3-174

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Sénat de Belgique

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Annales - version française

JEUDI 6 JUILLET 2006 - SÉANCE DU MATIN


Avertissement: les passages en bleu sont des résumés traduits du néerlandais.


Proposition de loi spéciale complétant l'article 31 de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles, prévoyant la présence du président du Gouvernement de la Communauté germanophone au sein du Comité de concertation (de M. Berni Collas, Doc. 3-1594)

Proposition de loi modifiant les articles 78 et 79 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (de M. Berni Collas et Mme Nathalie de T' Serclaes, Doc. 3-1595)

Proposition de loi adaptant la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone à la nouvelle numérotation des articles de la Constitution (de M. Berni Collas et Mme Nathalie de T' Serclaes, Doc. 3-1596)

Proposition de loi modifiant l'article 14 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (de M. Berni Collas et Mme Nathalie de T' Serclaes, Doc. 3-1597)

Proposition de loi réglant la publication en langue allemande des lois et arrêtés royaux et ministériels d'origine fédérale (de M. Berni Collas et consorts, Doc. 3-1495)

Proposition de loi modifiant la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (de M. Berni Collas et consorts, Doc. 3-1496)

Proposition de loi modifiant l'article 194ter du Code des impôts sur les revenus 1992 relatif au régime de tax shelter pour la production audiovisuelle (de Mme Margriet Hermans et Mme Stéphanie Anseeuw, Doc. 3-1284)

Rapport sur l'éventualité que l'infrastructure aéroportuaire belge ait été utilisée par des vols affrétés par la CIA pour transporter des détenus suspects d'être liés au terrorisme islamique (Doc. 3-1762)

Ordre des travaux

Excusés


Présidence de Mme Anne-Marie Lizin

(La séance est ouverte à 10 h 20.)

Proposition de loi spéciale complétant l'article 31 de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles, prévoyant la présence du président du Gouvernement de la Communauté germanophone au sein du Comité de concertation (de M. Berni Collas, Doc. 3-1594)

Proposition de loi modifiant les articles 78 et 79 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (de M. Berni Collas et Mme Nathalie de T' Serclaes, Doc. 3-1595)

Proposition de loi adaptant la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone à la nouvelle numérotation des articles de la Constitution (de M. Berni Collas et Mme Nathalie de T' Serclaes, Doc. 3-1596)

Proposition de loi modifiant l'article 14 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (de M. Berni Collas et Mme Nathalie de T' Serclaes, Doc. 3-1597)

Discussion générale

M. Francis Delpérée (CDH), rapporteur. - Je suis amené à faire rapport sur une proposition de loi spéciale et sur trois propositions de loi ordinaire qui concernent toutes la Communauté germanophone.

Je vous présenterai un même rapport sur ces quatre propositions, d'abord parce que l'inspiration est la même. Il s'agit d'adapter les législations existantes, notamment à la nouvelle terminologie constitutionnelle. Ensuite, parce que la source est la même. C'est à l'occasion des débats du Parlement de la Communauté germanophone que celui-ci a fait des suggestions. C'est aussi à la demande du Sénat que ce même Parlement a émis des avis concordants et favorables sur les propositions qui sont aujourd'hui sur la table. Enfin et surtout, parce que la préoccupation est la même. Comme nous l'avons indiqué dès le début des travaux en commission, il s'agit d'apporter des modifications techniques et non des modifications politiques, même si je ne peux m'empêcher de constater que la proposition de loi spéciale présente quand même un caractère un peu plus politique et vise à placer, en ce qui concerne la prévention et le règlement des conflits d'intérêts, la Communauté germanophone sur le même pied que les deux autres communautés. L'âge non pas de la majorité mais de la maturité est venu.

Voici quelques mots de commentaires sur chacun des textes. Je commencerai par la proposition de loi spéciale 3-1594/5. Pourquoi une loi spéciale ? Cela peut paraître curieux puisque la Communauté germanophone est organisée par une loi ordinaire et que le Comité de concertation est organisé par une loi ordinaire, la loi du 9 août 1980. La raison est simple, elle apparaît dans l'avis 40.345/2 du Conseil d'État dans lequel celui-ci rappelle le raisonnement juridique qui doit être déployé à ce sujet.

Premièrement, le nouvel article 143 de la Constitution réclame une loi spéciale pour tout ce qui concerne la prévention et le règlement des conflits d'intérêts.

Deuxièmement, cet article 143 est assorti d'une disposition transitoire selon laquelle, jusqu'à nouvel ordre, la loi ordinaire du 9 août 1980 reste d'application.

Troisièmement, il est tout de même précisé que les modifications qui seraient entre-temps apportées à cette loi ordinaire devraient déjà être apportées par une loi spéciale. Telle est la justification d'une loi spéciale. Il pourrait en effet sembler curieux de voir une loi spéciale modifier une loi ordinaire, particulièrement à propos de la Communauté germanophone.

L'objet de la proposition est de prévoir la présence du président du gouvernement de la Communauté germanophone au sein du Comité de concertation, avec voix délibérative, et cela pour les conflits d'intérêts qui impliquent - le mot est important - soit le parlement, soit le gouvernement de la Communauté germanophone.

Le texte français mentionne bien « impliquent » - et non simplement « concernent » - et le texte néerlandais « waarin het parlement, hetzij de regering betrokken is ». La présence est donc spécifique et touche des dossiers déterminés.

Le deuxième texte qui nous est soumis est le document 3-1596/5. Il s'agit d'une proposition de loi visant à adopter une nouvelle numérotation des articles. Le texte initial faisait référence à la Constitution d'avant 1994 et comprenait encore l'article 59ter, l'article 17 relatif à l'enseignement et l'article 110 relatif aux impôts. Il fallait « nettoyer » ce document et la nouvelle numérotation a par conséquent été adoptée.

Le troisième texte est la proposition de loi 3-1595/4. Chacun sait que la Communauté germanophone est aujourd'hui compétente pour régler l'emploi des langues dans le domaine de l'enseignement qu'elle a créé ou qu'elle subventionne. Il n'était donc plus nécessaire de donner au Parlement de cette communauté la possibilité de donner un avis aux autorités fédérales lorsqu'il s'agit de modifier ce type de législation.

J'en viens enfin à la proposition 3-1597/4. L'article 14 de la loi ordinaire prévoyait que l'article 31ter de la loi spéciale de réformes institutionnelles soit applicable à la Communauté germanophone. Il est précisé que cela figure aux paragraphes 1er et 2 du document.

Tel est, madame la présidente, le rapport que je puis présenter au nom de la commission des Affaires institutionnelles. Cette dernière a adopté ces différents textes à l'unanimité de ses membres et invite l'assemblée à faire de même.

M. Berni Collas (MR). - Je tiens à remercier Mme la présidente ainsi que le bureau d'avoir regroupé ces six propositions de loi en deux points, ce qui permet de globaliser les divers textes relatifs à la Communauté germanophone.

Je tiens également à remercier le rapporteur, M. Delpérée, qui nous a présenté un rapport circonstancié que je puis qualifier de technico-juridique. Ce rapport me permet de faire l'économie d'un débat sur le fond, puisqu'il a évoqué dans sa globalité la discussion menée en commission.

Je me contente dès lors de rappeler que ces quatre propositions de loi s'inspirent d'un avis rendu par le parlement de la Communauté germanophone lors de la discussion de trois propositions de loi déposées au Sénat, visant à renommer les différents conseils de communauté et de région en parlement wallon, parlement de la Communauté française, parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, parlement flamand et parlement de la Communauté germanophone.

Après leur adoption par le Sénat et la Chambre des représentants, ces propositions ont été sanctionnées et promulguées le 27 mars 2006 et, ensuite, publiées au Moniteur belge le 11 avril 2006.

Ces propositions traduisent en fait les recommandations adoptées par le parlement de la Communauté germanophone dans ce contexte.

-La discussion générale est close.

Discussion des articles de la proposition de loi spéciale complétant l'article 31 de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles, prévoyant la présence du président du Gouvernement de la Communauté germanophone au sein du Comité de concertation (de M. Berni Collas, Doc. 3-1594)

(Pour le texte adopté par la commission des Affaires institutionnelles, voir document 3-1594/5.)

Mme la présidente. - Je vous rappelle que la commission propose un nouvel intitulé : Proposition de loi spéciale complétant l'article 31 de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles, prévoyant la présence du président du Gouvernement de la Communauté germanophone au sein du Comité de concertation, et abrogeant l'article 67 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone.

-Les articles 1er et 2 sont adoptés sans observation.

-Il sera procédé ultérieurement au vote sur l'ensemble de la proposition de loi.

Discussion des articles de la proposition de loi modifiant les articles 78 et 79 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (de M. Berni Collas et Mme Nathalie de T' Serclaes, Doc. 3-1595)

(Le texte adopté par la commission des Affaires institutionnelles est identique au texte de la proposition de loi. Voir document 3-1595/4.)

-Les articles 1er à 3 sont adoptés sans observation.

-Il sera procédé ultérieurement au vote sur l'ensemble de la proposition de loi.

Discussion des articles de la proposition de loi adaptant la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone à la nouvelle numérotation des articles de la Constitution (de M. Berni Collas et Mme Nathalie de T' Serclaes, Doc. 3-1596)

(Pour le texte adopté par la commission des Affaires institutionnelles, voir document 3-1596/5.)

-Les articles 1er à 7 sont adoptés sans observation.

-Il sera procédé ultérieurement au vote sur l'ensemble de la proposition de loi.

Discussion des articles de la proposition de loi modifiant l'article 14 de la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (de M. Berni Collas et Mme Nathalie de T' Serclaes, Doc. 3-1597)

(Le texte adopté par la commission des Affaires institutionnelles est identique au texte de la proposition de loi. Voir document 3-1597/4.)

-Les articles 1er et 2 sont adoptés sans observation.

-Il sera procédé ultérieurement au vote sur l'ensemble de la proposition de loi.

Proposition de loi réglant la publication en langue allemande des lois et arrêtés royaux et ministériels d'origine fédérale (de M. Berni Collas et consorts, Doc. 3-1495)

Proposition de loi modifiant la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (de M. Berni Collas et consorts, Doc. 3-1496)

Discussion générale

Mme Fauzaya Talhaoui (SP.A-SPIRIT), rapporteuse. - La Belgique est un pays trilingue. Les propositions de notre collègue Collas sont là pour nous le rappeler. Notre législation est établie en néerlandais et en français mais pas en allemand, ce qui viole le principe d'égalité. M. Collas ne s'est pas lancé à la légère. Il a harcelé les cabinets de la partie germanophone du pays ainsi que plusieurs cabinets fédéraux et il a collaboré étroitement avec le Service central de traduction allemande. Il a aussi harcelé les cabinets fédéraux de questions

Ces propositions de loi visent à supprimer cette inégalité. La procédure de traduction de la législation est fixée à l'article 76 de la loi du 31 décembre 1983 de réforme institutionnelle pour la Communauté germanophone. M. Collas a constaté que cet article est exécuté de manière très imparfaite et pose en outre des problèmes juridiques. Il s'appuie sur un arrêt de la Cour d'arbitrage qui met en évidence cette inégalité. Cet arrêt affirme que les contraintes budgétaires ne peuvent être une excuse pour empêcher une partie des citoyens de notre pays de prendre connaissance de notre législation. La Cour d'arbitrage ajoute que toutes les lois et normes publiées après le 1er janvier 1989 doivent être traduites en allemand.

