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SÉANCES DU JEUDI 21 DÉCEMBRE 1995 |
VERGADERINGEN VAN DONDERDAG 21 DECEMBER 1995 |
M. le Président. L'ordre du jour appelle la demande d'explications de M. Destexhe au Premier ministre sur « ses commentaires sur le jugement de la Cour de justice des Communautés européennes dans l'affaire Bosman ».
La parole est à M. Destexhe.
M. Destexhe (PRL-FDF). Monsieur le Président, comme le Premier ministre, j'aime le football, mais je ne crois pas qu'il soit souhaitable de confondre le rôle de supporter, même acharné, avec celui de Premier ministre. Le sport comme la politique ne s'en porteront que mieux si l'on évite la confusion des genres.
Cette frontière, vous l'avez, je le crains, franchie, monsieur le Premier ministre, par votre réaction au jugement de la Cour de justice des Communautés européennes dans l'affaire Bosman en évoquant rien moins que la révision du Traité de Maastricht dans le cadre de la Conférence intergouvernementale de 1996.
Tout d'abord, votre réaction pose un grave problème de principe sur la séparation des pouvoirs. Dans l'ordre judiciaire européen, la Cour de justice est une autorité suprême. Il appartient à la cour de dire le droit en vigueur. Les États, dont la Belgique que vous représentez, sont chargés de faire appliquer le droit communautaire et les décisions de la Cour de Luxembourg.
Dès lors, votre intervention risque d'apparaître inévitablement comme un empiètement sur les prérogatives judiciaires. Si le Premier ministre d'un État membre annonce une prolongation politique à l'issue du match arbitré par les juges, les règles du jeu sont violées et la porte ouverte à tous les abus.
Lorsque vous déclarez qu'il y a des chances de voir une révision du traité aboutir parce que « de nombreux ministres sont aussi amateurs de football », vous donnez la fâcheuse impression de reprendre à votre compte l'aphorisme de Somerset Maughan : « ce qu'il y a de vraiment commode avec le droit, c'est que l'on peut toujours s'asseoir dessus lorsque c'est nécessaire ».
Ensuite, et inévitablement, vous avez clairement marqué vos préférences dans le conflit entre un joueur et les fédérations de football. En ouvrant ainsi la porte à une possible remise en cause de la décision de la justice, je ne suis pas certain que vous ayez rendu un grand service aux dirigeants des clubs de football. Au terme d'un long processus, extrêmement aléatoire, de renégociation du Traité de Maastricht, ces derniers risquent d'être exposés à de nouvelles et cruelles désillusions, retardant les adaptations que le jugement de la cour impose.
Enfin, vous, qui vous faites volontiers le champion de la cause européenne, vous risquez ainsi d'ouvrir la boîte de Pandore : chaque fois qu'un pays ne sera pas satisfait d'une décision de justice, il lui restera la solution de proposer un amendement au traité. Vous voyez d'emblée où ce type de raisonnement peut mener. John Major et quelques autres ont dû se réjouir de vous entendre.
Demain, tel pays remettra en cause la réalisation d'un véritable marché unique européen au nom, que sais-je, de l'exception pêcheur breton, de l'exception « stoemp bruxellois » ou de l'exception « pequet liégeois » ou, plus sérieusement, de l'exception sidérurgique ou de l'exception service public. Si vous persévérez dans la voie que vous avez esquissée, ce sont les fondements mêmes de la construction européenne qui risquent d'être ébranlés. Alors que l'Europe subit déjà des attaques de tous bords, vous risquez de remettre en cause le seul résultat vraiment tangible de la construction européenne : le marché unique.
Quelle Europe veut-on ? La construction européenne a déjà détruit des dizaines de milliers d'emplois dans de nombreux secteurs. Vous l'acceptez, nous l'acceptons, parce que nous sommes convaincus que les avantages sont largement supérieurs aux inconvénients et que la balance est finalement favorable pour l'emploi et la prospérité des Européens.
