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Sénat de Belgique

Belgische Senaat

Annales des réunions publiques de commission

Handelingen van de openbare commissievergaderingen

COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMMISSIE VOOR DE BUITENLANDSE AANGELEGENHEDEN

SÉANCE DU JEUDI 4 AVRIL 1996

VERGADERING VAN DONDERDAG 4 APRIL 1996

(Vervolg-Suite)

DEMANDE D'EXPLICATIONS DE M. DESTEXHE AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR « LA CRISE TCHÉTCHÈNE »

VRAAG OM UITLEG VAN DE HEER DESTEXHE AAN DE MINISTER VAN BUITENLANDSE ZAKEN OVER « DE TSJETSJEENSE CRISIS »

Mme la Présidente. ­ L'ordre du jour appelle la demande d'explications de M. Destexhe au ministre des Affaires étrangères sur « la crise tchétchène ».

La parole est à M. Destexhe.

M. Destexhe (PRL-FDF). ­ Madame la Présidente, je pense qu'il est inutile de rappeler longuement l'ampleur et la gravité de la guerre en Tchétchénie. Ce conflit, malheureusement oublié ­ ou dont on parle en tout cas très peu ­, atteint une violence au moins égale à celle de la guerre qui s'est déroulée en ex-Yougoslavie et dont nous avons été abreuvés au cours des quatre dernières années.

Je citerai quelques chiffres dont le ministre pourra peut-être me confirmer l'exactitude. On parle de 30 000 morts ­ dont 2 000 enfants ­ depuis le début du conflit. On dit également que 10 000 soldats russes auraient péri sur le sol tchétchène et que la moitié de la population de la Tchétchénie ­ soit 500 000 personnes ­ aurait été déplacée par la guerre. Si elle est exacte, cette proportion est largement supérieure à celle des déplacements engendrés par tous les conflits qui ont eu lieu durant les quinze dernières années en ex-Yougoslavie, ou ailleurs.

La ville de Grozny a été rasée. En pesant mes mots, j'ajoute qu'il s'agit de la plus importante destruction depuis la Seconde Guerre mondiale. Vucovar et Mostar étaient des villes beaucoup moins importantes. Sarajevo a été moins endommagée que Grozny qui a été véritablement rayée de la carte du monde. Personnellement, je regrette que ce conflit ne soit pas davantage médiatisé. Je répète qu'il est vraiment oublié.

Cette réalité m'impose trois réflexions. J'établirai tout d'abord une comparaison avec la période de la guerre froide. Je souhaiterais ensuite discuter de l'attitude, à mon sens trop conciliante, des ministres des Affaires étrangères européens à l'égard de la Russie. J'évoquerai enfin l'admission de la Russie au Conseil de l'Europe.

Première réflexion : si ce type de conflit avait surgi pendant la Guerre Froide, nous n'aurions bien entendu rien fait. En 1981, après l'invasion des troupes du Pacte de Varsovie en Pologne, M. Cheysson avait déclaré : « Bien entendu, nous ne ferons rien. » Nous aurions sans doute agi de même mais nous aurions cependant certainement protesté violemment. Nous nous serions époumonés à condamner l'URSS et à dénoncer les graves violations des droits de l'homme.

Avec la fin de la Guerre Froide, on pouvait espérer assister à la réconciliation entre la realpolitik et une politique de défense des droits de l'homme. Les réalistes et les idéalistes de la politique auraient pu se rencontrer. Malheureusement, il n'en est rien. La fin de la Guerre Froide était censée offrir une réelle possibilité de promotion des droits de l'homme à travers le monde. En effet, elle mettait fin à la menace que représentait l'empire soviétique. On constate au contraire une augmentation des violations des droits de l'homme dans de nombreux pays.

Rappelez-vous la façon dont nous avons protesté contre les violations des droits de l'homme par l'Union soviétique en Afghanistan pendant une décennie. La comparaison entre ces protestations et la tiédeur actuelle de nos réactions à l'égard des événements tout aussi abominables qui se déroulent en Tchétchénie n'est pas à notre avantage.

Le conflit tchétchène repose avant tout sur un problème de décolonisation. Il est clair que la Russie n'en sortira pas en présentant des plans de paix tels que ceux élaborés par Boris Eltsine. Ce conflit risque de durer très longtemps si une solution politique ne parvient pas à rencontrer les revendications d'autonomie formulées par le peuple tchétchène.

