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Sénat de Belgique

SESSION DE 1997-1998

23 OCTOBRE 1997


Projet de loi interdisant la publicité pour les produits du tabac


Procédure d'évocation


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES PAR MMES VAN DER WILDT ET DELCOURT-PÊTRE


SOMMAIRE


  1. Introduction
  2. Auditions
  3. Discussion des amendements
  4. Votes
    Texte adopté par la commission

I. INTRODUCTION

Pour examiner le projet qui lui a été soumis, la commission a pris connaissance de l'avis rendu par la Commission des Finances le 9 octobre 1997 (doc. nº 520/12).

Avant d'entamer la discussion, la commission a également organisé un certain nombre d'auditions, qui ont eu lieu les 15 avril, 11 et 25 juin, 1er , 8 et 15 juillet 1997.

II. AUDITIONS

AUDITION DU 15 AVRIL 1997 DE MM. DR. D. VANDER STEICHEL ET L. JOOSSENS DE LA COALITION NATIONALE CONTRE LE TABAC

A. Exposé de M. Vander Steichel, directeur de l'OEuvre belge du cancer et porte-parole de la Coalition nationale contre le tabac

M. Vander Steichel remercie la commission de l'avoir invité. La Coalition nationale contre le tabac regroupe la FARES (Fondation contre les affections respiratoires et pour l'éducation de la santé), le KKAT (Koördinatie Komitee Algemene Tabakspreventie), l'OEuvre belge du cancer, la Vereniging voor Kankerbestrijding/l'Association contre le cancer, la Vlaamse Kankerliga et la VRGT (Vlaamse Vereniging voor Respiratoire Gezondheidszorg en Tuberculosebestrijding).

Il déclare que les organisations antitabac jugent que, pour réduire le tabagisme de manière significative, cinq instruments sont indispensables. Il faut :

· interdire totalement la publicité pour le tabac;

· mettre en oeuvre une politique visant à déconseiller la consommation du tabac;

· adopter des mesures préventives orientées sur les jeunes;

· limiter de manière significative le nombre de lieux où il est autorisé de fumer tant dans l'intérêt des fumeurs que dans celui des non-fumeurs;

· offrir de l'aide aux personnes qui désirent mettre fin à leur accoutumance.

Le but de ces cinq points d'action n'est nullement de déclarer la guerre aux fumeurs, mais de limiter, dans l'intérêt de la santé publique, les conséquences négatives graves qui sont liées à la consommation du tabac.

M. Vander Steichel souligne que le tabagisme a des conséquences diverses sur la santé. Les statistiques qu'il va livrer portent surtout sur la mortalité induite par le tabagisme, mais celle-ci ne constitue que le sommet visible de l'iceberg.

Beaucoup de gens continuent à sous-estimer les effets du tabagisme sur le taux de mortalité. Pour donner une idée de ces effets, on peut utiliser l'image que le président de l'Organisation mondiale de la santé a employée il y a quelques années. Rien que dans le monde industrialisé, le nombre de décès causés chaque jour par le tabagisme correspond au nombre de morts que provoquerait l'écrasement au sol, sans survivants, de 19 jumbo jets. Il va de soi que l'autorité prendrait des mesures si une telle catastrophe devait se produire réellement.

Il est cependant très difficile de convaincre les décideurs de la nécessité d'interdire l'incitation au tabagisme par le biais de la publicité. Il ne s'agit donc pas de réclamer l'interdiction de la consommation proprement dite du tabac.

Pour ce qui est des statistiques concrètes, il est un fait établi que, dans le monde industrialisé, trois millions de personnes meurent chaque année (six par minute) des effets du tabagisme. Dans l'Europe des douze, le nombre de décès atteignait 510 000 en 1990. Ce nombre continue à augmenter chaque année et, si l'on s'abstient de prendre des mesures, on peut considérer que, dans 20 ans, le nombre de décès dans les pays industrialisés atteindra 20 millions.

Les extrapolations qui ont été faites démontrent que, dans les pays industrialisés, 60 millions de personnes auront perdu la vie à cause du tabagisme au cours de la période 1959-2000; 40 millions d'entre elles se situent dans la catégorie d'âge de 35 à 69 ans. Ce dernier élément a son importance du point de vue économique, mais il signifie aussi que, sur le plan individuel, l'espérance de vie des fumeurs est sensiblement inférieure à celle des non-fumeurs. L'écart serait de 22 ans pour les fumeurs de la tranche d'âge en question.

Des études bien documentées démontrent que les personnes qui commencent à fumer lorsqu'elles sont jeunes et continuent de le faire jusqu'à l'âge adulte ont une chance sur deux de décéder des suites du tabagisme. Il faut par ailleurs tenir compte également des autres conséquences du tabagisme sur la santé.

Si l'on procède, pour les pays industrialisés, à un classement des principales causes de décès dans la tranche d'âge de 35 à 69 ans, on constate que la consommation de tabac est responsable de :

· 94 % des cancers du poumon,

· 18 % des autres cancers,

· 82 % des maladies pulmonaires chroniques,

· 33 % des maladies cardio-vasculaires.

Le tabagisme est la cause principale de 35 % de tous les décès dans la tranche d'âge étudiée et de la moitié environ de tous les cancers.

D'aucuns font remarquer dans ce contexte que toute activité humaine ou presque implique un risque et que ce n'est pas pour autant une raison de ne plus l'exercer. Si ce raisonnement est en partie correct, il ne tient pas compte de la différence de degré entre les risques dus au tabagisme et ceux dus à d'autres activités.

Il ressort ainsi d'une étude effectuée par des instituts américains qui font autorité que, dans chaque groupe d'un million de personnes qui exercent une activité donnée :

· 7 000 personnes meurent des effets du tabagisme;

· 541 meurent des conséquences directes (maladie) et indirectes (accidents) de la consommation d'alcool;

· 187 meurent dans des accidents de la circulation;

· 113 meurent dans des accidents du travail;

· 19 meurent des suites du tabagisme passif;

· 6 meurent des suites de l'une ou l'autre forme de pollution atmosphérique;

· 6 meurent lors de l'exercice d'un sport.

Aux États-Unis, on considère que, pour l'ensemble de la population, les accoutumances sont responsables de 7,7 % des décès : 6 % du fait du tabagisme, 1,5 % du fait de la consommation d'alcool et 0,2 % du fait de la consommation d'autres drogues.

Il y a dès lors une nette différence de degré entre les risques que le tabagisme et l'alcoolisme présentent. Cependant, il y a en outre une autre différence entre les deux. Fumer a des répercussions négatives dès la première cigarette. Par contre, il est généralement admis que consommer de l'alcool en petites quantités ne nuit pas à la santé et peut même avoir des effets positifs sur certains plans.

Si l'on compare les chiffres de la Belgique avec ceux de l'étranger, les constatations sont similaires. Dans la catégorie des 35 à 69 ans, presque tous les cancers du poumon chez les hommes (2 800 sur un total de 2 900) sont provoqués par le tabagisme. Celui-ci est à l'origine de 56 % de tous les cancers et de 30 % des décès dus à des maladies cardio-vasculaires.

Les chiffres concernant les femmes dans la même catégorie d'âge sont moins préoccupants, mais, comme le montre l'évolution sur plusieurs années, la raison en est que les femmes ne se sont mises à fumer à grande échelle que dans les années 50 et 60.

Cela signifie également que, globalement, les choses ne s'amélioreront pas ces prochaines années.

Du point de vue de la santé, cela a-t-il un sens d'arrêter de fumer ? La réponse est sans aucun doute positive. Néanmoins, pour que les conséquences du tabagisme disparaissent totalement et que l'espérance de vie redevienne tout à fait normale, il faut cesser de consommer du tabac avant l'âge de 35 ans.

Lorsque l'on cesse de fumer, les conséquences positives se manifestent relativement rapidement au niveau cardio-vasculaire. Par contre, en ce qui concerne le risque de cancer, la situation évolue beaucoup moins rapidement. L'on peut avoir un risque plus élevé de cancer pendant encore 15 à 20 ans après avoir cessé de fumer.

M. Vander Steichel fait remarquer que certains mettent en doute les chiffres cités, que chacun connaît. Néanmoins, il souligne que le danger est de les sous-estimer plutôt que de les surestimer. En effet, l'on continue à découvrir de nouvelles relations entre certaines maladies et la consommation de produits du tabac. C'est ainsi que l'on a récemment découvert que fumer multiplie par deux le risque de cancer du pancréas et augmente de 50 % le risque de cancer de la prostate. À cet égard, il arrive souvent que l'on constate un lien indéniable, mais des années peuvent s'écouler avant que l'on puisse l'expliquer de manière scientifique.

Ainsi sait-on depuis les années cinquante que les cancers du poumon sont, dans une large mesure, provoqués par le tabagisme, mais ce n'est que récemment que l'on a trouvé une explication chimique.

Les effets négatifs du tabagisme pour les personnes autres que le fumeur lui-même peuvent être constatés dès la naissance d'un enfant. L'on connaît les risques que le tabagisme de la mère représente pour l'enfant : un risque accru de fausse couche, de naissance prématurée, de mort subite, d'infections pulmonaires, etc. Des études ont également fait apparaître que le tabagisme du père peut également entraîner des risques sérieux pour l'enfant. Ainsi une étude de l'université de Birmingham montre-t-elle que le risque de cancers pendant l'enfance augmente de 3 % si le père est un fumeur léger (1 à 9 cigarettes par jour). Ce chiffre passe à 31 % pour les fumeurs modérés (10 à 20 cigarettes par jour) et à 42 % pour les fumeurs lourds. Cette augmentation du risque découle des anomalies génétiques provoquées par le tabagisme.

Même pour les adultes qui ne fument pas eux-mêmes, mais qui sont souvent en compagnie de fumeurs, les risques pour leur santé sont plus importants. Ainsi le risque de cancer du poumon augmente-t-il de 25 %. Le nombre de décès dus au tabagisme passif se situe en Europe entre 1 000 et 4 000 par an.

M. Vander Steichel souhaite enfin attirer l'attention sur le danger que représente la consommation de tabac par les jeunes. Il est généralement admis, et les études scientifiques le montrent également, que si l'on fume étant jeune, l'on risque davantage de devenir fumeur à l'âge adulte. Cependant, le fait de fumer quand on est jeune, quelle que soit la quantité ou la durée, accroît également le risque de contracter un cancer du poumon plus tard. Différer simplement le moment où on commence à fumer réduirait dès lors déjà les effets négatifs sur la santé. C'est un élément important dans le débat consacré à la publicité pour le tabac, qui s'adresse souvent aux jeunes.

B. Questions et répliques des membres

Un membre fait remarquer que personne ne doute de l'effet nocif du tabagisme sur la santé et, dans ce domaine, il dit souscrire au point de vue de M. Vander Steichel.

Néanmoins, il souhaiterait obtenir des données précises concernant l'étude de l'université de Birmingham, qui mettrait en évidence une relation entre le tabagisme du père et les risques pour la santé des enfants. Quels sont les anomalies génétiques dont parlait l'intervenant ?

En ce qui concerne l'influence négative du tabagisme passif sur la santé, un consensus s'est également dégagé dans les milieux scientifiques. Néanmoins, cette influence négative est difficile à mesurer et les résultats des études peuvent être relativement divergents. Sur quel genre d'études les résultats précités sont-ils basés ?

M. Vander Steichel répond que l'étude de Birmingham établit une relation entre le tabagisme du père et les risques pour la santé de l'enfant. L'on n'a pas encore trouvé d'explication mais on présume que le phénomène est provoqué par des déficiences génétiques. Il est assez comparable aux phénomènes qui ont été constatés dans les études consacrées aux origines du cancer du poumon. Dans ce cas également, il a fallu des décennies avant de pouvoir expliquer le rapport entre cette maladie et le tabagisme. L'explication était une déficience du gène P 53, provoquée par le tabagisme.

En ce qui concerne les conséquences du tabagisme passif, il souhaite néanmoins souligner qu'il ne subsiste aucun doute dans les milieux scientifiques sur le fait que les personnes qui sont en contact pendant des périodes prolongées ­ et donc pas seulement occasionnellement ­ avec des fumeurs risquent davantage de développer un cancer du poumon.

Il est vrai qu'il est difficile de mesurer l'incidence précise du tabagisme passif. C'est pourquoi, au cours de l'exposé, l'on a pris en considération une marge large de 1 000 à 4 000 décès par an au sein de l'Union européenne. Avec une telle marge, aucune discussion n'est possible et les chiffres sont suffisamment élevés pour justifier une interdiction de fumer dans certains lieux.

M. Vander Steichel signale qu'à cet égard, c'est à dessein qu'il n'a pas évoqué les effets possibles du tabagisme passif au niveau cardio-vasculaire. Bien qu'il y ait en l'espèce également des indices d'influence négative, les sources scientifiques sont trop divisées pour que l'on puisse tirer des conclusions certaines.

Un autre intervenant demande si, en matière de risques pour la santé, l'on peut faire une distinction entre les sortes de tabac consommé et la manière dont elles sont fumées.

M. Vander Steichel répond qu'il y a bel et bien des différences, mais que celles-ci ne peuvent être constatées que chez des personnes qui ont toujours consommé le même type de tabac et qui l'ont toujours consommé de la même manière.

Normalement, les fumeurs de pipe ou de cigare n'aspirent pas la fumée, c'est pourquoi ils développent proportionnellement davantage de cancers locaux autour de la bouche (bouche, lèvres, langue, ...). Par contre, pour les fumeurs de cigarette, on constate davantage de cancers de la gorge, des poumons et des intestins.

Dans ce dernier groupe, le type de cancer du poumon peut différer selon que les cigarettes contiennent plus ou moins de nicotine et de goudron. Les fumeurs de cigarettes légères développent davantage de cancers périphériques du poumon.

La situation se complique lorsque les personnes se mettent à fumer d'autres produits. Les fumeurs qui passent des cigarettes au cigare ou à la pipe avaleront entièrement ou partiellement la fumée en raison de leurs habitudes et développeront dès lors davantage de cancers internes. Celui qui passe des cigarettes lourdes aux cigarettes légères a tendance à fumer davantage ou à aspirer la fumée plus profondément pour absorber malgré tout la même quantité de nicotine. Il est évident qu'il risquera davantage de développer un cancer propre aux fumeurs de cigarettes lourdes.

C. Exposé de M. Luk Joossens, membre de la section recherche du C.R.I.O.C. et porte-parole de la Coalition nationale contre le tabac

M. Joossens abordera en détail, dans son exposé, les quatre points suivants :

1. L'évolution du tabagisme dans notre pays.

2. La publicité pour le tabac : un débat qui dure depuis 20 ans.

3. L'impact d'une interdiction de la publicité pour le tabac sur la consommation.

4. L'impact d'une interdiction de la publicité pour le tabac sur l'emploi.

1. L'évolution du tabagisme dans notre pays

Des campagnes contre l'usage du tabac sont menées dans notre pays depuis quelque vingt ans. L'on peut, entre autres, en tirer deux enseignements.

Premièrement, il est possible d'influer sur les habitudes des fumeurs puisque le pourcentage de fumeurs a chuté considérablement au cours de la période 1982-1993, passant de 40 % à 25 %.

Deuxièmement, le pourcentage de fumeurs augmente à nouveau lorsque les efforts consentis sont insuffisants : le pourcentage de fumeurs adultes est passé de 25 % en 1993 à 30 % en 1996.

Le pourcentage de fumeurs réguliers/quotidiens
en Belgique
(18 ans et plus)

Hommes Femmes Total
1982 53 % 28 % 40 %
1983 47 % 27 % 37 %
1984 47 % 26 % 36 %
1985 45 % 27 % 35 %
1986 46 % 26 % 35 %
1987 42 % 26 % 32 %
1988 42 % 24 % 32 %
1989 39 % 26 % 32 %
1990 38 % 26 % 32 %
1991 33 % 24 % 29 %
1992 31 % 21 % 26 %
1993 31 % 19 % 25 %
1994 33 % 19 % 26 %
1995 33 % 24 % 28 %
1996 34 % 27 % 30 %

Source : C.R.I.O.C. ­ S.O.B.E.M.A.P.

Le pourcentage de fumeurs réguliers/quotidiens
en Flandre et en Wallonie
(18 ans et plus)

Flandre Wallonie Différence
1982 39 % 42 % + 3%
1983 35 % 40 % + 5 %
1984 34 % 40 % + 6 %
1985 35 % 36 % + 1 %
1986 36 % 36 % ­
1987 30 % 34 % + 4 %
1988 31 % 33 % + 2 %
1989 30 % 34 % + 4 %
1990 28 % 32 % + 4 %
1991 25 % 33 % + 8 %
1992 23 % 29 % + 6 %
1993 23 % 26 % + 3 %
1994 23 % 30 % + 7 %
1995 27 % 29 % + 2 %
1996 30 % 31 % + 1 %

Source : C.R.I.O.C. ­ S.O.B.E.M.A.P.

La situation chez les jeunes est encore plus grave puisqu'une enquête comparative réalisée auprès des jeunes Flamands au cours de la période 1990-1996 a révélé que les adolescents commencent à fumer de plus en plus tôt.

Plus de 10 000 jeunes ont fumé leur première cigarette à l'âge de 11-12 ans. Pour les 13-14 ans, ce nombre s'élevait à plus du double (24 000). À l'âge de 15-16 ans et de 17-18 ans, quelque 38 000 jeunes avaient fumé leur première cigarette.

Fumer quotidiennement est significatif à partir de l'âge de 13-14 ans, mais c'est surtout chez les 15-16 ans que le taux de fumeurs quotidiens est marquant.

Fumeurs quotidiens chez les jeunes de 11-18 ans
en Flandre au cours de la période 1990-1996 (en %)
1

Leeftijd
­
Âge
Jongens
­
Garçons
Meisjes
­
Filles
1990 1994 1996 1990 1994 1996
11-12 jaar. ­ 11-12 ans > 1 1 1 > 1 > 1 > 1
13-14 jaar. ­ 13-14 ans 4 8 5 3 5 5
15-16 jaar. ­ 15-16 ans 14 24 25 12 13 18
17-18 jaar. ­ 17-18 ans 26 33 35 14 18 28

Source : Maes, L., Van de Mierop, E., Jongeren en gezondheid, Université de Gand et Universitaire Instelling Antwerpen, 1996, basée sur des sondages réalisés auprès de 4 207 élèves en 1990, 10 414 élèves en 1994 et 4 437 élèves en 1996.

2. Publicité pour le tabac : un débat qui dure depuis 20 ans

M. Joossens donne ci-après un aperçu des initiatives législatives et politiques qui ont été prises au cours des vingt dernières années en vue de réduire le tabagisme.

· 24 janvier 1977 : l'article 7, § 2, de la loi relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits dispose : « le Roi peut, dans l'intérêt de la santé publique, réglementer et interdire en tout ou en partie la publicité concernant le tabac, les produits à base de tabac et les produits similaires. »

· Avril 1979 : Eddy Merckx fait de la publicité pour une cigarette à faible teneur en goudron et suscite une grande indignation.

· 5 mars 1980 : premier arrêté royal concernant la publicité relative au tabac, qui prévoit, entre autres, une interdiction de faire de la publicité au moyen d'affiches à dater du 1er janvier 1982, en raison de leur impact sur la jeunesse.

· 22 septembre 1980 : deuxième arrêté royal, qui précise le premier et dispose que le nom de la marque et l'emblème de la marque peuvent être apposés sur les équipements des participants à des compétitions sportives.

· 21 janvier 1982 : troisième arrêté royal, qui, entre autres, reporte d'un an l'interdiction frappant les affiches publicitaires pour le tabac.

· 2 décembre 1982 : l'article 13 du décret de la Communauté française dispose que les arrêtés royaux du 5 mars 1980, 22 septembre 1980 et 21 janvier 1982 ont valeur de décret.

· 20 décembre 1982 : quatrième arrêté royal, qui remplace les arrêtés royaux précédents : on abroge l'interdiction de la publicité au moyen d'affiches et on instaure une interdiction de la publicité visant à promouvoir l'image de marque. La publicité dans la presse ou au moyen d'affiches est autorisée à la condition qu'elle ne comporte que les éléments suivants : nom et adresse du fabricant, de l'importateur ou du distributeur, les dénominations et la nature des produits, la marque et l'emblème de la marque, des représentations et des produits et des objets usuels qui sont directement liés à l'usage du tabac, la teneur en goudron et en nicotine, les données relatives au prix et à la quantité.

· À partir de 1983, la législation est contournée à une échelle massive et on l'enfreint en menant une publicité de promotion de l'image, basée sur des thèmes tirés de la publicité pour le tabac, par le biais des allumettes, des briquets, des agences de voyages, etc. Cette forme de publicité indirecte n'existait pas en 1982. Le budget consacré à la publicité indirecte pour le tabac est passé de 17 millions en 1983 à 60 millions en 1990. Cette évolution donnera lieu à diverses plaintes du ministre de la Santé publique. Le parquet de Bruxelles dressera quinze procès-verbaux entre 1983 et 1989. En définitive, il faudra attendre dix ans, soit novembre 1992, pour que les cigarettiers se voient condamnés à des amendes sévères.

· Le ministre flamand chargé de la Santé publique rédige une proposition de décret visant à interdire la publicité pour le tabac en Flandre. On engage un débat sur la question de savoir qui (des communautés ou du pouvoir fédéral) est compétent en matière de publicité pour le tabac.

· 1987 : publication d'un rapport fouillé (300 pages) que le ministre de la Santé publique a commandé sur les effets de la publicité pour le tabac. Les conclusions du rapport indiquent que cette publicité touche et influence principalement les jeunes.

· 1987 : la publicité pour la marque Claremont, qui montre deux jeunes sur une moto, suscite parmi le public un mouvement d'indignation spontanée. La campagne incite des jeunes, un pédiatre et le député européen Ulburghs (SP) à des actions de barbouillage des affiches.

· Dans la période 1986-1995, plusieurs propositions visant à interdire totalement la publicité pour le tabac sont déposées au Parlement. Il s'agit entre autres des propositions de Winkel (Écolo), Blanpain (VU), Lenfant (PSC), Dielens (SP), Di Rupo (PS), Cuyvers (Agalev), etc.

· 15 septembre 1988 : la section de législation du Conseil d'État rend un avis au secrétaire d'État à la Santé publique relatif à une modification de l'arrêté royal du 20 décembre 1982.

· 27 février 1989 : dans un nouvel avis, le Conseil d'État pose clairement que le législateur national est compétent en matière de publicité pour le tabac.

· 23 mars 1989 : la loi du 24 janvier 1977 est modifiée par la loi du 23 mars 1989. Outre la publicité pour l'alcool, le Roi est désormais compétent pour régler également celle pour le tabac.

· 14 mars 1990 : sous l'impulsion notamment des députés européens Pinxten (CVP) et Di Rupo (PS), le Parlement européen vote une interdiction totale de la publicité pour le tabac (170 voix pour, 111 contre et 17 abstentions).

· 10 avril 1990 : cinquième arrêté royal, relatif à la publicité pour le tabac, dont le but est de mettre fin à la publicité indirecte.

· 17 mai 1991 : la Commission européenne dépose une proposition de directive visant à interdire totalement la publicité pour le tabac.

· 22 mai 1991 : on constate, lors d'une audition dans les Commissions de la Santé publique de la Chambre et du Sénat, que la publicité indirecte pour le tabac n'a pas disparu. La publicité pour les briquets et les allumettes est remplacée par celle pour des services (agences de voyages, par exemple) et des compétitions sportives qui sont sponsorisées par l'industrie du tabac. En 1995, cette dernière a consacré 140 millions de francs à cette publicité indirecte.

· 5 février 1992 : la Cour d'arbitrage annule le décret de la Communauté française du 2 décembre 1982, confirmant une fois de plus que c'est le législateur national qui est compétent en matière de publicité pour le tabac.

· 11 février 1992 : le Parlement européen approuve pour la deuxième fois l'interdiction de la publicité pour le tabac. La proposition de directive est ensuite examinée à plusieurs reprises au sein du Conseil des ministres de la Santé publique. Une minorité de blocage composée de l'Allemagne, des Pays-Bas et du Royaume-Uni parvient à empêcher que la proposition soit adoptée par le nombre de voix requis.

· 25 mai 1992 : après une entrevue avec les représentants des organisations de prévention antitabac, Mme Onkelinx (PS), ministre de la Santé publique, annonce qu'elle imposera une interdiction de la publicité pour le tabac, mais que la sponsorisation restera autorisée.

· 20 septembre 1992 : Mme Onkelinx a terminé un projet d'arrêté royal visant à interdire et la publicité et la sponsorisation.

· 21 novembre 1992 : à Bruxelles, plusieurs producteurs de tabac sont condamnés à des amendes sévères (960 000 francs pour Philip Morris et 800 000 francs pour Reynolds, par exemple) pour avoir mené plusieurs campagnes illégales de publicité pour le tabac.

· 23 décembre 1992 : à la suite d'un avis du Conseil d'État, le ministre de la Santé publique ne peut plus décider seul dans ce dossier; il partage le droit de décision avec le ministre des Affaires économiques et le ministre des Classes moyennes. Le Conseil des ministres décide d'interdire la publicité, mais de prévoir une exception pour la sponsorisation. Cette décision du Gouvernement restera toutefois lettre morte après les changements de quelques ministres qui ont eu lieu en 1993.

· 15 mai 1996 : audition en Commission de la Santé publique de la Chambre dans le cadre de l'examen des propositions de loi Vanvelthoven, Vanlerberghe, Cuyt (SP) et Loozie (Agalev) et Detienne (Écolo).

· 5 juin 1996 : la Commission de la Santé publique de la Chambre adopte la proposition qui vise à interdire totalement la publicité pour les produits du tabac par 11 voix (CVP, PS, SP, PSC, VU, Écolo, Agalev) contre 2 (PRL) et 2 abstentions (VLD).

· 17 décembre 1996 : la proposition est adaptée pour tenir compte des remarques émises par la Commission européenne à l'issue d'une procédure de notification auprès de cette dernière et des autres États membres de l'Union.

· 9 janvier 1997 : la Chambre des représentants, réunie en séance plénière, adopte la proposition de loi à une majorité écrasante (89 voix pour, 21 contre et 29 abstentions).

· 24 janvier 1997 : plus de 15 sénateurs évoquent le projet de loi. Il sera examinée par la Commission des Affaires économiques et des Finances ainsi que par la Commission des Affaires sociales.

· Février 1997 : la loi en projet fait l'objet de 37 amendements, dont la plupart visent à prévoir une dérogation pour la sponsorisation des manifestations culturelles et sportives. On sollicite l'avis du Conseil d'État sur l'ensemble de la loi en projet ainsi que sur certains amendements. Le Conseil d'État ne doit pas émettre son avis dans un délai précis.

· 11 mars 1997 : M. Colla (SP), ministre de la Santé publique, déclare en Commission de la Santé publique de la Chambre qu'il espère que les sénateurs voteront de la même manière que les députés.

3. L'impact d'une interdiction de la publicité pour le tabac sur la consommation

En 1987 déjà, une étude approfondie sur l'impact de la publicité pour le tabac a été publiée à la demande du ministre de la Santé publique (1). Elle concluait que la publicité pour le tabac touche et influence surtout l'échantillon des jeunes.

Une étude, publiée dans le Journal of marketing d'avril 1996, est parvenue à la même conclusion, à savoir que la publicité pour le tabac s'adresse surtout aux jeunes et que l'impact de la publicité pour le tabac est même trois fois plus fort chez les jeunes que chez les adultes. Ainsi la société Marlboro dispose-t-elle, de loin, du plus gros budget publicitaire aux É.-U. et s'arroge-t-elle une part de marché de 59 % parmi les mineurs d'âge et de 22 % parmi les adultes. À titre comparatif, la part de marché de Marlboro en Belgique s'élevait en 1992 à 50 % parmi les jeunes de 15 à 17 ans et à 18 % parmi les adultes (source : Centre d'information sur les médias sur la base de 10 000 questionnaires). La survie de l'industrie passe forcément par le marché des jeunes.

