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Question écrite n° 5-9494

de Fatma Pehlivan (sp.a) du 5 juillet 2013

à la ministre de la Justice

Le faible taux de poursuite des délits sexuels

délit sexuel
poursuite judiciaire
impunité
ADN
prescription d'action

Chronologie

5/7/2013Envoi question
26/7/2013Réponse

Requalification de : demande d'explications 5-3706

Question n° 5-9494 du 5 juillet 2013 : (Question posée en néerlandais)

C'est le lundi 10 juin qu'a été présentée l'évaluation du Plan d'action national de lutte contre la violence entre partenaires et d'autres formes de violences intrafamiliales. Un élément positif est à noter : depuis l'introduction du plan, le nombre de déclarations relatives à des violences au sein d'une relation a diminué.

Dans notre pays, le nombre de viols reste en revanche extrêmement élevé. Ce sont en moyenne huit viols et neuf attentats à la pudeur qui sont commis chaque jour. Cela équivaut à 3 000 victimes par an. Le nombre réel serait même des dizaines de fois plus élevé. Selon le dernier Moniteur de la sécurité, plus de 90 % des délits sexuels ne seraient pas déclarés aux services de police et ne seraient donc pas intégrés dans les statistiques de la police. Il s'agit probablement du phénomène criminel pour lequel le nombre de cas non signalés est le plus important.

Par ailleurs, le taux de poursuites est beaucoup trop faible. Près d'une plainte sur deux est classée sans suite. Ce chiffre n'a pas varié au cours des dernières années. Dans 55 % des cas, la raison pour laquelle les auteurs ne sont pas poursuivis est l'insuffisance des preuves récoltées. Cela s'explique entre autres par le fait que les échantillons d'ADN prélevés grâce au set agression sexuelle (SAS) ne sont pas suffisamment exploités. Des milliers d'échantillons prélevés à l'aide de ces sets prennent la poussière dans les bâtiments de la justice. C'est insupportable pour les nombreuses victimes. En outre, nous attendons toujours les arrêtés d'exécution de la nouvelle loi ADN. Dès que ceux-ci auront été publiés, le nombre de classements sans suites par manque de preuves devrait diminuer. Il est donc capital pour les victimes que ces arrêtés d'exécution soient publiés le plus vite possible.

Le centre de référence pour le sida de Gand a formulé récemment de sévères critiques à l'encontre de la police et de la justice. Dans une lettre ouverte aux autorités fédérales et flamandes, le centre plaide entre autres pour que l'on contraigne les auteurs à se soumettre aux tests indispensables. Actuellement, ils n'y sont pas forcés et les refusent souvent.

Dans une réaction récente à l'évaluation du Plan national de lutte, le Vrouwenraad (conseil flamand des femmes) plaide en faveur de la création d'un centre de traitement du traumatisme résultant de violences sexuelles où toutes les discipline seraient représentées. Si tout était centralisé en un seul lieu, les choses seraient beaucoup plus faciles pour les victimes. Le Vrouwenraad conçoit le centre comme une sorte de centre de confiance collaborant étroitement avec la police.

1) Comment la ministre explique-t-elle que le nombre de classements sans suite n'ait pas changé au cours des dernières années ? Dispose-t-elle de données récentes indiquant un renversement de tendance ?

2) Des études ont-elles été réalisées récemment sur la politique criminelle relative aux poursuites des délits sexuels ? Dans l'affirmative, quelles sont, outre l'insuffisance de preuves, les causes du faible taux de poursuites ? Dans la négative, la ministre ne juge-t-elle pas opportun de demander une telle étude ?

3) Selon la ministre, quand les arrêtés d'exécution de la nouvelle loi ADN devraient-ils être publiés ? La ministre a-t-elle fixé une date butoir ?

4) Quelles initiatives prendra-t-on ou a-t-on prises pour optimiser l'utilisation des sets agression sexuelle ?

5) Que pense la ministre de l'appel lancé par le centre de référence pour le sida de Gand afin que les auteurs soient contraints de se soumettre aux tests nécessaires ? Une telle obligation est-elle possible du point de vue légal et médical ?

6) Que pense la ministre de l'appel lancé par le Vrouwenraad en faveur de la création d'un centre de traitement du traumatisme résultant de violences sexuelles dans chaque ville de moyenne importance ?