Vous avez toujours maintenu ce cap européen et vous n'avez jamais bronché lorsque des milliers de travailleurs de la sidérurgie et des milliers de douaniers ont perdu leur emploi sur l'autel de l'Europe. Et, tout d'un coup, parce qu'il s'agit de votre passion, le football, vous envisagez d'ouvrir une brèche dans le traité et de le réviser !
Cela est d'autant plus grave que la piste que vous évoquez, l'exception culturelle, ne débouche sur rien, et ce pour trois raisons.
Tout d'abord, l'exception culturelle concerne des biens et des marchandises particuliers. Mais les sportifs j'espère que vous en conviendrez ne sont pas des marchandises. Si nombreux soient ceux qui veulent protéger les oeuvres d'art, nul ne remet en cause la libre circulation des artistes dans l'espace communautaire.
Ensuite, comme vous le savez, l'Union européenne ne possède que des compétences limitées dans le domaine de la culture, qui fait l'objet d'un seul article du Traité de Maastricht. Comme vous ne pouvez l'ignorer, l'exception culturelle n'existe pas vraiment, elle n'a aucune base juridique et elle n'est pas inscrite dans les Accords du GATT. Elle est simplement en discussion dans le domaine des accords mondiaux sur le commerce, mais, de toute façon, hors du champ communautaire.
Enfin, et surtout, l'analogie entre le sport et la culture est sans pertinence car, selon l'arrêt de la cour, la question ne porte pas sur l'exercice de compétences spécifiques, comme le sport ou la culture, mais sur la libre circulation des travailleurs, qui constitue une liberté fondamentale dans la Communauté européenne.
Dans vos déclarations, vous semblez volontairement ignorer le seul j'insiste le seul terrain où la cour a choisi de frapper : celui de la libre circulation des personnes, à l'exclusion de toute autre considération. La cour a, en effet, estimé que, dans l'Union européenne, la libre circulation des travailleurs était un droit fondamental de tout citoyen européen. Elle a d'ailleurs refusé de se placer sur le terrain de la concurrence précisément car un droit est un droit et non un article négociable. Aussi, je serais un peu surpris mais juste un peu si vous ou vos partenaires socialistes, vous remettiez en cause ce qui est désormais un droit fondamental du travailleur européen. Il faudra alors nous expliquer comment, par la suite, on pourra aboutir à construire l'Europe sociale que, par ailleurs, vous appelez de vos voeux.
Plutôt que de lancer votre ballon d'essai, nous aurions préféré vous entendre défendre publiquement les intérêts de la Belgique dans les dossiers européens qui la concernent directement, par exemple, la mise en place des réseaux européens, comme le TGV Bruxelles-Liège, ou la mise en oeuvre du Livre blanc sur l'emploi. En particulier, les réseaux européens n'occupent que quelques lignes dans la déclaration finale du Sommet de Madrid.
Par ailleurs, monsieur le Premier ministre, la semaine dernière, ici même, en réponse à une question orale de mon collègue, Paul Hatry, sur les marchés du Vlaamse Raad attribués exclusivement, au mépris de toutes les règles européennes sur la concurrence, à des entreprises flamandes, vous vous déclariez incompétent en vous retranchant derrière la nouvelle architecture institutionnelle de notre pays. Vos déclarations en tant que Premier ministre fédéral sur l'affaire Bosman sont-elles dès lors compatibles avec les dispositions constitutionnelles qui ont largement communautarisé et régionalisé les matières relatives au sport et aux infrastructures sportives ? Si l'on suit votre logique, vous auriez peut-être pu proposer une « exception flamande sur la construction d'édifices publics » ou, pour faire bonne mesure, une « exception bus wallon ».
Certes, la décision de la cour pose, dans l'immédiat, de graves problèmes aux clubs de football. Mais au lieu de la critiquer, ne conviendrait-il pas d'agir positivement et de vous réunir d'urgence avec les Communautés et l'Union belge afin de réduire l'impact immédiat de la décision de la Cour de justice ?
