3-107/1

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Sénat de Belgique

SESSION EXTRAORDINAIRE 2003

22 JUILLET 2003


Proposition de loi instaurant un Fonds de lutte contre le tabagisme

(Déposée par M. René Thissen et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 12 novembre 2002 (doc. Sénat, nº 2-1349/1 ­ 2002/2003).

1. Le tabagisme : problème de santé publique

Le tabac tue. C'est une évidence que plus personne ne peut nier actuellement.

La littérature médicale donne un aperçu de plus de 50 000 études concernant les effets du tabagisme sur la santé.

Une enquête menée sur plus de 40 ans par le Royal College of Physicians a montré que un fumeur régulier sur deux meurt à un âge prématuré à cause de son tabagisme.

Le tabagisme est une des causes de mortalité les plus importantes en Belgique (1).

Selon les calculs du Professeur R. Peto, le tabagisme en Belgique a causé 8 000 morts en 1955, 14 200 morts en 1965, 19 000 morts en 1975, 20 000 morts en 1985, 18 300 morts en 1990 et 19 400 morts en 1995. Selon les mêmes auteurs, les mortalités suite au tabac en Belgique se répartissaient en 1995 comme suit :

Toutes formes de cancers : 8 700.

Maladies cardio-vasculaires : 4 500.

Problèmes respiratoires : 4 100.

Autres : 2 100.

En moyenne, l'espérance de vie des non-fumeurs est de 8 ans supérieure à celle des fumeurs.

Nul ne devrait plus être dans l'ignorance de l'impact négatif du tabac sur la santé. Et pourtant le nombre de fumeurs continue à être préoccupant. Plus préoccupant encore est l'âge des fumeurs.

Pendant la période 1982-1993, le pourcentage de fumeurs réguliers a baissé de 40 % à 25 %.

Depuis 1991, ce pourcentage oscille autour de 25-30 % et on ne constate plus de baisse.

Le tabagisme des jeunes en particulier est inquiétant. Une récente enquête Eurostat mettait en avant le fait que plus d'un tiers de la population de l'Union européenne de plus de quinze ans fumait quotidiennement en 1999, la proportion grimpant à 41 % dans la classe d'âge des 15 à 24 ans.

En Belgique, à partir de quinze ans, on compte chez les hommes 46,8% de fumeurs (40,2 % dans l'UE), chez les femmes 28,2 % (UE : 28,0%) et dans l'ensemble 37,2 % (UE : 33,9 %).

Chez les jeunes Belges de 15 à 24 ans, 52,8 % des hommes fument (UE : 43,0 %) pour 38,2 % des femmes (UE : 39,5 %) ou 45,7 % de cette population dans ce groupe d'âge (UE : 41,3 %).

Dispositions légales en matière de lutte contre le tabac

­ La loi du 3 avril 1975 introduit l'obligation de reprendre sur chaque emballage la mention « Fumer des cigarettes peut nuire à la santé ». L'arrêté royal du 28 décembre 1979 a changé la mention en « Le tabac nuit à la santé ». Le mot « peut » a disparu et l'avertissement a été élargi à tous les produits de tabac.

Le décret de la Commuauté française du 2 décembre 1982 relatif à l'interdiction de fumer dans certains lieux publics et à l'interdiction de propagande ou de publicité en faveur du tabac.

­ Fumer au travail est régulé par l'arrêté royal du 31 mars 1993, en complément du Règlement général pour la Protection du Travail (RGPT), article 148decies 2.2.

­ L'arrêté royal du 11 octobre 1985 concernant la fabrication de denrées alimentaires interdit de fumer dans les locaux où des denrées alimentaires sont fabriquées, stockées ou commercialisées.

­ La directive de la CE du 13 novembre 1989 sur l'étiquetage de l'emballage des produits de tabac est entrée en vigueur au 1er janvier 1992 prévoit que les avertissements doivent être imprimés au recto et au verso du paquet, en caractères gras sur un fond en couleur contrastante, dont les dimensions équivalent au moins à huit pour cent de la surface totale du grand côté de l'emballage, si les avertissements sont repris dans les trois langues nationales. Sur un côté est toujours repris le même avertissement « Nuit sérieusement à la santé »; sur l'autre côté le fabricant doit choisir parmi une série de possibilités comme « Fumer cause le cancer », « Fumer cause des maladies cardio-vasculaires », etc.

­ Suite à la directive CE du 17 mai 1990, l'arrêté royal du 13 août 1990 a limité la teneur en goudron des cigarettes à 15 mg à partir du 1er janvier 1993 et à 12 mg à partir du 1er janvier 1998. Le législateur belge a aussi estimé utile, bien que ce ne soit pas prévu dans la directive, de limiter la teneur en nicotine à 1,5 mg par cigarette à partir du 1er janvier 1993 et à 1,2 mg par cigarette à partir du 1er janvier 1998.

­ La publicité pour les produits de tabac en Belgique est réglementée depuis 1980, entre autres par les arrêtés royaux du 5 mars 1980, du 22 septembre 1980, du 21 janvier 1982, du 20 décembre 1982 et du 10 avril 1990, ainsi que par la loi du 10 décembre 1997 entrée en vigueur le 1er janvier 1999.

