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SÉANCE DU JEUDI 21 JANVIER 1999 |
VERGADERING VAN DONDERDAG 21 JANUARI 1999 |
M. le président. L'ordre du jour appelle la demande d'explications de Mme Lizin.
La parole est à Mme Lizin.
Mme Lizin (PS). Monsieur le président, je regrette que nous devions mener un débat dans de telles conditions. Il est dommage en effet que cette assemblée ne porte pas un intérêt plus grand à cette question.
Le drame du Kosovo est similaire à celui de la Bosnie et nous pourrions en prédire le scénario quasiment mois par mois. Il est de plus en plus évident que les propositions américaines formulées à l'OTAN en octobre dernier étaient adéquates. Leur report n'a servi qu'à permettre à l'armée et aux milices serbes de poursuivre leur oeuvre de mort.
Une révision des analyses et donc des positions diplomatiques de la plupart des pays européens s'impose d'urgence pour raccourcir la période d'hésitation qui permet aujourd'hui tous les crimes et pour mettre en route les étapes vers l'indépendance du territoire du Kosovo qui sera selon moi un fait inéluctable à l'avenir. Il s'agit de la seule manière de stabiliser l'ensemble régional balkanique.
Tous les argumentaires qui présentent l'indépendance du Kosovo comme un facteur de déstabilisation constituent une analyse erronée. Il n'y aura pas de stabilisation s'il n'y a pas là-bas création de cet État.
J'ai interrogé M. le ministre à de nombreuses reprises dans cette enceinte à ce sujet. Pourrait-il définir ses positions et admettre que l'évolution actuelle est exactement celle que nous avions prévue ?
Pourrait-il nous dire quelles instructions ont été données à notre représentant permanent à l'OTAN pour la réunion de ce dimanche 17 janvier 1999 ? Pourrait-il faire le point de la situation tant sur le plan diplomatique que sur le plan militaire, de manière à ce que nous sachions clairement quelle est la position de la Belgique dans ce dossier ?
La Belgique est rarement citée comme pays-clé dans ce dossier; on cite le plus souvent la Grèce, fatalement... elle est à l'origine du blocage comme ce fut le cas pour la Bosnie. Mais ce n'est pas le blocage de la Grèce qui est décisif dans ce dossier car en l'occurrence, c'est la France qui paralyse la situation. Or la position française semble connaître une certaine évolution aujourd'hui. Certes, il n'y a peut-être pas encore d'accord entre les diplomates et les militaires français mais il y a avec certitude une évolution des points de vue. Pour ma part, j'espère que les points de vue seront convergents très rapidement au niveau de ces deux ministères.
M. le ministre est-il conscient de cette évolution de l'analyse française ? Qu'en pense-t-il ? La Belgique sera-t-elle favorable à une intervention militaire de l'OTAN sur les forces serbes ? Dans l'affirmative, quand ? Combien de morts faudra-t-il encore pour que nous acceptions cette idée ? A-t-il entamé des actions diplomatiques visant à forcer la fin de la dictature en Serbie ? Je pense plus particulièrement à des actions de soutien à l'égard des forces démocratiques qui sont aujourd'hui vouées à l'inexistence dans ce pays. Elles demandent à l'extérieur un soutien au niveau des médias. Elles ne demandent pas de soutien militaire, elles demandent à peine un soutien politique mais elles n'ont même pas accès à quelques minutes d'expression à la télévision ou à la radio.
Nous devrions peut-être à cet égard soutenir les efforts américains pour mettre à disposition des démocrates serbes certains moyens médiatiques. A-t-il comme ministre envisagé des actions particulières en vue de la Conférence de Vienne proposée par la France qui vise à mettre autour de la table les principaux acteurs albanophones du Kosovo pour tenter de dégager un accord, M. Rugova ayant perdu la partie ? Peut-être aurait-il dû écouter d'autres voix que celles des conseillers européens qui lui ont suggéré de ne pas accepter le Tcheka comme représentant au sein de son propre gouvernement.
Nous avons eu un rôle destructeur à l'égard de M. Rugova. Sur le plan historique, nous avons une responsabilité très lourde en la matière. Le fait d'avoir conseillé à M. Rugova de ne pas prendre, dans son équipe, la force armée en cours de structuration est le facteur qui l'a mis hors jeu pour une très longue période.
