4-1352/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2008-2009

8 JUIN 2009


Proposition de résolution afin de prioriser la notion de « travail décent » dans les politiques internationales menées par la Belgique

(Déposée par Mme Olga Zrihen et M. Philippe Mahoux)


DÉVELOPPEMENTS


Malgré une augmentation sans précédent des richesses à l'échelle mondiale, 40 % des travailleurs dans le monde vivent avec moins de 1 dollar par jour. Au Nord comme au Sud, une part sans cesse croissante des profits des entreprises est absorbée par les actionnaires au détriment des salaires des travailleurs. C'est pour répondre à cette injustice que l'Organisation Internationale du Travail (OIT) a défini en 1999 le concept du « travail décent ». Celui-ci repose sur quatre piliers: garantir un revenu qui permet de satisfaire les besoins essentiels; respecter les libertés syndicales; assurer un système de protection sociale; construire le dialogue social.

Le travail décent résume les aspirations des êtres humains au travail. Il implique la possibilité d'accéder à un travail productif et justement rémunéré, la sécurité sur le lieu de travail et une protection sociale pour les familles, de meilleures perspectives de développement personnel et d'intégration sociale, la liberté d'exprimer ses revendications, de s'organiser et de participer aux décisions qui affectent sa vie, l'égalité des chances et de traitement pour tous, des femmes et des hommes.

La promotion du travail décent pour tous dans le monde contribue à une mondialisation équitable, associant performance économique et justice sociale. En effet, là où le travail décent fait défaut, le niveau et la qualité de vie des femmes et des hommes sont nettement moins bons.

À titre d'exemple:

— la moitié de la population mondiale ne bénéficie d'aucune protection sociale et 80 % des travailleurs n'ont pas de protection sociale adéquate;

— d'après le rapport sur l'emploi 2008 de l'OIT, malgré une croissance mondiale supérieure à 5 %, le taux de chômage moyen mondial ne s'est pas amélioré. En particulier, certains pays à très forte croissance ne créent pas d'emplois;

— au niveau mondial, selon les chiffres de l'OIT, une personne sur deux occupe un emploi précaire. Dans les pays en voie de développement, cela signifie souvent travailler dans l'économie informelle, avec un bas salaire, des conditions de travail dangereuses, et peu ou pas de protection sociale. Les femmes et les jeunes sont particulièrement touchés;

— l'OIT a estimé qu'environ 165 millions d'enfants âgés de 5 à 14 ans sont aujourd'hui contraints de travailler.

Les mutations économiques engendrées par la mondialisation ont donc un impact direct sur le monde du travail. La course effrénée à la rentabilité et la productivité au moindre coût s'est faite aux dépens des travailleurs qui subissent les menaces de délocalisations, les pressions diverses sur les conditions de travail et une précarisation des salaires souvent peu adaptés aux réalités socioéconomiques actuelles.

Alors que la sphère économique devrait être au service de la sphère humaine, notamment en vue de garantir les droits humains fondamentaux, le système actuel entraîne la dégradation des conditions de travail des travailleurs du monde entier. En ce sens, la sphère humaine n'est plus la finalité du système économique mais un instrument à son service !

Si les États s'engageaient à coopérer pour garantir ce type de normes favorisant l'émergence de conditions de travail décentes, les travailleurs ne seraient plus considérés comme de simples outils censés créer de la croissance économique mais comme des citoyens ayant le droit de vivre décemment de leur travail, tant au Nord qu'au Sud.

Par ailleurs, l'expérience de nombreux pays montre que les risques de désordre sont plus grands là où les besoins de travail décent sont ignorés et que la sortie de crise est plus rapide là où les communautés s'unissent pour travailler à la reconstruction.

L'objet de la présente proposition de résolution vise à transmettre au gouvernement fédéral des exigences indispensables à l'émergence de conditions favorables au travail décent, plus précisément au sein des pays émergents ou en développement.

Olga ZRIHEN
Philippe MAHOUX.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. Rappelant les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et leur finalité d'autonomisation économique, sociale et politique des populations les plus précarisées de par le monde à l'horizon 2015;

B. Rappelant l'ensemble des instruments juridiques et législatifs internationaux (Conventions internationales sur le travail) émis sous l'égide de l'Organisation Internationale du Travail (OIT);

C. Se référant à la résolution adoptée le 15 décembre 2008 par l'Assemblée générale des Nations unies (63e session) concernant la Déclaration sur la justice sociale pour une mondialisation équitable de l'OIT;

D. Prenant en considération le rapport et les conclusions du Forum de l'OIT ayant eu lieu en janvier 2007, à Nairobi, sur le travail décent au service d'une mondialisation équitable;