Dans les pays qui ont interdit la publicité pour le tabac, les ventes ont diminué. Un rapport britannique en la matière est le plus convaincant. Ce n'est un secret pour personne que l'ancien gouvernement conservateur britannique, qui était contre une interdiction de la publicité, a néanmoins dû admettre qu'une telle interdiction était effective. Après avoir étudié les données de quatre pays ayant interdit la publicité, le gouvernement fit la constatation suivante dans son rapport « Effects of tobacco advertising on tobacco consumption (1992) » : la consommation a diminué dans chacun des quatre pays.

Pays Date
de l'interdiction
Diminution de
la consommation
Norvège 1975 9 %
Finlande 1977 6,7 %
Canada Janvier 1989 4 %
Nouvelle-Zélande Décembre 1990 5,5 %

Source : Department of Health U.K. (Ministère de la Santé du Royaume-Uni).

Des données plus récentes confirment cette tendance.

Consommation de tabac
en Finlande
(par habitant)
Consommation
de cigarettes
en Norvège
(par habitant)
1960 2 220 1 735
1970 2 245 2 076
1975 2 435 2 100
1980 2 090 2 044
1985 2 037 1 842
1990 2 038 1 851
1994 1 681 1 751

Source : Statistics Finland et Directorate of Customs and Excise Norway.

En Norvège, le nombre de fumeurs parmi les jeunes de 16 à 19 ans a chuté de 38 % en 1975 à 21 % en 1994. En Finlande, le nombre de fumeurs chez les jeunes de 15 à 24 ans est passé de 30 % en 1978 à 23 % en 1994.

Pour la France, des données sont aussi disponibles sur l'impact de l'interdiction de la publicité. Pour la période 1992-1996, les ventes de cigarettes ont chuté de 11 % pour passer de 96,3 milliards de cigarettes en 1992 à 86,1 milliards en 1996. Le pourcentage de fumeurs quotidiens parmi les jeunes de 12 à 18 ans s'élevait à 28 % en 1992 et à 26 % en 1995. Le pourcentage de fumeurs occasionnels et de fumeurs journaliers était identique en 1992 et 1996, à savoir 34 % (2).

4. L'impact d'une interdiction de la publicité
pour le tabac sur l'emploi

Les conséquences économiques du tabagisme sont multiples : perte de revenu, absentéisme professionnel, frais médicaux, frais d'entretien et de nettoyage accrus, frais d'incendie, charges des pensions réduites, etc. L'industrie du tabac crée, par ailleurs, aussi des emplois et est une source de recettes fiscales. L'on invoque surtout l'emploi comme argument fréquent pour ne pas limiter trop fortement l'usage du tabac; suivent quelques considérations à ce sujet.

Le secteur du tabac produit de l'emploi, entre autres, dans les secteurs de l'industrie, de la distribution et de l'agriculture.

Selon une étude réalisée à la demande de l'industrie du tabac, le secteur du tabac aurait représenté en 1990, en Belgique, 13 559 emplois à temps plein : 4 675 dans l'industrie du tabac, 1 433 dans les entreprises sous-traitantes, 521 dans le secteur de la culture du tabac et 6 390 dans la distribution (3).

4.1. Emploi dans l'industrie du tabac

Dans le dernier rapport annuel de la Fédération belgo-luxembourgeoise des industries du tabac (Fedetab), l'industrie admet certes que, sur une période de dix ans, l'emploi s'est considérablement dégradé (4).

Selon les rapports de l'Office national de sécurité sociale, il y avait en Belgique, au 30 juin 1985, 5 798 personnes occupées dans l'industrie du tabac. Dix ans plus tard, au 30 juin 1995, elles n'étaient plus que 3 009.

Selon la Fedetab, cette dégradation est due principalement à l'automatisation des entreprises et à la fermeture de plusieurs unités de production en Belgique (4).

L'automatisation et la délocalisation sont les principaux facteurs qui pèsent sur l'emploi dans l'industrie du tabac. La production de cigarettes se fait au moyen de machines qui nécessitent peu de personnel. Les machines actuelles produisent 14 000 cigarettes à la minute. Sur la base de données de 1992 déjà, l'on avait constaté que l'emploi dans l'industrie du tabac était assez limité (0,10 % de la population active). Si l'on compare la part du secteur dans la population active avec sa part dans le P.N.B. au coût des facteurs (0,16 %), l'on se rend compte que l'industrie du tabac est un secteur capitalistique. L'intensité de travail y est de 38 % inférieure à la moyenne nationale (5).

Outre l'impact de l'automatisation, il y a également le phénomène de la délocalisation. Depuis 1982, toute l'industrie belge de la cigarette est aux mains de grandes entreprises étrangères. Ces entreprises planifient leurs activités commerciales dans un contexte européen global, conservant quelques unités de production, qui sont modernes, complètement automatisées et implantées en des endroits stratégiques, de préférence dans des pays qui sont favorables à l'industrie du tabac. Dans cette optique, l'unité de production de Reynolds à Bruxelles a été fermée en 1989 et transférée à Trèves, en Allemagne. Le même scénario s'est produit avec Philip Morris, qui a fermé sa fabrique d'Ixelles en 1994 pour la transférer à Bergen-op-Zoom, aux Pays-Bas. L'unité de production belge de B.A.T. a déjà subi un dégraissage et offre peu de perspectives dès lors que B.A.T. construit une nouvelle usine avec une capacité de production de près de 100 milliards de cigarettes près de Southampton, en Grande-Bretagne.

Les prévisions en matière d'emploi dans l'industrie belge du tabac pour les dix années à venir sont peu réjouissantes.

Cette dégradation de l'emploi est due moins à la baisse des ventes qu'à la politique des grandes entreprises multinationales en la matière, qui limitent leurs centres de production industrielle à quelques unités fortement automatisées en Europe.

4.2. Emploi dans le secteur de la publicité

En 1995, on a dépensé 815 millions de francs en publicité pour le tabac ce qui représente 1,8 % des dépenses totales de la publicité dans les médias, qui s'élevaient à 45 093 millions.

La part de la publicité pour le tabac dans le budget global de la publicité est très limitée. En outre, le secteur a connu une croissance énorme : en sept ans, les fonds investis dans la publicité ont environ doublés : ils sont passés de 22,7 milliards en 1988 à 45,1 milliards en 1995. L'interdiction de la publicité pour le tabac aurait un effet limité sur l'emploi (=1,8 % de revenus en moins), qui serait néanmoins compensé par la croissance énorme dans l'ensemble du secteur de la publicité.

4.3. Emploi dans le secteur de la sponsorisation

Sur la base des données de l'industrie, l'on estime qu'en 1995 celle-ci a consacré 457 millions de francs à la sponsorisation de manifestations culturelles et sportives (6). Selon la même étude, la sponsorisation par l'industrie du tabac représente en moyenne 1/9 du budget total de la manifestation. Une perte de revenus de 11 % peut poser quelques difficultés, mais elles ne sont généralement pas insurmontables. Certains organisateurs ont tendance à dramatiser la perte de fonds issus de la sponsorisation. Ainsi, une étude intitulée « The economic impact of the Belgian Grand Prix on the Liège Province » devait-elle montrer que l'organisation du Grand Prix du 23 au 25 août 1996 a des répercussions sur 5 625 emplois locaux, dont 1 461 dans les boulangeries et 269 dans les pharmacies ! Néanmoins, cette étude est peu crédible et contient de nombreuses erreurs. Un exemple : selon l'étude, il y aurait 1 000 personnes employées à la boulangerie Dome de Spa, alors qu'en fait, il n'y en a que 10. La boulangerie en question n'a d'ailleurs jamais été interrogée par les auteurs de l'étude. Nous ne comprenons pas non plus comment l'organisation d'une course de Formule 1 peut donner du travail à 269 pharmaciens. L'incidence financière de la manifestation sur l'économie locale a été également exagérée. Les recettes issues de la vente des tickets (475 millions de francs) et de la vente de boissons, de nourriture et de gadgets sur le circuit ne bénéficient pas tellement à l'économie locale, mais plutôt à l'organisation internationale F.O.C.A. (Formule One Constructors Association), qui organise les courses de Formule 1 dans le monde entier. Enfin, en France, l'on a fait le même chantage qu'en Belgique : plus de sponsorisation du tabac = plus de Formule 1. Malgré ce chantage, la France a depuis 1993 interdit toute sponsorisation des produits du tabac, sans que cela n'entraîne la suppression des courses de Formule 1 en France. Nous constatons que l'on surestime systématiquement l'apport de l'industrie du tabac. Ainsi, le chiffre d'affaires de l'Intercommunale de Francorchamps s'élève-t-il à 100 millions, dont 3 à 4 % seulement proviennent de l'industrie du tabac...

4.4. Emploi dans la distribution du tabac

Selon les données de l'industrie, 1990, l'emploi dans la distribution était encore plus élevé que dans l'industrie (7). Outre les bureaux de tabac proprement dits, il y a également les librairies, qui dépendent partiellement des recettes provenant de la vente des produits du tabac. Néanmoins, dans notre pays, les ventes de produits du tabac dans les librairies diminue plus rapidement que les ventes globales des produits du tabac. Au cours de la période 1991-1993, la vente de cigarettes en Belgique a diminué de 10 %, contre 26 % en moyenne dans les librairies (8).

La raison en est qu'un autre canal de distribution gagne du terrain : les distributeurs automatiques dans le secteur horeca.

Dans notre pays, on compte actuellement 18 000 distributeurs automatiques.

En ce qui concerne la distribution également, on peut avancer l'argument selon lequel l'automatisation a une incidence négative sur l'emploi.

4.5. Emploi dans la culture du tabac

Enfin, selon des sources industrielles, 521 personnes auraient été employées en Belgique, en 1990, dans la culture du tabac (9). En Belgique, celle-ci relève néanmoins de la politique agricole commune, qui est considérablement subsidiée. En 1994, les subventions européennes au tabac s'élevaient à 42 milliards de francs, le revenu des producteurs de tabac étant issu à 90 % des subventions et à 10 % seulement de la valeur marchande du produit. L'on peut en conclure que l'emploi dans la culture du tabac est surtout maintenu grâce à des subventions (10).

4.6. Conclusion en matière d'emploi

M. Joossens conclut que le secteur du tabac crée de l'emploi, mais de moins en moins. L'on est en droit de se demander ce qu'il adviendrait si tous les fumeurs s'arrêtaient de fumer et s'ils dépensaient ce qu'ils consacraient au tabac (en 1995, 92,9 milliards de francs en Belgique) à d'autres services et d'autres biens. Semblables études ont été effectuées au Michigan (U.S.A.) (11) et en Grande-Bretagne. En Grande-Bretagne, l'on a comparé les dépenses des fumeurs et des non-fumeurs (12). Si chacun s'arrêtait de fumer et dépensait son argent comme le font actuellement les anciens fumeurs, l'emploi augmenterait de 155 542 unités à temps plein en Grande-Bretagne. La raison en est que les anciens fumeurs dépensent davantage d'argent dans le secteur des loisirs, qui emploie beaucoup plus de main-d'oeuvre que le secteur du tabac. Si l'on épargnait une partie des dépenses consacrées au tabac, à savoir 25 % (ce qui correspond à la consommation moyenne en Belgique en 1993), l'emploi diminuerait certes de 44 %, mais cela permettrait malgré tout de créer 87 103 emplois supplémentaires en Grande-Bretagne (13). En d'autres termes, une société sans tabac serait favorable à l'emploi.

À noter : c'est surtout Philip Morris qui est parvenu à augmenter sa part de marché en Belgique grâce à des méthodes publicitaires agressives. Sans publicité, l'on peut s'attendre à ce que la part de marché stagne, ce qui ne se fera pas au détriment de l'emploi, parce que Philip Morris ne produit plus qu'à l'étranger.

C'est un paradoxe étrange : plus il y a de publicité pour le tabac, moins il y a d'emploi dans l'industrie du tabac.

D. Questions et répliques des membres

Une commissaire fait observer qu'un argument souvent avancé contre une interdiction légale de la publicité en faveur de produits du tabac est qu'elle n'a guère ou pas d'influence sur la consommation de tabac en tant que telle et n'est déterminante que pour la répartition de la consommation entre les différentes marques. D'aucuns estiment dès lors que le seul moyen adéquat de réduire la consommation de tabac chez les jeunes est d'interdire la vente de cigarettes aux jeunes gens.

Qu'en pensent les orateurs ?

M. Joossens répond que la publicité fait partie d'une stratégie de marketing, en plus du conditionnement du produit, de la fixation du prix, des points de vente, etc. Cette stratégie a incontestablement pour but et pour effet de stimuler la consommation en général ou dans des groupes cibles spécifiques.

L'affirmation selon laquelle la publicité n'influencerait que la part de marché des diverses marques n'est confirmée par aucune étude scientifique sérieuse. En effet, la publicité est essentiellement un moyen de communication visant à accroître la vente d'un produit, dans le cas présent des produits du tabac, en attirant de nouveaux consommateurs, en substituant des parts de marché à des concurrents et en incitant ceux qui désirent arrêter à continuer de consommer le produit.

L'Organisation mondiale de la santé plaide effectivement en faveur d'une interdiction de la vente de produits de tabac aux jeunes. La coalition contre le tabac n'a pas adopté ce point de vue, et ce, pour diverses raisons. Premièrement, les contrôles qui vont de pair ne cadrent pas avec notre mentalité. Les États-Unis connaissent une telle interdiction, mais celle-ci s'inscrit dans un système où la vente d'alcool, par exemple, est, elle aussi, strictement réglementée.

Pareille interdiction attribuerait en outre la responsabilité de la consommation de tabac des jeunes exclusivement à un groupe déterminé, les détaillants. Ce n'est pas souhaitable, d'autant plus que ce système ne serait efficace que s'il était assorti de lourdes sanctions.

Enfin, il y a le phénomène du fruit interdit. Une interdiction conférerait probablement, aux yeux de certains jeunes, une force d'attraction supplémentaire au produit interdit.

Les organisations antitabac préconisent néanmoins que l'on évite, dans la mesure du possible, de donner au tabac une connotation positive aux yeux des jeunes, par exemple par la sponsorisation de festivals de musique, d'événements sportifs, etc.

Un sénateur évoque une enquête du Comité d'éducation pour la santé, de laquelle il ressortirait qu'en France, le nombre des fumeurs âgés de 12 à 18 ans a sensiblement augmenté depuis 1994. L'interdiction de la publicité pour le tabac, instaurée dans ce pays au début des années 90, y a-t-elle été compensée par d'autres facteurs, par exemple la fixation des prix ?

M. Joossens tient à le contester catégoriquement. L'interdiction de publicité pour les produits du tabac est entrée en vigueur en France le 1er janvier 1993. Le pourcentage de jeunes fumeurs (tant journaliers qu'occasionnels) était de 34 % en 1992, de 30,5 % en 1994, de 35 % en 1995 et de 34 % en 1996. Ces chiffres, qui se basent sur des sondages réalisés auprès de 1 000 personnes, reflètent des différences qui ne peuvent pas être considérées comme statistiquement significatives. Si l'on examine séparément le nombre de consommateurs journaliers parmi les jeunes, on constate une diminution de 28 % en 1992 à 26 % en 1996. Cette différence ne peut pas non plus être qualifiée de significative du point de vue statistique.

AUDITION DE REPRÉSENTANTS DU CENTRE D'INFORMATION ET DE DOCUMENTATION SUR LE TABAC, LE 11 JUIN 1997

A. Exposé introductif de Mme Rousseau, représentante du Centre d'information et de documentation sur le tabac

Mme Rousseau déclare que l'industrie du tabac reconnaît que fumer comporte un risque : fumer est le choix d'un adulte informé et, par conséquent, les enfants ne doivent pas fumer !

Les médias rapportent et informent à profusion la population sur les éventuels méfaits du tabac. Chaque publicité et chaque paquet de cigarettes comporte un ou plusieurs avertissements sanitaires.

Le thème « consommation tabac & enfants » fut du reste central dans le débat sur l'interdiction de la publicité.

Cette mesure a été présentée comme indispensable pour enrayer l'évolution de la consommation du tabac chez les jeunes.

Mais est-ce bien là la réalité ?

Les études menées au Canada, en France et en Finlande quant à l'évolution de la consommation à la suite d'une interdiction de publicité démontrent qu'il n'en est rien.

Effet de l'interdiction de la publicité

Landen met een totaal
reclameverbod
­
Pays à interdiction
de la publicité totale
Jaartal
reclameverbod
­
Année de l'introduction
de l'interdiction
de la publicité
Consumptie vóór
het reclameverbod
­
Consommation
avant l'interdiction
de la publicité
Consumptie na
het reclameverbod
­
Consommation
après l'interdiction
de la publicité
Percentage rokende jongeren
na het reclameverbod
­
Pourcentage de jeunes fumeurs
après l'interdiction
de la publicité
Frankrijk. ­ France 1993 1985-->1992 1993-->1994 1994-->1995
- 3,49 % - 2,79 % + 4,5 %
Finland. ­ Finlande 1978 1974-->1978 1979-->1990 1980-->1987
- 17,76 % + 3,48 % + 7,0 %
Canada. ­ Canada 1989 1983-->1989 1989-->1994 1991-->1994
- 28,71 % - 10,18 % + 4 %

Le secteur est par ailleurs convaincu qu'il faut tenir compte ici d'un ensemble souvent complexe de facteurs sociaux, familiaux ou liés à la personnalité même.

Il a la volonté d'enrayer la consommation de tabac chez les jeunes, mais il doute qu'une interdiction de publicité influencera le comportement de ceux-ci.

L'industrie s'est engagée à créer un climat favorable à l'acceptation du message « Vendre des cigarettes aux enfants ? Pas moi ! », et ce pour aboutir à moyen terme à ce que chacun considère comme une évidence qu'un enfant ne doit pas fumer.

Elle a pris à cet effet trois initiatives concrètes :

­ Supprimer l'affichage commercial aux alentours des écoles;

­ Lancer la campagne nationale « Vendre des cigarettes aux enfants ? Pas moi ! »;

­ Officialiser la liste des publications « mineurs ».

L'industrie plaide aujourd'hui, au sein de la Commission des Affaires sociales, pour que : le contexte réel, les vraies questions, et un début de solution soient pris en considération.

Le contexte réel :

L'histoire du tabac a été au fil des siècles une alternance cyclique de hauts et de bas. Les hommes ont fumé de tout temps et continueront de fumer. Si l'industrie admet que fumer comporte un certain risque ­ ce dont les fumeurs sont largement informés ­ ceci n'a fondamentalement rien changé.

Une interdiction de la publicité votée dans divers pays pour réduire la consommation n'a pas apporté le résultat escompté : on y dénombre pour certains pays au moins autant de fumeurs que dans ceux où il n'y a pas d'interdiction.

Le tableau de la page précédente permet de voir l'incidence sur la consommation globale et plus particulièrement au niveau des jeunes.

La réglementation en matière de tabac en Belgique est l'une des plus élaborées et des plus sévères d'Europe. De la fabrication, la composition, l'emballage, la fiscalité, la publicité en n'oubliant pas les endroits où il est soit permis soit interdit de fumer : tout y est réglementé.

L'industrie est dès lors convaincue qu'une évaluation de la réglementation en vigueur démontrera qu'il est inutile de réglementer plus avant.

La Belgique se classe parmi les pays qui atteindront la norme de 20 % de fumeurs en l'an 2000, norme préconisée par l'O.M.S.

Dans la plupart des cas, notre législation couvre plus d'éléments que les plans discutés aujourd'hui au niveau de la Commission européenne.

L'industrie insiste, d'autre part, pour qu'une analyse approfondie soit faite des retombées perverses que peut engendrer une modification d'un seul élément du marketing mix ­ à savoir la publicité ­ dans le contexte spécifique du marché du tabac.

Le secteur comprend fort bien que les retombées économiques ou financières d'une interdiction de la publicité n'intéressent pas immédiatement la Commission des Affaires sociales.

Il lui semble néanmoins capital que l'on y prenne en compte les vrais facteurs sociaux, familiaux et liés à la personnalité même qui influencent aujourd'hui le comportement des jeunes.

Pourquoi sont-ils en permanence à la recherche de sensations de plus en plus fortes, telles que foncer en G.T.I. de nuit ? Sortir de plus en plus tard ? Boire de plus en plus ? Prendre des risques inconsidérés tel le saut en « Benji » ?

Pourquoi les jeunes commencent-ils à fumer ?

Une étude menée par le Ministère australien de la Santé publique ­ pays où règne une législation sévère en matière de tabac ­ aboutit aux facteurs suivants :

­ le comportement tabac des parents;

­ le comportement tabac des amis;

­ les endroits de loisirs/détente;

­ les amis fréquentés.

Une enquête auprès de 1 000 jeunes réalisée par le journal Het Laatste Nieuws en mai 1996 corrobore ces conclusions pour la Belgique.

Des études menées par le C.R.I.O.C., il ressort également que les éléments à prendre en compte sont difficiles à cerner parce que variés et ténus.

Quel est le rôle essentiel de la publicité ?

Il doit être envisagé, d'une part, dans un nouveau marché où il crée la notoriété du produit (gsm/internet) et, d'autre part, dans un marché saturé ou en déclin où la publicité sert à renforcer la notoriété de la marque (poudres à lessiver, automobiles, presse quotidienne,...).

Donc, pour les produits du tabac dans un marché saturé on mène les campagnes publicitaires pour accroître la notoriété de la marque et pour engranger des parts de marché.

Un début de solution :

L'industrie s'est engagée à créer un climat favorable à l'acceptation du message afin que chacun considère comme une évidence qu'un enfant ne doit pas fumer. Elle a pris à cet effet trois initiatives concrètes.

Ceci n'est pas toujours simple dans un climat créé par un certain type de média et les groupes de pressions qui réduisent le débat à une approche du « tout est noir/tout est blanc », sans la moindre nuance. Qui plus est, il est courant de nos jours de constater l'amalgame qui est subtilement introduit au sein d'un débat; ceci y crée la confusion et prépare idéalement le terrain à ce que nous appelons l'intégrisme social.

L'industrie s'y est volontairement limitée à trois actions précises. Le parcours quotidien de l'enfant est simple « maison ­ école ­ maison ».

C'est sur ce parcours qu'à trois niveaux l'industrie intervient. Elle considère effectivement qu'il ne lui appartient pas de s'immiscer au sein de l'école.

Par contre, pour créer le climat favorable, elle a :

­ supprimé l'affichage aux alentours des écoles;

­ officialisé la liste des publications à l'adresse des mineurs;

­ lancé sa campagne nationale.

L'objectif de cette campagne est clair : aboutir à long terme à ce qu'on ne vende plus de cigarettes aux enfants.

Elle s'adresse à tous les points de vente, supermarchés, libraires, stations services,...

Elle a débuté chez le libraire pour trois motifs évidents : il connaît ses clients, il représente le canal de vente le plus important des produits du tabac et, élément non négligeable, les enfants y passent quotidiennement acheter friandises, cahiers, magazines, ...

Le matériel de la campagne se compose d'affiches, de dépliants, d'autocollants,... Une campagne de motivation à participer qui s'adresse aux détaillants paraîtra dans la presse professionnelle.

Les directeurs des écoles primaires et secondaires ont été informés de notre campagne.

Vous n'êtes pas sans savoir que changer les mentalités et bousculer les idées reçues est un travail de longue haleine. La campagne « Vendre des cigarettes aux enfants ? Pas moi ! » est une initiative qui portera ses fruits à long terme, dès que chaque intervenant dans la filière aura pris ses responsabilités en y participant activement. Nous devons aboutir à ce que chacun trouve évident qu'un enfant ne fume pas.

B. Discussion

Une commissaire souligne que la Commission des Affaires sociales est compétente non seulement pour des matières relatives à la santé publique, mais aussi pour des matières relatives à l'emploi. La question sera dès lors examinée de façon équivalente sous les deux aspects précités. La commission a également désigné deux rapporteuses : Mme Delcourt-Pêtre et Mme Van der Wildt. Cette dernière est en même temps rapporteuse pour la Commission des Affaires économiques. En d'autres termes, la commission aura examiné de façon approfondie tous les aspects de la question avant de transmettre un rapport à la séance plénière.

À propos des conséquences qu'a eues l'interdiction de faire de la publicité en France, en Finlande et au Canada, une autre intervenante aurait préféré un tableau comparatif portant sur les mêmes années. Elle souligne également qu'en France, la consommation chez les jeunes a bel et bien diminué au cours d'une campagne de dissuasion active, comme le montre le tableau.

Mme Rousseau souligne que, si l'on a repris des années différentes dans le tableau, c'est parce que l'interdiction de faire de la publicité pour les produits du tabac est entrée en vigueur à des moments différents dans les divers pays. Pour ce qui est de la consommation des jeunes, les chiffres qui figurent au tableau sont les plus récents dont on dispose.

Une troisième intervenante fait remarquer que l'on constate une augmentation de la consommation, malgré l'interdiction de faire de la publicité; cette augmentation ne peut probablement pas s'expliquer par l'interdiction de la publicité. Aussi faudrait-il vérifier pourquoi la consommation a augmenté précisément au cours de cette période-là : d'autres facteurs doivent jouer un rôle. Mme Rousseau a-t-elle une explication à ce phénomène ?

Mme Rousseau admet que le centre n'a pas connaissance, lui non plus, de tous les facteurs qui peuvent avoir influé sur la consommation croissante de produits fumables auprès des jeunes. Elle pense qu'il en va de même dans tous les pays : il est très difficile de savoir quels facteurs déterminent précisément le comportement des jeunes. Le centre est convaincu que des facteurs sociaux très profonds jouent un rôle en la matière, particulièrement le manque de valeurs, l'absence de perspectives d'avenir, la crainte de ne pas savoir ce que l'on va devenir et vers où on va.

Un membre fait remarquer que Mme Rousseau insiste sur les circonstances sociales qui poussent un jeune à fumer, par exemple l'attitude des membres de sa famille. Quelle place le centre donne-t-il à cette « circonstance sociale » dans le contexte des campagnes qui sont élaborées, notamment en ce qui concerne les détaillants ?

Mme Rousseau souligne que la campagne vise en première instance l'acte direct de vente, mais que les parents sont eux-mêmes responsables de l'attitude qu'ils adoptent, qu'ils font eux-mêmes des choix en « âme et conscience », également en ce qui concerne l'éducation de leurs enfants. Il n'appartient pas à l'industrie du tabac de se substituer aux parents. C'est pourquoi elle a opté pour une campagne de sensibilisation qui vise directement l'acte d'achat et l'acte de vente.

Un troisième intervenant constate que tout le monde convient que le tabac nuit à la santé. Il se rallie à une préopinante qui demande de pouvoir obtenir davantage de données chiffrées plus facilement comparables. Ceci est nécessaire afin de pouvoir se faire une idée plus globale du problème. Une des grandes questions que l'on se pose est de savoir quels sont les effets réels ­ prouvés scientifiquement ­ de la publicité pour le tabac sur la consommation.

L'intervenant souligne qu'il n'est pas convaincu, quant à lui, de ce que la publicité constitue le facteur déterminant pour ce qui est de la consommation du tabac. Aussi est-il nécessaire de disposer de davantage de données scientifiques permettant de déterminer quels sont les facteurs qui ont une influence décisive. Tout le monde est convaincu qu'ils existent, mais il faut aussi prouver leur existence de façon scientifique.

Il remarque également que de nombreuses personnes ne comprennent pas que, d'une part, l'industrie du tabac admette que ses produits sont nuisibles pour la santé et prennent un certain nombre d'initiatives qui réduiront d'une façon ou d'une autre la consommation, alors que, d'autre part, elle a tout intérêt, d'un point de vue économique et du point de vue de l'emploi, à ce que la consommation augmente. N'est-ce pas là une attitude hypocrite ? La campagne élaborée par l'industrie du tabac ne devrait-elle pas aller de pair avec des actions de sensibilisation menées dans les écoles; l'industrie du tabac ne devrait-elle pas viser à une coordination en la matière avec les écoles ?