Notre attitude s'inspire de la règle « deux poids, deux mesures ». En effet, même si tous ses membres n'étaient pas d'accord sur la formulation, notre commission a néanmoins condamné le Nigeria pour la pendaison de neuf opposants politiques. L'Union européenne a fait de même. En revanche, le silence est total face à des violations beaucoup plus graves des droits de l'homme perpétrées en Tchétchénie.

J'en viens à ma deuxième réflexion : l'attitude conciliante qui est prise en permanence à l'égard de Boris Eltsine et de la Russie. Plusieurs éléments appuient cette considération : la non-condamnation des événements tchétchènes, le prêt consenti par le FMI, l'admission au Conseil de l'Europe.

À l'époque de la Guerre Froide, il était clair que deux camps s'opposaient : celui des colombes et celui des faucons. Les colombes estimaient qu'il fallait avoir une attitude conciliante à l'égard de l'URSS; les faucons considéraient au contraire qu'il fallait afficher une position dure. Aujourd'hui, après la fin de la Guerre Froide, il n'existe plus aucun faucon. Comme les colombes, tout le monde pense qu'il faut adopter une attitude conciliante à l'égard de l'ex-URSS. Je ne rappellerai pas les raisons de ce changement de comportement que vous-même, monsieur le ministre, et certains de vos homologues européens développez en permanence.

À mon sens, vous vous trompez. En effet, la question fondamentale est de savoir si l'Europe ­ l'Occident ­ peut influencer l'évolution politique de la situation en Russie. Pouvons-nous réellement influencer le cours politique des événements en Russie ? Personnellement, je ne le crois pas. Je ne pense pas que tous ces gestes de tolérance à l'égard de la Russie ­ multiples prêts consentis par le FMI et autres institutions internationales ou admission au Conseil de l'Europe ­ soient de nature à favoriser une transition politique vers la démocratie en Russie et à renforcer le rôle de Boris Eltsine, sur lequel il y aurait d'ailleurs beaucoup de choses à dire.

Nous sommes confrontés à une grande inconnue. En effet, nous ne savons pas ce que la Russie sera dans cinq ou dix ans. Serat-elle une nation autoritaire ou démocratique ? Il est toutefois clair que l'Union européenne et d'autres pays ne peuvent influencer la Russie que de façon tout à fait marginale. Vous connaissez comme moi le poids et la force du nationalisme. Je pense que les Russes sont en effet suffisamment « grands »; ils n'apprécieraient d'ailleurs pas une quelconque influence étrangère. On dit toujours qu'une condamnation de la Russie reviendrait à conforter les courants d'extrême droite. On pourrait cependant aussi très bien considérer qu'une attitude conciliante vis-à-vis de Boris Eltsine et de la Russie favorise également de tels courants. Une partie du peuple russe se sent en effet humiliée et supporte mal que son économie soit portée à bout de bras par l'Occident.

Par ailleurs, Boris Eltsine ne représente pas la seule force démocratique. Il en existe d'autres que nous pourrions également encourager. Le but de cette démarche ne tendrait pas à obtenir un résultat immédiat car, comme je l'ai dit, je ne pense pas qu'il soit possible d'influencer actuellement le déroulement de l'évolution politique en Russie. Un résultat pourrait cependant être atteint à long terme si nous misions ­ de façon, certes, hypothétique, je le reconnais ­ sur le triomphe de l'État de droit et de la démocratie en Russie.

J'en arrive au dernier élément de mon intervention, qui concerne l'admission de la Russie au Conseil de l'Europe. Je suppose que vous développerez les arguments favorables à cette admission. Cependant, je ne suis pas le seul à penser qu'elle constituerait une réelle erreur. Ainsi, Guy Spitaels, dans un excellent éditorial dans La Libre Belgique, explique les raisons pour lesquelles il estime que cette admission serait une erreur.

La seule raison d'être du Conseil de l'Europe, depuis sa création en 1949, ce sont les droits de l'homme. À partir du moment où vous y admettez un État autoritaire qui viole à ce point les droits de l'homme comme le fait la Russie ­ en particulier en Tchétchénie ­, vous niez les fondements mêmes de l'existence de cette institution.

Il existe un décalage extraordinaire entre les engagements pris par la Russie pour adhérer au Conseil de l'Europe et la réalité des violations des droits de l'homme sur le terrain. Vous savez que, dans un an, les progrès de la Russie dans ce domaine seront réévalués, mais je suis certain ­ je vous interpellerai d'ailleurs dans un an à ce sujet ­ que la situation ne se sera pas sensiblement améliorée et que le Conseil de l'Europe ne prendra aucune mesure d'exclusion à l'encontre de la Russie. Paradoxalement, dans les conditions qui lui ont été imposées, on a demandé à la Russie de signer la convention sur la protection des minorités, que la Belgique refuse de signer.

