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SENAT DE BELGIQUE


SESSION EXTRAORDINAIRE
DU JEUDI 11 MARS 1999
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HOMMAGE


A M. MARC OLIVIER,
A L'OCCASION DE SES VINGT-CINQ ANNEES DE MANDAT PARLEMENTAIRE

ET

A MME MAYENCE-GOOSSENS
ET
A MM. LALLEMAND ET BUSQUIN,
A L'OCCASION DE LEURS VINGT ANNEES DE MANDAT PARLEMENTAIRE





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PRESIDENCE : M. FRANK SWAELEN



Le Sénat s'est réuni le jeudi 11 mars 1999, à 17 heures, pour rendre hommage à M. Marc Olivier pour ses vingt-cinq ans de mandat parlementaire, ainsi qu'à Mme Jacqueline Mayence-Goossens et à MM. Roger Lallemand et Philippe Busquin, à l'occasion de leurs vingt années de mandat parlementaire

MM. Dehaene, Di Rupo et Ylieff siègent au banc du gouvernement

Introduits par les questeurs Mme Delcourt-Pêtre et M. Delcroix, les jubilaires font leur entrée dans la salle, sous les applaudissements de l'Assemblée et prennent place dans les fauteuils qui leur ont été réservés au centre de l'hémicycle

M. le Président. - Mesdames, messieurs, j'ai eu l'honneur de recevoir de Sa Majesté le Roi le télégramme suivant :

« Je m'associe bien volontiers à l'hommage que le Sénat rend aujourd'hui à M. Marc Olivier à l'occasion de ses vingt-cinq ans de mandat parlementaire et à Mme Jacqueline Mayence-Goossens et MM. Roger Lallemand et Philippe Busquin pour leurs vingt ans de mandat.

Il m'est très agréable de joindre aux marques de sympathie qui leur sont témoignées mes vives félicitations et mes meilleurs voeux pour leur santé, leur bonheur et une activité féconde au service du pays. »

J'ai reçu de M. Raymond Langendries, président de la Chambre des Représentants, le télégramme suivant :

« Au nom de la Chambre des Représentants, je m'associe volontiers à l'hommage qui est rendu en cette séance extraordinaire à M. Marc Olivier pour ses vingt-cinq ans de mandat parlementaire ainsi qu'à Mme Jacqueline Mayence-Goossens et à MM. Philippe Busquin et Roger Lallemand pour leurs vingt ans de mandat parlementaire.

La Chambre des Représentants adresse ses félicitations les plus chaleureuses aux jubilaires et les remercie pour leur contribution à la vie parlementaire de notre pays. » (Applaudissements sur tous les bancs.)

J'ai également reçu de Monsieur Manfred Schunck, président du Conseil de la Communauté germanophone, le télégramme suivant :

« Der Senat ehrt heute vier seiner Mitglieder, die auf eine fünfundzwanzigjährige beziehungsweise zwanzigjährige Parlamentarier-Laufbahn zurückblicken können.

Im Namen des Rates der Deutschsprachigen Gemeinschaft möchten wir sie höflichst bitten, den Geehrten, der Frau Senatorin Mayence-Goossens sowie den Herren Senatoren Olivier, Lallemand und Busquin, die herzlichsten Glückwünsche unseres Parlaments zu ihrem Jubiläum übermitteln zu wollen. »

Monsieur Norbert De Batselier, président du Parlement flamand m'a fait parvenir le télégramme suivant :

« Mede namens het Bureau van het Vlaams Parlement en de Vlaamse volksvertegenwoordigers, sluit ik mij aan bij de hulde die de Senaat op 11 maart 1999 brengt aan mevrouw Jacqueline Mayence-Goossens en de heren Roger Lallemand en Philippe Busquin naar aanleiding van de viering van hun twintig jarig parlementair mandaat; een speciale eerbetuiging richt het Vlaams Parlement graag tot zijn eerste ondervoorzitter, de heer Marc Olivier voor de uitoefening van vijfentwintig jaar parlementair mandaat. »

Nos collègues, Leurs Altesses Royales le Prince Philippe et la Princesse Astrid, m'ont prié d'excuser leur absence à la présente cérémonie et m'ont chargé de féliciter les jubilaires en leur nom.