L'intervenant est en outre convaincu qu'une interdiction de quelque nature qu'elle soit ­ il suffit de penser à la Prohibition aux États-Unis ­ n'a pas l'effet escompté, tout au contraire : ce genre d'interdiction a souvent un effet opposé.

Mme Rousseau fait remarquer qu'entre 1982 et 1996, la consommation du tabac est tombée de 40 à 24 %, et que les investissements dans la publicité pour le tabac sur la même période montrent qu'en 1990 ­ l'année où l'on a dépensé le plus à la publicité pour le tabac ­, la consommation du tabac a connu sa plus forte diminution.

Comme les membres de la commission, elle regrette que l'on ne dispose pas, en Belgique, de données officielles concernant le comportement face aux produits du tabac, en fonction des catégories d'âge. Les seules études qui existent se basent sur des échantillons limités, dans lesquelles on constate les mêmes lacunes : avant 1993 nous disposons de données concernant la catégorie d'âge de 18 ans et plus, alors qu'à partir de 1993, l'on ne dispose que de données concernant la catégorie d'âge de quinze ans et plus. L'on ne peut, de cette façon, établir de comparaisons valables.

Elle comprend que les membres de la commission s'étonnent que ce soit précisément l'industrie du tabac elle-même qui mette sur pied une campagne de dissuasion, axée spécifiquement sur les jeunes. L'industrie du tabac est cependant consciente qu'elle doit elle-même prendre des initiatives pour améliorer le climat général. Elle est convaincue qu'il ne faut pas confronter directement les enfants ou les jeunes à de tels produits. Les parents jouent bien entendu, eux aussi, un rôle en la matière. Ils doivent aussi être « rééduqués » sur ce plan.

Il n'est toutefois pas facile de trouver les formules qui permettent de persuader au mieux les enfants ou les jeunes. L'industrie du tabac est elle-même convaincue que les enfants et les jeunes ne doivent pas fumer, et a dès lors mis sur pied la campagne précitée. Quant au choix des parents, il leur appartient en propre.

Une membre aimerait savoir ce qu'il faut entendre par enfant ou jeune. Les illustrations que l'on voit dans le cadre de la campagne font en effet penser à des enfants de sept à huit ans.

Mme Rousseau précise que le centre lui-même ne souhaite pas arrêter des limites d'âge, puisque tout dépend fortement de la personnalité de l'enfant ou du jeune. Son avis personnel est cependant que la campagne s'adresse surtout aux élèves de la dernière année de l'enseignement primaire (les enfants de plus ou moins douze ans). Plus vite l'on réussit à convaincre ces élèves, plus on a de chances que les jeunes de quatorze à quinze ans, qui se trouvent dans la phase « rebelle » de leur développement, retiennent quelque chose de la campagne de dissuasion. Il est en effet bien plus difficile d'attirer l'attention de cette catégorie d'âge par des campagnes de dissuasion et autres initiatives de ce genre.

Une commissaire pense que la campagne de dissuasion mise sur pied par le centre atteindra son public cible. Le point important est cependant que la commission doit se prononcer sur un projet de loi qui interdit la publicité pour le tabac et qui a déjà été adopté par la Chambre des représentants.

La commission doit examiner deux grandes catégories d'arguments : les arguments sociaux et les arguments économiques. Au niveau social, les constatations du C.R.I.O.C. n'ont pas encore été prises en compte : au cours de la période 1982-1993, il y a eu une nette réduction de la consommation de tabac : en 1982, 53 % des hommes fumaient contre 31 % en 1993. Au cours de la même période, l'on a également constaté une diminution de la consommation de tabac par les femmes, mais, par la suite, l'on a constaté une nouvelle augmentation, plus forte chez les femmes que chez les hommes ­ et ceci, précisément au cours de la période où l'on a fait peu de publicité pour les produits du tabac. La commission doit également s'intéresser aux risques supplémentaires que cette augmentation entraînera à l'avenir (par exemple, les conséquences médicales du tabagisme pendant la grossesse ­ notamment, les naissances prématurées, etc.). Le débat doit être plus large et ne pas se limiter à la problématique du tabagisme chez les enfants et chez les jeunes.

À cet égard, il faut considérer les femmes comme un groupe à risques important, étant donné que, proportionnellement, le nombre de fumeuses a augmenté davantage. Il serait intéressant de savoir quels facteurs sociaux sont à l'origine de cette augmentation. L'une des constatations est qu'au cours de la récession économique, le nombre de fumeurs a diminué et ce, alors que l'on sait que les chômeurs constituent un groupe de fumeurs très important. Il faut examiner avec précision quels sont les facteurs sociaux qui font effectivement la vogue en faveur d'un produit.

L'intervenante constate que les campagnes de dissuasion ont eu un effet évident sur la population. Par ailleurs, il y a également des arguments économiques : le plus grand problème est que l'industrie du tabac sponsorise toutes sortes de manifestations sportives et culturelles, y compris des courses automobiles. La commission doit se demander s'il n'est pas possible de résoudre le problème qui se pose dans ces secteurs pour la période entre l'adoption du projet de loi et l'entrée en vigueur totale des nouvelles règles.

Elle est convaincue que l'industrie du tabac ne doit pas craindre l'interdiction de la publicité : on continuera à consommer du tabac, même si le nombre de fumeurs diminue. La commission doit se demander si des formes alternatives de sponsorisation, comme cela se fait dans certains pays pour les courses automobiles, ne sont pas possibles.

Elle estime qu'il est très important de donner un signal politique clair à la population en ce qui concerne l'interdiction de publicité pour les produits du tabac; en ce qui concerne le problème de la sponsorisation, il faut trouver une solution par d'autres voies. En tout cas, la publicité a certainement une influence, car, sinon, l'on ne dépenserait pas autant d'argent pour en faire. Cela vaut pour tous les produits, donc aussi pour les produits du tabac.

Mme Rousseau estime que la commission doit se demander s'il est possible d'interdire la publicité pour un produit tout à fait légal. Il y a là quelque chose d'illogique, en tout cas dans une économie de marché. Naturellement, il faut toujours des campagnes de dissuasion pour les groupes à risques, tels que les enfants et les jeunes, mais cela ne doit pas nécessairement signifier qu'il faille interdire toute publicité.

L'intervenante précédente souligne qu'il incombe à la commission de tenir compte à la fois des arguments médicaux et des arguments économiques.

Mme Rousseau souligne qu'il y a certainement des milliers de produits qui nuisent d'une manière ou d'une autre à la santé, mais pour lesquels on n'envisage absolument pas d'interdire la publicité.

Le membre réplique qu'en ce qui concerne le tabagisme, il existe des résultats d'études très précis qui établissent nettement une relation entre les problèmes de santé et le tabagisme.

Mme Rousseau estime qu'il faut avoir l'honnêteté intellectuelle de reconnaître qu'il n'y a pas un élément unique à la base des problèmes de santé : il y a des facteurs génétiques, l'environnement, le contexte psychologique. Le Japon est le pays où l'on fume le plus et où, pourtant, les cancers du poumon sont les moins nombreux. Dans certaines régions de France, la population résiste mieux au cancer du poumon que dans d'autres : cela dépend beaucoup des conditions de vie.

Un membre réfute la thèse selon laquelle le seul problème que pose le projet de loi à l'examen serait celui de la sponsorisation. Il y a également un problème de distorsion de la concurrence entre producteurs nationaux et étrangers. Les producteurs nationaux ne pourront plus produire que pour le marché belge, alors que les producteurs étrangers pourront continuer à faire de la publicité par toutes sortes de moyens.

Se référant aux statistiques du C.R.I.O.C., le membre souligne que c'est parmi les chômeurs inactifs que l'on trouve le pourcentage le plus élevé de fumeurs. Par conséquent, il faut se demander si l'ensemble du cadre composé d'inactivité, d'ennui ..., n'incite pas au tabagisme. En outre, depuis 1990, l'on constate une hausse, alors que c'est précisément à partir de cette année que l'on a pris pas mal d'initiatives législatives pour dissuader les gens de fumer. Il faut donc pouvoir relativiser.

Enfin, il y a le problème des marques que l'on utilise pour vanter à la fois des produits du tabac et d'autres produits : ce phénomène provoque à nouveau une distorsion de la concurrence qui pourrait, à terme, poser des problèmes à la Belgique si l'on introduisait devant la Cour d'arbitrage un recours en annulation sur la base du principe de non-discrimination. Des recours devant la Cour de justice de Luxembourg sont également possibles, dans la mesure où l'on limiterait la libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne.

Un autre membre constate que, bien qu'elle essaie de montrer que la publicité pour le tabac n'a pas d'influence significative sur les fumeurs potentiels, l'industrie du tabac met sur pied une campagne de publicité pour empêcher les enfants et les jeunes de fumer. Il y a là une inconséquence.

Il est convaincu que la publicité a bel et bien une influence et qu'il existe un type particulier de publicité qui plaît aux jeunes (par exemple, les routes camel, les cow-boys, les voitures rapides, les sensations de folie ...).

En ce qui concerne la « publicité macho », Mme Rousseau souligne qu'actuellement, en Belgique, aucune image d'ambiance vantant le tabac ne peut paraître. L'on ne fait de la publicité pour les produits du tabac ni à la télévision ni au cinéma. Actuellement, la publicité n'est autorisée que dans les magazines, les journaux et sur les affiches, mais l'espace en est limité. Les images d'ambiance sont interdites.

Une intervenante reconnaît que les facteurs qui influencent le tabagisme sont très divers. Cependant, ce serait une erreur que de conclure que les pouvoirs publics ne peuvent pas intervenir. En outre, elle souligne que ce qui différencie les produits du tabac des autres produits dangereux, c'est la dépendance que créent les premiers. Une audition que la commission a tenue il y a quelques semaines a montré que les produits du tabac provoquent une dépendance beaucoup plus forte que l'alcool, par exemple. En d'autres termes, l'on ne saurait généraliser trop rapidement et comparer les produits du tabac à d'autres produits. Personne ne pensera par exemple à mettre sur le même pied la drogue et d'autres produits dangereux pour la santé.

Elle souligne que l'Organisation mondiale de la santé et d'autres organisations, par exemple, proposent tout simplement d'interdire totalement la vente des produits du tabac aux mineurs. La campagne de l'industrie belge du tabac va beaucoup moins loin et n'est évidemment qu'une simple campagne de dissuasion. À cet égard, elle fait une comparaison avec le débat qui a lieu à la Chambre des représentants concernant la légalisation des drogues douces : si on laisse ces drogues dans l'illégalité, la transition entre les drogues douces et les drogues dures est moins marquée pour les jeunes.

D'ailleurs, elle ne croit pas que la campagne de l'industrie du tabac, qui fait porter toute la responsabilité aux petits commerçants, aura beaucoup de succès dans la pratique.

À propos de l'aspect « nicotine et dépendance », Mme Rousseau se demande ce que signifie être « dépendant ». Il existe 1 001 définitions à ce sujet : le tabagisme et le volume de consommation d'un individu est lié à des rites et à un style de vie. À un certain moment, l'on a un modèle de consommation qui est lié aux habitudes. Ce n'est que dans certaines circonstances exceptionnelles, telles que le stress, une sortie dans un café avec des amis, etc., que l'individu adaptera son comportement et fumera sans doute davantage.

L'intervenante précédente estime que le fait de fumer davantage en cas de stress, par exemple, prouve précisément que fumer entraîne une dépendance.

Mme Rousseau le conteste. Contrairement à ce qui se passe avec la nicotine, un toxicomane, par exemple, a besoin d'une dose de plus en plus élevée. Avec le tabac, ce n'est pas le cas.

Une membre n'est pas d'accord. Le fumeur devient dépendant de la nicotine : les difficultés que presque tous les fumeurs éprouvent à cesser de fumer en sont une preuve suffisante.

Mme Rousseau souligne que la régression du nombre de fumeurs, de 40 à 24 %, montre suffisamment qu'il est possible d'arrêter de fumer.

Une membre partage l'idée que le stress fait augmenter la consommation. Elle est en outre convaincue que la consommation d'un fumeur ne fera qu'augmenter avec le temps. L'accoutumance constitue un sentiment de dépendance dont on ne peut se défaire comme ça. Cela est aussi très clair pour la consommation d'alcool. Il y a également de nombreux cas de rechute, ce qui montre clairement qu'il s'agit d'une accoutumance.

Un intervenant se demande si la campagne de l'industrie du tabac, axée sur les enfants et les jeunes, a des chances de réussite si elle ne va pas de pair avec d'autres mesures permettant de s'attaquer aux véritables causes qui font qu'on devient fumeur. Il n'en est pas convaincu. L'industrie du tabac prend elle, elle-même, des initiatives en la matière pour s'attaquer à la vraie cause de ces problèmes ?

Mme Rousseau souligne qu'il appartient en premier lieu aux éducateurs et aux écoles de jouer un rôle en la matière. L'industrie du tabac peut uniquement prendre des mesures complémentaires et très concrètes. De plus, il est très important, selon elle, que l'on réfléchisse bien sur la façon dont on entame la discussion sur le sujet avec les enfants et les jeunes. Il est prouvé qu'une politique réactionnaire n'a que peu de succès. Cette sensibilisation n'est pas vraiment l'affaire de l'industrie, mais cela ne signifie pas qu'elle ne voudrait pas collaborer à une solution globale dans laquelle chaque partenaire prendrait ses responsabilités.

C. Exposé de Mme Van Wetteren,
marchande de journaux

Mme Van Wetteren est la première exploitante d'un commerce de journaux qui a été invitée à collaborer au projet orienté sur les jeunes. Elle soutient totalement cette action. Cela fait longtemps déjà qu'elle essaie de faire quelque chose face à la consommation de tabac par les enfants et les jeunes. Lorsque les paquets de dix cigarettes ont été mis sur le marché, elle a systématiquement refusé de les vendre.

Elle a, avec d'autres gens, testé la campagne de l'industrie du tabac. Elle estime qu'il est très important de bien définir le groupe cible : il y a en premier lieu les enfants, en deuxième lieu les jeunes.

Dans la plupart des familles, l'on considère qu'il est tout à fait normal que les enfants aillent acheter des produits de tabac pour leurs parents. Lorsque ces enfants viennent acheter des produits de tabac, on leur donne une brochure, destinée à leurs parents et invitant ceux-ci à prendre contact avec le marchand de journaux. Quasi 90 % des parents ont eu une réaction positive et sont venus parler avec le marchand de journaux. Une minorité de parents ont réagi de façon assez agressive et envoient tout simplement leurs enfants dans un autre magasin. Il n'y a rien à faire en ce qui concerne ce groupe de parents-là : ils ne prendront probablement jamais de mesures pour dissuader leurs enfants de fumer. Ce sont surtout des gens issus de milieux sociaux défavorisés.

Ensuite, il y a le groupe des jeunes : les marchands de journaux ne sont certes pas des moralisateurs, mais ils connaissent souvent de nombreuses personnes du quartier et jouent un peu le rôle de « récepteurs », même pour les jeunes. C'est utile pour l'action. Il ne faut pas invoquer des arguments de santé auprès des jeunes, mais ils sont par exemple sensibles au coût du tabac. Ils doivent en effet payer leurs cigarettes sur leur argent de poche, ce qui a pour conséquence qu'ils ne peuvent pas faire certaines autres choses, par exemple, aller au cinéma, acheter une affiche, ... Certains groupes ne sont évidemment pas sensibles à ce genre d'argumentation. Il y a cependant des jeunes qui se mettent ainsi à réfléchir à la question.

Si quelque 7 000 points de vente en Belgique parvenaient chacun à convaincre 3 ou 5 jeunes d'attendre cinq ans avant de décider si oui ou non ils vont fumer, l'on obtiendrait déjà un bon résultat. La perte sur le chiffre d'affaires du marchand de journaux n'est pas encore trop importante actuellement, mais pourrait le devenir si l'on adoptait une législation spécifique. Ce problème pourrait probablement être résolu grâce à la création de points de vente spécialisés, mais c'est là le sujet d'un autre débat. L'on pourrait, pour inciter les marchands de journaux à participer à cette action, leur accorder l'une ou l'autre aide de façon que la diminution de leur chiffre d'affaires soit, ne fût-ce que partiellement, limitée, en leur permettant, par exemple, d'offrir des produits spécifiques, de faire de la réclame dans les environs de leur magasin, ...

D. Discussion

Une membre demande que Mme Van Wetteren lui précise si elle s'est engagée dans l'action en tant qu'individu ou si elle représente une association de marchands de journaux.

Mme Van Wetteren lui répond que tous les marchands de journaux ne se sont pas engagés dans le projet pilote : 17 des 20 vendeurs qui ont été sollicités dans la région de Gand ont participé activement et une majorité d'entre eux a poursuivi l'action après la fin du projet pilote. De nombreux magasins ne participent pas à cette action pour des raisons économiques : le secteur des marchands de journaux a en effet des difficultés à survivre et doit également travailler sous une lourde pression fiscale. C'est pourquoi elle demande que l'on aide les marchands de journaux qui se sont effectivement engagés à participer à l'action, en leur donnant par exemple l'exclusivité de la vente de certains produits.

Un membre loue cette initiative, qui présente toutefois des risques sur le plan économique : elle peut, à long terme, avoir d'importantes conséquences pour les détaillants. Ou bien l'industrie du tabac doit les dédommager, ou bien ils se verront contraints, à terme, de fermer leur magasin.

Plus fondamentale est la question de savoir ce que font les jeunes que Mme Van Wetteren pense avoir convaincus : s'ils s'adressent tout simplement à un autre magasin, l'action aura eu peu de résultat. At-on une idée de la situation ?

Ce genre d'initiative a-t-elle d'ailleurs une chance de réussite si la majorité des marchands de journaux n'y participent pas ?

Mme Rousseau souligne que l'objectif est d'étendre l'action pour y faire participer les grands magasins et le secteur de distribution d'un certain nombre d'autres services. Il faudra cependant du temps pour y arriver.

De plus, aucun marchand de journaux ne participait à l'action au mois de mars, alors que maintenant, au mois de juin, l'on a déjà pu associer un marchand de journaux sur cinq à l'action de sensibilisation. Le but est effectivement que tout le monde réfléchisse à la question. Cela demande une motivation et un soutien suffisants et constants.

Mme Van Wetteren précise que certains jeunes n'achètent effectivement plus de cigarettes chez elle et se les procurent tout simplement ailleurs. D'autres ont toutefois vraiment décidé d'arrêter de fumer. En général, les marchands de journaux ont trois sources de revenus : les journaux et les magazines, les produits fumables et les jeux de hasard. L'on trouve souvent, chez les petits épiciers, un choix limité de produits fumables, ce qui fait que les jeunes s'adressent à ces magasins. Il suffirait de convenir avec ces commerçants qu'ils ne vendent plus de cigarettes. La vente de produits du tabac ne constitue probablement qu'une part marginale de leur recette.

Une membre demande jusqu'à quel âge l'on refuse de vendre des cigarettes à un jeune.

Mme Van Wetteren lui répond que cela dépend : elle peut difficilement refuser subitement de vendre des cigarettes à un jeune de 17 ans qui en achète depuis trois ans chez elle. C'est absurde d'un point de vue économique, puisque cette personne ira certainement acheter ses cigarettes ailleurs. Mais avec un jeune qu'on a connu enfant, qui n'a encore jamais acheté de cigarettes et qui le fait subitement, l'on peut commencer à discuter.

La préopinante est sceptique face à ce genre de démarche, puisque les jeunes aiment à faire précisément ce qui est interdit.

E. Exposé de Mme De Greif, exploitante d'une librairie

Mme De Greif témoigne des résultats concrets qu'elle a obtenus dans le cadre de l'action. Des parents ont modifié leur comportement et n'envoient plus leurs enfants acheter des cigarettes. C'est important parce qu'ainsi, les enfants se rendent compte, de leurs propres yeux, du changement de comportement de leurs parents. Elle considère que cette action est essentielle et le dialogue avec les enfants est très enrichissant. Parler du tabagisme avec des personnes que l'on connaît, en l'occurrence la libraire, a beaucoup plus d'impact que des affiches que l'on peut voir çà et là. Il est primordial que les individus prennent leurs responsabilités et il faut pour cela faire prendre conscience aux parents qu'ils n'ont qu'à acheter leur produit du tabac eux-mêmes plutôt que de choisir une solution de facilité et d'envoyer leurs enfants pour ce faire. Il s'agit d'un petit pas mais néanmoins d'un pas significatif dans un processus de prise de conscience auquel Mme De Greif se propose volontiers de collaborer.

F. Discussion

À la question d'un membre demandant si, depuis le moment où le projet a été déposé, elle a constaté une évolution dans les ventes, Mme De Greif répond qu'il y a une petite différence et qu'elle engage elle-même de manière plus délibérée le dialogue avec des enfants/jeunes qui viennent lui acheter des cigarettes. Elle le fait également avec des jeunes qui viennent lui en acheter depuis longtemps.

AUDITION DU 25 JUIN 1997 DU PROFESSEUR M. FRYDMAN DE L'UNIVERSITÉ DE MONS ET DU PROFESSEUR I. PELC DE L'HÔPITAL BRUGMAN

A. Exposé du professeur Frydman

M. Frydman déclare que cela fait déjà vingt ans qu'il oeuvre dans le domaine de la prévention du tabac et plus précisément dans le cadre du centre pour l'aide aux fumeurs, créé à l'université de Mons, et dans le cadre de la formation de professeurs et de médecins. Ces derniers, s'ils connaissent effectivement les dangers du tabagisme, ne savent pas toujours comment informer au mieux leurs patients.

Il met l'accent sur le fait que le tabagisme est indéniablement le plus grave fléau du monde occidental. Il est responsable non seulement de la majorité des cancers mais aussi de nombre d'autres maladies et handicaps chez les adultes. Le tabagisme est la première cause de décès à un âge peu avancé.

Les conséquences du tabagisme et celles d'autres drogues sont sans commune mesure. En Belgique, la consommation de drogues dures est responsable de deux décès par semaine, soit d'une centaine de décès par an. Le tabac, quant à lui, est responsable, chaque année, de 15 000 à 20 000 décès prématurés. Davantage de personnes meurent jeunes pour cause de tabagisme que pour toutes les autres causes de mortalité réunies.

Le tabagisme n'entraîne pas seulement le jaunissement des doigts, la formation de rides, la toux matinale et un déclin général de la condition physique, mais il est aussi à la base de toute une série de maladies plus graves.

Tout le monde sait que le tabagisme provoque le cancer du poumon. Ce que l'on ne sait cependant pas assez, c'est que le tabagisme actif ou passif est la seule cause de ce cancer, à l'exception d'une infime partie (5 %) que l'on peut qualifier de maladie professionnelle. Le cancer du poumon est l'un des cancers les plus meurtriers. Il n'est opérable que dans 20 % des cas et 5 % des patients seulement survivent plus de cinq ans à la maladie.

Le graphique suivant, qui représente l'évolution du tabagisme et du nombre de cancers du poumon aux États-Unis, est suffisamment éloquent à ce propos.

Consommation de cigarettes et décès dus au cancer des poumons.

BILLIONS OF CIGARETTES DEATHS

Le graphique ci-dessous illustre l'évolution de certains cancers chez les femmes américaines au cours de la période 1930-1990.

US female cancer trends adjusted for age to US 1970 population

Source : American Cancer Society

L'occurrence de la plupart des types de cancer a diminué au cours des dernières décennies. Le nombre de cancers du sein est resté plus ou moins stable. Par contre, celui des cancers du poumon a enregistré une croissance spectaculaire depuis les années 60, c'est-à-dire précisément au moment où un grand nombre de femmes ont commencé à fumer. Depuis le début des années quatre-vingt, le cancer du poumon est devenu, pour les femmes également, la forme de cancer la plus fréquente aux États-Unis.

Si, comme indiqué ci-dessus, le cancer du poumon est dû presque exclusivement au tabagisme, la consommation du tabac a également une influence sur onze autres types de cancer. Par ailleurs, il faut bien entendu mentionner également les autres affections pulmonaires et maladies cardio-vasculaires, dont nul ne conteste qu'elles sont dues, dans une large mesure, sinon exclusivement, aux suites du tabagisme.

Le fait que la consommation du tabac constitue la cause directe d'un grand nombre de décès prématurés est démontré par des expériences et est confirmé dans plus de 60 000 publications scientifiques.

Le fait que, depuis 25 ans, on commence à fumer de plus en plus jeune accroît de manière considérable le risque qui est lié à la consommation de tabac. Alors qu'il y a quelques dizaines d'années, on commençait à fumer vers l'âge du service militaire, à l'heure actuelle, les jeunes prennent leur première cigarette pendant l'adolescence, voire au début de celle-ci.

Il faut y voir la conséquence d'une politique délibérée de l'industrie du tabac. Comme la grande majorité des fumeurs adultes ne changent pas de marque, les producteurs se sont rendu compte que les campagnes publicitaires onéreuses dans lesquelles ils investissaient produisaient tout au plus des déplacements de l'ordre de 1 % du créneau. C'est pourquoi ils ont décidé, il y a quelques dizaines d'années, pour augmenter leur chiffre d'affaires, de s'orienter vers le groupe des non-fumeurs. La publicité s'est donc détournée des jeunes adultes pour viser les adolescents et même les pré-adolescents.

On incite ainsi des jeunes de dix à douze ans à essayer une ou deux cigarettes d'une marque donnée. L'expérience pratique nous apprend en effet qu'il s'écoule un délai d'environ six mois entre la première cigarette et l'apparition d'une relation de dépendance au tabac.

Il va de soi que les effets négatifs de la consommation du tabac se manifestent d'autant plus rapidement que l'on commence à fumer à un âge précoce. En outre, la cigarette en tant que telle est plus nuisible chez les jeunes. Un organisme qui n'est pas encore parvenu à maturité est plus sensible aux produits nocifs qu'un organisme adulte.

L'introduction des cigarettes légères et ultra-légères est un deuxième facteur qui a contribué à augmenter, au cours des décennies écoulées, le risque qu'entraîne la consommation de tabac pour la santé publique. Les personnes qui ont une dépendance au tabac ont en effet besoin d'une dose fixe de nicotine. Lorsqu'elles passent aux cigarettes légères, ces personnes vont fumer davantage de cigarettes et avaler plus de fumée. Elles absorbent ainsi la même quantité de nicotine qu'auparavant, mais respirent des quantités beaucoup plus importantes des cinquante autres substances cancérogènes que contient une cigarette.

Il faut également souligner que le fait de fumer entraîne des risques spécifiques pour les femmes. Celles qui fument courent deux fois plus de risques de souffrir d'ostéoporose et courent un risque beaucoup plus important d'avoir un cancer de l'utérus. Dans le cas d'une femme enceinte, le tabagisme accroît considérablement le risque d'une naissance prématurée. Les enfants de ces femmes ont un poids et une taille plus réduits que la normale et on a aussi démontré qu'ils accusaient un retard sur le plan intellectuel.

M. Frydman insiste sur le fait que les fumeurs qui ne meurent pas d'un cancer ou d'une maladie cardio-vasculaire peuvent avoir la certitude qu'ils auront, à la fin de leur vie, de graves problèmes respiratoires et qu'ils mourront plus que probablement d'étouffement. Le fait de fumer accélère le processus du vieillissement sur les plans physique, intellectuel et sexuel.

Les personnes qui commencent à fumer pendant l'adolescence et n'arrêtent pas par la suite ont 50 % de chances de mourir des conséquences directes de la consommation de tabac.

À l'heure actuelle, le tabac tue trois millions de personnes par an dans le monde. Si l'on ne met pas fin à l'expansion des producteurs sur le marché asiatique, ce chiffre sera de dix millions au moins en l'an 2015.

Pour conclure, M. Frydman attire l'attention des commissaires sur la campagne que l'industrie du tabac mène chez quelques marchands de journaux sous le slogan « Vendre des cigarettes aux enfants ? Pas moi ! ». Il estime que cette campagne témoigne d'une perversité diabolique.