M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. ­ Il n'y a pas de minorités en Belgique.

M. Destexhe (PRL-FDF). ­ Peut-être, mais cette convention sur les minorités au Conseil de l'Europe existe et a été ratifiée par l'ensemble ­ sauf trois ­ des pays membres du Conseil de l'Europe.

La notion de « minorité » en Belgique peut donner matière à discussion ­ encore qu'elle s'appliquerait peut-être à certaines communautés ­ mais cette convention, on nous demande de la ratifier. Vous ne pouvez le nier.

Voilà les trois points sur lesquels je souhaitais vous interpeller.

Pour terminer, je voudrais rappeler quelques mots prononcés par un parlementaire estonien lors du débat sur l'admission de la Russie au Conseil de l'Europe. « Cette adhésion est », disait-il, « un mélange surréaliste d'espoir illusoire et de peur », ce qui résume très bien l'attitude de l'Europe à l'égard de la Russie.

Mme la Présidente. ­ La parole est à M. Derycke.

M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. ­ Madame la Présidente, je vais essayer de décrire l'attitude de la Belgique ­ et celle de l'Europe ­ à l'égard de la Russie et de la crise tchétchène.

L'Union européenne est attentive et vigilante pour ce qui concerne le respect des droits de l'homme, partout dans le monde et en particulier dans le territoire de l'ex-URSS. Malheureusement, plusieurs décennies d'exercice du pouvoir absolu ne transforment pas rapidement les mentalités des dirigeants influencés par l'ancien régime. Nous avons le sentiment que le renforcement des relations structurées avec la Fédération de Russie, principalement dans le cadre du Conseil de l'Europe, doit conduire ce pays à mieux prendre conscience des valeurs fondamentales qui sont les nôtres en matière de respect des droits de l'homme et de démocratie.

La Fédération de Russie traverse une période de transition qui pourrait la mener à l'établissement d'un régime démocratique et stable ainsi qu'à la mise en place de l'économie de marché. Dès lors, l'Union européenne veut chercher à créer les conditions susceptibles d'aider la Russie à devenir un État stable, membre à part entière de la communauté internationale, qui respecte les règles démocratiques et internationales. L'Union européenne est parfaitement consciente qu'elle ne peut qu'exercer une influence très limitée ­ vous l'avez dit, d'ailleurs ­ sur certains développements propres à la politique intérieure et extérieure de la Russie et cherche donc avant tout à encourager des tendances générales positives en mettant l'accent sur le dialogue. La Belgique s'associe entièrement à cette approche.

Au cours de leur réunion informelle à Carcassonne en mars 1995, les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne ont exprimé le désir d'approfondir la réflexion sur la politique que l'Union européenne devrait mener vis-à-vis de la Russie. Un document de stratégie a vu le jour à la fin du mois de novembre 1995 et le Conseil européen de Madrid, en décembre 1995, a confirmé les orientations de la politique globale de l'Union européenne dans ses relations futures avec la Russie. Le but de cette réflexion était de pouvoir donner un signal précis de soutien aux forces démocratiques, et ce avant les élections parlementaires du 17 décembre 1995.

L'Accord de partenariat et de coopération, discuté ce matin, entre les Communautés européennes et ses États membres, d'une part, et la Fédération de Russie, d'autre part, signé le 24 juin 1994, représente le cadre juridique dans lequel, en un premier temps, pourraient se développer les relations Union européenne-Russie. Bien que l'APC ne soit pas encore en vigueur, la Russie bénéficie d'ores et déjà de la mise en oeuvre par anticipation des dispositions relatives au dialogue politique. En principe, des réunions au niveau présidentiel auront lieu deux fois par an en plus des réunions au niveau ministériel et au niveau des hauts fonctionnaires. De plus, l'Union européenne travaille à l'élaboration d'un plan d'action basé sur la stratégie Union européenne-Russie et espère que certaines actions pourront déjà connaître un début de réalisation avant les élections présidentielles de juin 1996.

L'Union européenne ­ la Belgique plus particulièrement ­ a activement participé à la mission d'observation des élections de la Douma du 17 décembre 1995. Neuf parlementaires belges se sont rendus en Russie. La mission a conclu que, d'une manière générale, ces élections ont été libres et impartiales.

J'en viens à la crise tchétchène.

