencontre parfois sur le plan international, notamment avec les Pays-Bas, qui ont du problème de la drogue une approche très différente de la nôtre.

Un membre demande si les problèmes de drogue et de prostitution dont il a été question sont focalisés dans certaines communes.

Il y a quelques années, des collaborations spécifiques avaient été dévelopées avec Schaerbeek, Bruxelles-Ville, etc. Quelles sont les communes qui sont le mieux organisées du point de vue policier interne, et qui ont réorganisé leur police en vue d'une meilleure collaboration avec le parquet ?

Le procureur a déclaré qu'à partir de septembre 2000, un magistrat serait spécialement chargé de la liaison entre criminalité ordinaire et criminalité financière.

Un magistrat suffit-il pour une telle tâche, et d'autres initiatives ne sont-elles pas nécessaires ?

L'intervenante rappelle qu'elle a récemment interpellé le ministre de la Justice pour savoir où en étaient ses projets en matière de résorption de l'arriéré à Bruxelles. Il a répondu que ces projets formaient un ensemble dont l'un des volets concernait la réorganisation de la structure du parquet de Bruxelles, et qu'il attendait du procureur et du procureur général des initiatives en la matière.

Qu'est-ce que le ministre attend exactement sur ce point ?

Dans le plan de sécurité, il est question, à propos du blanchiment et de la criminalité financière, de renversement de la charge de la preuve.

À titre personnel, l'intervenante est assez réticente par rapport à une telle mesure, qui porte atteinte à la présomption d'innocence. Elle demande si, dans certains secteurs de la criminalité financière, un renversement de la charge de la preuve peut constituer un outil efficace.

Enfin, où en est-on, au niveau européen, dans le Corpus juris de Mme Delmas-Marty, qui constituait un embryon de droit commun pour certaines infractions, notamment la criminalité financière ?

En tant que magistrat belge, le procureur participe-t-il à des réunions de magistrats européens pour faire avancer les travaux de Mme Delmas-Marty ?

M. Dejemeppe répond à la première question sur la prostitution qu'à la suite de conflits permanents dans les communes de Bruxelles (principalement Schaerbeek et Saint-Josse), il a lancé un programme de concertation pentagonale réunissant, outre le parquet, la police judiciaire, la gendarmerie, la police locale et les bourgmestres, pour tenter d'éviter que l'on ne renvoie les personnes concernées d'une commune à l'autre.

La prostitution est un phénomène très ancien, auquel il paraît illusoire de vouloir mettre un terme par des moyens coercitifs. La meilleure façon de procéder semble être de l'organiser et de faire en sorte d'avoir une vue sur ce qui se passe dans les quartiers où ce phénomène se situe principalement, c'est-à-dire essentiellement le quartier Nord (et accessoirement Ixelles).

Les discussions ont mené, en 1996, à un protocole qui est toujours formellement en vigueur, et comporte les points suivants :

— limitation de la prostitution aux quartiers où elle s'était traditionnellement implantée (difficultés liées à la grande transformation du quartier Nord);

— contrôle des prostituées pour tenter d'avoir une meilleure connaissance du terrain, et poursuite des réseaux de proxénétisme; protection des mineurs;

— politique active en matière d'étrangers (remise des étrangers à la frontière, renvoi, ... ).

Cette politique a été admise par les différents bourgmestres et commissaires en chef des communes, mais l'application pose toujours un problème parce qu'au quartier Nord coexistent beaucoup d'intérêts divergents. Chacun voudrait évidemment que la prostitution, qui n'est pas un délit en soi, disparaisse de son territoire, et les bourgmestres disposent de pouvoirs de police administrative, mais, si on la chasse d'un endroit déterminé, elle renaîtra ailleurs.

D'autre part, elle risque de tomber dans la clandestinité, ce qui rendrait plus difficile le contrôle de toute la criminalité liée à la prostitution (drogue, violences, meurtres, traite des êtres humains, ... ).

Un membre se dit frappé par la comparaison entre le nombre des prostituées à Anvers et le chiffre de quelques centaines cité par le procureur pour Bruxelles.

M. Dejemeppe fait observer que cela provient sans doute du fait qu'Anvers est un port.

En ce qui concerne la liaison entre criminalité organisée et criminalité financière, deux sections différentes gèrent actuellement ces matières.

À noter que dans beaucoup de parquets, il n'y a même pas de section spécifique pour en traiter.

À partir de septembre 2000, il y aura en outre un magistrat chargé d'opérer la concertation entre ces deux aspects. Il s'agit d'un élément supplémentaire, utile pour avoir une meilleure vue du secteur et pouvoir traiter des dossiers présentant ce caractère mixte.

La question de la gestion du parquet divisé en deux sections globales, l'une francophone et l'autre néerlandophone, est un autre problème.

Le procureur déclare qu'il a remis à ce sujet un rapport au ministre de la Justice, avec une proposition concrète mais à l'heure actuelle, on ne peut imaginer de faire un travail positif en « coupant » le parquet en deux, en raison de l'application d'une série de lois de fond et de procédure, notamment sur l'emploi des langues.

Au parquet de Bruxelles, quantité de dossiers commencent en néerlandais et continuent en français, ou l'inverse.

La solution serait qu'au parquet de Bruxelles, tout le monde soit bilingue, mais on n'en est pas encore là.

En ce qui concerne le renversement de la charge de la preuve, le procureur déclare qu'il n'y est pas très favorable.

Les Italiens se sont engagés dans cette voie et dans celle de pentiti, et il faut bien constater qu'il y a eu dans ce pays beaucoup de scandales.

Par contre, il paraît clair que l'on se dirige, pour le prochain siècle, vers une sorte de mondialisation du droit et vers ce que l'on appelle en droit anglo-saxon le plea-bargaining (discussion avec le suspect et l'avocat), auquel le procureur se dit favorable.

Un membre se rallie à cette opinion, en soulignant que cela peut être une solution au problème de délai raisonnable.

M. Dejemeppe poursuit en indiquant que, selon lui, la figure du juge d'instruction est également appelée à disparaître progressivement au profit d'un juge des libertés, comme c'est le cas dans la plupart des autres pays.

Le tribunal pénal international a clairement pris l'option du plea-bargaining et d'un juge des libertés. C'est le parquet qui, à La Haye ou Arusha, fait l'enquête.

Cette évolution prend du temps, car elle suppose une modification de l'approche culturelle.

Quant au Corpus juris, le parquet n'y est pas directement impliqué ni consulté. Il y a de temps à autre des réunions avec l'un ou l'autre représentant de la Commission européenne, mais il n'y a pas de structure de coordination ni de concertation.

Un membre aborde la question de l'usage criminel que l'on peut faire des sociétés, et de la manière dont on peut combattre ce type de criminalité.

Le procureur du Roi d'Anvers a indiqué que, dans son arrondissement, on vérifiait systématiquement si les sociétés déposaient leurs comptes annuels, et que s'il s'avérait qu'elles ne le faisaient pas pendant trois ans, un « signal d'alarme » était déclenché. L'intervenant demande ce qu'il en est à Bruxelles.

M. Dejemeppe répond que ce système a commencé à être appliqué à Bruxelles en tant qu'expérience-pilote, en collaboration avec la Banque nationale, dont la banque de données a pu être utilisée à cette fin.

Anvers a ensuite repris ce système, qui fonctionne depuis trois ans.

À Bruxelles, le parquet cite les sociétés dormantes en dissolution devant le tribunal civil, pour éviter qu'elles ne soient utilisées de façon abusive par des gens mal intentionnés.

Le précédent intervenant souligne que, par l'intermédiaire de ces sociétés, qui sont des instruments essentiels entre les mains des criminels, on peut découvrir les liens entre les diverses activités et secteurs.

L'intervenant rappelle à cet égard l'implantation de la criminalité organisée dans le secteur immobilier.

M. Dejemeppe déclare qu'il a fait un calcul coût-bénéfices avec le ministère de la Justice, et est arrivé à la conclusion que deux personnes au moins à temps plein étaient nécessaires pour suivre cet aspect des choses.

Ces deux personnes ont été octroyées par le précédent ministre de la Justice, et le succès a été immédiat.

Ce système ne coûte rien à la société, car les transactions proposées aux contrevenants sont de l'ordre de 30 millions de francs.

Le précédent intervenant souligne le rôle important que jouent, en matière de criminalité organisée, certains intermédiaires relativement bien protégés, comme les avocats et les diplomates. On constate que certains interviennent toujours dans les mêmes affaires et pour les mêmes personnes, et cela permet, dans une phase d'analyse proactive, de détecter des réseaux. C'est là une question très délicate, aussi longtemps qu'aucun délit n'est constaté.

Le procureur du Roi dispose-t-il d'éléments en la matière ?

M. Dejemeppe renvoie à la circulaire européenne en matière de blanchiment.

Le champ d'application a été étendu à de nouvelles professions : les notaires, les réviseurs d'entreprise, les comptables, et aussi les avocats.

Cependant, cette circulaire n'est pas encore d'application. Le procureur du Roi se dit convaincu de la nécessité d'appliquer cette circulaire, y compris aux avocats.

À cet égard, il estime qu'une distinction doit être opérée entre deux sortes d'avocats :

— les véritables avocats;

— ceux qui portent le titre d'avocat, mais s'occupent de toutes sortes d'affaires financières, interviennent comme conseillers financiers, ... toutes choses qui n'ont rien à voir avec les droits de la défense.

Un membre observe que l'internationalisation du barreau, la création de bureaux d'avocats de plus en plus grands accroissent la tendance à concevoir de façon plus en plus large les missions non classiques de l'avocat.

M. Dejemeppe ajoute qu'il existe chez les avocats internationaux un lobbying important en vue de s'opposer à la circulaire précitée.

Il pense que ce combat est dépassé : pour l'avocat qui veut faire des affaires, le titre ne saurait en soi constituer une protection.

Le professeur Vandeplas relève qu'il a été dit que certains ressortissants étrangers qui acquéraient la nationalité belge posaient ensuite des problèmes.

L'intervenant estime qu'il faudrait pouvoir appliquer en Belgique le système américain de l'affidavit : celui qui acquiert la nationalité doit signer une déclaration et, s'il s'avère ultérieurement que la déclaration était fausse, l'intéressé perd la nationalité en question.

Un membre estime qu'une telle mesure devrait être prise comme une peine distincte, comme la perte des droits civils ou politiques.

Le professeur Vandeplas souligne, en ce qui concerne les rapports avec les pays étrangers en matière fiscale, qu'en Belgique, certaines limites légales ont été posées au droit d'enquête du fisc.

L'intervenant peut comprendre que des pays comme la Suisse et le Luxembourg ne puissent admettre que l'on abuse du droit pénal commun (par exemple : la prévention de faux en écritures appliquée au fait de ne pas remplir correctement la déclaration d'impôts) pour acquérir des informations fiscales auxquelles on n'aurait, en principe, pas accès.

En ce qui concerne la problématique des étrangers, M. Dejemeppe estime que le système américain risquerait de poser des problèmes chez nous, pour des motifs culturels.

Il serait préférable de travailler préventivement, ce que l'on fait de moins en moins. Le parquet, la Sûreté de l'État et l'Office des étrangers doivent donner un avis dans la précipitation, sans disposer des moyens nécessaires pour s'adapter à la nouvelle procédure en vigueur depuis le 2 mai 2000.

La question des délits fiscaux est très délicate. L'État étranger à qui des renseignements sont demandés a parfois l'impression que l'on abuse de ses services, pour rechercher autre chose que ce que l'on prétend. Cela rend toute collaboration internationale impossible. La solution pourrait être que les États apprennent à se faire davantage confiance, mais cela prendra du temps.

Le professeur Vandeplas rappelle que des problèmes se sont présentés en Belgique, ce qui a amené le législateur à intervenir pour que le fisc n'abuse pas de la situation et ne passe pas d'accords avec le parquet pour obtenir des informations par son intermédiaire. Cela n'arrive pratiquement plus.

Il devrait en être ainsi sur le plan international, ce qui réduirait fortement les objections de pays comme le Luxembourg ...

L'intervenant a personnellement assisté à une conférence au cours de laquelle des Hollandais souhaitaient savoir quelles astuces la Belgique utilisait pour forcer le secret bancaire luxembourgeois.

M. Dejemeppe observe qu'il appartient aussi au juge belge saisi d'un conflit sur la régularité d'une enquête de prendre ses responsabilités s'il constate des abus.

2.3. LIÈGE (13)

2.3.1. Exposé de Mme Bourguignont, procureur du Roi près le tribunal de première instance de Liège

L'intervenante renvoie au plan qu'elle a déposé, qui concerne toutes les sections de son parquet, et qui servira de base au rapport qu'elle devra, comme tous les procureurs, communiquer au Conseil supérieur de la Justice.


Le parquet de Liège, qui est le troisième parquet de Belgique, traite 250 000 dossiers par an (dossiers correctionnels, roulage, protection de la jeunesse, discipline, avis civils, ...), et ce pour 42 magistrats seulement.

Pour la rentrée judiciaire, il ne restera que 26 substituts sur ces 42 magistrats. Il y a par ailleurs trois candidats pour les 11 places vacantes, qui ont postulé « tous azimuts » pour des places de juge et de substitut dans tous les arrondissements. Ce sont tous des avocats d'une cinquantaine d'années.

La situation est donc dramatique, et donne lieu à une certaine révolte au sein du parquet

Il est également à craindre que d'autres substituts ne postulent une place de juge assis, qui, pour beaucoup, est devenue plus recherchée qu'une promotion.

Aucun espoir d'amélioration n'existe avant avril 2001, moment auquel les sept stagiaires ayant opté pour le stage court pourront être nommés.

Pour optimaliser la gestion des dossiers, le parquet de Liège est organisé en sept sections spécialisées, à savoir :

— criminalité urbaine;

— grand banditisme et criminalité organisée;

— économique, fiscale et financière;

— civile;

— famille (qui ne s'occupe pas seulement de la protection de la jeunesse, mais aussi de tous les dossiers « moeurs » et coups et blessures intrafamiliaux);

— roulage;

— exécution des peines, libérations conditionnelles et commissions de défense sociale.

La criminalité organisée se développant de plus en plus, dans l'arrondissement de Liège comme ailleurs, il a paru indispensable de mettre en place une section grand banditisme et criminalité organisée chargée de débusquer et de réprimer la grande criminalité.

Au départ, elle comportait un seul substitut, qui était le magistrat de confiance, et s'occupait surtout des techniques particulières de recherche.

Deux autres substituts lui ont été adjoints. Malgré la situation catastrophique du parquet de Liège, il a paru indispensable de maintenir cette section envers et contre tout, compte tenu de l'importance de la matière.

Analyse de l'évolution actuelle de la criminalité

Deux grandes considérations paraissent devoir être faites pour décrire cette situation.

La première est la multiplication des systèmes mafieux dans le secteur de la grande criminalité. Outre la criminalité liée à la mafia italienne toujours présente et centrée sur les hold-up et les trafics de drogue et de voitures, on constate dans l'arrondissement la présence d'un milieu turc puissant au niveau du trafic d'armes, de stupéfiants, et de la traite des êtres humains, notamment dans le domaine des boulangeries turques, et d'un milieu albano-kosovar plus récent qui s'implante dans plusieurs domaines tels que le trafic de drogues, le racket, la traite des êtres humains et le trafic de voitures.

La deuxième considération est le fait que les activités violentes des truands démontrent une véritable escalade dans les moyens utilisés. Les banques, les postes et d'autres institutions publiques ou privées ont renforcé les moyens de protection contre les agressions. Suite à ces efforts des victimes potentielles, les délinquants ont renforcé leur armement et utilisent des moyens techniques très lourds tels que fusils mitrailleurs, blindicides, bazookas, explosifs, etc. (cf. le hold-up où deux chauffeurs de Securitas ont été mitraillés, pour un butin nul).

Une deuxième conséquence de ce renforcement des moyens défensifs de certains établissements aboutit à ce que les candidats aux hold-up refluent vers des cibles moins protégées tels que les facteurs, les commerçants, les grandes surfaces et les particuliers.

Le sentiment d'insécurité de la population en est accru, d'autant que le nombre de ces agressions plus faciles est en augmentation fulgurante (300 % en un an), même si le butin est parfois dérisoire ou nul.

Organisation du parquet en cette matière

La section grand banditisme est composée de trois magistrats (assistés de deux juristes) qui travaillent en parfaite collaboration avec les trois services de police, police judiciaire, BSR de la gendarmerie et les brigades judiciaires des polices communales.

Les trois services de police travaillent en parfaite synergie. Ils sont très souvent réunis au parquet.

Ces magistrats gèrent les dossiers « hold-up », traite des êtres humains, trafic d'armes, trafic de stupéfiants, les dossiers relatifs aux sectes, les trafics de voitures, les trafics d'hormones, le blanchiment d'argent, et ce en collaboration avec le substitut dirigeant la section financière ainsi que tous autres trafics (chèques, rackets, oeuvres d'art).

