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Sénat de Belgique

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Annales - version française

SAMEDI 5 AVRIL 2003 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI


Avertissement: les passages en bleu sont des résumés traduits du néerlandais.


Communication d'arrêtés royaux

Ordre des travaux

Projet de loi modifiant la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire et l'article 144ter du Code judiciaire (Doc. 2-1256)

Annexe


Présidence de M. Armand De Decker

(La séance est ouverte à 14 h 55.)

Communication d'arrêtés royaux

M. le président. - Par lettre du 4 avril 2003, le ministre des Finances a transmis au Sénat, avant la publication au Moniteur belge, en application de l'article 3bis, §1er, al. 3, des lois coordonnées sur le Conseil d'État, le rapport au Roi, l'avis du Conseil d'État, le projet d'arrêté soumis à l'avis du Conseil d'État et l'arrêté royal instaurant un système de notifications électroniques entre le Service Public Fédéral Finances et certains officiers ministériels, fonctionnaires publics et autres personnes.

-Pris pour notification.

Ordre des travaux

M. Philippe Monfils (MR). - En ce qui concerne le projet figurant à notre ordre du jour, nous avons forcément reçu l'avis du Conseil d'État très tard, à moins que ce ne soit fort tôt. Un certain nombre de collègues et notamment les groupes n'ont pas encore pu se concerter. C'est pourquoi je demande une suspension de séance d'environ trente minutes.

(La séance, suspendue à 15 h 00, est reprise à 16 h 25.)

Projet de loi modifiant la loi du 16 juin 1993 relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire et l'article 144ter du Code judiciaire (Doc. 2-1256)

Discussion générale

Mme Jeannine Leduc (VLD), rapporteuse. - Je voudrais tout d'abord remercier le service des commissions qui, malgré cette période agitée, a réussi à rédiger un bon rapport en peu de temps.

La commission de la Justice a examiné ce projet après son renvoi par la Chambre. Lors de son exposé, le ministre a indiqué que l'amendement le plus important adopté par la Chambre porte sur l'article 5 soit l'article 7 proposé. Les autres amendements sont de moindre importance et concernent la plupart du temps des fautes de traduction ou des références incomplètes. La modification la plus importante porte sur l'article 7 dont le premier paragraphe prévoit clairement que, sous réserve d'un dessaisissement prononcé dans un des cas prévus aux autres paragraphes, les juridictions belges sont compétentes pour connaître des infractions prévues à la présente loi, indépendamment du lieu où celles-ci auront été commises et même si l'auteur présumé ne se trouve pas en Belgique.

Dans certaines circonstances bien déterminées, l'action publique ne pourra toutefois être engagée que sur réquisition du procureur fédéral. Saisi d'une plainte, celui-ci requiert du juge d'instruction qu'il instruise cette plainte. Quelques filtres ont été prévus. Aucune modification importante n'a été apportée aux paragraphes 2 et 3 de l'article 7 proposé. Le premier alinéa du paragraphe 4 règle la manière dont le ministre de la Justice informe des faits allégués, après décision délibérée en Conseil des ministres. Le deuxième alinéa concerne l'intervention de la Cour de Cassation lors du dessaisissement et le troisième l'avis éventuel de la Chambre des mises en accusation.

Lors de la discussion générale, Mme Nyssens a indiqué que le texte amendé peut faire l'objet de critiques, tant du point de vue juridique que démocratique, même si la loi de 1993 pouvait être améliorée. C'est surtout le paragraphe 4 de l'article 7 proposé qui lui pose problème. Elle s'interroge sur l'application de ce projet et sur l'interaction entre les différents acteurs tels que le procureur fédéral, le ministre de la Justice et les autorités.

M. Mahoux estime que le texte instrumentalise la Cour de Cassation. Il rappelle que la loi de 1993 visait à combattre l'impunité et se basait clairement sur le principe d'universalité. La solution retenue dans l'article 7 lui pose problème parce que l'on permet ainsi une atteinte à la séparation des pouvoirs. Il craint que le ministre puisse exercer un droit d'injonction négative. Il souligne en outre que les affaires pendantes doivent le rester après une modification de la loi.

M. Monfils rappelle que, depuis le début, il s'est opposé à une loi de compétence universelle pour laquelle une loi interprétative et une loi modificative devraient être adoptées. Il estime que, maintenant qu'une Cour pénale internationale a vu le jour, la Belgique ne doit plus jouer le rôle de policier universel. Il se réjouit que la Chambre ait apporté des modifications fondamentales afin de tempérer l'aspect universel de la loi.

M. Guilbert demande au ministre si une procédure d'exception sera prévue et s'il sera possible d'introduire un recours contre la décision du ministre. Il s'interroge également sur le rôle de la Cour de Cassation et sur la possibilité d'un examen de la légalité de la décision du ministre de la Justice.

M. Van Quickenborne estime que l'on doit plaider pour le maintien de l'essence de la loi, à savoir une juridiction universelle qui pourrait se prononcer sur des affaires qui n'ont rien à voir avec la Belgique. La Chambre a maintenu la distinction entre les victimes dont l'affaire présente un lien avec la Belgique, et les autres. Les premières s'adressent évidemment à la Justice belge ; elles peuvent introduire une plainte avec constitution de partie civile. Dans le second cas, lorsqu'il n'existe aucun lien avec la Belgique, il est légitime que l'on s'interroge sur les raisons qui poussent ces gens à recourir au pouvoir judiciaire belge. Le procureur fédéral doit apporter une réponse à cette question. À ce sujet, le projet contient des innovations très importantes qui ont été perfectionnées par la Chambre. Il est possible de faire appel contre la décision du procureur fédéral. La Chambre a également introduit une troisième possibilité de dessaisissement de l'affaire. Selon l'orateur, elle est moins évidente que les deux autres, qui avaient déjà été adoptées par le Sénat. Outre le danger de violation de nos obligations internationales, il existe un risque d'immixtion du pouvoir exécutif dans les compétences du pouvoir judiciaire. Dans de nombreux cas, cette immixtion sera peut-être plus subtile mais elle n'en posera pas moins problème. Une deuxième raison justifiant la prudence absolue que défend M. Van Quickenborne est le fait que des auteurs présumés impliqués dans le dossier peuvent avoir une nationalité différente.

Selon le ministre, deux choses ressortent de la discussion générale. En premier lieu, il est évident que tout le monde souscrit à la base de la loi de 1993, à savoir la lutte contre l'impunité. Les avis divergent cependant sur la manière doit on doit l'appliquer dans la pratique. De 1993 à nos jours, de nouveaux faits sont survenus. Des problèmes juridiques, diplomatiques et politiques se sont posés. Ils ont suscité des questions fondamentales. La pratique a toutefois montré que la Belgique a été choisie comme lieu de dépôt de plaintes, même lorsque celles-ci n'avaient aucun rapport avec notre pays.

Même si l'on interprète de manière large les motivations du législateur de 1993, on ne peut décider que l'évolution actuelle était souhaitée par ce dernier. Le paragraphe 4 de l'article 7 proposé doit demeurer une exception mais, bien qu'il s'agisse d'une procédure très exceptionnelle, des compétences équivalentes sont également données dans certains autres cas. Le ministre de la Justice ne peut jamais sortir de ses compétences. Il ne peut exercer aucune injonction négative étant donné qu'il n'en a pas le droit. On peut seulement lui demander d'évaluer un dossier concret à l'aune de la loi. La Cour de Cassation doit alors juger si celle-ci est correctement appliquée. En outre, un recours est possible auprès du Conseil d'État.

M. Vandenberghe renvoie au point de vue qu'il avait exprimé durant l'examen de ce projet en janvier 2003. Apporter une réponse politique à un problème juridique mène irrémédiablement à une impasse. Dans cette discussion, le Sénat ne dispose d'aucune marge de manoeuvre étant donné la dissolution imminente du parlement. Il aurait été préférable de régler les problèmes durant le précédent examen du projet. Le problème fondamental posé par cette loi est la question de savoir dans quelle mesure, en conférant une compétence universelle, elle est conciliable avec le droit international et notamment la CEDH.

M. Destexhe constate que le consensus atteint au Sénat a été annihilé par la Chambre. Il pense que le texte tel qu'adopté par la Chambre n'est pas satisfaisant parce que les procédures vont surtout faire l'objet d'un débat politique. Il espère que bonne suite sera donnée aux affaires pendantes.

Mme Nyssens se demande s'il ne serait pas indiqué de prévoir une disposition transitoire pour les dossiers pendants. Selon elle, le texte actuel est loin d'être clair.

Selon M. Monfils, la crédibilité de la Belgique ne peut dépendre d'une procédure judiciaire. Le débat est devenu essentiellement politique. Il espère que, durant les prochains mois, le gouvernement procédera à une analyse menant à une décision et que, lorsque celle-ci sera prise, les intérêts belges constitueront un facteur important.

M. Dubié partage le point de vue de certains membres selon lesquels la décision finale sera une décision politique. Il n'accepte pas qu'elle soit enveloppée dans un voile juridique. Tout serait beaucoup plus clair si l'on admettait que la décision est uniquement et purement politique.

Deux amendements semblables ont été déposés. Ils visaient tous deux à supprimer le paragraphe 4 de l'article 7 proposé. Ils ont été rejetés.

L'ensemble du projet de loi a finalement été adopté par neuf voix contre quatre et deux abstentions. Le texte adopté est le même que celui qui fut transmis par la Chambre. Pour davantage de détails, je vous renvoie au rapport écrit.

M. Philippe Mahoux (PS). - Chacun connaît le sujet dont nous discutons. Il s'agit, en fonction de la volonté du législateur de 1993, d'assurer la lutte contre l'impunité pour les incriminations de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité.

Je félicite Mme Leduc pour la qualité et la parfaite exactitude de son rapport. Je crois inutile de rappeler les débats que nous menons depuis longtemps, notamment au sein de notre assemblée, et de traduire les évolutions et adaptations que nous avons discutées et négociées pour tenter d'améliorer le texte et, surtout, le rendre praticable sans modifier l'objectif essentiel de lutte contre l'impunité. Il fallait poursuivre cet objectif en tenant compte de la création de la Cour pénale internationale, de l'adhésion d'une série d'États au statut de Rome et des évolutions des juridictions internationales.

J'en reviens donc à l'objet du débat qui nous occupe maintenant et qui porte essentiellement sur le paragraphe 4, ajouté par la Chambre au texte adopté par le Sénat pour remplacer l'article 7 de la loi de 1993.

Je vous rappelle la teneur de ce paragraphe. Il permet au gouvernement de dénoncer les faits de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité ou de génocide à l'État de la nationalité de l'auteur présumé. Dans ce cas, la Cour de cassation prononce le dessaisissement de la juridiction belge sur réquisition du procureur général après avoir simplement vérifié qu'il n'y a pas erreur sur la personne. Il est même précisé que lorsque les faits sont à l'instruction, la Cour de cassation, si les conditions d'application de l'article 7, paragraphe 4 sont remplies, doit prononcer le dessaisissement des juridictions belges alors qu'aucune juridiction de l'État de dénonciation n'est saisie et sans garantie que cet État va exercer sa compétence.

Si le Sénat devait adopter cette loi telle que rédigée aujourd'hui, nous violerions d'un coup les règles fondamentales du droit international, les principes généraux du droit qui fondent le concept d'État de droit et même notre Constitution.

Le droit international, tout d'abord, est très clair : la Belgique a l'obligation de poursuivre ou d'extrader l'auteur présumé d'un crime de guerre, d'un crime contre l'humanité ou d'un crime de génocide lorsqu'il se trouve sur notre territoire. Or, que permet le paragraphe 4 de l'article 7, si l'auteur ou la victime n'est pas belge et que l'infraction n'est pas commise en Belgique ? Le Conseil des ministres dénonce et la Cour de cassation dessaisit les juridictions belges automatiquement, c'est-à-dire met fin définitivement à l'affaire, au profit de qui ? Mais de personne, bien entendu ! C'est l'impunité totale, violation fondamentale de nos obligations de droit international humanitaire, et cela par une disposition de la loi supposée réprimer ces mêmes violations du droit international humanitaire.

Je rappelle ici à ceux qui font semblant de l'avoir oublié qu'en application des principes généraux du droit, l'État de droit, en Belgique et dans tout pays démocratique, repose sur une interdiction de confusion des pouvoirs. Or, à la lecture de ce paragraphe 4, on ne peut pas parler d'un simple aménagement des pouvoirs mais bien d'une confusion complète des pouvoirs, c'est-à-dire de l'exercice par le pouvoir exécutif d'une prérogative absolue du pouvoir judiciaire. Le conseil des ministres a le pouvoir de mettre fin, sur la base de sa seule décision politique, à un dossier judiciaire en cours d'instruction. C'est à la démocratie même que l'on touche.

J'ai répété à maintes reprises que ce paragraphe litigieux constituait une atteinte évidente au principe de la séparation des pouvoirs. Il n'est pas nécessaire d'être juriste pour s'en apercevoir. Néanmoins, l'opinion de très nombreux juristes corrobore mes propos. Je n'ai donc pas été surpris le moins du monde de constater que le Conseil d'État, dans l'avis qu'il a dû rendre en urgence hier, a souligné cette atteinte à un principe aussi fondamental.

Le Conseil d'État a d'abord rappelé qu'un dessaisissement des juridictions belges ne peut être le seul fait du pouvoir exécutif et que la loi doit être précise quant à la procédure de dessaisissement. Mais le paragraphe 4 n'est justement pas clair du tout et le rôle des autorités judiciaires intervenant dans la procédure n'est pas suffisamment déterminé, au point même que le Conseil d'État remarque que la « rédaction du texte ne semble guère prendre en considération le pouvoir d'appréciation de la Cour de cassation » et il s'interroge : la Cour de cassation « pourra-t-elle, par exemple, refuser de prononcer le dessaisissement de la juridiction belge si elle juge qu'un tel dessaisissement ne serait pas compatible avec les obligations internationales de la Belgique ou si ce dessaisissement doit se faire au profit d'une juridiction d'un État où la peine de mort est encore d'application ? Pourra-t-elle, comme elle peut le faire conformément au paragraphe 3 en projet, contester le dessaisissement sollicité en application du paragraphe 4, au motif que le droit des parties à un procès équitable ne sera pas effectif ? Ou est-elle liée par la délibération en Conseil des ministres qui aura invité le ministre de la Justice à dénoncer les faits auprès d'un tiers en estimant que cet État offrait toutes les garanties en matière de procès équitable ? »

Aujourd'hui, c'est le ministre des Affaires étrangères qui est présent. Mme Neyts a par ailleurs déjà eu l'occasion de représenter le gouvernement lors de nos précédents débats. Je ne vois pas le ministre de la Justice dont l'opinion a beaucoup varié durant le débat. Quelles que soient les réponses que le ministre pourrait apporter à ces questions, le texte proposé est ambigu et, comme le souligne le Conseil d'État, sa rédaction « ne paraît pas se concilier effectivement avec le principe de la séparation des pouvoirs ». Pour cette raison, ce paragraphe est inacceptable mais ce n'est pas tout.

