Crime

Qu'entend-on exactement par criminalité organisée ?

Une question beaucoup plus pratique qu'il n'y paraît

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Cette question a occupé pendant des mois la commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée en Belgique. Lutter efficacement contre la criminalité organisée tout en préservant les droits de la défense, tel était le défi à relever. Dans un rapport intermédiaire qu'elle a présenté à la presse le 6 janvier 1998, la commission d'enquête commente ses conclusions à propos de la définition à donner à la notion. Des rapports intermédiaires sur de nouvelles techniques de recherche et le milieu criminel proprement dit suivront sous peu.

 

Comment définir la criminalité organisée ?

Le Sénat a institué en juillet 1996 la Commission parlementaire chargée d'enquêter sur la criminalité organisée, en la chargeant principalement de définir la criminalité organisée en Belgique et, simultanément, d'examiner par quels moyens légaux il serait possible de la combattre.

Cette mission était loin d'être aisée, car elle engageait la commission d'enquête sur un terrain quasiment inexploré. Celle-ci organisa un grand nombre d'auditions d'experts et passa en revue nombre de rapports. Toutes ces informations seront regroupées sous peu dans un rapport de synthèse.

Une définition trop large est dangereuse

On a toutefois commencé par bien jalonner le terrain et par délimiter nettement la notion de criminalité organisée. S'agit-il de la grande criminalité ou la criminalité organisée a-t-elle des caractères particuliers ?

En outre, la Chambre des représentants a voté, le 4 juin 1997, un projet de loi relative aux organisations criminelles dans lequel elle donnait de la notion d'organisation criminelle une large définition. Trop large aux yeux du Sénat, qui s'est saisi du projet. La commission d'enquête sur la criminalité organisée a été chargée de donner à la commission de la Justice, qui examinait le projet, un avis sur la portée de la notion d'organisation criminelle.

La commission d'enquête a consulté nombre d'experts et de témoins privilégiés : professeurs, magistrats, membres de la gendarmerie, des douanes et de la Sûreté de l'Etat. Elle est arrivée à la conclusion qu'il fallait non pas une, mais deux définitions. Pour cerner le problème sociétal de la criminalité de manière que le monde politique puisse réagir adéquatement, une définition criminologique s'impose, c'est-à-dire une boussole qui indique où il faut chercher la criminalité organisée. Si l'on entend s'attaquer à la criminalité organisée et la sanctionner, cela nécessite une définition pénale qui soit délimitée avec suffisamment de précision.

Le droit pénal n'admet pas de définition au sens large

La définition au sens large d'une organisation criminelle que donne le projet de loi correspond plutôt à la définition criminologique. Certains sénateurs craignent que cette définition ne permette de qualifier par exemple aussi d'organisations criminelles des syndicats ou des groupes d'action.

Le gouvernement s'est montré sensible aux critiques formulées au Sénat et a, dans l'intervalle, supprimé la disposition qui prévoyait qu'une organisation criminelle peut également avoir pour objectif d'exercer une 'influence politique'.

Une définition trop large peut également entraîner des abus dans le recours à des techniques spéciales de recherche comme les écoutes téléphoniques, l'infiltration, l'espionnage ou les pseudo-achats. De telles méthodes spéciales de recherche ne peuvent être appliquées que dans la lutte contre des organisations criminelles.

Eu égard aux principes de l'état de droit, il faut selon la commission d'enquête, faire une distinction entre une définition criminologique et une définition pénale et l'on ne peut utiliser la définition criminologique pour l'incrimination.

geomisd.tifLa criminalité organisée n'est pas un crime ordinaire

Il faut une disposition pénale distincte pour les organisations criminelles, car la criminalité organisée n'est pas un crime ordinaire. Les organisations criminelles sont, à vrai dire, des entreprises. Elles sont caractérisées par une certaine continuité, ainsi qu'une répartition des tâches. En outre, elles utilisent ce que l'on appelle des contre-stratégies pour paralyser ou neutraliser les interventions des autorités contre elles. Cette pratique est légalement possible grâce à l'utilisation d'une technologie de pointe en matière juridique ou financière ou illégalement par le recours à la violence, l'intimidation ou la corruption.

La commission n'exclut toutefois pas que la criminalité organisée puisse être combattue, mutatis mutandis, par le biais de l'infraction déjà existante constituée par l'association de malfaiteurs. Une nouvelle loi pénale sur les organisations criminelles devra en tout cas tenir compte des dispositions pénales relatives à l'association de malfaiteurs.

Qui est punissable ?

Si l'on insère un nouvel article de droit pénal pour les organisations criminelles, on doit savoir clairement qui est punissable. Ainsi, il faut éviter qu'un mouvement politique, social ou syndical ne soit mis hors la loi. La loi doit aussi définir strictement qui est membre d'une organisation criminelle et qui ne l'est pas. Que doit savoir un individu et quelles tâches doit-il accomplir pour être qualifié de membre d'une organisation criminelle ? Les personnes qui rendent des services à une organisation sans être impliquées dans les infractions sont-elles punissables ? Le traiteur dont une organisation criminelle a loué les services pour un banquet doit-il être poursuivi ?