La compétence de ces magistrats s'apprécie en fonction du caractère grave, violent ou organisé des infractions perpétrées. Si ces critères ne sont pas remplis, on rentre alors dans la section « criminalité urbaine ».

Dans toutes ces matières, il est bien entendu que la tolérance zéro est appliquée dans les dossiers réactifs. Les dossiers de trafics importants sont mis à l'instruction et des mandats d'arrêt sont systématiquement requis.

La tolérance zéro a ainsi eu pour conséquence que les « Hells Angels » (bande de motards criminogène), qui s'étaient installés à Liège et à Seraing, ont quitté la Belgique pour s'installer en Hollande.

Cette tolérance zéro nécessite aussi des liens étroits avec les autorités administratives, qui peuvent prendre des mesures préventives.

Dans le cadre, notamment, des concertations pentagonales (11 à Liège, présidées par l'oratrice), le parquet demande aux bourgmestres d'interdire toutes les manifestations de masse de motards délinquants.

Depuis le 1er avril, un magistrat est chargé plus spécifiquement de la criminalité dans ses ZIP; il doit surveiller les dossiers et voir si l'on applique la politique criminelle voulue.

Méthode de travail

Le parquet travaille en cette matière en parfaite synergie avec les collègues d'autres arrondissements et les magistrats nationaux. Par ailleurs, l'oratrice a mis au point un système de gestion des informations douces commun à tous les services de police.

C'est ainsi qu'elle a négocié avec les services de police un système de centralisation des informations douces qui ne permettent pas à priori de rédiger un procès-verbal, mais sont parfois très utiles pour débusquer des criminels. Un formulaire uniforme sert à toutes les polices pour encoder ces informations au bureau des recherches, au niveau de l'arrondissement, de la gendarmerie et à les répercuter vers les policiers de référence de chaque service de police.

Ce système à l'avantage de permettre à un service qui enquête sur une affaire de vérifier si un autre service dispose d'informations récentes.

Le système est automatique et est surveillé par l'oratrice et le magistrat qui dirige la section grand banditisme.

Il y a également un comité d'accompagnement, composé des divers membres des services de police. Il est notamment chargé de la dynamisation de cette problématique, et de rapporter au procureur tous les incidents qui pourraient surgir.

Ce système fonctionne depuis le 1er janvier 1999 et est utilisé de plus en plus par les services de police.

Au départ, il y a eu des difficultés avec les polices communales, mais actuellement, le système fonctionne bien.

Ce système mis en place à Liège a inspiré la circulaire du collège des procureurs généraux qui a instauré au sein des arrondissements judiciaires le Bureau d'information (BIA) pour les enquêtes réactives et proactives.

Le système d'informations douces fonctionne parfaitement. Au 21 juin 2000, 1 841 informations ont été traitées; il y a 212 élucidations, soit un taux d'élucidation de 11,5 %. Ce taux augmente de mois en mois à cause de la qualité de l'information, du fait que les policiers donnent plus souvent suite aux informations qui leur sont transmises et qui les concernent, et d'un meilleur « retour » de la base vers le BIA.

La plupart des infractions élucidées ont trait à tous les domaines, du plus simple au plus grave : on peut relever une tentative d'extorsion de deux millions de francs, des incendies criminels, des trafics de voitures et de petits deals.

En dehors du système d'informations douces qui fonctionne parfaitement, le bureau précité ne fonctionne à l'heure actuelle dans l'arrondissement qu'au sein de la gendarmerie. En effet, l'oratrice est en pourparlers avec la conférence des bourgmestres pour que ceux-ci désignent des policiers communaux pour que le système fonctionne parfaitement. Le BIA sera opérationnel pour toutes les polices au niveau réactif, d'ici la rentrée judiciaire.

Il est évident que pour combattre la criminalité organisée, on ne peut pas recourir à la seule technique conventionnelle de l'enquête classique.

Il faut aller au-devant de l'événement. C'est ainsi que le recours aux techniques de l'observation, du pseudo-achat, la livraison contrôlée, l'infiltration s'imposent si l'on veut se donner des chances réelles de démanteler des organisations criminelles ou d'empêcher certains faits graves de se produire.

Il serait temps qu'une législation intervienne à cet égard, car il faut parfois couvrir des infractions.

Actuellement, certains parquets hésitent sans doute à recourir à ces techniques, pour éviter des problèmes.

Une autre méthode de travail est la proactivité qui consiste à s'intéresser à des phénomènes ou milieux criminogènes. C'est ainsi que depuis 1997, 17 dossiers proactifs ont été ouverts au sein de l'arrondissement de Liège. Certains de ces projets sont devenus nationaux.

Ces dossiers proactifs ont l'avantage de faire mieux connaître différents milieux et permettent d'ouvrir des enquêtes en connaissance de cause. La méthode privilégiée pour mettre en oeuvre ces techniques particulières ainsi que la proactivité et la coordination d'enquêtes des différents services de police est la plate-forme de concertation.

Dans l'arrondissement de Liège, il y a énormément de plates-formes de concertation policière au niveau du grand banditisme, et le plus souvent, sous l'égide du parquet.

Après les plates-formes, des procès-verbaux sont toujours rédigés et envoyés à tous les participants.

Ces réunions avec les différents services de police ont pour but de faire le point sur les enquêtes, de déterminer les priorites et coordonner les services sur leur action respective.

Ces réunions ont lieu quasi mensuellement en matière de hold-up, de trafics de drogue, et de trafics de voitures. En matière de traite des êtres humains, en dehors de contacts ponctuels, il y a une réunion trimestrielle consacrée exclusivement à ce problème.

Dans l'arrondissement de Liège, le secteur de la traite des êtres humains est d'ailleurs une des priorités actuelles.

L'oratrice souhaite illustrer ici l'application des méthodes dont elle vient de parler. À cet égard, elle a pris des accords avec l'auditeur du travail afin que ses magistrats prennent en charge le fait d'exploitation de main-d'oeuvre frauduleuse dans le secteur horeca et dans les ateliers clandestins, l'office du parquet centrant ses efforts sur la lutte contre l'exploitation sexuelle des êtres humains.

En cette matière, la collaboration avec les services de police sur le terrain est assez poussée au niveau du parquet de Liège. Depuis de nombreuses années, et bien avant l'existence de la circulaire du collège des procureurs généraux concernant la politique de recherche et de poursuites en matière de traite des êtres humains et de pornographie enfantine, des réunions de coordination réunissant les principaux services concernés par la matière étaient et sont toujours organisées au sein du parquet de Liège.

Sont présents à ces réunions :

— les BSR de Seraing et de Liège;

— les brigades judiciaires de police communale de Liège et Seraing;

— la police d'Awans et la police judiciaire.

Le critère, en ce qui concerne les polices communales, est de convoquer celles qui ont une brigade judiciaire.

Ces réunions, auxquelles assiste l'auditeur du travail, ont notamment pour but de faire le point sur l'ensemble des dossiers en cours et de coordonner les actions sur le terrain. C'est ainsi que, lors de ces réunions, la répartition entre les services d'enquête des missions de contrôle des établissements où l'on se livre à la prostitution a été décidée. Cette répartition a d'ailleurs été modifiée suite à la réorientation des actions de la police judiciaire par une circulaire diffusée le 9 novembre 1999 par le parquet de Liège.

Cette circulaire rappelle que la lutte contre la traite des êtres humains est une priorité du parquet et tente à nouveau de sensibiliser tous les services de police à cette problématique.

Un formulaire d'accueil des prostituées provenant de l'étranger et s'inscrivant sur le territoire d'une commune a été mis au point à l'initiative de l'office du parquet, et ce avec la collaboration des services de police.

À cette occasion, le service d'accueil des prostituées remet à celles-ci des informations sur la traite des êtres humains, et les adresses utiles de certains services d'aide.

L'objectif de ce formulaire est de mettre en évidence des indices d'existence de filières de traite des êtres humains. Ces formulaires sont systématiquement transmis aux analystes stratégiques de la gendarmerie.

Des contacts réguliers ont lieu entre le parquet et le Centre pour l'égalité des chances et l'ASBL Surya. Ceux-ci sont tenus informés de l'évolution d'une affaire en cours dans laquelle ils sont intervenus ou sur simple demande de leur part.

Des entrevues ont également déjà eu lieu avec l'ASBL Surya en présence de plaignantes.

L'ASBL Surya, qui a d'importantes difficultés financières, s'est déjà révélée d'une aide précieuse dans le cadre d'enquêtes judiciaires soit comme source de renseignements, soit en raison des contacts privilégiés qu'elle entretient avec les victimes de la traite des êtres humains. Elle mériterait d'être soutenue.

Outre une approche judiciaire classique (réactive), laquelle a permis le démantèlement de plusieurs filières de traite des êtres humains, le parquet de Liège tient à aller au devant de l'événement; c'est ainsi que le recours à la recherche proactive et aux techniques particulières de recherche a été décidé en la matière (observations offensives et défensives).

De même, et en conformité avec la circulaire du collège des procureurs généraux du 3 juin 1999, une analyse stratégique a été décidée par le parquet.

La réalisation de cette analyse stratégique doit passer par le collationnement de données personnelles dès l'accueil des dames se livrant à la prostitution. C'est pourquoi un formulaire d'accueil a été conçu et mis en vigueur sans attendre l'approbation du formulaire uniforme tel que précisé par la circulaire du collège des procureurs généraux.

Un autre domaine où ces méthodes sont à utiliser est la récente criminalité albano-kosovare qui est particulièrement préoccupante. Cette mafia est spécialisée dans la traite des êtres humains, le trafic de drogues, de voitures et le racket.

Dans l'arrondissement, en quelques semaines, 20 mandats d'arrêt ont été décernés pour des faits de trafic de drogues parfois très importants, et 5 pour racket.

L'intervenante envisage de se concerter avec ses collègues de Bruxelles et d'Anvers qui connaissent le même type de criminalité. Le magistrat national a été avisé et une politique efficace de lutte contre cette criminalité particulièrement envahissante et inquiétante sera d'urgence appliquée sur le terrain.

Par ailleurs, on constate de plus en plus souvent que la criminalité organisée a des convergences avec la délinquance financière.

Le but à poursuivre en cette matière est que la section financière ait d'étroits contacts avec la section grand banditisme.

Dans cette perspective, la section grand banditisme doit pouvoir communiquer à la section financière les dossiers qui permettent d'envisager des enquêtes sur le blanchiment d'argent.

Si le moindre indice de blanchiment d'argent existe, la section financière doit constituer un dossier distinct, pour éviter les « dossiers-mammouth » ingérables.

Cependant, cela s'avère impossible à l'heure actuelle au parquet de Liège, dont la section financière est « décapitée », trois substituts fiscaux étant partis.

Il n'y a aucun candidat, car il faut une licence en droit fiscal. De plus, l'un des trois doit parler allemand.

Les personnes répondant à ces conditions se tournent plutôt vers le secteur privé, puisque la fonction au parquet n'est pas valorisée.

Il ne reste plus, à l'heure actuelle, qu'un substitut financier particulièrement surchargé, qui dirige la section.

De plus, il faut des mois pour former un magistrat fiscaliste.

Dès que la situation de la section financière sera améliorée, tous les dossiers grand banditisme seront examinés systématiquement pour voir s'il n'y a pas des indices de blanchiment. En effet, la véritable crainte des délinquants financiers n'est pas tant l'emprisonnement que la privation des avantages patrimoniaux illicites.

Objectifs

Il est évident que la criminalité organisée ne peut se combattre qu'avec un appareil répressif efficace. Il est donc impératif de doter les polices de plusieurs analystes criminels. À l'heure actuelle, il y a trois analystes à la gendarmerie, aucun dans les polices communales et à la police judiciaire.

Il faut également, dans le cadre de la réforme des polices, penser à renforcer les effectifs des enquêteurs spécialisés, que ce soit pour la traite des êtres humains ou la délinquance financière. Il faut en tout cas une police fédérale forte. Il faudrait aussi que, dans ces matières, les OPJ ne soient plus obligés de taper eux-mêmes leurs procès-verbaux : un surcroît de personnel administratif est nécessaire dans les services de police.

En outre, il n'y a pas suffisamment de magistrats nationaux pour coordonner les actions des divers parquets entre eux. Les parquets généraux, quant à eux, ne sont pas sur le terrain. Ils doivent plutot s'occuper de politique criminelle, du contrôle de la qualité, et de la discipline, mais plus de dossiers spécifiques.

Il est donc urgent de mettre sur pied un parquet fédéral qui aurait notamment pour mission de coordonner les enquêtes entre arrondissements, et devrait relever uniquement du ministre de la Justice.

Il devrait étre composé de nombreux magistrats non seulement bilingues, mais aussi flamands et wallons.

Ce serait, de plus, une grave erreur de les centraliser tous à Bruxelles. Certains de ces magistrats fédéraux devraient être affectés dans les cinq grands parquets du Royaume pour relayer les informations du terrain au parquet fédéral, constituer en quelque sorte une antenne sur le terrain de ces magistrats localisés à Bruxelles, et opérer une coordination entre arrondissements.

Pour appréhender correctement le phénomène, il faut être sur le terrain, avoir des contacts constants avec les services de police et les différents parquets d'un ressort.

En matière de criminalité organisée, il est urgent que tout cela soit mis en place.

Par ailleurs, la délinquance financière étant intimement liée au crime organisé et la criminalité en col blanc se mondialisant, il est urgent de doter les parquets de moyens d'actions internationaux rapides et efficaces, de simplifier et de faciliter les enquêtes internationales ainsi que les procédures de commissions rogatoires internationales et d'extradition.

La coopération internationale doit se faire tant au niveau des magistrats du ministère public qu'au niveau des policiers et cela dans la perspective d'aboutir un jour à la création d'un système européen d'enquêtes et à la compatibilité sur le territoire européen des incriminations et des procédures pénales.

La véritable crainte des délinquants financiers n'est plus tant l'emprisonnement que la privation des avantages patrimoniaux illicites. En matière de grande criminalité, il faut donc faciliter et généraliser les peines de confiscations (en nature et/ou par équivalent) ainsi que les saisies (mobilières et immobilières) et les blocages de comptes bancaires en Belgique et à l'étranger.

Comme le crime financier n'hésite jamais à corrompre les administrations utiles à sa progression, l'oratrice insiste sur la nécessité de renforcer la lutte contre la corruption, notamment en mettant sur pied un service fédéral anti-corruption efficace avec accentuation des méthodes proactives. En matière de corruption, les preuves sont difficiles à rapporter.

Il y a lieu aussi de créer une documentation opérationnelle et policière, centralisée sur le plan fédéral. Il est largement temps que les parquets, et tout particulièrement les sections financières, puissent utiliser les ressources informatiques, sources évidentes d'informations en la matière. (En effet, le pouvoir c'est l'information).

Actuellement, le parquet ne peut avoir accès, par exemple, à des informations sur d'éventuelles instructions ou procédures pendantes dans d'autres arrondissements à charge d'une personne déterminée.

L'appareil répressif ne sera réellement efficace que si le parquet est à même de tenir son rôle, à l'aube de la réforme des polices.

Pour ce faire, il faut absolument compléter les cadres des parquets, voire même renforcer ceux-ci vu la montée exponentielle de la grande criminalité. Les dossiers en cette matière requièrent beaucoup d'attention, de prudence et de travail pour être traités convenablement.

2.3.2. Discussion

Un membre observe qu'un effort est nécessaire pour augmenter le cadre des parquets, et que la création du parquet fédéral s'impose d'urgence.

Il apparaît également que la criminalité organisée exerce une influence de plus en plus grande, et recourt à des moyens de plus en plus violents.

L'inefficacité de l'Office des étrangers pose également problème, comme la commission d'enquête a dû le constater (cf. l'utilisation de visas touristiques ...).

Un membre demande si les rackets qui ont eu lieu à Liège visent essentiellement de petits magasins, des chaînes de magasins ou des entreprises industrielles.

Mme Bourguignont répond que ce sont plutôt des petits magasins ou des cafés du centre-ville qui sont visés.

Le même membre déclare qu'en ce qui concerne le trafic de voitures, la commission d'enquête a appris que Charleroi jouerait un rôle important en la matière, surtout en fin de processus, pour la réintroduction sur le marché des véhicules volés.

Y a-t-il une collaboration structurelle entre les parquets de Liège et Charleroi en la matière, ou la collaboration est-elle seulement ponctuelle ?

Mne Bourguignont répond que la collaboration se fait par le BCR et le magistrat national.

Beaucoup plus de contacts devraient avoir lieu entre les parquets concernés par un même type de criminalité (par exemple : Bruxelles — Liège — Anvers — Gand — Charleroi, pour la grande criminalité). Ils devraient être organisés au plus haut niveau. À l'heure actuelle, seul le collège des procureurs généraux pourrait le faire.

Un membre demande si le conseil des procureurs du Roi présente une utilité à cet égard.