M. Collas a réussi à convaincre une majorité du Sénat et a récolté les signatures dans les deux groupes linguistiques. Ses propositions bénéficient donc d'une large adhésion.

Ces propositions témoignent d'un grand sens des réalités. M. Collas et ses collègues acceptent que les lois soient traduites progressivement en allemand. Ils ont déposé des amendements pour donner suite aux observations du Conseil d'État et à l'avis transmis par la Communauté germanophone au parlement fédéral. Dans cet avis, la Communauté germanophone fait part de ses préoccupations et aspirations quant à la traduction allemande des lois. Cet avis a été annexé aux documents.

Une distinction est établie entre les lois d'une part et les arrêtés royaux et ministériels d'autre part. Il est proposé de traduire les lois en fonction de leur importance pour les germanophones de notre pays. Quant aux arrêtés, chaque service public établira une liste des textes à traduire en priorité.

La proposition de loi modifiant la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone prévoit que l'article 76 de cette loi sera abrogé si ces propositions de loi sont adoptées et si un arrêté royal délibéré en Conseil des ministres fixe les modalités de traduction.

Tous les membres du gouvernement ont approuvé ces propositions mais ont mis en garde contre les implications budgétaires et la surcharge de travail pour les services publics. Le ministre de l'Intérieur a souligné que la traduction de tous les textes de loi ne serait pas si aisée et ne serait pas rapide.

MM. Collas et Delpérée ont déposé des amendements techniques répondant à l'avis du Conseil d'État, de la Communauté germanophone et du service d'évaluation de la législation du Sénat.

Les deux propositions ont été adoptées à l'unanimité en commission des Affaires institutionnelles.

M. Berni Collas (MR). - Je remercie Madame Talhaoui pour son rapport circonstancié.

Ich behaupte nicht, dass heute ein historischer Tag für die Deutschsprachige Gemeinschaft unseres Landes ist. Ich wage jedoch zu hoffen, dass die vorliegende Gesetzesvorschläge als wichtig für die Bürger und die Institutionen in allumfassendem Sinne der Deutschsprachigen Gemeinschaft angesehen werden.

Seit Anfang meines Mandates als Gemeinschaftsenator war diese Materie einer der Schwerpunkte meiner parlementarischer Arbeit im Senat, weil es eben in dieser Problematik einen sehr akuten Handlungsbedarf gibt.

Je n'affirmerai pas que c'est un jour historique pour la Communauté germanophone, mais j'ose espérer que les présentes propositions de loi sont considérées comme importantes pour les citoyens et les institutions - au sens global du terme - de la Communauté germanophone.

Depuis le début de mon mandat en tant que Sénateur de communauté, cette matière a été l'une des priorités de mon travail parlementaire au Sénat parce que c'est précisément dans ce domaine qu'il était urgent d'agir.

En effet, une étude démontre que seulement 15 à 25% des lois sont traduites en langue allemande depuis une quinzaine d'années. En 2005, seules 16% des lois ont été traduites.

Cette situation n'est pas respectueuse de l'arrêt du 14 juillet 1994 de la Cour d'arbitrage, qui précise qu'une traduction allemande doit systématiquement être établie pour tous les textes légaux et réglementaires d'origine fédérale postérieurs au 1er janvier 1989, étant entendu que cette traduction doit suivre dans un délai raisonnable leur publication au Moniteur Belge en français et en néerlandais.

Par contre, pour ce qui est des textes antérieurs au 1er janvier 1989, la Cour admettait qu'ils ne soient dotés d'une traduction allemande que progressivement, en fonction de l'importance qu'ils présentent pour les habitants de la Région de langue allemande.

Dans la conclusion de leur article « Federale wetteksten in het Duits: over de niet-uitvoering van een arrest van het Arbitragehof en de nood aan een nieuwe Gelijkheidswet » paru récemment dans la Tijdschrift voor Wetgeving et entièrement consacré à la problématique de la traduction des textes de loi en langue allemande, les chercheurs Stangherlin et Muylle parlent même de la « nood aan een nieuwe Gelijkheidswet ».

Selon eux, dans un système constitutionnel où l'allemand est reconnu non seulement comme langue nationale et comme langue officielle, mais dans lequel l'article 189 de la Constitution confirme en outre l'égalité entre ces trois langues en prévoyant que le texte de la Constitution est rédigé en néerlandais, en français et en allemand, seul un texte allemand authentique des lois et arrêtés fédéraux peut réaliser cette égalité. Par conséquent, une nouvelle loi d'égalité s'impose.

Permettez-moi de vous illustrer et de souligner l'importance de la présente démarche.

Nous connaissons tous le principe ou l'adage « nul n'est censé ignorer la loi ».

Quid quand un habitant du Royaume, qui ne parle et ne comprend que la « troisième » langue du pays, donc l'allemand dans ce cas-ci, enfreint la loi ? Pourrait-il se prévaloir du fait que la loi n'existe pas dans cette langue officielle, sachant qu'une traduction n'aura jamais un caractère authentique ?

Face à cette situation et après avoir sondé le terrain, je me suis attelé, en concertation avec tous les acteurs concernés et toutes les parties prenantes, à trouver la parade à cette situation fort insatisfaisante.

Après de nombreuses réunions de travail, nous avons trouvé un compromis afin d'assurer une traduction plus systématique de la loi - au sens large - en langue allemande.

Ce compromis a été traduit en deux propositions de lois, qui ont été adoptées à l'unanimité par la commission des Affaires institutionnelles après avoir recueilli l'avis du Conseil d'État et du parlement de la Communauté germanophone.

Les remarques qui y ont été formulées ont été largement reprises par voie d'amendements. J'y reviendrai brièvement.

Que prévoient les deux propositions de loi ?

Pour ce qui est des textes de loi, ce sera le ministre de la Justice qui établira tous les trois mois une liste de lois à traduire, sur proposition du Service central de traduction allemande et après avis du gouvernement de la Communauté germanophone.

L'article 1er de la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires, est complété par les alinéas suivants :

« Le Service central de traduction allemande du Service public fédéral Intérieur assure la traduction des lois en langue allemande. Sur la proposition du Service central précité et après avis du gouvernement de la Communauté germanophone, le ministre de la Justice arrête tous les trois mois la liste des lois à traduire en langue allemande en fonction de l'intérêt qu'elles présentent pour les habitants de la région de langue allemande et en accordant la priorité aux textes principaux ainsi qu'à l'établissement de coordinations officieuses en langue allemande. Dans l'accomplissement de ce travail de traduction, le Service central précité applique les règles de terminologie juridique telles qu'elles sont établies pour la langue allemande.

La traduction allemande des lois est publiée au Moniteur belge dans un délai raisonnable après leur publication en français et en néerlandais. »

Pour ce qui est des arrêtés royaux et ministériels à traduire en allemand, chaque SPF est censé disposer d'une cellule de traducteurs capables de traduire en allemand, mais je dois préciser ici que nous avons aussi prévu la possibilité de conclure une convention avec le Service central de traduction allemande.

Ce dernier se situe à Malmedy.

La liste des arrêtés royaux et ministériels sera elle aussi établie en concertation avec le gouvernement de la Communauté germanophone qui, à nos yeux, est le mieux placé pour déterminer ce qui est important pour les habitants de la région de langue allemande.

« Chaque ministre assure la traduction allemande des arrêtés royaux et ministériels dans la sphère de ses attributions et dresse à cette fin, tous les trois mois, sur avis du gouvernement de la Communauté germanophone, la liste des arrêtés à traduire en langue allemande en fonction de l'intérêt qu'ils présentent pour les habitants de la région de langue allemande et en accordant la priorité aux textes principaux ainsi qu'à l'établissement de coordinations officieuses en langue allemande. Il peut se faire aider en cela par le Service central de traduction allemande. Dans l'accomplissement de ce travail de traduction, le ministre compétent applique les règles de terminologie telles qu'elles sont établies pour la langue allemande.

La traduction allemande des arrêtés royaux et ministériels d'origine fédérale est publiée au Moniteur Belge dans un délai raisonnable après leur publication en français et en néerlandais. »

Quant aux avis et communications, tels que circulaires et autres documents, nous prévoyons qu'ils soient mis à la disposition du public de langue allemande.

Il ressortait de l'avis du Conseil d'État et du parlement de la Communauté germanophone que les termes « intervalles réguliers » devaient être précisés. C'est pourquoi nous avons opté pour un intervalle de trois mois dans lequel les ministres et la ministre de la Justice doivent établir une liste de textes à traduire, respectivement pour les arrêtés et les lois. Je m'en voudrais de ne pas me référer aux amendements proposés par M. Delpérée qui ont été introduits dans le texte final. En effet, au départ, ce dernier n'était pas correctement libellé. M. Delpérée a attiré notre attention sur une certaine ingérence dans les compétences communautaires, in casu la Communauté germanophone. Nous avons donc remédié à cette situation. Pour de plus amples détails, je renvoie l'observateur intéressé aux travaux parlementaires et aux documents concernés.

La notion relative aux limites de crédits budgétaires a été supprimée, comme le souhaitait le parlement de la Communauté germanophone et comme le préconisait le Conseil d'État.

Wie ich bereits eben erwähnt habe, haben wir auch die Möglichkeit vorgesehen, dass die FÖD's auch in Zukunft auf die Dienste der Zentralen Dienststelle für Deutsche Übersetzungen in Malmedy unter gewissen Bedingungen zurückgreifen können, das heisst unter anderem, dass man auch dem höheren Volumen an Übersetzungsarbeit Rechnung tragen muss und die Übersetzungskapazität aufstocken muss.

Und auf ausdrücklichen Wunsch der Vorsitzenden der Föderalen Öffentlichen Dienste hat man auch den Passus eingeführt, den es ermöglicht, auf die Zusammenarbeit mit der Zentralen Dienststelle für Deutsche Übersetzungen in Malmedy zurückzugreifen.

Was nun das Inkrafttreten der neuen Prozedur zur Übersetzung föderaler Gesetzestexte ins Deutsche betrifft, so sehen wir folgendes vor :

Ainsi que je viens de l'indiquer, nous avons également prévu la possibilité que les SPF puissent encore à l'avenir faire appel sous certaines conditions au Service central de traduction allemande de Malmedy. Cela signifie entre autres qu'il faut tenir compte de l'accroissement du volume de travail et augmenter la capacité de traduction.