À diverses reprises, l'Union européenne a rappelé la nécessité de rechercher une solution politique et négociée au conflit tchétchène. La Déclaration de la présidence de l'Union européenne lors de la session inaugurale du Conseil ministériel de l'OSCE à Budapest a attiré l'attention sur la recrudescence d'incidents militaires et d'attaques. Elle a rappelé le rôle-clé que pouvait jouer le groupe d'assistance de l'OSCE et a encouragé la reprise des négociations, en particulier en ce qui concerne l'accord militaire du 31 juillet 1995.

La troïka des ambassadeurs de l'Union européenne à Moscou à effectué le 15 décembre 1995 une démarche auprès du vice-ministre russe des Affaires étrangères, M. Kolokov. L'objectif de cette démarche était d'insister sur la recherche d'une solution politique au conflit et de faire part des craintes de l'Union européenne au sujet de l'organisation des élections pour la désignation d'un « président de la République » en Tchétchénie, élections qui pourraient donner lieu à un regain de violence mettant encore plus en danger les chances d'aboutir du processus de paix.

À la suite des événements de Pervomaiskaia, l'Union européenne a émis, le 18 janvier 1996, une déclaration condamnant les prises d'otages et soulignant encore une fois la nécessité de la reprise du dialogue politique entre les parties. La Belgique a insisté pour qu'un paragraphe appelant les autorités russes à garantir la sécurité des organisations humanitaires soit inséré.

La troïka des ambassadeurs de l'Union européenne à Moscou, pleinement soutenue par la Belgique, a effectué le 27 février dernier une démarche auprès du vice-ministre russe des Affaires étrangères, M. Kolokov, afin que les autorités russent mettent tout en oeuvre pour que le groupe d'assistance de l'OSCE et les organisations humanitaires présentes en Tchétchénie puissent continuer leurs missions sans entraves et que leur sécurité soit garantie.

Dans une déclaration du 25 mars 1996, l'Union européenne a exprimé une nouvelle fois son inquiétude quant à la nouvelle escalade de la violence en Tchétchénie. Elles s'est déclarée très préoccupée par l'aggravation de la situation et a exhorté les deux parties à rétablir le cessez-le-feu décidé en juillet 1995 et à reprendre les négociations aussitôt que possible.

Le 31 mars dernier, le président Eltsine a annoncé, lors d'une émission télévisée, l'adoption d'un nouveau plan de paix pour le conflit. À part un cessez-le-feu, ce plan envisage la fin immédiate des hostilités, le retrait graduel des troupes russes, des négociations de paix et des pourparlers relatifs au statut futur de la région. Par cette initiative, le président Eltsine a accepté, pour la première fois, un dialogue indirect avec M. Doudaiev. L'Union européenne et la Belgique espèrent que la partie tchétchène acceptera cette offre de négociation afin que ce plan puisse être mis en application le plus vite possible. À ce sujet, je voudrais souligner qu'une solution nécessite une flexibilité et un sens de compromis dans le chef des deux parties, y compris dans le camp de M. Doudaiev.

En ce qui concerne votre question relative à l'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe, la procédure concernant l'avis sur la demande d'adhésion de la Fédération de Russie a été interrompue le 2 février 1995 du fait du conflit en Tchétchénie. Le 27 septembre 1995, cette procédure a été reprise au motif que la Russie était désormais engagée dans la recherche d'une solution politique et que les atteintes alléguées et attestées aux droits de l'homme faisaient l'objet d'enquêtes.

L'Assemblée parlementaire a suivi avec attention les événements de Goudermes et de Pervomaiskaia. Elle a fermement condamné la prise d'otages et a indiqué que l'usage manifestement inconsidéré de la force a coûté la vie à de nombreux innocents et violé le droit humanitaire international. Elle a rappelé que la paix ne pourra être instaurée qu'après une solution politique fondée sur la négociation et les valeurs démocratiques européennes.

Le 25 janvier 1996, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté un avis favorable recommandant l'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe par 164 voix pour, 35 contre et 15 abstentions. Le 8 février 1996, le Comité des ministres du Conseil de l'Europe a décidé d'inviter la Russie à adhérer au Conseil de l'Europe. Moscou a accueilli cette décision avec grand enthousiasme. Le 28 février 1996, la Fédération de Russie est devenue le 39e membre du Conseil de l'Europe.