Mme Bourguignont répond que ce conseil permet de mieux se connaître, mais on y traite plutôt de problèmes généraux des parquets, des projets de loi en gestation, etc. Ce n'est pas le lieu pour discuter de dossiers spécifiques, d'autant qu'il regroupe 27 procureurs, représentant des arrondissements qui ne sont pas nécessairement comparables sur le plan de la criminalité.

La précédente intervenante demande si les polices communales créent, de leur propre initiative, une brigade judiciaire.

Mme Bourguignont répond que c'est le bourgmestre qui dirige la police, et qui la gère comme il l'entend. Dans de petites communes, une brigade judiciaire ne s'impose pas. Là où elles sont nécessaires, de telles brigades existent.

Le même membre demande encore quelles seraient les tâches que l'on pourrait enlever aux parquets pour leur permettre de se consacrer à leurs tâches « naturelles », c'est-à-dire correctionnelles.

Mme Bourguignont répond que l'on pourrait leur soustraire les tâches de nature civile.

Le parquet doit essentiellement poursuivre les délinquants et veiller à la sécurité publique.

Une modernisation de la justice s'impose.

À cet égard, la commission Dutroux a eu un impact positif, car elle a contribué à responsabiliser une série de magistrats, qui travaillaient plutôt comme des fonctionnaires. Mais cette commission a aussi eu un certain effet pervers. En effet, elle a mis en avant certains magistrats du ministère public, ce qui a dissuadé certains candidats potentiels à ce type de fonction.

Un membre demande comment la situation a évolué à Liège, du point de vue des stupéfiants, compte tenu de la proximité de Maestricht.

Mme Bourguignont répond que les simples détenteurs ne sont plus poursuivis (cf. une circulaire des procureurs généraux).

Par ailleurs, le fait que les Pays-Bas sont beaucoup plus laxistes que la Belgique en cette matière pose problème sur le plan de la collaboration.

Le précédent intervenant rappelle que l'on a entendu dire que la mafia italienne reculait devant la progression de la justice, en Italie et dans certaines régions d'Europe, dont celle de Liège.

Mme Bourguignont répond qu'en Belgique, cette maffia est bien implantée, notamment dans l'arrondissement de Liège, où elle est très préoccupante.

La proactivité a donné lieu à l'extradition de nombreuses personnes vers l'Italie, qui les recherchait.

Des commissions rogatoires ont été envoyées en Italie. Des repentis ont parlé.

Une nouvelle commission rogatoire, qui devrait être déterminante, partira bientôt.

Un membre demande si les jeux de hasard se développent également dans le ressort du parquet de Liège. Le procureur général de Liège est plus spécialement chargé de cette matière.

Mme Bourguignont répond qu'à travers des dossiers réactifs, il apparaît que des jeux clandestins existent à Liège, à des endroits qui ne sont pas encore connus. En matière de jeu, il y a également des réunions de coordination, et des cibles seront déterminées prochainement. Il est certain qu'il existe des tripots clandestins, qui peuvent être reliés à des personnes évoluant dans le milieu du grand banditisme. Ce secteur est donc aussi surveillé par les substituts qui traitent cette dernière matière, et qui devraient d'ailleurs être plus nombreux.

Le professeur Vandeplas demande si les juges d'instruction liégeois sont aussi surchargés que les magistrats du parquet.

Mme Bourguignont répond qu'ils le disent, mais que les deux situations ne sont pas comparables.

Le précédent intervenant demande si, entre les substituts chargés du grand banditisme et le parquet général, il y a des contacts réguliers. Y a-t-il des directives ? Les nombreuses initiatives du parquet sont-elles soutenues par le parquet général ?

Mme Bourguignont répond qu'il n'y a pas de contacts particuliers en matière de grand banditisme. Le parquet général est trop éloigné de la réalité de terrain.

De temps à autre, il y a une réunion au parquet général pour l'attribution d'une affaire concernant plusieurs arrondissements. La solution est la création d'un parquet fédéral.

Le professeur Vandeplas demande si la procureur a d'autres suggestions à faire en matière législative, outre celle relative à une législation en matière de techniques spéciales de recherche.

Mme Bourguignont cite le délai de 48 heures, comme il existe en France, car dans les affaires très importantes, le délai de 24 heures est trop court pour mettre le dossier en état.

Cette réforme suscitera certainement des oppositions, mais elle devrait être envisagée à tout le moins dans certaines matières.

En réponse à un autre membre, la procureur précise que la procédure accélérée a été utilisée une seule fois avec succès, pour un cas de hooliganisme, où la détention s'imposait et où, par conséquent, la procédure de comparution sur procès-verbal n'était pas indiquée.

La procédure accélérée est une arme comme une autre à la disposition des parquets, arme qui peut être efficace pour la petite délinquance urbaine, même si elle ne constitue pas la panacée.

2.4. CHARLEROI (14)

2.4.1. Exposé de M. Marchandise, procureur du Roi près le tribunal de première instance de Charleroi

M. Marchandise déclare qu'en ce qui concerne tout d'abord la traite des êtres humains, l'arrondissement de Charleroi est peut-être plus protégé que les autres grandes villes.

Il y a peu de prostitution sous contrainte, et l'arrondissement est relativement protégé du milieu albanais, qui est le plus dangereux en matière de traite des êtres humains.

Quant au secteur du trafic de véhicules, on sait, depuis les travaux de la commission « Dutroux », qu'il s'agit d'un secteur délicat dans la région de Charleroi.

Comme indiqué dans le plan d'action, les recommandations de la commission d'enquête parlementaire ont été mises en oeuvre.

Un travail de nouvelle approche méthodologique a été fait par rapport à cette délinquance. Il reste à prévoir des moyens policiers adaptés à cette nouvelle méthodologie.

Malgré l'envoi des documents au ministre de la Justice, au ministre de l'Intérieur, et au commandement de la gendarmerie, on attend toujours ces moyens.

C'est surtout du côté de la gendarmerie que devaient venir des renforts en matière policière.

Un troisième secteur, où l'arrondissement de Charleroi est gravement handicapé, est celui des vols à main armée (hold-up, attaques sur fourgons, ...).

Environ un tiers des personnes que l'on retrouve le plus souvent dans les vols à main armée habitent l'arrondissement de Charleroi, ce qui devrait entraîner, sur le plan policier, une adaptation des effectifs qui n'a pas encore été réalisée, bien qu'elle ait été demandée depuis un certain temps déjà.

En ce qui concerne le secteur des trafics d'armes, on assiste à une expansion du marché illicite des armes.

La facilité avec laquelle le milieu, notamment celui des hold-up et vols à main armée, parvient à obtenir des armes de plus en plus lourdes — voire même des armes de guerre — est inquiétante.

Quant à la criminalité en col blanc, il s'agit de l'approche la plus efficace en matière de grande criminalité, parce que la meilleure façon de toucher le milieu concerné est de s'attaquer à son patrimoine et ses revenus.

M. Doraene, qui vient de l'OCDEFO (Office central de la lutte contre la délinquance économique et financière organisée), qui connaît bien le milieu de la criminalité financière, et qui est particulièrement performant, prend maintenant la tête de la brigade de police judiciaire.

Dans le rapport annuel de la CTIF (Cellule de traitement des informations financières), on constate que le secteur bancaire de Charleroi dénonce moins d'affaires que d'autres grands arrondissements (par exemple : à Anvers, 700 affaires dénoncées en 6 ans, contre 53 à Charleroi).

Avec le commissaire en chef, l'Association belge des banques et la CTIF, on va tenter d'orgarniser une réunion à Charleroi pour expliquer au milieu bancaire l'importance des dénonciations, notamment dans les affaires de blanchiment, qui constituent une des voies principales de lutte contre la criminalité organisée.

En ce qui concerne le trafic des stupéfiants, la situation est en train d'évoluer : il semble que ce trafic soit en diminution dans la région de Charleroi, et que la stratégie mise en place soit donc relativement efficace.

Le ministre De Clerck avait décidé de mettre en place à Charleroi une plate-forme de recherche de l'arrondissement, qui rassemble le procureur du Roi et les responsables des grands services de police.

Dans la mesure où il est difficile d'y traiter de dossiers concrets, des sous-plates-formes thématiques ont été créées, qui recoupent les priorités de politique criminelle du parquet de Charleroi, et regroupent le magistrat du parquet qui gère la problématique et les responsables de police qui la traitent.

Parmi les cinq sous-plates-formes, quatre concernent le grand banditisme (traite des êtres humains, trafic de voitures, trafic de stupéfiants, grand banditisme). La cinquième concerne la délinquance urbaine.

On a également mis en place, à Charleroi, des synergies entre les policiers généraux (le plus souvent la BSR) et la police financière (la police judiciaire).

L'évolution des choses et la réforme des polices aboutissent aujourd'hui à ce que la BSR travaille sur les aspects plus policiers, et la police judiciaire davantage sur les aspects de blanchiment, et à ce qu'une collaboration s'installe en ce sens.

Une autre initiative prise à Charleroi concerne la gestion des informations douces (informations qui ne peuvent pas encore faire l'objet de PV parce qu'elles ne sont pas suffisamment établies, ou qu'elles « gravitent » autour d'une infraction).

Pour que cette gestion soit efficace et plus rapide, un magistrat assiste chaque semaine à une réunion où l'on passe en revue toutes les informations douces. Soit on leur assure un traitement immédiat sur le plan judiciaire, soit on décide de les garder sur le plan policier, de les transformer en PV, ...

Ce magistrat répartit également ces informations entre les différentes sections du parquet.

En matière financière, le président du tribunal a finalement décidé, à la demande du parquet, de spécialiser à cette seule fin un juge d'instruction et un président de chambre correctionnelle.

Enfin, quelques initiatives législatives devraient être envisagées.

À cet égard, on se référera tout d'abord au document communiqué par M. le procureur Dejemeppe.

En outre, une réforme de la législation sur les écoutes téléphoniques pourrait intervenir sur le plan technique. Comme le suggère le projet 32 du plan de sécurité du ministre de la Justice, on pourrait imposer la collaboration avec les sociétés privées.

Sur le plan juridique, la loi sur les écoutes téléphoniques impose la mise à l'instruction d'un dossier si l'on veut pratiquer une écoute téléphonique. Peut-être pourrait-on imaginer un système plus souple, où une mini-instruction, qui offre les mêmes garanties d'intervention d'un juge d'instruction, suffit.

Une troisième suggestion concerne la suppression des limitations horaires pour les perquisitions. La Belgique est sans doute l'un des derniers pays à connaître de telles limitations. On peut évidemment prévoir des filtres, et exiger que l'urgence soit avérée pour effectuer une perquisition durant la nuit.

En ce qui concerne la problématique des repentis, le modèle italien a permis de porter un coup sérieux à la maffia.

Un tel système pourrait ouvrir des perspectives dans notre pays, pour des dossiers tels que celui des tueries du Brabant wallon.

Un autre point concerne le statut et la protection du témoin anonyme.

On constate en effet que la crainte de témoigner augmente, surtout dans les matières qui touchent à la criminalité orgarnisée.

Des garanties peuvent être envisagées, puisque ce type de témoignage pose évidemment des problèmes en matière de droits de la défense.

On pourrait par exemple imaginer que l'identité du témoin soit connue du procureur du Roi, afin que celui-ci vérifie sa crédibilité.

Un membre souligne que cette solution paraît conforme à la jurisprudence et correspond au système hollandais accepté par la Cour européenne des droits de l'homme.

Le procureur Marchandise poursuit en indiquant qu'il est par ailleurs question de légiférer en ce qui concerne les techniques policières particulières. Parmi celles-ci figure notamment la technique de la provocation, qui est régulièrement utilisée aux États-Unis.

Si elle est utilisée dans des conditions strictes, cette technique peut s'avérer utile face à la grande criminalité, notamment lorsque le milieu cherche des marchés.

En matière d'armes, il existe un projet ministériel de généralisation du principe de l'autorisation pour toutes les armes (projet 26 du ministre de la Justice).

Il est aussi envisagé de renforcer le marquage et la traçabilité des armes.

Grâce aux techniques modernes dont on dispose, et notamment au laser, il devrait être possible de marquer les armes de façon indélébile.

Une réflexion analogue vaut pour les numéros de châssis et de moteur des voitures.

En matière d'armes, il existe un projet-pilote pour le ressort de la cour d'appel de Mons avec l'INCC.

Pour chaque arme intervenant dans un dossier judiciaire, on procède à une description signalétique à l'INCC. Même si un expert privé intervient dans une mission judiciaire, cet expert a l'obligation d'encoder les données techniques de l'arme et de transmettre ces renseignements à l'INCC, ce qui permet des recoupements.

L'idéal serait cependant de créer une banque nationale de données balistiques.

En conclusion, la question des moyens est une question récurrente, mais à Charleroi, elle reste une réalité, spécialement en matière de trafic de voitures et de targetting.

Des moyens policiers adaptés sont indispensables, mais ils ne viennent pas.

Enfin, on a pris l'initiative, à Charleroi, de rencontrer le monde politique.

Les parlementaires des partis démocratiques ont été invités à venir rencontrer les chefs de corps du tribunal de première instance, du tribunal de commerce et du tribunal du travail, du parquet et de l'auditorat.

Cette rencontre s'est avérée fort intéressante. Elle a permis au monde politique local de constater les difficultés existantes et de voir quelles initiatives ont été prises.

Peut-être une rencontre similaire avec les commissions de la Justice de la Chambre et du Sénat serait-elle utile.

2.4.2. Discussion

Un membre rappelle que le rapport de la commission Dutroux avait mis en lumière le fait que l'arrondissement de Charleroi était une région particulièrement sensible en ce qui concerne les vols de voitures et le recyclage des véhicules volés.

Il résulte de l'exposé du procureur du Roi qu'une méthodologie a été mise au point pour appréhender le phénomène, mais que sa mise en oeuvre sur le terrain se fait attendre notamment en raison d'un manque de policiers spécialement formés à cet effet.

L'intervenant espère qu'il sera rapidement porté remède à cette situation.

Le problème des armes a également été évoqué. On sait que, spécialement en matière de grande criminalité, les criminels doivent nécessairement se fournir en armes et en véhicules.

Est-il exact que la Belgique est handicapée, en matière de lutte contre le trafic d'armes, par le fait qu'une directive européenne réglant le commerce intracommunautaire d'armes légères n'a pas encore été transposée en droit belge ?

Le parquet rencontre-t-il des difficultés dans les enquêtes ou dans la politique de poursuites en matière de trafic d'armes, en raison de cette situation ?

Par ailleurs, il résulte de précédentes auditions que la criminalité organisée semble investir de plus en plus le secteur immobilier.

Existe-t-il dans l'arrondissement de Charleroi un programme spécifique en la matière ?

Enfin, dans le rapport 1997 de Mme Liekendael, il était question d'enquêtes disciplinaires initiées à charge de différents magistrats.

Où en sont ces enquêtes à l'heure actuelle ?

La question n'est pas sans importance, étant donné que Charleroi avait été présenté comme un secteur où certains estompements de la norme, voire de la corruption, pourraient exister chez certains policiers et éventuellement certains magistrats.

M. Marchandise confirme qu'en matière de trafic de voitures, il manque de moyens pour mettre en oeuvre les programmes qui ont été préparés. Il a été décidé d'ouvrir un nouveau dossier suivant la nouvelle méthodologie pratiquée, pour éprouver celle-ci, mais on ne peut le faire de façon systématique.

Par ailleurs, si l'on demande aux commandants de districts de la gendarmerie d'affecter des moyens à cette nouvelle méthodologie, leur question sera aussitôt de savoir dans quel autre secteur les effectifs pourront par conséquent être réduits.

Or, une telle réduction est fort difficile, si l'on considère les cinq priorités du parquet de Charleroi.

En ce qui concerne les armes, on est effectivement fort handicapé, dans les poursuites en matière de trafic d'armes, par la non-transposition en droit belge de la directive européenne. En la matière, un travail d'analyse criminelle serait très utile.

Il résulte d'informations douces que certains armuriers jouent le rôle de plaque tournante en matière de trafic d'armes. En Belgique, plus de 1 million d'armes sont officiellement répertoriées, mais on sait qu'il existe en fait plus de 2 millions d'armes légères, ce qui suppose nécessairement une complicité du secteur des armureries.

Il est également exact que la maffia italienne est implantée à Charleroi, et qu'elle s'installe dans le secteur immobilier.

En réponse à ce phénomène, on envisage des programmes en matière de blanchiment.

Enfin, la question des enquêtes disciplinaires à l'encontre de certains magistrats s'adresse plutôt au ministre de la Justice.

Sur le plan de l'estompement de la norme, il y a eu deux procédures, mais celles-ci concernent des juges assis. L'une a abouti à un classement sans suite. L'autre a abouti à une suspension du prononcé devant la Cour. Ce dossier était peut-être le plus clair en matière d'estompement de la norme, puisque des contacts avec une personne du milieu avaient eu lieu.