C'est à la demande expresse des présidents des Services publics fédéraux qu'on a inséré le passage permettant de faire appel à la collaboration du Service central de traduction allemande à Malmedy.

En ce qui concerne l'entrée en vigueur de la nouvelle procédure relative à la traduction des lois fédérales en allemand, nous prévoyons ce qui suit :

Le Roi fixe la date d'entrée en vigueur par arrêté délibéré en conseil des ministres, au plus tard un an après une évaluation des crédits à accorder. Cette évaluation aura lieu au plus tard le 1er janvier 2008. À défaut d'arrêté fixant la date d'entrée en vigueur, le nouveau mécanisme entrera en vigueur le 1er janvier 2009.

Ce que nous votons aujourd'hui ne constitue qu'un compromis. Comme l'a signalé Mme la rapporteuse, cette loi est pragmatique et devrait engendrer des progrès sensibles pour la traduction des textes de loi et réglementaires fédéraux.

Je m'en voudrais cependant de ne pas citer un passage de l'introduction de l'avis rendu par le parlement de la Communauté germanophone.

»Das Parlament der Deutschsprachigen Gemeinschaft nimmt die zur Begutachtung vorgelegten Gesetzesinitiativen zum Anlass, um seine grundsätzliche Meinung in Bezug auf die Übersetsung von föderalen Gesetzes- und Verordnungstexten darzulegen.

Aus seiner Sicht kann eine für die deutschsprachigen Bürger Belgiens zufriedenstellende Lösung nur darin bestehen, dass alle föderalen Gesetzes- und Verordnungstexte systematisch in deutscher Sprache vorliegen und deren Veröffentlichung zeitgleich mit den französischen und niederländischen Texten erfolgt.

Zur Untermauerung dieser Ansicht weist das Parlament der Deutschsprachigen Gemeinschaft auf das bereits von den Autoren der Gesetzesvorschläge zitierte Urteil des Schiedshofes vom 14 Juli 1994 hin, demzufolge alle föderalen Gesetzes- und Verordnungstexte ins Deutsche übersetzt werden müssen, um eine Verletzung des Gleichheitsgrundsatzes abzuwenden.

Das Parlament der Deutschsprachigen Gemeinschaft ist darüber hinaus der Meinung, dass eine wirkliche Gleichbehandlung der deutschsprachigen Bürger Belgiens grundsätzlich nur dann gewährleistet ist, wenn alle föderalen Gesetzes- und Verordnungstexte als authentische deutsche Fassung zur Verfügung stehen.«

Auch wenn ich zu diesem Zeitpunkt der Abstimmung nicht vorgreifen kann, so möchte ich doch allen danken, die das Zustandekommen der vorliegenden Gesetzesvorschläge mit bewirkt, beziehungsweise diese unterstützt haben.

« Le Parlement de la Communauté germanophone profite des initiatives législatives déposées pour avis pour exposer son opinion fondamentale concernant la traduction de textes légaux et réglementaires d'origine fédérale.

Il estime que la seule solution satisfaisante pour les citoyens germanophones belges ne peut consister qu'en la disponibilité systématique de tous les textes légaux et réglementaires d'origine fédérale en langue allemande et leur publication simultanée avec les textes en français et en néerlandais.

L'avis du Parlement de la Communauté germanophone se fonde sur l'arrêt prononcé par la Cour d'arbitrage le 14 juillet 1994, évoqué par les auteurs des propositions de loi, selon lequel une traduction allemande doit être établie pour tous les textes légaux et réglementaires d'origine fédérale afin d'éviter une violation du principe d'égalité.

En outre, le Parlement de la communauté germanophone estime qu'une véritable égalité de traitement des citoyens germanophones belges n'est garantie que si la version allemande de tous les textes légaux et réglementaires d'origine fédérale est une version authentique.

Cependant le Parlement de la Communauté germanophone considère que la réglementation applicable à la Région wallonne, selon laquelle tous les textes décrétaux et réglementaires doivent être publiés en même temps que leur traduction allemande, constitue également une solution pragmatique et acceptable en ce qui concerne la publication des textes réglementaires d'origine fédérale. »

Même si je ne puis pas encore préjuger du vote, je tiens dès à présent à remercier tous ceux qui ont contribué à l'élaboration des présentes propositions de loi ou qui leur ont apporté leur soutien.

M. Philippe Mahoux (PS). - Il est de ces textes de loi dont le cheminement dans nos assemblées est long avant de trouver une sanction positive.

Si je me permets de dire cela, c'est simplement d'abord pour rendre hommage au rapport de la rapporteuse, mais c'est également pour rappeler que le débat sur ce sujet n'a pas commencé au cours de cette législature, mais il y a de très nombreuses années. Je m'en voudrais de ne pas rendre hommage au travail intense et important du sénateur Louis Siquet, sénateur de la Communauté germanophone, appelé depuis à de hautes fonctions puisqu'il préside du Parlement de la Communauté germanophone.

Ce long travail s'était d'ailleurs concrétisé par le dépôt de plusieurs propositions de loi, par de nombreuses discussions et par un long travail de concertation.

Le problème qui se posait, qui se pose toujours d'ailleurs si l'on en croit la dernière intervention de M. Collas, se situe entre le respect du prescrit démocratique et le coût de la traduction.

En effet, la démocratie nous impose de traduire dans les trois langues nationales la totalité des textes normatifs, les lois mais aussi les autres textes normatifs comme les arrêtés royaux. L'arrêt de la Cour d'arbitrage est très clair à cet égard.

En vérité ce qui représente l'intérêt général dans cette question, c'est l'intérêt particulier de la Communauté germanophone. Le problème a toujours été de mettre cet intérêt général en balance avec le coût global d'une traduction de la totalité des textes.

Nous allons voter un texte qui ne résout pas complètement le problème dans la mesure où la totalité des textes ne sera pas traduite mais seulement un choix fait de commun accord entre le gouvernement de la Communauté germanophone et les services fédéraux.

Il faudra évaluer en pratique dans les mois à venir si l'arrêt de la Cour d'arbitrage a été respecté. C'est le problème fondamental. Je dis en pratique parce qu'il est vrai que dans pareilles matières un peu de pragmatisme n'est pas faute. Il subsistera certes de la discrimination envers nos concitoyens germanophones mais il faudra vérifier que cette discrimination n'a pas de conséquence importante dans leur vécu au quotidien et qu'elle ne contrevient pas au respect dû de manière égale à chacun de nos concitoyens. Si c'était par contre le cas, nous serions amenés à revoir le texte.

Nous voterons évidemment cette proposition de loi. Nous l'avons du reste cosignée avec le président de parlement de la Communauté française, Jean-François Istasse.

-La discussion générale est close.

Discussion des articles de la proposition de loi réglant la publication en langue allemande des lois et arrêtés royaux et ministériels d'origine fédérale (de M. Berni Collas et consorts, Doc. 3-1495)

(Pour le texte adopté par la commission des Affaires institutionnelles, voir document 3-1495/6.)

Mme la présidente. - Je vous rappelle que la commission propose un nouvel intitulé : Proposition de loi modifiant l'article 40 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966

-Les articles 1er à 3 sont adoptés sans observation.

-Il sera procédé ultérieurement au vote sur l'ensemble de la proposition de loi.

Discussion des articles de la proposition de loi modifiant la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la Communauté germanophone (de M. Berni Collas et consorts, Doc. 3-1496)

(Pour le texte adopté par la commission des Affaires institutionnelles, voir document 3-1496/6.)

Mme la présidente. - Je vous rappelle que la commission propose un nouvel intitulé : Proposition de loi réglant la publication en langue allemande des lois et arrêtés royaux et ministériels d'origine fédérale et modifiant la loi du 31 mai 1961 relative à l'emploi des langues en matière législative, à la présentation, à la publication et à l'entrée en vigueur des textes légaux et réglementaires, les lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966, ainsi que la loi du 31 décembre 1983 de réformes institutionnelles pour la communauté germanophone.

-Les articles 1er à 7 sont adoptés sans observation.

-Il sera procédé ultérieurement au vote sur l'ensemble de la proposition de loi.

Proposition de loi modifiant l'article 194ter du Code des impôts sur les revenus 1992 relatif au régime de tax shelter pour la production audiovisuelle (de Mme Margriet Hermans et Mme Stéphanie Anseeuw, Doc. 3-1284)

Discussion générale

M. Jan Steverlynck (CD&V), rapporteur. - La proposition de loi à l'examen a été discutée au cours de trois réunions de la commission des Finances et des Affaires économiques. Elle vise à étendre le régime préférentiel du tax shelter au secteur des programmes et séries destinés à la jeunesse. Mme Anseeuw, coauteur de la proposition, souligne que le système du tax shelter a démontré son efficacité sur le terrain et que les problèmes de financement qui existaient à l'époque ont été résolus, ce qui n'est pas le cas des programmes destinés à la jeunesse. Or ce sont précisément les programmes destinés à la jeunesse qui ne bénéficient pas du régime en question. Il faudrait qu'ils puissent en profiter, vu l'intérêt culturel que présente cette catégorie de productions.

Au cours de la discussion, il est apparu que tout le monde était favorable à cet élargissement. Le ministre n'avait pas non plus d'objection à condition qu'on utilise la définition proposée avec beaucoup de prudence si on veut éviter d'instaurer un régime fiscal préférentiel pour la culture de masse. Il veut empêcher que les chaînes commerciales n'aient recours au système du tax shelter pour élaborer certains programmes audiovisuels commerciaux pour la jeunesse. L'intention est que les commissions de sélection régionales compétentes procèdent au contrôle de qualité demandé.

En commission, il y a eu discussion sur la définition correcte des séries pour jeunes susceptibles d'entrer en considération pour ce régime favorable. Finalement, M. Hermans et Mme Anseeuw ont déposé un amendement qui vise à définir clairement la notion de « série destinée aux enfants et aux jeunes », dans le but de continuer à promouvoir des productions de haut niveau qualitatif. Les séries destinées aux enfants et aux jeunes sont définies comme étant « des séries de fiction à contenu éducatif, culturel et informatif pour un groupe cible d'enfants et de jeunes de 0 à 16 ans ». Les mêmes auteurs ont déposé un deuxième amendement fixant la date d'entrée en vigueur. C'est notamment en rapport avec la procédure de notification de la Commission européenne.

Les amendements, les articles ainsi modifiés et la proposition de loi amendée ont ensuite été adoptés à l'unanimité des membres de la commission.

Mme Margriet Hermans (VLD). - Je remercie M. Steverlynck pour son rapport et mes autres collègues pour leur soutien unanime à la proposition de loi.

Nous savons que le secteur audiovisuel a connu pas mal de difficultés financières. Le système du tax shelter a entraîné une amélioration de la situation. Les frais pouvant être pris en compte à raison de 150%, les investissements restaient payables par le secteur. Je me réjouis également que nous puissions à présent étendre le système du tax shelter aux programmes destinés aux enfants et aux jeunes.