On peut encore noter que la Russie, pour obtenir son admission au Conseil de l'Europe, a dû souscrire de nombreux engagements en vue d'améliorer la situation de la démocratie et des droits de l'homme. Ainsi, Moscou s'est notamment engagée à faire entrer en vigueur d'ici un an la Convention européenne des droits de l'homme; à ratifier d'ici un an la Convention pour la protection des minorités, la Charte d'autonomie locale et la Charte des langues régionales et minoritaires; à se conformer aux normes du Conseil de l'Europe pour le fonctionnement du système judiciaire; à traduire en justice les responsables de violations des droits de l'homme commises notamment dans le cadre du conflit tchétchène, et à renoncer à parler de « pays étrangers proches » comme d'une zone d'influence spéciale.

De plus, le 25 janvier 1996, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a adopté une directive relative à la création d'une commission ad hoc dont l'objectif sera d'examiner la situation en Tchétchénie et de répondre à la demande d'assistance de la Russie pour élaborer des propositions conformes à la Convention-cadre du Conseil de l'Europe pour la protection des minorités nationales.

Le 2 octobre 1995, l'Union européenne avait émis une déclaration en faveur d'une prompte adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe. L'Union européenne ­ la Belgique, plus particulièrement ­ est d'avis que l'adhésion de la Russie au Conseil de l'Europe renforcera le processus de réforme politique et l'engagement de la Russie au respect des principes démocratiques et des droits de l'homme. Tout retard aurait pu être contre-productif et faire le jeu des nationalistes et des opposants aux réformes.

En ce qui concerne les aides accordées à la Russie, l'essentiel de l'aide européenne se fait à travers le programme TACIS. Le montant pour 1994 s'élevait à 460 millions d'écus. Le programme national Fédération de Russie s'élevait à 150 millions d'écus. Le montant pour 1995 s'élevait à 470 millions d'écus. Le programme national Fédération de Russie s'élevait à 159 millions d'écus.

En plus du montant octroyé pour le programme national, la Fédération de Russie a obtenu également une partie (chiffres non disponibles) des montants alloués pour les programmes régionaux et les autres programmes.

L'essentiel de l'aide belge se fait à travers l'Union européenne. Une décision politique peut évidemment intervenir pour l'octroi d'une aide d'urgence. Ainsi, le 20 janvier 1995, le Conseil des ministres a décidé d'accorder, dans le cadre de l'assistance bilatérale, un montant de 10 millions de francs destiné aux civils touchés par le conflit en Tchétchénie.

En ce qui concerne la sécurité, l'Union européenne ainsi que la Belgique sont d'avis qu'une Europe stable ne peut ignorer la Russie. Dès lors, pour éviter que deux blocs ne se recréent, il importe de construire les structures européennes de sécurité en développant une relation de coopération permanente avec la Russie. Il importe également de rassurer cette dernière sur le fait que l'intégration progressive des pays de l'Europe centrale et orientale ne représente en aucune façon une menace pour sa propre sécurité. La relation développée avec la Russie à travers le dialogue renforcé ­ information, consultation et coopération ­ dans le cadre de l'OTAN ne pourra que consolider la sécurité et la stabilité en Europe. Par ailleurs, la participation de la Russie dans l'IFOR revêt une signification toute particulière et sera un test pour nos relations futures avec la Russie dans le domaine de la sécurité.

Mme la Présidente. ­ La parole est à M. Destexhe.

M. Destexhe (PRL-FDF). ­ C'est la thèse que vous défendez toujours, monsieur le ministre, mais vous avez complètement gommé le côté humain des conflits et les violations des droits de l'homme.

Vous semblez ne pas contester les chiffres que j'ai cités : 30 000 morts en l'espace d'un an et demi à peine, c'est quand même considérable ! Si l'on prend la population de la Tchétchénie ­ soit un peu plus d'un million de gens ­, le conflit y est proportionnellement plus violent que celui de l'ex-Yougoslavie. Évidemment, s'il y avait des caméras de télévision et si l'émotion était la même que pour l'ex-Yougoslavie, vous ne pourriez pas maintenir cette attitude de realpolitik, qui fait totalement l'impasse sur les violations extrêmement graves des droits de l'homme en Tchétchénie.

Connaissez-vous un seul autre pays au monde où les droits de l'homme sont violés à tel point ? Voyez-vous un autre pays au monde où l'on déplace la moitié de la population en un an et demi ? Le Rwanda, sans doute, mais c'est passé.

Voyez-vous un autre pays au monde où l'on rase une ville d'un demi-million d'habitants comme ce fut le cas à Grozny ?