Pour le reste, et contrairement à ce que l'on a pu dire à une certaine époque, le procureur n'a jamais constaté d'estompement de la norme dans l'arrondissement de Charleroi.

Un membre demande quel est actuellement le cadre des magistrats du parquet et du siège à Charleroi.

Elle s'étonne par ailleurs de la déclaration selon laquelle le trafic de stupéfiants y serait en régression. Quelles sont les raisons de cette régression ? Des actions spécifiques ont-elles été entreprises ? Une priorité a-t-elle été accordée à cette matière ?

Le procureur a également déclaré que la délinquance urbaine était l'une de ses priorités. Mais tout n'est-il pas dans tout, et cette « petite » délinquance n'offre-t-elle pas des pistes sur la criminalité organisée ? Quels sont ses projets spécifiques en matière de délinquance urbaine ?

Celle-ci constitue en effet une préoccupation de la population, qui interpelle fréquemment les hommes politiques sur le sujet.

M. Marchandise répond, en ce qui concerne le cadre des magistrats à Charleroi, qu'il se compose en théorie de 34 magistrats. Il y a cependant cinq places vacantes, trois malades de longue durée, et un membre du parquet détaché au cabinet.

Une nomination est par ailleurs intervenue, et il y a deux candidatures pour les places vacantes, qui pourraient ainsi, le cas échéant, être ramenées à trois.

En ce qui concerne les stupéfiants, la diminution concerne davantage la consommation et le petit deal de rue, comme si le phénomène de société des stupéfiants était déjà quelque peu dépassé. Il semble y avoir un essai de stabilisation du marché et de la consommation.

Le problème suivant, dans lequel on se trouve déjà engagé, est celui de la violence.

Il est vrai qu'un certain nombre d'actions ont été mises en place, en ce qui concerne les consommateurs, de partenariat avec le réseau social et les contrats de sécurité de la ville de Charleroi.

La politique menée à l'égard des consommateurs, qui se situe dans la ligne de la philosophie de la directive ministérielle, est de considérer l'intervention pénale comme un dernier recours.

Quant à la délinquance urbaine, Charleroi a été le premier parquet à disposer d'une section spécifique en la matière.

Les liens avec la grande criminalité existent dans une certaine mesure, par le biais de l'insécurité.

L'insécurité urbaine vient de deux phénomènes :

— la grande criminalité (vols avec violence, hold-up, car- et home-jacking, hold-up dans le secteur de la distribution, ...).

En ce qui concerne les hold-up, des projets ont été mis en place par la gendarmerie avec, notamment, le secteur bancaire. Le projet consiste en fait en l'échange d'informations (la gendarmerie fournit des informations sur les techniques qu'utilisent les délinquants, et le secteur bancaire sur les constatations que les banques ont pu faire). Dans le secteur de la grande distribution, ces contacts sont plus difficiles parce que la Fedis est structurée de façon plus lâche que le milieu bancaire;

— la petite délinquance (vols à l'arraché, cambriolages, vols de voiture, agressions dans les bus).

On reçoit le secteur concerné. Ainsi, pour les TEC, les délégués syndicaux et la direction ont été reçus, ce qui a permis de les informer du suivi réservé à diverses plaintes.

Cependant, la réponse au problème de l'insécurité dans les grandes villes n'est pas seulement judiciaire (cf. les initiatives prises par M. Picqué en la matière).

Il y a aussi des problèmes ponctuels d'insécurité. Pour l'Euro 2000, 7 500 gendarmes et policiers ont été mobilisés. On a constaté que, pendant cette période, certains types de délinquance avaient diminué.

On a cru que la délinquance allait émigrer vers la périphérie, et les commissariats de police ont par conséquent renforcé la présence policière à cet endroit. La délinquance a alors diminué.

S'agit-il dès lors là de la solution ?

Cela ne paraît pas réaliste, car cela supposerait des effectifs dont on ne dispose pas, mais il s'agit peut-être, néanmoins, d'une réponse partielle, car on est sans doute arrivé à une présence policière insuffisante, qui suscite des difficultés.

Un membre demande quels sont les liens entre le parquet de Charleroi et l'administration fiscale. Il a beaucoup été question de criminalité organisée et financière, ainsi que du nécessaire blanchiment des revenus issus de la criminalité classique.

Les investigations de l'administration fiscale peuvent être un très bon indicateur d'un argent acquis frauduleusement ou de façon criminelle.

En commission des Finances de la Chambre, un représentant de l'ISI a déclaré, voici quelques semaines, qu'au dessous de 100 millions de fraude, on ne dépose plus plainte au parquet.

Cela se vérifie-t-il sur le terrain, ou y a-t-il un échange de services entre des services comme l'ISI et les services du parquet de façon à détecter, derrière des fraudes strictement fiscales, le signe d'une activité criminelle, organisée ou non ?

Le même intervenant demande ce qu'il en est du recours aux peines alternatives dans l'arrondissement de Charleroi. Le recours à ces peines suppose des moyens adéquats et spécialisés, notamment pour ce qui est de l'organisation de leur suivi.

À Liège, où ces peines sont appliquées, cela semble jusqu'ici donner de bons résultats et faire diminuer le taux de récidive.

M. Marchandise répond que, en ce qui concerne les relations entre le parquet et l'administration fiscale, l'un des premiers effets de l'arrivée de M. Doraene a été, à son initiative, l'organisation d'une matinée de travail entre le parquet et l'administration fiscale.

Tous les responsables de l'ISI y étaient invités, de même que le substitut fiscal, le procureur, le commissaire en chef de la police judiciaire, et des représentants de I'OCDEFO.

À cette occasion, l'ISI a effectivement confirmé que sa politique actuelle était de travailler sur les gros dossiers, ce qui n'est pas nécessairement injustifié si l'on considère le temps et l'énergie consacrés dans le passé à des affaires mineures.

En ce qui concerne le blanchiment, le parquet a appris récemment que l'on avait voulu faire un dépôt de plusieurs milliards dans une agence de banque. Le guichetier ayant refusé, le gérant de l'agence a été appelé et a lui aussi refusé.

Le milieu bancaire a donc été « trop prudent » en l'occurrence, puisqu'il aurait pu accepter le dépôt, puis faire une dénonciation à la CTIF.

Ce type d'affaires mérite que l'on s'y attarde davantage qu'à une infraction où, par exemple, l'on aurait utilisé du diesel de chauffage pour une voiture.

En ce qui concerne le recours aux peines alternatives, le procureur déclare qu'il vient d'écrire au ministre de la Justice, à l'occasion de son interview dans la Libre Belgique — où il déclarait que l'on ne recourait presque pas à la procédure accélérée, sauf à Bruxelles — pour lui signaler qu'à Charleroi, il y a trois audiences par mois de procédure accélérée.

Or, cette procédure aboutit souvent à des travaux d'intérêt général (300 à 400 heures par audience), et le travail social mis en place a pour conséquence que lors d'une seconde comparution, les intéressés ont souvent évolué; même pour une délinquance de gravité moyenne, ce type de procédure donne de bien meilleurs résultats que la procédure classique.

Un membre observe que l'une des initiatives législatives recommandées par le procureur concerne les écoutes téléphoniques. Or, le milieu criminel anticipe souvent les réactions législatives, et aura sans doute de plus en plus recours aux nouvelles technologies, et notamment aux téléphones mobiles.

Une autre initiative législative suggérée concerne les témoignages anonymes. L'intervenante croit savoir que le ministre y travaille et demande où l'on en est.

Enfin, elle aimerait savoir de façon plus précise en quoi consiste la technique de la provocation.

M. Marchandise répond qu'effectivement, le législateur accuse toujours un retard technologique par rapport au milieu criminel.

Le plan de sécurité du ministre semble vouloir travailler sur le plan technique.

En ce qui concerne les GSM, certaines possibilités d'écoutes téléphoniques existent déjà.

En ce qui concerne les témoignages anonymes, le ministre souligne que le projet de loi en la matière figure parmi les priorités, aux termes du plan de sécurité.

La question était de savoir si l'on allait traiter cette matière en même temps que celles des repentis.

On a finalement décidé de traiter par priorité le problème des témoignages anonymes.

Le projet est prêt; il a déjà été discuté en Conseil des ministres, où une seconde discussion aura lieu ce 20 juillet.

En ce qui concerne les communications téléphoniques, l'intention est bien de permettre l'interception de toute forme de télécommunication :

— écoute directe par microphone;

— ligne téléphonique classique;

— GSM identifiable : il faut procéder par zone, car on ne peut travailler au plan national; on dépend des différents opérateurs. Cela pose surtout des problèmes pour les demandes internationales d'entraide judiciaire;

— GSM non identifiable (fonctionnant par carte prépayée) : dans le groupe de travail « télécommunications » du cabinet, on examine le système français (où l'on essaie de travailler par le biais des cartes d'identité) et le système hollandais (où l'on travaille sur la base d'une liste des GSM de ce type, disponible chez les revendeurs).

On a opté pour une approche globale du système, par la création d'une unité globale d'interception technique en Belgique, par laquelle tous les opérateurs devront passer. L'écoute sera réalisée dans les différents arrondissements par le service de police concerné.

Ce système a été approuvé, en ce qui concerne tant sa forme que le budget qui s'y rapporte. Cela représente un premier investissement de 200 millions.

Quant à l'arrêté royal en préparation, il est actuellement soumis pour avis à la Commission pour la protection de la vie privée. Il devra ensuite être examiné par le Conseil d'État, puis par le Conseil des ministres.

On tente donc d'avancer en cette matière, qui est fort importante pour les magistrats et les services de police.

En ce qui concerne les techniques particulières, M. Marchandise rappelle qu'elles sont actuellement réglées par circulaire, et qu'un projet de loi est en préparation. Mais il n'est sans doute pas aisé de légiférer en la matière.

M. Vandeplas pose les trois questions suivantes :

1. Quel rôle joue le magistrat national en matière de criminalité organisée, dans l'arrondissement de Charleroi ?

2. Au parquet général de Mons, y a-t-il un magistrat spécialement désigné pour suivre cette matière ?

3. la collaboration avec le parquet général en matière de criminalité organisée joue-t-elle un rôle sur le plan pratique pour le parquet de Charleroi ?

M. Marchandise répond comme suit :

1. les rapports avec les magistrats nationaux sont excellents, mais ceux-ci jouent davantage le rôle d'officiers de liaison que d'appui car, en général, les informations vont plutôt du parquet d'instance vers le magistrat national que l'inverse;

2. à sa connaissance, il n'y a pas, au parquet de Mons, de magistrat chargé spécifiquement de suivre la criminalité organisée;

3. de façon générale, et par la force des choses, les parquets généraux sont assez éloignés des réalités de terrain.

Ce sont surtout les parquets d'instance qui apportent la matière lors des discussions. Cependant, les parquets généraux ont de l'importance, car ils apportent un autre regard.

Un membre observe en conclusion que les constatations faites à propos d'autres rapports sont également valables ici.

Les mêmes points délicats apparaissent, de façon générale.

D'autre part, l'observation et l'enregistrement des problèmes ont atteint un plus haut degré de précision qu'il y a trois ou quatre ans, où l'on ne s'occupait de la criminalité organisée que de façon incidente.

Cependant, par manque de moyens législatifs et opérationnels, on n'en est encore qu'à la pointe de l'iceberg.

Le livre récemment publié par Eva Joly, juge d'instruction français, est fort intéressant à cet égard, car il montre à quels problèmes concrets et structurels se heurte le pouvoir judiciaire, lorsqu'il tente d'appréhender des phénomènes très dommageables pour la société.

L'intervenant souligne à cet égard la nécessité et l'urgence de concrétiser enfin la création du parquet fédéral.

2.5. GAND (15)

2.5.1. Exposé de M. Soenen, procureur du Roi près le tribunal de première instance de Gand

A. Aperçu des phénomènes criminels les plus menaçants dans l'arrondissement de Gand

1. Cambriolage d'habitations

Un des terrains d'action les plus importants de la criminalité organisée dans l'arrondissement de Gand est le cambriolage des habitations. Dans certaines zones et quartiers, il constitue un véritable fléau. Le parquet a dès lors fait de la lutte contre ce fléau une priorité.

Premièrement, un projet permettant d'utiliser fréquemment la méthode de dépistage ADN est en cours d'application. Dès que l'on trouve, sur le lieu d'un délit, des traces d'ADN susceptibles de conduire à l'arrestation d'un suspect, on les envoie pour analyse à un laboratoire spécialisé de l'Université de Gand (professeur Van den Eeckhout), où les résultats de l'examen sont conservés dans une banque de données. On peut ainsi les comparer aux traces d'ADN à l'occasion de nouveaux méfaits, même commis en dehors de l'arrondissement. La méthode a déjà permis d'identifier certains auteurs ou groupes d'auteurs.

Deuxièmement, les services de police contrôlent régulièrement des véhicules la nuit, dans l'espoir d'intercepter les voleurs et leur butin sur le chemin du retour.

Une troisième méthode consiste à tirer parti des communications téléphoniques recensées. Après des cambriolages, en effet, on constate souvent une intensification des appels par GSM. La police s'efforce donc, grâce aux antennes de téléphonie mobile situées à proximité des habitations cambriolées, de déterminer l'origine et la destination des appels. Cette méthode a déjà porté ses fruits elle aussi. Il est à noter à cet égard que, lorsque la police parvient à pénétrer jusqu'au coeur de ces réseaux, originaires pour la plupart d'Europe de l'Est, la piste conduit souvent en Région bruxelloise.

2. Vol de voitures

Un deuxième phénomène qui retient l'attention est le vol de voitures qui sont ensuite « traitées » par des revendeurs de véhicules d'occasion, c'est-à-dire « maquillées » et écoulées frauduleusement.

3. Drogues

La cible principale est la mafia turque de l'héroïne, qui est particulièrement active dans la ville de Gand.

4. Bandes de motards

La bande des motards « Hell's Angels » a longtemps été une source importante de tracas. Un arrêt a été rendu dans cette matière.

Entre-temps, des bandes de motards ont fait leur apparition aussi dans d'autres arrondissements, celui de Malines par exemple. C'est une satisfaction pour les services de police et le parquet de Gand de constater que les efforts qu'ils ont consentis n'ont pas été vains et qu'ils peuvent faire partager leur expertise par les services de recherche de ces autres arrondissements.

5. Hormones

Un cinquième créneau de la criminalité est celui des hormones. La lutte contre la mafia des hormones est moins intense à l'heure actuelle parce qu'il y a d'autres priorités.

6. Délinquance financière et fiscale

La lutte contre la délinquance financière et fiscale à Gand est aussi une priorité importante. Le parquet de Gand a instruit récemment plusieurs dossiers graves.

B. Problèmes liés à la criminalié organisée

1. Incidents de procédure

Un problème particulier, auquel on a déjà fait allusion, est la tendance qu'a la défense à soulever systématiquement des incidents de procédure à l'encontre des fonctionnaires de police, principalement les membres de la BSR, qui sont chargés d'enquêter sur les dossiers de grande criminalité.

C'est ainsi qu'à la suite d'une constitution de partie civile, une enquête judiciaire a été ouverte à l'encontre de quatre gendarmes pour faux en écriture. Un procès-verbal rédigé par eux en septembre 1999 dans le cadre de leur enquête sur une importante affaire est en effet datée du mois d'avril 1999. Ils auraient par conséquent falsifié la date.

M. Soenen déclare que cela s'explique par la manière de travailler de la BSR. Lorque, dans une affaire importante, on rédige un procès-verbal au traitement de texte, on reprend du procès-verbal précédent, par la fonction de copie, la page de garde qui contient toujours les mêmes données. Dans le cas en question, les rédacteurs du procès-verbal ont toutefois oublié de remplacer la date du document antérieur par une nouvelle date. Il s'agit par conséquent d'une erreur technique, purement matérielle, dont la défense s'est saisie pour se porter partie civile devant le juge d'instruction. Ce dernier a désigné un expert pour vérifier s'il y a eu faux en écriture. Il a en outre ordonné une perquisition des locaux de la BSR. Heureusement, les fonctionnaires de police qui en étaient chargés se sont limités à saisir le procès-verbal en question.

Il est indéniable qu'actuellement, dans l'arrondissement judiciaire de Gand, on intente à tour de bras des procédures judiciaires contre des enquêteurs. Par cette tactique, la défense tente de miner la confiance des enquêteurs et de saper leur moral, même s'ils se savent innocents et qu'ils sont soutenus par le procureur.

Quant aux perquisitions dans les bureaux des services de recherche, elles sont liées à un autre problème, à savoir celui des rapports confidentiels.

2. Rapports confidentiels

M. Soenen estime qu'il faut prendre une initiative pour protéger le caractère confidentiel de ces rapports. Pour l'instant, il existe une circulaire ministérielle en la matière, mais, comme on le verra ci-après, la procédure prévue n'est pas satisfaisante.