En effet, le message sous-jacent qui est ainsi lancé aux jeunes de dix à treize ans est que fumer est l'affaire des grandes personnes. Or, l'industrie sait fort bien que, dans notre société, le désir d'émancipation de ces jeunes adolescents est déjà fort et qu'ils chercheront à imiter les adultes dans la mesure du possible. À signaler que, pour quelques marchands de journaux qui participent à l'action, on compte 14 000 distributeurs automatiques, grands magasins et autres points de vente où n'importe qui peut acheter des cigarettes.

On connaît la thèse fondamentale que les producteurs avancent pour justifier leur action : fumer est la conséquence d'un choix réfléchi opéré par une personne qui a le sens des responsabilités. Lorsqu'on sait que l'industrie vise les jeunes de onze à treize ans en les incitant par des moyens dont ils n'ont même pas conscience, on ne peut que qualifier cette thèse de purement cynique.

B. Exposé du professeur Pelc

M. Pelc souscrit totalement à l'exposé de l'intervenant précédent sur les effets négatifs de la consommation du tabac pour la santé.

Il souhaite insister sur un autre aspect de la question, à savoir la publicité pour les produits du tabac.

Il va de soi que les questions que l'on se pose à ce sujet sont entièrement légitimes. Reste toutefois à savoir si elles sont posées d'une manière correcte et replacées dans le contexte approprié. En effet, il ne faudrait pas que la question de savoir s'il faut ou non instaurer une interdiction de la publicité devienne l'arbre qui cache la forêt.

On ne peut considérer isolément le problème de la dépendance au tabac. Ce problème est en effet imbriqué dans une série de comportements sociaux, parmi lesquels on trouve également la consommation d'alcool, de drogues et de médicaments.

On ne pourra pas indéfiniment réagir à ces comportements en se contentant d'édicter des interdictions. Il faut plus que jamais une politique qui éduque et informe la population et l'incite à réfléchir à ses propres besoins.

Malheureusement, une telle politique est à peu près inexistante dans notre pays. Si l'on veut une bonne éducation à la santé, il ne faut pas se contenter de dire que le tabac nuit à celle-ci ou qu'il est dangereux de boire trop.

D'un point de vue éthique et après une large concertation, une réglementation de la publicité pour certains produits pourrait constituer un élément important d'une telle politique, mais elle ne saurait en être le seul. Il est par exemple tout aussi important de réglementer strictement les endroits où l'on peut fumer. Aux États-Unis, par exemple, l'on ne peut plus fumer dans les avions pendant les vols de moins de deux à trois heures.

À côté de cela, il faut libérer suffisamment de moyens pour la prévention et la recherche. Dans ce domaine, en partant du principe du « pollueur payeur », l'on peut exiger que l'industrie paie sa part. Il ne faut pas utiliser l'ensemble des taxes perçues sur les cigarettes ou l'alcool pour atteindre la norme de Maastricht. Lorsqu'il y a dix ans, l'on a abrogé la loi Vandervelde et qu'on l'a remplacée par un impôt plus élevé sur les boissons alcoolisées, l'on a plaidé à la Chambre des représentants pour qu'un minimum de recettes soient mises à la disposition de la recherche. On l'a fait pendant un an, mais, depuis lors, l'on a manifestement utilisé ces montants pour d'autres buts.

Une mesure d'interdiction isolée n'est pas du tout efficace d'un point de vue éducatif. Les sciences du comportement nous apprennent que les interdictions ne modifient pas les habitudes d'une personne. Au contraire, elles l'incitent à chercher des moyens de les braver. Les incitants positifs, la discussion et l'information, par contre, amènent à réfléchir à sa propre situation et provoquent des changements de comportement spontanés et durables.

M. Pelc attire l'attention sur la notion d'addictive behaviour en anglais, qui reflète bien les deux éléments constitutifs de la surconsommation d'un produit. La première partie du terme souligne l'aspect « dépendance, accoutumance », mais la deuxième un « comportement » qui est à la base de la dépendance. La dépendance est quelque chose que l'on crée soi-même. Personnellement, il traduit la notion en question par le terme français « assuétude », qui vient du latin assuetudo. Cela signifie : « j'ai l'habitude de » ainsi que « je suis esclave de ». Avoir une habitude signifie que l'on peut modifier son comportement. Par contre, être dépendant signifie que le produit est indispensable parce que l'on n'a pas d'autre moyen d'obtenir le même effet.

C'est une donnée individuelle, mais qui inclut un élément sociologique important. En effet, en cas de tabagisme, d'alcoolisme, de toxicomanie et, dans une moindre mesure, de consommation de médicaments, il faut tenir compte de l'exemple et de la pression de l'entourage proche. Un jeune aura plus rapidement tendance à fumer si ses amis du même âge fument également et lui proposent des cigarettes. Cependant, la probabilité qu'il devienne dépendant sera nettement plus faible s'il a appris à dire spontanément non.

Il est possible de boire de l'alcool n'importe où, avec n'importe qui, ce qui implique un risque de surconsommation. Cependant, celui qui sait se maîtriser et ne boit qu'aux repas ou à certaines occasions ne deviendra pas dépendant. C'est une chose qu'il faut également apprendre.

Il ne suffit pas de dire à un jeune que fumer nuit à la santé. Il faut lui faire comprendre que s'il ne parvient pas à dire spontanément non à la cigarette, il ne pourra pas non plus dire non dans beaucoup d'autres situations. Cependant, dire non aux produits provoquant une dépendance et gérer sa santé sont des choses que l'on doit apprendre.

Depuis quelques années, il y a aux États-Unis une tendance à ce que l'on appelle l'evidence based medicine ou l'evidence based health. À cet égard, l'on part du principe qu'il ne suffit pas de faire de nouvelles découvertes en médecine. Il faut également examiner quelle est leur incidence et dans quelle mesure elles contribuent à modifier le comportement de la population.

On pourrait adopter en la matière une attitude analogue. Il est très facile de promulguer une loi interdisant totalement la publicité. En même temps, il faut oser se poser la question de savoir dans quelle mesure l'on atteint le but recherché, dans quelle mesure les attitudes changent. Cependant, un changement dans le mode de vie requiert, dans une première phase, que l'on injecte davantage de moyens dans l'enseignement, l'éducation et l'information des écoles et des familles. L'on voit dans nos rues de la publicité pour toutes sortes de produits, mais l'on ne lit jamais sur un panneau publicitaire un slogan tel que : « Si vous fumez, c'est parce que vous ne savez pas dire non ». À la radio et à la télévision, des spécialistes viennent une ou deux fois par an énumérer une série de chiffres censés montrer à quel point fumer nuit à la santé. Cela n'a rien d'une éducation à la santé.

Dès lors, l'on peut craindre que, dans le cas du présent projet de loi, il n'en aille de même que lors de l'abrogation de la loi Vandervelde. Les pouvoirs publics prendront une mesure isolée et continueront à encaisser les recettes issues de la vente des produits nocifs. L'usage ou l'usage abusif des produits ne change pas parce que les instances qui doivent agir dessus n'en ont pas les moyens.

Les montants que l'on consacre actuellement à la recherche et à l'éducation à la santé sont ridiculement bas si on les compare à ce que l'industrie consacre à la publicité et aux recettes que les pouvoirs publics tirent de la vente des boissons et des cigarettes. D'ailleurs, la recherche et l'éducation à la santé sont indissociables. La recherche sur le cancer ou la recherche d'un médicament contre le sida montrent que l'étude elle-même et ses résultats incitent au débat social, qu'ils l'entretiennent et qu'ils sont même à l'origine de tout un mouvement.

Quelque bonnes que soient les intentions des auteurs du présent projet, semblables interdictions généralisées ne résolvent rien, certainement pas si elles ne cadrent pas avec un système de mesures d'accompagnement.

M. Pelc fait ensuite remarquer que la dépendance est provoquée par une interaction entre l'individu, la substance et l'environnement.

Dans un certain environnement, un individu sera incité à prendre un certain produit. Pour un autre individu dans le même environnement ou pour le même individu dans un autre environnement, ce ne sera pas le cas. Dans certaines régions montagneuses d'Asie, l'on fume de l'opium depuis des générations, sans que cela entraîne de gros problèmes sociaux. Néanmoins, ce produit pourrait provoquer des ravages dans notre société occidentale, parce qu'il est consommé dans un contexte tout à fait différent.

Chez nous, l'alcool est un produit socialement accepté et la grande majorité de la population maîtrise sa consommation. Néanmoins, il y a un siècle, les boissons fortes ont été à la base de l'extermination de tribus indiennes entières.

M. Pelc conclut en disant qu'il a examiné de manière approfondie les documents de la Chambre des représentants. La commission de la Chambre a entendu toute une série de spécialistes et de parties intéressées, mais les documents ne montrent aucun lien direct entre la publicité pour les produits du tabac et leur consommation. Scientifiquement, il n'est tout simplement pas possible de démontrer l'existence d'un tel lien, heureusement d'ailleurs. En effet, le contraire signifierait que le comportement de l'homme, tel que celui d'un rat de laboratoire, peut être influencé par un stimulus unique et qu'une personne ne serait pas réceptive aux influences de son environnement, de son éducation, qu'elle n'aurait aucune conscience.

Des recherches qu'il a faites il y a quelques années dans le domaine de la publicité pour l'alcool l'ont confirmé. Cette publicité n'incite pas les jeunes à commencer à boire. Cependant, elle peut les inciter dans une certaine mesure à choisir un certain type de boissons.

Dans le domaine de la publicité pour le tabac, il n'a réalisé aucune étude spécifique, mais, quoi qu'on en dise, il ne connaît en tout cas aucune étude qui démontre dans ce domaine l'existence d'un lien direct entre la publicité et la consommation.

Il est évident que les hommes politiques ont des raisons autres que scientifiques pour introduire une interdiction générale de la publicité pour les produits du tabac.

Néanmoins, l'on ne peut pas fonder une telle interdiction sur des arguments scientifiques, car il n'y en a pas.

Personnellement, il ne plaide pas pour une interdiction générale, mais bien pour une réglementation de la publicité pour le tabac, car, en l'espèce, il s'agit indéniablement d'un produit nocif. Parallèlement, cependant, il faut libérer les fonds nécessaires à la sensibilisation et à la recherche. Si l'on veut obtenir une réponse à la question de savoir pourquoi les jeunes commencent à fumer chez nous, pourquoi ils deviennent dépendants, l'on ne peut pas se fonder sur les études menées aux États-Unis ou au Japon, où l'on a bel et bien débloqué les moyens nécessaires.

En effet, la problématique est tellement liée à l'environnement concret dans lequel on vit que les études ne peuvent être réalisées que dans des régions très limitées si l'on veut qu'elles fournissent des résultats concrets. C'est le contexte local (par exemple, la présence d'un mégadancing) qui fait qu'avant de prendre des mesures, il s'impose non seulement de procéder à une étude sur place, mais également de suivre de près les effets de toute mesure qui a été prise pour, éventuellement, la réorienter.

Une telle démarche permettrait de mieux comprendre le domaine des dépendances et d'entretenir la discussion sociale en la matière. Elle serait en tout cas beaucoup plus efficace qu'une interdiction unilatérale de la publicité, qui serait, elle, moins chère et plus aisée, mais dont l'influence sur la consommation de tabac serait inexistante.

C. Discussion

M. Frydman déclare pouvoir souscrire en partie à l'argumentation de M. Pelc. Lui-même oeuvre depuis des années dans cet esprit à un programme de prévention du tabac axé spécifiquement sur les écoles. On explique clairement aux professeurs que les mesures antitabac doivent faire partie d'un programme cohérent d'éducation sanitaire visant à faire prendre conscience aux jeunes de la nécessité de préserver leur intégrité physique et psychique.

Il est toutefois en désaccord total avec les conceptions du préopinant en ce qui concerne une éventuelle interdiction de la publicité. Le tabac est un produit très nocif, qui comporte des risques très graves pour la santé, plus graves que n'importe quel produit destiné à la consommation humaine. La seule attitude que l'on puisse adopter en l'espèce est une interdiction absolue.

Lorsque les producteurs de tabac dépensent des centaines de millions pour transformer des voitures de courses en paquets de cigarettes itinérants, ce n'est pas pour faire plaisir aux organisateurs, mais parce qu'ils savent que les jeunes y sont très sensibles. Autoriser ce genre de publicité à Francorchamps ou ailleurs équivaut à accepter le décès prématuré de centaines de personnes. La moitié des préadolescents qui commencent à fumer en mourront.

Bien entendu, l'interdiction de la publicité n'est pas la seule mesure nécessaire. Dans les pays qui ont décidé pareille interdiction, la consommation de tabac a néanmoins connu un recul spectaculaire. C'est la première et la plus urgente des interventions qui s'imposent.

Les fabricants de cigarettes connaissent mieux que les fumeurs eux-mêmes les raisons plus profondes pour lesquelles on commence à fumer et ils concourent sciemment au même but en recourant à des techniques extrêmement raffinées.

Des moyens considérables sont mis en oeuvre à cet effet. En 1991, l'industrie du tabac a dépensé pas moins de 1 028 millions de francs rien que pour la location de panneaux publicitaires et d'emplacements dans les grands magasins. Comparativement, les moyens dégagés par les autorités pour la recherche et la prévention sont insignifiants.

Aux États-Unis et au Canada, on a décidé d'interdire la vente des produits du tabac aux enfants, et ce dernier pays a légiféré pour interdire les distributeurs de cigarettes. Chez nous, les enfants peuvent entrer dans n'importe quel magasin et y acheter des cigarettes.

En ce qui concerne l'incidence de la publicité sur la consommation de tabac, il suffit d'examiner l'évolution des budgets consacrés à la publicité des différentes marques et de les comparer à l'évolution des ventes. On constatera une relation indéniable.

M. Pelc ne conteste nullement que l'industrie du tabac oriente ses campagnes publicitaires vers les jeunes, par exemple en sponsorisant le sport automobile. Lui-même ne connaît toutefois aucune étude prouvant que les jeunes commencent à fumer ou fument davantage parce que les voitures de course portent des messages publicitaires pour des cigarettes.

Il répète qu'aucun lien direct n'a été démontré entre la publicité et la consommation de produits. Lorsqu'on constate que, dans certains pays, la consommation de tabac chez les jeunes diminue après l'interdiction de la publicité en faveur de ce produit, il faudrait examiner si ces pays n'ont pas pris d'autres mesures d'accompagnement contre le tabac. En France, par exemple, on a d'abord constaté une diminution après l'entrée en vigueur de la loi « Evin », mais elle a été suivie, ces deux dernières années, d'une nouvelle augmentation de la consommation de tabac. Il serait bon d'approfondir la question, en ce qui concerne par exemple le lien entre la consommation de tabac chez les jeunes et certaines institutions sociales dans les banlieues françaises.

La lutte contre le tabac nécessite un ensemble de mesures, dont l'éducation sanitaire doit être la première et la plus importante.

Une commissaire se dit encline à croire M. Pelc lorsque ce dernier prétend qu'aucun lien direct, dans un sens positif ou négatif, ne peut être démontré scientifiquement entre la publicité pour le tabac et la consommation de produits du tabac. Elle adhère également à la thèse selon laquelle détourner les jeunes du tabac requiert d'autres mesures qu'une interdiction de la publicité pour le tabac et que ces mesures doivent être prises parallèlement.

On peut toutefois se demander si cela constitue une raison de ne pas voter le projet en discussion. Le point de vue adopté par la Chambre des représentants a contribué à conférer à ce texte un rôle phare dans la discussion relative à l'accoutumance au tabac, et il peut tenir lieu de tremplin pour une série d'autres mesures, telles qu'une interdiction des distributeurs de cigarettes, le lancement de campagnes d'information adressées aux jeunes, etc.

Le vote de ce projet impliquerait également une importante prise de position éthique du pouvoir politique ainsi que l'indication que les pouvoirs publics entendent supprimer tous les incitants à un usage nocif du tabac.

Une autre commissaire estime que les exposés des deux intervenants ne sont pas contradictoires, mais complémentaires. Il y a indubitablement un besoin d'éducation sanitaire chez les jeunes, mais cela doit justement constituer un argument pour limiter autant que possible l'influence négative de la publicité sur ce groupe. Une interdiction de la publicité pour le tabac signifie précisément que les jeunes ne seront pas influencés négativement. On imagine d'ailleurs difficilement que l'industrie consacre des millions à la publicité tout en sachant que cela n'a aucune influence sur la consommation.

Comme c'est souvent le cas en matière d'environnement, on constate qu'ici non plus, il n'y a pas une vérité scientifique unique et que les experts se contredisent. Tout le monde s'accorde toutefois à dire que l'accoutumance au tabac a des conséquences graves pour la santé. Cela exige des pouvoirs publics qu'ils appliquent dans leur politique le critère de la prudence et qu'ils fassent le choix politique qui offre le plus de garanties, qui est indubitablement, dans le cas présent, une interdiction de la publicité.

Cela ne signifie toutefois pas que les autorités peuvent s'en contenter. En effet, les autres mesures citées par M. Pelc s'imposent d'urgence, et pas uniquement dans le cadre de la prévention contre la consommation de tabac.

L'intervenant suivant déclare qu'il n'est pas convaincu du lien direct entre la publicité pour le tabac et les proportions dans lesquelles des produits du tabac sont consommés. Si, voici quelques décennies, on a fumé plus que ce n'est actuellement le cas, ce n'était pas dû au fait qu'à l'époque, on faisait davantage de publicité. Cette situation était fonction de certaines circonstances sociales et culturelles. Aujourd'hui aussi, on constate que certaines couches de la population fument plus que d'autres. Il est franchement douteux que ce soit une conséquence de la publicité pour le tabac.

Il souligne que plus personne ne peut douter des effets nocifs de la consommation de tabac. Mais si l'on veut lancer à ce propos un message aux jeunes, cela n'a guère de sens de le faire par une interdiction autoritaire. Des mesures contre le tabac ne seront vraiment efficaces que si elles permettent au groupe cible de prendre conscience de son propre comportement et si elles l'incitent à y réfléchir.

L'intervenant fait remarquer qu'il n'a pas encore déterminé personnellement quelle attitude il adoptera face au projet. C'est que cette matière comporte également un aspect économique important, et le vote du texte pourrait avoir de lourdes conséquences pour l'emploi dans certaines régions du pays.

Il ne faut donc pas foncer tête baissée. L'incidence d'une interdiction de la publicité sur la consommation de tabac ne peut pas être mesurée en laboratoire. Il serait extrêmement regrettable de compromettre une multitude d'emplois pour une mesure qui, finalement, rate son objectif. En France, on a totalement interdit la publicité en 1993, et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il existe une sérieuse contestation quant aux résultats. Cette sorte de question devrait être clarifiée avant que l'on ne décide une démarche similaire en Belgique.

Une membre se déclare personnellement convaincue du lien entre la publicité pour le tabac et la consommation de tabac. Il faut toutefois placer à cet égard les questions dans leur contexte exact, car il est évident qu'interdire la publicité ne résoudra pas tous les problèmes.

Plus personne ne conteste les effets néfastes du tabac, tant sur le plan personnel que social. Ces problèmes et le coût qu'ils impliquent pour la société sont tels que la lutte contre le tabac doit devenir une priorité politique à différents niveaux.

Une interdiction de principe de la publicité, telle qu'elle a été votée par la Chambre des représentants, constitue une indication importante que les autorités veulent régler définitivement les problèmes y afférents, et le Sénat doit donc s'y rallier. Il importe néanmoins que le texte soit incorporé dans un ensemble de mesures au sujet desquelles le monde politique doit tenter d'obtenir un consensus.

Ce qui l'a particulièrement frappée dans les argumentations, c'est toutefois que les enfants commencent manifestement à fumer de plus en plus tôt. La question est de savoir ce qui peut être fait pour enrayer cette tendance. Personnellement, elle ne croit guère en une interdiction de la vente de cigarettes aux enfants. Non seulement elle serait difficilement applicable, mais le risque est grand qu'elle incite précisément certains jeunes à commencer à fumer.

Le fait est, en tout cas, que les enfants et les jeunes sont très sensibles aux marques en vogue et que la publicité dans ce sens permet d'enregistrer indubitablement des résultats dans ce groupe.

Une intervenante partage l'avis de M. Pelc selon lequel les jeunes commencent à fumer pour des raisons très complexes et non pas en raison d'un facteur unique comme la publicité. Elle n'en estime pas moins que la publicité peut renforcer certaines caractéristiques négatives de l'environnement du jeune, comme celles qui résultent de la composition du ménage de leurs parents et de la situation sociale de ceux-ci, et celles qui sont générées par le milieu scolaire, etc. En outre, la publicité peut, comme l'a indiqué l'intervenante précédente, essayer d'augmenter la consommation de certains groupes de personnes comme les jeunes, en s'inspirant de certaines tendances du moment.

Elle dit comprendre les arguments économiques que d'aucuns avancent contre une interdiction de la publicité, mais ajoute qu'il y a lieu néanmoins de les mettre en balance avec les dégâts sociaux que peut causer la publicité pour le tabac.

Un membre estime que certains intervenants sous-estiment l'effet de la publicité. La publicité n'augmente pas la consommation des fumeurs et il se peut qu'elle n'arrive à entraîner, au sein de ce groupe, qu'un déplacement de la consommation, mais il serait naïf de croire que l'industrie du tabac consacre à perte des milliards à sponsoriser les sports automobiles en sachant bien qu'elle n'arrivera pas à augmenter le nombre de fumeurs chez les jeunes.

Un dernier intervenant estime que la question cruciale qui se pose dans ce débat est celle de savoir pourquoi une personne décide de fumer ou de ne pas fumer. Il ne peut pas croire que le secteur de la publicité n'a consacré aucune étude à ce sujet. En effet, connaissant les facteurs (stress, ennui, besoin de compagnie) qui influent sur le tabagisme, il a pu concevoir les messages publicitaires en conséquence.

Il demande si les intervenants ont une idée de la manière dont les agences de publicité s'y prennent pour concevoir leurs campagnes en fonction desdites motivations profondes. S'il s'avérait que la publicité n'influe pas sur ces motivations et qu'elle arrive tout au plus à provoquer une redistribution des parts de marché entre les marques, l'on disposerait d'un élément de grande importance.

L'intervenant illustre son propos en évoquant l'obligation qui a été faite, il y a une dizaine d'années, aux producteurs de cigarettes de mentionner sur les paquets que le tabac nuit à la santé. Tout fumeur est confronté avec ce message chaque fois qu'il prend une cigarette et sait que ce message correspond à la réalité. Or, pourtant, cette obligation légale n'a eu aucune influence sur le tabagisme, parce que le tabagisme est induit par des motivations autres que des motivations rationnelles.

M. Frydman réplique qu'il n'est pas difficile de mettre à nu la manière dont l'industrie du tabac s'y prend pour essayer d'inciter des jeunes de 10 à 12 ans à fumer leur première cigarette. Pour s'en convaincre, il suffit d'examiner de près les campagnes que les diverses marques de cigarettes ont menées ces dernières années.

Il ne comprend pas comment certains membres de la commission, qui a la Santé publique dans ses attributions, arrivent à mettre en balance l'intérêt économique d'un petit nombre avec la santé publique et l'espérance de vie d'une grande partie de la population.

Il est d'ailleurs établi du point de vue économique que, dans l'ensemble, la consommation du tabac entraîne, pour la société, des dépenses trois fois plus élevées que les bénéfices qu'elle génère.

Il va de soi que l'interdiction de la publicité doit être accompagnée d'autres mesures. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que des mesures d'accompagnement, comme les mesures d'éducation à la santé, sont des mesures qui ne produisent leurs effets qu'à long terme.

De plus, les jeunes ont besoin, non seulement d'être éduqués à la santé, mais aussi à l'usage des médias. Pour le moment, ils sont désarmés face aux manipulations que la publicité leur fait subir. La publicité pour le tabac agit directement sur des besoins profonds, et ce, sans que le groupe cible en question en ait conscience. La publicité suggère que fumer réduit le stress et facilite les contacts, mais, depuis une vingtaine d'années, elle exploite principalement les motivations sexuelles et la tendance profonde à l'autodestruction. En obligeant l'industrie à indiquer sur les emballages que les cigarettes nuisent à la santé, les pouvoirs publics ont rendu service à l'industrie.

L'augmentation sensible du prix des cigarettes figure également parmi les mesures d'accompagnement indispensables. L'Algérie, qui a augmenté le prix des cigarettes de 400 %, a enregistré une forte diminution de la consommation de tabac. Il semblerait qu'une mesure de ce type a, surtout, une grande influence sur les jeunes, qui ne disposent que d'un budget limité.

Ces mesures d'accompagnement n'enlèvent cependant rien à la nécessité d'imposer une interdiction de la publicité. La croissance explosive de la consommation de tabac par les jeunes au cours des dernières années est en effet due exclusivement au fait que la publicité a été axée spécifiquement sur eux.

M. Pelc déduit des réactions des membres qu'il existe, au sein de la commission, une volonté de prendre des mesures pour réduire la consommation de tabac. Cela le réjouit, car les jeunes ont besoin plus que jamais d'une éducation sérieuse à la santé. Cela fait cinquante ans que l'on écarte l'idée de prendre de telles mesures en arguant qu'elles ne porteraient leurs fruits qu'à long terme et que, par conséquent, l'on ne fait absolument rien. Cette fois encore, les pouvoirs publics risquent de choisir la solution de facilité en interdisant la publicité, pour ne rien devoir faire de plus.

Il dit ne pas être convaincu que l'augmentation de la consommation de tabac chez les jeunes, que l'on a constatée au cours des décennies écoulées, peut être attribuée sans plus au fait que la publicité pour le tabac a été réorientée et axée sur ce groupe.

Les jeunes générations actuelles développent certains comportements à un âge de plus en plus précoce. Les premiers contacts sexuels ont lieu de plus en plus tôt, on constate qu'un nombre croissant de meurtres et de viols sont commis par des auteurs très jeunes, etc. Le fait de commencer à fumer de plus en plus tôt s'inscrit également dans cette évolution. Si la publicité peut avoir une influence sur certaines personnes, les mécanismes fondamentaux sont ailleurs. Si, au début du siècle, le tabagisme pouvait s'expliquer en partie par le besoin de fuir la détresse matérielle de l'époque, il se pourrait bien que les jeunes générations d'aujourd'hui se livrent au tabac pour échapper au vide moral dans lequel elles vivent en raison de l'égoïsme croissant qui se manifeste dans notre société, du relâchement des liens familiaux, des divorces, etc.

Il a fallu attendre le drame du sida pour que l'on commence à donner une éducation sexuelle sérieuse dans nos écoles et que l'on parle d'affection aux jeunes. Il s'agit bel et bien d'éducation à la santé et il faudrait l'étendre à d'autres domaines. Il ne suffit pas de consacrer une journée par an aux dangers du tabagisme; au contraire, il faut s'occuper de ces problèmes en permanence et à divers niveaux simultanément.

M. Pelc déclare qu'il est disposé à venir parler, à ce propos, d'un projet auquel il collabore, et qui a été lancé en Thaïlande avec l'aide de l'U.E.

La réforme des institutions de notre pays, à la suite de laquelle l'aspect curatif est resté de la compétence fédérale, alors que la politique de prévention a été régionalisée, n'a pas facilité les choses. Il faut réunir les signatures de cinq ministres au moins pour pouvoir lancer un programme global.

« Que dois-je manger ? », « Quel est le niveau de boisson à ne pas dépasser ? », « Pourquoi fumer est-il mauvais ? », « Comment décoder un message publicitaire ? », voilà autant de questions à traiter de préférence dans le cadre familial, ce qui se fait, simultanément, de moins en moins. C'est la raison pour laquelle la société doit inciter les jeunes à réfléchir à ces questions dans d'autres contextes. La consommation modérée d'alcool et la non-consommation des produits du tabac doivent devenir des valeurs positives pour les jeunes. Une fois que cet objectif aura été atteint, le débat sur le fait d'interdire ou non la publicité sera devenu purement théorique.