Le droit constitutionnel interdit au ministre de la Justice et a fortiori au gouvernement de procéder par injonction négative à l'égard du pouvoir judiciaire. Le ministre de la Justice nous a expliqué que le paragraphe 4 de l'article 7 n'est pas une injonction négative. Il a raison. Il ne s'agit pas seulement d'une injonction négative, c'est-à-dire d'interdire au parquet d'ouvrir une instruction ; c'est pire encore ! Il s'agira non pas d'interdire d'ouvrir une instruction mais de mettre fin à un dossier en cours d'instruction.

On essaye d'habiller ledit paragraphe en trouvant des parallèles juridiques existants, on crée le passage par un avis de la chambre des mises en accusation avant que l'exécutif ne prenne sa décision pour les affaires pendantes, et on la justifie par comparaison à la procédure d'extradition.

S'il ne s'agissait pas de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité ou de crimes de génocide, on aurait tendance à en rire.

Nous prend-on pour des naïfs ? Une extradition, c'est remettre quelqu'un arrêté en Belgique et non poursuivi par la Belgique à un État dont les juridictions sont déjà saisies de l'affaire pour permettre la tenue d'un procès. Cette hypothèse est clairement visée au paragraphe 3 de l'article 7 ; elle ne conduit à aucune impunité possible. Le paragraphe 4 a été introduit évidemment dans le seul but d'éluder l'assurance de poursuites dans l'État qui reçoit la dénonciation des faits. Ce mécanisme permet l'impunité et n'a donc rien à voir avec les procédures d'extradition.

Vis-à-vis des victimes enfin, les modifications votées à la Chambre sont inacceptables : au paragraphe 1er de l'article 7 de la loi, on offre un espoir aux victimes des crimes les plus graves au monde d'être entendues et, par l'application combinée avec les paragraphes 2 et 3, d'obtenir justice en Belgique, devant la Cour pénale internationale ou devant une juridiction étrangère qui décide de poursuivre l'auteur présumé. Cependant, au paragraphe 4, est mis en place un système permettant la fin de toute poursuite sans que les victimes aient leur mot à dire, et l'expression est faible.

Le Conseil d'État, inévitablement, constate qu'il existe une discrimination entre les plaignants, ceux qui n'auraient aucune assurance que leur plainte pourra être examinée par une juridiction d'un autre État, et ceux qui, dans les autres hypothèses de dessaisissement prévues aux paragraphes 2 et 3, c'est-à-dire en faveur de la Cour pénale internationale ou d'un autre État qui a décidé d'exercer sa compétence, ont la garantie que la procédure judiciaire sera menée à son terme. En conséquence, ce paragraphe 4, s'il devait être conservé, violerait les articles 10 et 11 de la Constitution.

Je ne veux pas entrer dans les problèmes d'articulation entre les paragraphes 3 et le 4 relevés par le Conseil d'État, mais je constate que celui-ci conclut que « le choix de l'une ou l'autre procédure semble laissé à l'entière discrétion du pouvoir exécutif ». Dans ce cas, une fois de plus, c'est une intrusion de l'exécutif dans le judiciaire.

Je n'ai jamais nié que l'application de cette loi risquait d'entraîner des difficultés diplomatiques - on nous l'a rappelé à l'occasion de la présidence belge - et qu'il était compréhensible que l'on essaie de filtrer les plaintes afin d'éviter celles qui seraient abusives. Mais, dans une démocratie comme la nôtre où l'on dit se battre contre l'impunité, où l'on prône le droit des victimes, il est insensé d'être prêt à bafouer le principe fondamental de la séparation des pouvoirs et à violer notre Constitution, dans l'espoir de protéger nos relations diplomatiques en fermant les yeux sur les crimes les plus graves et inhumains.

Je souligne que de nombreux efforts ont précisément été accomplis et des modifications apportées au texte initial pour construire un filtre qui évite les plaintes abusives. Je constate que cela n'a pas suffi et qu'à un moment, on a fait voter un amendement au texte adopté dans notre assemblée. Cela rend ce texte inacceptable.

Vous l'aurez compris, nous avons déposé un amendement qui vise à supprimer le paragraphe 4 de l'article 5. Si cet amendement devait être rejeté, il nous serait alors impossible de voter ce texte, pour les raisons fondamentales que je viens d'exposer.

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - L'évolution du droit international, la mobilité de la diplomatie et la conscience croissante du droit dans notre société demandent une répression concrète et effective des crimes contre l'humanité. En 1993, la Belgique était un des premiers pays à défendre cet idéal et à conférer une compétence universelle au droit. Depuis lors, une nouvelle législation a été élaborée dans de nombreux pays pour réprimer les crimes contre l'humanité, et la Cour pénale internationale a été créée. Les adaptations nécessaires de la législation belge doivent tenir compte de ces faits. Elles sont nécessaires parce que nous ne sommes plus seuls dans la lutte contre ces crimes. Les dossiers doivent être échangés de manière correcte. On ne peut abuser politiquement de procédures pénales très graves.

En janvier, j'ai dit à la commission que l'approche partisane et politique du problème par la majorité conduirait à une impasse. À ce moment, on aurait dû rechercher de manière objective et sans a priori des solutions juridiques pouvant mener à une solution équilibrée, mais cela n'a pas été fait. Compte tenu d'autres obligations internationales de notre pays et à la lumière des nouveaux développements internationaux et des nouvelles plaintes, la Chambre a dû constater que nous étions dans une impasse.

Si nous avions eu le temps d'examiner convenablement le texte adopté par la Chambre, nous aurions pu mener la discussion d'une autre manière, en tant que chambre de réflexion.

La question politique est la suivante : le texte adopté par la Chambre sera-t-il aussi adopté par le Sénat ? Ce texte, qui a aussi été approuvé en commission, soulève-t-il des problèmes juridiques tels que nous ne puissions l'adopter ? Ne peut-on répondre aux observations du Conseil d'État ? La seule possibilité est-elle de rejeter le texte ?

Les raisons pour lesquelles j'ai dit oui en commission - avant l'avis du Conseil d'État - sont reprises dans le rapport écrit.

Quel est le problème ? Étant donné l'évolution constatée dans le droit international, différents états s'estimant compétents pour juger les crimes contre l'humanité, ainsi que l'existence d'une Cour pénale internationale, la Belgique est confrontée à un nouveau problème, celui du renvoi. Dans l'affaire Pinochet, des procès étaient en cours simultanément dans différents pays. Cette façon de procéder est peu crédible. À l'encontre d'une seule personne et pour les mêmes faits, il est préférable que tout se passe en un seul endroit.

Après l'entrée en fonction de la Cour pénale internationale le 1er juillet 2002, il était opportun de prévoir un système de renvoi vers la Cour pénale internationale ou vers la justice belge. À cet effet, le législateur belge doit élaborer des pistes précisant quand la justice belge est compétente. Le projet apporte cette précision pour des faits qui se rapportent à un auteur de nationalité belge ou à une victime belge ou à quelqu'un qui réside en Belgique depuis plus de trois ans. Le Conseil d'État a fait peu de remarques à ce sujet.

La discussion porte sur les paragraphes 3 et 4 de l'article 7. Le texte adopté par la Chambre prend en considération deux hypothèses différentes.

Dans le paragraphe 3, il est question d'un procès intenté en Belgique pour des crimes contre l'humanité, procès qu'une instance judiciaire étrangère estime devoir traiter. Au cas où ni un Belge ni une victime belge ne sont concernés par l'affaire, le dossier est transmis à cette instance étrangère, à condition que les garanties d'un procès équitable soient suffisantes.

Vient ensuite le point délicat du paragraphe 4 à propos duquel le Conseil d'État soulève deux questions. La plainte déposée en Belgique ne concerne pas un Belge - ni comme auteur des faits ni comme victime ou assimilée - et on estime qu'elle devrait être traitée dans un autre pays.

La première question du Conseil d'État est de savoir si, à la suite de l'intervention du conseil des ministres, la décision de la Cour de cassation ne sera pas formelle. Celle-ci doit uniquement tenir compte des traités internationaux, de la Convention européenne des droits de l'homme et de toutes les conventions produisant des effets directs, des décisions internationales et des principes juridiques internationaux.

Je reviens à la question que j'ai posée au gouvernement et à laquelle le ministre de la Justice avait répondu par l'affirmative. Le point de vue que j'ai défendu en commission est-il juste ? La décision de la Cour de cassation ne sera-t-elle pas formelle ? L'intervention du conseil des ministres dans la procédure servira-t-elle uniquement à informer la Cour de cassation de la situation politique et diplomatique du pays vers lequel un dossier sera éventuellement renvoyé ? La Cour de cassation ne dispose pas nécessairement de tous les éléments lui permettant de juger si le renvoi ne menace pas les droits de l'homme, y compris le droit à un procès équitable dans des affaires pénales et civiles.

Si la Cour de cassation peut intervenir dans cette discussion, ce texte est acceptable. La Belgique ne peut pas se soustraire à ses obligations internationales. Une autre lecture n'est pas possible. Le Conseil d'État pose cette question et le gouvernement devra dire si l'interprétation avancée en commission est correcte.

Le deuxième problème soulevé par le Conseil d'État est la différence dans les procédures prévues aux paragraphes 3 et 4 de l'article 7. Le paragraphe 3 est l'hypothèse dans laquelle un procès est mené dans un autre pays contre une personne impliquée dans un dossier de même nature en Belgique et où la justice belge estime que ce dernier doit être transmis au pays dans lequel se déroule le procès. Je trouve que cela va de soi, à condition toutefois que les droits de l'homme soient respectés. Des questions peuvent se poser à ce sujet.

Ainsi, la question de la peine de mort en droit international est fort contestée. Pouvons-nous transmettre un dossier à un État où le coupable est passible de la peine de mort ? Nous ne réglerons pas aujourd'hui cette controverse jurisprudentielle. Lorsqu'en janvier, j'ai abordé ce sujet en commission de la Justice, on n'a pas jugé utile d'examiner la question. Il ne faut donc pas imaginer que nous pourrons résoudre ces problèmes 48 heures avec la dissolution.

M. Philippe Mahoux (PS). - Même la peine de mort !

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - Vous me comprenez mal, monsieur Mahoux.

M. Philippe Mahoux (PS). - Au contraire, monsieur Vandenberghe, j'ai bien compris.

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - L'Américain a été arrêté en Grande-Bretagne et condamné à mort aux États-Unis qui demandent l'extradition de l'inculpé.

La Grande-Bretagne peut-elle refuser l'extradition parce que la peine de mort est toujours en vigueur aux États-Unis ? Telle est la question. Dans l'arrêt Soering de la Cour européenne des droits de l'homme, la réponse est négative, nonobstant le fait qu'aucun texte ne va dans ce sens. Est-ce là le droit international ?

Le droit international est par définition flexible et mouvant à la lumière des relations internationales. Je cite seulement un problème que j'ai déjà soulevé en janvier.

La différence de procédure des paragraphes 3 et 4 est-elle justifiée en droit ? Le paragraphe 3 est l'hypothèse dans laquelle un procès est mené dans un autre pays, auquel on transmet le dossier belge si la procédure répond, dans ce pays, à toutes les garanties internationales auxquelles nous avons souscrit.

L'autre hypothèse et celle où une plainte est formulée en Belgique. C'est une tout autre question. Il s'agit d'un règlement de procédure portant sur le point de savoir dans quel pays cette plainte doit être traitée. Lorsque la Cour de cassation statue sur le pays où cette plainte doit être traitée, parce qu'il ne s'agit pas d'une victime belge ou assimilée, la Cour de cassation doit respecter le droit international, notamment les conventions des droits de l'homme, de façon à ce que les droits à un traitement équitable de la plainte pénale ou de l'action civile soient garantis. C'est le point de vue que j'ai défendu il y a trois jours et que je répète aujourd'hui.

M. Louis Tobback (SP.A). - On n'a pas seulement posé des questions, mais également fait des constatations.

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - J'ai également déjà fait ces remarques en janvier, lorsqu'il était encore temps de réagir ponctuellement en la matière. Les déclarations du gouvernement peuvent préciser la portée de ce texte à la lumière de mon exposé d'il y a trois jours.

M. Louis Tobback (SP.A). - Je ne doute pas que vous ayez formulé ces remarques, monsieur Vandenberghe, mais en tant que non-juriste, j'essaie de tirer des conclusions de l'avis du Conseil d'État. Cet avis indique que la technique prévue induit des inquiétudes quant à la mise en péril de la séparation des pouvoirs si on laisse intervenir le gouvernement dans un problème de droit.

Vous êtes sans conteste capable de nous entretenir durant des heures et de manière très intéressante de ce sujet pour en arriver finalement à une autre conclusion que la mienne. Je conclus en tout cas que le Conseil d'État mentionne que cela met en danger la séparation des pouvoirs.

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - Je vous lis un passage du dernier paragraphe du point 2 de l'avis du Conseil d'État : « Dans une telle hypothèse, c'est donc le pouvoir exécutif qui décide du dessaisissement de la juridiction belge, l'intervention de la Cour de cassation n'apparaissant que purement formelle. » Les mots « n'apparaissant que purement formelle » ont une tout autre signification que les mots « n'étant que purement formelle ». En droit, chaque mot est important.

Sur la base de cette constatation, la Cour de cassation pose des questions. Je répète le point de vue que j'ai déjà adopté il y a trois jours, à savoir qu'un rôle purement formel de la Cour de cassation pourrait constituer une violation de nos obligations internationales.

(Protestations de M. Mahoux)

Vu ces questions du Conseil d'État et les circonstances auxquelles je me suis référé au début de mon intervention, le gouvernement doit expliquer quelle interprétation est défendable dans le cadre des obligations internationales auxquelles nous avons souscrit. Le vote d'une loi ne peut jamais avoir pour conséquence d'échapper à nos obligations internationales.

M. Louis Tobback (SP.A). - Souligner les mots « n'apparaissant que purement formelle » est une approche astucieuse. Dans un premier paragraphe le Conseil d'État dit que « c'est le pouvoir exécutif qui décide ». Mais cela, vous n'approfondissez pas.

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - J'ai dit il y a trois jours que le respect de nos obligations internationales signifiait que le gouvernement ne pouvait pas prendre la décision et que la Cour de cassation ne pouvait jamais jouer un rôle purement formel. Le texte n'est acceptable que si le gouvernement ne prend pas la décision et que le contrôle juridique relève de la Cour de cassation. Je reste fidèle à mon point de vue. Le gouvernement va maintenant dire quelle est la portée du texte approuvé.

M. Louis Tobback (SP.A). - Le gouvernement doit ce prononcer cet après-midi ?

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - Oui, je demande cela au gouvernement.

M. Josy Dubié (ECOLO). - Sur ce point, monsieur Vandenberghe, je pense que le texte est clair. Il précise : « Une fois que les faits ont été portés à la connaissance de l'État tiers, la Cour de cassation, sur réquisition du procureur général, prononce le dessaisissement de la juridiction belge, saisie du même fait, après avoir vérifié qu'il n'y a pas erreur sur la personne. »

C'est la seule chose qu'on lui demande.

Le Conseil d'État dit dans son avis : « C'est donc le pouvoir exécutif qui décide du dessaisissement de la juridiction belge, l'intervention de la Cour de cassation n'apparaissant que purement formelle. »

Vous avez réponse à votre question.

