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Question écrite n° 7-1878

de Els Ampe (Open Vld) du 31 janvier 2023

au vice-premier ministre et ministre de la Justice et de la Mer du Nord

Chine - Huawei - Coopération interuniversitaire - Protection de la vie privée - Données sensibles - Espionnage - Chiffres et tendances

Chine
télécommunication sans fil
industrie informatique
étudiant
sûreté de l'Etat
université
espionnage

Chronologie

31/1/2023Envoi question (Fin du délai de réponse: 2/3/2023)
15/3/2023Réponse

Aussi posée à : question écrite 7-1879
Aussi posée à : question écrite 7-1880
Aussi posée à : question écrite 7-1881
Aussi posée à : question écrite 7-1882

Question n° 7-1878 du 31 janvier 2023 : (Question posée en néerlandais)

L'Université d'Anvers (UAntwerpen) et l'Université de Gand (UGent) collaborent de plus en plus étroitement avec la société chinoise Huawei. L'UAntwerpen mène cette collaboration par le biais du programme «Seeds for the future». Ce programme, qui existe en Belgique depuis 2014, offre aux étudiants la possibilité de voyager deux semaines en Chine aux frais de Huawei. Au sein de l'Université d'Anvers, il s'adresse à l'élite des étudiants de la faculté des sciences de l'entreprise et d'économie. Par le passé, des séances consacrées à l'intelligence artificielle, à la 5G et à l'internet des objets étaient au programme.

«Il ne faut pas banaliser une coopération avec Huawei», selon Matthias Vangenechten, étudiant en troisième année de droit. Dans la carte blanche qu'il a publiée dans «Dwars», le journal des étudiants de l'Université d'Anvers, il évoque notamment le rôle de l'entreprise dans l'oppression des Ouïghours ainsi que les soupçons d'espionnage. Dans un entretien téléphonique, M. Vangenechten déclare «trouver très étrange que l'université continue à collaborer avec Huawei, alors que la Défense a déclassé le matériel réseau de la marque. Une entreprise qui facilite de graves violations des droits humains ne doit pas être portée au pinacle dans des présentations PowerPoint d'une université pour le simple fait qu'elle dispose d'une expertise informatique unique (traduction)».

L'Université d'Anvers, quant à elle, ne voit guère d'inconvénients à proposer le programme. De son côté, l'Université de Gand considère qu'il s'agit d'une «opportunité précieuse de rencontrer une grande entreprise technologique de premier plan et une autre culture (traduction)».

Les autres universités ont laissé des étudiants participer au programme par le passé, mais elles ne veulent pas encore s'avancer. L'Université catholique de Louvain (KU Leuven) précise que cela fait plusieurs années qu'elle n'a plus inscrit un étudiant à la bourse.

Le Conseil interuniversitaire flamand (VLIR) souligne qu'à l'heure actuelle, les établissements évaluent tant bien que mal les partenariats ou programmes étrangers. Selon Koen Verlaeckt du VLIR, ils s'appuient souvent à cet effet sur des rapports de la Sûreté de l'État. La présence de plusieurs centres de recherche et développement (R&D) de Huawei en Flandre révèle en outre que les autorités belges elles-mêmes ne voient guère l'entreprise d'un mauvais œil.

Entre-temps, le VLIR insiste auprès des gouvernements flamand et fédéral pour qu'ils créent au plus vite un guichet de sécurité des connaissances. Il est rejoint en cela notamment par Agoria, la fédération des entreprises technologiques (voir https://www.standaard.be/cnt/dmf20221222_98074908).

Non seulement la Sûreté de l'État met régulièrement en garde contre les pratiques d'espionnage de Huawei, mais le magazine «Knack» a également expliqué l'année dernière comment Huawei organisait une campagne de diffamation à l'encontre du gouvernement belge. Comme d'autres entreprises chinoises, Huawei ne serait pas associée au déploiement du réseau 5G et ce, pour des raisons de sécurité. Huawei a créé de faux comptes sur Twitter, qui ont déversé leur fiel sur la politique belge et tenté de persuader l'opinion publique de l'existence d'une corruption d'État dans ce dossier (voir https://dwars.be/index.php/nl/artikel/samenwerking met huawei niet te vergoelijken; https://www.knack.be/magazine/hoe huawei belgie via twitter een hak wilde zetten/).

En ce qui concerne le caractère transversal de la présente question écrite : les différents gouvernements et maillons de la chaîne de sécurité se sont accordés sur les phénomènes qui devront être traités en priorité au cours des quatre prochaines années. Ceux-ci sont définis dans la Note-cadre de sécurité intégrale et dans le Plan national de sécurité 2022-2025 et ont fait l'objet d'un débat lors d'une conférence interministérielle à laquelle les acteurs de la police et de la justice ont également participé. Il s'agit d'une matière transversale qui relève également des Régions, le rôle de ces dernières se situant surtout dans le domaine de la prévention.