Réponse reçue le 26 juillet 2013 :

Les derniers chiffres du Collège des procureurs généraux montrent en effet une augmentation du nombre d'affaires de viol enregistrées dans les parquets. Cela s'explique toutefois en grande partie par le fait qu'il y a eu davantage de plaintes et de constitutions de partie civile dans ces affaires, une évolution que je ne peux que saluer car cela donne de l'espoir quant à la volonté des victimes de ce type d'infractions de les signaler. Traditionnellement, le « dark number » pour ce type d'infractions est en effet très élevé, ce que montrent également les résultats du dernier Moniteur de sécurité. Il est vrai que le taux de classement sans suite des années 2009 à 2011 est de 44 %, mais je voudrais également indiquer qu'il s'agit d'une moyenne et que pour l'année 2011 il est de 31 %. En d’autres termes, le ministère public prend cette problématique au sérieux et fait chaque jour de son mieux pour améliorer les résultats en termes d'élucidation et de poursuites dans les affaires de viol. Je souhaiterais tout d'abord souligner ici que ces magistrats fournissent quotidiennement un travail remarquable dans ces affaires extrêmement compliquées. Poursuivre et condamner les auteurs de viol n'est pas une sinécure et un certain nombre d'éléments compliquent très sérieusement les choses. En effet, les victimes attendent souvent trop longtemps avant d'introduire une plainte, parce qu'elles ont honte et nourrissent un sentiment de culpabilité. Du temps précieux est ainsi perdu, tout comme les preuves indispensables. De plus, la charge de la preuve pour les viols est déjà en soi très difficile : il faut prouver non seulement le viol même, mais également l'absence de consentement. Si les preuves font défaut, les principes de l'État de droit restent d'application et la présomption d'innocence subsiste. Toutefois, je voudrais également insister sur le fait qu'il est tout à fait normal et même crucial que la justice attache une grande importance à ces principes. Dans ce cadre, l'évaluation de l'obligation de procéder à un test VIH appelle des précisions : la demande de l'aidsreferentiecentrum de Gand doit être confrontée à quelques principes juridiques fondamentaux. C'est également ma mission : l'amélioration du statut de la victime ne peut se faire au détriment des droits de la défense et de la vie privée.

La Justice doit d'ailleurs faire elle aussi d'importants efforts dans sa politique en faveur des victimes en général. Je souhaitais également le souligner. Plusieurs lois récentes améliorent le statut de la victime sur le plan de la procédure pénale et de l'exécution de la peine. Le Collège des procureurs généraux s'attelle en outre à rédiger les circulaires nécessaires en la matière. Je voudrais à cet égard renvoyer à la COL 16/2012 relative à l'accueil des victimes ainsi qu'à la COL 17/2012 concernant le dernier hommage. Entre-temps, le réseau d’expertise en matière de politique en faveur des victimes étudie la manière de rendre moins stéréotypées les motivations en matière de classement sans suite, ce afin de mieux informer les victimes.

Comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, le Collège des procureurs généraux a chargé le parquet général de Liège d'évaluer la COL 10/2005 concernant le SAS. Dans ce but, mes services, en l'occurrence le SPC et l'Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC), ont été désignés pour apporter un soutien. En outre, il a été créé sous l'égide du Collège un groupe de travail constitué d'acteurs pertinents qui peuvent encadrer cette évaluation. Ce groupe de travail s'est encore réuni récemment, le 17 juin. Il s'agit d'une évaluation à grande échelle : tous les parquets, toutes les zones de police, toutes les PJF, 27 juges d’instruction, le monde médical et les laboratoires ont été consultés par écrit sur l'utilisation du SAS. Actuellement, un certain nombre d'éléments sont en outre approfondis par le biais d'entretiens. Nous espérons à la fin de l'année pouvoir présenter les résultats et procéder éventuellement à un certain nombre d'ajustements en ce qui concerne l'utilisation et l'analyse du SAS. En effet, prélever convenablement le SAS est très important pour la collecte de preuves et pour l'accueil correct d'une victime. Cette évaluation aborde certains des problèmes que vous citez, comme une réflexion sur le fait de rendre ou non obligatoires des tests VIH, des améliorations dans l'analyse des kits SAS prélevés, la collaboration entre les autorités judiciaires et le monde médical et scientifique, le fait d'éviter une victimisation secondaire chez les victimes... Je ne voudrais toutefois pas encore préjuger des résultats de cette évaluation et je souhaiterais donner au parquet général de Liège et à mes services l'opportunité de traiter ce sujet de manière approfondie.

Je tiens en outre à préciser que mes collègues et moi-même prenons les violences sexuelles très au sérieux. Ces violences sont inscrites à titre de priorité dans le Plan national de sécurité 2012-2015. En ce qui concerne les victimes mineures, je renvoie au « Protocol Welzijn-Justitie » (Protocole Bien-Être - Justice), qui est à l'origine de la concertation structurelle du « Vlaams Forum Kindermishandeling » (VFK - Forum flamand sur la maltraitance d'enfants). Toutes les formes de maltraitance d'enfants, y compris les violences sexuelles, y sont abordées. De plus, le prochain plan d’action national concernant la violence à l’égard des femmes contiendra un volet distinct sur les violences sexuelles. Les travaux préparatoires, auxquels la justice participe évidemment en tant que partenaire, sont en cours. Cette problématique y sera également abordée.