Dans cette affaire, monsieur le Premier ministre, nous sommes finalement confrontés à trois impératifs, pas forcément inconciliables : les jeunes doivent pouvoir faire du football, la liberté de circulation des travailleurs est un droit fondamental et les clubs doivent pouvoir vivre normalement.
Mais pourquoi annoncer qu'un de ces impératifs doit nécessairement s'effacer derrière les deux autres ? C'est le vieux débat entre la liberté et la sécurité. Il peut y avoir conflit entre les deux, mais personne n'a jamais affirmé qu'il fallait supprimer la liberté pour garantir la sécurité.
M. Dehaene, Premier ministre. Quand ai-je dit cela ?
M. Destexhe (PRL-FDF). Je vais y venir dans mon intervention. Permettez-moi de poursuivre.
La formation des jeunes joueurs est indispensable. Mais est-ce qu'il faut nécessairement vendre des joueurs professionnels pour former de jeunes footballeurs ? À moyen terme, je suis convaincu qu'il est parfaitement possible de concilier la formation des jeunes et la viabilité financière des clubs, tout en respectant le droit à la libre circulation des travailleurs. Nous ne pouvons que vous encourager à travailler dans ce sens.
Pour conclure, monsieur le Premier ministre, j'espère que vous reconnaîtrez que la voie que vous proposez est sans issue et que, dès lors, vos propos de Madrid ont dépassé votre pensée. Mes collègues de parti, plus expérimentés que moi, m'ont dit que je vous connaissais bien mal. Pour une fois, monsieur le Premier ministre, j'espère qu'ils se trompent. (Applaudissements.)
M. le Président. La parole est à M. Foret.
M. Foret (PRL-FDF). Monsieur le Président, l'objet de la demande d'explications de notre collègue Alain Destexhe concerne plus d'un membre de notre assemblée. Au fil du temps, j'ai pu me rendre compte effectivement que de nombreux collègues sont des spécialistes du football. Certains parmi nous ont eu des expériences malheureuses et préoccupantes en matière de football dans le cadre de leurs fonctions ministérielles. D'autres ont également des responsabilités de dirigeant.
Quoi qu'il en soit, au sein de cette assemblée, vous êtes nombreux à avoir tapé dans le ballon, rarement comme joueur professionnel, ou alors je méconnais la réalité, mais certainement comme amateur ou dans les cours de récréation. Peut-être vous aussi, mesdames, avez-vous eu l'occasion de pratiquer un peu le football et pas toujours dans son aspect le plus généralement critiqué, celui de la télévision du mercredi soir.
Sachant donc que le Sénat est une assemblée de grands spécialistes du football, je me permets de dire quelques mots sur le sujet développé par M. Destexhe. Je veux être précis, je partage totalement les développements que vient de faire M. Destexhe dans le cadre où ils sont posés.
Je pense, monsieur le Premier ministre, que M. Destexhe a évité toute déviation, tout dribble ou tout contournement, pour utiliser quelques termes footballistiques. Il a simplement essayé d'aller au but et il a en quelque sorte essayé, sans aucune agressivité, vous en conviendrez, de resituer sa demande d'explications dans le cadre qui doit être le sien, c'est-à-dire en regard du droit européen, d'une décision de justice. Il vous a demandé comment votre déclaration et vos intentions de modifier le traité pouvaient être compatibles avec la décision de justice rendue récemment.
Pour ma part, je souhaiterais ajouter quelques considérations à l'intervention de M. Destexhe.
Je sais que vous êtes un grand spécialiste en la matière, monsieur le Premier ministre. J'irai donc droit au fait.
Aujourd'hui, le football subit de nombreuses attaques. Certains problèmes de violence sont évoqués. À cet égard, je vous invite à suivre une émission qui sera diffusée demain soir par la RTBF, où vous entendrez MM. Tobback, Collignon, Dehousse et votre serviteur en débattre. Il est aussi beaucoup question de l'argent qui circule dans le milieu du football. Ces derniers temps aussi, les piètres résultats de notre équipe nationale et de nos équipes de clubs ont donné lieu à de multiples commentaires.