Par ailleurs, vous parlez de construire des structures de sécurité en Europe. Oui, mais pas à n'importe quel prix et, dans le cas présent, il me semble que le prix devient beaucoup trop élevé.

Ma demande d'explication et votre réponse, monsieur le ministre, résument tout le problème de l'équilibre entre le dialogue et les moyens de pression. Vous donnez l'impression d'axer tout sur le dialogue et rien sur les moyens de pression. Comme Boris Eltsine et le gouvernement russe se rendent compte que vous êtes prêt à dialoguer à n'importe quel prix, c'est-à-dire quoi qu'ils fassent, vous vous privez de la possibilité d'influencer leur comportement en ce qui concerne la conduite de la guerre.

Je le répète, je ne crois pas que l'on puisse influer sur le processus démocratique; vous m'avez d'ailleurs en partie rejoint sur ce point. En revanche, je crois que l'on peut influencer à court terme le déroulement de la guerre en Tchétchénie. Je crois que vous feriez mieux de favoriser davantage les moyens de pression plutôt que le dialogue. Je tiens à dire clairement que je ne suis pas favorable à un isolement de la Russie. Vous avez raison, il faut éviter tout ce qui va dans le sens de la reconstitution d'un bloc comme on le connaissait avant, mais cette politique de dialogue absolu mène non seulement à une impasse, mais surtout permet à la guerre de continuer. Il ne s'agit pas ici de présenter une alternative sur la question d'isoler ou non la Russie. Il faut maintenir un dialogue avec ce pays mais ne pas tolérer des violations aussi graves des droits de l'homme.

J'en viens à un dernier point. En ce qui concerne la mission du Conseil de l'Europe, je prends note de vos propos. Je ne manquerai pas de vous réinterroger à ce sujet. Dans un an, on pourra juger de ce que la Russie a fait de ses différentes promesses. Je voudrais juste vous lire la résolution précédente de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à laquelle vous avez fait référence. Elle date d'un an et demi, au moment où l'adhésion avait été bloquée : « Tant que le conflit tchétchène n'aura pas trouvé un règlement pacifique, le processus d'adhésion de la Russie ne pourra être poursuivi. » Un an après, l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a visiblement changé d'avis. Le moins que l'on puisse dire est que le conflit tchétchène n'a toujours pas trouvé de solution pacifique.

Mme la Présidente. ­ Permettez-moi d'ajouter une petite question, monsieur le ministre. Quels moyens avons-nous de contrôler le respect des droits de l'homme dans un pays comme la Russie qui est tout de même assez hermétique ?

M. Derycke , ministre des Affaires étrangères. ­ En ce qui concerne les droits de l'homme, je vous signale que les Européens sont actuellement nombreux en Russie, mais pas nécessairement avec des buts auxquels j'adhère. Il s'agit essentiellement d'une présence commerciale qui mène la Russie vers un libéralisme extrême, ce qui nous préoccupe beaucoup. En effet, on constate une inégalité sociale effrayante qui peut générer des effets néfastes sur le plan politique. On en voit déjà les résultats.

Toutefois, je pense qu'un contrôle des droits de l'homme est possible. À ce niveau, la Russie est un pays ouvert à tout le monde. La presse est libre. Nous recevons leurs messages et ils reçoivent les nôtres. Je ne partage pas entièrement l'analyse négative de M. Destexhe en ce qui concerne un développement possible de ce pays vers une vraie démocratie. Il faut souligner que la Russie souffre beaucoup plus que d'autres pays de l'ancien bloc communiste en ce qui concerne l'économie et la situation sociale. La Russie est un pays très vaste qui compte 180 000 000 d'habitants. Le problème est considérable.

Il est vrai que le respect des droits de l'homme pose problème en Tchétchénie, mais la situation n'est tout de même pas comparable à celle de l'ex-Yougoslavie où l'on déplore 250 000 morts.

M. Destexhe (PRL-FDF). ­ Oui, mais c'est un pays de 20 millions d'habitants.

M. Derycke , ministre des Affaires étrangères. ­ Certes. Je ne tiens pas à minimiser les faits qui se déroulent en Tchétchénie mais je ne connais pas un empire colonial qui a accepté, dans un laps de temps très court ­ cinq ans ­, de se démanteler entièrement et ceci sans conflit majeur.

M. Destexhe (PRL-FDF). ­ Vous avez raison, monsieur le ministre, mais on n'a jamais vu, non plus, une ville de 500 000 habitants détruite depuis 1945.