Lorsqu'un juge d'instruction ordonne que des perquisitions aient lieu dans un service de police, ce dernier, s'il s'y oppose, doit refuser et prévenir immédiatement le procureur du Roi qui, s'il s'y oppose également, peut intenter un recours devant la chambre des mises en accusation. Cependant, cette procédure n'est pas praticable. En effet, le service de police ne saurait continuer à refuser l'accès au juge d'instruction qui se présente avec son mandat de perquisition, jusqu'à ce que la procédure susvisée soit terminée.

En outre, il n'est pas exclu que la chambre des mises en accusation rejette le recours du procureur du Roi et autorise la perquisition. Des rapports confidentiels, ainsi que l'identité de témoins anonymes et d'informateurs, risquent alors de devenir publics.

2.5.2. Discussion

1. Abus de procédure

En ce qui concerne la manoeuvre de la défense consistant à se constituer partie civile pour éloigner de l'enquête certains enquêteurs, un membre fait observer que ceux-ci peuvent contrer cette manoeuvre en déposant plainte pour dénonciation calomnieuse.

M. Soenen répond que deux gendarmes ont fait usage de cette possibilité. Le parquet a toutefois dû les inculper d'abord pour prononcer ensuite le non-lieu. Tout cela ralentit évidemment l'enquête sur le fond.

Malgré tout le respect dû aux droits de la défense, l'on ne saurait nier que certains avocats ne craignent pas d'utiliser tous les moyens pour saboter l'enquête. Ils engagent des procédures les unes après les autres et épuisent tous les moyens juridiques que la loi Franchimont met à leur disposition en matière de nullités, d'omissions et d'irrégularités. Ils n'hésitent pas davantage à ridiculiser les enquêteurs. Ce qui est inquiétant, c'est que ces pratiques deviennent de plus en plus courantes.

Une fois que le procureur du Roi a pris son réquisitoire final, le dossier pénal est mis pendant quinze jours à la disposition de la défense, qui a le droit de demander des actes d'instruction complémentaires. Dans toutes les affaires d'une certaine envergure, on constate que l'on demande systématiquement de nouveaux actes d'instruction. Que le juge d'instruction accepte ou non, après avis du procureur du Roi, d'effectuer ces actes, la défense ou le parquet font systématiquement appel de sa décision.

En outre, il est frappant de constater que ce sont toujours les mêmes avocats qui officient dans le cadre de ces affaires graves et qui se livrent à ce genre de pratiques.

Une autre tactique visant à ralentir la procédure consiste à appeler les enquêteurs et les membres du ministère public à témoigner. C'est arrivé récemment à l'intervenant. Sa comparution n'a toutefois été que de courte durée : il s'est limité à déclarer qu'étant tenu par le secret professionnel, il ne pouvait rien dire.

Selon un membre, comparativement aux témoignages des autres procureurs du Roi, la déclaration de M. Soenen à propos de la tension qui existe à Gand entre les avocats et le parquet, est frappante. Les autres parquets considèrent-ils également ce problème comme aigu ?

Il est fait observer que des problèmes de déontologie se manifestent de plus en plus chez les avocats pénalistes. Force est de constater que les règles déontologiques ne sont plus appliquées avec la même rigueur qu'il y a dix ans. Cela pose des problèmes en matière de lutte contre la criminalité organisée. Il est indéniable qu'il y a des contacts entre des cabinets d'avocats et des organisations criminelles, qui dépassent le cadre du service juridique normal.

Un membre est d'accord pour dire qu'au fil des années, la déontologie des avocats a considérablement perdu de sa substance, au point que l'on peut se demander si on peut encore parler de déontologie. Le problème de la surpopulation du barreau n'est pas étranger à cette situation.

Dans les grands barreaux qui comptent des centaines d'avocats, les bâtonniers, qui plaident rarement en matière pénale, ne connaissent plus tous les avocats.

En outre, la concentration des bureaux d'avocats a augmenté les coûts d'exploitation de ces bureaux. Par conséquent, quand il s'agit de savoir si l'on acceptera ou non une affaire, les avocats ne prennent plus tellement leur décision en se laissant guider par des règles déontologiques, mais plutôt par les nécessités économiques et financières.

Un autre membre fait observer que ce problème n'est pas nouveau. Dans le cadre du procès des « Borains » accusés d'être les tueurs du Brabant, le ministère public s'est plaint de ne pas avoir eu accès au dossier pénal de Nivelles et, en particulier, au dossier de l'assassinat de M. Mendez, alors que les conseillers des Borains y avaient accès par le biais de leur réseau, parce qu'ils défendaient également les suspects dans le dossier de Nivelles.

C'est pourquoi l'intervenant a déjà suggéré que dans le cadre de la criminalité organisée, on fasse de la recherche proactive sur les réseaux d'avocats. Mais pour ce faire, il faut d'abord que la recherche pro-active soit réglée par la loi. On pourra examiner ensuite si elle peut s'appliquer également à une profession aussi délicate que celle d'avocat.

Selon M. Soenen, cela restera provisoirement un voeu pieux, si l'on sait que pour pouvoir effectuer une perquisition chez un avocat, la présence du bâtonnier est requise.

2. Cadre du personnel

Un membre souhaite savoir si le cadre du personnel du parquet de Gand est rempli ou s'il y a des postes vacants.

M. Soenen répond qu'il y a une fonction vacante à laquelle deux candidats se sont présentés. Il y a également un substitut procureur du Roi détaché au cabinet du ministre du Budget.

Il faut souligner que le cadre compte également trois substituts fiscaux dont l'un est destiné à l'arrondissement de Gand et les deux autres à la province de Flandre occidentale, c'est-à-dire respectivement les arrondissements de Termonde et de Audenaerde. L'une de ces deux fonctions est vacante. Par conséquent, au parquet de Gand, il y a en réalité deux substituts de moins que le nombre prévu dans le cadre.

Il y a également quatre juristes de parquet, dont l'un a réussi le concours d'admission au stage judiciaire; elle commencera ce stage le 1er octobre 2000. Le parquet prend les mesures nécessaires pour assurer le remplacement de cette personne.

3. Magistrats nationaux

Pour ce qui est des contacts avec les magistrats nationaux, M. Soenen approuve la remarque de M. Marchandise. Les magistrats nationaux font office de boîte aux lettres, mais — et ce n'est pas une critique — ils réagissent peu vis-à-vis du parquet.

Ils servent donc en premier lieu de coordinateur et de personne de liaison avec l'étranger. Par exemple, lorsqu'un juge d'instruction doit se rendre dans un autre pays, l'opération est toujours réglée par l'intermédiaire des magistrats nationaux qui établissent de manière exemplaire les contacts avec les collègues étrangers.

Étant donné la charge de travail des trois magistrats nationaux, l'absence de réaction de leur part n'est pas étonnante.

4. Parquet général

M. Vandeplas souhaite savoir si un magistrat du parquet général de Gand est chargé spécifiquement de certains domaines de la criminalité organisée.

M. Soenen répond qu'un magistrat de tutelle du parquet général est assigné à chaque parquet d'arrondissement des provinces de Flandre orientale et de Flandre occidentale. Il faut relativer quelque peu la portée de cette tutelle. Le magistrat en question joue plutôt un rôle d'appui. Lorsqu'un parquet est confronté à des difficultés dans le traitement d'une affaire, il peut chercher conseil auprès de son propre magistrat.

Par ailleurs, pour ce qui est de la grande criminalité, un magistrat unique a été désigné au parquet général, qui doit prendre connaissance des rapports confidentiels donnant lieu à des investigations relatives à des faits liés au crime organisé. Il va de soi que ces deux magistrats du parquet général collaborent.

La réponse à la question de savoir auquel des deux magistrats incombe l'examen d'un dossier de criminalité organisée dépend de la collaboration qui existe entre eux. En règle générale, c'est le magistrat qui exerce la tutelle sur le parquet d'arrondissement qui s'en chargera. Toutefois, lorsque des rapports confidentiels sont rédigés et sont transmis au magistrat chargé de la criminalité organisée — cela dans le respect d'une obligation —, celui-ci se chargera du suivi du dossier et le transmettra par la suite à son collègue. Il est possible également que cela donne lieu à une collaboration. À signaler que les rapports confidentiels sont communiqués également aux magistrats nationaux qui tiennent le procureur général compétent au courant.

Le ministre déclare qu'il faut faire une distinction entre le suivi des affaires liées au crime organisé au niveau fédéral et au niveau des cours d'appel et des tribunaux de première instance.

Au niveau fédéral, il y a l'arrêté royal du 16 mai 1997 relatif aux tâches spécifiques des membres du collège des procureurs généraux en vertu duquel le procureur général de Gand est compétent entre autres pour le terrorisme, le grand banditisme et la criminalité liée aux hormones.

Au niveau des cours d'appel, il y a, en fonction du parquet considéré, une répartition interne des tâches ou un régime de tutelle.

On peut se demander si la répartition des tâches prévue par l'arrêté royal susvisé est la meilleure pour lutter contre la criminalité organisée. En effet, il est impossible de délimiter avec précision les compétences qui ont été attribuées aux cinq procureurs généraux. Elles se chevauchent, si bien que le procureur général de Mons peut être amené à suivre un dossier de criminalité urbaine présentant aussi des caractéristiques du crime organisé. Peut-il continuer dans ces conditions à suivre ce dossier ou doit-il se mettre en rapport avec son collègue de Gand ? On ne peut pas répondre à cette question sans tenir compte du fait que la répartition des tâches prévue par l'arrêté royal est le résultat d'un équilibrage difficile. En retirant une affaire à un des procureurs généraux pour la confier à un collègue, on risque de faire s'effondrer toute la structure concernée. Si l'on juge qu'il serait inopportun de toucher à cette structure, on peut envisager d'attribuer des tâches complémentaires aux procureurs généraux. La compétence pour le crime organisé pourrait alors être accordée aussi, outre au procureur général de Gand, au procureur général de Mons.

À ce sujet, M. Soenen souligne qu'on peut se demander quel est le risque de voir deux parquets examiner la même affaire sans le savoir. Ce risque est pratiquement exclu. Pour commencer, les magistrats nationaux sont informés de toutes les enquêtes relatives à la grande criminalité. Ils peuvent donc veiller à la coordination nécessaire. Ensuite, les bureaux d'information d'arrondissement (BIA) centralisent toutes les informations dures et toutes les informations douces. On applique une procédure uniforme semblable pour ce qui est des informateurs. Tous doivent être enregistrés. Ces données sont centralisées au BCR (gendarmerie) de manière que les fonctionnaires de recherche puissent toujours vérifier si un informateur donné est déjà connu par les services de police. Grâce à ce système de sécurité un informateur écarté par la BSR d'Anvers est dans l'impossibilité de vendre son information à la PJ de Mons. Il permet donc de prévenir les abus.

5. Prostitution

Le professeur Vandeplas souhaite savoir si, à l'instar de ses collègues d'Anvers et de Bruxelles, M. Soenen dispose d'une évaluation du nombre de prostituées à Gand.

M. Soenen répond par la négative tout en soulignant qu'il y a, au sein de la brigade de recherche de la police communale, une unité, la Mepros-unit, qui contrôle régulièrement les bars. Pour éviter que les policiers concernés ne cèdent au laxisme, les contrôles sont effectués à tour de rôle et par des patrouilles différentes (le premier jour : agents A et B; le deuxième jour : agents B et C; le troisième jour : agents A et C; etc.). La prostitution en vitrine est très sévèrement contrôlée : toute femme qui s'engage dans la profession doit se présenter à la police qui exerce le contrôle qui s'impose. La police ne sait en revanche que très peu de choses sur la prostitution clandestine dans les maisons et les appartements privés. Elle n'intervient que lorsque les voisins et les riverains se plaignent des nuisances.

Il est en tout cas indéniable qu'un glissement est en train de s'opérer de la prostitution en vitrine vers la prostitution clandestine.

D'une manière générale, on peut dire que le milieu de la prostitution est moins développé à Gand qu'à Anvers et à Bruxelles. Il n'y constitue pas une menace prioritaire. Par le passé, une commission d'enquête parlementaire a bien épinglé quelques problèmes dans la manière dont la police communale luttait contre le milieu de la prostitution à Gand, mais depuis lors, on a réorganisé les services de police et créé la Mepros-unit, qui fournit aujourd'hui un travail remarquable.

M. Marchandise se rallie aux observations de son collègue à propos de la prostitution privée. La question de savoir s'il y a lieu d'examiner davantage cette problématique relève de la politique criminelle. À première vue, cette forme de prostitution cachée, au moins en ce qui concerne Charleroi, ne semble pas avoir des liens avec la criminalité organisée qui s'investit plutôt dans la prostitution dans les bars et le racolage. Toutefois, cela mérite d'être vérifié, par exemple au moyen d'une recherche proactive des journaux toutes-boîtes.

6. Secteur immobilier

Un membre souhaite savoir si le parquet de Gand a enquêté sur le rôle joué par le secteur immobilier dans le blanchiment des avoirs criminels.

M. Soenen répond que son parquet n'a aucun projet en cours en cette matière. Il reconnaît ne pas s'être penché encore sur cette problématique. Mais l'audition d'aujourd'hui lui a fait prendre conscience que cette question mérite d'être discutée à la réunion mensuelle de coordination réunissant le magistrat de confiance, la BSR, le commissaire en chef de la ville de Gand et la PJP. À cette concertation entre enquêteurs, on ne se contente pas en effet d'échanger des informations sur les enquêtes menées par les différents services mais on discute aussi de problèmes plus généraux. L'échange d'informations a également lieu par l'entremise des BIA.

7. Hormones

Un membre constate que le problème des hormones ne bénéficie manifestement plus de la plus haute priorité dans l'arrondissement de Gand. En est-il de même pour les autres arrondissements du ressort de la cour d'appel de Gand ?

M. Soenen répond que cela ne concerne que l'arrondissement de Gand, qui est moins confronté à ce problème. Toutefois, si on constate une recrudescence de la criminalité dans le secteur des hormones, on intensifiera à nouveau la lutte. On peut citer à cet égard l'exemple de la crise de la dioxine à la mi-1999, dans laquelle la BSR de Gand a investi beaucoup de temps et de moyens (60 personnes) durant quatre à cinq mois. Cet effort a évidemment eu des répercussions sur les autres enquêtes.

L'intervenant précédent déclare que la crise de la dioxine avait certains liens avec la problématique du traitement et du trafic des déchets. La presse a ainsi fait état de l'importation systématique depuis les Pays-Bas d'huiles et de graisses techniques dont l'origine était inconnue. A-t-on enquêté sur l'existence éventuelle de certains liens ?

M. Soenen répond que l'enquête n'a pas permis de démontrer que la crise locale de la dioxine à Gand, d'une part, et le traitement et le trafic de déchets, d'autre part, auraient été liés.

M. Vandeplas fait remarquer que dans le rapport précédent sur le crime organisé, à propos de la criminalité dans le secteur des hormones, Gand était citée comme un exemple de bonne collaboration entre le parquet et le magistrat national. Les magistrats du parquet comme les fonctionnaires de police ont déclaré se sentir soutenus par le magistrat national.

M. Soenen précise que la lutte contre la criminalité des hormones a été un succès grâce à la désignation de M. Timperman comme magistrat chargé de la lutte contre les hormones. Il n'était donc pas magistrat national mais magistrat d'assistance.

8. Sécurité des policiers et des magistrats

La sécurité des policiers et des magistrats appelés à témoigner inquiète M. Soenen. C'est un jeu d'enfant pour la défense de retrouver leurs adresses privées dans le dossier, avec tous les risques que cela comporte non seulement pour les intéressés mais aussi pour leurs proches. Cela ne signifie pas que l'on ne puisse pas appeler des policiers et des magistrats à témoigner. Seulement, il faut veiller à ce que leur sécurité soit menacée le moins possible. Les enquêteurs chevronnés possédant une expérience précieuse de la recherche dans les affaires de grande criminalité constituent en effet une cible des plus intéressantes pour une défense qui s'efforce d'entraver l'enquête en les discréditant. Voilà pourquoi dans l'arrondissement de Gand, l'intervenant a donné instruction aux services de police, de ne mentionner que le nom, la date de naissance et l'adresse de fonction d'un policier qui est entendu, et donc de ne pas faire mention de son adresse privée. Un problème se pose toutefois lorsque le fonctionnaire de recherche est suspecté parce que, dans ce cas, un extrait du casier judiciaire est joint au dossier.

De heer Marchandise déclare que son parquet est confronté au même problème. Il arrive même que les interprètes officiant dans des affaires graves demandent au parquet de garder secrète leur adresse privée et d'utiliser une adresse de fonction.

Dans le même sens, M. Soenen cite l'exemple de chauffeurs de bus victimes d'une attaque et qui, par peur de représailles, rechignent à porter plainte parce qu'on pourrait alors retrouver leur adresse privée. Voilà pourquoi l'intervenant a donné instruction aux services de police de ne mentionner que l'adresse de fonction.


