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Sénat de Belgique |
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Annales des réunions publiques de commission |
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COMMISSION DE L'INTÉRIEUR ET DES AFFAIRES ADMINISTRATIVES |
COMMISSIE VOOR DE BINNENLANDSE EN ADMINISTRATIEVE AANGELEGENHEDEN |
SÉANCE DU MERCREDI 22 OCTOBRE 1997 |
VERGADERING VAN WOENSDAG 22 OKTOBER 1997 |
Mme la présidente . L'ordre du jour appelle la demande d'explications de Mme Lizin au vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur et au ministre de la Justice.
La parole est à Mme Lizin.
Mme Lizin (PS). Madame la présidente, je déplore l'absence du ministre de la Justice, lequel est également concerné, mais j'espère que le ministre de l'Intérieur pourra me communiquer un certain nombre de réponses.
Je suis frappée par le manque d'intérêt accordé aux informations relatives aux activistes des réseaux islamistes en Belgique. Un jour, certains découvriront avec stupeur qu'un certain nombre de données étaient connues depuis longtemps.
Quoi qu'il en soit, il convient de se pencher d'abord sur des informations disponibles avant d'essayer de comprendre les événements qui se déroulent en Algérie. L'hebdomadaire belge Télémoustique vient de publier une excellente synthèse à ce sujet. Il dresse, pour une fois, une carte assez complète des connaissances.
M. le ministre de l'Intérieur peut-il confirmer l'existence des réseaux, leur nombre, leurs connexions ?
Par rapport au G.I.A., dans sa forme actuelle, existe-t-il un réseau logistique coordonné qui leur fournit des armes, du matériel médical, des moyens financiers ? Les activités de ces réseaux sont-elles en train d'augmenter ? Quelle est l'analyse effectuée à cet égard ?
L'article, rédigé par un journaliste d'origine française, donne l'impression que selon le ministre français de l'Intérieur, les Belges ne réagiraient qu'en cas de demande expresse des services français et encore, avec retard.
Quels contacts avons-nous avec les autorités françaises ? Que savons-nous de la manière dont travaillent les services français sur notre territoire ? Comment circulent les informations relatives aux réseaux actifs en Belgique ? Quelle est la nature de nos contacts avec les services français à propos de la question algérienne ?
Qu'en est-il du suivi des individus soupçonnés d'appartenir à des réseaux pouvant être impliqués dans les attentats qui ont déjà eu lieu ou qui ont été désamorcés sur le territoire français, sans omettre ceux annoncés par le G.I.A. dans son texte de revendication des massacres de Bentalha ?
Les relations entre nos services respectifs sont-elles bonnes ? S'échangent-ils leurs données ? Avez-vous le sentiment, monsieur le vice-Premier ministre, que la France garde par-devers elle des informations concernant des citoyens algériens ou belges appartenant à des réseaux actifs en Belgique ?
Estimez-vous que vos services sont suffisamment équipés je pense en particulier aux analystes et au personnel opérationnel pour faire face à la situation actuelle ?
Par exemple, le juge français Bruguières s'est occupé d'une opération qui a été relativement bien médiatisée mais dont le résultat a été critiqué. Or, dans le cadre de cette affaire, un important matériel avait été saisi. Comment celui-ci est-il traité ? Les hommes sont-ils suffisamment nombreux pour pouvoir examiner rapidement les objets saisis, par exemple, les carnets de téléphone ? Les éléments sont-ils exploités ? Dans quels délais l'examen peut-il être fait ?
C'est précisément cette opération qui est la plus critiquée dans l'article de Télémoustique , selon lequel les Belges n'ont bougé qu'une fois placés au pied du mur, c'est-à-dire quand leur non-réaction devenait susceptible de créer un incident.
Monsieur le vice-Premier ministre, cette opération a-t-elle fait l'objet de blocages et certains éléments ont-ils été sous-estimés ?