M. Derycke , ministre des Affaires étrangères. ­ Vous demandez une intervention militaire ?

M. Destexhe (PRL-FDF). ­ Non, je demande un meilleur équilibre entre le dialogue et la pression.

M. Derycke , ministre des Affaires étrangères. ­ Vous avez établi une comparaison avec la problématique des minorités. Vous n'êtes pas sans savoir que des centaines de milliers de Russes sont à présent minoritaires au Kazakhstan, en Estonie et ailleurs. Ils ne bénéficient pas toujours des mêmes droits que les autres habitants de ces nouveaux États indépendants. La Russie ne tente pourtant pas d'occuper le Kazakhstan ou l'Estonie. Il y a toujours la balance et la contre-balance.

Je souligne également un autre élément. Je crois que Eltsine a besoin de la paix en Tchétchénie pour les élections. Si tel n'était pas le cas, le risque serait grand de voir se réinstaurer un régime communiste. Les communistes résoudront-ils différemment la crise en Tchétchénie ?

M. Derycke , ministre des Affaires étrangères. ­ Les communistes pourront-ils résoudre la crise en Tchétchénie d'une autre manière que Eltsine ? Je n'en suis pas sûr.

M. Destexhe (PRL-FDF). ­ Vous aurez remarqué que, du côté des communistes hongrois et polonais, il y a une certaine évolution.

M. Derycke , ministre des Affaires étrangères. ­ D'après certaines analyses de la situation de la Russie, Zjouganov évolue vers une prise de position politique beaucoup plus acceptable pour nous au niveau du communisme. Tout n'est pas négatif.

Les indices économiques ne sont pas si mauvais en Russie. La croissance est réelle, à condition qu'il y ait une volonté de redistribuer les moyens économiques vers la population.

M. Destexhe (PRL-FDF). ­ Dans les relations internationales ­ autant que dans les privées d'ailleurs ­, si vous dites à votre interlocuteur qu'il bénéficiera de votre aide et de votre soutien quoi qu'il fasse, vous ne l'amènerez pas à adopter un comportement plus modéré.

M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. ­ Que voulez-vous : que l'on arrête TACIS et que l'on stoppe les emprunts du FMI ?

M. Destexhe (PRL-FDF). ­ Non, mais que l'on n'admette pas la Russie au Conseil de l'Europe. C'est là un signal clair.

M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. ­ Le Conseil de l'Europe est l'institution la plus démocratique de toute l'Europe et il y a eu un vote à ce sujet.

M. Destexhe (PRL-FDF). ­ Alors, le Conseil de l'Europe a perdu sa raison d'être aujourd'hui.

De Voorzitter. ­ Het woord is aan de heer Goris.

De heer Goris (VLD). ­ Mevrouw de Voorzitter, ik wil hier nog heel kort op inpikken. Ik denk dat wij in deze zaak misschien één ding vergeten. Ik ben sinds gisteren terug uit Bosnië en ik kan verzekeren dat wij daar geconfronteerd werden met een bijzonder hallucinante toestand en een helaas apocalyptisch schouwspel. Uit de beelden die ons dagelijks vanuit Tsjetsjenië bereiken, meen ik te mogen opmaken dat de toestand daar nog erger is. Ik wil mij dan ook aansluiten bij de vorige spreker en ervoor pleiten dat België, waar toch de zetels van de NAVO en van de Europese Unie gevestigd zijn, een duidelijk signaal geeft.

De twee brandhaarden die vandaag in Europa bestaan, namelijk in Bosnië, waar we aan het blussen zijn, en in Tsjetsjenië, waar de brand geregeld hevig oplaait, hebben heel wat met elkaar te maken. Zoals men weet is IFOR voor de NAVO de ideale manier om op militair vlak met de Oostbloklanden samen te werken. Op dat punt was de NAVO vragende partij en dus dankbaar dat de Russen, maar ook de Oekraïners en anderen, hebben ingestemd met een dergelijke samenwerking, meer bepaald via het partnership for peace . Ik vrees helaas dat Tsjetsjenië de pasmunt was waarmee voor deze samenwerking in Bosnië werd betaald.

