1-168

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Sénat de Belgique

Belgische Senaat

Annales parlementaires

Parlementaire handelingen

SÉANCES DU JEUDI 5 MARS 1998

VERGADERINGEN VAN DONDERDAG 5 MAART 1998

(Vervolg-Suite)

DEMANDE D'EXPLICATIONS DE M. DE DECKER AU MINISTRE DE LA JUSTICE SUR « LE SYSTÈME DES JURISTES CONTRACTUELS À DISPOSITION DES TRIBUNAUX DE PREMIÈRE INSTANCE »

VRAAG OM UITLEG VAN DE HEER DE DECKER AAN DE MINISTER VAN JUSTITIE OVER « DE CONTRACTUELE JURISTEN BIJ DE RECHTBANKEN VAN EERSTE AANLEG »

M. le président. ­ L'ordre du jour appelle la demande d'explications de M. De Decker au ministre de la Justice.

La parole est à M. De Decker.

M. De Decker (PRL-FDF). ­ Monsieur le président, lors d'une demande d'explications adressée à M. le ministre en octobre dernier, j'avais évoqué la situation de la justice à Bruxelles.

Afin de remédier aux dysfonctionnements des tribunaux, en particulier dans l'arrondissement de Bruxelles, il semble aujourd'hui que le gouvernement veuille étendre à la magistrature assise le système des juristes contractuels en vigueur au parquet.

Vous m'avez répondu à l'époque, monsieur le ministre, que dix juristes contractuels seraient mis à la disposition du parquet, mais que rien n'était prévu quant à la magistrature assise. Or, il semble que vos services envisagent aujourd'hui de nommer des juges de complément déplaçables d'un tribunal à l'autre et de nommer des juristes contractuels au tribunal de première instance.

J'estime, monsieur le ministre, que ces mesures vont accélérer la déliquescence d'une justice qui paraît de plus en plus faite de bric et de broc et que votre initiative visant à mettre en place des juges de complément déplaçables mènera à une sorte de nomadisme judiciaire qui est, à mes yeux, aux antipodes du principe de la sécurité juridique.

Dans le Journal des tribunaux de décembre dernier, le bâtonnier de l'Ordre des avocats de Bruxelles a déjà eu l'occasion de dénoncer ces choix politiques en des termes extrêmement sévères : « À quoi ressemblera la magistrature bruxelloise, sinon à un patchwork de plus en plus hétéroclite, à force de nommer des juges de complément et de faire appel à des avocats assumés, à force de nommer au parquet ce que l'on appelle des juristes contractuels ainsi que des substituts de l'auditeur militaire, démilitarisés pour la circonstance, encore une fois parce que le carcan linguistique empêche de nommer des substituts au parquet ? »

Ce cri d'alarme est l'ultime mise en garde des membres du barreau et du milieu judiciaire avant une éventuelle grève dont la date a été fixée, comme vous le savez, au 29 avril prochain.

Il semble que cette situation ne vous émeuve pas particulièrement, monsieur le ministre, et que les dernières décisions émanant de votre cabinet confirment la volonté de rendre les tribunaux bruxellois tout à fait hétéroclites.

Un courrier de M. le président du Tribunal de première instance de Bruxelles et une offre d'emploi publiée dans un grand quotidien francophone confirment que treize juristes contractuels seront ainsi recrutés pour seconder les tribunaux de première instance. Je souligne au passage que le bilinguisme n'est pas exigé à ce niveau.

Je rappelle que selon une étude publiée dans le Journal des tribunaux , il manque 46 juges ­ et non des juristes ­ au Tribunal de première instance de Bruxelles.

Des dizaines de candidats magistrats qui ont réussi toutes les épreuves, hormis les tests de langues, restent sur le carreau actuellement parce qu'ils n'ont pas la qualité de bilingues légaux. Et pour contourner l'exigence légale, on invente une nouvelle dénomination, au moment même où la contractualisation de la fonction publique est, d'une manière générale, davantage remise en question.

Dans ce désert d'incohérences, on nous signale, par contre, l'entrée en vigueur, depuis le 12 février dernier, de la loi du 9 juillet 1997 visant à nommer sur tout le territoire 49 conseillers à la Cour d'appel, dont 36 à Bruxelles. Je présume qu'il s'agit des conseillers suppléants. Là encore, je ne puis que constater une volonté de contourner le véritable problème, à savoir le manque de magistrats statutaires.

L'arriéré judiciaire, qui était comparable à un parallélépipède, prendra la forme d'une pyramide puisque son socle, constitué des juridictions de première instance, sera inchangé.