Je voudrais dès lors vous poser les questions suivantes:

1) Pouvez-vous indiquer si des services de renseignement, tels que la Sûreté de l'État, ont déjà signalé des risques liés aux partenariats précités entre des entreprises chinoises et nos universités? Si oui, combien de fois, auprès de quelle université et avec quelle entreprise?

2) Combien d'étudiants, de professeurs ou autres ont déjà été démasqués comme des acteurs étatiques à la solde de la Chine ou d'autres régimes dictatoriaux similaires, qui se sont révélés actifs au sein de nos universités? Parmi ces personnes, combien avaient la nationalité belge? Quelles peines leur ont été infligées?

3) Pourriez-vous indiquer si des rapports récents de services de sécurité qualifient ou non ce type de partenariats chinois de «risqués»? Si oui, sur quelles bases nos universités poursuivent-elles malgré tout ce genre de programmes?

4) Y a-t-il des signaux montrant que des étudiants, des enseignants ou d'autres membres du personnel belges ne peuvent plus critiquer la politique chinoise au sein de l'université lorsque de tels partenariats sont en cours? Si oui, comment cela se passe-t-il concrètement? Combien de signaux de ce type avez-vous pu établir au cours des cinq dernières années?

5) Selon vous, dans quelle mesure la sécurité nationale prime-t-elle sur les intérêts de la recherche et des partenariats auprès de nos universités? Veuillez préciser votre réponse. Partagez-vous l'opinion selon laquelle des partenariats avec de tels régimes ne compromettent pas gravement la crédibilité de l'Europe en tant que bastion des droits humains ?

6) Avez-vous une idée de la mesure dans laquelle les coopérations de ce type sont équilibrées? Dans quelle mesure nos universités tirent-elles autant ou plus d'avantages de ces partenariats avec la Chine? En d'autres termes, y a-t-il une forme de réciprocité entre les deux pays? Nos entreprises et universités peuvent-elles être actives en Chine par le biais de leurs programmes de R&D ?

Réponse reçue le 15 mars 2023 :

1) De manière générale, les accords de coopération, tels que le programme «Seeds for the future», peuvent présenter des risques en matière d’influence, de respect des droits humains et de réputation des universités concernées. La Sûreté de l’État (VSSE) ne peut donner aucun commentaire sur des dossiers spécifiques.

2) Aucun commentaire ne peut être fourni concernant des dossiers individuels.

3) La VSSE sensibilise les universités aux risques associés aux collaborations internationales afin que, dans le cadre du développement de celles-ci, elles puissent prendre des mesures pour se protéger elles-mêmes et les intérêts de la société ainsi que pour renforcer leur résilience. Les collaborations internationales offrent souvent de nombreuses opportunités, mais comportent parfois également des risques concernant: l’autocensure ou l’influence, le respect de la politique d’exportation des technologies dites «à double usage» (utilisées tant à des fins civiles que militaires), le respect des droits humains, le vol de la propriété intellectuelle, la protection des données à caractère personnel, etc. Les autorités fixent un cadre pour certains de ces risques: par exemple, s’agissant du transfert des technologies à double usage, les universités doivent se conformer à la politique d’exportation des Régions. Sur la base de leur autonomie institutionnelle, les universités évaluent elles-mêmes d’autres risques. C’est par exemple le cas pour les risques en matière d’influence et de droits humains (qui peuvent apparaître dans une collaboration comme le programme «Seeds for the future»).

4) Aucun signal ne montre que, dans le cadre de pareils accords de coopération, des conditions sont explicitement liées au discours tenu vis-à-vis de la Chine. Dans un contexte plus large, nous observons toutefois que la Chine tente de contrôler le discours sur sa politique, également à l’étranger, ce qui peut mettre en péril la liberté académique. Pour les chercheurs qui critiquent la politique chinoise dans leurs publications, il reste par exemple difficile d’obtenir un visa pour se rendre en Chine.

5) La sécurité et la science ouverte ne sont pas nécessairement antagonistes. Pour consolider l’ouverture de nos recherches scientifiques, il importe de lutter contre les abus de celle-ci. L’objectif n’est nullement de limiter cette ouverture, mais de la préserver sur le long terme.

6) La Chine cherche activement à collaborer avec des institutions de la connaissance occidentales et investit énormément dans les accords de recherche et développement ainsi que dans les bourses destinées aux chercheurs et étudiants chinois envoyés en Occident. Cette stratégie s’explique par l’ambition des autorités chinoises de se placer à court terme en tête du classement mondial sur toute une série de technologies (comme prévu dans le programme Made in China 2025). Pour cette raison, bien plus d’étudiants et de chercheurs chinois se rendent en Belgique que le contraire. Les étudiants et chercheurs de haut niveau sont évidemment aussi précieux pour les professeurs belges qui mènent des recherches dans les domaines technologiques. La VSSE indique en outre que le nombre d’entreprises et d’institutions belges qui acquièrent des connaissances en Chine est limité.