Les chiffres ont démontré la nécessité de cette mesure. En 1999, nous avions 607 productions propres dans le secteur de la jeunesse, contre 847 productions achetées. En 2005, c'était 732 productions propres contre 1462 productions importées, essentiellement d'Amérique, soit quasiment le double. C'est pourquoi nous nous réjouissons de cette mesure qui permettra à nos maisons de production, tant en Wallonie qu'en Flandre, de réaliser davantage de séries.

Au plan pédagogique, c'est très important pour nos jeunes et d'un point de vue économique, c'est aussi très important pour la créativité, la productivité et l'emploi dans le secteur. On ne peut attendre que des effets positifs de cette mesure : les chaînes augmentent leur offre, les programmes propres peuvent contribuer au développement social et économique des enfants - ce qui est aussi soutenu par l'Europe -, les investissements du secteur restent dans le pays, l'emploi est stimulé et qui plus est, cette mesure ne coûte quasiment rien au Trésor.

M. Berni Collas (MR). - Au nom de mon groupe, je tiens à marquer notre sympathie et notre soutien à cette proposition de loi. Nous avons d'ailleurs cosigné un amendement.

Je me réfère également à la demande d'explications que j'ai développée voici deux semaines à ce sujet et à l'occasion de laquelle quelques précisions ont été apportées.

Je voudrais enfin féliciter personnellement Mme Hermans de cette proposition de loi.

-La discussion générale est close.

Discussion des articles

(Pour le texte adopté par la commission des Finances et des Affaires économiques, voir document 3-1284/4.)

-Les articles 1er et 2 sont adoptés sans observation.

-Il sera procédé ultérieurement au vote sur l'ensemble de la proposition de loi.

Rapport sur l'éventualité que l'infrastructure aéroportuaire belge ait été utilisée par des vols affrétés par la CIA pour transporter des détenus suspects d'être liés au terrorisme islamique (Doc. 3-1762)

Discussion

M. Hugo Vandenberghe (CD&V), corapporteur. - Le rapport sur l'éventualité que l'infrastructure aéroportuaire belge ait été utilisée par des vols affrétés par la CIA pour transporter des détenus soupçonnés d'être liés au terrorisme islamique est important en raison de la nature de l'enquête et parce qu'il soulève des questions qui vont beaucoup plus loin que le problème des vols de la CIA.

Le rapport reproduit deux notes du Comité R qui a été chargé, par la commission parlementaire du suivi, d'une enquête visant à vérifier dans quelle mesure les services de sécurité de notre pays étaient au courant d'éventuels vols de la CIA et, s'ils ne l'étaient pas, comment il se fait qu'ils n'ont obtenu, directement ou indirectement, aucune information à ce sujet.

Il ressort des conclusions qu'aucune enquête n'a eu lieu. La commission du suivi n'a bien entendu aucune compétence d'enquête générale sur le fonctionnement des services publics pour constater ce que les autorités savent au sujet des vols de la CIA existants ou ayant existé.

Le Comité R a rédigé un premier rapport et un rapport complémentaire. Tous deux ont fait l'objet d'une discussion, non seulement avec les membres de la Sûreté de l'État et de la Sûreté militaire, mais également avec les représentants de la Force aérienne. Je renvoie aux 65 premières pages du rapport pour une vue d'ensemble des diverses attitudes adoptées par les services concernés et les membres de la commission du suivi.

Je voudrais souligner quelques points des décisions et recommandations. On y précise clairement que le Comité R et donc aussi la commission parlementaire du suivi se sont heurtés aux frontières de leur compétences. D'abord, nous ne pouvons publier un rapport tout à fait conforme à la vérité au sujet des éventuels vols de la CIA. Ensuite, des questions se posent quant à la situation juridique des services de sécurité étrangers, même s'il s'agit de pays amis, sur ce que nous faisons juridiquement des opérations menées par des services de sécurité étrangers sur notre territoire, sur la mesure dans laquelle nous y avons prise et sur les responsabilités parlementaires et politiques.

La commission du suivi a en tout cas pu faire certaines constatations.

Premièrement, les services de renseignements ont donné dans le premier rapport du Comité R des informations inexactes en déclarant n'avoir reçu aucune demande de renseignements de la part du gouvernement. J'estime que c'est un incident grave. Si les services de renseignements sont interrogés, ils doivent dire la vérité.

Deuxièmement, les services belges de renseignement n'ont manifesté aucun intérêt pour les faits allégués.

Troisièmement, les services ne peuvent soutenir de manière crédible qu'ils ne sont pas compétents pour les matières en question. Les violations des droits de l'homme sont une atteinte à l'ordre juridique dont ils sont chargés par la loi d'assurer le maintien.

Quatrièmement, alors qu'il avait marqué son accord au départ, le ministre de la Défense a finalement refusé que la commission du suivi fasse une visite au centre de contrôle du trafic aérien de la Force aérienne belge (ATCC) à Semmerzake. Il va sans dire que cela soulève des questions quant à la volonté de collaborer à l'enquête de la commission.

La première partie du chapitre « Conclusions et recommandations » porte sur le contrôle externe des services de renseignement. On se demande notamment dans quelle mesure ces services sont habilités à intervenir préventivement et à collecter des informations.

Les services de renseignement doivent être le gardien de l'ordre juridique démocratique. Cela signifie qu'ils doivent veiller à ce que les droits et libertés fondamentaux soient respectés. Les pages 66 et 67 du rapport permettent d'établir clairement que la Sûreté de l'État et les services de renseignement militaires auraient certainement dû, à mon sens, communiquer les informations éventuelles dont ils disposaient sur les prétendus vols de la CIA.

Depuis le rapport Echelon, nous savons que les activités de services de renseignement amis ne constituent pas une priorité pour la Sûreté de l'État ou les services de renseignement militaires.

Cela pose problème à la commission de suivi. Sa première recommandation est donc d'étendre les missions légales de nos services de renseignement au contrôle de toute activité des services de renseignement étrangers sur le territoire national, afin de mieux les contrôler, en adaptant la loi organique des services de renseignement et de sécurité du 30 novembre 1998.

Le contexte politique s'est fondamentalement modifié après la chute du mur de Berlin. La lutte contre le terrorisme nous place également face à de nouveaux défis. Nos services de renseignement doivent adapter leur fonctionnement à cette nouvelle réalité.

Dans ce contexte, les deux rapports successifs du Comité permanent R remplissent leur rôle en mettant surtout en évidence l'embarras des services de renseignement belges face à l'enquête de contrôle et en révélant, entre les lignes et dans une certaine mesure, l'expression d'une certaine culture de méfiance à l'égard des autorités politiques, qu'elles soient gouvernementales ou parlementaires.

Cette constatation s'éclaire encore davantage lorsqu'on relève dans une deuxième temps la manière dont d'autres services de renseignement alliés répondent aux questions de la Sûreté de l'État, chargée par le Comité ministériel du renseignement de rechercher des informations sur d'éventuels vols litigieux attribués à des opérations de la CIA. Mme Defraigne et moi-même renvoyons à cet égard à l'une des recommandations du Projet de rapport intérimaire de la Commission temporaire d'enquête du Parlement européen.

Tout cela nous incite a poser quelques questions complémentaires sur le fonctionnement des services de renseignement et des services de renseignement militaires. La commission de suivi rappelle également la création de l'OCAM/OCAD qui permet une centralisation et une meilleure coordination des informations relatives à la sécurité.

La semaine dernière, j'ai fait remarquer au ministre allemand des Affaires européennes qu'on ne pouvait en même temps plaider pour une coordination des données se trouvant en Belgique ou ailleurs et réclamer une collaboration, une harmonisation et un échange de données dans le cadre d'une politique adaptée de sécurité et maintenir le système du Big Five (France, Allemagne, Royaume-Uni, Espagne et Italie).

Ces pays ont leur propre système d'échange d'informations, ce qui fait courir un risque supplémentaire aux pays qui n'y sont pas associés. Les terroristes peuvent ainsi être tentés de s'établir dans les pays plus petits.

Ce constat conduit à la deuxième recommandation. La commission de suivi soutient les initiatives du gouvernement belge pour une véritable politique de renseignement européen qui se situe dans une politique étrangère commune de l'Union européenne.

Dans sa troisième recommandation, la commission de suivi propose d'élargir la compétence légale du Comité R afin qu'il puisse étendre son contrôle à toutes les institutions susceptibles de fournir des informations utiles, aussi bien sur le fonctionnement de nos services de renseignement que sur les activités des services de renseignement étrangers sur notre territoire.

La deuxième partie du chapitre « Conclusions et recommandations » est consacrée à l'obligation de sauvegarde des droits fondamentaux par les autorités belges. Ce thème a donné lieu à beaucoup de discussions. Les autorités militaires estimaient que les droits fondamentaux ne s'appliquaient pas aux éventuels vols de la CIA.

Nous avons fait référence au rapport de la Commission de Venise. Cette commission tente de promouvoir l'établissement d'une démocratie par le droit. Son rapport dresse l'inventaire des principes juridiques.

Pour nous, il est incontestable que les droits et libertés fondamentaux doivent être protégés de façon permanente lorsqu'il s'agit d'opérations telles que les vols de la CIA. La Cour européenne des droits de l'homme s'est d'ailleurs prononcée à plusieurs reprises dans ce sens dans des cas concrets.

Dans la quatrième recommandation, la commission du suivi recommande au gouvernement d'accroître ses efforts pour assurer le respect des droits fondamentaux sur le territoire du pays, notamment en renforçant le contrôle et l'inspection des avions qui survolent le territoire du pays ou y atterrissent, que ce soient des vols civils ou militaires.

Dans la cinquième recommandation, la commission du suivi recommande au gouvernement de prendre sans tarder l'initiative de mettre au point, au niveau international, notamment en collaboration avec les autres pays de l'Union européenne, les États membres du Conseil de l'Europe et les États-Unis, une véritable stratégie globale pour faire face à la menace terroriste, en se fondant notamment sur des instruments conformes aux principes fondamentaux de notre patrimoine commun en matière de démocratie, de respect des droits de l'homme et de primauté du droit.

La commission du suivi recommande également au gouvernement de rappeler aux États membres de l'Union européenne et aux États membres du Conseil de l'Europe qui collaboreraient à de telles infractions qu'ils sont juridiquement responsables de la protection des droits fondamentaux de leurs ressortissants.

Enfin, la commission du suivi encourage le gouvernement dans ses efforts en vue de promouvoir une réelle politique de sécurité européenne dans laquelle un service de renseignements européen a sa place.

La question cruciale est de savoir si des vols de la CIA sont passés par la Belgique. Puisque nous ne disposons d'aucune preuve directe, nous ne pouvons prouver de manière concluante qu'ils ont eu lieu.