POURSUITE DE L'AUDITION DU PROFESSEUR M. FRYDMAN DE L'UNIVERSITÉ DE MONS ET DU PROFESSEUR I. PELC DE L'HÔPITAL BRUGMAN, LE 1er JUILLET 1997

A. Exposé du professeur Frydman

M. Frydman rappelle que, lors de son exposé précédent, il a souligné que le tabagisme comporte des risques pour la santé et la mortalité qui sont nettement plus grands que les dangers de tous les autres produits de consommation et qui se sont encore multipliés au cours des 25 dernières années.

Il parlera aujourd'hui davantage de l'aspect publicitaire. Il démontrera, à cet égard, non seulement que l'industrie s'adresse de plus en plus aux jeunes dans ses messages publicitaires, mais aussi qu'une interdiction de la publicité pour les produits du tabac entraîne réellement une diminution du tabagisme.

Il fait remarquer que depuis les années 50, les stratégies publicitaires ont beaucoup évolué. Auparavant, les concepteurs se basaient sur le « modèle de Pavlov ». On cherchait un slogan qui sonnait bien ou une image prenante et on l'associait à un produit. Cette association devait inciter le consommateur potentiel à acheter celui-ci.

Avec le temps, l'on s'est rendu compte que même le comportement conditionné ne répondait pas au schéma par trop simpliste de Pavlov, mais qu'il était aussi lié à l'état affectif et à la motivation profonde de l'individu.

C'est ce que l'on a constaté, entre autres, par l'échec de certaines campagnes de grande envergure. Un bon exemple est, en l'occurrence, ce qui s'est passé dans l'industrie automobile américaine. Au cours des années 50, les grands centres des États-Unis commençaient à s'engorger. Chrysler répondit aux plaintes à cet égard en produisant des voitures plus petites, mais cela tourna à la catastrophe. Bien que les consommateurs fussent rationnellement convaincus que réduire la taille des voitures résoudrait certains problèmes, les grosses autos restaient un symbole important de statut social et la confirmation que l'on avait réussi dans la vie. Cette motivation profonde prenait le pas sur les arguments rationnels au moment d'acheter une voiture.

Des expériences comme celles-ci ont convaincu le secteur de la publicité qu'une campagne ne produit un rendement maximal que lorsqu'on connaît la motivation profonde qui pousse un consommateur à utiliser un produit. À cet effet, au fil des années, l'on a mis au point des techniques nouvelles, dans lesquelles l'examen du subconscient est primordial. L'on a évalué nos angoisses, nos préoccupations, notre sentiment de culpabilité. C'est surtout ce dernier qui joue un rôle capital dans le cas du tabagisme.

L'on commence, en effet, souvent à fumer à l'encontre de l'interdiction formelle des parents et le fumeur est en outre conscient du tort qu'il se fait et qu'il fait aux autres.

Lorsque, dans les années 50, l'on a eu la certitude qu'il y avait un lien entre tabagisme et cancer, ce qui a provoqué une diminution des ventes de tabac, le secteur publicitaire a directement réagi par des campagnes qui associaient tabagisme et santé.

Depuis lors, le secteur a encore trouvé bien d'autres motifs pour inciter les gens à fumer : le besoin de contact social, la peur de la solitude, éviter le stress,... Un des vecteurs les plus importants que l'industrie du tabac a ainsi exploités était la nécessité de montrer sa virilité. La cigarette est le symbole phallique par excellence et dès lors que l'industrie l'avait compris, les campagnes publicitaires l'ont exploité massivement. C'est à ce moment précis que le message niant la nocivité du tabac est passé à l'arrière-plan et qu'on lui a substitué des marins tatoués et des cowboys robustes qui, dans des circonstances plus ou moins pénibles, allument une cigarette.

C'était l'époque où les campagnes s'adressaient surtout aux hommes et où les cigarettes avaient un « goût masculin ». Ces campagnes, dont l'apogée se situe fin des années 50 début des années 60, sont purement et simplement ridicules aux yeux de la génération actuelle de consommateurs.

Les techniques publicitaires actuelles sont, en effet, beaucoup plus subtiles et travaillent presque exclusivement sur l'inconscient. L'on envoie des stimuli au consommateur potentiel sans qu'il le sache. Cela peut se faire de deux manières.

Une première technique consiste à envoyer un stimulus durant un intervalle de temps plus court que celui qu'il faudrait à la conscience pour l'enregistrer. Dans un message publicitaire télévisé, on diffuse, durant une fraction de seconde, une image que l'on ne « voit » pas, mais que l'on fixe malgré tout dans l'inconscient. Cette technique, dont l'efficacité est scientifiquement prouvée, est interdite aux États-Unis. Un bon exemple de cette technique est la photo de François Mitterrand introduite dans un générique d'Antenne 2 juste avant le journal de 20 h. Ainsi, en 1988, en pleine campagne électorale, un candidat à la présidence est-il passé 2 900 fois sur l'écran à une heure d'audience maximale sans que les spectateurs en soient conscients.

L'usage de cette technique dans le secteur de la publicité est aujourd'hui rare, voire inexistant. Une deuxième technique visant à manipuler l'inconscient consiste à agir non sur la durée du message, mais sur son intensité. Cette méthode est très courante et l'industrie du tabac l'utilise aussi fréquemment. Des images dans des magazines ou sur des affiches qui sont apparemment d'innocentes photos sont en fait un montage soigné cachant un message érotique. Il peut s'agir de mots, de symboles phalliques ou vaginaux, de situations déterminées, de successions d'images à différentes pages d'un magazine,... que la conscience ne remarque pas mais qui ne manquent pas de se fixer dans le subconscient.

Un autre vecteur caché exploité par l'industrie du tabac est le désir de mort et la pulsion d'autodestruction. Il est prouvé que dans le secteur de l'alcool et certainement dans celui du tabac, la mort fait vendre. Sur les affiches publicitaires, l'on cache dès lors les symboles de la mort ou les mots qui y font penser. D'autres campagnes qui s'adressent aux jeunes adolescents jouent, quant à elles, sur la peur d'être seul et sur le besoin de se retrouver en compagnie de personnes du même âge, ou suggèrent la promesse de dépucelage.

M. Frydman souligne que l'industrie du tabac a consacré, en 1996, un montant de 7,257 milliards de francs à la publicité ­ il n'est donc pas question de sponsorisation ­ dans les cinq principaux médias : la télévision, la radio, le cinéma, la presse et l'affichage. Il convient de ne pas perdre de vue, à cet égard, que pour les produits du tabac la publicité est le seul moyen qu'ont les producteurs de stimuler les ventes. D'autres techniques, comme la vente à des prix promotionnels, sont strictement interdites.

En ce qui concerne les conséquences de l'interdiction de la publicité, il se réfère à certains pays d'Europe du Nord où l'on a constaté, après l'adoption d'une réglementation légale, une nette diminution du nombre des fumeurs, surtout chez les jeunes.

Cependant, c'est surtout ce qui s'est passé en France qui est intéressant pour la situation dans notre pays, comme le montre le graphique suivant :

Consommation de tabac en France depuis 1975

En 1976, la loi Veil a réglementé la publicité pour le tabac. Cette loi n'a eu strictement aucune influence sur le tabagisme. Ce n'est qu'après la loi Évin, prévoyant une interdiction totale, que l'on a constaté un net recul. Ces chiffres proviennent du S.E.I.T.A., une source que personne ne met en doute. Les chiffres sont confirmés par les deux graphiques suivants, qui montrent l'évolution de l'usage du tabac par habitant et le nombre de cigarettes vendues.

Évolution de la consommation
de tabac par habitant depuis 1965

Évolution des ventes de cigarettes en France de 1991 à 1996, exprimée en milliards d'unités

M. Frydman fait remarquer qu'il y a 18 ans, lorsqu'il a commencé son enquête sur le tabac, Belga représentait 30 à 33 %, soit environ un tiers, du marché de la cigarette dans notre pays. Une enquête, effectuée récemment auprès de 2 000 jeunes, révèle que la répartition entre les différentes marques se fait aujourd'hui comme suit :

Enquête relative aux marques consommées par les jeunes de l'enseignement secondaire de la Région francophone

De nos jours, Marlboro est le leader incontesté du marché pour les jeunes. Ensuite vient L & M . Ce n'est pas par hasard que ces marques ont les plus gros budgets publicitaires et qu'elles axent leur campagne sur les jeunes en partant du principe que celui qui commence à fumer des cigarettes d'une certaine marque dès son jeune âge ne passe pas facilement à la concurrence.

M. Frydman déclare, en conclusion, qu'il peut comprendre que certains membres se préoccupent des conséquences économiques d'une interdiction de la publicité. Il y a toutefois d'autres moyens de sauvegarder l'emploi que celui qui consiste à inciter les jeunes à fumer.

Une augmentation du prix du paquet de cigarettes d'un franc apporterait un milliard de francs de recettes supplémentaires au Trésor. Un tel montant permettrait de sponsoriser nombre de manifestations sportives ou culturelles.

L'on pourrait d'ailleurs s'inspirer des États-Unis où la pression que l'on a exercée sur l'industrie du tabac a permis de prendre des mesures radicales dans nombre de domaines. Les producteurs se sont engagés, vis-à-vis du secteur de la santé et des autorités, à réduire, en dix ans, le tabagisme des jeunes de 60 %. De lourdes amendes leur seraient infligées au cas où ils ne parviendraient pas à atteindre ce chiffre.

En outre, l'industrie versera 368 milliards de francs en quelque 25 ans, pour échapper à des amendes encore plus lourdes. Il va de soi qu'elle devra relever le prix des cigarettes. Il en résultera une nouvelle diminution du tabagisme.

B. Exposé de M. Pelc

M. Pelc fournit un complément d'information sur un projet de prévention de la toxicomanie en Thaïlande. Il s'agit de la Prévention de l'usage de drogues en Thaïlande, le programme Cemubec-Assuétudes sous l'égide de la Commission des Communautés européennes : « L'approche humaniste ».

Il s'agit d'un projet qui a été mis en oeuvre en 1988 par le Cemubec (Centre d'études médicales de l'Université de Bruxelles pour ses activités de coopération), avec le soutien de l'Union européenne.

L'objectif était de développer dans les écoles thaïlandaises un programme éducatif et préventif en matière de santé. L'on avait prévu un budget annuel de 5 millions de francs et une période de cinq ans pour le mettre en oeuvre. Un tel montant permet bien sûr de faire beaucoup plus en Thaïlande qu'en Belgique.

La première année de ce programme a été consacrée à l'étude et à la réflexion en collaboration avec la cellule « recherche et développement » du ministère thaïlandais de l'Enseignement, avec les inspecteurs de l'enseignement et les directeurs d'école, et avec les élèves. L'on a organisé une douzaine de séminaires au cours de cette année-là.

Cette concertation a montré qu'en Thaïlande, il n'existait pratiquement aucune donnée de base, relative au contexte et à l'environnement dans lesquels s'inscrit la consommation de l'alcool, du tabac, des drogues douces et des drogues dures. Le contexte en question est largement déterminé par des éléments locaux et il est tout à fait inutile d'essayer de se baser, à cet égard, sur des éléments provenant d'un pays occidental comme la Belgique.

C'est pourquoi la deuxième phase du projet a été consacrée à une vaste enquête menée dans 52 écoles comptant chacune entre 200 et 300 élèves en moyenne. L'on a interrogé plus de 5 000 élèves au total, qui étaient âgés de 12 à 18 ans et issus de diverses régions (villes et campagne) et classes sociales.

L'enquête est partie d'un point de vue humaniste. Elle s'est intéressée surtout au consommateur et non pas aux produits consommés. Les intéressés ont été interrogés à propos de leurs caractéristiques individuelles et à propos de facteurs environnants comme le milieu social auquel ils appartenaient, la présence éventuelle de consommateurs de produits déterminés dans leur cercle d'amis ou dans leur famille, etc.

Grâce à l'enquête, l'équipe a pu se faire une idée de l'importance de la consommation des diverses substances :

Graphique 1

Parts des diverses drogues utilisées
par les élèves du secondaire (n = 4985)

Il ressort du graphique que les cigarettes et l'alcool sont les produits dont la consommation est de loin la plus grande. Certains pourraient trouver bizarre que la part des drogues douces, tel le cannabis, soit si faible dans un pays comme la Thaïlande. Mais il ne faut pas perdre de vue que les personnes interrogées étaient des élèves d'humanités, appartenant en quelque sorte aux groupes privilégiés de la population du pays.

Les enquêteurs ont fait une deuxième constatation frappante en mesurant la part relativement peu importante des solvants, des produits pharmaceutiques stimulants et des tranquillisants par rapport à celle des autres drogues. Il s'agit d'une réalité qui tient à des facteurs culturels. Les produits chimiques sont associés à l'image des pays riches du nord et ils exercent, dès lors, une sorte d'attrait de l'exotisme. Cela vaut aussi, dans une large mesure, pour ce qui est du tabac. La morphine, qui est un produit local, se trouve tout à fait en fin de liste. Lesdites constatations prennent bien entendu une très grande importance dans le cadre d'une politique préventive.

Sur la base des données ainsi réunies, l'on a, dans une phase suivante, procédé à une analyse multidimensionnelle des facteurs qui risquent d'entraîner un développement de la consommation de drogues. Comme on l'a souligné la semaine passée ­ et comme l'enquête qui vous est soumise l'indique elle aussi ­ la consommation d'une substance n'est pas déterminée par un seul facteur.

L'enquête a permis de mettre en évidence un élément important que l'on a retrouvé et chez les filles, et chez les garçons qui y ont participé. Le cercle d'amis a une grande influence sur la consommation de certaines substances, à tel point que d'aucuns vont chez des amis pour ne pas avoir de problèmes dans leur famille. Mais il y a une autre constatation tout aussi importante dans le cadre de la discussion en cours, à savoir celle que la publicité ne figure pas dans la liste des facteurs qui ont une certaine influence.

Il est évident que certains facteurs liés à la psychologie des profondeurs, comme la recherche du plaisir et le penchant à autodestruction, qui inspirent certaines formes de publicité, jouent un rôle dans le comportement des adolescents, en les incitant à se mettre à fumer et en entraînant le développement d'autres formes de comportement typiques. Ces facteurs n'expliquent cependant pas tout et l'importance de leur influence sur les jeunes variera en fonction de l'action éventuelle d'autres facteurs individuels ou sociaux. Il ressort de l'enquête thailandaise que les tentatives d'exploitation desdites « motivations profondes » ­ auxquelles le secteur de la publicité se livre très probablement ­ ont un résultat pratiquement nul.

L'adolescent qui fait beaucoup de sport ou qui est passionné de musique sera moins tenté de consommer des drogues que celui qui n'a pas su, comme lui, trouver de quoi donner un sens à sa vie. L'éducation, la situation familiale, la situation de l'emploi, etc., déterminent la mesure dans laquelle chacun est capable de trouver un but à sa vie.

La phase suivante du projet a consisté à organiser une campagne de prévention à l'intention d'un certain nombre d'établissements-pilotes. Pour ce faire, l'on a tenu compte au maximum des facteurs relevés au cours de la phase de l'analyse, et l'on a pris les mesures suivantes :

Tableau 3 : Nombre d'élèves et d'enseignants participant au programme de prévention par type d'activité (ensemble des écoles pilotes)

Activiteiten
­
Activités
Deelnemers aan het programma
­
Personnes qui participent au programme
Leerlingen
­
Élèves
Leerkrachten
­
Enseignants
Ratio
­
Ratio
1. Psychosociale begeleiding. ­ Guidance psychologique et sociale 11 725 510 1:23
2. « Vrienden helpen vrienden » - Onderlinge hulp aan leeftijdsgenoten. ­ « Les amis aident les amis« - Entraide des pairs 6 847 397 1:17
3. Sportactiviteiten - Sportopleiding. ­ Activités sportives - Éducation sportive 9 533 650 1:15
4. Ethisch en moreel leerprogramma. ­ Programme d'éthique de morale 4 638 67 1:69
5. Ontmoetingen met leiders van leefgemeenschappen en mensenmateriaal in de omgeving. ­ Rencontres avec leaders communautaires et ressources humaines dans l'environnement 14 670 966 1:15
6. Groepsgesprekken - Assertiviteitstraining. ­ Discussion de groupe - Amélioration de l'assertivité 15 495 1 015 1:15
7. Verbetering van de kwaliteit van de fysieke omgeving van de school. ­ Amélioration de la qualité de l'environnement physique de l'école 12 490 617 1:20
8. Ontwikkeling van gemeenschapsdienst. ­ Développement d'activités en faveur de la communauté 8 275 494 1:17
9. « Studeren brengt geld op » - Ontwikkeling van economische activiteiten. ­ « Gagner en étudiant » - Développement d'activités économiques 13 748 891 1:15
10. Reizen, studiereizen. ­ Voyages, excursions d'études 6 431 354 1:18

· La guidance psychologique et sociale est confiée aux enseignants qui oeuvrent volontairement et sont formés dans ce domaine. La guidance est permanente et s'adresse non seulement aux élèves, mais aussi aux familles confrontées à des difficultés. Il ne suffit dès lors pas que les pouvoirs publics envoient régulièrement une brochure d'information aux écoles.

· L'objectif de la deuxième mesure est de mettre en rapport les jeunes qui sont intoxiqués ou qui appartiennent à un groupe à risque avec d'autres jeunes de leur âge qui ne se trouvent pas dans cette situation et qui peuvent éventuellement proposer d'autres modes de vie.

· La troisième mesure vise à aider les jeunes à donner davantage de sens à leur vie, à les pousser à d'autres passions.

· L'élaboration d'un programme de cours éthique et moral consiste non seulement à initier les jeunes à certaines valeurs, mais également à leur apprendre à développer un sens critique vis-à-vis des médias, à déchiffrer les messages publicitaires et à prendre conscience des manipulations auxquelles ils sont soumis.

· Dans le cadre de la cinquième mesure, l'on amène dans les écoles des personnes qui bénéficient d'une certaine autorité auprès des jeunes.

· La sixième mesure est considérée comme étant très importante. L'assertivité mène à l'affirmation de soi. Les jeunes doivent être conscients de leur propre valeur. Ils doivent développer une image positive d'eux-mêmes sans avoir besoin, pour ce faire, de certains produits. Ils doivents apprendre à décider en fonction de leur propre intérêt et non pas à dire oui pour faire plaisir aux autres. Bref, il faut que leur rejet des drogues acquière une valeur positive.

· La septième mesure a surtout une valeur symbolique. Si l'environnement est propre et net, l'on est aussi encouragé à mettre de l'ordre dans sa tête. L'on établit un lien entre le fait de fumer ou de boire et le comportement général.

· Dans le cadre de la huitième mesure, les jeunes sont encouragés à associer d'autres jeunes au programme et à animer eux-mêmes le projet. S'ils le font avec conviction, cela peut avoir une très grande influence.

· Dans le cadre de la neuvième mesure, l'on veut rendre les jeunes consicents de ce que leur coûte leur toxicomanie et des choses qu'ils pourraient faire avec cet argent.

· L'objectif de la derniére mesure est d'ouvrir de nouveaux horizons.

M. Pelc souligne que ces mesures cadrent toutes avec une approche humaniste. Elles visent à ce que les usagers ou les usagers potentiels comprennent leur comportement et le changent. Aucune proposition n'a été faite visant à interdire ou à réglementer l'usage de certains produits.

L'étape suivante dans le programme était celle de l'évaluation. Cela ne signifie pas qu'ayant compté au début du programme le nombre de fumeurs, d'alcooliques et de drogués, on refasse le calcul après deux ou trois ans pour constater la différence. Il convient cependant d'examiner dans quelle mesure l'on va appliquer les diverses mesures au groupe cible concerné.

L'équipe qui a élaboré le programme a surtout cherché à faire en sorte que la problématique devienne un sujet de discussion permanent entre les jeunes et qu'en ce domaine, ils apprennent à se comporter de manière plus assurée vis-à-vis de leur entourage. Quant aux écoles, il importe qu'elles prennent l'habitude d'assurer un accompagnement et intègrent celui-ci dans leur structure.

Les résultats peuvent être qualifiés de très encourageants à cet égard.

M. Pelc souligne l'ironie du fait que ce soit précisément une équipe belge qui aille mettre sur pied un programme de ce type en Extrême-Orient, alors que l'éducation à la santé est chez nous un terrain en friche. Tout au plus y a-t-il des initiatives isolées, très limitées dans le temps et dépourvues de toute coordination.

Une politique substantielle dans ce domaine serait pour l'école l'occasion de sortir du train-train administratif quotidien, de donner une plus-value à la profession d'enseignant et, enfin, d'offrir aux élèves la possibilité de réfléchir et de travailler eux-mêmes à leur bien-être physique et spirituel.

En 1994, on a proposé aux responsables de l'enseignement de réfléchir à la question. Les projets concrets se sont toutefois enlisés dans le labyrinthe administratif et communautaire de la Belgique, de sorte qu'aujourd'hui, on est aussi avancé qu'il y a trois ans.

M. Pelc attire ensuite l'attention sur la structure du Conseil supérieur d'hygiène créé auprès du ministère des Affaires sociales, de la Santé publique et de l'Environnement et divisé en un certain nombre de sections. Il y a quelques années est venue s'y ajouter une section maladies de civilisation. Cette nouvelle section se subdivise à son tour en deux sous-sections, à savoir, les assuétudes et les aspects psycho-sociaux des maladies.

La mission de cette section est définie comme suit dans le rapport d'activité 1996 du Conseil supérieur d'hygiène :

« Études, recherches, évaluations et avis relatifs aux problèmes de santé et aux maladies liées en tout ou en partie au comportement des individus, à celui des groupes ou encore à l'organisation de la vie en société.

Sont ainsi concernés, entre autres, les comportements de santé; ceux à risque; les facteurs psychosociaux suscitant des maladies, les entretenant ou les aggravant, la qualité des relations humaines; l'usage de substances induisant des assuétudes .... »

Contrairement aux autres sections, qui peuvent cibler leurs actions sur des problèmes très spécifiques, comme la maladie de la vache folle ou le virus du sida, et qui obtiennent pour cela les moyens nécessaires, la section des maladies de civilisation a une mission très vague.

La section en question a déjà émis quelques rapports sur des problèmes qui relèvent de sa compétence, mais elle ne dispose pas des moyens nécessaires pour mener une action structurée permanente dans un de ces domaines. Il y a donc une structure, mais pas de moyens financiers pour la faire fonctionner.

Au moment de l'abrogation de la loi Vandervelde et de la majoration des accises sur les spiriteux qui l'a accompagnée, on a proposé aux pouvoirs publics de mettre une partie des moyens financiers ainsi dégagés à la dispositions des organismes officiels en charge de l'éducation à la santé. Il a été accédé à cette demande pendant un an. Ensuite, les moyens en questions sont retournés dans les caisses de l'État. Il va de soi, dans ces conditions, qu'une politique constante de lutte contre la dépendance est impossible. Une telle politique ne demanderait pourtant qu'une fraction des centaines de millions que l'autorité prélève chaque année en impôts indirects sur le tabac et l'alcool.

L'asbl « La Fondation pour l'étude et la prévention des maladies de civilisation » a été créée pour combler quelque peu le vide. Cette association réalise, avec les fonds qu'elle parvient à réunir, des études et même des actions dans ce domaine.

M. Pelc souligne ensuite que certains facteurs contribuent, selon lui, à accroître le risque de dépendance. Il cite notamment le chômage, le divorce, la migration vers les villes, le relâchement du contrôle parental, les ménages monoparentaux, le contact précoce avec les substances engendrent une dépendance et la consommation de drogues dans le cadre familial.

Ce dernier facteur est lié à ce que l'on appelle le modèle social de la dépendance. Ce n'est pas parce que les parents fument que leurs enfants vont les imiter. Au contraire, il arrive souvent qu'ils se démarquent du comportement des générations précédentes. Ce que l'on retrouve par contre dans les différentes générations d'une famille, c'est la tendance à recourir à des moyens extérieurs à soi plutôt que d'exploiter son propre potentiel. On constate aussi, par exemple, que lorsque les parents sont en état d'assuétude médicamenteuse, les enfants commencent à fumer ou à consommer de la drogue. Le problème trouve donc fréquemment ses racines dans la famille, mais le choix de la drogue, lui, est déterminé par le cercle des connaissances.

M. Pelc signale que le nombre des décès dus à une cirrhose du foie provoquée par la consommation excessive d'alcool est deux fois plus élevé dans l'ouest du Hainaut que dans le reste du pays. Cet écart n'est pas dû au fait que l'on fasse davantage de publicité dans cette région, mais que c'est vraisemblablement lié à la très mauvaise situation économique de celle-ci.

En 1995, dans cette région, Yves Ledoux a effectué une étude sur la consommation de cannabis par les jeunes de cinquième année du secondaire, dont les conclusions sont résumées ci-après.

Le premier graphique illustre dans quelle mesure le groupe étudié est entré en contact avec la drogue.

Proximité de l'usage de cannabis chez les élèves de 5e secondaire dans le Hainaut-Occidental 1995 n = 540

Près de la moitié des jeunes se sont vu proposer au moins une fois de fumer un joint. Plus importants toutefois sont les deux derniers groupes : 22,5 % de jeunes ont déjà fumé du haschich et 7,2 % ont envie d'un joint quand ils s'ennuient. C'est surtout dans ce dernier groupe que le risque de dépendance est le plus important.

Le deuxième graphique illustre la relation que les jeunes qui consomment sporadiquement de la drogue entretiennent avec leurs parents.

Usage de cannabis chez les élèves de 5 e secondaire dans le Hainaut-Occidental 1995 n = 529

Selon les types de parentalité ­ « Parental bonding instrument »

Le troisième graphique montre, enfin, la relation que les jeunes qui consomment la drogue de manière régulière ou problématique entretiennent avec leurs parents.

Usage de cannabis plus régulier ou problématique chez les élèves de 5 e secondaire dans le Hainaut-Occidental 1995

Selon les types de parentalité ­ « Parental bonding instrument »

C'est l'existence ou l'absence du contrôle parental qui détermine si les jeunes courent un plus grand risque de devenir toxicomane. Une grande partie des toxicomanes sont issus de familles où il n'y a que peu ou pas du tout de contrôle. Ce n'est pourtant pas le seul facteur qui compte. La majorité des toxicomanes sont bel et bien soumis à l'autorité parentale, mais la ressentent comme n'étant pas effective. Les liens affectifs qui lient les parents aux jeunes sont dès lors au moins aussi importants que la mesure dans laquelle le contrôle existe.

L'on se trouve ici à des lieues de la question de savoir si de la publicité est ou non faite.

M. Pelc conclut en déclarant que nous disposons des structures nécessaires pour arriver à une éducation sanitaire convenable, qui constitue la condition première en tout à fait indispensable pour combattre la toxicomanie. Une politique de ce genre implique une multitude de mesures et doit être permanente. Les mesures unilatérales et, qui plus est, prises de façon espacée, sont tout à fait inutiles.

C. Discussion

Une membre déclare que l'exposé de M. Pelc a fait sur elle une impression profonde. Les dépendances en général et le tabagisme en particulier sont dus à toute une série de facteurs qui se chevauchent. L'interdiction de faire de la publicité ne peut dès lors être la clef de voûte d'une politique en la matière, mais doit aller de pair avec toute une série d'autres mesures, qui sont effectivement plus difficiles à prendre et qui requièrent un effort permanent des pouvoirs publics.

Une question importante, à laquelle on n'a toujours pas répondu, est celle de l'efficacité de la publicité. En d'autres termes, la publicité contribue-t-elle à la consommation de tabac ? À cet égard, le professeur Frydman a montré de façon convaincante quelles techniques perverses les publicitaires utilisent pour inciter les jeunes à fumer, mais il n'a pas prouvé que ces techniques donnent des résultats en pratique.

