Dossier Sénat

Les Sénats et la qualité de la législation

Le 13 novembre 2001, Armand De Decker, président du Sénat, accueillait onze collègues, présidents de Sénats européens, dans le cadre de l'Association des Sénats d'Europe, pour un colloque consacré au bicaméralisme.

Après avoir souligné l'impact négatif sur l'État de droit démocratique qu'ont la surproduction législative et le déclin de la qualité de la législation, le président De Decker a rappelé que le bicaméralisme est le système institutionnel qui offre le plus de garanties en matière de qualité de la législation : « La double lecture d'un texte de loi par deux assemblées distinctes, composées d'élus aux profils différents, assure la meilleure protection du citoyen contre le risque d'arbitraire du gouvernement ou contre les improvisations législatives de circonstance. La navette parlementaire améliore la qualité de la production législative, parce qu'elle assure un plus grand respect du principe du contradictoire, laisse le temps de la maturation et permet à un nombre accru d'avis différents de s'exprimer. Le fait qu'une deuxième chambre puisse analyser un texte de loi d'un regard neuf, sans préjugé ni parti pris, n'est donc pas un luxe. »

Esquissant les grandes lignes de la réforme de 1993 et la procédure d'évocation, le Président souligna encore le rôle de chambre de réflexion du Sénat : « Cette évolution du bicaméralisme belge a permis, en outre, à notre Sénat, en faisant un usage judicieux de son droit d'évocation, de remplir davantage un rôle de chambre de réflexion, c'est-à-dire de chambre qui se donne le temps, par rapport à l'actualité, qui relève plus de la Chambre des représentants, d'analyser les législations fondamentales et les grands problèmes de société, comme par exemple, récemment, les délicates questions de bioéthique. C'est, par définition, le type même de matière qui se traite plus facilement au Sénat qu'à la Chambre des représentants. » Le président céda ensuite la parole à ses collègues qui tous mirent en évidence l'importance de la seconde chambre pour la qualité de la législation.

M. Gernot Mittler, représentant le président du Sénat allemand, a rappelé que le Bundesrat met en exergue la volonté des Länder, qu'il a un rôle prépondérant dans l'élaboration des lois et que la proximité des Länder avec les citoyens et la pratique lui permet d'exercer un rôle essentiel dans le contrôle de la qualité des lois et de leur facilité d'application. Il a par ailleurs insisté sur l'association très étroite du Bundesrat à toutes les questions européennes. Le Bundesrat a en effet le dernier mot sur l'avis émis par l'Allemagne au Conseil européen des ministres.

M. Schöls, président du Bundesrat autrichien, a ensuite évoqué le fonctionnement de son institution, soulignant entre autres qu'elle veille au respect de l'autonomie des Länder.

Mme Esperanza Aguirre Gil de Biedma expliqua que le Sénat espagnol qu'elle préside est une chambre de représentation territoriale, intervenant dans la procédure législative en axant son action sur l'amélioration technique de la législation et la recherche d'un consensus. Elle mit en évidence la rigidité des délais imposés au Sénat espagnol : deux mois maximum et vingt jours en cas d'urgence.

« Le Sénat n'est point l'ennemi des nouveautés généreuses, ni des initiatives hardies. Il demande seulement qu'on les étudie mieux. »

SEN-P16/17
Première rangée de g. à dr.: Gernot Mittler, Françoise Saudan, Armand De Decker, Christian
Poncelet, Esperanza Aguirre Gil de Biedma, Lamberto Dini. Deuxième rangée de g. à dr.:
Paul Pacuraru, Marcel Sauber, Tone Hrovat, Jolanta Danielak, Alfred Schöls, Petr Pithart

Le président du Sénat français a pour sa part insisté sur le fait que l'un des traits principaux du patrimoine commun des deuxièmes chambres réside dans leur apport décisif à la qualité de la production législative, que constitue la garantie d'un double regard sur la loi. Et d'ajouter : « Une preuve a contrario de cette assertion nous est fournie par l'exemple des pays monocaméraux. En effet, pour retrouver cette fonction essentielle de cette nouvelle délibération dans le mécanisme de confection de la norme législative, ces démocraties unidimensionnelles n'hésitent pas à instaurer une navette entre deux commissions instituées en leur sein ou à obliger leur assemblée unique à délibérer, à nouveau, sur un texte au terme d'un certain délai de réflexion. On se rend compte qu'une deuxième analyse de la loi est nécessaire.»

Le président Poncelet émailla son exposé sur le fonctionnement du Sénat français de statistiques révélatrices de la bonne santé du bicaméralisme. En France, le taux de reprise des amendements sénatoriaux par l'Assemblée nationale se situe entre 45% et 90% selon les circonstances.

Citant son illustre prédécesseur Jules Ferry, qui disait « le Sénat n'est point l'ennemi des nouveautés généreuses, ni des initiatives hardies. Il demande seulement qu'on les étudie mieux. », il souligna encore que les lois d'inspiration sénatoriale répondent aux préoccupations quotidiennes des citoyens et que le Sénat a adopté toutes les grandes lois qui précèdent ou accompagnent l'évolution des mœurs : le vote à 18 ans, la réforme du divorce, l'interruption volontaire de grossesse, la contraception d'urgence ou encore l'abolition de la peine de mort ou la parité hommes ­ femmes en politique.