Dans un programme télévisé diffusé à la suite d'un récent événement à Anvers, j'ai souligné que, dans notre pays, le processus décisionnel politique est déficient parce qu'il repose sur une démocratie des incidents. Cela signifie que dès qu'un incident a eu lieu, certains courent vers les micros pour donner rapidement le ton de la future discussion politique.

Un incident doit bien entendu être l'amorce d'une enquête. La commission parlementaire du suivi l'a dès lors fait mais, pour apprécier l'incident, la problématique doit être placée dans un contexte plus large et on doit trouver des solutions qui dépassent le problème concret.

Le cadre juridique, social et politique des problèmes rencontrés avec SWIFT est tout à fait comparable à celui des vols de CIA.

Je termine par quelques réflexions personnelles.

Je remercie les membres de la commission parlementaire de suivi, la présidente et la corapporteuse, Mme Defraigne, pour l'harmonie qui a caractérisé l'élaboration de ce rapport.

Je souligne que le président du Comité R, M. Delepière, qui n'est plus en fonction depuis le 1er juillet, a collaboré pendant toutes ces années de manière très consciencieuse et compétente avec la commission parlementaire de suivi. Sans une bonne entente entre le Comité R et la commission de suivi, il est bien sûr impossible de travailler efficacement.

Je suis conscient que les rapports de la commission parlementaire de suivi ne ménagent pas toujours la Sûreté de l'État ou la sûreté militaire. Les services de sécurité doivent cependant comprendre qu'ils opèrent dans un contexte démocratique différent d'il y a dix ou quinze ans et qu'ils doivent adopter une attitude beaucoup moins défensive. Ils doivent savoir que le Comité R et la commission de suivi donnent l'occasion de développer une nouvelle politique et de répondre préventivement à des questions, ce qui leur permettra d'être moins souvent en difficulté par la suite. Le Sénat a souvent fois adopté à l'unanimité des recommandations réclamant davantage de moyens techniques et humains pour la Sûreté de l'État, pour lui permettre de mener une politique de sécurité préventive. Voici trois ou quatre ans, nous avons ainsi demandé que l'on permette les écoutes téléphoniques administratives dans le cadre de la lutte contre le terrorisme mais aucun accord ne se dégage manifestement au sein du gouvernement sur cette mesure. Depuis lors, nous avons connu les affaires Echelon et SWIFT. C'est un peu hallucinant. D'un côté le Sénat adopte des recommandations pour que les services de sécurité aient les moyens de relever les nouveaux défis, sans toutefois obtenir de résultat politique et de l'autre, les services de sécurité étrangers, qui disposent de moyens énormes, mènent diverses opérations qui devraient faire l'objet d'une autre forme de coopération avec nos services de sécurité.

Le traité OTAN, conclu pendant la guerre froide, contient des protocoles additionnels secrets concernant certaines opérations militaires. Je ne puis bien sûr le prouver mais il est possible que les États-Unis ou la CIA aient, en exécution de ces accords secrets, organisé des vols dont la force aérienne aurait été informée mais dont la commission parlementaire de suivi ne peut pas prendre connaissance directement.

À cet égard, je voudrais signaler que la visite à Semmerzake, où de telles informations pourraient se trouver, n'a pas eu lieu. Où est la responsabilité ministérielle lorsqu'il s'agit d'opérations dans le cadre des protocoles additionnels de l'OTAN ? Dans quelle mesure le gouvernement est-il informé ? Une justification est-elle possible devant le parlement ?

La véritable clé pour lutter efficacement contre le terrorisme et la criminalité organisée est la coopération : les services secrets européens doivent coopérer avec les services de police européens dans un cadre juridique adapté ; des moyens supplémentaires doivent être dégagés, y compris par le gouvernement belge. La coopération requiert en effet un minimum de crédibilité et des efforts budgétaires minimes. Si nous voulons être pris au sérieux sur le plan international, nous devons faire davantage d'efforts en matière de dépenses militaires et de police. Coopération signifie également cohérence. On ne peut pas, d'une part, affirmer constamment être pour la coopération et d'autre part, constater dans les faits une intervention isolée de pays amis. Je renvoie à nouveau à l'opération SWIFT.

Il n'entre pas dans mes intentions de faire de la politique politicienne mais on a dit pendant de nombreuses années que l'existence du Sénat était « le » problème belge. C'est bien entendu inexact. On peut cependant se demander comment, en d'autres circonstances, on réforme une démocratie parlementaire. Notre société est déséquilibrée : le pouvoir exécutif est bien trop puissant comparé au législatif. Le pouvoir judiciaire, en raison de sa nature, arrive systématiquement trop tard et ne dispose pas toujours de moyens suffisants. Notre pouvoir judiciaire est différent de celui des autres pays. Il n'est pas capable de défendre les droits constitutionnels des députés ou des sénateurs. Il y a aussi un déséquilibre entre la politique et la société pour toutes sortes de raisons liées à la crédibilité et la confiance. Tous les sondages montrent que nous devons y être attentifs. Il y a un déséquilibre lié au contexte politique international et à la mondialisation, laquelle influence nos relations sociales. Tous ces constats devraient être traduits de manière adéquate au parlement. J'ai lu dernièrement que le débat parlementaire n'existait plus. Si tel est le cas, il n'y a plus de parlement. Les débats ont lieu à la télévision et non au parlement. On ne sait manifestement plus ce qu'est un débat politique, quelle est la fonction du parlement, pourquoi il faut débattre au parlement, même devant des sièges vides.

Historiquement, le parlement est né pour défendre les droits fondamentaux et les libertés des citoyens contre le pouvoir exécutif.

Une réforme parlementaire offre bien des possibilités. Le pouvoir judiciaire est sursollicité parce que de nombreux citoyens estiment que leurs droits sont bafoués.

Le parlement doit se pencher sur la question de savoir comment nous pouvons restaurer sa tâche historique de protéger les droits et libertés fondamentaux des citoyens. Comme l'a démontré la commission chargée du suivi du Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité, il est possible d'avoir prise, grâce à des instruments parlementaires adaptés, sur le contrôle concret et le respect des droits et devoirs fondamentaux des citoyens sans que cela ne dégénère en chamailleries ou en lutte purement partisane. Bien qu'il puisse exister plusieurs conceptions de la protection de ces droits et libertés fondamentaux, cette protection constitue une tâche de base du parlement qui doit quelque peu dépasser les oppositions classiques. Tout comme il existe un Comité R, le Sénat devrait également disposer d'un comité chargé du contrôle du respect des droits de l'homme par les autorités. Dans la pratique on crée toute sorte d'organisations qui interviennent sans cesse dans les débats sur les droits de l'homme dans la société et qui montrent du doigt les autres citoyens. Mais la première tâche du parlement est de vérifier si et dans quelle mesure les autorités respectent les droits et libertés fondamentaux. Le contrôle de ce respect est aujourd'hui trop limité et n'est pas effectif. Le parlement doit se pencher sur cette question. Ce n'est probablement plus possible durant cette législature et nous devrons à nouveau l'examiner après les élections. Il me paraît important de clore mon exposé par cette considération générale. On peut expédier ce rapport comme un énième rapport après beaucoup d'autres, mais lorsqu'on regarde plus loin que le texte imprimé, on peut aussi apercevoir l'horizon des possibilités politiques qu'il offre pour une démocratie parlementaire.

(Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Christine Defraigne (MR), corapporteuse. - Je crois pouvoir dire sans exagérer que notre commission s'est montrée proactive, déterminée et qu'elle a toujours souhaité, dans ce dossier comme dans les autres, d'aller plus loin et aussi, comme l'a dit M. Vandenberghe, de donner sa pleine mesure au rôle et au travail du parlement.

Je remercie la présidente qui a dirigé nos travaux. Nous avons la même volonté de poursuivre notre raisonnement jusqu'au bout. Cela s'est traduit dans les dossiers que nous avons abordés.

Selon moi, c'est en prenant un peu de hauteur que nous accomplirons notre mission.

Dans le dossier des vols de la CIA, nous avons retrouvé un certain nombre de constantes, comme dans le dossier EPSI. Cela risque d'être également le cas pour le dossier suisse à propos duquel nous avons demandé une enquête.

Certains articles de presse ont évoqué l'existence éventuelle de vols de la CIA qui transporteraient des prisonniers aux fins de les interroger.

Ensuite, le parlement européen a pris le relais, suivi par le Conseil de l'Europe où nous avons eu, mardi dernier, un débat très intéressant. On y a recouru à une procédure plutôt inhabituelle pour demander aux États membres si ces vols avaient existé ou non et s'il fallait considérer qu'il y avait eu des centres de détention dans certains États membres.

En décembre 2005, Mme la présidente avait demandé au comité R d'enquêter sur l'existence éventuelle de ces vols. Il s'agissait également de savoir si nos services étaient au courant, s'ils y avaient participé et, le cas échéant, à quel degré.

Le comité R a rendu un premier rapport. On ne peut certainement pas lui reprocher une quelconque passivité ou inertie. Ce premier rapport a directement pointé du doigt les limites du contrôle parlementaire et nous invite à poser des questions complémentaires. Aujourd'hui, il ne s'agit plus tant de savoir si ces vols ont eu lieu ou non, mais de mener une réflexion sur le contrôle parlementaire des services de renseignement. Faut-il ou non modifier la loi du 18 juillet 1991 et celle de 1998 ? Nous avons répondu par l'affirmative. Comment notre ordre juridique fonctionne-t-il ? Appliquons-nous correctement nos propres règles juridiques nationales et internationales ? Respecte-t-on et fait-on respecter les droits fondamentaux des citoyens ?

Nos quatre constats tournent autour du manque de curiosité, du manque d'intérêt de nos services de renseignement et de la façon dont ils ont botté en touche, brouillé les pistes et nous ont expédié sur une voie de garage ou sur une voie détournée.

Nos services de renseignement sont chargés par la loi d'assurer le maintien de notre ordre juridique et de veiller à la protection de nos droits fondamentaux. Nous avons eu un débat sur la compétence du SGRS. Il en est ressorti qu'il était tout à fait compétent mais, aujourd'hui, la question n'est plus seulement juridique : elle est aussi politique. Pourquoi nous interdire l'accès des installations de Semmerzake s'il n'y avait rien à cacher ? Notre réflexe de questionnement est sinon parlementaire, tout à fait humain.

M. Vandenberghe a parfaitement rendu compte de notre travail commun. Je me bornerai donc à pointer du doigt un certain nombre de choses.

La tâche du comité R n'est plus tellement d'enquêter sur la matérialité des vols mais d'évaluer l'action de nos services de renseignement. Quelles sont finalement leurs compétences au regard des missions qui leurs sont conférées par la loi organique de 1998 ?

Il apparaît que leurs missions consistent à rechercher, à analyser et à traiter des renseignements relatifs aux atteintes, existantes ou potentielles, à la sûreté intérieure de l'État mais aussi à garantir la pérennité de notre ordre démocratique et constitutionnel. La Sûreté de l'État, elle, est en plein coeur de la cible mais le SGRS doit, lui aussi, assurer la protection et la survie de la population. La compétence de la Sûreté de l'État n'a jamais fait l'objet du moindre doute. Quant au SGRS, il donne l'impression de s'être engouffré dans la brèche en se demandant s'il s'agissait bien d'une menace pour la population.