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - Je dis la même chose qu'il y a trois jours. Lisez le rapport de Mme Leduc. Je me suis référé à une lecture possible et j'ai dit que tout cela n'était pas pensable sans le respect des conventions internationales. Le Conseil d'État pose clairement dans son avis la question de savoir si les obligations internationales sont bien applicables au paragraphe 4. Ce n'est pas parce qu'on rédige des textes avec des critères concrets que tout à coup toutes les autres normes de droit ne sont plus applicables. J'ai déjà défendu ce point de vue il y a trois jours et je le répète maintenant sous la forme d'une question, à la lumière de l'avis du Conseil d'État. Après avoir reçu la réponse du gouvernement à ces deux questions, nous pourrons prendre attitude.

M. Philippe Monfils (MR). - Depuis une heure que nous discutons de la loi sur la compétence universelle, j'ai le sentiment d'être reporté quelques mois en arrière, les oppositions se manifestant de la même manière, avec une même passion.

Je n'ai jamais caché mon hostilité à la loi de 1993 telle qu'elle vient d'être interprétée par la Cour de cassation. J'ai combattu cette loi interprétative comme je l'ai pu. J'ai même critiqué l'ancienne version du projet de loi voté par le Sénat car j'estimais qu'il allait trop loin et risquait de conduire à des situations politiquement et diplomatiquement inextricables.

C'est d'ailleurs ce qui s'est produit comme l'ont relevé certains partisans de la loi initiale - mes « adversaires » politiques - qui n'ont pas manqué de considérer qu'il y avait abus dans l'utilisation de la loi de 1993. Le problème est qu'il n'y a ni bonnes ni mauvaises plaintes, mais seulement des plaintes, dans le cadre d'une loi ou non.

Pour ma part, j'ai toujours déclaré - et le ministre de la Justice l'a dit lui aussi, en tout cas, dans un premier temps - le rapport du Sénat en fait foi -, ne pas souhaiter que la Belgique devienne le Zorro juridictionnel de l'univers, d'autant qu'entre 1993 et 2003, des textes portant création de la Cour pénale internationale ont été votés et ratifiés par un grand nombre d'États. Je crois savoir que cette Cour ne fait pas l'unanimité mais, dans quelques mois, au plus tard un an, elle sera fonctionnelle.

Le filtre proposé dans la première version votée par le Sénat me paraissait insuffisant pour stopper les plaintes déraisonnables. La Chambre a suivi ce point de vue et renforcé le dispositif en prévoyant que le procureur fédéral pouvait prendre un certain nombre de décisions, voire décider de ne pas instruire dans la mesure où un des quatre critères ne lui paraissait pas rencontré.

La Chambre est allée plus loin : elle a pris un certain nombre de mesures, à savoir le fameux paragraphe 4, et a proposé une mesure relative aux plaintes déjà déposées et mises à l'instruction.

M. Philippe Mahoux (PS). - Vous êtes allés jusque là !

M. Philippe Monfils (MR). - En effet, et je m'en réjouis ! Je constate d'ailleurs, très curieusement car personne n'en a fait mention jusqu'à présent, que les dispositions visant à faire arrêter l'instruction des plaintes en cours, n'ont pas été contestées par le Conseil d'État.

Ce dernier critique globalement le paragraphe 4 mais pas le dernier alinéa, lequel permet en effet, après une procédure quelque peu modifiée avec la Chambre des mises et avis du procureur fédéral, d'interrompre les plaintes actuellement instruites.

Le Conseil d'État n'a jamais considéré que cette procédure était contraire à la Constitution ou qu'elle enfreignait le principe d'égalité des Belges devant la loi. Pourtant, il a examiné l'ensemble du texte sous l'angle de la compétence et de la compatibilité par rapport aux grands principes que nous connaissons.

Sur le fond, je suis d'accord sur toute formule qui permettrait d'avoir une loi de compétence universelle de portée raisonnable.

En ce qui concerne le Conseil d'État, je n'ai pas les connaissances juridiques de M. Vandenberghe qui exerce toujours en tant que professeur d'université. Quant à moi, je ne suis plus assistant depuis trente ans ! Mais j'ai lu attentivement l'avis du Conseil d'État.

Fondamentalement, tout cela tourne autour de la question de savoir si c'est le pouvoir exécutif qui est seul maître ou bien si, d'une manière ou d'une autre, la juridiction intervient dans certaines circonstances. Le Conseil d'État est d'avis que c'est le pouvoir exécutif qui décide du dessaisissement de la juridiction belge, l'intervention de la Cour de cassation n'apparaissant que purement formelle. Par ailleurs, il s'interroge sur le point de savoir si la Cour de cassation pourrait refuser de prononcer le dessaisissement de la juridiction belge dans le cas où celui-ci serait incompatible avec les obligations internationales de la Belgique.

Dans le cadre du paragraphe 3 en projet, pourrait-elle contester le dessaisissement sollicité en application du paragraphe 4 en projet au motif que le droit des parties à un procès équitable ne serait pas garanti ? Le Conseil d'État ne condamne pas le texte. Il pose des questions. Ce sont des points d'interrogation et non des certitudes ou des appréciations souveraines.

Moi aussi, je voudrais obtenir des réponses aux questions du Conseil d'État. S'il pose des questions, c'est qu'il estime que l'on peut y répondre. S'il estimait le texte à ce point fermé que l'on ne puisse pas répondre aux questions qu'il formule au sujet de l'action de la Cour de cassation, il n'aurait évidemment pas posé cette question. S'il estimait impossible que la Cour ait la moindre possibilité d'appréciation, il n'aurait pas posé la question de savoir si elle pourrait en avoir, cela paraît évident. Donc, je me demande si je suis dans le vrai en disant que la Cour a un pouvoir d'appréciation non pas sur le fond du problème mais bien sur le respect des conventions internationales, des conventions des droits de l'homme, des actes internationaux de droit civil et politique, des conventions universelles, enfin, bref, sur le respect de tous les traités internationaux qui précisent une série de circonstances comme le droit à un procès équitable, le droit d'être jugé avec un double degré de juridiction, etc.

Quelle est la limite d'intervention de la Cour de cassation ? Je crois, tout comme M. Vandenberghe, qu'il revient à la Cour de cassation de veiller au respect des règles internationales qui s'appliquent directement à notre pays. En supposant que le gouvernement belge décide, sur la base de cet article, de renvoyer quelqu'un en Irak pour y être jugé, pourrait-on considérer que la Cour de cassation est obligée de dessaisir les juridictions belges ? Ne pourrait-elle refuser au motif que l'Irak ne respecte pas les obligations internationales et qu'il résulte de l'état de la justice dans ce pays que l'intéressé n'aurait vraisemblablement pas droit à un procès équitable ?

En fait, la Cour de cassation ne juge pas au fond. Elle ne peut porter un jugement sur le fonctionnement interne de l'État. Cela, c'est le pouvoir exécutif qui le fait. Quant à la Cour de cassation, elle juge en droit, étant entendu qu'elle peut vérifier si le respect des conventions internationales est assuré par le pays vers lequel une personne est éventuellement renvoyée.

Dans les cas où une règle de rattachement trouve à s'appliquer - auteur belge, victime belge, situation en Belgique -, le problème ne se pose pas. Il est évident que l'on ne peut, de manière quelconque, faire intervenir un membre du pouvoir exécutif. Le pouvoir judiciaire est là et il dispose de sa compétence pleine et entière. Mais ici, on se trouve ailleurs que dans le système proprement belge.

Aucune règle de rattachement n'existe à cet égard. On ne peut nier l'existence d'un aspect diplomatique et politique de la question. L'intervention du pouvoir exécutif est donc, en l'occurrence, normale, mais celui-ci n'intervient pas seul. On peut même dire que le gouvernement éclaire la Cour de cassation, en ce sens qu'il donne son avis quant à l'opportunité politique d'une telle décision. Il juge si l'intéressé peut, ou non, être renvoyé dans tel ou tel État ; la Cour de cassation ne procédera pas à une enquête sur la manière dont le système y est organisé, mais, éclairée en quelque sorte par le pouvoir exécutif, elle peut parfaitement considérer... (Exclamations sur les bancs socialistes.)

M. Philippe Mahoux (PS). - Si ce n'est pas une ingérence du pouvoir politique dans le pouvoir judiciaire, je n'y connais plus rien ! C'est incroyable ! Quod principi placuit legis habet vigorem. Ce qui plaît au prince a force de loi.

M. Philippe Moureaux (PS). - Avouez que vous répondez à des objectifs bassement politiques, uniquement sous la pression étrangère ! Vous êtes des laquais !

M. Louis Tobback (SP.A). - Les propos que vous venez de tenir sont remarquables, monsieur Monfils. C'est de cette façon que Fouché - à qui on m'a souvent comparé - éclairait les tribunaux révolutionnaires ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Philippe Monfils (MR). - ... Elle peut parfaitement considérer que les conditions fixées dans les divers traités internationaux ne sont pas respectées et que, par conséquent, le dessaisissement n'est pas autorisé. La Cour de cassation ne vérifiera pas si une suite a été ou non donnée à une plainte. D'ailleurs, si les traités internationaux prévoient la possibilité de déposer plainte et le droit à un procès équitable, c'est quand même au pays qu'incombent les décisions relatives à l'instruction.

Le fait que la Cour de cassation ne juge pas du fond du problème n'est pas synonyme de décision purement formelle. La cour prend une décision dans le cadre des pouvoirs qui lui sont conférés, c'est-à-dire dans le respect notamment des conventions internationales et du droit.

J'en viens à la différence établie entre les paragraphes 3 et 4. Je conseille à ceux qui me reprochent de faire de la politique de lire, non seulement l'avis du Conseil d'État, mais aussi le texte tel qu'il a été rédigé. Il s'agit d'un système de responsabilités en cascade. M. Vandenberghe a bien expliqué le paragraphe 3 : lorsque la juridiction d'un État auquel on renvoie un dossier décide d'exercer sa compétence, la Cour de cassation prononce le dessaisissement, etc., la juridiction se saisit et délibère. Ce n'est dès lors pas la peine de poursuivre l'intéressé en Belgique. La Cour de cassation se dessaisit de manière tout à fait normale, mais elle vérifie quand même que l'intéressé aura droit à un procès équitable. Même si ce dernier a déjà commencé, la Cour de cassation vérifie si les dispositions inscrites dans les traités internationaux sont bien respectées ; je pense notamment à l'article 5 ou 6 de la convention européenne.

M. Philippe Mahoux (PS). - Le paragraphe 3 ne pose pas de problème, monsieur Monfils, mais pourquoi un paragraphe 4 ?

M. Philippe Monfils (MR). - L'autre problème est différent : il n'y a pas de procès, pas de juridiction qui se déclare compétente, il y a une plainte, et c'est tout. Ce n'est pas la même hypothèse.

Le Conseil d'État souligne que les situations 3 et 4 sont différentes. Évidemment, puisque qu'elles visent des hypothèses tout à fait autres. On pose l'hypothèse d'une plainte déposée, sans règles de rattachement. Le gouvernement prend une décision ; la Cour de cassation a, là aussi, non pas un pouvoir formel mais le pouvoir d'examiner si le pays où l'intéressé est renvoyé peut être considéré comme respectueux de l'ensemble des règles qui fondent le corpus des droits de l'homme que l'on connaît sur le plan international.

Telles sont les appréciations que je voulais exprimer et qui sont autant de questions.

Si le gouvernement nous répond que la Cour de cassation ne peut rien faire, qu'elle est liée, qu'elle se contente simplement, sur un rapport de son procureur général, de prendre acte de la décision du gouvernement, alors les choses sont difficiles : on pourrait dans ce cas parler d'atteinte à la séparation des pouvoirs. Par contre, s'il est répondu aux questions que nous posons et si une évaluation est faite, en droit, par la Cour de cassation, s'il est exact que les paragraphes 3 et 4 présentent des hypothèses tout à fait différentes, alors, on peut considérer qu'il a été répondu à l'ensemble des remarques du Conseil d'État.

Je n'ai jamais dit que cette législation était parfaite et qu'elle pourrait servir d'exemple dans les facultés de droit. C'est le problème des « rustines » toujours plus nombreuses que l'on colle depuis un certain temps. Je pense qu'il faudra, après la rentrée parlementaire, remettre sur le métier l'ensemble de la législation, en rencontrant une série de problèmes. Nous serons évidemment là pour en discuter. Pour autant qu'il s'agisse d'une loi raisonnable, je la soutiendrai.

Pour l'heure, j'espère que cette législation sera adoptée et que, dès la rentrée, nous pourrons la revoir dans son ensemble et nous atteler enfin à un texte qui, peut-être, réconciliera les partisans et les adversaires qui se déchirent depuis plusieurs de mois.

M. Vincent Van Quickenborne (VLD). - La situation a beaucoup changé depuis dix ans, c'est-à-dire depuis l'époque où le Sénat vota unanimement la loi belge sur le génocide. Tous s'accordaient sur la nécessité de mettre notre appareil judiciaire à la disposition des victimes des crimes les plus abominables jamais commis contre l'humanité, à savoir les génocides.

Aujourd'hui, tous les partis, de la majorité comme de l'opposition, adoptent des positions bancales. La majorité est divisée, mais l'opposition est tout aussi incertaine.

M. Vandenberghe qui, quatre années durant, a attiré notre attention sur le respect de la Constitution et la séparation des pouvoirs, se prépare à présent à faire fi de l'avis du Conseil d'État et à voter le projet de loi.

La situation n'aurait pas dû évoluer dans ce sens-là, monsieur le président. Voici quelques mois, le Sénat avait trouvé un parfait équilibre, notamment basé sur la nécessité de s'opposer à tout usage politique abusif de la loi. La majorité dans son ensemble avait alors voté la loi avec conviction et l'opposition ne l'avait pas rejetée.

Une loi réprimant plus sévèrement le génocide semblait, à l'époque, en préparation. L'excellent travail initié au Sénat ne fut toutefois pas parachevé par la Chambre, dont la commission de la Justice se perdit en tergiversations, hésitations et petits jeux politiques, ainsi que l'explique d'ailleurs un article du journal De Morgen de ce jour. Un député socialiste asséna - peut-être involontairement - le coup de grâce en déposant plainte contre George Bush : l'équilibre établi par le Sénat s'évanouit d'un seul coup.

La pression internationale et diplomatique exercée sur la Belgique atteint alors une force inattendue. La note confidentielle adressée le 26 mars dernier par M. Robertson aux membres de l'OTAN est, sur ce plan, limpide : « There are serious implications for senior officials who travel to Brussels for NATO and EU meetings. As long as there is doubt about risk to them, there will be real problems for us. I strongly encourage Belgian authorities to act satisfactorily on this matter before our Ministerials ».

Voici quelques jours, le travail du Sénat fut remanié, à la Chambre, par une majorité alternative et aujourd'hui, l'avis du Conseil d'État se trouve sur nos bancs. Le moins que l'on puisse dire est qu'il est critique. Le gouvernement lui-même sera forcé de l'admettre. M. Vandenberghe, qui s'est référé au travail de la commission, ne pourra pas me reprocher de ne pas avoir été assez nuancé. En effet, j'ai dit que je trouvais valables les mécanismes évoqués au paragraphe 2, à savoir le renvoi vers la Cour pénale, et au paragraphe 3, à savoir le renvoi vers un autre État. Le Conseil d'État reconnaît également que ces paragraphes sont conformes à la Constitution, car l'immixtion du ministère de la Justice est, dans les deux cas, limitée à la transmission d'informations à la Cour pénale ou à l'autre État, dans les procédures duquel le ministre n'intervient donc pas.