L'article de Télémoustique semble sous-entendre qu'un homme comme Zaoui pourrait bénéficier d'une certaine tolérance en ce qui concerne ses déplacements, pas nécessairement de la part des ministres mais de celle du personnel. Il a en effet été retrouvé à l'extérieur du territoire belge, alors qu'il était supposé rester à la rue Masui. Le déplacement a d'ailleurs été acté. Un tel agrément total, à un échelon inférieur à celui des ministres, pourrait-il être conclu à l'encontre de la décision initiale avec un individu qui s'engagerait à ne pas mener ses activités sur le territoire belge, en échange d'une certaine liberté de circulation ?
L'individu en question a formulé des déclarations très particulières tout à fait inacceptables, selon moi dans un pays de droit en vertu desquelles il ajoutait sa voix à une revendication de massacres publiée à Londres. Le fait de pouvoir revendiquer des massacres dans un pays européen, en l'occurrence l'Angleterre, sans que cela n'entraîne une réaction de la part de celui-ci, ne me paraît pas normal. Selon moi, une telle situation devrait faire l'objet d'une démarche diplomatique et pas seulement de la part de l'Algérie. Elle devrait également donner lieu à un débat à l'échelon de la coopération politique.
Comment, monsieur le vice-Premier ministre, interprètez-vous la déclaration de Zaoui, qualifiée de normale par ce dernier et qui date du moment où il a parlé de la création de son propre mouvement séparé de l'instance exécutive du Front islamique du salut installé à Aix-la-Chapelle ?
Les autorités belges ont-elles posé un acte diplomatique à l'égard de Londres ? Une discussion a-t-elle été lancée à l'échelon de la coopération, peut-être sur demande de la France ?
J'en viens au dernier point de mon intervention. Je suis frappée de constater que la plupart des analyses, notamment celle de Télémoustique , citent constamment Verviers et Dison. Ces villes, qui devraient en principe être calmes, sont situées à la frontière et l'on y rencontre un nombre invraisemblable d'individus de cette nature, se réclamant du G.I.A. et travaillant visiblement dans une filière qui n'est guère suivie.
Monsieur le vice-Premier ministre, que pensez-vous de l'opportunité de réaliser une étude spécifique peut-être a-t-elle déjà été mise sur pied portant sur les réseaux frontaliers avec l'Allemagne ? Les inquiétudes vous paraissent-elles fondées en cette matière ?
Mme la présidente. La parole est à M. Vande Lanotte, vice-Premier ministre.
M. Vande Lanotte, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur. Madame la présidente, les questions posées par Mme Lizin appellent des réponses nuancées.
L'article paru dans Télémoustique comporte un extrait intéressant. Celui-ci se rapporte à la position du juge Bruguières que je vous cite : « Du point de vue de la coopération judiciaire antiterroriste, nos relations sont complexes avec l'Allemagne, moyennes avec l'Italie. Quant à la Grande-Bretagne, c'est la Papouasie orientale. Nos rapports avec la Belgique, eux, sont exemplaires. »
Ces propos émanent tout de même d'une personne censée être assez critique !
Votre deuxième question, madame, porte sur l'existence d'un réseau islamiste fondamentaliste en Belgique. À mon sens, un tel réseau existe probablement, mais ce serait faire preuve de naïveté que de croire qu'il se limite à un pays. Personnellement, j'ai toujours eu l'impression qu'il en recouvrait plusieurs. Nous avons affaire, en réalité, à un réseau international touchant notamment l'Allemagne, la France, la Belgique, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne. Le centre du réseau se situerait dans ce dernier pays, mais cet avis est discutable.
Ces interconnexions se vérifient par le fait que les membres du réseau utilisent le matériel de communication le plus sophistiqué. Il est établi que les fondamentalistes ne sont certainement pas des arriérés en matière de technologie.
Mme Lizin (PS). Ils utilisent Internet pour communiquer !
M. Vande Lanotte, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur. Ils sont même plus avancés et sont donc très bien équipés.
Tarek est très souvent cité dans la presse : cette hypothèse est connue, mais il faut savoir qu'elle concerne différents pays et non uniquement la Belgique.