Sur la base de l'article 2, alinéa 2, de la loi organique, le SGRS est compétent puisqu'il doit veiller au respect et à la protection de nos droits et libertés individuelles, ainsi qu'au développement démocratique de la société. Il en découle une obligation de coopération entre les services de renseignement, les différentes administrations, la police et les services de renseignement étrangers. La réponse n'est pas seulement juridique. Elle est aussi, au sens large et presque grec du terme, pratique. Par conséquent, elle devient politique. Pour nos services de renseignement, qui considèrent que la surveillance des activités des services alliés ne fait pas partie de leur « core business », l'affaire Echelon est symbolique.

Les services en question nous indiquent ainsi que le contrôle des activités d'un service de renseignement étranger sur le territoire national ne fait pas partie de leur mission, sauf dans les cas d'espionnage ou d'ingérence. Or, dans cette affaire des vols de la CIA, on n'a affaire ni à l'un ni à l'autre.

Je souligne au passage que cette réponse aseptisée ne pourra pas être donnée lorsque nous aborderons le dossier SWIFT, où la question de l'espionnage économique ou industriel au sens large me semble posée. Les services de renseignement ne pourront pas, alors, dresser cette barrière par laquelle ils nous disent en quelque sorte : « Touche pas à nos potes de la CIA, car nous sommes obligés de travailler avec eux ».

Nous avons dès lors formulé une première recommandation, qui vise à l'élargissement des missions légales de nos services de renseignement au contrôle des activités des services de renseignements étrangers sur le territoire national.

Je rejoins à cet égard votre plaidoyer pour le rôle du parlement, monsieur Vandenberghe. D'ailleurs, rien ne nous empêche de déposer un texte avant la fin de cette législature. Nous avons en effet effectué ce travail tous partis confondus, en transcendant les clivages ; vous avez d'ailleurs fait état de cette bonne entente et de cette collaboration. Nous pouvons donc, avant la fin de la législature, proposer une modification de la loi du 30 novembre 1998. D'aucuns diront que, sur papier, c'est facile. Ce ne l'est pas tant que cela, mais il est exact que l'on nous opposera la culture du secret, la fameuse règle du tiers service, la culture du donnant-donnant : ne pas trop mordre sur les plates-bandes de son partenaire, au risque de voir l'efficacité de sa collaboration diminuer... De plus, nos services de renseignement - on s'en rend déjà compte dans le dossier SWIFT - nous disent agir de façon défensive. Pour eux, il s'agit d'une mission de protection et non d'une mission offensive, sans compter que les services étrangers, fussent-ils alliés, présentent un caractère beaucoup plus pugnace, plus offensif, et sont également dotés d'autres moyens...

Face à cette réaction, il faut utiliser un argument a fortiori. En quinze ans, le monde a changé, la menace s'est modifiée. Le fait d'avoir, en face ou à côté de nous, des gens plus offensifs constitue précisément une raison de ne pas rester aussi frileux et de s'inspirer de leur comportement. Il faut adopter une attitude plus « dynamique ».

La modification proposée va certainement se heurter à la fameuse règle de classification des documents, mais il faudra faire l'exercice. Nous devrons examiner la question du rôle du Comité R.

Celui-ci peut interroger nos services de renseignement, essayer d'aller voir plus loin et d'en savoir plus sur les autorités annexes et dérivées mais où est l'obligation de répondre ? À un moment donné, on arrive à une espèce de constat de carence, d'impossibilité à aller plus loin.

En vertu de la loi, nos services de renseignement doivent répondre, mais on sait qu'ils se font de temps en temps tirer l'oreille. On l'a suffisamment dit, nous sommes en présence de deux logiques qui s'affrontent : l'une réclame du contrôle et de la transparence ; l'autre pratique le secret ou en tout cas la discrétion. Quelle est l'obligation de réponse des autorités dérivées, s'agissant, en l'espèce, de Belgocontrol ?

Plusieurs questions se posent : qui dispose de l'information ? Quelle autorité ? Si cette information est disponible quelque part, vers qui remonte-t-elle ? Vers une autorité politique, une autorité administrative ou une autorité purement militaire ?

Quelqu'un m'a demandé si notre travail n'était pas un peu frustrant. Je dirais que, face à une difficulté, le fait d'identifier les problèmes et les malaises et de poser les bonnes questions et enfin le diagnostic constitue déjà un début de réponse qui, dans le cas présent, a pris la forme de recommandations que M. Vandenberghe a énoncées. Celles-ci déboucheront, mais sans doute pas sous cette législature, sur des textes qui nous permettront de renforcer le contrôle.

Cette absence de cadre et d'obligation formelle de réponse est à la base de l'embarras des services de renseignement face à l'enquête. Tout cela prend un éclairage et une tournure assez édifiants à la lecture de la réponse des services de renseignement alliés - la CIA, pour ne pas la nommer - aux questions de notre Sûreté de l'État, réponse que je synthétiserai familièrement par « Circulez, il n'y a rien à voir ». Quant à nos services de renseignement, ils nous disent « Touche pas à mon pote ». Nous aimerions transformer ce cercle vicieux en cercle vertueux.

Le contrôle parlementaire des services de renseignement belges répond à une recommandation du rapport intérimaire de la commission d'enquête du Parlement européen. Les règles qui régissent les activités des services secrets ne sont plus totalement adéquates ; elles sont nécessaires mais insuffisantes.

Il faut, selon nous, mettre d'urgence en oeuvre des mesures législatives au niveau national et au niveau européen. Et c'est bien là la difficulté car c'est au niveau européen que la tâche paraît la plus colossale. Tout le monde s'accorde à dire que la lutte contre le terrorisme doit se mener à différents niveaux - national, européen, international - et qu'elle nécessite des moyens durs voire impitoyables. Mais pour ce qui est de la protection des droits fondamentaux, cette fin ne justifie pas que l'on fasse n'importe quoi, que l'on méprise notre ordre juridique national, pas plus que l'ordre juridique international. Le droit international ne s'applique pas à la carte. Nous avons des règles auxquelles nous avons souscrit. Notre honneur d'Européens réside notamment dans la Convention européenne des droits de l'homme et dans d'autres conventions, comme celle contre la torture. Il ne peut être question, même si la fin est en soi louable, de recourir à des concepts surgis d'on ne sait où - je pense, par exemple, au droit de la restitution.

Ne faisons pas le jeu de ceux qui veulent abattre notre ordre social, notre ordre moral, notre ordre juridique. Ne faisons pas leur lit en méprisant l'ensemble des valeurs auxquelles nous avons souscrit.

Si nous sabrons dans notre propre ordre juridique, nous donnerons du crédit à tous ceux qui veulent nous affaiblir, à tous ceux qui veulent démolir nos démocraties.

Tout le monde est bien conscient de la nécessité de lutter contre le terrorisme au niveau européen mais l'idée d'un service de renseignement européen est d'office écartée car jugée utopique, illusoire.

Depuis le rejet de la Constitution européenne, la construction européenne connaît des difficultés, des ralentissements, voire des errements à certains égards. Chacun s'accorde à dire qu'il faut une politique étrangère européenne et un ministère des Affaires étrangères européen. Pour moi, le corollaire, notamment dans le cadre de la coopération judiciaire européenne, sera une construction européenne du renseignement. Celle-ci n'est pas purement illusoire, théorique, utopique. On y vient d'ailleurs.

Comme le débat que nous avons mené au Conseil de l'Europe la semaine dernière l'a montré, l'idée commence à faire son chemin et est de plus en plus considérée comme un « fondamental », un prérequis à l'obtention d'un résultat efficace et pragmatique qui préserve ce que nous sommes, c'est-à-dire des Européens qui ont adhéré à certaines valeurs.

Une des recommandations demande un meilleur contrôle sur les services de renseignement alliés et l'établissement de procédures à cette fin. La compétence légale du Comité R devrait également être élargie de manière à lui permettre d'obtenir les informations utiles auprès de diverses autorités.

Le troisième pan de notre travail s'est articulé autour du respect des valeurs universelles de dignité humaine et des droits fondamentaux garantis par le droit international et par nos propres règles de droit interne. Nous ne réaffirmerons jamais suffisamment la primauté du droit. Celui-ci doit en permanence être le fil conducteur de notre travail.

Si l'on m'interroge sur la réalité des vols de la CIA, je devrai répondre à l'instar de Jean Gabin que « tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien ». Il s'agit peut-être d'une réponse frustrante. J'admets que si nous nous trouvions devant un tribunal, nous pourrions plaider l'acquittement au bénéfice du doute. Des zones d'ombre subsistent en effet. Nous pouvons sans doute affirmer qu'il n'y a pas eu de centres de détention illégaux sur notre territoire mais il subsiste des points d'interrogation quant aux vols. Je me garderai donc bien, en toute objectivité, de répondre par « oui » ou par « non » à la question de savoir si des vols ont eu lieu.

En tout cas, nous n'avons pas fait oeuvre inutile. C'est le moins que nous puissions dire. En identifiant les éléments qui posent problème, en posant le diagnostic, nous ouvrons déjà la voie à des solutions, non pas théoriques, mais légales. Ces solutions passent par une modification législative et leur mise en oeuvre dans le cadre d'une stratégie globale de lutte contre la menace terroriste, laquelle a changé de visage au fil des années, nous impose de modifier nos moyens, ce qui suppose une véritable volonté politique.

M. Francis Delpérée (CDH). - L'important rapport dont nous sommes saisis appelle quelques commentaires, d'abord au regard des travaux qui sont poursuivis au niveau européen, notamment à l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. La Belgique n'est certainement pas mentionnée parmi les États dont on a pu prouver des violations des droits de l'homme, mais l'enquête n'est pas terminée. Les travaux du Parlement européen donnent tout de même à penser que des aéroports belges, que ce soit Deurne ou Zaventem, ont pu accueillir à plusieurs reprises, entre 2002 et 2006, des avions des services secrets américains.

La question importante et d'abord juridique qui se pose est de savoir s'il y a complicité. Un État qui se saisit d'une personne déterminée sur un territoire déterminé pour la transporter sur un autre territoire, se livre manifestement à une pratique illégale. Les autres États dont les aéroports accueillent ces vols secrets et dont les services fournissent des renseignements aux services étrangers se rendent en réalité complices de ces pratiques illégales.

Je ferai deux réflexions au sujet des recommandations faites par la commission chargée du suivi.

Premièrement, en ce qui concerne la première recommandation, nous constatons chaque fois que le contrôle n'est pas adéquat. Le contrôle est tardif, il se fait après coup, il intervient à un moment où le mal est fait. Nous sommes donc toujours en retard d'une guerre. La question que posait tout à l'heure M. Vandenberghe, à savoir comment le parlement peut-il contrôler un certain nombre d'agissements et d'interventions - et je serais tenté d'ajouter « à temps » - est évidemment fondamentale puisqu'elle met en cause notre rôle et, pourquoi pas, notre existence.