La décision de renvoi telle qu'évoquée aux paragraphes 2 et 3 revient en effet à la Cour de cassation, sur la base de règles bien définies sur le plan légal, visant à éviter que le renvoi vers un autre État ou vers la Cour pénale équivale à un classement vertical de la plainte.

Le Conseil d'État se montre par contre très critique à l'égard du paragraphe 4. Il craint que le renvoi par le conseil des ministres d'une plainte entérinée par la Cour de cassation signifie l'absence de tout examen de la plainte, ce qui serait bien entendu contraire à nos obligations internationales, auxquelles s'applique la formule aut dedere, aut judicare, juger ou renvoyer.

La Cour de cassation peut, dit-on, empêcher un renvoi sur la base de nos obligations internationales. Les règles de la Convention européenne des Droits de l'Homme - voire d'autres règles de droit internationales - doivent-elles être appliquées ? Les obligations internationales ne sont qu'un aspect de la discussion, l'autre aspect étant que le conseil des ministres doit vérifier si le crime est également puni dans l'autre pays et si celui-ci peut garantir un procès honnête et équitable.

La Cour de cassation est-elle habilitée à vérifier, d'une part, l'existence ou l'absence d'incrimination et, d'autre part, la garantie d'un procès juste et équitable ? Il n'a pas encore été répondu à cette question. Le Conseil d'État s'interroge au sujet des critères sur lesquels un tribunal doit se fonder pour prononcer un dessaisissement tel qu'évoqué au paragraphe 4. « Conformément aux obligations internationales » est la seule indication donnée à cet égard par le paragraphe 4. Sont-ce les critères légaux précis et concret demandés dans les paragraphes 2 et 3 ? J'attends une réponse claire à cette question.

Nous ne nous en sortirons pas avec un simple renvoi aux obligations internationales dans le chef de la Cour de cassation, monsieur Vandenberghe. En effet, le conseil des ministres ne fonde pas seulement sa décision sur les obligations internationales, mais aussi sur sa réponse à la question de savoir si incrimination il y a et si des garanties existent quant à la tenue d'un procès honnête et équitable dans l'autre pays. Seul le conseil des ministres se prononce à ce sujet. La Cour de cassation n'a aucune compétence en la matière. (Protestations de M. Vandenberghe.) Vous avez partiellement raison, monsieur Vandenberghe, mais vous ne répondez pas à la question que je viens de poser et à laquelle la Cour de cassation devrait pouvoir répondre. Partagez-vous cette interprétation, monsieur Vandenberghe ?

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - La réponse est à rechercher dans nos obligations internationales.

M. Vincent Van Quickenborne (VU-ID). - Vous vous trompez !

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - Imaginons qu'une plainte soit déposée en Belgique et que, selon le conseil des ministres, elle doive être traitée par l'Irak de Saddam Hussein. Si la Belgique considère que ce pays compte des juges indépendants et impartiaux, la Cour de cassation peut juger qu'en vertu de nos obligations internationales, il est exclu de transmettre le dossier à l'Irak. La Convention européenne des Droits de l'Homme et les traités internationaux conclus dans le cadre des Nations unies imposent cette obligation à la Cour de cassation. Nous ne le savons que trop bien, depuis l'arrêt Le Ski du 27 mai 1971.

M. Vincent Van Quickenborne (VU-ID). - La réponse de M. Vandenberghe est claire. J'espère que le gouvernement répondra de la même manière. Je demande donc encore une fois aux ministres présents : la Cour de cassation, outre l'examen des obligations internationales, pourra-t-elle vérifier s'il y a incrimination et si, dans un cas concret, un procès honnête et équitable est possible ? Si une plainte est renvoyée vers un pays démocratique mais que dans cette affaire précise ce pays ne garantit pas un procès équitable, alors, selon l'interprétation de M. Vandenberghe il ne faut pas opérer ce renvoi. Je suis curieux de connaître la réponse du gouvernement.

Il reste évidemment encore la question du principe d'égalité. M. Vandenberghe affirme que les paragraphes 3 et 4 concernent deux situations différentes et qu'en conséquence cela signifie qu'un traitement différencié n'induit aucune discrimination. Le Conseil d'État dit pourtant qu'à la différence des cas de dessaisissement prévus aux paragraphes 2 et 3, les plaignants n'ont aucune garantie que leur plainte sera effectivement examinée par un autre système judiciaire. Le problème est que, dans la loi, la hiérarchie entre les paragraphes 3 et 4 n'est nulle part définie. Pratiquement toutes les plaintes peuvent être considérées comme relevant du paragraphe 3 comme du paragraphe 4. Le ministre de la Justice peut donc choisir de suivre l'une ou l'autre voie.

Le ministre de la Justice a déclaré en commission que, pour lui, le paragraphe 3 est la règle et doit le rester. Le paragraphe 4 si contesté est cependant un frein de secours dangereux qui ne doit être actionné que pour des plaintes manifestement non fondées qui non seulement menacent de porter tort à la Belgique mais suscitent aussi de nombreuses questions quant à savoir si elles concernent un génocide. La presse appelle ce paragraphe 4 « la clause Bush ». J'en tire la conclusion que nous devrions mieux circonscrire cette clause à cette affaire-là.

Je veux encore ajouter quelque chose à propos du SP.A. Le SP.A, à la Chambre, a voté contre le texte proposé pour les raisons que vient d'exposer M. Tobback. Ce qui est curieux c'est que le compromis qui était en préparation au sein de la majorité a précisément été torpillé par M. Erdman, qui avait été chargé de la négociation pour le SP.A. M. Erdman n'a pas voté contre. Il s'est abstenu durant le vote. Quels intérêts M. Erdman sert-il ? Pas ceux de son parti apparemment, puisque le groupe du SP.A s'est prononcé contre le texte à la Chambre. Puis-je aussi rappeler que M. Van der Maelen, membre du SP.A déclara que dans la politique internationale il y a une gauche et une droite, que le SP.A appartient à la gauche et les autres partis, ceux de la majorité alternative, à la droite. L'exception du SP.A, M. Erdman, avait cependant été mandaté par son parti pour la négociation. Je m'interroge : avait-il bien un mandat de son parti ? Il a en tout cas gravement entravé la recherche d'un compromis.

Je pense quand même que le SP.A tant au Sénat qu'au conseil des ministres peut jouer un rôle important dans le dénouement de cette affaire. Il peut donner un signal clair en s'engageant à s'opposer à toute tentative d'application du paragraphe 4 à des plaintes pour lesquelles une enquête du ministère public est en cours, car il s'agit de plaintes qui concernent l'ensemble de la société.

Pour finir, je veux aussi souligner que s'il est fait appel à la procédure prévue au paragraphe 4, alors le processus de décision doit être extrêmement transparent.

En l'absence du ministre des affaires étrangères, je voudrais encore poser quelques questions à ce sujet à la ministre Neyts. Il est inacceptable que les débats sur l'avis de la chambre des mises en accusation ne soient pas publics. Il est encore moins acceptable que l'avis ne soit pas transmis en même temps à l'intéressé et au conseil des ministres. Dans le paragraphe 4, il est d'ailleurs écrit explicitement que la chambre des mises en accusation doit donner son avis au gouvernement. Il y est systématiquement fait référence à la procédure d'extradition où la chambre des mises en accusation a les mêmes compétences. Ce qui n'est pas ajouté est que, dans la procédure d'extradition, l'avis de la chambre des mises en accusation est secret. Il n'est jamais rendu public et n'est même pas porté à la connaissance de l'intéressé.

Madame le ministre, pouvez-vous assurer que l'avis de la chambre des mises en accusation prévu au paragraphe 4 sera communiqué à l'intéressé ?

J'ai déjà exposé en détail mes questions quant au contrôle de légalité par la Cour de cassation. Elles ne concernent pas seulement les obligations internationales mais aussi l'inculpation et le droit à un procès honnête et équitable.

Quoique certains pays soient considérés comme de grandes démocratie dotées d'une justice transparente et honnête, il s'y applique encore toujours la peine de mort. J'espère que si des plaintes concernent de pareils États, la Cour de cassation sera amenée à s'exprimer à leur égard de sorte qu'un renvoi vers ces pays ne soit pas possible.

Ces derniers jours, il a été beaucoup question de ce qu'il fallait faire quant aux conséquences négatives de la loi sur la répression du génocide pour notre pays. Je suis d'accord qu'on ne peut rester aveugle devant les conséquences économiques pour nos entreprises et nos citoyens. D'autre part, j'ai beaucoup de respect pour le gouvernement, pour monsieur le ministre Michel et pour le premier ministre Verhofstadt, qui, dans la crise irakienne, ont mis de côté la logique économique et ont pris la décision de bloquer l'OTAN. Notre gouvernement et notre premier ministre ont fait triompher l'éthique et le droit international sur l'unilatéralisme brutal des États-Unis.

La diplomatie finit là ou commence la guerre, dit von Clausewitz. Nous devons oser dire : la diplomatie s'arrête là où le génocide est en jeu.

Le Sénat remarquera qu'après l'avis du Conseil d'État, je suis très réservé. Toutefois, je suis sensible à l'argument qu'il faut des filtres à la loi sur le génocide de 1993, entre autres parce qu'entre-temps la Cour pénale internationale est entrée en fonction. Ces filtres doivent néanmoins respecter le principe de la séparation des pouvoirs. J'espère dès lors que le gouvernement fournira une réponse claire et convaincante à mes observations. Cette réponse sera déterminante pour mon vote.

M. Josy Dubié (ECOLO). - Nous voici donc au bout d'un très long processus visant à modifier la loi dite de compétence universelle votée à l'unanimité des deux chambres en 1993 et en 1999.

Ces modifications, puisqu'il s'agit bien d'une loi modificative, tout le monde est d'accord - nous aussi - pour considérer qu'elles sont nécessaires, ne fût-ce que pour adapter cette législation à l'évolution rapide du droit international. Le problème n'est donc pas là. Nous sommes d'accord pour que cette loi subisse des modifications.

En particulier, la création et la mise en oeuvre effective de la Cour pénale internationale depuis le 1er juillet 2002 nécessitent un certain nombre d'adaptations.

Ce qui est donc en cause ici, ce n'est pas la nécessité de certaines modifications, que tout le monde accepte, mais l'étendue et la portée des changements apportés à cette loi de compétence universelle. Cette loi a fait de notre pays - nous avons tout lieu d'en être fiers - un pays à la pointe de la lutte contre l'impunité des personnes, à quelque niveau qu'elles se trouvent - c'était en tout cas l'esprit de la loi originale - qui ont commis des crimes graves contre le droit humanitaire.

Donc, changements et modifications, oui, mais détricotage ou enterrement de première classe de cette loi et du principe essentiel qu'elle représente, non, trois fois non, mille fois non. Car c'est bel et bien de cela qu'il s'agit.

Le paragraphe 4 de l'article 7 que contient la loi qui nous est proposée poursuit incontestablement le but de vider la loi de sa substance, ce qui est évidemment totalement inacceptable pour nous. C'est pourquoi nous avons déposé, avec les socialistes, un amendement visant à supprimer ce paragraphe 4, ce qui devrait nous permettre de voter la loi en la rendant conforme à l'évolution du droit international et en mettant des balises pour éviter des plaintes téméraires ou vexatoires.

Effectivement, il faut des filtres, mais les filtres étaient prévus dans le projet que nous avons voté et que nous avons transmis à la Chambre, laquelle l'a modifié. Ces balises, ces filtres, nous sommes prêts à les accepter, mais pas au prix du sabotage de cette loi à laquelle nous tenons énormément.

Il faudrait, en effet, arrêter de tourner autour du pot et bien resituer le débat. Certains, dans cette assemblée, qui parfois ont participé au vote à l'unanimité de la loi en 1993 et en 1999, veulent aujourd'hui tout simplement la tuer en la rendant totalement inopérante.

Le principe de cette loi était en effet de confier à la justice, à notre justice, le pouvoir de poursuivre et, éventuellement de condamner, après instruction et procès, les personnes coupables de violations graves du droit humanitaire.

De nombreuses victimes de ces crimes abominables ont fait confiance à nos lois et à notre justice et sont venues demander réparation devant nos tribunaux.

Aujourd'hui, si la loi telle qu'elle nous vient de la Chambre était votée, beaucoup de ces victimes auraient, à juste titre malheureusement, le sentiment d'avoir été trahies.

En effet, comme le confirme de manière tout à fait explicite le Conseil d'État, dans son avis motivé, ce n'est plus la justice de notre pays qui pourra se prononcer sur la culpabilité éventuelle de certaines des personnes mises en cause, mais c'est bel et bien l'exécutif, le gouvernement, qui décidera in fine si une affaire est laissée à l'autorité judiciaire ou si elle est renvoyée vers le pays dont est originaire la personne soupçonnée de crimes graves contre le droit humanitaire. En d'autres termes, comme le dit explicitement l'avis du Conseil d'État en ses pages 6 et 7 : « En vertu du paragraphe 4 en projet, le dessaisissement de la juridiction belge interviendra dès que les faits auront été dénoncés à l'État étranger par le ministre de la Justice, sans attendre que les autorités judiciaires de cet État n'entament elles-mêmes une procédure. Dans une telle hypothèse, c'est donc le pouvoir exécutif qui décide du dessaisissement de la juridiction belge, l'intervention de la Cour de cassation n'apparaissant que purement formelle. »

Le Conseil d'État rappelle également ce qui suit : « un dessaisissement éventuel des juridictions belges ne peut être le seul fait du pouvoir exécutif ».

Tout naturellement, le Conseil d'État conclut dans son exposé : « le paragraphe 4 est ambigu ; sa rédaction actuelle ne paraît pas se concilier avec le principe de la séparation des pouvoirs ! »

On ne peut être plus clair.

Le Conseil d'État démontre donc bel et bien qu'il y a, avec le paragraphe 4, une confusion des pouvoirs et une intervention directe de l'exécutif dans une matière judiciaire, ce qui est totalement contraire à l'esprit même de nos institutions.

Il s'agit, en l'espèce, d'un habillage juridique maladroit, d'une décision éminemment politique, un point c'est tout. Dire et affirmer le contraire est tout simplement l'inverse de la vérité. Le pauvre Montesquieu, auteur de De l'esprit des lois, doit se retourner dans sa tombe.

Mais il y a plus. Ces dispositions du paragraphe 4 sont tout simplement anticonstitutionnelles, en ce qu'elles violent l'article 151 de notre Constitution, qui dispose que le ministre de la Justice ne peut pas émettre d'injonction négative dans une affaire en cours, ce qui sera évidemment le cas si, malheureusement, cette loi est votée en l'état, puisque le ministre pourra soustraire une affaire à la justice et la renvoyer à l'étranger après avis du conseil de ministres, avec, en plus, la circonstance aggravante que la loi aura un effet rétroactif sur toutes les affaires en cours !