L'argument selon lequel les sommes énormes qui sont dépensées en la matière ne le sont pas pour rien, ne convainc pas vraiment. Alors qu'il y a quelques années, on n'en démordait pas en ce qui concernait les grandes affiches lors des campagnes électorales, celles-ci sont actuellement considérées presque comme un danger pour le bon fonctionnement de la démocratie.

L'intervenante soupçonne fortement que personne ne peut donner de réponse définitive à la question de l'efficacité de la publicité et que l'on se trouve donc, ici, devant un terrain ouvert à la recherche scientifique. Personnellement, elle est tentée de croire M. Frydman lorsqu'il prétend que la consommation de tabac a connu une baisse spectaculaire en France après l'instauration de l'interdiction de faire de la publicité. Il n'y a toutefois aucune base objective pour le croire. Il y a quelques semaines, d'autres orateurs sont venus prétendre juste le contraire devant notre commission.

L'on peut d'ailleurs conclure, sur la base des propos de M. Pelc, qu'il est impossible de donner une réponse générale à cette question. Il faudrait également tenir compte d'autres facteurs et voir quelle a été leur influence sur l'évolution du nombre des fumeurs.

Une autre intervenante demande si l'on peut constater un rapport obligatoire entre le milieu social dans lequel on vit et le risque de devenir toxicomane.

M. Frydman rappelle ses propos de la semaine passée. Il dirige lui-même, depuis vingt ans, un programme concernant l'éducation et la santé. Il n'est en effet possible de faire de la prévention en matière de tabagisme que si l'on envisage une série de mesures qui permettent aux jeunes d'apprendre à décider de façon tout à fait autonome ce qui est bon pour eux.

L'interdiction de la publicité pour le tabac ne forme qu'une partie, certes importante, de cet ensemble. La publicité est en effet le seul facteur qui influence directement la consommation. Les autres facteurs énumérés par M. Pelc peuvent avoir une influence plus ou moins grande sur le risque de devenir fumeur, mais ne sont pas déterminants en tant que tels. L'on peut bien sûr toujours contester les chiffres en la matière. Les données que M. Pelc a fournies proviennent toutefois de la S.E.I.T.A., que l'on peut, malgré tout, considérer comme une source au-dessus de tout soupçon, étant donné que l'industrie du tabac y est représentée.

L'affirmation de l'industrie selon laquelle la publicité ne donnerait lieu qu'à des glissements entre marques n'est confirmée par aucune enquête indépendante. L'on peut comprendre que les jeunes Thaïlandais n'ont pas cité la publicité parmi les facteurs qui les poussent à fumer. Comme il a été expliqué, les techniques publicitaires sont très raffinées et influent sur l'inconscient. L'on ne se rend pas compte de l'influence qu'elles exercent, mais celle-ci existe bel et bien.

M. Pelc confirme que les chiffres cités par M. Frydman concernant la vente du tabac en France proviennent de la S.E.I.T.A., la régie française du tabac. Quant à lui, il dispose de données du « Comité d'éducation pour la santé » qui prouvent le contraire. Eu égard aux sources d'où sont issus les chiffres, l'on est confronté ici à une situation bizarre qu'il faudrait examiner de façon plus détaillée.

La structure nécessaire pour ce faire existe également. L'on a récemment créé, avec le professeur Bogaert de l'Université de Gand, la cellule « technology assessment » au sein du Conseil supérieur de l'hygiène qui publiera sous peu une étude portant sur les résultats de la politique de consensus en matière de méthadone. Rien n'empêche, avec un minimum de moyens, de créer une commission chargée d'examiner aussi cette question de la publicité pour le tabac. Cela ne peut toutefois se faire sur la base de deux ou trois documents.

Il insiste une fois de plus sur le fait qu'en général, aucune étude sérieuse ne parvient à prouver qu'il existe un lien entre la publicité pour les produits du tabac et leur usage. Une enquête détaillée à propos des résultats de l'interdiction totale dans un certain nombre de pays de l'O.C.D.E., parue en 1993, n'est pas davantage en mesure de répondre à cette question (Michel J. Stewart, « The effect on tabacco consumption of advertising bans in OECD countries », International journal of advertising , Volume 12, numéro 2, 1993).

M. Pelc remarque ensuite qu'en Thaïlande, en effet, aucun lien direct n'a été constaté entre la situation sociale dans laquelle on se trouve et le risque d'accoutumance. Comme on l'a déjà dit, le risque n'est en effet pas déterminé par un seul facteur, mais par une combinaison de circonstances et de caractéristiques individuelles. C'est pourquoi il voudrait une fois de plus souligner que les enquêtes qui sont effectuées dans ce domaine doivent, autant que possible, être axées sur les conditions locales. Les risques que courent les personnes défavorisées dans le Hainaut sont, par exemple, d'une nature tout à fait différente qu'à Anvers, en raison de la diversité de nombreux autres facteurs environnants.

Il n'empêche que certains facteurs sont plus importants que d'autres. La façon dont est exercée l'autorité parentale, les liens affectifs qui existent au sein de la famille, semblent être des éléments qui jouent partout un rôle important, tant en Thaïlande qu'en Occident.

Une membre fait remarquer que l'on ne dispose manifestement toujours pas du matériel scientifique nécessaire pour pouvoir obtenir une réponse définitive à la question de l'influence de la publicité sur la consommation des produits de tabac. Elle-même est tentée de croire M. Frydman. Le secteur publicitaire reçoit beaucoup d'argent et dispose d'importantes connaissances professionnelles, qui se basent tant sur la recherche que sur l'évaluation de ses propres campagnes.

La publicité ne se contente d'ailleurs pas seulement de chanter les louanges d'un produit. Elle crée également un besoin; qui plus est, elle détermine dans une certaine mesure les normes du comportement social. Aussi faut-il, en tant qu'individu, être doté d'une forte personnalité pour pouvoir adopter une attitude critique et indépendante à l'égard de la publicité.

Lorsque ces normes influent directement sur la santé et que la collectivité doit en payer le prix, celle-ci a le droit d'imposer des restrictions à la publicité. Ces restrictions ne suffiront bien entendu pas et il conviendra de prendre des mesures d'accompagnement. L'existence de celles-ci ne peut toutefois pas constituer un alibi pour reporter indéfiniment l'interdiction de la publicité pour le tabac.

Une autre intervenante partage le point de vue selon lequel la publicité constitue un élément important de notre système économique et est régie par les mêmes lois que celui-ci. Ce système vise à porter la production et, dès lors, la consommation, à un maximum, ce qui entraîne la création de nouveaux besoins.

L'on ne peut toutefois pas nier qu'en raison, notamment, de l'importance de la publicité, l'instauration d'une interdiction de celle-ci présente également un important aspect social et qu'il faut réfléchir très sérieusement à la question avant de prendre une décision en la matière.

La Chambre des représentants a eu le courage d'approuver la proposition radicale qui nous est soumise, ce qui constitue un signal politique important. Le Sénat faillirait toutefois à son devoir en laissant les choses en leur état actuel et en ne délibérant pas au sujet des éventuelles mesures supplémentaires qui s'imposent ­ comme l'ont montré les orateurs ­ pour réduire le tabagisme.

Un autre intervenant remercie les deux orateurs parce qu'il est indéniable que le débat, tel qu'il est mené en commission, a permis d'éclaircir une série de difficultés sur lesquelles la Chambre des représentants est passée trop rapidement.

Actuellement, il n'est pas scientifiquement établi qu'une interdiction de la publicité entraînerait une diminution sensible de la consommation des produits du tabac. Le point de comparaison dont on dispose en l'occurrence est la situation en France et le moins qu'on puisse dire, c'est que les avis sont très partagés en la matière.

Cela est important. En effet, il serait injustifié de prendre une mesure qui aurait de lourdes conséquences sur l'emploi, mais dont il s'avérerait par la suite qu'elle n'a aucun effet, malgré les bonnes intentions.

Il est évident qu'en matière de publicité, tout ne doit pas être possible et qu'il faut établir des règles. Cependant, après tout ce qui s'est dit en commission, le Sénat ne serait pas à la hauteur de sa tâche s'il réglait le problème en adoptant simplement le projet à l'examen et s'il ne réfléchissait pas à des mesures qui contribueraient véritablement à une diminution de la consommation de tabac, en particulier chez les jeunes.

AUDITION DU 8 JUILLET 1997 DE MME MARLEEN LAMBERT DU « COÖRDINATIECOMITÉ ALGEMENE TABAKSPREVENTIE » CONCERNANT LA SITUATION JURIDIQUE AUX ÉTATS-UNIS

A. Exposé de Mme Lambert

Mme Lambert résume l'accord qui a été conclu aux États-Unis entre le ministère public, les organisations de santé et l'industrie du tabac. Cet accord est sans nul doute une étape sur la voie de la réduction du tabagisme.

Son objet est de réaliser des progrès importants dans la prévention du tabagisme, surtout chez les jeunes, en faisant financer par l'industrie du tabac une partie des coûts des soins de santé provoqués par le tabagisme et en limitant la vente et la distribution des produits du tabac ainsi que le marketing et la publicité pour ceux-ci.

L'accord a été signé le vendredi 20 juin 1997 par les parties concernées et doit encore être ratifié par le congrès, puis approuvé et signé par le président des États-Unis.

Force est de se demander dans quelle mesure les dispositions seront maintenues. Il s'agit d'un accord à grande échelle qui peut se résumer en une douzaine de points.

1. Disponibilité pour les jeunes

Une première série de mesures importantes vise à rendre le tabac moins disponible pour les jeunes et prévoit notamment :

­ une interdiction totale de la vente aux jeunes de moins de 18 ans. La preuve de l'âge peut s'obtenir au moyen d'un contrôle d'identité;

­ la fixation du nombre minimal de cigarettes par paquet à 20 unités et l'interdiction de la vente de cigarettes à la pièce;

­ l'interdiction de distribuer des échantillons gratuits;

­ l'interdiction de tout distributeur automatique;

­ l'exposition de produits de tabac derrière les comptoirs et hors d'atteinte des consommateurs. Les produits de tabac ne peuvent pas être vendus par le biais du self-service;

­ des limitations supplémentaires pour ce qui est de la vente par correspondance (les entreprises en question doivent montrer qu'elles disposent d'un système efficace qui permet de vendre exclusivement aux adultes);

­ un système national de licences pour les vendeurs de produits de tabac, avec des amendes progressives et des suspensions en cas d'infraction à la règle de « non-disponibilité pour les jeunes » et aux dispositions qui ont été prises en matière de marketing. Le système des licences vaut pour l'ensemble des vendeurs de produits contenant de la nicotine, les producteurs, les distributeurs, les grossistes, les détaillants et les importateurs y compris;

­ la possibilité, pour les États et les pouvoirs publics locaux, de fixer des règles plus strictes.

2. Marketing et publicité

Actuellement, les restrictions imposées aux États-Unis à la publicité pour le tabac sont minimes. L'accord prévoit des restrictions qui sont déjà en vigueur en Belgique ou qui figurent dans le projet de loi interdisant totalement la publicité. Il s'agit de :

­ l'interdiction d'apposer des images humaines et des images de personnage sur l'ensemble des publicités et des paquets de cigarettes (cf. Marlboro Man, Joe Camel);

­ l'autorisation des seules publicités textuelles en noir et blanc dans les magazines et les journaux qui s'adressent aux jeunes;

­ l'interdiction d'utiliser des marques de produits autres que le tabac pour des produits de tabac;

­ l'interdiction d'utiliser un logo, un nom ou un slogan sur des produits qui ne sont pas des produits de tabac, comme les vêtements et les équipements;

­ l'interdiction d'offrir des cadeaux en cas d'achat de produits à base de tabac;

­ l'exigence que l'on appose une autorisation de la F.D.A. sur les publicités;

­ l'interdiction de sponsoriser des manifestations, même s'il s'agit de manifestations sportives et culturelles;

­ l'interdiction de tout panneau publicitaire et de toute enseigne, y compris de panneaux dans les stades et les arènes et de panneaux orientés vers l'extérieur dans les espaces fermés comme les magasins;

­ des restrictions supplémentaires à la publicité dans les points de vente : limitation des dimensions et du nombre, éloignement des publicités de la vue des enfants, interdiction de les placer à proximité de friandises et d'autres marchandises qui attirent les enfants;

­ l'interdiction de la publicité sur Internet et la promesse que l'on utilisera toutes les techniques disponibles pour éviter que la publicité pour le tabac placée sur Internet, à l'étranger, ne soit accessible aux États-Unis;

­ l'interdiction de la publicité indirecte au cinéma ou à la télévision;

­ l'interdiction de payer des personnalités célèbres et de leur verser des dédommagements pour qu'elles fument dans des films ou à la télévision, et l'interdiction pour toute autre personne ou entité de présenter les choses, au cinéma et à la télévision, de telle manière que la consommation de tabac paraisse attrayante et magique, ainsi que l'interdiction de toute activité en ce sens;

­ sans limiter les compétences ordinaires de la F.D.A., modérer l'utilisation de mots comme « light », que l'on utilise actuellement dans certains noms de produits et qui donnent à penser que les produits sont bons pour la santé.

3. Éducation et contre-publicité

On libérera des fonds qui pourront être consacrés au programme d'éducation et de contre-publicité le plus important, au niveau national.

4. Mises en garde sanitaires

­ L'on modifiera le système des mises en garde sanitaires, par analogie avec ce que l'on a fait au Canada. Voici quelques exemples de ces mises en garde :

« Attention : les cigarettes provoquent une dépendance. »

« Attention : les cigarettes provoquent le cancer. »

« Attention : fumer peut te tuer. »

« Attention : la fumée du tabac provoque des maladies pulmonaires mortelles chez les non-fumeurs. »

­ Les mises en garde sont placées, comme au Canada, sur la partie supérieure de la face avant des paquets de cigarettes et sur la face la plus en évidence de l'emballage des produits du tabac qui ne se fument pas.

­ Les mises en garde seront imprimées, comme au Canada, sur la partie supérieure de la face avant, en lettres blanches sur fond noir. Elles occuperont quelque 25 % de la surface avant du paquet. Tous les trois mois, les mises en garde sont apposées sur les produits d'une autre marque.

5. Publicité totale

L'industrie du tabac modifie sa position concernant les dommages que provoquent ses produits. Des documents non publiés et confidentiels (et, notamment, des documents internes) doivent être publiés. L'on peut déroger à la règle en question, par exemple en ce qui concerne les secrets commerciaux.

6. Le groupe cible des jeunes

L'industrie sera passible d'amendes si la consommation de tabac chez les jeunes ne diminue pas de 30 % en cinq ans, de 50 % en sept ans et de 60 % en dix ans.

Le montant des amendes sera basé sur la valeur que représente un jeune fumeur pour l'industrie, dans la vie entière d'un individu. La base de mesure du tabagisme des jeunes sera une moyenne de la prévalence des dix dernières années.

Les amendes pourront être réduites de 75 % au maximum si l'industrie peut démontrer qu'elle a pris toutes les mesures possibles pour réduire la propension à fumer, bien que les pourcentages susmentionnés ne soient pas atteints.

7. Financement d'activités de prévention du tabagisme des communautés locales et des États

Les efforts intenses de prévention du tabagisme des États et des communautés locales en vue de réduire la consommation de tabac s'avèrent fructueux. Toutefois, les programmes actuels sont sous-financés et leur financement est compromis.

L'accord prévoit que les activités de prévention du tabagisme des États et des communautés locales seront financées par des fonds de l'industrie du tabac suivant le programme A.S.S.I.S.T., qui a prouvé son efficacité.

8. Désaccoutumance

L'on puisera dans les fonds qui seront dégagés par l'industrie pour financer des programmes et des techniques de désaccoutumance à l'usage de ceux qui veulent arrêter de fumer et pour lesquels le coût constitue un obstacle. Ces fonds sont mis à la disposition de tout le monde dans le pays.

9. La protection contre la fumée dans l'entourage

Il n'existe, à ce jour, aucune législation ni aucune norme fédérale concernant la consommation de tabac dans les lieux publics.

L'accord limitera la consommation de tabac dans les lieux publics et dans la plupart des ateliers, en ne l'autorisant plus que dans des locaux isolés pourvus d'une ventilation, où les non-fumeurs ne devront pas passer et dont l'air pollué sera évacué.

Pour éviter une forte opposition du secteur Horeca, l'on n'appliquera pas ladite limitation aux restaurants (à l'exception des fast-foods ), aux casinos, aux salles de bingo et aux bars.

À cet égard en tout cas, la législation belge est nettement plus stricte.

La législation fédérale n'empêchera pas les États et les communautés locales de maintenir ou d'instituer des mesures plus restrictives.

10. La culture des entreprises du secteur du tabac

Il n'existe actuellement, aux États-Unis, aucun mécanisme garantissant que l'industrie changera sa culture et se conformera à la lettre ou à l'esprit de la législation existante.

En vertu de l'accord :

­ les producteurs devront développer un plan détaillé d'observation de la législation et fournir une description de la manière dont ils comptent se conformer à la loi;

­ les entreprises devront établir des projets stimulateurs pour inciter au changement de culture et procéder à des contrôles internes pour constater des infractions et dresser des rapports à leur sujet;

­ les entreprises devront rédiger un code de conduite impliquant une surveillance externe, un système d'audit et des rapports pour les actionnaires et la F.D.A.

11. Les compétences de la F.D.A.

­ L'industrie mettrait fin à l'actuel litige en matière de compétences et les compétences de la F.D.A. seraient confirmées explicitement. Le tabac resterait classé dans la catégorie des drogues et des produits relevant de la « Food, Drug and Cosmetic Act » et le pouvoir de l'agence de régulariser les produits en tant que médicaments sera reconnu.

­ La compétence de la F.D.A. en matière de régularisation de la nicotine, des carcinogènes et de toutes les autres substances du tabac sera reconnu. L'agence créera à cette fin un conseil scientifique consultatif.

­ La F.D.A. doit pouvoir démontrer qu'aucun marché noir n'apparaîtra à la suite de limitations du taux de nicotine, là où l'on vendra des cigarettes à taux de nicotine élevé.

­ Tous les ingrédients autres que le tabac, dans les produits de tabac, devront satisfaire aux normes de sécurité fixées par la F.D.A., et l'industrie devra prouver qu'ils ne sont pas nuisibles en cas d'utilisation normalement prévue.

­ Les entreprises du secteur du tabac doivent fournir à la F.D.A. toutes les informations relatives aux additifs et rendre publique la liste de tous les additifs comme est rendue publique la liste des ingrédients qui entrent dans la fabrication des produits alimentaires.

­ On exigera des entreprises qu'elles utilisent les meilleures techniques disponibles pour fabriquer et vendre des produits présentant un « risque moindre ».

­ Les mentions implicites en matière de santé que les entreprises invoquent, comme « taux de goudron peu élevé » et « taux de nicotine peu élevé », sont strictement réglementées par la F.D.A.

­ La F.D.A. instituera le droit à l'inspection des entreprises, à la consultation et à la conservation des rapports.

­ L'industrie doit communiquer à la F.D.A. toutes les études actuelles et futures et toutes les informations non publiques relatives à la santé, la toxicité, l'accoutumance et la dépendance.

12. La responsabilité de l'industrie du tabac

­ L'industrie du tabac paiera quelque 368,5 milliards de dollars en 25 ans, dont quelque 60 milliards à titre de dédommagement pour son comportement antérieur.

­ Le droit individuel de réclamer des dommages-intérêts est maintenu. L'industrie est tout à fait responsable du paiement de dommages-intérêts aux individus pour son comportement futur. Les entreprises du secteur du tabac doivent réserver 4 milliards de dollars par an pour le paiement de dommages-intérêts résultant d'affaires judiciaires individuelles.

­ Les procès intentés par les procureurs généraux feront l'objet d'un compromis en contrepartie des concessions faites en matière de santé. L'industrie paiera un montant substantiel aux États à titre d'indemnisation des frais liés au tabac qu'ils auront supportés. Le financement en faveur des États est suffisamment élevé pour permettre l'extension du bénéfice de l'assurance-maladie aux enfants non assurés.

­ Les procès de groupe, appelés « class action suits » , feront également l'objet d'un arrangement. Les futurs procès de groupe basés sur le comportement antérieur de l'industrie du tabac ne seront pas autorisés.

­ L'industrie du tabac cessera toutes les affaires judiciaires en cours contre la F.D.A.

­ L'Institut du tabac et le Conseil de recherches sur le tabac sont dissous.

Mme Lambert formule ensuite une série d'observations relatives à l'accord.

­ L'accord comporte des dispositions qui sont déjà applicables en Belgique et dans d'autres pays européens, parce que les mesures fédérales de prévention du tabagisme aux États-Unis sont beaucoup plus limitées que les mesures qui ont déjà été prises en Belgique : les limitations imposées actuellement à la publicité pour le tabac et le projet de loi relative à une interdiction totale de la publicité, la réglementation concernant le taux de goudron et de nicotine, les avertissements sur les paquets, la taxation des produits de tabac. Aux États-Unis, les taxes ne représentent que 30 % du prix, contre 75 % en Belgique. L'accord intervenu aux États-Unis s'y substitue donc à des mesures légales que les autorités belges ont déjà prises.

­ L'accord intervenu aux États-Unis porte préjudice à l'industrie du tabac américaine, mais il n'a force de loi que dans ce pays. L'industrie du tabac voudra consolider son marché aux États-Unis et étendre les marchés extérieurs (en Asie, dans les pays en développement, en Europe de l'Est, dans l'ancienne Union soviétique). En d'autres termes, le problème de la consommation de tabac est exporté.

­ Le principal résultat de l'accord pour les pays étrangers est le mea culpa de l'industrie du tabac, qui reconnaît que le tabac crée une accoutumance et que l'industrie s'adresse aux jeunes. L'accord permet toutefois à l'industrie du tabac d'obtenir l'immunité contre les actions portant sur des préjudices graves intentés par des États ou des groupes d'individus.

­ Le financement par l'industrie du tabac (370 milliards de dollars) sera imputé aux fumeurs américains, par le biais d'une augmentation du prix des produits du tabac. Ceux-ci coûteront environ 3 dollars le paquet, ce qui équivaut à une forte augmentation des taxes et élève le prix à peu près au niveau de l'Europe du Nord.

­ La plupart des dispositions de l'accord entreront en vigueur dans l'année de leur vote par le congrès et de la signature par le président.

­ L'accord intervenu aux États-Unis et les actions en dommages-intérêts dans le reste du monde pourraient aboutir à un accord mondial.

­ En réaction à l'accord, les principales organisations de protection de la santé et antitabac ont rédigé une déclaration internationale, qui exprime leur préoccupation face aux conséquences (internationales) de la signature et de l'entrée en vigueur de l'accord.

La déclaration comporte treize recommandations, parmi lesquelles :

­ l'exigence que l'industrie du tabac aux États-Unis se conforme à un code de conduite international en matière de marketing visant les enfants, de publicité et marketing, d'étiquetage et d'actions en vue de réduire le nombre des nouveaux jeunes fumeurs;

­ l'exigence que l'industrie du tabac des États-Unis offre d'indemniser les autorités étrangères (services de santé);

­ l'exigence que les entreprises du secteur du tabac versent chaque année 10 milliards de dollars à l'O.M.S. ou à d'autres organisations internationales pour financer des programmes de prévention du tabac.

­ Au début du mois de juin s'est tenu, à Bruxelles, un congrès consacré aux actions en dommages-intérêts intentées contre l'industrie du tabac, sous les auspices des organisations de lutte contre le cancer. Le congrès a notamment décidé de coordinner les actions intentées au sein de l'Union européenne en vue de récupérer auprès de l'industrie du tabac le coût des soins de santé pris en charge.

­ L'accord a pour effet d'obliger la Belgique, entre autres, à placer la réglementation à un niveau identique : par exemple en matière d'avertissements pour la santé et d'interdiction de la vente par distributeur automatique.

­ La procédure applicable aux États-Unis est différente de la procédure belge, par exemple. Elle se déroule sur la base du principe « no win, no fee ». En Europe, les avocats doivent toujours être payés (et pas uniquement en cas d'issue positive), et les indemnisations qui ont déjà été prononcées en Belgique sont au moins dix fois inférieures à celles des États-Unis. En Belgique, contrairement à la France, les organisations de protection de la santé ne possèdent pas la personnalité juridique et ne disposent pas des moyens pour intenter une action en justice.

B. Discussion

Une membre remercie l'intervenante pour la clarté de l'aperçu qu'elle a donné de ce dossier très complexe. Du point de vue des principes, cet accord est en tout cas important parce que l'industrie du tabac y reconnaît les risques que le tabagisme représente pour la santé. Un pays comme la Belgique est sans aucun doute plus avancé que les États-Unis en ce qui concerne la réglementation relative au tabac, mais on trouve dans cet accord une série d'éléments qui méritent d'être envisagés chez nous également. Le fait de limiter la disponibilité des cigarettes pour les jeunes en interdisant, par exemple, les distributeurs automatiques, peut effectivement avoir un effet très dissuasif.

Elle souligne que l'accord a vu le jour dans un contexte juridique spécifiquement américain, qui est très différent du contexte européen. La manière dont on peut engager un procès et celle dont le barreau est organisé permettent de forcer plus facilement les producteurs à faire des concessions aux États-Unis, en réclamant des dommages et intérêts considérables. On peut cependant se demander si un tel système de procédures judiciaires, qui permet de prendre en otage des industries entières, ne présente pas autant d'inconvénients que d'avantages.

Une autre intervenante souligne que cette audition se situe dans le cadre de la discussion d'un projet de loi visant à interdire totalement la publicité pour le tabac et la sponsorisation par ses producteurs. Quelle est exactement la situation aux États-Unis sur ce plan et quel est le point de vue de l'organisation que Mme Lambert représente à propos d'une telle interdiction ?

Mme Lambert répond que même avec cet accord, les règles en matière de publicité pour le tabac sont nettement plus souples aux États-Unis qu'en Belgique. Certes, on ne peut plus montrer de personnages réels ou fictifs dans les messages publicitaires, mais les images d'ambiance restent autorisées.

De plus, il est toujours possible de faire de la publicité dans certains médias, tels que le cinéma et la télévision, ce qui n'est pas le cas en Belgique. La publicité ne peut pas s'adresser aux jeunes et, dans le cadre de cette interdiction, la F.D.A. peut s'opposer à l'insertion de textes publicitaires dans les médias (revues) qui s'adressent spécifiquement aux jeunes. On peut se demander quelle est l'efficacité d'une telle mesure. En effet, la majorité des médias ne s'adressent pas spécifiquement aux jeunes, qui n'en entrent pas moins en contact avec eux.

Il importe cependant de souligner que face à cette souplesse de la réglementation en matière de publicité, il est absolument interdit de sponsoriser quelque manifestation que ce soit.

Le point de vue du « Coördinatiecomité algemene tabakspreventie » n'est pas différent de celui de la Coalition nationale contre le tabac. L'organisation est en faveur d'une interdiction totale de la publicité directe et indirecte ainsi que de la sponsorisation. L'expérience, en effet, nous apprend que toute réglementation concernant la forme ou le contenu des messages publicitaires ou le média est immédiatement contournée.

Une membre estime que l'on peut tirer une série de leçons de la situation aux États-Unis.

Tout d'abord, il s'avère ici également qu'interdire la publicité ne suffit pas pour réduire le tabagisme. Les mêmes mesures reviennent sans cesse : une interdiction visant les petits conditionnements et les distributeurs automatiques, ainsi que l'organisation de campagnes d'information s'adressant surtout aux jeunes et financées par un impôt sur les produits du tabac.

Ensuite, on peut se demander si une interdiction de vendre des cigarettes aux jeunes aurait un sens dans un pays tel que la Belgique. Ce serait en tout cas déplacer des producteurs vers les détaillants la responsabilité du tabagisme des jeunes, ce qui ne saurait être le but recherché.