Le ministre retient de cette audition un certain nombre de sujets qui pourraient être examinés dans les groupes de travail criminalité organisée et techniques spéciales d'enquête, comme les abus de procédure, les perquisitions dans les services de police, les rapports confidentiels, la protection des témoins et la convocation de magistrats et de policiers comme témoins.

En ce qui concerne le rôle des magistrats nationaux, il faut tenir compte du fait qu'ils seront absorbés par le parquet fédéral. Il n'est en tout cas pas souhaitable de conférer au parquet fédéral une mission purement coordinatrice tant sur le plan national que sur le plan international. Voilà pourquoi, dans les textes qui sont examinés au niveau du gouvernement, il est proposé de conférer aussi aux magistrats fédéraux un rôle substantiel, de sorte qu'ils puissent aussi exercer l'action publique.

L'évaluation du travail des magistrats nationaux a donc un impact sur le processus décisionnel en ce qui concerne le parquet fédéral.

3. Réformes proposées par les cinq procureurs du Roi entendus

Outre les suggestions qui découlent naturellement des constats exposés ci-avant (voir supra, pp. 37-38), les procureurs du Roi ont également formulé des propositions de réformes, législatives ou non, dans divers domaines.

3.1. Propositions de réformes législatives

A. Traite des êtres humains et prostitution

— Modifier la définition législative de la traite des êtres humains, laquelle est trop restrictive dans la circulaire PG car elle exige la présence d'une circonstance aggravante de violence ou de menace dans le chef de la victime pour que cette dernière puisse bénéficier d'un titre de séjour spécial en tant que victime de la traite des être humains.

— Étendre la mesure de mise à disposition du gouvernement pour les personnes condamnées sur la base des infractions relatives à la corruption de la jeunesse et à la prostitution.

Le ministre communique que, dans le plan de sécurité, le gouvernement a opté pour une évaluation des lois de 1995 et pour une évaluation de la Col. 12/99 du 3 juin 1999 relative à la lutte contre la traite des êtres humains et la pornographie enfantine, avant de revoir la définition du trafic des êtres humains. Il est exact que la Col. 12/99 envisage cette traite des êtres humains dans le sens de l'exploitation sexuelle et économique et ne fait donc pas du phénomène de l'immigration clandestine une priorité. Le 3 février 2000, le Collège des procureurs généraux a été invité à attirer l'attention des parquets sur l'importance de la lutte contre les réseaux qui organisent l'immigration clandestine. Entre-temps, le Service de la politique criminelle a été chargé d'élaborer une directive ministérielle complémentaire en collaboration avec le ministère de l'Intérieur (compétent pour la politque des étrangers). En vue de pouvoir faire face à l'afflux de dossiers répressifs relatifs au trafic des êtres humains, on a accru la capacité de la cellule « traite des êtres humains » du bureau central de recherche de la gendarmerie (72 millions de francs) et un crédit de 20 millions de francs a été inscrit au budget de la Justice en vue de renforcer les magistrats de liaison dans les parquets les plus lourdement sollicités.

Par ailleurs, un autre projet du plan de sécurité est en exécution, en ce sens que la directive commune (cinq ministres) en vue de mieux protéger le statut de victime de la traite des êtres humains, est actuellement en phase de signature. Cette directive offre une meilleure protection encore aux victimes qui prêtent leur collaboration à l'enquête, tant sur le plan de l'autorisation de séjour que sur celui du permis de travail.

B. Armes

— Simplifier la loi en ce qui concerne les catégories légales d'armes; renforcer les peines d'emprisonnement et combler le vide juridique en matière de trafic international d'armes (absence de licence d'importation).

La législation actuelle (complétée par de multiples arrêtés royaux) est tellement compliquée que les policiers hésitent à l'appliquer.

Il faut rappeler que le ministre a fait état d'un projet ministériel de généralisation du principe de l'autorisation pour toutes les armes (projet 26 dans le plan fédéral de sécurité du ministre de la Justice). Il a également été précisé que l'on envisageait de renforcer le marquage et la traçabilité des armes.

L'idéal serait de créer une banque nationale de données balistiques.

À ce sujet, le ministre de la Justice a donné les indications suivantes quant aux lignes directrices de la réforme en projet :

1. Profession d'armurier et intermédiaire

Les conditions pour devenir armurier sont renforcées. Dorénavant, les armuriers devront avoir un casier judiciaire vierge (article 3, 2º). Ils doivent dorénavant prouver l'origine des fonds utilisés. Les mêmes conditions seront requises pour être intermédiaire (par exemple transporteur, courtier ...), ce qui n'était pas réglementé avant.

2. La catégorie des armes prohibées est revue (article 6, 2º) pour les couteaux à cran d'arrêt. Elle est étendue pour d'autres armes, notamment les armes munies dès l'origine d'un silencieux (FN P.90). Il est aussi créé une autre catégorie : celle des armes qui ne peuvent être acquises par un particulier mais sont éventuellement accessibles à un service de gardiennage, aux forces de l'ordre, etc. (article 6, 10º).

3. À la demande des collectionneurs et pour résoudre le problème de la sécurité de leur collection, une distinction est faite selon l'âge de l'arme collectionnée. Libre pour les armes avant 1897, sans modification pour les armes allant de 1897 à 1945, il est prévu que la collection d'armes postérieures à 1945 soient soumises à certaines conditions supplémentaires définies dans l'arrêté royal d'application.

4. La distinction classique entre armes de chasse ou de sport, armes de défense et armes de guerre est supprimée. Toutes les armes sont dorénavant soumises à autorisation délivrée par le gouverneur de province où l'intéressé a sa résidence, sur avis conforme du commissaire de police. Pour un étranger sans résidence, c'est la Sûreté de l'État qui est compétente (conditions article 10, § 3). Les conditions deviennent plus strictes. Les personnes qui habitent avec le demandeur devront être entendues.

Exceptions :

a) les personnes qui ont un permis de chasse en cours de validité peuvent acquérir librement une arme spécialement conçue pour la chasse, définie comme étant toujours une arme dont la longueur totale est d'au moins 60 cm ou dont le canon a au moins 30 cm, et pour autant qu'il n'y ait qu'un coup par canon. Ils pourront aussi porter pour la chasse une arme de poing (maximum 6.35) pour achever le gibier (demande des chasseurs car leurs armes sont trop puissantes pour cela aujourd'hui et il y a un danger d'accident !). Ils devront demander l'autorisation de détention mais l'arrêté prévoira qu'ils ne devront passer qu'un examen pratique pour le maniement de cette arme et pas refaire tous les examens.

b) les tireurs sportifs titulaires d'une licence délivrée par les autorités communautaires compétentes mais uniquement en ce qui concerne les armes destinées spécifiquement au tir sportif et donc pas par exemple pour les armes utilisées pour le tir « lourd » (44 magnum, 357 magnum) ou le tir dit d'ordonnance (Fal, Kalasjnikov, M16, Heckler und Koch,...).

5. Restriction au commerce des armes (article 16 du projet)

Le libellé de cet article est nouveau. Le but est d'interdire la vente d'armes par internet, certaines ventes (bourses) ... Cet article prévoit en plus que toutes les armes, même en transit en attente de réexportation, mais pour autant qu'elles soient débarquées sur le territoire belge, doivent être numérotées et enregistrées (au RCA). La seule exception est le transport vers le banc d'épreuve en vue de la numérotation. De la sorte, plus aucune arme non enregistrée et non numérotée ne pourra être détenue, stockée, transportée ou portée, en vue de lutter contre le trafic d'armes international (actuellement, de milliers d'armes non numérotées et non enregistrées sont importées et stockées pour être réexportées, ou revendues illicitement).

6. L'article 17 vise à permettre de réglementer le transport d'armes soit par un individu, soit par un transporteur professionnel (il devra être agréé en tant qu'intermédiaire comme un armurier). S'il s'agit d'un transit par la Belgique, les armes ne pourront pas être déchargées (d'Ostende et de Zeebrugge).

7. Les peines sont revues et aggravées (article 20).

8. Les armes confisquées devront dorénavant être détruites.

Actuellement, les armes confisquées par les tribunaux sont remises en vente par les « Domaines » par l'intermédiaire du banc d'épreuve, ce qui est un non-sens si l'on veut lutter contre la prolifération des armes dans le pays. En plus, ces ventes sont subventionnées par le ministère de la Justice, car avant de pouvoir être revendues, elles doivent être expertisées ! L'an passé, c'est 1,7 million de francs que le ministère a payé pour revendre ces armes ...

9. Il est crée sous la direction du ministre de la Justice une commission des armes (article 30 et suivants) qui a pour but :

a) appel des décisions des gouverneurs;

b) contrôle des armuriers et des fabricants;

c) organiser les examens et de la concertation.

10. Il est également prévu que les services de police, à la demande du gouverneur, vérifient à titre préventif la détention effective d'armes par les particuliers (nouveau).

11. Les articles 33 et 34 visent à permettre une régularisation des situations actuellement illégales et à permettre aux possesseurs d'armes de s'en défaire.

C. Sectes

— Prévoir une définition légale de la notion de « secte ».

D. Étrangers

Modifier la réglementation afin que l'étranger délinquant dans le domaine du grand banditisme puisse faire l'objet de mesures d'expulsion. Les auditions ont en effet mis en évidence que trop peu de suites sont accordées aux dénonciations de faits délictueux opérées par les enquêteurs auprès de l'Office des étrangers et trop rarement, l'avis du parquet sur une mesure d'éloignement est sollicité. À la longue, certains délinquants deviennent belges malgré leur casier judiciaire ou sont refusés, en cas de mesure d'expulsion, dans leur pays d'origine.

E. Écoutes téléphoniques (16)

On constate que les juges d'instruction hésitent à ordonner des écoutes téléphoniques parce que la procédure est très compliquée et qu'elle entraîne une grande perte de temps.

En outre, le coût en est tellement élevé que l'on ne peut faire qu'un usage très limité de cette méthode de recherche, même si personne ne doute de son utilité. Il semble également que dans de nombreux cas, les appareils nécessaires pour réaliser ne soient pas disponibles.

Ne serait-il pas judicieux d'obliger les compagnies téléphoniques privées à mettre, à leurs frais, les appareils nécessaires à la disposition de la justice (voir projet 32 du plan fédéral de sécurité du ministre) ?

— Légiférer en vue de permettre l'écoute téléphonique dans le cadre de la recherche proactive.

— Réglementer la vente de cartes de téléphone anonymes (de type pay and go)

L'obligation pour les vendeurs de tenir un registre des acheteurs constituerait un atout supplémentaire pour le succès des recherches.

Il faut également rappeler les déclarations du ministre, selon lesquelles on a opté pour une approche globale du système, par la création d'une unité globale d'interception technique en Belgique, par laquelle tous les opérateurs devront passer. L'écoute sera réalisée dans les différents arrondissements par le service de police concerné.

— On pourrait imaginer un système plus souple, où une mini-instruction, qui offrirait les mêmes garanties d'intervention qu'un juge d'instruction, suffirait.

F. Blanchiment

— Légiférer en vue de renverser la charge de la preuve en matière de blanchiment.

G. Fraude fiscale

— Aggraver les peines pour les fraudes fiscales complexes et dépénaliser les infractions fiscales mineures non connexes à d'autres infractions, ou pour lesquelles le ministère public n'estime pas devoir poursuivre.

Tous les codes fiscaux prévoient des sanctions administratives en cas de violation des obligations qu'ils contiennent. Ces sanctions peuvent s'élever jusqu'au double des droits, taxes ou impôts éludés. Une sanction pécuniaire est généralement la plus efficace pour les fraudes fiscales mineures et peut actuellement atteindre des montants beaucoup plus importants que ceux prévus par les amendes pénales.

Le cumul des sanctions administratives et pénales est actuellement fort contesté et pourrait être considéré comme contraire au droit communautaire (cf. notamment arrêts de la Cour de cassation de France du 29 avril 1997, JDF, 1997, p. 343, du Hoge Raad der Nederlanden du 19 juin 1985, JDF, 1986, p. 351, de la Cour de cassation de Belgique du 5 février 1999, JMLB, 1999, p. 532 et 541 et de la Cour d'arbitrage du 24 février 1999, JMLB, 1999, p. 532). Une harmonisation des amendes administratives et pénales s'impose d'urgence.

— Sanctions plus sévères pour la fraude fiscale grave et organisée, « banditisme fiscal ».

Quel que soit le montant de la fraude fiscale réalisée ou les mécanismes mis en oeuvre, le maximum de l'amende pénale prévue s'élève à 500 000 FB, montant non soumis au régime des décimes additionnels (cf. notamment les articles 449, 450, 457 CIR 1992, 73, 73bis et 73quinquies Code de la TVA, 133, 133bis et 133quinquies du Code des droits de succession, 206 et 206bis du Code des droits d'enregistrement).

Le maximum légal de l'amende pénale de la fraude fiscale grave et organisée devrait pouvoir être égale au double du montant éludé, à l'instar de ce qui existe en matière d'amende fiscale (cf. articles 444 CIR 92 et 225 à 228 AR CIR, 70 du Code de la TVA, 126, 128 du Code des droits de succession, 201 à 204 du Code des droits d'enregistrement). Le montant minimal de l'amende pénale pourrait rester identique.

— Une infraction d'escroquerie fiscale pourrait utilement être intégrée au Code pénal, répondant à la définition suivante : l'emploi systématique de manoeuvres frauduleuses ayant pour but d'éluder un montant significatif d'impôts.

H. Saisies — Confiscations

— Légiférer en vue de prévoir des mesures conservatoires pour éviter que les inculpés ne mettent leur patrimoine hors de portée des autorités judiciaires, et en vue d'éviter, notamment, qu'un suspect se rende insolvable en faisant apport de son patrimoine à une personne morale pour échapper à la confiscation.

— Permettre et réglementer la saisie conservatoire de sommes d'argent passibles de confiscation par équivalent (modification des articles 42, 43 et 43bis du Code pénal).

— Réglementer au niveau fédéral la conservation et la gestion des biens saisis.

I. Infractions commises sur des mineurs

— Remédier à la lacune législative qui n'a pas prévu de sanction pénale en cas de non-respect des interdictions stipulées à l'article 382bis.

— Modifier l'article 369 du Code pénal en permettant qu'il soit applicable aux victimes de sexe masculin, ce qui n'est pas actuellement le cas.

J. Divers

— Légiférer en vue de protéger les témoins (anonymes), les victimes et les indicateurs.

En ce qui concerne les témoignages anonymes, le ministre a précisé que le projet de loi en la matière figure parmi les priorités, aux termes du plan de sécurité.

La question était de savoir si l'on allait traiter cette matière en même temps que celle des repentis.

On a finalement décidé de traiter par priorité le problème des témoignages anonymes.

Le ministre a précisé que le projet de loi était prêt et avait déjà été discuté en Conseil des ministres.

Des garanties peuvent être envisagées en la matière, puisque ce type de témoignage pose évidemment des problèmes en matière de droits de la défense.

On pourrait par exemple imaginer que l'identité du témoin soit connue du procureur du Roi, afin que celui-ci puisse vérifier sa crédibilité.

Cette solution paraît conforme à la jurisprudence et correspond au système hollandais accepté par la Cour européenne des droits de l'homme.

— Légiférer en matière de repentis.

— Revoir à plus long terme le Code pénal pour l'alléger de certaines infractions (grivèlerie, chèques sans provision), ajuster les peines retenues pour d'autres, augmenter les sanctions prévues dans certains chapitres.

— Permettre la garde à vue pendant 48 heures au lieu de 24.

Ceci supposerait une modification de l'article 12 de la Constitution, qui n'est actuellement pas soumis à révision.

Une telle modification mettrait la Belgique au diapason de la plupart des pays d'Europe.

Il ne fait aucun doute qu'il y aurait beaucoup moins d'arrestations si les services de police avaient le temps de terminer l'instruction préparatoire. Le délai de 24 heures oblige l'ensemble de l'appareil judiciaire à travailler les week-ends et même les jours fériés : cela dissuade sans aucun doute beaucoup de candidats.

Une garantie procédurale pourrait être prévue (par exemple l'autorisation motivée du procureur du Roi après 24 heures).

— Légiférer en matière de techniques particulières de recherches.

Cette proposition est déjà examinée depuis plusieurs années. L'incertitude juridique dans un domaine qui n'est réglé que par une circulaire ministérielle devrait être levée, car elle donne lieu régulièrement à des contestations devant les tribunaux.

— Rendre effective la loi du 22 mars 1999 relative à la procédure d'identification par analyse ADN en matière pénale.

Comme cela a été rappelé par un procureur du Roi, en vertu de cette loi, une empreinte génétique recueillie dans le cadre d'une affaire peut être utilisée, de l'accord de la personne concernée, dans une autre procédure. La loi devrait être mise en oeuvre (date d'entrée en vigueur, création d'une banque de données), la jurisprudence n'étant pas encline à accepter ce type de preuve sans cadre législatif (eu égard à l'atteinte à la présomption d'innocence, au respect de la vie privée, au droit au silence). La mise en vigueur de cette loi est subordonnée à un arrêté royal.