­ Un arrêt de la Cour d'Arbitrage du 30 septembre annule les dispositions concernant la publicité indirecte, parce qu'elles ne prévoient pas des exceptions analogues comme pour l'interdiction de la publicité directe. L'arrêt prévoit aussi l'annulation de l'interdiction de publicité pour des produits de tabac, dans la mesure où il s'applique avant le 31 juillet 2003 aux événements et activités organisés à une échelle mondiale.

­ Décret wallon du 10 juin 1999 portant sur le parrainage de manifestations se déroulant sur des infrastructures appartenant à la Région wallonne ou subsidiées par elle. Annulé par l'arrêt nº 36/2001 de la Cour d'Arbitrage du 13 février 2001.

Les recettes financières de la consommation de tabac

La consommation de tabac c'est aussi un enjeu économique et fiscal très important. Selon l'étude du CRIOC (2), les recettes fiscales sur les produits de tabac en Belgique pour la période 1990-2001 se chiffrent aux montants suivants en millions d'euros :

Année En millions
d'euros
1990 916
1991 979
1992 1 040
1993 1 155
1994 1 240
1995 1 318
1996 1 403
1997 1 426
1998 1 557
1999 1 691
2000 1 793
2001 1 712

La lutte contre le tabagisme

La priorité qui doit être donnée à toute politique en matière de lutte contre le tabagisme est la diminution radicale du nombre de fumeurs dans notre pays.

Mais pour faire face de façon optimale à une (sur)consommation du tabac, il est nécessaire :

­ de disposer d'études scientifiques précises sur les différentes formes de dépendance vis-à-vis du tabac et sur leurs conséquences (tant pour les fumeurs que pour les non-fumeurs, c'est-à-dire pour la collectivité),

­ sur base de ces études, d'élaborer des politiques d'information susceptibles d'induire des changements de comportement, ainsi que, si possible, des politiques de prévention dans le cadre d'accords de coopération avec les Communautés.

Par ailleurs, il y a lieu également de faire supporter une partie des coûts de santé engendrés par la consommation de ces produits par ceux qui les suscitent.

En effet, le tabagisme représente un coût social important qui suit un processus évolutif quasi inévitable : la consommation de tabac provoque une assuétude, qui elle-même provoque une ou plusieurs pathologies qui nécessiteront des actes médicaux engendrant un coût pour les patients et un coût pour la société par le biais du remboursement par l'assurance maladie invalidité.

La présente proposition de loi vise donc à créer un Fonds financé par une contribution obligatoire et proportionnelle au chiffre d'affaires des sociétés qui produisent et distribuent le tabac et les produits à base de tabac.

Outre le financement des études et de la recherche relative aux conséquences pour la santé du tabagisme, ce fonds permettrait d'assurer une forme de « remboursement » ou de compensation des dépenses consenties collectivement pour prendre en charge de façon solidaire par le biais de l'assurance maladie invalidité le coût des soins de santé causés par la consommation de tabac.

Le Fonds sera également chargé d'assurer le suivi des législations fédérales en matière de lutte contre le tabagisme et de formuler des propositions en la matière.

Chaque producteur et chaque distributeur devra contribuer au Fonds au prorata du chiffre d'affaires pour le produit concerné sur le marché belge. L'obligation de cotisation au Fonds est une obligation in solidum du producteur et du distributeur.

Le montant de la contribution des producteurs et des distributeurs de tabac est à déterminer par le Roi.

Si l'on retient l'hypothèse d'une contribution de 1 % sur le chiffre d'affaires, cela représenterait sur base des données économiques pour l'année 2001 un montant de quelques 1 014 millions d'euros. La répartition des moyens du Fonds pour l'exécution de ses différentes missions est déterminée par le Roi.

Le mécanisme proposé pour l'indemnisation des coûts sociaux liés au tabagisme, a pour avantage de responsabiliser les différents acteurs qui ont une responsabilité dans cette problématique : les producteurs et distributeurs indemnisent la collectivité des coûts qu'ils génèrent, tandis que les consommateurs qui doivent être eux-aussi responsabilisés individuellement ne tirent aucun bénéfice supplémentaire de ces mesures. Seule la collectivité voit sa situation améliorée par cette proposition.

René THISSEN.
Luc PAQUE.
Christian BROTCORNE.
Clotilde NYSSENS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Il est institué auprès du service public fédéral Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement, un organisme public, doté de la personnalité juridique appelé Fonds de responsabilisation des producteurs et distributeurs de produits causant une assuétude et nuisant gravement à la santé, lequel constitue un fonds budgétaire au sens de l'article 45 des lois sur la comptabilité de l'État, coordonnées le 17 juillet 1991.

Art. 3

Le Fonds a pour mission :

1º de financer les structures et organismes agréés par le Roi en vue de réaliser des études ou des recherches et rendre des évaluations ou avis relatifs à la consommation de tabac et à son impact sur la santé publique;

2º de contrôler et de coordonner les études ou les recherches visées au 1º, ainsi que les évaluations ou les avis rendus par ces structures et ces organismes agréés;

3º d'assurer le suivi des législations fédérales en matière de lutte contre le tabagisme.