Cependant, il est un des aspects du football dont on parle beaucoup moins. C'est de celui-là dont je voudrais vous entretenir et par la même occasion, monsieur le Premier ministre, vous permettre de vous racheter dans cette enceinte et, peut-être, de corriger certains des propos malheureux, selon moi que vous avez tenus en la matière.
D'abord, je rappelle qu'un Belge sur vingt est affilié à l'Union belge de football, soit au total 500 000 Belges. Connaissez-vous beaucoup d'organisations ou d'unions qui réunissent autant de membres ? Assurément, non. Aujourd'hui, chaque dimanche, 10 000 matches sont organisés dans notre pays. Ceux-ci sont loin d'opposer des équipes professionnelles ou des équipes qui, pour parler vulgairement, « feraient de l'argent » au niveau des matches. Seuls une bonne vingtaine de clubs entrent dans cette catégorie. Tous les autres développent un football amateur ou quasi amateur et ce au profit de leurs membres qui, pour la plupart plus de la moitié d'entre eux , sont des jeunes de moins de 18 ans.
C'est donc une activité qui, au-delà des aspects vilipendés, à savoir la violence, les finances et parfois les activités proprement dites, est profondément sociale et dont l'importance est indéniable pour nos concitoyens. Notre pays compte 2 200 clubs de football. Telle est la réalité.
Monsieur le Premier ministre, puis-je comprendre que, dans vos récentes déclarations, c'est ce fait social que vous avez voulu souligner ? Puis-je comprendre que vous ne voulez pas que l'on abandonne tous ces jeunes qui pratiquent le football, ces jeunes qui s'adonnent à des activités saines de sport et de loisirs plutôt que de tomber dans le travers de toutes les assuétudes ? Si tel est effectivement le sens de vos propos, je serai à 100 p.c. à vos côtés, même si vous avez commis une indélicatesse à l'égard d'une décision de justice. Mais, si tel n'est pas le cas, alors je serais, comme M. Destexhe, heureux de vous entendre à ce sujet. (Applaudissements.)
M. le Président. La parole est au Premier ministre.
M. Dehaene, Premier ministre. Monsieur le Président, je souhaiterais éclaircir certains points.
D'abord, je n'ai, à aucun moment, mis en cause l'arrêt rendu par la Cour de justice. Celui-ci existe et il doit être appliqué.
Ensuite, comme je l'ai déjà dit, selon moi, les ligues sportives, et plus particulièrement celles de football, ont attendu trop longtemps pour adapter certaines règles à des réalités légales, je pense au traité européen, et elles auraient évité bon nombre d'ennuis en contactant dans les délais la Commission européenne, ce que M. Van Miert a également souligné.
Je respecte les juges et leurs prononcés et la Cour de justice n'est nullement mise en cause quand on constate que l'application voire l'interprétation d'une loi par les juges ne correspond pas à la réalité et qu'il y a lieu d'adapter la loi. Cela étant, je refuse un gouvernement des juges. Cette mise au point est importante pour éviter tout malentendu.
Pour rassurer M. Destexhe, je lui répondrai que je sais ce que je dis et que je ne lance jamais de paroles en l'air. Dans la note de politique générale rédigée pour la conférence intergouvernementale et qui a été déposée au Parlement, il est explicitement précisé : « De plus, d'aucuns ont exprimé le souhait de voir élaborer également des projets d'articles conventionnels spécifiques concernant le tourisme et le sport. » Le sport relevant des compétences des Communautés, ces dernières ont été consultées au préalable pour rédiger cette note de politique générale et elles ont confirmé ce souhait. Je n'ai donc fait que reprendre un souhait exprimé in tempore non suspecto.