Le ministre de la Justice a communiqué que le projet d'arrêté royal pris en exécution de la loi précitée a été examiné une première fois en Conseil des ministres le 16 février 2001. Il y a consensus sur le fait que l'INCC doit être agréé pour l'exécution des analyses ADN en matière pénale comme tous les laboratoires qui souhaitent effectuer de telles analyses. Un groupe de travail intercabinets a été chargé de poursuivre l'examen du projet d'arrêté royal.

— Supprimer les limitations horaires pour les perquisitions. La Belgique est sans doute l'un des derniers pays à connaître de telles limitations. On peut évidemment prévoir des filtres, et exiger que l'urgence soit avérée pour effectuer une perquisition durant la nuit.

— Prendre une initiative législative en vue de protéger le caractère confidentiel de certains rapports. Pour l'instant, il existe une circulaire ministérielle en la matière, mais la procédure ainsi définie n'est pas satisfaisante.

3.2. Autres mesures proposées

3.2.A. Au plan national

3.2.A.1. Mesures générales

— Mettre sur pied un parquet fédéral qui aurait notamment pour mission de coordonner les enquêtes entre arrondissements, et devrait relever uniquement du ministre de la Justice.

Il devrait être composé de nombreux magistrats non seulement bilingues, mais aussi flamands et wallons. Certains de ces magistrats fédéraux devraient être affectés dans les cinq grands parquets du Royaume pour relayer les informations du terrain au parquet fédéral, constituer en quelque sorte une antenne sur le terrain de ces magistrats localisés à Bruxelles, et opérer une coordination entre arrondissements.

— Renforcer la lutte contre la corruption, notamment en mettant sur pied un service fédéral anti-corruption efficace avec accentuation des méthodes proactives.

— Créer une documentation opérationnelle et policière, centralisée sur le plan fédéral. Il est largement temps que les parquets, et tout particulièrement les sections financières, puissent utiliser les ressources informatiques, sources évidentes d'informations en la matière.

On développe actuellement les bureaux d'information d'arrondissement (BIA) mais, à l'avenir, l'information stockée dans ces banques de données devra aussi être traitée et suivie au niveau national. Une tâche importante attend le parquet fédéral à cet égard. La criminalité organisée étant de nature transfrontalière, il faudra également prendre des initiatives au niveau européen.

— Revoir la répartition des tâches entre les cinq procureurs généraux. Au niveau fédéral, on a l'arrêté royal du 6 mai 1997 relatif aux tâches spécifiques des membres du collège des procureurs généraux. Si on estime inopportun de toucher à cet arrêté, on peut envisager d'attribuer de nouvelles tâches aux procureurs généraux.

Le ministre a déclaré à ce sujet que la répartition des tâches entre les cinq procureurs généraux devra être réexaminée lors de la discussion du projet de loi visant à adjoindre dix magistrats d'assistance au Collège des procureurs généraux.

— Pour rappel, compléter les cadres des parquets, voire même renforcer ceux-ci.

— Organiser une coopération pluridisciplinaire entre les différentes sections du parquet.

— Informatiser les données du conservateur des hypothèques; la loi a été modifiée dans ce sens, mais son application se fait attendre.

Le ministre précise qu'une demande d'informations a été adressée au cabinet du ministre des Finances, lequel a fait savoir que quatre groupes de travail avaient été constitués afin d'établir des ponts entre l'administration de la Justice et celle des Finances en vue d'échanger des informations dans différents domaines. À la suite de la demande d'informations, un cinquième groupe de travail a été constitué pour aborder la problématique de l'échange d'informations à partir des bases de données des conservateurs des hypothèques.

— Engager des collaborateurs spécialisés et élaborer à leur intention un statut administratif et pécuniaire spécifique. Cela permettrait de limiter à terme le nombre de magistrats.

— Lorsqu'on entend un fonctionnaire de police, un magistrat, un interprète, ... mentionner son adresse de fonction et non son adresse privée, afin de menacer le moins possible sa sécurité et celle de sa famille.

3.2.A.2. Mesures spécifiques

Délinquance financière

· Meilleur accès à l'information disponible sur les PC

Les magistrats du parquet devraient avoir accès à diverses informations, en principe disponibles et particulièrement utiles pour l'exercice de leur fonction. Malheureusement, aucun mode d'emploi n'a été fourni pour indiquer la manière de consulter le registre national, le BCS, le casier, etc. Il conviendrait que le CTI du ministère de la Justice rédige un manuel d'utilisation à cette fin qui serait également utile pour les employés. Les circulaires ministérielles et du collège des procureurs généraux sont également reprises sur le site du ministère de la Justice. La consultation de certaines de ces circulaires ou directives nécessite une autorisation (mot de passe), qui devrait être donnée aux magistrats du parquet.

· Accès à Internet

Divers sites d'Internet sont particulièrement intéressants et leur consultation pourrait s'avérer très utile. À titre d'exemple, la Commission bancaire et financière dispose d'un site Internet utile pour les magistrats de la section financière. Il en est de même du site du Parlement pour consulter les travaux parlementaires, etc.

L'utilisation d'Internet lors de la commission d'infractions risque de se généraliser. L'accès à Internet devrait être accordé d'urgence aux magistrats.

À propos de l'état de l'informatisation des parquets, le ministre reconnaît que l'informatisation des parquets est en retard par rapport à celle des services de police. Cette problématique sera abordée de manière globale dans le cadre du projet « e-justice ». Comme il s'agit d'un projet de longue haleine, l'on peut penser que les résultats concrets ne seront pas visibles à bref délai.

· Accès à une banque de données de sociétés commerciales

Dans le passé, les brigades de la police judiciaire disposaient d'un accès à la base de données des sociétés commerciales Help. Actuellement, le SGAP fournit, sur demande, la documentation financière de sociétés commerciales. Les demandes de renseignements nécessitent toujours un certain laps de temps, d'autant que le SGAP traite par priorité les demandes de renseignements émanant des services policiers. Help fournit en outre plusieurs autres renseignements particulièrement utiles sur les sociétés qui ne peuvent, faute de temps, être communiqués par le SGAP.

Il serait utile de pouvoir également consulter cette base de données par le biais d'un serveur central.

· Mise en place du parquet fédéral et d'une réelle collaboration internationale

Comme un procureur du Roi l'a souligné, même si la loi du 12 mars 1998 relative à l'amélioration de la procédure pénale au stade de l'information et de l'instruction (loi Franchimont) permet actuellement aux magistrats du parquet ou de l'instruction d'un arrondissement de prescrire des devoirs dans un autre arrondissement, les poursuites ne peuvent en pratique être exercées qu'à charge des personnes physiques ou morales établies dans l'arrondissement.

Cette situation est exploitée par les délinquants, notamment en matière de carrousels TVA.

Lorsqu'un devoir doit être exécuté à l'étranger, le recours aux commissions rogatoires internationales génère le plus souvent un retard important dans l'enquête et les poursuites.

Réforme de la politique pénitentiaire

— permettre au parquet de recevoir d'office les rapports de guidance sociale ainsi que les conditions imposées lors de la libération, en cas de libération provisoire;

— étendre la compétence ratione loci des libérations conditionnelles aux libérations provisoires et prévoir que le parquet compétent qui serait amené à surveiller, s'il le souhaite, les libérés provisoires soit le parquet du lieu du domicile de l'intéressé.

Trafic d'êtres humains et prostitution

1. Sur le plan administratif

— Sur le plan administratif, une évolution vers un « droit administratif armé » est souhaitable.

— Certaines modifications dans la réglementation permettraient à l'autorité administrative d'être mieux armée dans la lutte contre la traite des êtres humains et la prostitution :

— la prostitution est considérée explicitement comme une activité professionnelle effectuée dans les liens d'un contrat de travail ou de manière indépendante;

— les étrangers qui travaillent comme prostitués doivent également être en possession d'une carte professionnelle ou d'une carte de travail;

— il n'est pas délivré de carte professionnelle de prostituée ou de serveuse aux personnes issues des pays dits à risque;

— les personnes qui ne satisfont pas aux exigences définies aux points 2 et 3 sont systématiquement amenées dans des centres fermés où elles logent en attendant d'être rapatriées, ce qui entraîne le tarissement de la source de revenus (provenant de la prostituée) des trafiquants d'êtres humains et/ou des proxénètes;

— contrôle systématique des empreintes digitales des demandeurs d'asile dits « nouveaux »; adaptation de la législation relative aux contrôles aux frontières. On constate que des « illégaux qui demandent l'asile » et qui sont dépourvus de tout document d'identité entrent régulièrement dans le pays au départ de certains pays dits à risque et en transitant par certains aéroports.

Un contrôle qui serait effectué sur le lieu de provenance de ces personnes avec l'aide des services de police belges, serait probablement judicieux. On a en effet constaté que les contrôles actuels qui sont effectués à l'arrivée, sont peu efficaces pour lutter contre la traite des êtres humains;

— modifications de l'article 380bis, § 1er, 2º et 3º, du Code pénal et remplacement éventuel d'une partie de cet article par une réglementation fixant les conditions minima auxquels doivent satisfaire les locaux utilisés à des fins de prostitution;

— attention suffisante pour ce qui est de l'accueil des victimes de la traite des êtres humains. En rendant les commissariats plus accessibles, l'on pourrait amener les victimes à dénoncer plus facilement leur situation.

2. Sur le plan judiciaire

Sur le plan judiciaire, il est urgent d'envisager le phénomène de la traite des êtres humains et de la prostitution d'une manière plus cohérente et plus rationnelle :

— c'est pourquoi on s'emploie à améliorer la collaboration internationale. Celle-ci est laborieuse entre services de police et les autorités judiciaires et la correspondance avec Interpol est trop lente. Des études effectuées au niveau européen et dans d'autres pays ont déjà montré que les trafiquants utilisent les itinéraires (et les lieux d'établissement) les moins coûteux et sur lesquels ils risquent à leur avis de rencontrer le moins de résistance;

— il faut uniformiser et améliorer l'efficacité et, pour ce faire, il faut commencer par réaliser des études de droit comparé;

— la collaboration et les synergies avec les départements et les services compétents en matière d'immigration (Intérieur — Office des étrangers — Affaires étrangères) doivent être améliorées;

— il faut souligner une nouvelle fois, avec force, qu'on n'arrivera à concrétiser une politique efficace dans le domaine de la traite des êtres humains que si l'on dispose de la capacité d'investigation nécessaire, et ce, à la fois au niveau du parquet et au niveau des services de police nationaux compétents. À l'heure actuelle, cette condition n'est pas remplie.

Trafic de véhicules

— Les juridictions de jugement devraient ordonner explicitement la destruction des véhicules confisqués (au lieu de les mettre en vente publique).

— Garantir la force probante des expertises sur véhicule effectuées par la section spécialisée de la BSR, fût-ce par l'intervention du constructeur.

— Élaborer un PV standard.

— Assurer le suivi des épaves (système de contrôle).

— Améliorer la collaboration avec les importateurs de marques.

— Créer un nouveau cadre en matière de signalement des véhicules dans le cadre du bureau d'information d'arrondissement.

Bandes de motards

— Dans le cadre de ce phénomène, il serait souhaitable de tendre vers une approche multidisciplinaire (collaboration avec l'Inspection sociale, les pompiers, la Santé publique, ...).

C'est surtout dans le contexte de l'élaboration d'une méthode cohérente de lutte contre les organisations commerciales exploitées par des bandes criminelles de motards, organisations qui violent toutes les prescriptions possibles, que ces services pourront prendre des mesures valables.

— Il y a lieu ensuite de tendre vers une collaboration avec l'administration du fisc afin d'étudier les flux de revenus des bandes criminelles de motards. Les bandes professionnelles de motards utilisent en effet des structures de société complexes et des ASBL obscures, ce qui fait que l'aide et l'expertise des services du fisc ne sont certainement pas superflues.

— Pour ce qui est de l'incrimination, on doit tendre vers l'application de la loi sur les milices privées, de manière à pouvoir saisir et confisquer uniformes, signes distinctifs et matériel.

— Pour ce qui est du taux des peines et de leur application, on peut imposer une série de conditions de dissociation visant à affaiblir la cohésion interne des bandes de motards criminelles (par exemple, interdiction de porter certaines couleurs, d'assister à des rassemblements de motards ou d'avoir des contacts avec les membres des bandes).

3.2.B. Au plan international

Il convient de considérer le territoire européen comme un ensemble unique sur le plan de la justice, au même titre qu'il l'est dans le domaine économique.

Propositions

1) Que l'exécution d'un acte d'entraide ne soit plus subordonnée à la condition de la double incrimination, là où elle l'est encore.

2) Que l'autorité judiciaire s'adresse directement — dans une langue acceptée par le pays requis — au magistrat étranger du lieu de l'exécution qui, à son tour, lui remette directement les moyens de preuve recueillis, sans intervention du pouvoir exécutif.

3) Que l'entraide soit fournie dans les meilleurs délais et, dans la mesure du possible, dans le délai exprimé dans la demande, sauf à faire connaître les motifs du retard.

4) Qu'aucun recours ne puisse être intenté dans le pays requis (c'est souvent le maillon faible qui paralyse la demande).

5) Qu'avec l'accord du magistrat étranger, le juge ou ses collaborateurs puissent participer à l'exécution de la demande d'entraide au-delà des frontières nationales.

6) Spécialement en matière de criminalité organisée, que les États acceptent d'extrader leurs nationaux, sous la réserve que la peine d'emprisonnement éventuellement prononcée puisse être exécutée dans le pays d'origine. Que le contentieux relatif à l'extradition et à l'exécution des jugements étrangers soit confié aux autorités judiciaires — sans intervention du pouvoir exécutif.

7) Que le secret bancaire ou celui imposé à d'autres intermédiaires financiers ne puisse être invoqué pour faire obstacle aux investigations du juge.

8) Que les informations et moyens de preuve obtenus à l'étranger ou reçus de l'étranger puissent être utilisés dans toute procédure pénale : que soit ici abandonné le principe de la spécialité en vertu duquel certains pays vont jusqu'à exiger un engagement écrit de ne pas utiliser les renseignements obtenus dans d'autres procédures, par exemple à des fins fiscales.

9) Que le contrôle des actes soit exercé par les juridictions du pays demandeur, qui s'assurent du respect des principes du procès équitable, et en particulier des droits de la défense.

10) Que des magistrats d'assistance soient désignés dans chaque État avec mission d'assister les juges étrangers et de contribuer à la bonne fin des commissions rogatoires.

CHAPITRE IV

Recommandations de la commission du suivi

A. Sur le plan législatif

Il serait souhaitable de réunir toutes les dispositions relatives à la criminalité organisée (définition, techniques spéciales de recherche, moyens de contrôle, etc.) dans une seule et même loi relative au crime organisé.

1. Traite des êtres humains et prostitution

Il y aurait lieu de s'attaquer énergiquement à la traite des êtres humains, sous quelque forme qu'elle se présente, et à la prostitution qui en découle. Si nécessaire, la définition dans la loi pénale de la traite des êtres humains doit être revue dans le sens d'une plus grande précision. Les procureurs généraux restreignent par trop cette notion en y associant une circonstance aggravante, requise pour que la victime puisse obtenir une autorisation spéciale de séjour en vue d'être entendue comme témoin en matière de traite des êtres humains, à savoir la violence, les menaces, la ruse ou l'abus d'autorité (voir la circulaire nº COL12/99 du 3 juin 1999).

Les personnes coupables de délits en matière de corruption de la jeunesse ou de prostitution (article 379, 380bis et 381bis du Code pénal) doivent éventuellement être mises à la disposition du gouvernement; il est nécessaire pour cela de compléter la loi.

2. Armes

Notre législation sur la détention, le port et le commerce des armes est tellement complexe qu'elle n'est plus praticable, même pour les policiers. Il est souhaitable que les diverses catégories d'armes soient clairement définies en fonction du degré de danger qu'elles représentent et aussi que notre législation soit mise en conformité, dans toute la mesure du possible, avec la législation européenne en la matière.

Les peines d'emprisonnement doivent être aggravées lorsqu'il s'agit d'armes dangereuses ou de trafic d'armes. S'il s'avère que les armuriers approvisionnent de dangereux malfaiteurs, ils doivent être interdits d'activité commerciale durant une période prolongée.

Toutes les armes fabriquées ou importées en Belgique doivent porter un numéro national d'identification et ces informations devraient être enregistrées dans une banque nationale des données balistiques. Les armes non poinçonnées devraient en tout cas être confisquées et détruites. L'importation des armes devrait être mieux réglementée et l'accès à la profession d'armurier mieux contrôlé; en outre, un contrôle plus efficace devrait être opéré durant l'exercice de la profession.

3. Écoutes téléphoniques

Si chacun s'accorde à reconnaître que l'écoute téléphonique est une arme efficace dans la lutte contre la criminalité organisée, il apparaît cependant qu'en pratique, cette technique de recherche ne peut être utilisée efficacement parce que la réglementation est si complexe et fastidieuse que les magistrats hésitent à y recourir.