4º de formuler toutes propositions utiles en la matière.

5º d'assurer une compensation des dépenses de soins de santé consenties collectivement pour prendre en charge de façon solidaire, par le biais de l'assurance maladie invalidité, les coûts liés à la consommation du tabac.

Art. 4

La gestion des missions du Fonds, telles que définies à l'article 3, est assurée par un Comité de gestion, composé, en nombre égal :

1º ­ de représentants des organisations représentatives du corps médical,

­ de représentants des ministres ayant la Santé Publique, la Prévoyance sociale, les Finances et les Affaires Economiques dans leurs attributions,

­ de représentants de chaque Communauté,

­ de représentants des unions nationales de mutualités.

En aucun cas les représentants de l'industrie du tabac ne peuvent siéger au sein du Comité de gestion du Fonds.

2º d'un président, indépendant des organisations représentatives du corps médical, des mutualités et des secteurs visés au 1º.

3º d'un secrétaire détaché de l'administration de la Santé publique.

Le Roi détermine le mode de présentation des membres du Comité de gestion, le nombre de membres, ainsi que les règles de fonctionnement du Comité de gestion. Il nomme le président, ainsi que les membres du Comité de gestion.

Les membres ont voix délibérative. Le président et le secrétaire ont voix consultative.

Le Comité de gestion détermine dans un règlement spécial toutes les autres modalités d'application afférentes au fonctionnement du Fonds. Le règlement spécial entre en vigueur après approbation par les ministres ayant la Santé publique et les Affaires sociales dans leurs attributions.

Les frais de fonctionnement du Fonds sont mis à charge de ce Fonds.

Art. 5

§ 1. Le Fonds est financé par une contribution constituée d'un pourcentage sur le chiffre d'affaires réalisé sur le marché belge par les producteurs de tabac et des distributeurs, de produits à base de tabac, à fixer par le Roi.

Cette contribution est à charge de ces producteurs et des distributeurs et est perçue sur le chiffre d'affaires réalisé durant l'année précédant celle pour laquelle la contribution est due. L'obligation de cotisation au Fonds est une obligation in solidum des producteurs et des distributeurs.

Le produit de cette contribution est versé sur le compte du Comité de gestion du Fonds et est affecté :

­ au dépistage des maladies liées à la consommation du tabac,

­ à la réalisation d'études et de recherches sur les problèmes de santé et les maladies liés à l'usage du tabac

­ au versement à l'ONSS gestion globale de montants compensatoires des dépenses consenties, par le biais de l'assurance soins de santé, pour la prise en charge des coûts des soins de santé liés à la consommation de tabac.

Le Roi fixe les modalités d'application de la présente disposition en ce qui concerne notamment la déclaration, le contrôle et le recouvrement de cette contribution.

Le débiteur qui ne verse pas dans le délai fixé par le Roi la contribution due est redevable de plein droit envers le Fonds de l'intérêt légal au taux fixé en matière civile à compter du jour où le paiement aurait dû être effectué.

§ 2. Le Fonds est également financé par une dotation à charge de l'État.

Le Roi fixe le montant et les modalités de paiement de cette dotation.

Art. 6

Le Fonds se constituera un fonds de réserve au moyen :

1º des excédents de la contribution visée à l'article 5 § 1;

2º de toutes autres ressources qui lui seraient attribuées.

Avant le 1er octobre de chaque année, le Comité de gestion du Fonds émet des propositions d'affectation de ce fonds de réserve.

En l'absence de proposition du Comité de gestion du Fonds avant le 1er octobre de chaque année, le Roi peut, après avis de ce Comité, décider d'affecter ce fonds de réserve au secteur des soins de santé de l'assurance maladie-invalidité.

Art. 7

Le Roi, sur avis conforme du Comité de gestion du Fonds :

1º agrée, selon des modalités qu'Il détermine, les structures et organismes destinés à réaliser des études ou des recherches et rendre des évaluations ou avis relatifs à la lutte contre le tabagisme;

2º détermine les modalités et les conditions dans lesquelles le financement par le Fonds des structures et organismes visés au 1º peut être opéré.

3º détermine les modalités et les conditions dans lesquelles la compensation des dépenses de soins de santé consenties collectivement pour prendre en charge de façon solidaire, par le biais de l'assurance maladie invalidité, les coûts liés à la consommation du tabac, peut être opérée.

Art. 8

Chaque année, avant le 30 juin, les structures et organismes agréés en vertu de l'article 7 remettent au Comité de gestion du Fonds un rapport sur leurs travaux de l'année civile écoulée et lui soumettent leurs avis ou propositions.

Art. 9

Le Roi peut élargir la liste des produits qui provoquent des assuétudes et qui peuvent entrer dans le champ d'application de la présente loi.

23 juin 2003.

René THISSEN.
Luc PAQUE.
Christian BROTCORNE.
Clotilde NYSSENS.

(1) Luc Joossens, « Farde Documentaire Tabagisme », CRIOC, Édition 2001.

(2) Idem.