De plus, le Conseil d'État soulève aussi la discrimination entre les justiciables qu'introduit le paragraphe 4. Je cite une fois de plus le Conseil d'État : « Le paragraphe 4 en projet semble engendrer une discrimination entre les justiciables au regard des articles 10 et 11 de la Constitution. En effet, contrairement aux autres hypothèses de dessaisissement visées aux paragraphes 2 et 3 en projet, les plaignants n'ont aucune garantie que leur plainte pourra effectivement être examinée par une autre juridiction, soit internationale, soit d'un autre État, qui serait reconnue compétente ». Il y a donc bel et bien discrimination.

Autrement dit, le paragraphe 4 introduit une discrimination inacceptable entre les plaignants, ce qui sera évidemment susceptible d'un recours devant la Cour d'arbitrage, si d'aucuns le souhaitent.

Je rappelle que tout cela, qui n'est pas très joli, joli - j'en suis convaincu, en ce sens que l'on viole certains principes élémentaires d'un État de droit - avait pour objectif de permettre au gouvernement de se débarrasser de certaines plaintes censées mettre notre diplomatie en difficulté sous la pression de lobbies et de groupes de pression extrêmement puissants.

Mais si cette loi est votée en l'état, monsieur le ministre des Affaires étrangères, elle aura l'effet exactement contraire !

En effet, jusqu'ici, vous avez pu dire à bon droit et rétorquer à ceux qui vous critiquaient pour des plaintes déposées contre certaines personnalités étrangères soupçonnées de violations graves du droit international humanitaire, que vous ne pouviez rien y faire puisque, la justice de notre pays étant indépendante, il vous était impossible d'intervenir, ce qui était tout à fait exact.

Si cette loi est votée en l'état, le ou les ministres ne pourront plus se réfugier derrière cet argument puisqu'il dépendra de leur décision, et de leur décision seule, de renvoyer une affaire ou de la laisser poursuivre en Belgique. C'est donc bel et bien à ce moment-là que notre diplomatie va se retrouver confrontée à des difficultés insurmontables en étant appelée à désigner elle-même les pays offrant des garanties juridiques et ceux qui n'y satisfont pas ! Bonjour les dégâts pour la réaction des États pestiférés que la Belgique désignera du doigt !

Bref, pour toutes ces raisons, je vous demande, chers collègues, de voter en faveur de notre amendement supprimant le paragraphe 4. Cela ne nous mettrait plus en porte-à-faux avec ce que sont les fondements mêmes de notre système institutionnel, tout en permettant d'introduire dans la loi de compétence universelle des balises et des filtres pour la rendre plus efficace et plus performante et poursuivre ainsi son objectif louable, la lutte contre l'impunité.

En conclusion, je voudrais dire qu'il a beaucoup été et qu'il est encore beaucoup question d'éthique dans la politique belge. C'est très bien, excellent même, et nous soutenons sans réserve cette nouvelle approche. Cependant, la défense de l'éthique suppose aussi le courage de résister aux pressions, d'où qu'elles viennent, qui visent à la bâillonner.

Ce n'est pas dans les discours que l'on prouve que l'on est éthique. Il est facile de l'être lorsque cela ne coûte rien. C'est dans la pratique concrète, lorsque les difficultés et les pressions se multiplient, qu'être éthique consiste à rester cohérent et à mettre ses actes en harmonie avec son discours.

Si cette loi que l'on nous propose de voter est adoptée telle quelle, ce n'est certainement pas l'éthique qui y trouvera son compte, mais bel et bien l'hypocrisie qui est trop souvent le synonyme de Realpolitik.

M. Louis Tobback (SP.A). - Je ne serai pas particulièrement long. Je veux seulement expliquer pourquoi je voterai contre la version actuelle du projet. Je ne le ferai pas en m'appuyant sur de grands principes ou sur des considérations éthiques.

Ce qui se trouve sur la table est une monstruosité qui a plus d'inconvénients que d'avantages. J'ai, entre autres, écouté les exposés d'un professeur et d'un ancien assistant en droit. Après lecture de l'avis du Conseil d'État, j'en viens à la conclusion qu'il s'agit de tentatives, il est vrai méritoires, mais désespérées de répondre aux objections du Conseil d'État. Le Conseil d'État en effet ne pose aucune question mais formule des objections.

Je souhaite d'abord et avant tout souligner que, comme d'autre orateurs de qui on attend peut-être moins cette attitude, j'ai beaucoup de compréhension pour les difficultés auxquelles sont confrontés le gouvernement et notre pays à cause de la loi sur le génocide de 1993 et de la manière dont certains l'ont appliquée ou détournée. Je souscris donc complètement à la nécessité de la modifier. Je me sens aussi responsable de cette loi du fait qu'en 1993 je faisais partie du gouvernement qui l'a promulguée. En outre, je faisais partie du Sénat qui l'a adoptée à l'unanimité.

Il s'agissait alors en adoptant cette loi d'un immense geste de solidarité internationale et de préoccupation pour les droits de l'homme. J'ai vu monter l'ardeur tout au long de la séance. Nous savions toutefois ce que nous commencions, parfaitement pour ce qui me concerne, et nous savions que la loi pouvait entraîner les difficultés qui se sont en effet produites ces dernières années.

La loi doit absolument être modifiée. Un certain nombre de choses sont contradictoires et je n'élude même pas la raison d'État, si exécrée.

Nous voulons être un centre de rencontres internationales, le siège d'institutions internationales, de l'OTAN, de l'Europe, ... mais dans le même temps, si nous mettons chaque plainte à l'examen, nous devrions installer à Zaventem ou à Melsbroek, une équipe d'enquêteurs permanente pour interroger les personnes qui font l'objet d'une plainte. Je doute que nous puissions soutenir longtemps une telle situation et je n'ai nul besoin d'une télécopie secrète ou de notes de M. Robertson pour savoir que cette situation est intenable. Cela peut paraître de l'opportunisme ou du pragmatisme serviles mais c'est la réalité. Voyez donc les plaintes parfois hautement fantaisistes qui ont été déposées !

Je comprends donc que la loi doive être modifiée et que nous devions en outre tenir compte de l'entrée en fonction de la Cour pénale internationale. J'ajoute cependant immédiatement que nous ne pouvons pas scier la branche sur laquelle nous sommes assis.

Nous voulions une procédure basée sur la Constitution et sur les principes de droit qui sont d'application dans notre pays. Le but n'était pas de modifier cela.

Je ne puis donc ignorer l'avis du Conseil d'État qui comporte des points fondamentaux au sujet desquels je souhaite être fixé. Une réponse verbale du gouvernement, un samedi en fin de législature, ne met nullement fin à mes inquiétudes et elle ne devrait pas donner satisfaction aux autres membres du Sénat. Il est impossible que par une simple réponse, le gouvernement puisse clarifier la situation concernant les principes fondamentaux d'un État de droit. S'en remettre au gouvernement pour l'interprétation de tels principes témoigne d'un manque d'esprit critique.

Je comprends que M. Monfils se batte désespérément pour que le projet soit adopté. Selon lui, la Cour de cassation jugera de la position du gouvernement concernant le respect de la procédure démocratique dans un pays déterminé. Je demande à voir ! C'est l'occasion idéale pour créer une tension permanente entre le pouvoir exécutif et le sommet du pouvoir judiciaire. L'un de nos collègues ici présents est parfaitement conscient de ce danger. M. Moureaux et moi avons vécu cela lorsque nous étions membres du gouvernement. À l'époque, une décision devait être prise au sujet de l'extradition d'un terroriste irlandais vers la Grande-Bretagne. Nous ne partagions pas le même point de vue mais cela n'a plus d'importance aujourd'hui. De tels moments sont extrêmement difficiles pour un gouvernement. Rappelons-nous les problèmes suscités par l'extradition de deux personnes vers l'Espagne. Au Conseil européen, plus personne ne nous adressait la parole. Luc Van den Brande peut en témoigner.

Je vous promets encore beaucoup de plaisir lorsque dans le futur, à la suite de plaintes de personnes privées, le gouvernement sera sans cesse contraint de se prononcer au sujet du respect des droits de l'homme dans un pays déterminé.

Ce projet n'apporte aucune solution. Au contraire, il sera source de problèmes.

M. Monfils l'a d'ailleurs très bien compris. Il a en effet terminé son exposé en disant qu'il faudrait recommencer tout de suite après les élections. C'est la meilleure façon d'annoncer que ce que l'on est en train de faire est du bricolage. Je suis d'accord avec lui : il faudra recommencer tout de suite. Reste à savoir s'il faut d'abord défaire pour refaire par la suite. Telle est la question que nous devons nous poser.

M. Monfils veut donc approuver un projet dont il cherchera à se débarrasser le plus rapidement possible après les élections.

Mes propos sont probablement vains. J'ai l'impression que même d'éminents juristes écartent quantité d'objections et cherchent des argumentations plus ou moins compliquées mais qui ne trompent en tout cas personne afin de pouvoir émettre un vote positif, dans l'espoir d'ouvrir des perspectives permettant d'envisager une position différente après les élections.

J'estime qu'il s'impose d'adapter la loi. Je déplore qu'il n'y ait pas de consensus pour le faire. Pour quelle raison le Sénat adopterait-il un projet dont le Conseil d'État déclare qu'il peut violer la Constitution et qu'il porte atteinte au principe fondamental de la séparation des pouvoirs ? Le clivage entre la majorité et l'opposition ne devrait jouer aucun rôle dans cette affaire. En 1993, nous avons tenté d'imposer au monde entier notre système juridique et d'être un exemple édifiant. À présent, nous sommes sur le point de tolérer une atteinte à nos propres principes fondamentaux pour résoudre des problèmes que nous avons créés nous-mêmes. C'est l'illustration parfaite du proverbe « le mieux est l'ennemi du bien ».

M. le président. - Je voudrais souligner que ce discours constitue peut-être la dernière intervention de M. Tobback au parlement fédéral. Je voudrais donc le saluer.

M. Philippe Moureaux (PS). - Vous préjugez du résultat des élections ! (Rires) Il est encore candidat...

M. le président. - Comme dernier suppléant, il lui sera difficile d'être élu ! (Rires) Si ce discours s'avérait être le dernier, je voudrais vous adresser, monsieur Tobback, toutes mes félicitations pour votre admirable carrière. (Applaudissements sur tous les bancs)

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Monsieur le président, vous connaissez mon implication dans ce dossier intéressant. Je dois dire que j'ai été très attentive aux interventions qui m'ont toutes interpellée.

Je n'aime pas que, dans cette assemblée, à propos d'un système et d'une problématique aussi importants, on sépare les juristes des politiques. Je n'ai jamais compris cette distinction. Pour moi, le droit est un instrument au service d'objectifs politiques et n'est pas de la forme, une superstructure, en quelque sorte.

J'ai horreur que l'on dise qu'il y a les juristes d'un côté et les politiques de l'autre. Mon engagement politique au Sénat est de trouver la juste forme pour atteindre des objectifs politiques. Dans ce débat, je voudrais que le droit colle aux objectifs que nous nous fixons. Le droit est avant tout un ensemble de procédures pour garantir les libertés de chacun.

M. Philippe Moureaux (PS). - La liberté des puissants d'abord !

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - C'est peut-être un rapport de forces. Mais le droit de la procédure pénale vise à protéger les faibles.

M. Philippe Moureaux (PS). - C'est ce que l'on dit. Il est surtout utile pour protéger les puissants et attaquer ceux qui sont à terre !

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Laissez-moi poursuivre mon exposé. Je n'aime pas cette dichotomie qui renvoie, d'une part, aux professeurs d'université et, d'autre part, aux politiques. D'ailleurs, c'est en tant que politiques que nous siégeons tous ici et non en tant que juristes, professeurs ou assistants d'université. Je n'ai, en outre, jamais été professeur ou assistante. Me voilà donc à l'aise.

Mon groupe a toujours soutenu comme principe qu'il fallait modifier cette loi. L'évaluation de cette loi généreuse a montré, non ses limites mais ses difficultés d'application. Il est clair et il ne faut pas s'en cacher, que nous sommes coincés entre le judiciaire et les effets diplomatiques qu'il suscite.

Le problème est que nous avons une procédure intéressante, qui fait partie de l'ordre humanitaire et du droit international, mais que nous devons aussi faire face à des problèmes diplomatiques qui doivent, selon moi, trouver des solutions diplomatiques et non judiciaires.

Comment faire la distinction entre les problèmes diplomatiques qui ont surgi, y compris ces derniers jours, et l'application correcte de cette loi qu'il nous faut modifier et restreindre, afin qu'elle ait une chance de persister de manière pratique et opérationnelle. Chacun sait que les magistrats de Bruxelles qui traitent ces dossiers ont besoin de moyens et que ceux-ci ne sont pas toujours à leur disposition.

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt l'avis du Conseil d'État. Je ne suis pas étonnée. Toutes les questions qu'il pose, nous nous les avions posées lors des discussions en commission de la Justice. Je crois que l'objet de notre assemblée de cet après-midi est de répondre à l'avis du Conseil d'État et de voir dans quelle mesure le texte relève, ou non, des critiques formulées par le Conseil d'État, et s'il est possible de répondre à ces critiques par des amendements ou par des explications du ministre. Je vais me permettre de reprendre les questions fondamentales dans l'ordre où le Conseil d'État les a soulevées.

Le Conseil d'État nous demande si le droit des parties à un recours effectif est garanti de la même manière dans les différentes dispositions des paragraphes 2, 3 et 4 de ce projet de loi.

Toute partie engagée dans une procédure judiciaire a droit à voir sa plainte traitée et à pouvoir exercer un recours. Elle a droit à une décision sur le fond, de procédure ou de classement sans suite. J'aimerais que le ministre me réponde sur cette première objection. Le droit des parties à un recours effectif est-il préservé dans la version qui nous est proposée ?

J'en viens au problème de l'intervention de la Cour de cassation, dont on a déjà beaucoup parlé. J'entends des opinions dissidentes à ce sujet.

Il est évident que la Cour de cassation ne peut se limiter à un rôle formel. Je crois que nous partageons tous cet avis, sans quoi il s'agirait d'un simple habillage. Mais comment prendre en compte les observations du Conseil d'État et préciser le rôle de la Cour de cassation ? Selon moi, c'est la Cour de cassation qui doit décider du dessaisissement et non le Conseil des ministres car nous sommes dans une procédure judiciaire.

Monsieur le ministre, je voudrais connaître la portée exacte de la décision de la Cour de cassation. Celle-ci a-t-elle un pouvoir d'appréciation ? Peut-elle accepter ou refuser une décision du Conseil des ministres ? Dans quelle mesure et sur la base de quels critères prendra-t-elle sa décision ?

M. Philippe Mahoux (PS). - Vous interrogez le gouvernement, madame Nyssens. Qui répondra ? Le ministre des Affaires étrangères ? C'est alors l'opinion du ministre des Affaires étrangères qui prévaudra ? Le gouvernement s'est-il prononcé à ce sujet ? Le ministre des Affaires étrangères ou Mme Neyts vont-ils dire le droit ?

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Je pose des questions mais il nous revient de répondre. Ce sont des questions que nous devons nous poser mutuellement.

J'aurais aimé que le ministre de la Justice prenne part à notre débat, mais je salue la présence de deux membres du gouvernement.

M. Philippe Moureaux (PS). - Aucun ministre ne peut s'exprimer au nom du gouvernement. En principe, ce dernier s'exprime d'une seule voix.