Deuxièmement, quant aux quatrième et sixième recommandations, il y a lieu de rappeler les règles de la complicité à nos partenaires, notamment ceux de l'Union européenne et ceux du Conseil de l'Europe. Il y a lieu de leur rappeler que ceux qui collaborent à de telles infractions sont juridiquement responsables. J'irai même plus loin : il ne faut pas seulement rappeler aux autres, mais aussi peut-être à nous-mêmes ainsi qu'aux autorités publiques belges que la complicité est également, de ce point de vue-là, critiquable.

M. Philippe Mahoux (PS). - C'est d'abord aux membres de la commission du suivi que je voudrais m'adresser. Après avoir entendu les différents intervenants, j'aurais tendance à dire : ne cultivez pas la frustration. Si vraiment vous êtes frustrés, arrêtez de vous réunir. En continuant à vous réunir avec ce sentiment de frustration, vous formeriez une commission alibi. Rien n'est plus mauvais que d'avoir l'illusion de contrôler quand on ne contrôle pas réellement. Cette remarque m'est également inspirée par la lecture du rapport. Cependant, vous semblez ne pas avoir totalement accepté cette frustration puisque quelques items souhaitant modifier cet état des choses figurent parmi vos recommandations. Je le redis : si vraiment vous avez le sentiments d'être alibis, arrêtez de vous réunir car cela reviendrait à accepter d'être un succédané de contrôle, à vous illusionner et à entretenir les illusions des membres de cette assemblée.

Vous savez que la composition de la commission du suivi est particulière. En tant que membres de cette assemblée, nous recevons les informations fournies par les membres de cette commission, sans pouvoir participer à ses travaux. Le problème de fond, à savoir les rapports entre les services de renseignement des États alliés, n'est pas nouveau. Ainsi, lors de la commission d'enquête sur le Rwanda, nous avons obtenu toutes les informations possibles de la part des départements de la Défense et des Affaires étrangères. Toutefois, quand nous avons demandé à la Défense les informations qu'elle aurait recueillies de la part de services étrangers, on nous a signalé qu'il était impossible de répondre à ce type de requête. Le motif invoqué n'était pas que l'on ne contrôle pas des services alliés, mais bien que la collaboration avec les services étrangers alliés deviendrait impossible si la confidentialité des renseignements recueillis par lesdits services pouvait être levée, même partiellement.

C'est un problème sur lequel nous devons nous pencher autrement qu'à l'occasion d'incidents qui ont d'ailleurs tendance à se répéter : vols de la CIA pour transports illégaux de prisonniers, déplacements dans des pays où se pratique la torture, problème SWIFT évoqué par Mme Defraigne.

On ne peut accepter que des services secrets étrangers travaillent sur le territoire belge sans contrôle possible et à l'insu des autorités belges. La lutte contre le terrorisme et sa prévention est un objectif parfaitement légitime, mais la collecte de renseignements très large dépasse l'objectif d'information menée par les services étrangers.

Je n'évoquerai pas ici la problématique « Echelon » qui avait provoqué un scandale en Belgique, mais on a le sentiment que la répétition de scandales, c'est-à-dire d'interventions de services étrangers à l'intérieur du territoire belge, entraîne une forme de banalisation de ceux-ci. Personnellement, je considère que l'on ne peut pas banaliser ce type d'interventions mais, au contraire, qu'il faut rappeler aux uns et aux autres, quels qu'ils soient, quelle que soit leur puissance, quels que soient les liens d'amitié qui nous lient aux États dont elles émanent, que le respect des règles de communication entre États alliés est indispensable et que le respect des droits de l'homme est une condition sine qua non à des relations harmonieuses.

J'en arrive aux recommandations qui ont été formulées et viennent d'être rappelées par les rapporteurs. Je ne reviendrai pas sur la première d'entre elles qui a trait au fondement de la frustration dont ont été saisis les membres de la commission du suivi, frustration qui semble être partagée par les membres du Comité R, ce qui est peut-être encore plus grave.

Cela démontre la nécessité d'un débat entre l'exécutif et le parlement. Il faut en effet nous interroger sur ce qui relève de l'exécutif, et sur la part du contrôle parlementaire a priori, a posteriori ou en temps réel sur ce qui se passe sur le territoire de la Belgique.

La deuxième recommandation concerne la nécessité d'une véritable politique de renseignement européen s'inscrivant dans une politique étrangère de l'Union européenne.

J'attire l'attention sur le fait qu'à cet égard, on a souvent tendance à mettre la charrue avant les boeufs, c'est-à-dire qu'on établit des collaborations en l'absence d'un cadre juridique européen garantissant la protection des libertés et des droits individuels.

Toute avancée souhaitable à l'échelon européen qui aboutirait à établir des communications de renseignements entre les services sans qu'une législation européenne soit mise en place constitue une fuite en avant. Ce système risque d'aboutir à une réduction draconienne des libertés individuelles et de la protection de la vie privée des citoyens européens.

La troisième recommandation concerne le champ du contrôle. Il est souhaitable de disposer d'informations complémentaires à cet égard afin de pouvoir examiner la nécessité, pour le comité R, et la commission du suivi, de pouvoir contrôler d'autres instances que les services de renseignement.

Cela veut-il dire qu'on aura la possibilité de contrôler l'ensemble des structures qui fournissent des renseignements aux services de renseignement ?

J'imagine que la recommandation n'a pas trait au service d'analyse qui sera prochainement mis en place. En effet, notre assemblée a conclu que les services de renseignement devaient être contrôlés mais que le service d'analyse ne devait pas être contrôlé en tant que tel.

Mais jusqu'où doit aller la mission dévolue au comité R et évidemment à la commission du suivi ? Celle-ci sera-t-elle chargée de contrôler l'ensemble des services de renseignement et l'ensemble des services qui les alimentent.

Ma troisième remarque porte sur la quatrième recommandation qui ne demande guère d'explicitations.

Elle concerne le contrôle de l'ensemble des survols de notre territoire, qu'ils soient civils ou militaires. J'ai lu dans le rapport de la commission du suivi qu'il y avait quelques conflits de compétences par rapport à ce contrôle et que d'autre part, il n'était pas possible, pour le comité R, de contrôler véritablement la totalité des vols. Cela n'est pas acceptable.

J'en viens à la cinquième recommandation. Elle concerne la stratégie à adopter face à la menace terroriste, en se fondant notamment sur des instruments conformes aux principes fondamentaux de notre patrimoine commun relatif à la démocratie, au respect des droits de l'homme et à la primauté du droit. Je ne peux m'empêcher de constater qu'il existe peut-être aussi une fuite en avant à ce sujet, mais d'un autre ordre que celle que j'ai décrite précédemment. Il est déjà extrêmement compliqué d'élaborer, au sein de l'Union européenne, un cadre commun permettant d'établir des communications de renseignements avec la protection juridique nécessaire. Croit-on vraiment que ce sera possible au Conseil de l'Europe ? Je rappelle que sa composition est extrêmement large et que les garanties que l'on peut avoir vis-à-vis de ses membres sont quand même plus faibles que celles que peuvent offrir les pays de l'Union européenne. Tout en reconnaissant le rôle du Conseil de l'Europe, je plaiderais pour que l'on concentre son énergie sur une coopération et un cadre juridique au niveau de l'Union européenne et entre ses 25 États membres.

La sixième recommandation vise la poursuite des infractions et leur élucidation, dans le respect des droits de l'homme. Il est très positif d'avoir mis cet élément en évidence.

Enfin, dans la septième recommandation, on encourage le gouvernement à poursuivre ses efforts en vue de promouvoir une politique de sécurité européenne dans laquelle un service de renseignement européen a sa place. Cela peut sembler reprendre, mais de manière plus précise, une recommandation précédente. Je rappelle donc qu'il est très important que, si un service de renseignement européen devait être mis en place, sa création devrait respecter un cadre juridique strict qui permettrait de prévenir efficacement les menaces contre l'ensemble des pays de l'Union et le nôtre en particulier, mais qui, en même temps, assurerait la protection de la liberté et de la vie privée de chaque citoyen européen.

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - M. Mahoux a fait part de ses sentiments de frustration. Il est toujours très agréable de parler de sentiments lors d'un débat sur les vols de la CIA.

Lorsque nous avons rédigé le rapport, nous nous sommes bornés à faire des constatations. Nous nous heurtons aux règles et aux limites des possibilités. Nous ne pouvons toutefois pas nous laisser guider en permanence par des frustrations qui n'étaient certes pas les nôtres.

M. Hugo Coveliers (Indépendant). - Je remercie les services du Sénat qui ont veillé à ce que nous recevions le rapport hier après-midi. J'avais déjà consulté d'autres sources pour savoir ce qui y figurait et ce qui s'était passé à ce sujet.

Une phrase importante figure à la page 67 du rapport : « Depuis le rapport du Comité R sur "Echelon", on sait que les services de renseignement belges - semblant suivre en cela une norme propre au monde du renseignement - n'ont pas comme cible les activités des services alliés. Ce qui était vrai pour la problématique "Echelon" semble l'être également pour celle des vols "CIA", au niveau des services de renseignement belges, mais aussi au niveau des autres services de renseignement européens ».

On veut probablement dire que, depuis le rapport Echelon, certains services étrangers ont mieux évalué les péripéties du Comité R et que les réserves à son égard se sont accrues. Cette réserve vaut d'ailleurs pour chaque organe de contrôle parlementaire partout dans le monde, mais elle est encore plus grande chez nous parce que le Comité R est composé sur la base de préférences politiques. Pas plus que la commission du suivi, il n'est composé démocratiquement. Chaque service étranger sait que c'est un petit club composé d'un nombre limité de membres, sur la base de leur appartenance politique. Ceux-ci ne le cachent d'ailleurs pas lors de leurs contacts avec les services étrangers.

Tout cela est très important car, dans les conclusions du rapport, le Comité fait une tentative manifeste mais naïve pour étendre ses compétences. Si nous revenons à l'essence de la loi de 1993 relative au contrôle des services de police et de renseignement, nous constatons que cette tentative d'extension des pouvoirs est une gaffe monumentale. Le Comité R s'en prend à l'idée d'un seul contrôle externe et à la différence entre un service de contrôle et les services de renseignement et de police eux-mêmes. Dans les recommandations, on charge le Comité R d'affaires qui ne sont pas les siennes mais celles des services de renseignement, si nécessaire sous la direction du nouveau service OCAM que le gouvernement entend maintenant créer et dont le chef est déjà connu dans certains cercles restreints. Si ces missions sont confiées au Comité R, nous devrons créer demain un nouveau comité chargé de contrôler le Comité R. Celui-ci va en effet faire du travail de renseignement au lieu de contrôler.