Quel est le mandat des forces belges présentes parmi les observateurs de l'OSCE ? Les informations qui m'ont été communiquées ce matin, par le secrétariat de l'OSCE continuent d'être tout à fait catastrophiques. L'épuration ethnique se poursuit dans toute une partie du Kosovo, ainsi que les bombardements dans la partie du pays la plus forte sur le plan militaire. Il n'est donc pas ici uniquement question du fameux massacre qui est médiatisé mais également de tout ce qui vient en parallèle et qui continue, en toute tranquillité.
J'en viens enfin à une question que j'avais adressée à M. Poncelet, voici quelque temps.
M. le ministre se rappelle certainement la publication évoquant l'arrestation et le procès d'un capitaine de l'armée française, directeur de cabinet du représentant permanent de la France à l'OTAN. Au mois d'octobre, cet officier avait remis les plans de frappes de l'OTAN, pratiquement en temps réel, aux forces serbes, en tout cas, à l'agent serbe de l'ambassade de Yougoslavie, à Bruxelles. À ma connaissance, tout le monde est encore en poste à l'ambassade de Yougoslavie.
Selon le ministre, des précautions ont-elles été prises, afin que de telles actions ne soient pas commises au sein des Forces armées belges ? Comment prévoit-on de surveiller ce type de comportements ? Je serais très intéressée de savoir si notre ambassade à Paris suit la procédure entamée à l'encontre du capitaine Bunel. A-t-on clarifié les comportements de toute une série de personnes en charge de ces dossiers ? En effet, et il en a été question hier à la RTBF, on assiste à un phénomène de désinformation, par exemple en ce qui concerne ce massacre abominable. Un journaliste du Figaro qui, à l'évidence, mentait, est même venu expliquer que ce massacre n'en était peut-être pas réellement un.
Quand quelqu'un tire à bout portant, on ne peut même pas reconstituer un visage. Il est évident que cette affaire ne pourra être masquée. C'est la seule véritable raison pour laquelle on ne laisse pas entrer Mme Arbour.
Comment le ministre réagit-il sur ce fait encore plus récent ? Il est certain que les militaires trouveront un accord entre eux en ce qui concerne M. Walker. Cependant, que se passera-t-il quant au fond du problème, c'est-à-dire quant à la nécessité de punir toute la hiérarchie militaire responsable de ce qui, quoi qu'on en dise, est un véritable massacre de personnes qui se trouvaient aux mains d'une armée régulière ? Le fait que cette armée reste un interlocuteur reconnu par d'autres forces armées sur le territoire européen risque de conduire à de futurs états, c'est-à-dire à davantage d'armements, de guerres, mais également à beaucoup plus de résistance, ce qui, en fin de compte, ressemble au cheminement bosniaque. Nous nous trouvons déjà dans ce scénario depuis plus d'un an et demi. Nous le resterons quatre ans si nécessaire.
Cependant, il faudrait, si possible, comprendre à temps que le changement s'impose à un certain moment. Il faut savoir changer, reconnaître ses erreurs, admettre que cette situation est due à certains Européens et aux mauvais conseils qu'ils ont donnés à Rugova. On a perdu la seule caractéristique qui aurait pu éviter le massacre au Kosovo. Il suffisait de dire à Rugova, non pas de mettre Luceka dehors, mais de jouer correctement toutes les forces politiques présentes sur son territoire. Aujourd'hui, le jeu, c'est Luceka pour tous les gouvernements européens. Luceka est une armée. Elle est aidée, efficacement, par des forces non européennes. Elle continuera de l'être et elle sortira gagnante, car les gens sur place défendent leurs maisons et leur village. Les massacres perpétrés engendrent une telle haine que la cohabitation est définitivement impossible. Je suggère d'en tenir compte à temps et de ne pas essayer de récupérer Rugova, il est trop tard.
Il faut essayer d'empêcher la continuation de ces massacres en procédant à une analyse correcte de la situation, comme on le fait en ce qui concerne Cuba et l'Algérie. Le seul endroit où la façon de voir les choses n'est pas la bonne c'est au Kosovo. Ce conflit européen est une honte pour l'Europe.
M. le président. La parole est à M. Derycke, ministre.
M. Derycke, ministre des Affaires étrangères. Monsieur le président, si l'analyse de la situation au Kosovo n'est pas correcte, l'erreur est faite par tous les pays européens car je ne vois pas de très grande divergence d'idée dans les positions politiques prises par ces derniers, en tout cas pour l'instant.