Les justiciables seront heureux d'apprendre qu'ils devront attendre moins longtemps pour que leur cause soit coulée en force de chose jugée devant la cour d'appel ­ ce dont on peut se réjouir ­ si, toutefois, ils ont eu la patience d'attendre qu'une décision soit prise en premier degré de juridiction où les plus heureux verront traiter leurs affaires avant la fin du siècle.

Monsieur le ministre, pourriez-vous me confirmer que cette nouvelle tendance de contractualiser la magistrature va se poursuivre ? Dans le même ordre d'idée, pouvez-vous me garantir que le projet de loi visant à assouplir l'exigence de bilinguisme à Bruxelles et présenté à grand renfort médiatique, reste d'actualité, dès lors qu'à entendre les propos du bâtonnier de Bruxelles, certains milieux politiques, notamment flamands, y sont très hostiles ? Comment évolue cette volonté que vous aviez annoncée ?

Telles sont, monsieur le ministre, les remarques et les questions que je voulais vous adresser concernant cette nouvelle initiative un peu particulière d'engager des juristes contractuels à défaut de nommer des juges qui, vous le savez, sont pourtant prêts à l'être à chaque instant.

M. le président. ­ La parole est à M. De Clerck, ministre.

M. De Clerck, ministre de la Justice. ­ Monsieur le président, je pensais que la question porterait uniquement sur l'engagement des juristes contractuels. Cependant, j'essaierai de dresser brièvement un schéma de tout ce qui est en train de bouger à Bruxelles. En effet, de nombreuses choses sont actuellement en mutation. Nous examinons les problèmes qui se posent. Cela prendra évidemment un certain temps, mais je crois que nous parviendrons à les résoudre.

Premièrement, en ce qui concerne les juristes contractuels, les magistrats intéressés ont, en réalité, réservé un accueil très positif à leur mise à disposition au Parquet de Bruxelles ­ c'est par là que nous avions commencé dès le mois de juillet 1997. M. Dejemeppe, procureur du Roi, a même tenu à m'en remercier expressément par écrit, affirmant qu'il s'agissait là « d'une méthode pour améliorer considérablement la situation dans les cabinets des substituts des différentes sections ».

Dès le mois de novembre 1997, j'ai appris que certains juges d'instruction bruxellois seraient très intéressés par une telle formule d'encadrement. Compte tenu de l'impossibilité de désigner des magistrats supplémentaires à ce moment-là, j'ai demandé au président du tribunal de première instance dans quelle mesure il souhaitait faire appel à des juristes administratifs pour assister les juges d'instruction. Il m'a répondu qu'un encadrement par des juristes administratifs lui semblait souhaitable, non seulement pour les juges d'instruction mais également pour les chambres correctionnelles et civiles.

Le recours à cette formule devrait permettre aux magistrats de consacrer davantage de temps à leurs missions de base et, dès lors, déboucher sur une administration plus fluide de la justice à Bruxelles.

Je ne peux que constater qu'en dépit du scepticisme affiché au départ, l'appui offert par les juristes administratifs au sein du parquet est un véritable succès. Je suis convaincu que ce succès s'étendra aux tribunaux et que le rendement des magistrats s'en trouvera amélioré. Les magistrats bruxellois restent demandeurs, non seulement pour les juges de complément, mais aussi pour les substituts délégués de l'auditorat militaire. Les résultats commencent à se faire sentir sur le terrain. J'y reviendrai dans un instant.

Je ne voudrais pas passer sous silence le débat sur l'emploi des langues, mais il convient de considérer le problème dans son ensemble. La question des contractuels au parquet est réglée. En ce qui concerne le siège, une demande a été formulée après étude des besoins. J'ai marqué mon accord pour que treize juristes soient contactés et un appel aux candidats a été lancé, lequel a recueilli environ 250 réponses. Le président du tribunal effectuera un premier tri; le président sélectionnera ensuite les meilleurs candidats. Il s'agit donc d'un système objectif, non politisé, au terme duquel il m'appartient de proposer un contrat aux personnes susceptibles d'être engagées.

Le système existait déjà auparavant. Il est à présent étendu à des juristes dont la tâche consiste à assister les magistrats. Ce sont, en quelque sorte, des référendaires, qui préparent les dossiers et aident les magistrats dans leur travail juridique. Cette expérience, susceptible d'évaluer, présente un intérêt évident, non seulement pour les juges d'instruction, mais aussi pour d'autres juges.

Des mesures similaires existent, à un degré moindre, dans d'autres tribunaux, notamment à Anvers et à Liège. Cependant, il faut considérer le cadre global.