Enfin, on peut constater qu'aux États-Unis également, on estime qu'une interdiction de la sponsorisation est plus importante qu'une interdiction de la publicité. La sponsorisation a en effet davantage d'influence, certainement sur les jeunes, que les formes classiques de publicité. Le texte du projet de loi à l'examen perdrait dès lors tout son sens si, par des amendements, on prévoyait des exceptions permettant de sponsoriser des courses automobiles ou des activités culturelles.

Ensuite, elle souligne que jusqu'à présent, dans le cadre de ce débat, personne n'a pu fournir de chiffres concernant l'évolution du tabagisme, soit en général, soit chez les jeunes, en Belgique ou dans d'autres pays européens, qui ne sont contestés par personne. On peut dès lors s'interroger sur l'obligation qu'ont acceptée les producteurs américains de tabac de réduire de 60 % en dix ans la consommation des jeunes. Qui pourra contrôler cela ?

À cette question Mme Lambert répond que pour déterminer le nombre des jeunes fumeurs, les États-Unis se fondent sur la moyenne des dix dernières années. L'accord stipule qui procède aux comptages et la manière de le faire. Les chiffres sont rassemblés par un seul centre universitaire, qui est reconnu par l'ensemble des intéressés.

Il est vrai que les chiffres sont très diffus en Belgique. Le C.R.I.O.C. fait régulièrement des enquêtes auprès des adultes, qui reflètent les tendances en matière de tabagisme.

Il n'y a toutefois pas d'enquête portant sur les jeunes. Dans le cadre de son programme « L'Europe contre le cancer », la Commission européenne réalise des enquêtes, mais pas de manière suffisamment régulière pour pouvoir fournir des informations fiables sur l'évolution.

En Flandre, les Universités de Gand et d'Anvers procèdent régulièrement à des comptages chez les 11-18 ans, sous les auspices de l'Organisation mondiale de la santé. Dans ce cadre, on dispose bel et bien de chiffres fiables pour les années 1990, 1994 et 1996, qui montrent également une évolution. Cependant, ces données ne concernent que la situation en Flandre.

Ce manque de chiffres ne caractérise cependant pas que la seule problématique du tabac; c'est un problème auquel l'ensemble du secteur de la prévention en matière de santé est confronté.

Il est évident que si, dans le cadre de la politique, on veut formuler des objectifs clairs de réduction de la consommation du tabac, il faut disposer d'une méthodologie de rassemblement des données chiffrées qui fasse l'objet d'un large consensus.

AUDITION DU 15 JUILLET 1997 DE M. M. MICHIELS, DIRECTEUR DE L'AGENCE DE PUBLICITÉ QUATTRO DMB & B

A. Exposé de M. Michiels

M. Michiels, qui a travaillé à la fois pour des agences nationales et internationales, affirme tout d'abord qu'il n'a jamais vu une campagne menée avec ce que l'on appelle des « séducteurs cachés ». Il n'empêche qu'il est possible que de telles campagnes aient été menées. M. Michiels précise son point de vue relatif à la publicité sur la base de sa propre expérience et de la lecture qu'il fait du présent projet de loi.

Pourquoi fume-t-on ?

Outre la nicotine, il y a à la base du tabagisme tout ce qui a trait au stress, à l'évasion, à la virilité mise en avant par certaines campagnes, aux moments de détente, etc. C'est une convergence d'arguments rationnels et, surtout, émotionnels. La preuve que les arguments rationnels ne sont guère déterminants est que malgré les mises en garde contre les dangers du tabagisme sur les paquets eux-mêmes, malgré l'augmentation du prix ­ où l'on joue sur les deux éléments de la mercatique, à savoir le produit et le prix ­ et malgré toutes sortes de campagnes, les résultats sont maigres en matière de réduction de la consommation.

Comment en vient-on à fumer ?

Nombreuses sont les études qui montrent que l'environnement social ­ les pairs ­ est important. Voir le produit, voir la marque sous toutes les formes possibles et, évidemment, voir de la publicité, influence le comportement.

La question est alors de savoir : comment fonctionne la publicité ? Incite-t-elle les gens à fumer ou incite-t-elle plutôt les fumeurs à changer de marque ?

Selon M. Michiels, la publicité parvient surtout à faire changer les fumeurs de marque, et ce, en raison du principe de la « perception sélective » : les gens ne voient que les choses qui les intéressent.

Celui qui souhaite acquérir une voiture voit la publicité pour les voitures; celui qui n'est pas dans un tel état d'esprit ne remarque pas cette publicité. Cela vaut également pour les fumeurs.

Néanmoins, il ne faut pas exclure que la publicité ait également un effet sur les non-fumeurs.

M. Michiels a l'impression qu'au cours de la discussion du projet de loi, l'on a confondu deux choses et que l'on a « mis la charrue avant les boeufs ».

En effet, il s'agit de protéger les citoyens, en particulier les jeunes, contre les effets nocifs du tabagisme et le problème n'est pas tellement la publicité pour les produits du tabac en tant que telle. Ce qui est nocif, ce n'est pas le fait de regarder la publicité, mais bien de fumer.

La question principale est donc : comment faire en sorte que les gens ne fument plus ou ne commencent pas à fumer ?

M. Michiels se demande quel sera l'effet de l'interdiction de la publicité pour le tabac et comment faire en sorte que les jeunes ne commencent pas à fumer.

Les éléments ayant une influence décisive sur le tabagisme, à savoir l'environnement social, la présence du produit dans la distribution et la présence des marques à toutes sortes de manifestations, restent inchangés. Certains disent même que les jeunes, surtout, seraient davantage attirés par ce qui est interdit. Il faut donc relativiser l'effet d'une interdiction de la publicité pour le tabac.

Les expériences faites à l'étranger en matière d'interdiction de la publicité ne sont pas univoques. Il y a des pays où, malgré l'interdiction de la publicité, la consommation a augmenté.

Interdire la publicité pour réduire le tabagisme est une chose trop simpliste; la clef du combat contre le tabagisme se trouve non pas dans l'interdiction de la publicité, mais dans l'organisation de campagnes antitabac.

Il faut encourager les adultes et les jeunes à ne pas fumer. Le débat sur le projet de loi s'écarte en partie de la question.

S'il était socialement attrayant de ne pas fumer, si l'on motivait les jeunes rationnellement et surtout émotionnellement à ne pas fumer, il y aurait une chance raisonnable que le message passe.

B. Discussion

Une membre admet que la publicité pour le tabac n'est qu'un des volets du problème. Les campagnes antitabac ne sont elles aussi qu'un moyen d'influer sur le comportement des fumeurs. Elle ne comprend pas comment les campagnes antitabac pourraient être efficaces sur le comportement des jeunes alors que la publicité pour le tabac n'aurait qu'une influence limitée.

M. Michiels précise qu'à son avis, la publicité pour le tabac a moins d'influence sur les non-fumeurs que sur les fumeurs. Donc, les jeunes qui auraient envie de fumer seront sensibles à une publicité antitabac.

La membre demande, par ailleurs, quelles pourraient être les objections à une interdiction de la publicité pour le tabac. Serait-ce une mauvaise mesure ?

Selon M. Michiels, son impact serait limité. On pourrait l'estimer à 10 % au maximum. Pourquoi tout axer sur ces 10 % et ne rien faire pour les 90 % restants ?

Il faut se demander, par ailleurs, où cette politique s'arrêtera ? Peut-on interdire la publicité pour tous les produits que l'on peut se procurer librement dans le commerce, mais qui sont censés nuire d'une façon ou d'une autre à la santé ?

Une intervenante estime qu'il faut mener des campagnes, plus particulièrement dans les écoles, pour motiver les jeunes à ne pas fumer. Les communautés, qui sont compétentes en matière d'enseignement, doivent prendre leurs responsabilités et adapter les programmes scolaires.

Une autre membre retient de l'exposé de M. Michiels que la publicité n'est qu'un seul élément du problème. Or, il faut résoudre tout le problème. Il convient, dès lors, tout d'abord, de prendre des mesures visant à rendre le produit en question plus discret. L'on a déjà suggéré d'interdire les distributeurs automatiques.

Elle est d'accord sur la remarque selon laquelle la publicité n'est qu'un des éléments qui incitent les jeunes à se mettre à fumer, mais elle doute néanmoins lorsqu'on affirme que l'influence de la publicité serait fort limitée.

M. Michiels répète que la publicité n'est pas primordiale pour conditionner le comportement d'une personne. Le plus difficile, dans tous les domaines, est de convaincre une personne de faire quelque chose pour la première fois. Il est plus aisé d'asseoir un comportement d'acheteur. La publicité influence donc les personnes qui utilisent ou consomment un produit donné. L'on peut estimer que l'impact de la publicité sur les personnes qui n'appartiennent pas (encore) à cette catégorie oscille entre 0 et 5 %.

En tout cas, une interdiction de la publicité ne résoudrait pas grand-chose, sinon rien. Comme on l'a déjà dit, il faut motiver les fumeurs à ne plus fumer. En interdisant la publicité pour le tabac, l'on crée, en outre, un précédent qui risque d'entraîner une interdiction de la publicité pour l'alcool et ... finalement pour tout.

Cela fait dix ans que l'on cherche une solution, mais on est sur la mauvaise voie. Le projet de loi n'apporte qu'un semblant de solution.

Un membre note que le comportement est sans aucun doute influencé par la publicité. M. Michiels estime que la publicité a peu d'influence, mais que faut-il alors penser de la violence à la télévision ?

M. Michiels réplique qu'il y a certes un impact mais que celui-ci est plus grand chez les consommateurs que chez les non-consommateurs.

Il répète qu'interdire la publicité ne résout pas le problème.

Le membre estime aussi qu'il n'est pas possible d'établir une comparaison avec d'autres produits. Pour d'autres biens, par exemple les voitures, il n'est pas question de dépendance.

M. Michiels rappelle sa position selon laquelle l'on peut estimer l'influence de la publicité pour le tabac à 10 % au maximum et celle des campagnes antitabac à 90 %. Si on laisse subsister simultanément ces deux types de campagnes, comme il le demande, la préférence ira définitivement aux campagnes antitabac, parce qu'elles sont plus acceptables qu'une interdiction de certaines pratiques.

L'opinion publique risque, par ailleurs, dès lors qu'on aura interdit la publicité, de s'imaginer que le problème est résolu. Or, l'on n'aura rien résolu ainsi, les gens continueront à fumer tant que le produit sera en vente. Déclarer qu'il faut interdire la publicité pour le tabac parce que le tabac est nocif, est une simplification fallacieuse. Il faut persuader les citoyens de ne pas fumer et leur donner des raisons de ne pas le faire, c'est-à-dire souligner le caractère nocif du tabac.

Une intervenante fait remarquer que l'intention n'est pas de faire le procès de la publicité. La commission se propose d'examiner quel est l'impact de la publicité pour le tabac sur la consommation et comment les jeunes réagissent aux campagnes ­ menées par l'industrie du tabac elle-même ­ qui visent à décourager le tabagisme. Il s'agit, en l'espèce, d'une initiative que propose l'industrie du tabac pour pouvoir, par ailleurs, continuer à faire de la publicité.

Compte tenu de ce qu'a dit M. Michiels dans son exposé, une telle campagne de dissuasion pourrait s'avérer efficace.

Une autre membre ne croit pas qu'une interdiction de la publicité permettra de tout résoudre, mais l'interdiction pourrait n'être que l'une d'un ensemble de mesures.

M. Michiels en est convaincu. Il sait qu'une publicité antitabac a eu des résultats en Grande-Bretagne. Il fait aussi référence à la campagne de publicité pour le lait que l'on a menée il y a quelques années. Elle a permis de conférer au lait une image de marque positive.

Au cours d'auditions précédentes, l'on a dit que la publicité pour le tabac s'adressait surtout aux jeunes par le ton qu'elle adopte, le choix des images, ... Une analyse de la publicité pour le tabac réalisée aux États-Unis révèle que par le ton émotionnel et le style, cette publicité s'adresse surtout aux jeunes filles de 11 à 12 ans.

M. Michiels peut-il confirmer que la publicité s'adresse aux jeunes ? Qu'en pense-t-il ?

Quelle est l'éthique interne du secteur de la publicité ? Quelles limites ce secteur s'impose-t-il, quelles sont les évolutions récentes sur le plan éthique ou quel est le code de déontologie que le secteur applique ?

M. Michiels est d'avis ­ il parle d'ailleurs sur ce point, en son nom personnel ­ que l'on ne peut pas attendre du secteur de la publicité qu'il juge si un produit est nocif ou non.

La question est de savoir si ce produit est autorisé ou non par la loi. La loi est donc la norme.

L'on doit pouvoir communiquer librement à propos de ce qui est en vente libre (freedom of commercial speech) .

Lorsqu'un produit pose problème, il faut en réglementer la vente et non pas la publicité pour ce produit.

Il est logique que la publicité s'adresse aux jeunes, car c'est à leur niveau que commence le cycle de vie d'un produit. C'est un principe de marketing. Une règle d'or, qui s'applique aux campagnes s'adressant aux jeunes, est la suivante : ne faites pas de campagne pour les jeunes. Ce que souhaite un jeune, c'est être adulte. Une campagne s'adressant aux jeunes en tant que tels est contreproductive.

Une campagne de publicité menée uniquement dans les médias destinés aux jeunes n'est pas non plus productive; la campagne doit être plus large, plus agréable, mais jeune de style et de couleur.

Un membre fait référence à la campagne menée dans les magasins de tabac où l'on peut lire qu'ils ne vendent pas de tabac aux jeunes. Selon un expert, que l'on a entendu au cours de la séance précédente, une telle campagne est criminelle parce qu'elle vise à provoquer les jeunes et à les inciter à fumer.

M. Michiels rétorque que cette campagne est peut-être provocante, mais il est tout aussi provocant de bannir la publicité pour le tabac. Une telle interdiction pourrait accroître l'attrait du tabagisme auprès de certains jeunes.

Une intervenante fait encore remarquer qu'elle est favorable à des campagnes antitabac. Par ailleurs, elle considère que l'on ne peut pas recommander le tabac. Il faudrait même uniformiser les paquets, les rendre le plus neutres possible et leur enlever tout ce qui joue sur l'émotivité.

Actuellement, l'on créé tout un climat autour du tabagisme. Si ce climat disparaissait, l'attrait du produit diminuerait.

Une autre intervenante demande encore dans quelle mesure le secteur de la publicité utilise des techniques subliminales.

M. Michiels répond que, dans aucune des campagnes auxquelles il a participé, au niveau national et au niveau international, il n'a jamais été question de telles techniques. Il n'exclut cependant pas qu'elles puissent être utilisées. À sa connaissance, elles ne sont toutefois pas utilisées en Belgique.

M. Michiels fait encore remarquer que le secteur de la publicité ne fonctionne pas ainsi. Il essaye de faire passer un message de manière créative sans plus. Il estime qu'il faudrait d'ailleurs interdire les techniques subliminales.

III. DISCUSSION DES AMENDEMENTS

Article 2

M. Coene dépose un amendement (nº 28) visant à interdire la vente aux mineurs d'âge de produits à base de tabac et à n'autoriser l'installation des distributeurs automatiques destinés à la vente desdits produits qu'à des endroits où ils sont inacessibles pour les mineurs d'âge.

L'auteur de l'amendement déclare qu'il peut souscrire complètement à l'objectif général qui sous-tend le projet et qui est de décourager la consommation de tabac chez les jeunes.

Il estime cependant que, pour ce faire, une interdiction générale de la publicité pour les produits du tabac ne constitue pas le moyen approprié. En outre, pareille interdiction a des conséquences importantes au niveau économique.

L'amendement vise à proposer une solution de rechange. La vente aux jeunes de produits à base de tabac est tout simplement interdite. En conséquence, les jeunes ne pourront bien entendu plus acheter de cigarettes à un distributeur automatique.

Une membre remarque que l'on a invoqué plusieurs arguments, au cours des auditions, contre l'interdiction complète de la vente aux jeunes des produits à base de tabac. Les organisations antitabac ne sont pas davantage demandeuses en la matière.

Elle peut toutefois souscrire à la deuxième partie de l'amendement, qui vise à limiter l'installation des distributeurs automatiques.

Un autre intervenant estime que l'amendement règle la vente des produits à base de tabac, et non la publicité. Il n'a pas sa place, en tant que tel, dans le projet à l'examen.

L'amendement est rejeté par 7 voix contre 3 et 3 abstentions.

Article 3

M. Coene dépose un amendement (nº 29) visant à interdire légalement la distribution gratuite de produits à base de tabac.

Pareille interdiction figure actuellement déjà dans un arrêté royal.

L'amendement est retiré.

M. Verreycken dépose un amendement (nº 33) visant à étendre le champ d'application des interdictions qui figurent dans le projet aux produits à base de cannabis.

Un membre convient qu'il n'est pas très utile, d'une part, de limiter la publicité pour le tabac et, d'autre part, d'autoriser en même temps la promotion de la consommation des drogues douces, qui sont bien plus nuisibles à la santé.

L'amendement est rejeté par 8 voix contre 1 et 4 abstentions.

MM. Hatry et Coene déposent un amendement (nº 14) visant à autoriser la publicité pour les produits à base de tabac sur la devanture de tous les locaux où ces produits sont habituellement mis en vente.

Un des auteurs de l'amendement explique que l'objectif de celui-ci est d'éliminer une discrimination qui figure dans le texte actuel. Celui-ci dispose en effet que seuls les magasins de tabac et de journaux peuvent, sur leur devanture, faire de la publicité pour les produits à base de tabac. Cette disposition est discriminatoire à l'égard des autres vendeurs de produits à base de tabac.

L'amendement est adopté par 10 voix contre 2.

La présidente attire ensuite l'attention sur les amendements de M. Ph. Charlier et Mme Milquet (nº 6), de Mme Lizin (nº 7), de M. Foret (nºs 8 à 13), de M. Delcroix (nº 15), de MM. Hatry et Foret (nºs 16 à 27) et de MM. Foret, Happart, Ph. Charlier et consorts (nº 32), qui ont certes un contenu différent, mais qui visent tous à inscrire dans le projet une exception en ce qui concerne la sponsorisation et le parrainage d'événements sportifs de nature mécanique et/ou de manifestations culturelles.

Un membre peut souscrire à l'importance des amendements précités. Au cours de la discussion en Commission des Finances et des Affaires économiques, le texte de l'amendement nº 32 semble avoir récolté la majorité des suffrages et a donc été soumis à l'avis du Conseil d'État.

Dans son avis, le Conseil d'État confirme tout d'abord que c'est le pouvoir fédéral qui est compétent en la matière. Outre un certain nombre de corrections de texte, il est fait état, dans cet avis, de la possibilité d'accorder des dérogations à l'interdiction de sponsorisation, mais uniquement si ces dérogations reposent sur des critères objectifs qui sont raisonnablement justifiés. Le Conseil d'État suggère également, dans son avis, d'inscrire dans le texte, la condition que la dérogation à l'interdiction de la publicité ne peut être accordée que pour des événements dont il est démontré que leur financement dépend dans une large mesure du parrainage ou du mécénat de l'industrie du tabac.

L'intervenant signale que l'on a tenu compte de ces observations lors de la rédaction du nouvel amendement nº 35 de M. Foret et consorts. La disposition qui est proposée permet la publicité pour les produits du tabac faite dans le cadre du parrainage ou de la sponsorisation d'événements concernant les sports motorisés ou culturels durant les six semaines qui précèdent l'événement.

Cette dérogation est accordée sur la base de critères arrêtés par le Roi, pour une durée de trois ans renouvelable. Cette dérogation ne peut toutefois être accordée que s'il est démontré que le financement et la viabilité de ces événements dépendent principalement des moyens issus de la sponsorisation.

Une autre membre estime tout d'abord que le texte de l'amendement n'est pas très clair et ouvre la porte à l'arbitraire. Qui va en effet déterminer à partir de quel pourcentage de financement il est porté atteinte à la viabilité d'un événement sportif ? Un événement financé à concurrence de 5 à 10 % par la publicité pour le tabac est-il menacé dans son existence si ces moyens lui sont retirés ?

De plus, la plus grande confusion règne encore en ce qui concerne la part que la publicité pour le tabac a dans les recettes des grands événements automobiles. Les organisateurs prétendent que cette part s'élève à 30 ou 40 %, mais d'aucuns mettent ces chiffres en doute. L'on peut se demander dans quelle mesure il est possible de contrôler ces affirmations.

L'intervenante souligne toutefois que l'on se trouve ici face également à une importante question de principe. Il est en effet apparu à maintes reprises au cours des auditions que la sponsorisation du sport automobile et des festivals de musique va bien plus loin que les formes classiques de publicité au moyen d'annonces ou d'affiches. Il est d'ailleurs très clair que l'industrie du tabac s'adresse, par cette voie, aux jeunes dans le but d'élargir le marché des produits du tabac.

Si l'on prévoit, dans le projet, une exception pour cette forme de publicité, le texte sera en grande partie vidé de sa substance.

Un troisième intervenant fait observer qu'après une discussion approfondie en Commission des Finances, une grande majorité s'est déclarée disposée à voter cet amendement. Celui-ci constitue en effet une disposition équilibrée, aux termes de laquelle l'on peut accorder, selon des critères stricts et dans un délai limité, des dérogations à l'interdiction de faire de la publicité, instaurée par le projet.

Personne ne conteste à ce jour que le tabac est nuisible à la santé et qu'il convient de limiter la consommation des produits à base de tabac. L'on va toutefois trop loin lorsqu'on impose, à partir de cette constatation, une interdiction générale de faire de la publicité.

En effet, la question qui se trouve au centre du débat est de savoir si certains événements, qui sont très importants d'un point de vue économique et culturel, tant dans le nord que dans le sud du pays, ne sont pas voués à disparaître si on les prive subitement de leur source de financement la plus importante. Le risque est réel de voir les organisateurs être contraints de déplacer leurs activités vers l'étranger. Un certain nombre de pays de l'Est ne demanderaient pas mieux que d'organiser des événements comme les courses de Formule 1. Notre pays perdrait dès lors les avantages que ces événements apportent, mais les messages publicitaires continueraient à être accessibles au consommateur belge par le biais de la télévision et de la presse écrite.

En plus des conséquences économiques, la disparition d'événements de ce genre porterait aussi gravement atteinte à l'image de la Belgique à l'étranger. Il s'agit ici en effet d'initiatives à forte orientation internationale qui trouvent un écho dans l'ensemble de l'Europe et même sur le plan mondial.

Il souligne à cet égard que l'on a également prévu, dans l'amendement, de limiter fortement la publicité pour le tabac. La dérogation à l'interdiction de faire de la publicité est uniquement accordée pour une durée de trois ans, ce qui doit permettre aux organisateurs de remplacer progressivement cette source de revenus, puisqu'ils savent que leur situation sera réévaluée à l'issue de cette période.

La disposition assure donc aux organisateurs qu'ils pourront encore poursuivre leurs activités de sponsorisation pendant trois ans, ce qui fait qu'ils ne se trouveront pas face à des difficultés financières ou juridiques avec les sponsors pour rupture de contrat. Cette disposition incitera parallèlement les organisateurs à chercher, au cours de cette période de trois ans, de nouveaux sponsors et à s'adapter à la nouvelle situation.

L'intervenant confirme que l'amendement prévoit qu'une dérogation n'est possible que si la viabilité de cet événement dépend « principalement » du parrainage de l'industrie du tabac. Il est difficile de déterminer ici des pourcentages fixes, parce qu'il s'avère impossible en pratique d'estimer exactement quelles sont les retombées financières et économiques de ce genre d'événements. Outre les retombées financières directes que ces événements ont pour les organisateurs, et que l'on peut mesurer, il y a les effets indirects pour le secteur Horeca, le secteur du tourisme, etc., qui sont source, en marge de l'événement, de nouvelles activités économiques à ranger parmi les résultats positifs de celui-ci.

L'intervenant déclare qu'il ne voit aucune objection à ce que l'on cherche d'autres mécanismes de financement pour les secteurs précités, mais il souligne que l'expérience française et finlandaise ont montré que les choses ne sont pas aisées.

Partant de la constatation que le tabac est nuisible à la santé, l'on peut faire preuve de plus de courage politique en interdisant aux gens de fumer ou en augmentant de 10 à 15 % le prix des produits à base de tabac. Alors, si une augmentation du prix du tabac, entraînait une diminution de la consommation, elle priverait aussi les pouvoirs publics d'une masse importante de recettes. C'est pourquoi l'on opte généralement, en pratique, pour la solution la plus facile, qui consiste non pas à limiter la consommation de tabac même, mais à soumettre la publicité pour le tabac à des interdictions strictes. L'hypocrisie n'est donc jamais fort loin en la matière.

L'amendement fournit une solution raisonnable qui vise à inciter toutes les personnes concernées à prendre, à la longue, leurs responsabilités. Il ressort d'ailleurs de certaines études que le public des courses automobiles a entre 25 et 35 ans en moyenne. Ces gens ont déjà choisi, soit de fumer, soit de ne pas fumer et la publicité pour le tabac que l'on affichera le long du circuit n'aura que peu d'influence ou pas du tout sur eux.

Une membre déclare que pour rester fidèle à son raisonnement, le préopinant devrait avoir le courage politique de voter contre l'ensemble du projet.

En ce qui concerne le texte de l'amendement, elle rappelle une affirmation qui a été répétée maintes fois au cours des auditions. Instaurer une dérogation à l'interdiction de faire de la publicité pour le tabac pour les cas de sponsorisation d'activités culturelles et sportives va complètement à l'encontre de l'esprit du projet et le vide totalement de sa substance. En effet, la publicité que l'on fait dans ce cadre est la plus efficace pour inciter les jeunes à commencer à fumer.

L'intervenante met ensuite en garde contre les conséquences perverses que pourrait avoir la disposition selon laquelle la dérogation n'est accordée que pour une durée de trois ans, renouvelable. En effet, les organisateurs ont tout intérêt, pour obtenir la prolongation de la dérogation, à s'arranger pour continuer à dépendre de la publicité pour le tabac.

Elle déclare qu'elle peut comprendre les organisateurs, qui risquent effectivement d'être privés de revenus d'un jour à l'autre. L'on pourrait prévoir une réglementation transitoire consistant à prévoir une période de dérogation non renouvelable ou à créer un fonds permettant aux organisateurs de chercher de nouveaux sponsors pendant une période déterminée pour ne pas sombrer dans des difficultés financières.

Or, la disposition de l'amendement aurait plutôt pour effet d'entretenir au maximum le système de sponsorisation par les producteurs de tabac.

Une sénatrice dit partager ce point de vue. Elle ne voit pas comment une réglementation autorisant la publicité pour le tabac pourrait inciter le citoyen à prendre ses responsabilités.

À cet égard, l'on répète une nouvelle fois l'argument selon lequel la publicité n'oblige personne à se mettre à fumer, mais on ne voit pas bien, si cela est exact, pourquoi les producteurs de tabac consacrent chaque année des milliards à la publicité.

C'est avec raison que d'autres orateurs ont déjà souligné que le projet sera vidé de sa substance si l'on adopte l'amendement en discussion. La possibilité de renouveler la période de dérogation à l'interdiction de faire de la publicité pour le tabac incitera effectivement les organisateurs à continuer à tirer une bonne part de leurs revenus de la publicité pour le tabac.

Un autre sénateur peut se rallier aux propos des deux préopinantes. Le secteur de la publicité interactive connaît actuellement un très grand développement qui tourne en défaveur des instruments publicitaires plus classiques. Il est apparu clairement, au cours des auditions, que la sponsorisation et le parrainage, qui sont des système grâce auxquels les groupes-cibles sont mis en contact direct avec le produit ou la marque, sont beaucoup plus efficaces que, par exemple, les affiches et les annonces, surtout quand il s'agit d'influencer les jeunes.

Le projet manquera sans aucun doute son objectif si l'on y inscrit une dérogation spécifique en faveur de ces nouvelles formes de publicité.

Un membre déclare qu'il a surtout été frappé, au cours des auditions, par les divergences d'avis qui existent au sein du monde académique en ce qui concerne l'influence de la publicité sur le tabagisme.