Peut-être Mme Lizin aura-t-elle raison l'année prochaine, mais actuellement, on ne parle pas d'indépendance. Le Sénat connait comme moi le pays qui a évoqué cette possibilité. C'est peut-être une des raisons pour laquelle on a affaire non seulement à des Serbes irraisonnables mais aussi à une UCK qui ne l'est pas moins.
Nous suivons la situation de très près car notre pays y est impliqué, même si peu de Belges sont actuellement au Kosovo. Il existe un lien entre notre pays et la Bosnie-Herzégovine. Nous ne pouvons accorder ce que nous avons refusé dans les Accords de Dayton. Il conviendrait certainement de réfléchir sur ce point si nous voulons éviter que les réalisations en cours dans cette région soient complètement anéanties.
La session extraordinaire du Conseil permanent de l'OTAN de dimanche dernier a été convoquée presque immédiatement après le massacre de Racak. Depuis un certain temps déjà, je n'ai plus aucune confiance dans les Serbes, car si ces derniers n'ont rien à cacher pourquoi dès lors refusent-ils la visite de Mme Arbour et les personnes du KVM.
Je rappelle le drame effroyable qui s'est produit au marché de Sarajevo; des décisions ont alors été prises et ont apporté un certain soulagement dans cette région.
Il convient de laisser les enquêteurs faire leur travail. Les résultats de l'enquête seront utiles pour le tribunal de La Haye.
J'ai donné instruction à notre représentant permanent à l'OTAN de soutenir les propositions de réaction suivantes : une condamnation sans équivoque des massacres; un soutien ferme en faveur d'une enquête du tribunal de La Haye, d'une part, et, d'autre part, d'une enquête d'experts finlandais en pathologie présents dans la région dans le cadre de l'Union; responsabilité des autorités yougoslaves pour le comportement de leurs troupes, pour l'enquête sur les auteurs du massacre et pour leur traduction en justice; rappel des engagements de Belgrade vis-à-vis de la communauté internationale.
Lors de la visite de M. Walker au Kosovo, on a retrouvé des camps serbes à des endroits qui ne se justifient absolument pas au vu des obligations conclues avec l'OSCE et l'OTAN in tempore non suspecto. Le Conseil a envoyé les généraux Clark et Naumann à Belgrade, mais cela n'a rien donné. L'OTAN a repris les conclusions du Conseil dans son communiqué dont le Sénat a certainement pu prendre connaissance. Comme je l'ai expliqué, cet après-midi à la Chambre, le renvoi de nos avions militaires ne constitue pas une nouvelle décision mais simplement le prolongement de celle prise par l'OTAN.
Actuellement, nous en sommes à la concertation. Demain, le groupe de contact, dont nous ne faisons pas partie, se réunira afin de définir les possibilités diplomatiques et politiques qui subsistent ainsi que les dispostions militaires envisageables. J'imagine mal que nous commencions à bombarder sans avoir déterminé la position à tenir ensuite. La leçon irakienne aura été utile.
Je n'exclus pas l'option militaire en dernier ressort. Nous n'en sommes pas encore là. Nous allons essayer de parvenir à notre objectif par la voie diplomatique. Des arguments très fermes, voire militaires, sont parfois indispensables. Rappelons-nous ce que nous avons dû faire avec les mêmes acteurs dans le conflit sur la Bosnie-Herzégovine.
Nous avons toujours plaidé pour le pluralisme politique en République fédérale yougoslave. À cette fin, nous avons établi des contacts avec les leaders politiques. Après les élections de l'an dernier, Felipe Gonzalez avait insisté pour réformer le système. La dernière fois que je suis allé à Belgrade, j'ai trouvé porte close et j'ai pu constater que la majorité des Serbes étaient encore plus extrémistes que Milosevic. Ce dernier pourra constamment trouver quelqu'un de plus extrémiste que lui, en commençant par certains membres de son gouvernement. Nous devons certainement aider l'opposition qui a peur, mais, dans la situation politique actuelle, nous ne pourrons pas le faire. L'OSCE n'exerce plus d'influence significative en République fédérale yougoslave.
Les membres du groupe de contact plaident depuis longtemps auprès des leaders de la communauté albanaise du Kosovo pour la formation d'une équipe unifiée et cohérente chargée des négociations politiques directes. La Belgique a toujours soutenu ces efforts. Au cours de mes contacts personnels avec les leaders albanais du Kosovo, je n'ai jamais manqué de souligner la nécessité de surmonter les rivalités internes afin de s'unir.