M. Lamberto Dini s'est attelé à montrer comment le Sénat italien se réforme sous l'impulsion des analyses de l'OCDE, qui a critiqué l'excès de « légifération » des sociétés avancées et particulièrement de l'Italie.

Le gouvernement est très efficace si les ministres sont très compétents, si la coalition est bonne et si la deuxième chambre est absente. Dans ce cas, toutefois, la démocratie est, elle aussi, absente.

Mme Jolanta Danielak a exprimé la fierté du Sénat de Pologne, fort de six cents ans de tradition. Il n'a en effet connu qu'une courte éclipse puisque, supprimé après la seconde guerre mondiale, il a été rétabli en 1989. Il a prouvé qu'il était indispensable et son rôle a été confirmé par la nouvelle Constitution adoptée en Pologne en 1997. Après avoir expliqué que le Sénat de Pologne avait permis d'empêcher l'adoption de nombreuses lois comportant des erreurs irréparables, elle a insisté sur la nécessité pour les secondes chambres de veiller à leur indépendance, vis-à-vis tant de l'autre chambre que du gouvernement.

M. Paul Pacuraru a rappelé que la Roumanie avait opté pour le bicaméralisme, notamment pour faire table rase du système monocaméral instauré par le parti communiste, dans lequel la Grande Assemblée nationale était purement décorative, et il a évoqué les difficultés auxquelles son pays, comme bon nombre d'autres pays de l'Est, est confronté. Le droit, l'organisation sociale et institutionnelle doivent subir des modifications si radicales que les besoins législatifs y sont immenses et le nombre d'actes normatifs considérable.

M. Tone Hrovat, Président du Conseil national de Slovénie a expliqué le fonctionnement de l'institution qu'il préside en mettant l'accent sur l'importance du bicaméralisme comme gage de bonne démocratie, pour les nouvelles démocraties. D'entrée de jeu, il déclare : « Madame la vice-présidente du Sénat polonais a dit que les Sénats sont surtout mis en cause pour des raisons politiques. Je dirais, quant à moi, que les raisons sont aussi pragmatiques. Le gouvernement est très efficace si les ministres sont très compétents, si la coalition est bonne et si la deuxième chambre est absente. Dans ce cas, toutefois, la démocratie est, elle aussi, absente. »

« Quatre yeux ont une vue plus perçante que deux »...

Telle est la formule humoristique de Mme Françoise Saudan, présidente du Conseil des États suisse, pour évoquer le système bicaméral suisse, où l'on est, dit-elle, condamné à se mettre d'accord. Son institution présente bien des particularités intéressantes. Elle est notamment constituée de « miliciens » qui continuent d'exercer leur activité professionnelle : « Ainsi, le premier vice-président du Conseil des États est avocat, le second (...) est professeur de physique et moi-même je dirige une entreprise familiale aux côtés de mon mari. »

Très soucieux de la qualité du travail législatif, le « plus jeune » et le « plus petit » des Sénats représentés lors de cette journée, celui de la République tchèque, a vu, comme l'a souligné son président, M. Petr Pithart, 60% de ses amendements approuvés par la Chambre, preuve de la qualité du travail accompli.

M. Marcel Sauber, président du Conseil d'État du Grand-Duché de Luxembourg, présent en tant qu'observateur, a rappelé la genèse de son institution, dont l'une des missions est depuis toujours la qualité de la législation : « La première Constitution démocratique au Luxembourg, qui remonte à 1848, n'a pas retenu l'institution d'un Sénat, vu l'exiguïté du territoire. Conscient toutefois de la faiblesse due à l'absence d'une instance de contrôle du texte législatif, le constituant avait prévu une commission législative au sein du Parlement. Or, ce système s'est rapidement avéré insuffisant et inefficace, et la mission de travailler à l'amélioration des lois a nécessité la création d'un organisme spécialisé et indépendant, à savoir le Conseil d'État luxembourgeois, qui fut créé en 1856. »

Il s'ensuivit un long débat, au terme duquel les présidents se sont prononcés à l'unanimité sur une déclaration commune relative à la lutte contre le terrorisme.

Participants

Mme Esperanza Aguirre Gil de Biedma, présidente du Sénat espagnol
Mme Jolanta Danielak, vice-présidente du Sénat polonais
M. Armand De Decker, président du Sénat belge
M. Lamberto Dini, vice-président du Sénat italien
M. Tone Hrovat, président du Conseil national de Slovénie
M. Gernot Mittler, ministre d'État, vice-président de la commission des Affaires européennes du Bundesrat allemand
M. Paul Pacuraru,vice-président du Sénat roumain
M. Petr Pithart, président du Sénat de la République tchèque
M. Christian Poncelet, président du Sénat français
M. Marcel Sauber, président du Conseil d'État du Grand-Duché de Luxembourg
Mme Françoise Saudan, présidente du Conseil des États suisse
M. Alfred Schöls, président du Bundesrat autrichien

Vous trouverez le compte rendu intégral de la réunion des Sénats d'Europe du 13 novembre 2001 sur notre site web sous la rubrique Flash info (version française et anglais en formats pdf et html).

Association des Sénats d'Europe: http://www.senat.fr/senatsdumonde/


 
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