Le noeud de l'affaire est que les États-Unis, un partenaire de la Belgique dans l'OTAN qui est en guerre avec l'Afghanistan, auraient utilisé des aéroports belges pour transporter des prisonniers. Il ne s'agit pas de la manière dont ces prisonniers ont été traités mais du transport de ces prisonniers. Selon le rapport, les services belges de sécurité auraient dû en être informés. Cela me paraît excessif, car à ce train-là, un procureur du Roi par exemple devrait être informé de tous les transports de détenus dans son arrondissement judiciaire. Mais c'est une idée qui passe bien politiquement.

La première recommandation est une erreur. En préconisant une extension de la mission des services de renseignement au contrôle de toute activité de services de renseignement étrangers sur le territoire belge, la commission de suivi recommande aux services de sécurité d'exercer une activité policière. Si les services de renseignement étrangers constituent une menace, il faut l'analyser. S'ils violent la loi, ce ne sont pas les services de renseignement belges qui doivent intervenir mais la police.

Autre problème, la plupart des agents des services de renseignement ont un statut diplomatique. Je souhaite bonne chance aux autorités chargées de contrôler les activités de ces diplomates. Nous ne sommes même pas capables de contrôler les faits et gestes d'une terroriste condamnée.

Dans la deuxième recommandation, la commission du suivi soutient les initiatives du gouvernement en faveur d'une véritable politique du renseignement européen qui s'inscrit dans une politique étrangère commune de l'Union européenne.

On sait que les services de renseignement des pays démocratiques font toujours rapport au pouvoir exécutif. Ils ne s'occupent pas d'établir des normes mais de collecter des informations pour les dirigeants politiques. Or comment, en l'absence d'un pouvoir exécutif européen démocratiquement élu, peut-on mener une politique européenne du renseignement, même si les 25 États membres de l'UE se mettent d'accord sur une politique étrangère européenne commune ? Avec un service de renseignement européen officiel, la Commission européenne et surtout ses fonctionnaires auraient encore plus de pouvoirs qu'aujourd'hui. Le Parlement européen serait encore moins capable de contrôler un tel service que nous ne pouvons le faire actuellement avec les services de renseignements belges.

Par sa troisième recommandation, le Comité R cherche à élargir ses activités. Cela me fait songer à la discussion héroïque entre la présidente de l'époque du Comité R, Véronique Paulus de Châtelet, et le président du Comité P, Freddy Troch, sur la question de savoir si le comité R avait le droit de contrôler les renseignements collectés par la police. La réponse était évidemment non mais c'était une tentative, de la part du Comité R, d'étendre ses pouvoirs. À présent le Comité R voudrait à nouveau élargir ses compétences pour pouvoir étendre son contrôle à toutes les institutions susceptibles de fournir des informations utiles aussi bien sur le fonctionnement de nos services de renseignements que sur les activités des services de renseignements étrangers sur notre territoire. Vous vous rendez compte de ce que cela signifie ? Il serait démocratiquement inqualifiable d'accorder un tel pouvoir à trois personnes dont la nomination a été politique. Une telle proposition conviendrait peut-être à une dictature mais aucunement à une politique de police et de renseignement moderne.

M. Mahoux a dit que M. Vandenberghe doit être frustré. D'après tel journal du matin, on est d'abord aigri, puis crispé et ensuite seulement frustré. Je n'ai jamais vu M. Vandenberghe aigri ni crispé et encore moins frustré. Ce doit donc être une approche subjective.

Toutes les initiatives de coopération avec des pays de l'UE devraient, selon moi, concerner la coopération entre les services de renseignements de ces pays et la coopération en matière de contrôle des services de renseignements dans tous ces pays. C'est la seule possibilité. Aujourd'hui, on met la charrue avant les boeufs. Tant qu'il n'y aura pas de pouvoir exécutif européen, la création de tout service européen comportera des risques.

C'est le grand drame d'Europol. Chaque fois qu'il veut intervenir, il se heurte aux pouvoirs exécutifs des différents pays. Il risque d'en aller de même pour le nouveau service si nous ne veillons pas d'abord à mettre en place un exécutif et un contrôle parlementaire fort sur les services de renseignement. Nous nous rendons compte quotidiennement au parlement et au Sénat de la grande difficulté d'un tel contrôle.

Les États membres de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe sont juridiquement responsables des droits fondamentaux de leurs ressortissants et de tout le monde. Si la Flandre devenait indépendante mais n'était pas admise au Conseil de l'Europe, les droits des Flamands devraient quand même être garantis. Il faut modifier le texte à cet égard. La loi sur le contrôle des services de police et de renseignement prévoit en effet que le contrôle doit veiller à ce que les services conservent leur place dans la démocratie. C'est nécessaire à l'échelon européen aussi.

J'approuve la recommandation qui encourage le gouvernement à renforcer ses efforts en faveur d'une véritable politique européenne de sécurité. La recommandation ajoute toutefois : « dans laquelle un service de renseignements européen a sa place ». C'est seulement s'il existe une politique commune de sécurité, un exécutif et un contrôle, qu'on peut envisager un service de renseignement dans une démocratie.

Je trouve le rapport un peu décevant. Il pourrait difficilement en être autrement vu la composition du Comité R, les possibilités réduites de la commission de suivi et surtout le sujet lui-même.

(M. Staf Nimmegeers, premier vice-président, prend place au fauteuil présidentiel.)

Mme Anne-Marie Lizin (PS). - Comme présidente de la commission du suivi du comité R, je me suis permise de recourir à cette procédure particulière qui me donne l'occasion de m'adresser à vous sur le fond. Je considère en effet que le Sénat examine souvent des dossiers très importants. Cependant, notre commission du suivi touche dans ce dossier au coeur même d'un des thèmes les plus importants qui soient pour la démocratie en général et dans ce pays.

Je souhaite tout d'abord souligner l'excellent fonctionnement de cette commission et du comité R. Dans notre commission, la confidentialité des travaux a été respectée au fil des mois. J'en félicite l'ensemble des membres car nous savons que, parfois, les tentations ont pu être fortes.

Je vous informe aussi qu'au sein de l'OSCE, hier, nous avons approuvé un texte qui propose, en en soulignant l'utilité, de généraliser le contrôle parlementaire sur les services de renseignement et les services de police. Notre loi de 1998 va servir de modèle pour de nombreux pays de l'OSCE dont les parlements ne disposent pas encore d'un tel contrôle. Par exemple, M. Mironov lors de sa visite au Sénat nous a demandé un exemplaire du texte de cette loi et, actuellement, la Douma travaille à la rédaction d'un texte d'inspiration semblable.

J'en viens à ce que disait à juste titre M. Mahoux à propos des commissions d'enquête. Les commissions d'enquêtes sont aussi de bons instruments. Mais le comité de suivi parlementaire est plus précisément un instrument qui crée une régularité du contrôle. Or c'est la régularité du contrôle qui fournit la base de ce que nous souhaitons faire. Cela va au-delà de ce que peut réaliser une commission d'enquête parlementaire. Dans l'affaire Beslan qui fut un des grands dossiers de terrorisme en Russie, le président de la commission d'enquête, qui ne dispose pas d'une loi de contrôle régulier, n'a pas pu obtenir les informations qu'il souhaitait.

Venons-en aux vols de la CIA. Comme présidente de la commission, je suis fière des conclusions du rapport telles qu'elles ont été commentées par les deux rapporteurs. Accroître le contrôle parlementaire dans les deux directions citées est fondamental : sur l'action des services étrangers et sur l'action de services de l'État belge qui se comportent en services de renseignement comme les services des douanes, certains services de la police fédérale et la force aérienne. Il faut déterminer sur qui et où le débat devra se tenir. M. Coveliers a raison de dire qu'il ne faut pas que la commission devienne un service parlementaire plus fort que l'exécutif, mais le contrôle doit être effectué.

Dans le dossier qui nous occupe, la sûreté de l'État a d'abord été hésitante mais elle a ensuite bien collaboré avec un deuxième rapport d'une précision chirurgicale. Le SGRS nous a montré qu'il avait des limites infranchissables mais il a néanmoins collaboré à nos travaux. Nous avons donc décidé de déposer notre rapport bien que nous n'ayons pas eu la possibilité d'effectuer la visite du centre de contrôle des voies aériennes militaires alors que cette visite avait été préparée minutieusement entre nos services et le SGRS. Votre présidente prend la chose très au sérieux.

L'arrestation en Italie ou en Suisse de fonctionnaires de services de renseignement montre le danger du maintien de zones exclues du contrôle démocratique. Monsieur Delpérée, nous avons souvent le sentiment que les services connaissent et que le ministre compétent ne sait rien. Mais il se pourrait aussi que nous soyons dans un cas d'école où les services ont envie de collaborer, estiment normal le contrôle parlementaire, mais où, pour l'une ou l'autre raison, ce contrôle est empêché par un ordre politique.

Dans ce cas, il sera intéressant de voir quelle sera la responsabilité d'un service qui se voit imposer une instruction de ne pas informer la commission parlementaire.

Dans notre pays, des zones sont-elles exclues du contrôle parlementaire ? Ma réponse est oui, pour des raisons que le Sénat ne doit pas banaliser.

Le premier ministre et la ministre de la Justice ont montré l'exemple dans l'affaire SWIFT en transmettant directement les données dont le gouvernement dispose à notre Commission du suivi. Cela met en évidence l'autre attitude, celle du refus. Notre commission la regrette aujourd'hui officiellement par ma voix et espère un changement de comportement de la part du ministre de la Défense.

L'argument que nous entendons parfois n'est pas fondé. L'existence d'un contrôle parlementaire pourrait être utilisée comme argument pour que les services d'un pays ne collaborent pas avec ceux d'un autre pays. Ce n'est pas exact. La CIA est soumise à un contrôle parlementaire extrêmement pointu, de même que le SGRS. Pour répondre aux inquiétudes, notre commission proposera une rencontre internationale des autorités de contrôle, comme l'a suggéré M. Wille.

Le contrôle parlementaire est compatible avec la confidentialité des travaux. C'est précisément cela qui doit permettre une collaboration antiterroriste fondée sur la certitude qu'il n'y a ni abus ni secret honteux.

Nous sommes aujourd'hui sur la bonne voie pour faire naître le renseignement du XXIe siècle, mais le chemin sera long et difficile.

-La discussion est close.

-Il sera procédé ultérieurement au vote sur les conclusions et les recommandations de la Commission chargée du suivi du Comité permanent de contrôle des services de renseignements et de sécurité.

Ordre des travaux

M. le président. - Nous poursuivrons nos travaux cet après-midi à 15 h 00.

(La séance est levée à 12 h 30.)

Excusés

Mme Nyssens, pour raison de santé, M. Van den Brande, à l'étranger, et M. Wilmots, pour d'autres devoirs, demandent d'excuser leur absence à la présente séance.

-Pris pour information.