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SÉANCE DU JEUDI 12 FÉVRIER 1998 |
VERGADERING VAN DONDERDAG 12 FEBRUARI 1998 |
M. le président. L'ordre du jour appelle la question orale de M. Destexhe au ministre de la Défense nationale.
La parole est à M. Destexhe.
M. Destexhe (PRL-FDF). Monsieur le président, lorsqu'une catastrophe se produit, les familles des victimes ont droit à la vérité. Dans une moindre mesure, le public y a droit aussi, puisque de tels événements sont l'occasion de mesurer le plus ou moins bon fonctionnement de certains services publics, notamment des services de secours.
En ce qui concerne l'affaire du C-130, c'est donc de cela qu'il s'agit dans un domaine qui est de votre ressort, monsieur le ministre, à savoir la responsabilité politique et non le fait de juger le comportement de tel ou tel homme, ce qui, vous l'avez dit à plusieurs reprises, relève de l'autorité judiciaire.
À la suite d'une catastrophe civile, il est de coutume de conclure, le cas échéant, que « l'erreur de la tragédie est d'origine humaine ». Nous le savons tous, l'erreur est humaine. En revanche, dans le cas d'une catastrophe militaire, il semble que l'on prenne beaucoup plus de précautions. Vouloir connaître la vérité ne peut en aucun cas être interprété comme une insulte à la mémoire de l'équipage, quelle que soit cette vérité. Ce qui est insultant, c'est de tenter de se débarrasser de questions pertinentes et légitimes en utilisant la mémoire des victimes, comme l'a fait le général Vanhecke, ainsi que vous-même, dans une moindre mesure. Vous avez tous deux déclaré que l'équipage avait agi de manière héroïque. Nul ne conteste ce point de vue. Cependant, et j'ignore si tel est le cas, on peut parfois avoir une défaillance à un certain moment, et la minute suivante, agir en héros. Selon moi, en aucun cas, le fait de qualifier d'héroïque le comportement d'un équipage ne doit servir à occulter la vérité, quelle qu'elle soit.
Je souhaiterais vous poser une série de questions à cet égard, monsieur le ministre.
La commission Rwanda a récemment conclu que vous n'aviez pas correctement informé le Parlement sur les événements de 1994. N'êtes-vous pas en train de commettre la même erreur dans cette tragédie du C-130 ?
N'estimez-vous pas que les mêmes critères d'établissement objectif des faits et de transparence doivent s'appliquer dans une catastrophe civile et dans une catastrophe militaire ?
Des contradictions sont-elles apparues entre les conclusions de la commission d'enquête belgo-néerlandaise et les informations en votre possession ?
D'après la presse, en juillet 1996, les familles des victimes du C-130 ne semblent pas avoir été mieux traitées que celles des commandos du Rwanda. A-t-on relevé des déficiences dans l'accueil des familles ? Si oui, comment les expliquer plus de deux ans après le 7 avril 1994 ?
Je souhaite également évoquer un élément dont je n'avais pas connaissance au moment du dépôt de ma question. Hier soir, la télévision a mentionné le fait que l'association des victimes néerlandaises avait demandé de pouvoir accéder au dossier complet. Cette information est-elle exacte, monsieur le ministre ?
M. le président. La parole est à M. Poncelet, ministre.
M. Poncelet, ministre de la Défense nationale. Monsieur le président, je reste toujours pantois devant la courtoisie et la cordialité dont M. Destexhe fait preuve à mon égard dans ses questions et observations.
D'abord, je rappelle que le Premier ministre a, devant le Sénat et la Chambre, réfuté l'accusation selon laquelle le ministre des Affaires étrangères et le ministre de la Défense nationale n'avaient pas correctement informé le Parlement sur les événements du Rwanda. Pour ma part, dans un communiqué du 18 décembre 1997, qui semble ne pas avoir été lu par tous, j'ai expliqué dans le détail les raisons pour lesquelles ce grief n'était pas fondé à mon égard. Je ne reviendrai plus sur cette affaire.
Cela étant, j'ai veillé à informer le Parlement d'une manière aussi complète que possible des suites du tragique accident du C-130, dès le 19 juillet, soit quatre jours après la tragédie, à l'occasion d'une question du sénateur Verreycken.