Au mois de septembre de cette année, le Comité olympique m'a demandé, par l'intermédiaire de M. Rogge, d'appuyer l'insertion d'un tel paragraphe relatif au sport. Je lui ai répondu que j'étais favorable à cette proposition mais que les Communautés devaient être consultées puisque le sport relève de leurs compétences. Par l'insertion de ce paragraphe relatif au sport, je ne veux pas déroger au principe, dûment conquis, de la liberté des travailleurs. Le but est de trouver un équilibre acceptable entre l'application des règles de l'Union européenne et des lois du marché, d'une part, la viabilité du sport en général et du football en particulier, d'autre part.
Comme M. Foret, je considère que le football professionnel et plus particulièrement international représente le sommet de l'iceberg mais que le football de niveau inférieur est un phénomène culturel de société beaucoup plus large que je ne désire pas voir disparaître. Je ferai d'ailleurs observer que la réglementation belge, en matière de sport, comporte plusieurs dispositions spécifiques qui dérogent aux règles d'application du processus économique ou de sécurité sociale. C'est en cela que j'ai établi une certaine comparaison avec l'exception culturelle. Je suis en effet convaincu qu'à l'instar de la culture, le sport devrait bénéficier d'un certain statut spécial dans le traité.
Dans son intervention devant la Cour de justice, le gouvernement allemand a explicitement attiré l'attention sur le fait que le sport en général présente des analogies avec la culture. Mon opinion est donc partagée, références à l'appui. Par ailleurs, plusieurs États membres sont intervenus dans le même sens à la Cour de justice, la France et l'Italie notamment.
Dans l'état actuel de la législation européenne, la Cour de justice ne partage donc manifestement pas cet avis. Les États membres sont, en tout cas, tenus de respecter le champ de compétence de la Cour de justice et son arrêt, ce qui ne les empêchera peut-être pas de voir plus loin et de modifier la législation s'il s'avère qu'elle n'est pas adaptée à un certain nombre de phénomènes de société auxquels nous sommes confrontés. Il est nécessaire de continuer à réfléchir à cette problématique. La Cour reconnaît d'ailleurs elle-même l'importance sociale considérable des activités sportives.
En résumé, l'arrêt est un fait que je respecte. Les ligues sportives devront, même si c'est assez brutal, s'y adapter d'une manière ou d'une autre. Mais cet arrêt ne tient compte que d'une petite partie de l'organisation sportive, laquelle joue un rôle vital au sein de la société. De plus, certains de ses éléments pourraient être minés par cet arrêt. Dès lors, il convient de réfléchir à d'autres voies, tout en respectant d'autres principes, comme la liberté des travailleurs, qui doit également trouver sa place dans le traité.
Il faudra qu'une large réflexion soit menée afin de dégager une voie moyenne. En outre, les organisations et les ligues sportives devront faire preuve de souplesse pour adapter une partie de leurs règlements. Certaines l'ont déjà fait. C'est de cette façon qu'un équilibre pourra être trouvé. Je suis prêt à collaborer. Je constate les mêmes sensibilités dans d'autres États membres. Il est possible de rechercher une solution équilibrée avec les organisations sportives et même je ne les exclus pas avec les syndicats des joueurs, une solution qui accorderait diverses valeurs de la société. (Applaudissements.)
M. le Président. La parole est à M. Destexhe pour une réplique.
M. Destexhe (PRL-FDF). Monsieur le Président, je n'ai jamais dit du Premier ministre qu'il lançait des paroles en l'air.
Dans le cas qui nous occupe, je crois pourtant, monsieur le Premier ministre, que vous avez commis une terrible bêtise verbale et que vous ne savez comment vous en dépêtrer. En effet, vous n'avez pas du tout répondu aux points principaux de mon intervention, par exemple, avez-vous, oui ou non, l'intention de proposer la réouverture de la négociation du Traité de Maastricht à se sujet ? Vous avez quelque peu noyé le poisson en reconnaissant la nécessité de mesures sociales pour le football...
M. Dehaene, Premier ministre. Je crois avoir confirmé que j'ouvrais la discussion conformément à la déclaration de politique générale. J'ai confirmé que je plaidais pour l'insertion dans le traité d'un paragraphe relatif au sport et qu'à l'occasion de la conférence intergouvernementale, le problème serait posé.