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Mais notre assemblée doit répondre au Conseil d'État.

Je voudrais donc que la Cour de cassation ait une liberté d'appréciation, en tout cas dans ce dossier.

M. Philippe Moureaux (PS). - Changez vos textes au lieu de le vouloir !

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - J'y viens. J'ai lu attentivement l'avis du Conseil d'État et je pose une à une les questions déterminantes.

Monsieur Moureaux, j'ai essayé toute la matinée de rédiger des amendements juridiques pour répondre aux objections du Conseil d'État. J'en ai déposé quelques-uns, mais je dois avouer que je n'en suis pas satisfaite. Ce dossier n'est pas facile.

M. Philippe Moureaux (PS). - On est dans une mauvaise voie, c'est tout !

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Même quand on prend la plume pour essayer de rencontrer l'avis du Conseil d'État, il est très difficile de trouver la formule juridique qui convient, sans se tromper ni déraper dans la procédure pénale. J'ai même envie de retirer mes deux amendements visant à préciser le rôle de la Cour de cassation parce qu'ils ne sont pas parfaits. C'est là toute la difficulté d'élaborer un texte en une matinée.

M. Philippe Moureaux (PS). - Vous tombez vraiment dans le travers consistant à considérer que c'est du juridisme. Le problème fondamental est de savoir si le politique doit intervenir et donner son avis sur le fond d'une procédure judiciaire. Tout part de là. Vous pouvez chercher dans tous les sens, vous reviendrez toujours à ce problème. Tranchez et dites si vous être favorable au retour à l'ancien régime où, effectivement, l'exécutif, le Roi, pouvait interrompre une procédure.

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Absolument pas. Depuis 1830 on ne l'a jamais fait.

Du fait que la Cour de cassation a un rôle dans ce projet de loi et qu'on lui donne un pouvoir de dessaisissement, je voudrais que l'on qualifie ce pouvoir de dessaisissement et qu'il n'y ait pas un retour vers l'ancien régime comme vous le dites.

J'ai entendu différents intervenants et c'est vrai que chacun a donné son interprétation. Il n'est pas question que le gouvernement prenne une décision et que la Cour de cassation soit le notaire du gouvernement.

La troisième question posée par le Conseil d'État concerne la discrimination entre les justiciables au regard des articles 10 et 11 de la Constitution.

Selon que le justiciable sera dans la procédure du paragraphe 3 ou du paragraphe 4, voire des paragraphes précédents, il sera traité différemment puisque les procédures sont différentes. Il faut donc répondre à l'objection soulevée par le Conseil d'État sinon, ce texte risque d'être soumis à la Cour d'arbitrage et de ne pas être appliqué.

Je vois très bien que le Conseil d'État n'a évidemment pas eu le temps d'analyser l'ensemble du texte quand il dit qu'il s'interroge sur l'articulation entre les différents paragraphes. Je suis sûre qu'il y a moyen d'améliorer le texte, mais personne n'a soulevé le problème. Ce n'est pas un samedi après-midi, sur un coin de table, qu'on peut refaire ce texte.

Enfin, en ce qui concerne la discrétion du pouvoir exécutif, il y a un fil rouge dans l'avis du Conseil d'État qui a eu raison de poser le problème. Il ne faut absolument pas que l'on considère que ce texte laisse l'entière discrétion au pouvoir exécutif.

Vous savez que j'ai soulevé le problème en commission. J'ai été la première à déposer l'amendement sur l'abolition de la suppression du paragraphe 4. Vous savez qu'il n'est pas passé en commission. Je suis très sensible aux questions posées par le Conseil d'État. J'attends les réponses. J'avais déposé trois amendements, mais le deuxième est le même que le vôtre, donc il est sans objet.

M. Philippe Mahoux (PS). - Il est donc probable que vous voterez le nôtre.

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Voilà.

Pour les deux autres, j'ai essayé de bricoler une procédure plus en rapport avec la séparation des pouvoirs. Étant donné la manière dont on travaille, je ne voudrais pas qu'on improvise sur des amendements que j'ai rédigés seule et qui ne sont probablement pas satisfaisants. Je suis donc en train de me demander si je ne vais pas me limiter à la question principale de la suppression.

J'attends avec intérêt la réponse de l'assemblée sur les questions du Conseil d'État.

M. Frans Lozie (AGALEV). - Nous sommes tous conscients de l'importance de ce débat relatif à l'instrument dont dispose notre pays pour faire en sorte que ceux qui commettent des crimes graves contre l'humanité n'obtiennent l'asile en aucun endroit du monde et ne puissent continuer à vivre sans être inquiétés. Une telle législation a évidemment un impact non négligeable sur la position de notre pays dans le contexte international.

La plupart des sénateurs sont convaincus de l'opportunité, voire de la nécessité d'adapter cette loi. Il serait utile de prévoir des filtres juridiques et mon groupe continuera à soutenir ce point de vue. Cependant, en prévoyant également un filtre politique, on est allé trop loin. Cela revient à introduire la possibilité d'un droit d'injonction négative de la part du pouvoir exécutif dans une procédure judiciaire et cela, par le biais d'une décision politique du gouvernement. Un tel filtre est jugé inacceptable par notre groupe mais aussi par d'autres. C'est également ce qui ressort de l'avis du Conseil d'État.

La question fondamentale est de savoir si nous pouvons accepter qu'à un moment donné, le gouvernement doive décider si Bush senior, par exemple, sera ou non poursuivi par le biais de notre pays pour des crimes contre l'humanité, alors que nous constatons qu'aujourd'hui, son fils agit de même ? Le gouvernement peut-il décider de ne pas poursuivre Bush mais plutôt Sharon, ou encore de ne poursuivre ni l'un ni l'autre mais plutôt un dirigeant politique africain, les intérêts économiques y étant nettement moindres ? Le système que nous allons instaurer mènera à des discussions de ce type au sein du gouvernement et conduira à des décisions politiques quant au fait de poursuivre ou non un criminel par le biais de notre pays.

Selon l'avis du Conseil d'État, ce projet est contraire à l'article 13 de la Constitution. De plus, on relève dans cette loi une discrimination entre la disposition du troisième paragraphe et celle du quatrième paragraphe. M. Vandenberghe a défendu à juste titre l'avis du Conseil d'État. Vu le bref délai dans lequel cet avis a été donné, on peut présumer que le Conseil d'État n'a guère hésité pour formuler son avis.

Jouissant d'une expérience de plusieurs années au parlement fédéral, je n'ignore pas que les discussions sur des questions sensibles engendrent une volonté d'aboutir à un consensus au sein du gouvernement, et parfois, au-delà des clivages entre la majorité et l'opposition. En outre, les partis avec lesquels je souhaite collaborer ont toujours admis qu'ils ne pouvaient courir le risque de conclure un accord avec le Vlaams Blok, compte tenu de la nature du projet qui traite des crimes contre l'humanité. Je constate cependant que nous assistons au phénomène inverse. On ne recherche pas à tout prix un accord au sein du gouvernement ni un large consensus comme en 1993. D'aucuns sont même prêts à courir le risque de devoir constater au moment du vote qu'un texte qui signifie l'affaiblissement politique de la loi réprimant le génocide, ne peut être voté qu'avec le soutien du Vlaams Blok.

Je comprends l'amertume de M. Tobback car je frémis moi aussi en voyant ce qui se passe aujourd'hui, 43 jours avant les élections. N'est-ce pas là une ouverture sur ce qui pourrait se jouer après les élections dans le cadre de négociations gouvernementales ? Le sujet d'aujourd'hui est trop important pour cela. Le vote qui aura lieu tout à l'heure suscitera sans aucun doute de telles réflexions.

Sur le plan politique, ce vote est essentiel. Comme l'a également signalé le Conseil d'État, il porte sur un important principe juridique, principe de base de l'État de droit, à savoir la séparation des pouvoirs.

La question est de savoir si à l'avenir, nous allons permettre de décider politiquement qui sera, ou non, poursuivi après avoir commis des crimes contre l'humanité. Nous nous y opposerons car nous refusons de porter la moindre responsabilité dans cette absurdité. Si le projet n'est pas amendé, nous nous prononcerons résolument contre. (Applaudissements)

M. Alain Destexhe (MR). - La compétence universelle est une excellente chose lorsqu'elle est appliquée de façon réaliste pour rendre justice à des victimes de crimes horribles. Je ne pense pas que l'on rende service à la justice en l'instrumentalisant à des fins politiques.

Vous savez que je suis un fervent partisan de la compétence universelle. Je pense que pour un certain nombre de crimes, c'est le seul moyen de rendre la justice. Vous savez qu'un grand nombre de pays ne veulent pas juger leurs criminels. Vous savez que la Cour pénale internationale a des limitations ; elles sont bien connues, je ne les rappellerai pas. Finalement, le principe de compétence universelle est le seul moyen, complémentaire à d'autres, pour lutter contre le génocide et le crime contre l'humanité. Et j'aurais voulu dire à M. Mahoux, qui n'est pas là, que j'ai rencontré jadis avec Médecins sans frontières au Cambodge, que dans le cas de ce pays, il n'y a pas d'autre moyen si nous voulons qu'un jour les victimes de l'horrible génocide qui a fait un million et demi de victimes puissent trouver un minimum de justice. Il n'y a pas aujourd'hui d'autre instrument que la compétence universelle. C'est d'autant plus important, comme l'a souligné M. Mahoux, de faire en sorte que les jeux politiques normaux et traditionnels auxquels nous participons tous restent dans le domaine du raisonnable. Or, à quoi assistons-nous depuis quelques années ? Nous avons enregistré une multiplication des plaintes, qui n'avaient plus grand chose à voir avec l'idéal de justice, avec la volonté de rendre la justice à des victimes de crimes horribles, mais qui étaient des plaintes suscitées exclusivement pour des motifs politiques et qui l'étaient non pas par les victimes elles-mêmes mais par des avocats belges, par des parlementaires belges, par des associations belges qui montaient en quelque sorte de toutes pièces ces plaintes pour des raisons politiques. Personnellement, la plainte contre Ariel Sharon a commencé à me mettre mal à l'aise. La plupart d'entre vous connaissent mes opinions sur le conflit israélo-palestinien. D'ailleurs, je ne doute pas que M. Sharon a commis des crimes. Il suffit d'avoir vu le documentaire de la BBC sur Sabra et Chatila : il y a quand même matière à s'interroger... Cependant, l'acharnement que certains mettent autour de ce cas Sharon, acharnement que l'on n'a entendu dans aucune autre plainte ou aucune autre procédure judiciaire, me met mal à l'aise. Je me demande, par exemple, si M. Sharon aurait seulement été inquiété s'il n'avait été le premier ministre de l'État d'Israël. Au cours des nombreuses discussions auxquelles ce concept de compétence universelle a donné lieu, je me suis parfois demandé si chez certains, sans doute minoritaires mais très actifs, le cas Sharon n'était pas le seul cas intéressant parmi toutes les procédures en cours. Je me suis aussi demandé si la volonté de refuser tous les compromis - car, depuis quelques semaines, il y a eu des volontés d'arriver à des compromis - ne venait pas du fait que certains avaient exclusivement en ligne de mire l'exemple de M. Sharon.

M. Philippe Monfils (MR). - C'est vous, monsieur Destexhe, qui avez refusé tous les compromis dans la loi interprétative. Nous n'avons jamais pu discuter sérieusement au Sénat. Je vous entends aujourd'hui avec un plaisir immense parler de compromis mais, en réalité, vous avez signé des propositions et vous les avez votées en refusant toute possibilité de compromis et nous savons avec quelles arrière-pensées. La vérité a ses droits, même si vous êtes mon excellent ami politique !

M. Alain Destexhe (MR). - Il y a deux mois, le Sénat a voté, à une large majorité, un texte que, pour être franc, je préférais au projet actuel. L'objectif n'est pas de polémiquer, mais la seule opposition - nous l'avions noté avec une certaine satisfaction - fut celle du Vlaams Blok. Les membres des autres groupes qui avaient formulé des arguments pertinents dans le cadre de la discussion se sont, finalement, abstenus au moment du vote. Nous devons, aujourd'hui, nous prononcer sur un texte sensiblement amendé par la Chambre.

J'en viens à présent à la plainte déposée par Patrick Moriau, plainte dont nous sommes en droit de nous demander si elle était dirigée contre M. Colin Powell ou contre la loi de compétence universelle. J'ai utilisé l'image du Tomahawk ; comme toutes les images, elle vaut ce qu'elle vaut... En ciblant MM. Powell et Bush, M. Moriau a fait des dégâts collatéraux : la loi de compétence universelle.

Comme vous le savez, le premier ministre a toujours soutenu cette loi et ce principe. Dans ses interventions précédentes, M. Dubié l'a souvent remercié pour le rôle constructif qu'il a joué en la matière.

Le ministre des Affaires étrangères a également soutenu cette loi, alors qu'il était le premier à être exposé aux critiques. Il n'était pas facile - tout le monde en convenait - de résister aux très nombreuses pressions diplomatiques.

Nous tous, qui défendions un projet raisonnable, nous avons eu l'impression, face à la plainte de M. Moriau, de recevoir un coup de poignard dans le dos : notre position - nous en avions la conviction - ne serait plus tenable.

M. Philippe Moureaux (PS). - Si une connerie peut saborder une loi, c'est que la loi n'est pas bonne ! C'est bien dans votre genre de vous cacher derrière la connerie en question...

M. Alain Destexhe (MR). - En politique, il faut savoir ce que l'on fait ! Moi, je ne finance pas l'islamisme à Molenbeek et je n'ouvre pas, le samedi et le dimanche, les écoles communales à l'enseignement coranique. Si vous voulez vous livrer à des attaques personnelles, je peux adopter le même ton !

M. Philippe Moureaux (PS). - Je respecte la religion musulmane. Vous les méprisez, nous le savons bien. C'est votre forme de racisme !

M. Alain Destexhe (MR). - Si M. Moriau n'avait pas déposé cette plainte, la Chambre et le Sénat auraient voté le même texte. C'est une réalité. Si quelqu'un peut me démontrer le contraire, qu'il le fasse !

M. Josy Dubié (ECOLO). - Vous avez dit, monsieur Destexhe, que je soutenais le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères. Bien sûr, et je les soutiens toujours. Ce n'est pas nous qui avons changé, mais eux ! S'ils avaient gardé la même position, nous les soutiendrions toujours ! Comme je l'ai expliqué dans mon intervention, le texte tel qu'il est rédigé correspond à un détricotage de la loi. Cela, nous ne pouvons pas l'accepter.

M. Alain Destexhe (MR). - Je reviendrai sur le soi-disant détricotage de la loi.

Je vous ai entendu, tout à l'heure, parler d'éthique, monsieur Dubié. Je ne dois pas, je le suppose, vous rappeler l'opinion exprimée à ce sujet par Max Weber, pour qui il existe deux types d'éthique, l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité.

M. Moureaux (fait personnel). - Dans un de ces merveilleux raccourcis, j'ai été attaqué non pas en fonction de mon opinion sur le sujet en question, mais, si j'ai bien compris, parce qu'en tant que bourgmestre de la commune de Molenbeek-Saint-Jean, j'ai pris des mesures pour essayer de mettre la religion musulmane sur un pied d'égalité avec les autres religions et la laïcité.