Le 3 octobre 1996, en vue d'informer les familles et l'opinion publique sur les causes de la catastrophe, des rapports provisoires ont été rendus publics conjointement en Belgique et aux Pays-Bas.
Il s'agit des résultats de trois enquêtes menées par une commission militaire belgo-néerlandaise constituée le 15 juillet 1996, une commission du ministère de l'Intérieur des Pays-Bas et une commission de la municipalité d'Eindhoven.
De ces enquêtes, il ressort clairement, notamment des communiqués des autorités néerlandaises, qu'il n'y a pas de reproches à faire à l'équipage belge; bien au contraire, ces mêmes autorités soulignent le comportement héroïque de ce dernier.
Nous avons veillé à ce que les familles soient les premières informées du contenu de ces rapports provisoires, soit le 3 octobre à Soesterberg pour les familles néerlandaises et, le même jour, à Melsbroek pour les familles de l'équipage belge. L'après-midi du 3 octobre, un briefing a été organisé pour les médias à Eindhoven. Le 4 octobre 1996, j'ai informé le Conseil des ministres du résultat de ces rapports et, le 9 octobre, j'ai fait part des mêmes informations à la commission de la Défense de la Chambre à l'occasion d'une question de M. Erdman. Plus tard, j'ai répondu successivement aux questions parlementaires de M. Spinnewyn, de Mme Bastien et de M. Reynders. J'en conviens, c'est à la Chambre que toutes ces questions ont été posées.
Le 23 décembre 1996, la commission d'enquête belgo-néerlandaise a terminé son travail. Le rapport final, classé confidentiel, a confirmé les conclusions du rapport provisoire et a été traité selon les règles en vigueur par les autorités néerlandaises et belges. Aux Pays-Bas, un rapport a été établi le 17 avril 1997 à la deuxième chambre. Il a été présenté par le ministre de l'Intérieur, M. Dijckstal.
Parlant de l'équipage, ce rapport énonce, je cite : « De minister van Defensie onderschrijft de conclusies van de Raad van Advies inzake luchtvaartongevallen bij defensie. De conclusie van de Raad dat het doorzetten van de landing onder de gegeven omstandigheden een veiligere keuze zou zijn geweest, is geen verwijt aan het adres van de bemanning. Het is een conclusie die pas achteraf kon worden getrokken, na grondige bestudering van de onderzoeksresultaten en een reconstructie van de gebeurtenissen. Speculeren over wat er zou zijn gebeurd als de bemanning zou hebben besloten de landing voort te zetten, heeft weinig zin. De bemanning heeft, toen zij werd geconfronteerd met de ongewoon dichte massa vogels, onmiddellijk moeten handelen. Haar keuze een doorstart te maken is een verdedigbare. De bemanning verdient respect voor haar pogingen om, toen het toestel eenmaal was verongelukt, de uitgebroken brand te blussen en de geblokkeerde uitgangen te openen. »
En Belgique, le rapport a été présenté au chef d'état-major de la force aérienne qui en a tiré les conclusions finales et une liste de recommandations pour optimiser la sécurité aérienne. Cette procédure n'a rien d'exceptionnel puisque, après chaque accident, on essaie de tirer les conclusions et d'établir des recommandations.
Le 17 avril 1997, ces conclusions et recommandations ont été rendues publiques par la force aérienne via un communiqué de presse. Le lendemain, le 18 avril, j'ai moi-même fait publier un communiqué citant les conclusions de mes collègues néerlandais. Parallèlement, une enquête judiciaire a été menée en Belgique. Par sa lettre du 25 juin 1997, M. Minne, auditeur général près la Cour militaire, m'a annoncé qu'il classait le dossier sans suite. À ce jour, je ne dispose pas du dossier judiciaire, qui ne m'a pas été transmis. Le 7 juillet 1997, j'en ai informé la Chambre en réponse à une question d'actualité posée par M. Reynders. Comme vous le savez, la justice militaire ne relève pas des compétences du ministre de la Défense nationale mais bien de celles du ministre de la Justice. Le 11 juillet 1997, j'ai communiqué la lettre de l'auditeur militaire à l'état-major de la force aérienne en lui demandant de fournir de plus amples renseignements.