Notre attitude est très ferme en la matière et la Belgique a d'ailleurs fait l'objet de menaces. Nous agissons toujours lorsque des enquêtes mettent à jour des caches d'armes ou des actes illégaux, criminels, délictueux ou violents. Tout le monde peut être accueilli en Belgique à condition de ne pas agir contre la loi.
Parmi les actions que nous avons entreprises, je citerai celles de Neufchâteau, celles entamées contre Zaoui et celle que nous venons de démarrer.
La collaboration avec la France est basée sur des liaisons directes et journalières; j'iniste sur ce point car j'ai parfois l'impression que certaines personnes veulent à tout prix démonter que ce n'est pas le cas et je ne comprends pas quel est leur objectif. La Belgique dispose d'un officier de liaison à Paris et la France a également un tel officier à Bruxelles, lequel représente l'Unité de coordination pour la lutte antiterroriste l'U.C.L.A.T.
L'opération du 1er mars 1995 a été menée conjointement par la France et la Belgique; il en est de même pour les actions qui ont eu lieu à Bastogne et à Molenbeek. En ce qui concerne l'armurier Müller, des contacts ont été pris.
Il est vrai que les moyens sont limités; si nécessaire, ils seront augmentés. Les documents saisis lors des perquisitions sont en cours d'exploitation et nous pourrons voir si du personnel en plus grand nombre est nécessaire. La date de l'opération a été fixée de commun accord avec les autorités françaises, j'y insiste car il faut bien se rendre compte que ce n'est pas en quelques jours que l'on peut trouver 100 personnes pour mener une telle action.
Deux grandes difficultés se posent, auxquelles la France est également confrontée je pense, sans pour autant l'admettre. Il s'agit tout d'abord de la preuve.
Nous essayons de suivre d'assez près les milieux intégristes. Je demande régulièrement des rapports à leur sujet en raison du danger qu'ils représentent pour l'ordre public. Ces mesures préventives diminuent sensiblement les actes criminels parce que lesdits milieux se savent surveillés. Toutefois, cela ne nous permet pas d'aller très loin au point de vue des enquêtes. Il y a bien eu quelques condamnations, mais trop légères à mon sens. Je ne suis pas juge mais, si j'ai bon souvenir, M. Zaoui n'a été condamné conditionnellement qu'à trois mois de prison : c'est plus ou moins la même peine que celle infligée en cas d'excès de vitesse ! Je ne dis pas que le jugement est mauvais, ce sont les preuves qui sont difficiles à établir.
La France semble rencontrer les mêmes difficultés que la Belgique, car, jusqu'à présent, elle n'a jamais demandé l'extradition d'une de ces personnes si elle avait des preuves suffisantes, elle les ferait mettre dans leur dossier judiciaire, mais ce n'est pas le cas. La Belgique serait pourtant très heureuse de pouvoir s'en débarrasser.
Les Français ont les mêmes problèmes que nous. Ils ont pu appréhender certains responsables de l'attentat de Tourcoing mais, au niveau du réseau international, les preuves sont beaucoup plus difficiles à réunir.
Par ailleurs, lorsqu'il y a condamnation, les coupables ne sont pas expulsés. En ce qui me concerne, je ne veux pas prendre la responsabilité de renvoyer Zaoui et les autres en Algérie puisque je n'ai pu obtenir de garanties suffisantes sur leur survie en cas d'extradition. Zaoui a été condamné, on voudrait l'expulser, mais personne n'en veut. Nous avons pourtant des contacts réguliers avec différents pays à son sujet, mais sans résultat.
La France a le même problème : après avoir purgé leur peine, les détenus seront libérés et la France devra les garder en l'absence d'autre solution. La situation est dramatique.
La seule attitude possible est de fixer des règles étroites. C'est le cas à l'égard de Zaoui qui, sans le respect de ces règles, devrait être placé en centre fermé ou en prison avec les problèmes que cela pose, pour une solution qui resterait tout de même temporaire.