Il souhaite en particulier faire référence à l'exposé bien documenté et nuancé du professeur Pelc, qui a largement montré qu'il n'existe aucun rapport de causalité entre la publicité pour le tabac et le tabagisme. La consommation de produits à base de tabac s'inscrit dans un contexte social et individuel extrêmement complexe, mais que l'on peut influencer. Instaurer une interdiction générale de faire de la publicité constituerait une mesure spectaculaire, mais elle ne changerait que peu de chose ou même rien au tabagisme. En effet, cette mesure serait simplement axée sur le produit en question et non pas sur la personne du fumeur ni sur son environnement.

Il souligne que le Sénat a précisément eu le mérite, jusqu'à présent, de faire entrer cette dimension du problème dans le débat. La Chambre des représentants est passée, quant à elle, tout à fait à côté de celle-ci.

Il souligne qu'outre les doutes scientifiques formulés à propos de l'efficacité possible du projet, il y a la question de l'incidence économique d'une interdiction de faire de la publicité. L'on a en effet montré, chiffres concrets à l'appui, que toute une série de manifestations importantes, qui génèrent une activité économique et des emplois, ne pourraient absolument pas survivre sans la publicité en question.

Si, en âme et conscience, on met ces deux constatations en balance, on ne peut, d'après lui, que souscrire à l'amendement proposé.

Le membre conclut qu'il se rangera évidemment à une décision démocratique de la commission. Il espère néanmoins pour ceux qui plaident actuellement pour une interdiction générale de la publicité, que la population ne leur demandera pas des comptes s'il s'avère dans quelques années que l'on a payé le prix fort sur le plan économique, mais que la consommation de tabac n'a guère ou pas diminué.

Une intervenante a souligné que si l'on soutient l'amendement, on devrait avoir le courage de voter contre le projet dans son ensemble. Inversement, on peut toutefois dire aussi que celui qui suit de manière conséquente la logique qui sous-tend le projet ne peut qu'arriver à la conclusion que la vente des produits du tabac et de tous les autres produits pouvant nuire à la santé doit être totalement interdite.

Un autre intervenant fait observer que personne ne conteste que la consommation de produits du tabac soit nuisible à la santé. Il faut toutefois se rendre compte aussi en la matière, qu'en ce qui concerne l'aspect publicitaire, la Belgique n'est pas une île en Europe. Elle est probablement pour ainsi dire le pays le plus câblé de l'Union européenne. L'interdiction de la publicité au niveau national ne pourra pas empêcher le consommateur belge d'être confronté à ce type de publicité par le biais de la presse et de la télévision étrangères. Il serait impossible aux sociétés de télédistribution de couper toute image télévisée montrant une marque de cigarettes.

Si, dès lors, notre pays souhaite jouer un rôle précurseur dans ce domaine, il ferait mieux d'engager la discussion dans le cadre européen en vue d'une interdiction générale applicable à l'Union tout entière. L'instauration unilatérale d'une interdiction de publicité en Belgique aura des conséquences économiques graves, mais pour le reste, n'aboutira à rien.

Notre propre institution prouve d'ailleurs à quel point il est difficile d'influencer le comportement individuel par des interdictions générales. Bien qu'il existe en Belgique une interdiction générale de fumer dans les lieux publics, on constate qu'elle n'est respectée ni dans les salles de commission ni dans la plupart des autres locaux du bâtiment.

Une commissaire reconnaît que le comportement individuel dépend d'un ensemble de facteurs. Si l'on veut véritablement arriver à ce que les jeunes fument moins, il faut effectivement agir sur une série de facteurs. De ce point de vue, une interdiction de la publicité pour le tabac revêt toutefois une importance de principe considérable, car pareille interdiction constitue un signal d'une importance primordiale.

Elle peut donc se rallier aux objections exprimées par un certain nombre de membres à propos de l'amendement en discussion. Le fait que la dérogation à l'interdiction de publicité puisse être renouvelée tous les trois ans n'incitera pas spécialement les organisateurs de compétitions automobiles à mettre un terme au financement par la sponsorisation. Du reste, quelles sont les raisons objectives qui justifient que l'on fasse dans le texte une distinction entre les sports moteurs et les autres disciplines sportives ?

À cela s'ajoute que notre pays connaît une multitude d'« événements culturels », qui se suivent donc de très près dans le temps. La règle prévoyant que les activités de sponsorisation peuvent débuter six semaines avant l'événement aura pour effet que la publicité pour le tabac par ce biais sera présente dans la rue de manière quasi permanente.

Un intervenant suivant fait observer que tout le monde s'accorde à dire que fumer nuit à la santé et qu'il faut dès lors freiner la consommation de tabac. Mais lorsque les pouvoirs publics prennent des mesures à cet égard, ils doivent, comme dans les autres domaines de leur politique, évaluer l'efficacité de celles-ci par rapport aux moyens mis en oeuvre.

Les auditions de diverses parties concernées ont en tout cas fait ressortir clairement une chose à cet égard : une interdiction de la publicité n'aura aucune incidence sur la consommation des produits du tabac. La publicité pour le tabac influence, certes, dans une large mesure les parts de marché des divers producteurs, mais elle n'entraîne pas une extension du marché. Il en va de même des autres secteurs. Ainsi la publicité pour les produits de lessive, par exemple, ne vise-t-elle pas à inciter les consommateurs à lessiver davantage, mais bien à les convertir aux produits d'une autre marque.

Si les pouvoirs publics entendent vraiment freiner la consommation de tabac, ils devront le faire par d'autres mesures, par exemple en augmentant sensiblement le prix des cigarettes.

Plusieurs membres ont déjà souligné les effets négatifs de la proposition sur le plan économique. Les événements sportifs et culturels importants ne disparaîtront pas, mais déménageront probablement le plus près possible au-delà de la frontière, si bien qu'ils resteront à la portée du consommateur belge sans que notre économie en retire le moindre avantage.

En outre, le projet est discriminatoire pour les producteurs de tabac belges qui s'adressent au marché intérieur par rapport à leurs concurrents étrangers. Pour ces derniers, en effet, les possibilités ne manquent pas de s'adresser au consommateur belge par le câble ou par les journaux et périodiques étrangers.

Il conclut que pour ces motifs ­ une efficacité dérisoire en comparaison du coût économique élevé ­, il s'oppose effectivement au projet dans son ensemble et que, personnellement, il préférerait le voir rejeter. Toutefois, comme on ne pourra apparemment pas trouver une majorité pour le faire, il est prêt à soutenir l'amendement proposé. Mais il n'empêche que cela ne répond que dans une très faible mesure aux objections à l'encontre du projet et que cela engendrera toute une série de tracasseries administratives.

Il regrette en tout cas que le projet en discussion ait attiré l'ensemble de la problématique de la consommation de tabac sur le terrain idéologique, et ce, au détriment de solutions efficaces qui auraient un caractère véritablement dissuasif.

Une commissaire répond à un intervenant précédent qu'une interdiction européenne générale de la publicité pour le tabac serait effectivement préférable. Mais pourquoi la Belgique ne devrait-elle jouer un rôle précurseur à cet égard qu'en prenant l'initiative de négociations dans le cadre de l'Union européenne ? Notre pays pourrait au contraire lancer un signal fort à l'adresse des autres États membres en adoptant le projet.

Elle souligne que les auteurs de la proposition initiale étaient conscients des difficultés éventuelles que pourrait entraîner une instauration trop subite de l'interdiction de la publicité pour les organisateurs d'événements sportifs ou culturels et que c'est la raison pour laquelle ils ont fixé la date d'entrée en vigueur au 1er janvier 1999.

Mais beaucoup de temps s'est écoulé depuis le dépôt du texte et elle propose de reporter l'entrée en vigueur de quelques années. Un report éventuel rendrait l'amendement proposé superflu, puisque tous les organisateurs d'événements auraient amplement le temps de s'adapter à l'interdiction. Il supprimerait, en outre, une objection importante à l'encontre de l'amendement, puisqu'il n'y aurait plus de discrimination entre les différentes sortes d'événements. Chacun serait traité de la même manière.

Un sénateur ne comprend pas le raisonnement de ceux qui sont hostiles à l'interdiction de faire de la publicité. Il est exact que le tabagisme d'un individu dépend de divers facteurs individuels et sociaux. Il importe, à cet égard, que l'on donne aux jeunes une éducation sanitaire.

L'interdiction de faire de la publicité s'inscrirait cependant parfaitement dans une politique d'éducation à la santé. Il est tout bonnement absurde que les pouvoirs publics investissent des sommes importantes dans des tentatives de changer la mentalité des jeunes, tout en permettant à l'industrie d'investir des milliards pour encourager les gens à fumer.

Une membre partage l'avis selon lequel le raisonnement en question est assez malsain. Elle répète que les arguments avancés par les partisans de l'amendement en discussion les obligent à voter contre l'ensemble du projet.

Un intervenant déclare qu'il compte voter contre s'il s'avérait que l'amendement, qui vise à dégager un consensus raisonnable, bénéficie d'un soutien insuffisant.

Il estime d'ailleurs que ceux qui plaident pour une interdiction complète de la publicité ne sont pas non plus très conséquents. Étant donné la pollution environnementale, les concentrations élevées d'ozone, les accidents de la circulation, l'usage de la voiture est au moins aussi nuisible à la santé publique que le tabagisme. Or, personne ne plaide pour l'interdiction de la publicité pour les autos. Est-ce parce que, ce faisant, l'on heurterait trop de gens ?

L'intervenant estime que, si l'on souhaite pouvoir mener une politique efficace dans les deux secteurs en question, il faut oeuvrer par toute une série de mesures ­ un changement des mentalités ­ et ne pas jeter de la poudre aux yeux des gens en instaurant des interdictions spectaculaires ne pouvant avoir que des conséquences négatives.

Pareilles mesures d'interdiction n'ont un sens que si elles sont applicables à l'échelle européenne.

L'amendement nº 35 est adopté par 7 voix contre 3 et 3 abstentions.

Les amendements nºs 6 à 13, 15 à 27 et 32, qui sont devenus sans objet à la suite de l'adoption de l'amendement nº 35, sont retirés.

M. Coene dépose ensuite un amendement (nº 34) visant à remplacer le paragraphe 2bis , 3º, du projet par un nouveau texte.

Il précise que le texte actuel soulève des problèmes pour les firmes et les produits dont le nom correspond à celui d'une marque de cigarettes. Il ressort d'une enquête limitée que, si l'on appliquait les critères définis dans le texte, 30 firmes au moins se verraient interdire toute publicité pour leurs produits, alors que ceux-ci n'ont aucun rapport avec le tabac.

C'est contraire aux dispositions de la Convention de Paris sur l'utilisation des marques déposées. L'amendement vise à résoudre ce problème en permettant au ministre de la Santé publique d'autoriser, en fonction d'une série de critères clairement définis, que l'on fasse de la publicité pour ces marques. L'on peut éviter ainsi que les marques concernées soient utilisées dans le but de faire indirectement de la publicité pour le tabac.

Cet amendement est adopté à l'unanimité des 13 membres présents.

Article 3bis (nouveau)

Mme Cantillon et Mme de Bethune déposent un amendement (nº 36) interdisant de vendre des produits à base de tabac au moyen d'appareils de distribution ou du libre-service et prévoyant que les cigarettes doivent être vendues dans des conditionnements de 20 pièces au minimum.

Un des auteurs de l'amendement souligne que la première partie de celui-ci est assez similaire au texte de l'amendement nº 28 proposé par M. Coene. Les trois dispositions, qui ont été inspirées par ce qui a été dit au cours des auditions, visent bien entendu, en premier lieu, à relever le seuil à partir duquel les jeunes décident de fumer leur première cigarette.

L'auteur de l'amendement nº 28 déclare que celui-ci fournit une solution de rechange à l'interdiction de faire de la publicité instaurée par le projet, en prévoyant des mesures contraignantes pour dissuader les jeunes de fumer.

Les dispositions qui figurent dans l'amendement à l'examen se caractérisent par leur nature répressive, alors que les auditions ont surtout montré que la meilleure manière de promouvoir un changement du comportement et des mentalités consiste à apporter des stimulants positifs.

De plus, le premier alinéa de l'amendement est contraire au deuxième alinéa. Concernant la vente des cigarettes, le deuxième alinéa prévoit que le produit ne peut être remis à l'acheteur qu'après que celui-ci l'a payé. Or, c'est précisément le cas lorsque le consommateur veut obtenir des cigarettes par le biais d'un appareil qui est interdit par le premier alinéa.

Un des auteurs de l'amendement à l'examen se dit étonné que le préopinant trouve son texte trop répressif, alors qu'il a lui-même proposé, par la voie d'un amendement, d'interdire la vente de cigarettes aux jeunes.

L'intervenant réplique que son amendement vise à protéger les jeunes. L'on peut considérer qu'ils ne sont pas à même de mesurer exactement toutes les conséquences que peut avoir leur comportement en la matière. Toutefois, pour ce qui est des adultes, il faut tenter de les convaincre par des arguments. Les interdictions en question qui leur seraient applicables ne constitueraient que des tracasseries à leur égard.

Un autre membre rappelle l'objection qui a été formulée au cours de la discussion de l'amendement nº 28. La disposition qui est examinée ici vise également à régler la vente des produits à base de tabac et non pas à réglementer la publicité pour ces produits. Il estime qu'il faut, dès lors, couler l'amendement sous forme d'une proposition de loi distincte.

À la suite de cette discussion, les auteurs retirent leur amendement.

Articles 4 à 4quinquies

M. Coveliers dépose des amendements (nºs 1 à 5) visant à modifier l'article 4 et à insérer les articles 4bis à 4quinquies, afin de limiter à des amendes les peines à infliger en cas de non-respect des dispositions du projet.

Un membre fait remarquer que l'on s'est souvent interrogé, ces dernières années, au sujet des peines d'emprisonnement de courte durée, qui ne sont d'ailleurs pas souvent exécutées. Particulièrement dans la matière qui nous intéresse, l'amende s'avère être bien plus efficace qu'une peine qui implique l'incarcération des contrevenants, alors que les prisons sont déjà surpeuplées.

Les amendements nºs 1 et 2 sont adoptés par 9 voix contre 2 et 2 abstentions.

L'amendement nº 3 est adopté par 6 voix contre 3 et 4 abstentions.

L'amendement nº 4 est adopté par 9 voix contre 2 et 2 abstentions, et l'amendement nº 5 est adopté par 10 voix contre 2 et 1 abstention.

M. Coene déclare ensuite vouloir retirer son amendement nº 30, celui-ci étant devenu sans objet par suite de l'adoption de l'amendement nº 1.

Mme Cantillon et Mme de Bethune proposent, par la voie d'un amendement (nº 37), d'insérer un article 4sexies permettant aux associations sans but lucratif, qui sont actives sur le terrain, d'ester en justice.

Une des auteurs de l'amendement déclare que la pratique montre que, si de nombreuses dispositions légales relatives à la protection des consommateurs, à la santé publique ou à l'environnement restent lettre morte, c'est parce que les personnes qui sont directement concernées ne peuvent pas ou n'osent pas s'adresser au tribunal. L'on peut prévenir ce genre de situation en permettant aux groupements d'intérêt d'ester en justice. Cette possibilité existe d'ailleurs déjà dans toute une série d'autres domaines, où elle a porté ses fruits.

Un membre fait observer que ladite technique présente certes une série d'avantages, mais ouvre également la porte à des abus de droit. Il vaudrait mieux, dès lors, faire d'abord une évaluation de la pratique qui existe dans d'autres secteurs avant de donner de nouvelles autorisations. Il estime d'ailleurs qu'une disposition du type de la disposition en question n'a pas sa place dans un texte de loi concernant la publicité pour le tabac.

À la suite de cette discussion, les auteurs de l'amendement le retirent.

Article 5

M. Coene dépose un amendement (nº 31) visant à supprimer cet article.

Il souligne que cet article abroge l'arrêté royal du 20 décembre 1982. Or, comme celui-ci comporte encore une série de dispositions qui n'ont pas d'égal dans le projet à l'examen, l'on ne peut pas le supprimer sans plus.

Un membre ajoute que l'arrêté royal du 20 décembre 1982 définit les conditions sous lesquelles il est permis de faire de la publicité pour le tabac. Il est nécessaire, à la suite de l'adoption de l'amendement nº 35, que cet arrêté royal reste en vigueur.

L'amendement est adopté par 9 voix et 4 abstentions.

Article 6

Mme Delcourt propose un amendement (nº 38) qui vise à remplacer cet article.

Elle explique que l'article 6 du projet dispose que la loi entre en vigueur le 1er janvier 1999, à l'exception de l'article 4, qui entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge.

L'intention des auteurs du projet est en effet de permettre l'application immédiate du nouveau régime de sanctions prévu à l'article 4.

Les sanctions plus sévères entreraient ainsi en vigueur immédiatement en cas d'infractions aux arrêtés royaux qui ont été pris ou seront pris d'ici le 1er janvier 1999 en application des dispositions de la loi du 24 janvier 1977 relatifs aux produits du tabac.

Ainsi un arrêté royal peut être pris entre-temps interdisant l'affichage et entrer en vigueur plus vite, par exemple le 31 décembre 1997. Les sanctions prévues à l'article 4 du présent projet seront d'application immédiate en cas de non-respect de cet arrêté royal.

Pour la clarté du texte, il convient cependant de préciser la portée de l'exception prévue à l'article 6 du projet. Le régime des sanctions prévu à l'article 4 ne peut, en effet, entrer en vigueur en ce qui concerne les dispositions qui nécessitent l'entrée en vigueur d'autres articles du projet de loi.

Cet amendement est adopté par 8 voix et 4 abstentions.

IV. VOTES

L'ensemble du projet de loi amendé a été adopté par 7 voix contre 1 et 4 abstentions.

Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

Les Rapporteuses,
Francy VAN DER WILDT.
Andrée DELCOURT-PÊTRE.
La Présidente,
Lydia MAXIMUS.

Texte transmis par la Chambre
des représentants
Texte adopté par la commission
Article 1er Article premier
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution. La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2 Art. 2
A l'article 7, § 2, de la loi du 24 janvier 1977 relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits, modifié par la loi du 22 mars 1989, les mots « concernant le tabac, les produits à base de tabac et les produits similaires, ainsi que la publicité » sont supprimés. À l'article 7, § 2, de la loi du 24 janvier 1977 relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits, modifié par la loi du 22 mars 1989, les mots « concernant le tabac, les produits à base de tabac et les produits similaires, ainsi que la publicité » sont supprimés.
Art. 3 Art. 3
L'article 7 de la même loi est complété par un § 2bis , libellé comme suit : L'article 7 de la même loi est complété par un § 2bis , libellé comme suit :
« § 2bis . ­ 1º Il est interdit de faire de la publicité pour et du parrainage par le tabac, les produits à base de tabac et les produits similaires, ci-après dénommés produits de tabac. « § 2bis . ­ 1º Il est interdit de faire de la publicité pour et du parrainage par le tabac, les produits à base de tabac et les produits similaires, ci-après dénommés produits de tabac.
Est considérée comme publicité et parrainage, toute communication ou action qui vise, directement ou indirectement, à promouvoir la vente, quels que soient l'endroit, le support ou les techniques utilisés. Est considérée comme publicité et parrainage, toute communication ou action qui vise, directement ou indirectement, à promouvoir la vente, quels que soient l'endroit, le support ou les techniques utilisés.
2º L'interdiction visée au 1º ne s'applique pas à : 2º L'interdiction visée au 1º ne s'applique pas à :
­ la publicité pour les produits de tabac faite dans des journaux et périodiques étrangers, sauf lorsque cette publicité ou l'importation de ces journaux ou périodiques a pour objet principal de promouvoir les produits de tabac sur le marché belge; ­ la publicité pour les produits de tabac faite dans des journaux et périodiques étrangers, sauf lorsque cette publicité ou l'importation de ces journaux ou périodiques a pour objet principal de promouvoir les produits de tabac sur le marché belge;
­ la publicité fortuite pour les produits de tabac faite dans le cadre de la communication au public d'un événement qui se déroule à l'étranger, sauf lorsque cette publicité ou la communication au public de cet événement a pour objet principal de promouvoir les produits de tabac sur le marché belge; ­ la publicité fortuite pour les produits de tabac faite dans le cadre de la communication au public d'un événement qui se déroule à l'étranger, sauf lorsque cette publicité ou la communication au public de cet événement a pour objet principal de promouvoir les produits de tabac sur le marché belge;
­ l'affichage de la marque d'un produit de tabac à l'intérieur et sur la devanture de magasins de tabac et de magasins de journaux qui vendent des produits de tabac.
3º Il est interdit d'utiliser une marque qui doit principalement sa notoriété à un produit de tabac à des fins publicitaires dans d'autres domaines, tant que la marque est utilisée pour un produit de tabac.
Cette disposition ne déroge pas au droit des sociétés à faire de la publicité pour des produits de leur marque déposée qui ne sont pas des produits de tabac, à condition :
a) que le chiffre d'affaires afférent aux produits de tabac commercialisés sous la même marque déposée, même par une autre entreprise, n'excède pas la moitié du chiffre d'affaires afférent aux produits autres que le tabac de la marque en question, et
b) que cette marque ait été déposée à l'origine pour des produits qui ne sont pas des produits de tabac. »
­ la publicité pour la marque d'un produit de tabac, de produits à base de tabac et de produits similaires, à l'intérieur et sur la devanture des locaux où ces produits sont habituellement mis en vente;
­ la publicité pour les produits du tabac faite dans le cadre du parrainage ou de la sponsorisation d'événements concernant les sports motorisés ou culturels durant les six semaines qui précèdent l'événement et durant celui-ci.
Cette dérogation est accordée pour une durée maximum de trois ans renouvelable, par le ministre ayant la santé publique dans ses attributions, après avis du ministre ayant les affaires économiques dans ses attributions.
Le Roi détermine les critères à prendre en compte pour l'octroi de cette dérogation. Toutefois, celle-ci ne peut être accordée que s'il est démontré que le financement et la viabilité de ces évènements dépendent principalement du parrainage ou de la sponsorisation de l'industrie du tabac.
3º Il est interdit d'utiliser une marque qui doit principalement sa notoriété à un produit de tabac à des fins publicitaires dans d'autres domaines, si le projet de message publicitaire n'a pas reçu au préalable l'accord du ministre ayant la santé publique dans ses attributions. Le ministre peut donner son accord si ni les produits ou services, ni les messages publicitaires ne s'adressent spécifiquement aux mineurs d'âge ou ne représentent des produits de tabac ou des produits ou services connexes et si le produit ou le service qui font l'objet de la publicité sont clairement identifiés dans le message publicitaire de façon qu'il ne puisse pas y avoir de confusion chez le consommateur. »
Art. 4 Art. 4
À l'article 15 de la même loi, les modifications suivantes sont apportées :
1º Au § 2, 2º après les mots « et § 2 » les mots « relatives à la publicité concernant l'alcool et les boissons alcoolisées » sont ajoutés.
2º Il est ajouté un § 3, libellé comme suit :
« § 3. Est puni d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de dix mille à cent mille francs ou de l'une de ces peines seulement, celui qui enfreint les dispositions de l'article 7, § 2bis , de la présente loi, ou les arrêtés d'exécution de l'article 7, § 2, relatifs aux produits de tabac.
Cette disposition s'applique également aux éditeurs, imprimeurs et en général à toutes les personnes qui assurent la diffusion de la publicité ou le parrainage. »
À l'article 13 de la même loi, les mots « d'un emprisonnement de 8 jours à 3 mois et » et les mots « ou de l'une de ces peines seulement » sont supprimés.
Art. 5
À l'article 14 de la même loi, les mots « d'un emprisonnement de 8 jours à 6 mois et » et les mots « ou de l'une de ces peines seulement » sont supprimés.
Art. 6
À l'article 15 de la même loi sont apportées les modifications ci-après :
1º Au § 1er , les mots « d'un emprisonnement d'un mois à un an et » et les mots « ou de l'une de ces peines seulement » sont supprimés.
2º Au § 2, 2º, après les mots « et § 2 », les mots « relatives à la publicité concernant l'alcool et les boissons alcoolisées » sont ajoutés.
3º Il est ajouté un § 3, libellé comme suit :
« § 3 Est puni d'une amende de cent à cent mille francs celui qui enfreint les dispositions de l'article 7, § 2 bis , ou les arrêtés d'exécution de l'article 7, § 2, relatifs aux produits du tabac.
La présente disposition s'applique également aux éditeurs, imprimeurs et en général à toutes les personnes qui assurent la diffusion de la publicité ou le parrainage. »
Art. 7
À l'article 16 de la même loi, les mots « d'un emprisonnement de 15 jours à 3 mois et » et les mots « ou de l'une de ces peines seulement » sont supprimés.
Art. 8
À l'article 20, § 3, premier alinéa, de la même loi, les mots « d'un emprisonnement de 8 jours à un an » et les mots « ou de l'une de ces peines seulement » sont supprimés.
Art. 5
L'arrêté royal du 20 décembre 1982 relatif à la publicité pour le tabac, les produits à base de tabac et les produits similaires, modifié par l'arrêté royal du 10 avril 1990, est abrogé.
Art. 6 Art. 9
La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 1999, à l'exception de l'article 4 qui entre en vigueur le jour de sa publication au Moniteur belge . La présente loi entre en vigueur le 1er janvier 1999, à l'exception de l'article 6, 3º, en ce qui concerne les sanctions applicables en cas de violation des arrêtés d'exécution de l'article 7, § 2, de la loi du 24 janvier 1977, relatifs aux produits de tabac.

(1) Rombouts, K., Veldman, K., Fauconnier, G., Jong geleerd is oud gedaan ­ Een onderzoek naar de invloed van tabaksreclame op jongeren, KU Leuven, 1987.

(2) L'industrie affirme que, en France, le pourcentage de jeunes fumeurs a augmenté depuis l'interdiction de la publicité pour passer de 30,5 % en 1994 à 35 % en 1995. L'interdiction de la publicité est entrée en vigueur le 1er janvier 1993. Le pourcentage de jeunes fumeurs (tant quotidiens qu'occasionnels) s'élevait à 34 % en 1992, à 30,5 % en 1994, à 35 % en 1995 et à 34 % en 1996. Il s'agit ici d'une enquête réalisée sur un échantillon de quelque 1 000 personnes et aucune différence entre les divers résultats de l'enquête n'est statistiquement significative. Cela signifie que le nombre de fumeurs parmi les jeunes Français ne s'est ni accru ni réduit depuis 1992. Le pourcentage de fumeurs quotidiens parmi les jeunes a, quant à lui, diminué, mais la variation n'est pas davantage significative.

(3) Pieda, L'industrie du tabac dans la Communauté européenne, 1990, Édimbourg, 54 pages, 1992.

(4) Fedetab, Rapport annuel 1995, Bruxelles, 31 pages, 1996.

(5) Van den Panhuyzen W., Over de weldadigheid van hogere accijnzen. Een onderzoek en simulatie van de budgettaire impact en het verminderde rookgedrag uit een accijnsverhoging op tabak, VUB, Bruxelles, 24 pages, 1995.

(6) K.P.M.G., De economische impact van een verbod op tabakspubliciteit, inclusief sponsoring, studie uitgevoerd in opdracht van het Informatie- en Documentatiecentrum over Tabak, Bruxelles, 48 pages, 1996.

(8) De Ruyter K., Dalende verkoop : tabak dreigt krantenwinkel te verstikken, De Standaard, p. 20, 15 mars 1995.

(10) Joossens L., Raw M., Are tobacco subsidies a misuse of public funds ?, British Medical Journal, 312, pp. 832-835, 1996.

(11) Warner K. E., The importance of tobacco to a country's economy, in : Proceedings of the ninth world conference on tobacco and health, Slama K. (Editor), Plenum Press, New York.

(12) Buck D., Godfrey C., Raw M., Sutton M., Tobacco and Jobs. The impact of reducing consumption on employment in the UK, Centre for Health Economics, University of York, 54 pages, 1994.