À partir du mois d'août 1997, plusieurs contacts ont eu lieu à ce sujet avec l'état-major de la force aérienne.
Le 4 février 1998, le chef d'état-major de la force aérienne m'a transmis une note relative aux mesures prises ou envisagées. J'en ai informé la commission de la Défense nationale de la Chambre avant-hier.
Si je suis certain que les mêmes critères d'établissement objectif des faits doivent s'appliquer pour les catastrophes civiles et les catastrophes militaires, je ne suis pas certain que les mêmes critères de transparence peuvent toujours être pris en compte. Je crois qu'il faut faire preuve d'une transparence qui soit compatible avec le bon fonctionnement de nos institutions, en particulier à l'égard des familles des victimes. En l'espèce, les familles des victimes qui l'ont demandé ont eu accès au dossier confidentiel rédigé par la commission d'enquête belgo-néerlandaise.
Mardi dernier, j'ai déclaré devant la commission de la Défense nationale de la Chambre des représentants que j'étais disposé à ce que ses membres puissent consulter le rapport confidentiel de la commission belgo-néerlandaise selon des modalités à déterminer. En effet, il convient d'éviter que son contenu soit divulgué dans le grand public du fait qu'il contient des données personnelles relatives à un certain nombre de victimes de la catastrophe, notamment les rapports d'autopsie.
Je rappelle que les Néerlandais, dont on se plaît à vanter le souci de transparence, n'ont pas non plus jugé utile de rendre ce rapport public. Vous comprendrez donc que je ne puis le faire avant d'avoir obtenu l'accord des Néerlandais, qui sont cosignataires de ce rapport.
Par ailleurs, j'ai été informé de critiques portant sur la manière dont le dossier a été traité. J'ai demandé à l'état-major de la force aérienne d'y réagir et j'ai reçu ses explications.
Sur la base des informations dont je dispose actuellement, je n'ai pas de raison de mettre en doute les conclusions de la commission d'enquête belgo-néerlandaise notamment du fait qu'elle comportait pratiquement autant de membres belges que de Néerlandais. En effet, les Néerlandais n'étant pas masochistes, ils n'avaient aucune raison d'atténuer les responsabilités pouvant incomber aux autorités belges.
Entre un rapport officiel d'une commission d'enquête indépendante composée de Belges et de Néerlandais, d'une part, et les allégations d'un ancien pilote de la force aérienne, d'autre part, à qui un ministre responsable doit-il d'abord se fier ? Pour moi, la réponse était claire.
À propos de l'accompagnement des familles des victimes, j'étais présent sur le site de l'accident d'Eindhoven avant même mon collègue néerlandais. J'ai passé une partie de la nuit à coordonner les mesures à prendre avec les diverses autorités des deux pays.
J'ai rencontré à plusieurs reprises tous les membres des familles des victimes. C'est ainsi que je peux vous parler de la famille du capitaine Gielen, de celle du lieutenant Vandereycken, de sa fiancée avec qui je me suis entretenu, des proches du sous-officier Verdonck. J'ai également rencontré à plusieurs reprises la veuve du « loadmaster », Mme Vomberg, qui m'a expliqué les conditions inacceptables pour ce qui la concerne et je partage cet avis dans lesquelles elle a été informée de l'accident et du décès de son mari par la force aérienne. J'en ai fait part à la force aérienne et demandé à Mme Vomberg de venir témoigner devant la commission de la Défense nationale à la Chambre, ce qu'elle a accepté.
J'ai ensuite demandé la publication intégrale de ce témoignage dans le magazine Vox , l'hebdomadaire des forces armées qui est transmis à tous les membres de la communauté militaire et, me semble-t-il, à une bonne partie des membres de cette assemblée.
Le témoignage de Mme Vomberg a effectivement montré qu'il y avait eu des lacunes et des dysfonctionnements dans la manière dont elle avait été informée du décès de son mari. J'avais d'ailleurs demandé ce témoignage dans le souci de renforcer la politique d'appui psychosociale que je veux mener au sein de mon département.