En conclusion, je soulignerai d'abord la collaboration exemplaire selon le juge lui-même entre la France et la Belgique. J'insisterai sur le fait que nous suivons ces problèmes de très près. Il ne faut pas croire que notre pays choisit la passivité et le laisser-faire. J'en veux pour preuves les menaces que nous avons reçues lors du procès Zaoui. Enfin, je rappellerai que la France et la Belgique rencontrent actuellement de réelles difficultés en ce qui concerne l'établissement des preuves de certaines activités et la gestion de « l'après-condamnation ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Lizin.
Mme Lizin (PS). Madame la présidente, je voudrais quelque peu approfondir la question de savoir pourquoi il n'est pas possible de renvoyer en Algérie des personnes qui revendiquent des massacres. Ne pourrait-on pas trouver un accord avec le gouvernement algérien, accord qui garantirait un procès, pour des assassinats, bien entendu.
M. Vande Lanotte, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur. Nous avons eu une discussion à ce sujet avec les autorités algériennes, mais l'issue ne fut pas encourageante. Nous leur avons posé la question de savoir si elles pouvaient garantir la vie de ces personnes. La réponse fut négative.
Mme Lizin (PS). C'est évident. Imaginez, monsieur le vice-Premier ministre, que toute votre famille ait été trucidée par des individus de ce genre.
M. Vande Lanotte, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur. Oui, mais cela signifie qu'en cas d'expulsion, je serai personnellement responsable de leur mort.
Mme Lizin (PS). Je comprends, monsieur le vice-Premier ministre, mais je vous demande de réfléchir encore à ce problème. À terme, je ne vois pas d'autre issue que celle-là. Il faut obtenir un accord-cadre solide de la part des Algériens. J'admets que ce n'est pas facile, mais il faut les convaincre de le faire. Cette action est vraiment nécessaire, sinon, nous laisserons se développer ce genre de réseaux.
M. Vande Lanotte, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur. J'ai parfois l'impression que le gouvernement algérien ne souhaite pas vraiment le retour de tous ces individus.
Mme Lizin (PS). Le double discours en la matière est possible, en effet.
M. Vande Lanotte, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur. Les conséquences sur le plan intérieur seraient évidemment importantes.
Mme Lizin (PS). Il est vrai que les autorités ne sont certainement pas demanderesses dans l'immédiat.
M. Vande Lanotte, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un double discours mais d'un double raisonnement.
Mme Lizin (PS). En tout cas, d'une double analyse chez eux...
M. Vande Lanotte, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur. ...que je peux comprendre.
Mme Lizin (PS). Qu'en est-il du volet Verviers-Dison ?
M. Vande Lanotte, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur. Des personnes ont été interpellées, notamment dans le cadre du procès Zaoui. Certains ont été libérés; d'autres font l'objet d'une attention particulière de nos services. Le problème réside dans le fait que pour certaines personnes qui n'ont toutefois pas le statut de réfugiés politiques, l'avis est très clair : pas question d'expulser. Il faut alors tenter de les contrôler.
Tant que nous n'aurons pas de solution quant à l'expulsion, je ne pourrai que gérer le possible.
En ce qui concerne la situation à Verviers, nous avons l'impression qu'elle n'est pas de même nature que celle qui prévalait pour Zaoui.
Mme Lizin (PS). Il faut savoir qu'à Verviers, certains éléments du réseau sont déjà de nationalité belge.
M. Vande Lanotte, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur. Je sais que tout le monde plaide pour un meilleur accès à la naturalisation...
Mme Lizin (PS). Ne pourrait-on réexaminer l'idée de retirer la nationalité ?
M. Vande Lanotte, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur. Le procureur général a refusé cette solution parce que les faits n'étaient pas suffisamment importants. La loi a été instaurée lorsque des ressortissants belges qui habitaient la zone frontalière avec l'Allemagne avaient réclamé l'indépendance ou le retour à l'Allemagne, ce qui fut considéré comme un grand crime. Le terrorisme lui ne suffit pas.
Mme Lizin (PS). Peut-être le paiera-t-on cher dans dix ans lorsque ces individus auront atteint leurs objectifs.
M. Vande Lanotte, vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur. Je ne serais pas contre un changement de la loi.
Mme la présidente. L'incident est clos.
Het incident is gesloten.