Je ne constate pas encore cette unification qui nous aiderait à dialoguer avec eux. J'ai déjà souligné, à d'autres occasions, que l'absence d'une équipe de négociations unifiée constitue un obstacle majeur pour parvenir à une solution négociée. Je ne sais pas si je vous ai déjà entretenu de cet élément de discussion; la dernière fois que nous avons été au Kosovo, nous avons longuement parlé avec Rugova, qui est confronté à des problèmes politiques, et avec d'autres leaders comme Demaci ou le professeur Xocha. Même si nous devions envisager l'indépendance, ce qui n'est pas le cas, leur volonté politique me semble inadmissible dans les circonstances actuelles. Pourquoi ?
En effet, leur volonté d'indépendance ne concerne pas seulement le Kosovo mais bien un « grand Kosovo » qui comprendrait la partie musulmane de l'Albanie, le Monténégro, la Macédoine et même une partie de la Grèce. Ce serait tout à fait déstabilisant pour la région.
Je partage l'avis de Mme Lizin, sans projet politique, il n'y aura pas de solution. Toutefois, celle-ci doit être recherchée au sein de l'Ítat fédéral yougoslave. Le principe de l'État fédéré est un élément clef pour développer un projet susceptible de rencontrer les susceptibilités et les exigences des Kosovars. Une piste serait, par exemple, de développer un projet de parlement dans une des parties de l'État fédéré. On n'en est pas encore là.
Il n'y a pas de forces belges au Kosovo. La Belgique participe à la mission de vérification de l'OSCE. Huit de nos militaires sont détachés pour cette fonction civile non armée. Un contingent d'une trentaine de vérificateurs belges est prévu mais, pour l'instant, je le retiens. Nous attendons l'attitude de l'OSCE. En effet, en cas de bombardement, il faudra prendre une décision pour le KVM. Ce n'est pas simple.
La sélection des non-militaires est en cours. Le mandat des participants est basé sur l'accord qui a été conclu entre l'OSCE et les autorités yougoslaves. Les vérificateurs ont comme première responsabilité la vérification de l'exécution par toutes les parties des dispositions contenues dans la résolution 1199 du Conseil de sécurité.
En ce qui concerne l'affaire Bunel, je ne pourrai pas donner de plus amples informations. Peut-être Mme Lizin pourra-t-elle en reparler avec le ministre de la Défense nationale qui suit de très près ce cas précis, bien intéressant, j'en conviens.
En ce qui concerne la politique française, j'ignore si elle est modifiée. Nous le saurons demain, lors du groupe de contact.
M. le président. La parole est à Mme Lizin.
Mme Lizin (PS). Monsieur le président, je remercie le ministre de sa réponse. Nous resterons sur deux analyses tout à fait différentes.
J'ai parlé à M. Demaci avant-hier. Il était hors du territoire kosovar. Je pense réellement qu'il est devenu l'interlocuteur clef dans cette évolution.
Au stade actuel des combats, il s'agit bien d'indépendance. Vous avez le droit de penser que non, monsieur le ministre, mais eux, ils ont le droit de penser que oui. Ils combattent pour cela et ne s'arrêteront pas. C'est inévitable. On peut encore attendre longtemps, mais il serait plus intéressant de leur demander des engagements sur la Macédoine et par rapport à la présence éventuelle de fondamentalistes qui nous inquiète bien légitimement. Je pense que les garanties sont possibles sur ces points.
Je ne crois pas du tout que leur intention est de créer une sorte de grande Albanie qui déstabiliserait tous les pays voisins. Au contraire, c'est là-dessus qu'il faut discuter avec eux mais avec, pour point de départ, un territoire qui soit le leur dans cette structure.
L'évolution du gouvernement albanais est aussi très significative. On peut très bien aboutir à un schéma diplomatique avec un territoire kosovar, à condition qu'on ne leur impose pas cette fédération avec la Serbie, solution inacceptable pour eux, même si elle peut sembler réaliste à un diplomate dans le confort de son bureau.
Je conçois que ce soit un moment intermédiaire de la négociation mais alors, cela veut simplement dire que le débat militaire, l'engagement militaire continuera beaucoup plus longtemps.
M. le président. L'incident est clos.
Het incident is gesloten.