Ik heb dus de indruk dat beide brandhaarden veel meer met elkaar te maken hebben dan wij vermoeden en dat er eigenlijk al veel langer mogelijkheden waren om in Tsjetsjenië tot vrede te komen. We zien nu immers dat Jeltsin ermee akkoord gaat het gebied te demilitariseren, waarnemers te laten terugkeren en verkiezingen te organiseren. Bovendien gaan zowel hij als Doedajev akkoord met het Haagse initiatief van vorige week. Blijkbaar zijn ze pas nu na al die maanden tot bezinning gekomen. Ik ben ervan overtuigd dat wij de Russen in hun achtertuin vrij spel hebben gelaten om hen ertoe te bewegen in Bosnië met de NAVO samen te werken. Ik vind het bijzonder spijtig dat er pas na zovele maanden en nadat er tienduizenden doden zijn gevallen in Tsjetsjenië werkelijk een reactie komt en dat België, vanuit zijn onverdachte positie op het internationale forum, niet vroeger heeft aangedrongen op datgene waarvan men nu stilaan begint te beseffen dat het de enige uitweg is.

Samen met collega Destexhe dring ik er dan ook op aan krachtige signalen te geven naar de Russische Federatie op het forum van de verschillende Europese instellingen om zo snel mogelijk te komen tot demilitarisering en vrije verkiezingen in Tsjetsjenië.

De Voorzitter. ­ Het woord is aan minister Derycke.

De heer Derycke, minister van Buitenlandse Zaken. ­ Mevrouw de Voorzitter, wat de heer Goris zegt, aanvaard ik maar ten dele. In mijn overzicht heb ik geschetst wat de Europese Unie en België allemaal hebben ondernomen. Elk gesprek van Europa met de Russen begint met Tsjetsjenië en ik denk dat zowel de Russen als Doedajev een periode nodig hebben gehad om te beseffen waar de oplossing ligt, hoe cynisch dat ook klinkt. Daarom ook hoop ik oprecht dat er snel een oplossing komt, maar beide partijen zullen water in de wijn moeten doen, niet alleen Jeltsin, maar ook Doedajev. Deze laatste speelt natuurlijk ook een spel dat ik vanuit politiek standpunt begrijp, maar toch zal hij moeten inbinden indien men een volwaardige oplossing wil bereiken.

Tot slot nog een woordje over IFOR. Ik denk dat dit samenwerkingsverband het beste is wat wij met de Russen kunnen bereiken. Ik durf te zeggen dat deze samenwerking voorbeeldig is, hoewel er in het begin ook moeilijkheden waren, maar daar kan minister Poncelet beter over informeren dan ikzelf.

De Voorzitter. ­ Het woord is aan de heer Goris.

De heer Goris (VLD). ­ Mevrouw de Voorzitter, ik ben ervan overtuigd dat IFOR een zeer goede zaak is, maar ik vrees dat Tsjetsjenië de pasmunt was om de Oostbloklanden tot deze samenwerking te bewegen, dat we dus een aantal maanden moesten zwijgen om Jeltsin vrij spel te geven in ruil voor samenwerking in Bosnië. Ik betreur dat. IFOR is natuurlijk belangrijk, maar toch hadden we moeten blijven aandringen op een oplossing in Tsjetsjenië. Zo hadden heel wat mensenlevens gespaard kunnen blijven.

Mme la Présidente. ­ En conclusion de cette demande d'explications, j'ai reçu deux motions.

La première émane de MM. Destexhe et Goris et est ainsi rédigée :

« Le Sénat demande au Gouvernement belge de défendre dans les instances internationales et européennes (UE, OSCE, Conseil de l'Europe, ...) l'adoption de mesures et de résolutions ad hoc afin que la Fédération de Russie adopte un comportement beaucoup plus modéré en Tchétchénie.

Le Sénat condamne fermement les violations des droits de l'homme commises sur le sol tchétchène et demande à la Russie de respecter les instruments juridiques de protection des droits de l'homme. »

La seconde, déposée par Mmes Sémer et Bribosia, est rédigée comme suit :

« Le Sénat,

Ayant entendu la demande d'explications de M. Destexhe et la réponse du ministre,

Passe à l'ordre du jour. »

« De Senaat,

Gehoord de vraag om uitleg van de heer Destexhe en het antwoord van de minister,

Gaat over tot de orde van de dag. »

Nous procéderons ultérieurement au vote sur la motion pure et simple, qui bénéficie de la priorité.

Wij stemmen later over de gewone motie, die de voorrang heeft.

L'incident est clos.

Het incident is gesloten.

Mesdames, messieurs, l'ordre du jour de la réunion publique de la commission des Affaires étrangères est ainsi épuisé.

De agenda van de openbare vergadering van de commissie voor de Buitenlandse Aangelegenheden is afgewerkt.

La séance est levée.

De vergadering is gesloten.

(La séance est levée à 12 h 45 m.)

(De vergadering wordt gesloten om 12 h 45 m.)