1-72 | 1-72 |
Sénat de Belgique |
Belgische Senaat |
Annales des réunions publiques de commission |
Handelingen van de openbare commissievergaderingen |
COMMISSION DE L'INTÉRIEUR ET DES AFFAIRES ADMINISTRATIVES |
COMMISSIE VOOR DE BINNENLANDSE EN ADMINISTRATIEVE AANGELEGENHEDEN |
SÉANCE DU MERCREDI 11 DÉCEMBRE 1996 |
VERGADERING VAN WOENSDAG 11 DECEMBER 1996 |
Mme la Présidente. L'ordre du jour appelle la demande d'explications de Mme Lizin au Vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur sur « l'accident de Tihange I ce jeudi 31 octobre 1996 ».
La parole est à Mme Lizin.
Mme Lizin (PS). Madame la Présidente, je remercie M. le Vice-Premier ministre d'être présent aujourd'hui. En fait, je pensais transformer cette demande d'explications en question écrite, mais il m'a été dit que cela posait quelque problème. J'en reviens donc à une demande d'explications proprement dite.
Comme vous connaissez bien la question, monsieur le Vice-Premier ministre, je ne reviendrai pas en détails sur les circonstances de l'accident. Ce qui nous a le plus inquiétés, c'est la situation particulière de la salle de commandes de la centrale de Tihange, laquelle se trouve dans une partie non nucléaire, en cas d'explosion ou d'incendie. Cette salle de commandes a en effet été totalement opacifiée pendant quelque temps. Cette situation, qui ne s'était jamais produite, n'a aucun caractère nucléaire, c'est incontestable, mais elle a eu peu de retentissement car la centrale ne fonctionnait pas le jour de l'accident.
Que se serait-il passé si, pour une raison non nucléaire, la salle de commandes était devenue opaque et inaccessible alors que la centrale était en fonctionnement ? Par ailleurs, qu'arriverait-il si le gaz, au lieu d'être simplement une fumée d'incendie, était un gaz toxique ? Est-il possible de tester un accident identique à celui que nous avons vécu, qui était potentiellement grave, mais en phase de fonctionnement de la centrale ce qui aurait pu être le cas la semaine suivante et en supposant que les personnes présentes dans la salle de commandes soient très rapidement asphyxiées ? Depuis la survenance de cet accident, nous considérons que ce n'est plus une hypothèse d'école. Nous nous sommes rendu compte qu'une panique très sérieuse aurait pu s'emparer du personnel et que le système de repli ne serait pas facilement mis en oeuvre.
D'autres problèmes se sont révélés à cette occasion, notamment une présence importante d'amiante.
Les travailleurs qui ont procédé au nettoyage après l'explosion n'étaient nullement informés de cette présence, pourtant connue puisque l'amiante était stockée dans les lieux. Ils n'ont été informés de son existence que plusieurs heures après l'explosion.
Par ailleurs, des portes coupe-feu sont imposées pour les risques d'incendie. Or, il semble qu'en cas d'explosion ce soient les premiers éléments qui sautent, ce qui est certes préférable à une désintégration des plafonds des salles. Dès lors, immédiatement après l'explosion, c'est-à-dire au moment précis où l'incendie se déclare, il n'y a plus de portes coupe-feu. Comme le feu peut provenir à 50 p.c. d'une explosion, ne serait-il pas possible de trouver une formule qui protège mieux les bâtiments en cas d'incendie consécutif à une explosion ? Ce type de technique est-il connu ou non ? Tout le monde semble trouver normal que les portes coupe-feu explosent, mais il est évident que l'incendie ne se déclarant qu'après l'explosion, leur utilité n'est pas prouvée. De plus, elles ont provoqué une brèche plus grande encore que la surface de la porte elle-même. L'incendie avait ainsi le champ libre pour se propager.
Autre élément révélateur : trois victimes sur quatre M. Nagy est décédé entre-temps font partie du personnel d'entreprises extérieures. Il ne s'agit donc pas de travailleurs d'Electrabel. Or, ils ne font l'objet d'aucune enquête de sûreté au sujet de leur présence dans les lieux, alors que l'endroit où ils se trouvaient est un endroit clé, un endroit vital pour la remise en fonctionnement de la centrale, pendant son fonctionnement et au moment où il conviendrait de l'arrêter d'une autre manière que par la chute des barres.
Compte tenu de ce que l'on sait du terrorisme et de tout ce qui peut être tentant en matière d'actions perturbatrices dans un pays, la sûreté impose que l'on surveille la présence du personnel d'entreprises extérieures. M. Nagy est d'origine hongroise, mais il est arrivé après les événements de 1956. On pourrait aisément trouver, dans ce type d'endroit, des personnes pouvant avoir des vocations intégristes ou autres. Depuis cet accident, il est clair qu'elles seraient extrêmement efficaces.
Il convient, je crois, de rappeler la démarche d'Electrabel, même si on a parfois l'impression de prêcher dans un désert. En réalité, Electrabel recrute du personnel d'entreprises extérieures parce que cela coûte la moitié du prix qu'elle paie à son propre personnel. À force de se désintéresser de ces travailleurs des entreprises extérieures, on risque d'en arriver à des situations dangereuses, pouvant être analysées par des groupes extrémistes, d'autant que l'infiltration dans ces entreprises n'est pas difficile.