Sur ce point également, le gouvernement a tenu compte des critiques des sénateurs. Alors qu'initialement, un individu 'devait savoir' qu'il servait une organisation criminelle, le gouvernement précise maintenant que pour être punissable, il doit être volontairement et sciemment membre, "ce qui suppose une attitude positive, en connaissance de cause, de la personne concernée", écrit le ministre de la Justice Stefaan De Clerck dans la justification de son amendement.

Caractère international

Enfin, la commission d'enquête souligne que le droit pénal doit tenir compte du caractère international de la criminalité organisée. La coopération internationale et l'harmonisation des législations nationales constituent les principales priorités au sein de l'Union européenne.


drug.tifLa criminalité organisée en long et en large

La commission d'enquête travaille depuis plus d'un an et demi. Le gouvernement, sous la pression de l'opinion publique, ne veut manifestement pas attendre les conclusions de cette commission. Entretemps, il a dressé un plan d'action sur la criminalité économique et financière, a déposé à la Chambre un projet de loi sur les organisations criminelles et oeuvre à la réorganisation des services de police.

p22berzw.tifLe coprésident Hugo Vandenberghe (CVP) entend étayer au maximum le travail de sa commission d'enquête

> Ne trouvez-vous pas cela frustrant ?

Hugo Vandenberghe (CVP), coprésident : C'était inévitable. La criminalité organisée est un problème aux ramifications multiples. Nous ne voulons pas, en tant que commission d'enquête, entraver les activités du gouvernement. D'ailleurs, nous avons émis un avis concernant son projet de loi relative aux organisations criminelles. En ce qui concerne les services de police, la commission a préparé, pour le débat qui a eu lieu au Sénat fin octobre 1997, une note relative à l'incidence de la réorganisation des services de police sur la lutte contre la criminalité organisée.

Il y a effectivement un parallélisme entre les initiatives, mais la commission n'a pas voulu subordonner le projet gouvernemental à ses propres conclusions finales.

Du reste, la problématique est plus large. Nous devons avant tout savoir où en est exactement la criminalité organisée. Tel doit être l'objectif général de la commission.

> Quelle est l'étape suivante de la commission d'enquête ?

Hugo Vandenberghe : Nous sommes en train de mettre au point un rapport intermédiaire sur les techniques spéciales de recherche. Un rapport de synthèse est également en préparation concernant les milliers de pages de témoignages et de récits que la commission a reçus. Nous voulons ensuite examiner de près l'infiltration de la criminalité organisée dans certains secteurs.

Mais il faut d'abord se faire une idée globale de la criminalité organisée et de la lutte contre ce phénomène. Le fractionnement est grand. Chacun s'occupe un peu de la criminalité organisée et court continuellement sur les brisées des autres.

Nous ne pouvons donc pas dire que tant que la commission d'enquête n'a pas fini ses travaux, le gouvernement ne peut pas prendre de mesures. Car, dans l'intervalle, la criminalité s'étend.

Il en va différemment de la commission Dutroux. Là, les faits appartiennent au passé. Notre commission d'enquête a une dimension beaucoup plus large et correspond, de ce fait, beaucoup mieux à la finalité d'une commission d'enquête parlementaire.

Bien entendu, des commissions d'enquête seront toujours nécessaires dans des cas spécifiques. Mais leur portée est toute différente. Certes, on en tire également des conclusions générales, mais celles-ci sont beaucoup moins bien étayées, car elles reposent sur un ou deux dossiers, et non sur une vision générale.

> Estimez-vous que la criminalité organisée pose aujourd'hui plus de problèmes ?

Hugo Vandenberghe : Assurément. L'intérêt d'un tel rapport est qu'il aidera à évaluer précisément le problème. Si l'on part exclusivement du sentiment de sécurité subjectif, cela peut mener à une réaction excessive de la part de l'état de droit. La banalisation du problème peut, quant à elle, entraîner une sous-estimation par l'état de droit.

hugozw.tifLe sénateur Hugo Coveliers (VLD) été rapporteur du premier rapport de la commission d'enquête

 

p18alle.tifRoger Lallemand (PS), coprésident, laisse transparaître ce que l'on peut encore attendre de cette commission d'enquête.

 

La loi Franchimont tend notamment à donner une base légale à la recherche proactive (ex. observation et infiltration). Cette base s'imposait et s'impose d'urgence pour protéger la vie privée, dit le coprésident Roger Lallemand, qui abordera au sein de la commission d'enquête le volet de la recherche proactive dans la loi Franchimont.

La commission entamera sous peu une nouvelle série d'auditions d'experts de secteurs fréquemment confrontés à la criminalité organisée. Le coprésident Lallemand pense par exemple aux distributeurs de combustibles et au circuit des hormones.

D'après lui, les commissions d'enquêtes parlementaires constituent un bon instrument, mais nécessitent un investissement considérable en moyens. Et c'est là que le bât blesse pour des sénateurs qui, depuis la dernière réforme de l'Etat, ont vu leur nombre ramené de 184 à 71 et sont, de ce fait, tenus d'être membres de toute une série de commissions.


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