En ce qui concerne les conseillers suppléants, la législation est entrée en vigueur. Le système a débuté le 13 février dernier. Nous avons procédé à la publication pour les magistrats de Bruxelles et nous disposons d'emblée d'un cadre complet, ce qui permettra à la cour d'appel de travailler de manière spécifique pour résorber l'arriéré.

La législation relative aux juges de complément doit être publiée incessamment, ce qui nous permettra de communiquer la liste des places devenues vacantes à Bruxelles en application de cette nouvelle législation.

Le rapport de la première présidente du tribunal de Bruxelles brosse un tableau de la situation à Bruxelles, mais aussi à Louvain et à Nivelles. Nous sommes donc en mesure d'établir la liste de toutes les places disponibles sur la base de la législation qui prévoit un maximum de 10 % du cadre existant du tribunal de première instance, du tribunal de commerce et du tribunal du travail. Nous pourrions donc procéder à des nominations à bref délai.

Par ailleurs, un projet de loi sur l'emploi des langues est déposé au Sénat et devra être débattu. En ce qui concerne les places vacantes au parquet et à l'auditorat, nous avons activement recherché des candidats, mais en vain, nonobstant le fait qu'il existe un grand nombre de possibilités au point de vue linguistique. Le problème réside indubitablement ailleurs et il sera nécessaire d'intensifier la publicité en vue de pourvoir à ces postes.

Quoi qu'il en soit, l'extension des cadres constitue un élément déterminant pour l'avenir. La future législation relative à cette matière, approuvée par le Conseil des ministres, est actuellement soumise à l'examen du Conseil d'État. Je suis évidemment disposé à exposer la teneur de cet avis au Sénat dès que je serai en sa possession. L'extension du cadre prévoit 240 magistrats, à répartir entre tous les arrondissements judiciaires.

Selon moi, cette mesure constitue une solution définitive. L'extension du cadre, les juges de complément, les conseillers suppléants sont autant de dispositions qu'il convient d'examiner dans leur ensemble. Elles tendent à l'instauration d'un système fort, qui soit suffisamment flexible, sans être nomade, et permette aux autorités de s'attaquer aux différents problèmes. Donc, notre travail progresse.

J'espère que toutes ces initiatives nous aideront à résoudre les difficultés présentes à Bruxelles. J'ai eu la possibilité de contacter tous les chefs de corps de Bruxelles, à savoir le premier président, le procureur général, les présidents, les procureurs du Roi, les auditeurs, etc, ainsi que les bâtonniers néerlandophones et francophones. Nous nous sommes réunis en vue d'évaluer cette question et nous avons conclu que la situation évoluait de manière favorable. Les différents chefs de corps se sont réjouis que leur demande ait été rencontrée à 100 % grâce aux initiatives mises en oeuvre.

M. le président. ­ La parole est à M. De Decker.

M. De Decker (PRL-FDF). ­ Monsieur le président, je remercie le ministre des informations qu'il a fournies. Je maintiens néanmoins que, sur le plan de la philosophie générale, les méthodes choisies pour régler un problème de fond sont assez particulières.

Comme vous l'avez dit à la fin de votre intervention, monsieur le ministre, il s'agit, en l'occurrence, d'un problème de cadre, et plus précisément, d'un manque de magistrats nommés, d'une inadaptation du cadre de la cour d'appel du tribunal de première instance par rapport au nombre d'affaires à traiter. Voilà la source de l'arriéré judiciaire. Une réponse a été apportée à la situation par la nomination de conseillers suppléants à la cour d'appel : des avocats ont été invités à siéger en tant que juges dans certaines conditions.

Votre proposition a été favorablement accueillie, monsieur le ministre. En effet, de nombreux avocats se sont sentis honorés à l'idée de pouvoir faire état, dans leur curriculum vitae, de cette qualité de conseiller suppléant à la cour d'appel. Cependant, par une telle manoeuvre, vous exploitez quelque peu la vanité humaine, ce qui ne me paraît pas très sain.

Par ailleurs, vous procédez également à la nomination de juristes contractuels au tribunal de première instance. Je comprends l'utilité d'une telle mesure, notamment dans les cabinets des juges d'instruction. Cependant, alors que des dizaines de candidats juges ont satisfait aux épreuves en vue d'une nomination, et qu'ils n'ont pas reçu celle-ci, il est assez surprenant que des juristes non magistrats soient nommés pour effectuer une partie du travail qui devrait être accompli par de véritables juges.

M. le président. ­ L'incident est clos.

Het incident is gesloten.