Je prends acte de cette attaque du MR qui prouve une fois de plus le double langage que ce parti répand à Bruxelles. Je ne manquerai pas de faire connaître ce qui vient d'être dit au Sénat à ceux qui, pour le moment, reçoivent de la part d'un candidat du MR à Bruxelles des textes faisant appel à des concepts religieux musulmans.

En ce qui me concerne, j'ai le plus grand respect pour la religion musulmane et je continuerai à agir pour qu'elle soit traitée sur un pied d'égalité. Je trouve scandaleux d'avoir dans un parti, à la fois des gens qui méprisent, de façon raciste, les musulmans et d'autres qui utilisent la religion à des fins électorales.

M. Alain Destexhe (MR). - Ce n'est pas une attaque du MR. J'ai réagi - et les enregistrements effectués ici le prouveront - à votre attaque personnelle qui « décrédibilisait » ma position, au nom de mon implication personnelle dans ce dossier. Si vous voulez en tirer des conclusions politiques, c'est votre droit, mais n'essayez pas d'y voir une attaque du MR, alors qu'il s'agit d'une réaction personnelle.

Mme Sfia Bouarfa (PS). - En quoi l'apprentissage du Coran vous dérange-t-il, monsieur Destexhe ?

M. Alain Destexhe (MR). - Je rappellerai à M. Dubié qu'il y a deux types d'éthique : l'éthique de conviction et l'éthique de responsabilité. Dans ce domaine, nous pouvons tous défendre une certaine forme d'éthique et je ne pense pas que le fait de placer au centre du débat les intérêts du pays et de la diplomatie belge soit moins éthique que des positions radicales. Cela fait partie de l'éthique de responsabilité.

Pourquoi fallait-il réagir après les attaques à l'encontre de Colin Powell ? Parce que c'était la porte ouverte à une série d'autres plaintes qui n'avaient pas encore été déployées dans le cadre de cette loi. Je pense, par exemple, à la possibilité de porter plainte contre des soldats anglais au Sierra Leone et des soldats français en Côte d'Ivoire. Il était impératif de réagir.

Parlons à présent de la solution retenue et en particulier du paragraphe 4. Nous disposons de l'avis du Conseil d'État. Il est ce qu'il est et, effectivement, il souligne un problème sans doute pertinent.

Je pense qu'il ne sera pas facile pour le conseil des ministres, en vertu du paragraphe 4, de se pencher sur un cas, en fonction de la loi de compétence universelle. En effet, tous les cas qui passeront devant le conseil des ministres recevront une publicité maximale et feront l'objet d'une analyse politique détaillée. La décision finale, qu'elle soit positive ou négative, générera toujours des critiques.

Le problème de la séparation des pouvoirs a été posé par l'arrêt du Conseil d'État ; je constate cependant que celui-ci a utilisé le conditionnel et qu'il n'a pas tranché définitivement la question.

Chers collègues, je me demande si vous avez bien lu le paragraphe 4. Il pose quand même un certain nombre de balises. Il ne permet pas au gouvernement de faire n'importe quoi. Le paragraphe 4 dit clairement que l'auteur présumé doit être ressortissant d'un État dont la législation incrimine les violations graves du droit humanitaire énumérées à l'article 1er, 1er bis et 1er ter. Monsieur Dubié, vous avez lu comme moi la liste de ces incriminations. Pensez-vous que tous les États de la planète et en particulier l'État d'Israël...

M. Josy Dubié (ECOLO). - L'URSS avait la plus belle constitution démocratique du monde mais elle n'était pas appliquée, ce qui a permis les massacres que l'on connaît. Le problème est là. De nombreux États peuvent avoir signé des conventions et ne pas les respecter.

M. Alain Destexhe (MR). - Vous avez raison mais le deuxième point précise ce qui suit : « ... garantit le droit à un procès équitable ». Je suis donc assez convaincu et confiant que les plaintes sérieuses qui ont été déposées devant la justice et qui sont traitées aujourd'hui, notamment les plaintes dans le cadre du génocide du Rwanda et la plainte du Tchad, continueront normalement leur parcours judiciaire. Je crois qu'il n'y a pas de raison de craindre que le conseil des ministres, par une décision politique, puisse arrêter les plaintes qui sont en cours.

Pour conclure, ce à quoi nous assistons aujourd'hui est effectivement un retour en arrière, mais qui n'est pas définitif. J'ai entendu M. Monfils dire également qu'il faudrait reprendre la discussion sous la prochaine législature. Ce retour en arrière permet de sauver l'essentiel, de sauver la loi de compétence universelle tout en contribuant à régler nos problèmes diplomatiques.

Ce qui me parait le plus important, c'est que la Belgique puisse encore organiser, au cours des prochaines années, deux ou trois procès dans le cadre de la loi de compétence universelle.

M. Philippe Mahoux (PS). - En choisissant les victimes ?

M. Alain Destexhe (MR). - C'est en organisant des procès que nous pourrons montrer à d'autres pays que cette loi est efficace, qu'elle fonctionne. Ce n'est pas en ayant des dizaines de plaintes déposées et non traitées par le système judiciaire.

Je suis donc confiant, malgré le petit recul d'aujourd'hui.

M. Louis Tobback (SP.A). - Que le gouvernement nous dise, par voie d'amendement, où, quand et avec qui ces procès pourraient être organisés et nous voterons peut-être pour...

M. Alain Destexhe (MR). - Je vous rappelle qu'un certain nombre de procédures sont en cours, qu'elles ont d'ailleurs été en partie bloquées par toute la discussion parlementaire. Vous savez l'impact qu'a eu le premier procès des quatre génocidaires, procès qui a été salué de manière unanime. Le fait de montrer à l'étranger que nous sommes capables de faire fonctionner cette loi de façon réaliste et modérée, aura beaucoup plus d'impact en termes de promotion de la justice internationale que la multiplication de dizaines de plaintes qui n'aboutiront jamais.

Personnellement, cela fait plus de dix ans que je me bats pour faire avancer cette idée de justice internationale. Je continuerai demain et ce n'est pas l'épiphénomène d'aujourd'hui qui arrêtera ceux qui militent pour que les crimes contre l'humanité et le crime de génocide soient mis hors-la-loi.

Mme Meryem Kaçar (AGALEV). - Il est aujourd'hui clairement apparu qu'un consensus existe pour modifier la loi de 1993. Si le groupe Agalev peut souscrire à cet objectif, il ne peut cependant se rallier à la modification proposée.

Permettez-moi de formuler deux considérations concernant l'avis rendu par le Conseil d'État.

Premièrement, le paragraphe 4 de l'article 7 est superflu car les paragraphes 1, 2 et 3 créent des filtres suffisants pour que nous remplissions nos obligations internationales.

Deuxièmement, le paragraphe 4 de l'article 7 ne respecte pas le principe de la séparation des pouvoirs, principe juridique fondamental, ce qui me paraît inacceptable. L'article 13 de la Constitution dispose clairement qu'il ne peut y avoir de droit d'injonction négative.

Si aucun amendement ne modifie le paragraphe 4, il y a motif, selon moi, à contester, en tant que parlementaire, cette loi devant la Cour d'arbitrage. Adopter le projet de loi sans modification équivaut en effet à donner carte blanche au pouvoir exécutif. La loi doit définir des critères clairs et précis applicables au pouvoir exécutif dans l'exercice de ses obligations.

J'ai étudié la question de manière approfondie et je ne me dessaisirai pas de mon droit de soumettre une affaire à la Cour d'arbitrage. Après quatre ans de travail parlementaire, je ne veux pas pouvoir me reprocher d'avoir voté, lors de la dernière séance plénière avant les élections, un projet de loi qui constitue une honte pour l'État de droit et qui ne résistera pas à un contrôle de la constitutionnalité.

M. Jean-Marie Dedecker (VLD). - Sur quatre ans de travail parlementaire, j'ai appris à être pragmatique.

La dissolution des chambres qui interviendra mardi prochain mettra fin à notre droit d'interroger le gouvernement et le conseil des ministres devra se limiter aux affaires courantes. Cela m'inspire deux questions.

Le fait d'invoquer paragraphe 4 de cette loi constitue-t-il une affaire courante pour le gouvernement ? En effet, je ne doute pas que ce projet de loi sera voté tout à l'heure.

Dans l'affirmative, quelles affaires courantes le ministre renverra-t-il sur la base du paragraphe 4 ?

M. Louis Michel, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères. - Un certain nombre d'éclaircissements ont été demandés. Je réponds donc, au nom du ministre de la Justice et de ma collègue Mme Neyts, que le rôle de la Cour de cassation, tel que prévu aux paragraphes 3 et 4 de l'article 7, n'est pas un rôle formel. Il s'agit, au contraire, d'un rôle tout à fait réel et cette cour, comme toutes les juridictions du Royaume, ainsi que le gouvernement, devra respecter les obligations internationales que la Belgique doit assumer conformément aux instruments internationaux qu'elle a ratifiés.

Ces instruments sont évidemment nombreux et bien connus. Je pense à la Convention européenne des droits de l'homme de 1950, aux Pactes des Nations unies de 1966 et aux nombreux autres instruments en matière de droit humanitaire international.

Pour répondre à Mme Nyssens et à un certain nombre d'autres intervenants, je dirai que la Cour de cassation conserve bien son pouvoir d'appréciation plein et entier. M. le sénateur Vandenberghe a d'ailleurs déjà soulevé cette question au cours des débats, bien avant l'avis rendu par le Conseil d'État.

Je réaffirme donc que nous ne nous départirons pas du principe fondamental, à savoir le respect de nos obligations internationales, tant du point de vue des droits de l'homme, qui exigent une justice indépendante, impartiale et équitable, que du point de vue humanitaire international. C'est tellement évident et incontestable qu'il ne faut pas l'exprimer explicitement.

Enfin, ce fameux paragraphe 4 est bien évidemment subsidiaire au paragraphe 3. Il n'entre pas dans nos intentions de nous immiscer dans les activités du pouvoir judiciaire. Nous n'entendons pas demander aux autorités judiciaires d'habiller en quelque sorte juridiquement une décision politique du conseil des ministres. Au contraire, nous voulons que le dessaisissement s'opère toujours par les autorités judiciaires. La décision du conseil des ministres entend seulement éclairer la Cour de cassation sur certains aspects devant être pris en considération et dont elle n'aurait pas connaissance.

Enfin, y a-t-il une éventuelle contradiction entre les paragraphes 3 et 4 de cet article 7 ? Non, évidemment, car les circonstances sont différentes, monsieur Mahoux. Dans le cadre du paragraphe 3, le dessaisissement n'interviendra que lorsqu'un procès aura commencé. N'oublions pas que le dessaisissement a lieu après que la juridiction d'un État a décidé d'exercer son pouvoir. Dans le paragraphe 4, au contraire, il n'y a pas de procédure ouverte dans un autre État que la Belgique. Il s'agit donc d'un règlement de procédure.

Pour enfin répondre aux préoccupations du sénateur Van Quickenborne, je puis confirmer que la réalité ou non d'une action en justice et des garanties en matière d'équité d'un procès éventuel sont des critères que la Cour de cassation devra bien entendu apprécier.

En outre, la Cour de cassation vérifiera si la législation de l'État de renvoi incrimine bien les violations graves du droit humanitaire et garantit aux parties le droit à un procès équitable. Il s'agit en effet des conditions légales mises au dessaisissement.

Dernière petite remarque à l'intention de Mme Nyssens concernant le recours éventuel contre les décisions de la Cour de cassation : je pense que la seule possibilité est le recours auprès de la Cour européenne des droits de l'homme.

M. Philippe Mahoux (PS). - Le problème n'est pas de savoir si les intentions du ministre des Affaires étrangères pour le futur et pour l'application du paragraphe 4 sont vertueuses. Mais c'est en fonction de ces intentions et donc des décisions que le pouvoir politique prendra que le justiciable aura le droit à un procès équitable, que la Constitution et que la séparation des pouvoirs seront respectées. Et ce problème reste entier.

Le ministre des Affaires étrangères s'est exprimé, précisant qu'il le faisait au nom du ministre de la Justice et de Mme Neyts. Le ministre de la Justice est, lui, absent. Toutefois, si le ministre des Affaires étrangères connaît les pensées de son collègue, je l'en félicite car elles sont souvent difficiles à cerner. Elles varient en effet selon les moments. Bref, que vaut cette réponse est donnée par un ministre à huit jours de la période des affaires courantes.

On enfonce donc un coin, voire plus, dans la séparation des pouvoirs, c'est-à-dire dans l'impossibilité, pour le pouvoir politique, d'intervenir auprès du parquet lorsque des plaintes sont déposées et les instructions en cours.

Aussi, nous maintenons notre amendement. Nous souhaitons qu'il soit adopté. Si ce n'était pas le cas, nous ne pourrions soutenir un texte qui est totalement contraire aux principes généraux de la démocratie, au respect des droits de l'homme en général et qui engendrerait des discriminations entre les citoyens, ce qui est totalement inacceptable.

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - Je suis quelque peu surpris par les interventions de certains membres des partis de la majorité qui, soudain, 48 heures avant la dissolution des chambres, avancent toutes sortes de points de vues alors qu'ils ont eu de longs mois pour résoudre ensemble ces problèmes. Comment se fait-il qu'ils n'aient pas pu convaincre leurs partenaires de la coalition ? Tout à coup, ils déplacent le problème. Ce que je dis aujourd'hui, je l'ai déjà dit en janvier, en commission et en séance plénière, et répété, une fois encore, il y a trois jours, en commission de la Justice. Nous aurions pu avoir une discussion objective au Sénat à ce sujet, mais tout le dossier a fait l'enjeu d'une politique partisane, ce qui a conduit à une impasse. C'est ainsi que nous devons voter, aujourd'hui, sous condition, un texte qui, juridiquement parlant, est moins favorable et offre moins de sécurité juridique.

Outre les problèmes juridiques, le CD&V distingue dès lors un aspect politique : sommes-nous prêts, pour une initiative provenant de la Chambre et qui prend les allures d'une solution conjoncturelle aux problèmes qui se posent actuellement, à prendre suffisamment nos responsabilités afin de veiller à ce que notre pays, qui héberge le siège de l'OTAN et de l'Union européenne, puisse continuer à fonctionner durant ces prochaines semaines ?

Les déclarations du vice-premier ministre sont rassurantes. Elles ne répondent peut-être pas au bon sens, M. Tobback, mais bien au bon sens juridique qui veut qu'une loi soit interprétée conformément à la Constitution et au droit international. C'est la logique même. Je n'ai jamais changé d'avis à ce sujet. Lisez, à la page 22 du rapport, ce que j'ai dit à la commission de la Justice avant que le Conseil d'État ne rende son avis.

Je suis d'accord avec les membres qui disent que les critères de qualité pour le renvoi, qui doivent garantir la protection effective et concrète des droits des victimes, peuvent impliquer des éclaircissements. Je sais cependant que nous n'avons plus le temps de résoudre ce problème ce soir.

Les interventions de ce jour étaient dès lors fortement influencées par le fait que des élections auront lieu dans quarante jours. Nous sommes loin d'un débat serein et objectif sur les amendements nécessaires pour permettre la protection concrète et effective des droits de l'homme et veiller à ce que le délit « crimes contre l'humanité » ne soit pas banalisé par l'utilisation incessante de ces termes.