M. Destexhe (PRL-FDF). Cela me paraît extrêmement grave parce que deux pistes vous sont juridiquement interdites : la remise en cause de la liberté de circulation et l'exception culturelle. Tout d'abord, vous êtes tenu de respecter l'arrêt imposant la libre circulation des travailleurs. En écoutant vos réactions, nous n'avons pas eu l'impression que vous étiez prêt à le suivre puisque vous avez en quelque sorte remis en cause le jugement rendu par le tribunal.
Ensuite, le Traité de Maastricht pourrait contenir quelques articles relatifs à la promotion du sport, à l'instar de la culture. Toutefois, si l'un de ces articles devait remettre en cause la liberté de circulation des travailleurs dans l'Union européenne, cela créerait un précédent majeur, dont une série d'États membres profiteraient immédiatement. Ce serait la fin du marché unique, qui est la seule réalisation concrète de l'Europe.
En outre, vous dites que vous n'avez pas critiqué l'arrêt de la justice. Formellement c'est vrai, mais avouez que votre intervention ressemblait à un troisième tour politique, après le deuxième tour judiciaire. Vous dites que cela se pratique tous les jours au Parlement. Je suis d'accord avec vous, mais, en général, cela ne se produit pas immédiatement après une décision judiciaire. Imaginez le tollé si, après un arrêt d'un tribunal quelconque, certains membres du Parlement remettaient immédiatement la loi en cause !
Par ailleurs, j'ai lu entièrement l'arrêt ainsi que les très longues conclusions de l'avocat général. Le seul point sur lequel s'appuie le tribunal est la libre circulation des travailleurs. J'ajouterai que l'arrêt ne concerne que le sport professionnel. Il ne vise nullement les amateurs ni le passage de ces derniers dans le monde professionnel, même s'il implique un certain nombre de conséquences dans ce domaine.
Il est évident, monsieur le Premier ministre, que vous n'avez pas le monopole du football et je remercie M. Foret d'être intervenu à ce sujet.
M. Dehaene, Premier ministre. C'est justement pour cette raison et parce que tant de Belges sont impliqués en la matière que je suis intervenu.
M. Destexhe (PRL-FDF). Une vingtaine de pages des conclusions de l'avocat général sont précisément consacrées à rappeler l'importance sociale du sport et son impact sur la formation des jeunes.
Vous avez cité quelques exemples qui vous convenaient. Vous avez dit qu'un certain nombre de gouvernements vous avaient suivi, mais vous avez omis de citer le gouvernement du Danemark, qui a adopté la thèse inverse et qui, après une large concertation avec les milieux du sport et la société civile, est sur le point d'élaborer une loi afin d'interdire les transferts. Vous n'avez pas parlé de l'Espagne où les transferts ont été partiellement interdits. Vous auriez pu également citer les États-Unis où ces transferts ne sont pas permis non plus.
En fait, ce qui m'importe, c'est que l'on ne révise pas le Traité de Maastricht dans un sens restrictif à l'égard de la liberté de consultation des travailleurs. Or, c'est précisément ce que vous nous avez annoncé de Madrid au lendemain du procès Bosman. Il nous paraît extrêmement important d'obtenir quelques garanties de votre part à ce sujet.
J'espère avoir apporté la preuve que la voie de l'exception culturelle est très aléatoire, vague et dénuée de substance juridique.
Après vous avoir écouté attentivement, je pense que vous avez voulu faire un « coup » électoral ou médiatique mais, actuellement, vous ne parvenez pas à justifier vos propos par une argumentation juridique.
Vous avez sans doute mal lu le Traité de Maastricht. Il est clair que la notion d'exception culturelle que vous évoquez est totalement inconsistante. Même si vous ne souhaitez pas le reconnaître, il me semble également évident que vous avez aujourd'hui largement atténué les propos que vous avez tenus à Madrid. (Applaudissements.)
M. Dehaene, Premier ministre. En termes d'interprétation, vous êtes un champion !
M. le Président. L'incident est clos.
Het incident is gesloten.