Le comité de prévention de la centrale, nouveau nom du comité de sécurité et d'hygiène, n'a pas été réuni, alors que toutes les personnes élues de ce comité qui assurent une responsabilité en matière de sécurité étaient présentes sur le site au moment de l'explosion, du nettoyage et des différents événements dont nous avons parlé. Quels arguments peut-on utiliser pour obliger la direction à respecter la loi en cette matière ?
Je tiens, enfin, à vous faire part de mon avis au sujet du comité de crise auprès de votre ministère, monsieur le Vice-Premier ministre. Il a, en effet, très bien fonctionné. Je rappelle que l'accident s'est produit durant le week-end de la Toussaint. Tout le monde était donc mentalement démobilisé, sauf les membres de ce comité. C'est extrêmement révélateur. Par contre, l'échelon liégeois était complètement démobilisé. Je note dès lors qu'en cas d'urgence, on peut seulement compter sur le comité de crise à Bruxelles.
Mme la Présidente. La parole est à M. Vande Lanotte, Vice-Premier ministre.
M. Vande Lanotte, Vice-Premier ministre et ministre de l'Intérieur. Madame la Présidente, j'ai également pu constater que le comité de crise avait très bien travaillé et je lui transmettrai les félicitations de Mme Lizin. Ses membres ont constamment été en alerte.
Vous avez posé un certain nombre de questions intéressantes aussi bien sur le plan technique que sur le plan général, madame Lizin.
Si la salle de commandes a été rendue opaque c'est parce qu'une quantité plus ou moins importante de fumée a pénétré dans la pièce après que les pompiers eussent ouvert une porte. Toutefois, des systèmes de ventilation ont immédiatement été mis en place afin d'évacuer la fumée. De plus, un panneau de repli, situé au rez-de-chaussée, permettrait d'arrêter la centrale en toute sécurité en cas d'indisponibilité de la salle de commande. Ce panneau a été prévu voici dix ans, à la suite de l'accident de Three Mile Island.
En ce qui concerne l'amiante, il a été dit à un moment donné que les personnes qui en étaient très proches devaient quitter les lieux en raison d'un danger possible.
Nous devons tirer des leçons globales de cet accident. En réalité, les exigences concurrentielles de ces dernières années ont eu pour conséquence que le remplacement des éléments de combustibles, le redémarrage de la centrale et le contrôle se font de plus en plus rapidement.
Pendant une très courte période le nombre de personnes intervenant sur le site est très élevé, ce qui fait naître des doutes en ce qui concerne leur capacité, leur technicité et leur fiabilité.
Normalement, le ministère de la Justice doit fournir les certifcats de sécurité. Ces derniers ne sont toutefois pas destinés aux personnes qui travaillent temporairement sur le site.
Il n'est pas facile de trouver des experts belges en la matière.
Il conviendrait de travailler en collaboration avec le ministre de la Justice et le ministre de l'Emploi, qui est responsable de la sécurité de travail en la matière, afin de fixer les limites et de déterminer si nous ne sommes déjà pas allés trop loin.
J'ai donc l'intention de réunir des fonctionnaires appartenant aux ministères concernés. Ils seront chargés d'engager un dialogue avec Electrabel, qui est en fait le gestionnaire. Des limites doivent en effet être fixées quant à l'augmentation de la vitesse d'exécution de certaines opérations qui engendre la présence simultanée d'un trop grand nombre de personnes sur le terrain.
La gravité de l'accident est très faible même si une personne a malheureusement perdu la vie et quelques autres ont été blessées. En matière de risques nucléaires, cet accident se situe à « N » zéro et est donc gérable. La notification du niveau zéro ayant été atteint, le centre de crise de Bruxelles qui doit être averti a bien été prévenu. Les modalités prévues ont été respectées.
Il est néanmoins très clair que des difficultés plus importantes pourront se présenter dans le futur. Je pense notamment qu'il n'est pas exclu que des personnes indésirables puissent s'introduire sur le site.
Je répète donc que je ne suis pas inquiet. Mes deux collègues et moi devrons néanmoins débattre au plus tôt de ce problème. Je rappelle qu'un groupe de travail composé de fonctionnaires des ministères chargés d'engager un dialogue avec Electrabel, sera créé.
En conclusion, si tous les détails sont importants, je pense néanmoins que les points que je viens d'évoquer sont les éléments essentiels qu'il convient de dégager. Je souligne notamment la concurrence accrue qui augmente les difficultés et diminue les garanties. C'est là l'aspect le plus important.
Mme la Présidente. La parole est à Mme Lizin.
Mme Lizin (PS). Madame la Présidente, il est clair que le but d'Electrabel est de réaliser des économies.
Le niveau de qualification de cette société en fait néanmoins l'interlocuteur de l'État en termes de mesures de sécurité. Or, lorsqu'un accident survient, nous sommes confrontés à des sociétés diverses Trafitex, Belcos, etc, qui ne sont liées à Electrabel que par un contrat.
Il faut savoir que parallèlement, Electrabel annonce une diminution importante de son personnel dans le secteur nucléaire. Dès lors, la présence sur le site de personnes ne correspondant pas au label Electrabel ne cesse d'augmenter.
On constate par ailleurs qu'Electrabel pratique une politique qui tend à la diminution du nombre de personnes, de la qualification et de la qualité. Je pense qu'il est essentiel d'insister sur ce point car la tenue d'une telle politique finira par coûter très cher.
Mme la Présidente. L'incident est clos.
Het incident is gesloten.