M. Vincent Van Quickenborne (VU-ID). - J'ai écouté attentivement la déclaration du vice-premier ministre. Je note les réponses suivantes aux trois questions que j'ai posées.

Tout d'abord, la Cour de cassation est totalement compétente et n'est donc pas uniquement appelée à contrôler les obligations internationales auxquelles se réfère sans cesse M. Vandenberghe. Il y a encore un élément complémentaire. La Cour de cassation sera également appelée à vérifier l'incrimination ainsi que l'équité et l'honnêteté d'un procès dans le cas concret. En d'autres termes, le contrôle du droit d'accès des victimes dans le cas concret. La Cour de cassation pourra donc examiner si, dans le cas concret, les victimes ont effectivement accès à une justice équitable dans le pays vers lequel le dossier est renvoyé.

Deuxièmement, le ministre a dit qu'il y avait une hiérarchie dans les normes et que le paragraphe 3 prime le paragraphe 4.

J'ai encore posé une troisième question. Les délibérations de la Chambre des mises en accusation sont secrètes. Pour des raisons évidentes, l'avis n'est pas communiqué aux parties intéressées ni à la société. Mais ici, il s'agit d'autre chose. Puis-je demander au gouvernement que l'avis de la Chambre des mises en accusation soit rendu avec un maximum de transparence afin que les intéressés puissent en prendre connaissance et pas uniquement le gouvernement.

Si le gouvernement répond à la troisième question, je trouverais cela rassurant, mais j'aurais préféré voir ces réponses traduites dans le texte. Les déclarations du ministre sont des paroles, mais la loi est la loi.

M. Jean-Marie Dedecker (VLD). - J'aurais encore aimé savoir si le fait d'invoquer le paragraphe quatre après la dissolution des chambres est une affaire courante pour le gouvernement.

M. Philippe Mahoux (PS). - Il ne s'agit pas à proprement parler d'un fait personnel mais je trouve que le contorsionnisme touche parfois au grand art.

-La discussion générale est close.

Discussion des articles et votes

(Le texte adopté par la commission de la Justice est identique au texte du projet transmis par la Chambre des représentants. Voir le document Chambre 50-2265/10.)

M. le président. - L'article 5 est ainsi libellé :

À cet article, Mme Nyssens propose l'amendement nº 15 (voir document 2-1256/11) ainsi libellé :

Mme Clotilde Nyssens (CDH). - Comme je l'ai dit tout à l'heure, mon amendement nº 15 est identique à celui déposé par M. Mahoux. Je le retire donc, ainsi que mes autres amendements qui portent sur des formules juridiques de rechange que je n'ai finalement pas soulevées dans la discussion générale.

M. le président. - Au même article, MM. Mahoux, Dubié, Galand, Lozie et Istasse proposent l'amendement nº 16 (voir document 2-1256/11) ainsi libellé :

Vote nº 1

Présents : 63
Pour : 26
Contre : 36
Abstentions : 1

-L'amendement n'est pas adopté.

M. le président. - Nous votons à présent sur l'article 5.

Vote nº 2

Présents : 63
Pour : 36
Contre : 22
Abstentions : 5

-L'article 5 est adopté.

-Les autres articles sont adoptés sans observation.

M. le président. - Nous votons à présent sur l'ensemble du projet de loi.

Vote nº 3

Présents : 63
Pour : 36
Contre : 22
Abstentions : 5

-Le projet de loi est adopté.

-Il sera soumis à la sanction royale.

Mme Jeannine Leduc (VLD). - À la fin de cette législature, je remercie tout d'abord les services du Sénat pour l'excellent travail qu'ils ont toujours accompli, même lorsque les circonstances étaient très pénibles.

Je remercie également tous mes collègues, tant de la majorité que de l'opposition, pour leur travail constructif et pour leur collaboration.

Je remercie pour leur dévouement les collègues qui, pour diverses raisons, ne reviendront plus au Sénat après les élections, et leur souhaite beaucoup de bonheur et de prospérité dans leur nouvelle vie. J'espère qu'ils reviendront nous voir encore très souvent. (Applaudissements)

M. Hugo Vandenberghe (CD&V). - Tout d'abord, je remercie le personnel du Sénat qui nous a si bien servi et aidé durant ces quatre dernières années. Nous savons à quel point les fonctionnaires publics sont sous pression et qu'ils ne sont pas toujours appréciés à leur juste valeur. Les parlementaires doivent prendre leur défense, car ce sont des collaborateurs indispensables.

Je les remercie tout particulièrement pour leur discrétion. Outre la qualité du travail, j'apprécie au plus haut point cette discrétion, qui est une marque de confiance dans le parlement.

Monsieur le Président, je vous remercie particulièrement parce que, durant une législature difficile - en tout cas pour nous - vous avez fait de votre mieux pour que l'opposition puisse exprimer son point de vue, ce qui est la nature même d'un régime parlementaire. Naturellement, en tant qu'opposition, nos opinions divergeaient parfois, mais cela n'enlève rien à votre attitude impartiale.

Au nom du groupe CD&V tout entier, je tiens aussi à vous remercier tout particulièrement pour tous les efforts que vous avez déployés en faveur du maintien du bicaméralisme.

M. Philippe Mahoux (PS). - Au nom de mon groupe, je voudrais remercier très chaleureusement l'ensemble du personnel du Sénat, de quelque service qu'il dépende. D'ailleurs, pour nous, parlementaires, la distinction n'est pas toujours évidente.

Ce qui est constant, en tout cas, c'est le dévouement et le professionnalisme dont il fait preuve, quelle que soit sa fonction. Je voudrais tout spécialement le remercier en cette fin de législature.

Je souhaite à toutes ces personnes une période un peu moins agitée jusqu'à la rentrée parlementaire, ce qui ne sera sans doute pas notre cas.

M. René Thissen (CDH). - Je voudrais m'associer aux remerciements. Je remercie également mes collègues qui ont fait preuve de convivialité pendant toute cette législature. Les débats que nous avons menés étaient intéressants. Certains membres sont davantage intervenus que d'autres, certains ont plus de connaissances, mais je pense que chacun a écouté les autres avec patience, parfois aussi avec vivacité, mais n'est-ce pas indispensable ?

Si j'ai un souhait à émettre, c'est que le futur gouvernement prenne aussi en compte les intérêts de toutes les personnes qui travaillent au Sénat avec dévouement - certaines depuis très longtemps - et qui font de cette institution ce qu'elle est aujourd'hui : une assemblée où l'on réfléchit et qui fonctionne bien. Mon seul souhait est que ce Sénat vive encore très longtemps avec de vraies compétences.

M. Philippe Monfils (MR). - Comme tous mes collègues, je dirai que nous ne pourrions pas vivre politiquement sans toutes les personnes qui nous entourent au Sénat. Je songe évidemment au personnel mais aussi aux collaborateurs et collaboratrices des groupes, qui effectuent dans l'ombre un travail souvent colossal nous permettant parfois de voir plus clair, d'exprimer des avis, d'élaborer des propositions et de prendre des positions qui sont longuement évaluées à l'intérieur des groupes.

Je voudrais aussi vous remercier particulièrement, monsieur le président. Au moment précis où l'horizon du Sénat s'assombrit, vous restez le gardien sourcilleux des valeurs de notre assemblée. En toutes circonstances, vous avez toujours fait preuve d'équilibre. Je vous félicite de toutes les réalisations du Sénat et vous remercie d'avoir courageusement tenu tête et défendu notre Sénat dans toutes les situations.

Il est possible que je me retrouve à la Chambre sous la prochaine législature, mais croyez-moi, je ne critiquerai jamais le Sénat. Je ferai tout ce qui sera en mon pouvoir pour défendre la haute assemblée.

Mme Jacinta De Roeck (AGALEV). - Je voudrais tout d'abord, au nom des groupes Agalev et Ecolo, remercier le personnel des services qui, quatre années durant, a accompli un travail de professionnel et cela dans une ambiance amicale.

Je tiens aussi à remercier le président pour son indulgence à l'égard de nos interventions parfois trop longues. Même si ses rappels à l'ordre m'ont de temps à autre irritée, je les ai souvent appréciés. Nous avons également apprécié votre sens de l'humour, dont vous ne vous départiez pas lors des séances difficiles.

Je remercie également tous mes collègues.

C'est, pour moi, un jour difficile, le dernier que je passe au Sénat, que je quitte, à contrecoeur, pour la Chambre. Vous allez me manquer. Le Sénat va me manquer, mais je vous promets que je viendrai de temps à autre prendre un café : celui du Sénat est bien meilleur que celui de la Chambre !

M. le président. - Je vous remercie pour ces gentilles paroles en cette fin de session.

À mon tour, je voudrais vous dire combien j'ai apprécié de collaborer avec vous et combien ces quatre années ont été passionnantes, dans des circonstances parfois difficiles, il est vrai.

Je pense sincèrement que ce Sénat a un rôle très important à jouer. J'espère que le gouvernement et la majorité future auront compris la portée des votes qui se sont déroulés hier et aussi que ce Sénat n'a pas eu l'intention de se laisser abattre.

Les futurs constituants, membres de cette assemblée, auront une responsabilité toute particulière à remplir pour préserver le rôle de chambre de réflexion dévolu à cette institution qui travaille d'une autre manière que la Chambre, avec plus de distance et plus d'indépendance.

Tous ceux qui, sincèrement, ont à coeur de défendre un système démocratique, comprendront que filer vers un système monocaméral est un recul démocratique.

À mon tour, je voudrais remercier les services qui ont été admirables. Je prie les fonctionnaires de ce Sénat de ne pas perdre confiance. Je crois qu'ils ont encore de longues années devant eux. Je les remercie pour tout ce qu'ils ont fait pendant ces quatre ans.

Je remercie également la presse pour la manière dont elle a couvert nos travaux.

Bonne chance pour les élections et, à ceux qui vont quitter le Sénat ou qui vont quitter la vie politique, je souhaite beaucoup de bonheur dans leur nouvelle vie.

Je remercie tout le monde.

-Le Sénat s'ajourne jusqu'à convocation ultérieure.

(La séance est levée à 19 h 30.)

Annexe

Votes nominatifs

Vote nº 1

Présents : 63
Pour : 26
Contre : 36
Abstentions : 1

Pour

Michel Barbeaux, Sfia Bouarfa, Marcel Cheron, Jean Cornil, Georges Dallemagne, Jacinta De Roeck, Josy Dubié, Paul Galand, Michel Guilbert, Jean-Marie Happart, Jean-François Istasse, Meryem Kaçar, Marie-José Laloy, Frans Lozie, Michiel Maertens, Philippe Mahoux, Johan Malcorps, Philippe Moureaux, Marie Nagy, Clotilde Nyssens, Fatma Pehlivan, Francis Poty, Louis Siquet, René Thissen, Louis Tobback, Myriam Vanlerberghe.

Contre

Yves Buysse, Ludwig Caluwé, Jurgen Ceder, Christine Cornet d'Elzius, Frank Creyelman, Sabine de Bethune, Olivier de Clippele, Armand De Decker, Jean-Marie Dedecker, Paul De Grauwe, Mia De Schamphelaere, Alain Destexhe, Nathalie de T' Serclaes, Jacques Devolder, André Geens, Theo Kelchtermans, Mimi Kestelijn-Sierens, Jeannine Leduc, Jean-Pierre Malmendier, Guy Moens, Philippe Monfils, Didier Ramoudt, Jan Remans, François Roelants du Vivier, Gerda Staveaux-Van Steenberge, Jan Steverlynck, Martine Taelman, Erika Thijs, Hugo Vandenberghe, Luc Van den Brande, Joris Van Hauthem, Patrik Vankrunkelsven, Iris Van Riet, Wim Verreycken, Magdeleine Willame-Boonen, Paul Wille.

Abstentions

Vincent Van Quickenborne.

Vote nº 2

Présents : 63
Pour : 36
Contre : 22
Abstentions : 5

Pour

Yves Buysse, Ludwig Caluwé, Jurgen Ceder, Christine Cornet d'Elzius, Frank Creyelman, Sabine de Bethune, Olivier de Clippele, Armand De Decker, Jean-Marie Dedecker, Paul De Grauwe, Mia De Schamphelaere, Alain Destexhe, Nathalie de T' Serclaes, Jacques Devolder, André Geens, Theo Kelchtermans, Mimi Kestelijn-Sierens, Jeannine Leduc, Jean-Pierre Malmendier, Guy Moens, Philippe Monfils, Didier Ramoudt, Jan Remans, François Roelants du Vivier, Gerda Staveaux-Van Steenberge, Jan Steverlynck, Martine Taelman, Erika Thijs, Hugo Vandenberghe, Luc Van den Brande, Joris Van Hauthem, Patrik Vankrunkelsven, Iris Van Riet, Wim Verreycken, Magdeleine Willame-Boonen, Paul Wille.

Contre

Sfia Bouarfa, Marcel Cheron, Jean Cornil, Jacinta De Roeck, Josy Dubié, Paul Galand, Michel Guilbert, Jean-Marie Happart, Jean-François Istasse, Meryem Kaçar, Marie-José Laloy, Frans Lozie, Michiel Maertens, Philippe Mahoux, Johan Malcorps, Philippe Moureaux, Marie Nagy, Fatma Pehlivan, Francis Poty, Louis Siquet, Louis Tobback, Myriam Vanlerberghe.

Abstentions

Michel Barbeaux, Georges Dallemagne, Clotilde Nyssens, René Thissen, Vincent Van Quickenborne.

Vote nº 3

Présents : 63
Pour : 36
Contre : 22
Abstentions : 5

Pour

Yves Buysse, Ludwig Caluwé, Jurgen Ceder, Christine Cornet d'Elzius, Frank Creyelman, Sabine de Bethune, Olivier de Clippele, Armand De Decker, Jean-Marie Dedecker, Paul De Grauwe, Mia De Schamphelaere, Alain Destexhe, Nathalie de T' Serclaes, Jacques Devolder, André Geens, Theo Kelchtermans, Mimi Kestelijn-Sierens, Jeannine Leduc, Jean-Pierre Malmendier, Guy Moens, Philippe Monfils, Didier Ramoudt, Jan Remans, François Roelants du Vivier, Gerda Staveaux-Van Steenberge, Jan Steverlynck, Martine Taelman, Erika Thijs, Hugo Vandenberghe, Luc Van den Brande, Joris Van Hauthem, Patrik Vankrunkelsven, Iris Van Riet, Wim Verreycken, Magdeleine Willame-Boonen, Paul Wille.

Contre

Sfia Bouarfa, Marcel Cheron, Jean Cornil, Jacinta De Roeck, Josy Dubié, Paul Galand, Michel Guilbert, Jean-Marie Happart, Jean-François Istasse, Meryem Kaçar, Marie-José Laloy, Frans Lozie, Michiel Maertens, Philippe Mahoux, Johan Malcorps, Philippe Moureaux, Marie Nagy, Fatma Pehlivan, Francis Poty, Louis Siquet, Louis Tobback, Myriam Vanlerberghe.

Abstentions

Michel Barbeaux, Georges Dallemagne, Clotilde Nyssens, René Thissen, Vincent Van Quickenborne.