E. Considérant que les objectifs de travail décent sont intégrés dans la politique de développement et l'aide extérieure de l'Union européenne et rappelant l'engagement de la Commission européenne, par le biais de son Agenda social, à la promotion du travail décent au niveau mondial dans le contexte d'une collaboration avec des organismes internationaux tels que l'OIT;

F. Considérant le travail décent comme étant une dimension importante pour l'instauration de la paix dans le monde;

G. Considérant le travail décent comme étant un outil indispensable à la mobilisation des ressources financières nationales au service du développement;

H. Considérant l'impérieuse nécessité de prioriser la notion de travail décent dans les politiques internationales menées par la Belgique ainsi que par l'Union européenne;

Demande au gouvernement:

Dans le cadre des accords bilatéraux et régionaux adoptés par la Belgique et l'Union européenne:

1. D'intégrer au sein des ces accords des clauses sociales contraignantes incluant le respect des normes de l'OIT dont la liberté syndicale, l'interdiction du travail des enfants, l'interdiction de toute forme d'esclavage, la lutte contre les discriminations liées au genre et, de manière générale, l'interdiction de l'exploitation des travailleurs et de conditions de travail dégradantes;

2. De changer les normes commerciales injustes et veiller à ce que les accords commerciaux soient utilisés comme instrument en faveur du travail décent, du développement durable et de la responsabilisation des travailleurs, des femmes, des chômeurs et des pauvres dans le monde entier. À cette fin, des mécanismes contraignants pour la promotion et la mise en œuvre du travail décent, notamment les normes fondamentales du travail, doivent être intégrés dans des accords commerciaux. Il ne peut y avoir d'accords commerciaux portant atteinte aux pauvres, créant du chômage et débouchant sur l'exploitation;

Dans le cadre de sa politique de coopération et de ses relations bilatérales:

1. De faire du travail décent un principe directeur de la politique de coopération au développement et d'éventuellement — en cas de réforme de la loi de 1999 — inclure ce droit au travail décent parmi les objectifs de ladite loi;

2. De respecter son engagement d'augmenter le niveau d'aide publique au développement à au moins 0,7 % du PIB. Un financement adéquat du développement s'avère essentiel pour atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement des Nations unies;

3. D'appeler les gouvernements des États partenaires de la coopération au développement ainsi que les États parties d'accords bilatéraux passés avec le Royaume de Belgique à ratifier au plus vite les diverses conventions internationales de l'OIT comprenant les diverses normes internationales du travail;

4. D'aider les gouvernements des pays partenaires à créer un environnement propice à la création d'emplois locaux durables et de soutenir les autorités locales dans leurs volontés de voir émerger une économie juste et équitable en mettant en œuvre des stratégies globales en faveur du plein emploi productif, notamment pour ceux qui travaillent dans l'économie informelle et qui ont besoin de bénéficier de droits et de la justice pour défendre leurs intérêts;

5. De demander aux autorités des pays partenaires d'établir et appliquer un cadre légal protégeant les travailleurs et garantissant l'égalité entre hommes et femmes;

6.  De rappeler aux gouvernements partenaires l'impérieuse nécessité d'installer des systèmes viables de protection sociale, d'éducation et de formation tout au long de la vie ainsi que de garantir les droits des travailleurs à constituer des syndicats, à y adhérer et à négocier collectivement avec leur employeur;

7. De garantir la sécurité juridique des entreprises nationales et européennes développant des activités économiques dans les pays partenaires afin d'établir des règles équitables pour la concurrence.

Dans le cadre de sa politique migratoire:

1. De ratifier au plus vite la Convention internationale sur le respect des droits des travailleurs migrants de l'OIT afin de respecter ses engagements quant au travail décent;

2. De veiller à ce que les travailleurs migrants ne soient pas victimes d'exploitation et jouissent des mêmes droits que d'autres travailleurs en ratifiant les conventions pertinentes de l'OIT et la Convention internationale de l'ONU sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et les membres de leur famille (1990);

Dans le cadre des institutions financières internationales:

1. De veiller à ce que les priorités des institutions financières internationales intègrent les préoccupations sociales et environnementales. Plus particulièrement, il convient de mettre un terme aux conditions liées aux prêts et à la dette qui forcent les pays à déréglementer les marchés du travail, à réduire les dépenses publiques et à privatiser les services publics au détriment de l'accès et de la qualité. Tous les projets financés par ces institutions doivent être conformes aux normes fondamentales du travail dans le cadre de leur mise en œuvre;

2. De plaider, au sein des instances internationales économiques, pour une meilleure et plus grande régulation du marché du travail par l'établissement d'un cadre multilatéral régulateur adéquat mettant fin à tout dumping social et obligeant tous les acteurs au respect des normes de travail international de l'OIT.

29 avril 2009.

Olga ZRIHEN
Philippe MAHOUX.