Il faut distinguer les procédures d'avertissement des familles juste après un accident et leur prise en charge sociale ultérieure. Je le répète, dans le cas de Mme Vomberg, s'est posé, à l'évidence, un problème de communication et de prise en charge.
Toutefois, en ce qui concerne les autres familles, nous n'avons reçu aucun reproche semblable de leur part sur les conditions dans lesquelles cette information pénible a été faite.
En ce qui concerne le deuxième aspect, c'est-à-dire la prise en charge sociale, celle-ci a été appréciée par les familles, qui me l'ont d'ailleurs écrit. Je puis vous décrire la façon dont elles ont été informées et vous expliquer les conditions dans lesquelles des règlement financiers ont été apportés, mais je ne pense pas que cet endroit soit le plus approprié pour citer tous ces chiffres.
Par la suite, nous avons pris l'initiative de réaliser un nouveau plan de gestion des catastrophes au sein des forces armées. Le schéma général est au point et sera progressivement mis en place. Nous avons créé au sein de l'état-major général une cellule de coordination et d'évaluation de l'action psychosociale. Nous avons revu les procédures protocolaires lors des cérémonies d'hommage aux victimes. Nous avons constitué un dossier « Décès des militaires » destiné à aider les militaires à prendre toutes les mesures en ces circonstances. Nous allons mettre en place, à la force terrestre, dans chaque brigade, du personnel spécialisé dans ce domaine. Enfin, nous allons rapprocher l'O.C.A.S.C. et l'O.R.A.F., les deux organismes parastataux de la défense qui sont chargés de l'accompagnement social des militaires.
Je reconnais que des lacunes et des maladresses se sont produites.
Tels sont les éléments précis que je puis apporter en réponse à la question de M. Destexhe.
M. le président . La parole est à M. Destexhe pour une réplique.
M. Destexhe (PRL-FDF). Monsieur le président, j'émettrai trois remarques.
En ce qui concerne le Rwanda, il est clair que le Premier ministre a lavé le ministre Poncelet de toute accusation, mais nous savons tous que, dans ce dossier, le Premier ministre est à la fois juge et partie.
Je vous rappelle tout de même, monsieur le ministre, qu'une commission composée de quinze parlementaires représentant tous les partis politiques a conclu que vous n'aviez pas informé correctement le Parlement. À cet égard, je déplore d'ailleurs vos tentatives d'en faire un problème communautaire, notamment lorsque vous vous en êtes pris, dans Le Vif-l'Express , à M. Verhofstadt en l'accusant de vouloir faire de ce dossier un problème nord-sud alors qu'il ne faisait, peut-être un peu prématurément, que relayer les conclusions d'une commission d'enquête parlementaire.
J'en viens à une deuxième remarque en ce qui concerne l'information du Parlement. J'estime là aussi que l'on peut mettre vos réponses en doute et que l'on est en droit de s'interroger. Comme pour le Rwanda, vous avez répondu à des questions à de nombreuses reprises les parlementaires n'ont malheureusement pas d'autre choix que de se fier aux réponses qui leur sont faites par les ministres mais les informations que vous nous avez données ne correspondaient pas aux faits et à la vérité. Cela suscite donc le doute pour d'autres réponses dans d'autres dossiers.
Enfin, je vous demandais s'il fallait distinguer les catastrophes civiles et militaires. Je crains que vos réponses ne contribuent pas à lever les doutes et les soupçons qui peuvent éventuellement planer. En effet, vous avez reconnu publiquement à l'instant que, dans certains cas, une distinction pouvait être opérée. Il ne s'agit pas des dossiers d'autopsie et des rapports personnels, bien entendu. Nul ne conteste qu'il faut rester discret sur ces plans. Évidemment, qu'il s'agisse de catastrophes civiles ou militaires, aucune distinction ne doit être faite en la matière. Il faut préserver la dignité et l'honneur des victimes et des familles.
Par contre, lorsqu'un avion militaire revient d'une mission de paix, transporte un orchestre et atterrit sur l'aéroport d'un pays voisin, je ne vois absolument pas en quoi il faudrait distinguer ce drame d'une catastrophe civile similaire. Cette attitude contribuera à entretenir certaines questions.
M. le président . L'incident est clos.
Het incident is gesloten.