L'écoute téléphonique est surtout indispensable pour la lutte proactive contre la grande criminalité. La loi devrait être adaptée pour que l'on puisse utiliser cette technique de recherche dans le cadre de l'information proactive.

4. Fraude fiscale

La fraude fiscale liée à la criminalité organisée typique devrait être combattue plus efficacement. Les petits délits aux lois fiscales peuvent être sanctionnés adéquatement au moyen d'amendes administratives et il semble raisonnable de cesser de recourir au droit pénal comme instrument de dissuasion de cette fraude mineure. De plus, la recherche de ces petites infractions entraîne un tel surcroît de travail pour le ministère public que son attention et sa capacité de recherche se trouvent absorbées par les petits délits.

Un délit spécifique d'« escroquerie fiscale », dûment inscrit dans le Code pénal, permettrait sans doute de mieux réprimer le recours systématique à des manoeuvres frauduleuses en vue d'éluder le paiement de dettes d'impôt considérables.

Le fait d'éluder des impôts en commettant des délits de droit commun, serait réprimé par la loi pénale en tant qu'escroquerie caractérisée. Il y a lieu d'éviter que les sanctions pénales n'aillent de pair avec des sanctions administratives, car un tel concours est contraire à la CEDH et entraîne en outre un surcroît de travail inutile.

5. Saisies

En vue de promouvoir la lutte proactive contre la criminalité organisée, il y a lieu d'instituer dans le droit belge une saisie conservatoire applicable aux biens mobiliers comme aux biens immobiliers.

Il s'agit de mesures conservatoires devant permettre de ponctionner plus efficacement les avantages acquis de manière illicite et, d'autre part, de laisser plus de temps aux enquêteurs pour vérifier si les biens ne font pas l'objet de pratiques de blanchiment.

Lorsqu'il s'agit de biens immobiliers, il faut éviter de devoir appliquer la procédure extrêmement lourde de la saisie immobilière; une mesure conservatoire provisoire (indisponibilité temporaire) serait déjà suffisante, mais nécessite une modification de la loi.

6. Délits envers les mineurs

L'enlèvement de filles de moins de 16 ans (article 369 du Code pénal) devrait être adapté par le législateur afin de placer également sous le coup de la loi pénale l'enlèvement de garçons de moins de 16 ans. Il n'y a aucune raison de faire une distinction selon le sexe de la victime.

7. Garde à vue

Une prolongation de la garde à vue de 24 à 48 heures, qui correspondrait à la réglementation légale en vigueur dans la plupart des pays signataires des accords de Schengen, faciliterait non seulement les recherches judiciaires, mais permettrait en outre de décerner beaucoup moins de mandats de détention préventive, puisque l'enquête serait beaucoup plus avancée au moment de soumettre le dossier pénal au juge d'instruction. Cette mesure nécessite toutefois de revoir l'article 12 du texte de la Constitution coordonnée le 17 février 1994.

8. Techniques spéciales de recherche

À ce jour, les techniques spéciales de recherche sont régies par des circulaires ministérielles. Il est toutefois essentiel qu'une loi vienne régler cette matière. Étant donné qu'il est de plus en plus fréquent que l'entraide soit sollicitée sur le plan européen en vue de mettre sur pied des actions communes, une législation uniforme est plus nécessaire que jamais.

Il serait au demeurant souhaitable que toutes les techniques spéciales (et exceptionnelles) de recherche utilisables à l'égard de la grande criminalité soient réunies dans un instrument juridique unique.

9. Analyses ADN et données ADN

Le gouvernement devrait promulguer dès que possible les arrêtés d'exécution de la loi du 22 mars 1999 relative à la procédure d'identification par analyse ADN en matière pénale, sans quoi la loi ne pourra pas sortir ses effets et la matière restera soumise aux principes généraux de l'administration de la preuve, ce qui n'est assurément pas de nature à promouvoir la sécurité juridique.

Il serait également souhaitable de mettre en place une banque de données rassemblant l'ensemble des données en matière d'ADN. Pas plus que la banque des empreintes digitales fonctionnant depuis plus d'un demi-siècle au ministère de la Justice, une banque de données rassemblant les identifications génétiques n'est susceptible de mettre en danger le droit au respect de la vie privée. Dans les deux cas, il s'agit de stocker des formules mathématiques dans un fichier de données, opération qui est autorisée dans tous les pays voisins du nôtre.

10. Visites domiciliaires

La règle légale interdisant les perquisitions entre 9 heures du soir et 6 heures du matin, sauf lorsque le juge d'instruction descend sur les lieux en cas de flagrant délit, est totalement inadaptée à la criminalité organisée. Cette conception dépassée de la violabilité du domicile empêche les enquêteurs d'agir efficacement et doit être abrogée, de telle sorte que l'on puisse opérer également de nuit à l'encontre des acteurs de la grande criminalité.

Il s'est également avéré inefficace de soumettre la fouille des véhicules aux règles contraignantes de la perquisition. Il est maintes fois apparu extrêmement utile par le passé que, dans le cadre de la recherche proactive, on puisse fouiller très rapidement des véhicules et qu'il y avait lieu d'abroger toute formalité susceptible de perturber ou d'empêcher une telle fouille par l'observation d'un formalisme superflu. La fouille d'un véhicule ne compromet pas la vie privée du conducteur ou de son propriétaire ou, à tout le moins, cette légère entorse à la liberté individuelle ne fait pas le poids face à l'information importante que l'on peut recueillir lorsqu'il s'agit de combattre la grande criminalité.

11. Révision de certains délais de prescription

On peut également envisager de revoir certains délais de prescription afin de donner davantage de temps aux services judiciaires pour étudier les dossiers parfois complexes de la criminalité organisée et de pouvoir en distiller les conclusions voulues.

12. Protection des sources et secret professionnel

À présent que des informations secrètes sont stockées dans des fichiers informatiques, la violation de ces banques de données risquerait de compromettre toute la lutte contre la grande criminalité. Il est donc nécessaire d'infliger de très lourdes peines aux personnes qui s'introduisent dans ces fichiers ainsi qu'aux agents qui divulgent ces données ou ces informations ou prêtent leur concours à la violation de ces fichiers.

Il s'agit en l'occurrence de données d'importance nationale et la divulgation de certaines d'entre elles peut mettre en péril la vie de policiers ou d'auxiliaires.

13. Utilisation abusive de la loi sur la naturalisation

Une réglementation doit être mise en place pour combattre l'utilisation abusive que des organisations criminelles font de la loi sur la naturalisation.

14. Contrefaçons

Les chiffres d'affaires et les bénéfices liés aux biens de contrefaçon sont passablement élevés et le milieu se montre de plus en plus intéressé par cette branche de la criminalité. Cette matière doit bénéficier d'une attention particulière.

B. Mesures spécifiques

1. Informatisation des parquets

Les auditions ont fait apparaître que les magistrats du parquet ne disposaient pas tous du matériel et des logiciels nécessaires pour consulter les banques de données existantes. Il apparaît pourtant indispensable que les magistrats du parquet puissent consulter les sources d'information existantes (registre national, bulletin central de signalement, casier judiciaire, etc.).

Les magistrats du parquet devraient également disposer du mot de passe requis pour avoir accès aux circulaires du ministre de la Justice et du collège des procureurs généraux, ou pour consulter le site web du ministère de la Justice.

Deux magistrats par parquet au moins devraient avoir accès aux banques de données précitées.

2. Accès à la banque de données des sociétés commerciales

Les magistrats du parquet qui souhaitent obtenir des renseignements sur les sociétés commerciales sont actuellement obligés de les demander en passant par le SGAP, ce qui entraîne une perte de temps inutile. Il conviendrait par conséquent que quelques magistrats du parquet aient accès, via un serveur central, à toute l'information financière et fiscale relative aux sociétés commerciales.

Actuellement, des discussions sont en cours au Sénat sur la réforme de la législation relative aux ASBL. Un des points de tangence avec notre problématique est le recours abusif à la structure juridique d'une ASBL. Afin de ne pas provoquer un effet de déplacement, il est assurément utile de soumettre également la constitution des sociétés à un contrôle systématique, afin que cette forme d'organisation ne devienne pas la proie de la criminalité organisée une fois que l'on aura mieux réglementé la structure de l'ASBL.

3. Accès à la banque centrale de données relatives au kilométrage des véhicules

La loi du 12 mars 2000 réprimant certaines fraudes relatives au kilométrage des véhicules vise à la création d'un registre national des véhicules permettant de retrouver la trace de toutes les voitures. Cette banque centrale de données, à laquelle un arrêté royal doit encore donner exécution, permettra au parquet, non seulement de connaître l'acheteur mais aussi de retracer l'évolution du kilométrage des véhicules. Il est par conséquent important que le magistrat du parquet ait lui aussi accès à ce registre central, dès que le pouvoir exécutif aura promulgué les mesures d'exécution requises.

4. Développement des statistiques et évaluation

Afin de disposer d'une meilleure vue d'ensemble de la criminalité organisée et, en même temps, de mieux pouvoir la combattre, il faut commencer par bien cerner la problématique. Les statistiques et les évaluations figurent à cet égard au nombre des outils intéressants. Il convient donc de s'efforcer de mettre en place un instrument statistique à part entière et il serait par ailleurs utile, eu égard à la nature du problème, que les chiffres soient publiés annuellement tandis que l'évaluation se ferait, elle, tous les deux ans.

5. Collaboration entre services judiciaires

On peut une nouvelle fois insister sur le fait que les nombreux services judiciaires doivent parvenir à une meilleure collaboration sur le terrain. On pense à cet égard aux douanes, à la police fédérale, à l'Inspection sociale, à l'ISI, à l'OCDEFO, ...

C. Réforme de la politique pénale

1. Administration armée

On est en droit d'attendre de l'administration bien davantage que le seul fait d'enregistrer des déclarations, de consigner des plaintes et d'acter des discussions. L'administration doit également se voir accorder le temps voulu pour effectuer des tâches de contrôle ainsi que le pouvoir d'enquête nécessaire pour étayer les décisions. Quand une autorisation doit être octroyée, ou qu'une autorisation administrative doit être donnée, l'administration doit disposer des moyens, du temps et des pouvoirs nécessaires pour agir en connaissance de cause.

Dans cette optique, il y a lieu d'adapter la loi sur la naturalisation afin que les parquets disposent du temps voulu pour procéder à une enquête de sécurité approfondie.

2. Inventaire de la prostitution

Les procureurs des grandes villes proposent de procéder à l'enregistrement systématique de tou(te)s les prostitué(e)s, ce qui peut apparaître comme souhaitable. Cet enregistrement faciliterait le contrôle de la police et favoriserait le nécessaire accompagnement psycho-social de cette catégorie de personnes extrêmement vulnérables.

On s'interroge sur le point de savoir si pareil enregistrement doit avoir un caractère officiel, car il équivaudrait à reconnaître officiellement la profession de prostitu(é)e. Il faut en tout cas éviter que les prostitu(é)es n'apparaissent comme des travailleu(rs)ses occupé(e)s dans le cadre d'une activité commerciale. Cette approche mettrait en cause la dignité humaine et, en outre, aurait pour effet de légaliser l'exploitation sexuelle. Qui plus est, le proxénétisme deviendrait une profession légalement reconnue.

3. Commission déontologique des Chambres législatives

Les auditions ont fait apparaître que le lobbying politique s'inscrivait peu à peu au nombre des stratégies d'infiltration auxquelles recourt la criminalité organisée. Afin de prévenir de telles pratiques et de protéger les parlementaires, la création d'une commission déontologique des Chambres législatives pourrait être une solution possible.

D. Coopération européenne et internationale

1. Europol et traite des êtres humains

Sur le plan judiciaire, il est urgent d'envisager le phénomène de la traite des êtres humains et de la prostitution d'une manière plus cohérente et plus rationnelle :

— c'est pourquoi l'on s'emploie à améliorer la collaboration internationale. Celle-ci est laborieuse entre services de police et les autorités judiciaires et la correspondance avec Interpol est trop lente. Des études effectuées au niveau européen et dans d'autres pays ont déjà montré que les trafiquants utilisent les itinéraires (et les lieux d'établissement) les moins coûteux et sur lesquels ils risquent à leur avis de rencontrer le moins de résistance;

— il est indispensable d'uniformiser et d'améliorer l'efficacité et, pour ce faire, il faut commencer par réaliser des études de droit comparé;

— la collaboration et les synergies avec les départements et les services compétents en matière d'immigration (Intérieur — Office des étrangers — Affaires étrangères) doivent être améliorées;

— il faut souligner une nouvelle fois, avec force, qu'on n'arrivera à concrétiser une politique efficace dans le domaine de la traite des êtres humains que si l'on dispose de la capacité d'investigation nécessaire, et ce, à la fois au niveau du parquet et au niveau des services de police nationaux compétents. À l'heure actuelle, cette condition n'est pas remplie;

— l'investigation doit être quantitative aussi bien que qualitative : l'ampleur et l'origine des flux illégaux doivent être recensées;

En outre, il faut enquêter sur l'organisation sociale et sur la hiérarchie des réseaux qui organisent l'immigration illégale et la traite des êtres humains.

À cet effet, il est indispensable d'octroyer des crédits suffisants aux institutions universitaires.

— les parquets doivent être organisés dans toute la mesure du possible selon un schéma multidisciplinaire. Cela signifie que les différentes sections de chaque parquet ne peuvent pas travailler de manière autonome. Il faut en particulier promouvoir l'interaction entre les sections civile et pénale du parquet;

— des officiers de liaison doivent être désignés en vue de promouvoir l'échange d'informations entre l'administration et le parquet.

2. Opérations sous couverture

L'article 13 de la Convention européenne du 29 mai 2000 sur l'entraide établit la base légale des opérations internationales de police telles que les opérations sous couverture.

Cet article prévoit la possibilité de mettre sur pied des équipes transnationales conjointes de recherche.

Les officiers de police étrangers opérant en territoire belge dans le cadre d'une telle équipe de recherche doivent être habilités à effectuer eux-mêmes tous les actes de recherche prévus en droit belge. Cette mesure permettra aux pays soumis à la Common Law d'utiliser immédiatement, et en tant que tel, dans leur propre procédure pénale les éléments de preuve recueillis en Belgique, dans la mesure où l'officier international de police concerné pourra témoigner personnellement.

3. Officiers de liaison

La coopération internationale « horizontale » doit être encouragée. Les officiers de liaison revêtent à cet égard une importance essentielle.

E. La présidence belge et la criminalité organisée

Différents aspects de la criminalité organisée présentent une dimension européenne, voire internationale. Étant donné qu'à partir du 1er juillet 2001, la Belgique assurera la présidence pour une période de six mois, il serait utile que, dans ce cadre, le gouvernement prenne l'initiative d'organiser des tables rondes avec les pays de l'Union européenne.

VOTES

Les recommandations susmentionnées ont été approuvées à l'unanimité des 5 membres présents.

Le présent rapport a été approuvé à la même unanimité.

Les rapporteurs, Le président,
Frans LOZIE. Hugo VANDENBERGHE.
Jean-François ISTASSE.

(1) Voir la proposition instituant une commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique, déposée par M. Vandenberghe et consorts, doc. Sénat, 6 mai 1996, 1995-1996, nº 1-326/1.

(2) Doc. Sénat, 1995-1996, nºs 1-326/1 à 6, et Compte rendu analytique du 18 juillet 1996.

(3) Premier rapport intermédiaire sur la notion de criminalité organisée, fait par M. Coveliers et Mme Milquet, doc. Sénat, nº 1-326/7.

(4) Deuxième rapport intermédiaire fait par MM. Coveliers et Desmedt, doc. Sénat, nº 1-326/8.

(5) Rapport final fait par MM. Coveliers et Desmedt, doc. Sénat, nº 1-326/9, pp. 235 et suivantes.

(6) Rapport final, op. cit., p. 518.

(7) Rapport final, op. cit., p. 535.

(8) Doc. Sénat, nº 1-326/10.

(9) Voir ci-après, p. 14.

(10) Selon les déclarations d'un sénateur, cette institution va malheureusement devoir fermer ses portes faute de moyens. Le ministre ne pourrait-il pas aborder ce problème au niveau international ?

(11) Réunion du 8 juin 2000.

(12) Réunion du 15 juin 2000.

(13) Réunion du 29 juin 2000.

(14) Réunion du 17 juillet 2000.

(15) Réunion du 17 juillet 2000.

(16) La commission du suivi a consacré un débat distinct à l'examen du rapport d'évaluation concernant la loi du 30 juin 1994 relative à la protection de la vie privée contre les écoutes, la prise de connaissance et l'enregistrement de communications et de télécommunications privées, modifiée par la loi du 10 juin 1998. Compte tenu du fait que la commission doit poursuivre ses travaux sur ce thème, celui-ci fera l'objet d'un chapitre distinct, qui sera publié ultérieurement.