Lorsqu'il fut délégué, en 1995, au Sénat par le Parlement flamand, Marc Olivier pouvait déjà se prévaloir d'une carrière bien remplie.

Après avoir travaillé durant quelques années dans le secteur privé, il fut en 1974 élu député de l'arrondissement de Courtrai et, pendant de nombreuses années, il assuma, avec l'énergie que nous lui connaissons, la présidence de la Commission des affaires sociales de la Chambre.

Ce n'est certes pas un hasard si ses activités se sont essentiellement concentrées sur cette commission. En effet, toute la carrière parlementaire de cet ancien jociste et membre de la CSC est caractérisée par un vif intérêt pour les thèmes sociaux et par le souci de venir en aide aux plus démunis de notre société.

En témoignent les innombrables initiatives qu'il a prises depuis un quart de siècle dans le domaine des allocations sociales, du chômage, de la lutte contre la pauvreté, du logement et de la politique en faveur des handicapés. La proposition de loi instituant le congé pour soins palliatifs, qu'il avait déposée en tant que député en 1992, fut sans doute l'une des premières initiatives parlementaires prises sur ce plan dans notre pays.

En 1995, Marc Olivier franchit le pas qui l'amena au Parlement flamand, ce qui n'avait rien d'étonnant. En effet, à l'époque, il était depuis dix ans premier vice-président du Conseil flamand, fonction qui lui avait permis de marquer de son empreinte le développement de cette institution. Il est donc compréhensible que lors de la première élection directe du Parlement flamand, on ait fait appel à lui pour parfaire son oeuvre.

L'ardeur qu'il y a déployée est maintenant perceptible dans le bel immeuble qui héberge aujourd'hui cette institution. Les initiatives politiques qu'il a prises ces quatre dernières années en vue de l'intégration obligatoire d'oeuvres d'art dans les bâtiments publics est à cet égard remarquable. Cela dénote, bien entendu, un certain souci de perfection, mais se veut surtout l'expression de sa conviction que la promotion, par les pouvoirs publics, de l'art en général et des jeunes artistes en particulier est bénéfique à l'ensemble de la société.

Au Sénat, nous avons appris à connaître ce collègue tel qu'il est : un homme omniprésent et qui a son francparler, toujours de bonne humeur, vivement intéressé par tous les événements et les hommes qui l'entourent.

L'expérience des quatre dernières années nous a appris que l'exercice du mandat de sénateur de communauté n'est assurément pas des plus faciles dans notre institution. Et pourtant, Marc Olivier est parvenu, en dépit de ses engagements importants au sein du Parlement flamand, à donner une forme particulièrement rationnelle à cette fonction.

Il ne fallait pas véritablement attendre de cet homme d'action de vastes considérations théoriques sur le rôle de nos institutions. Mais grâce aux activités qu'il a déployées ces dernières années, il a, plus que tout autre, mis en lumière ce que doit être, à ses yeux, le Sénat : un lieu de rencontre où les communautés engagent un dialogue, non seulement sur les questions institutionnelles, mais aussi sur tous les problèmes importants qui dépassent le niveau régional.

La lutte contre l'exclusion sociale est un de ces thèmes, et en tant que sénateur aussi, il l'a placée en tête de sa liste de priorités.

Depuis quatre ans, la politique dans ce domaine a été déterminée, dans une large mesure, par le rapport général sur la pauvreté de la Fondation Roi Baudouin, paru en 1995.

Non seulement Marc Olivier a suivi de près l'exécution de ce rapport, mais en outre il a mis en permanence l'accent sur la mission spéciale de coordination de la politique en la matière, que le Sénat s'est vu attribuer en sa qualité de chambre « fédérale ». C'est dans ce cadre qu'il faut également situer son récent plaidoyer en faveur d'un meilleur encadrement du groupe de travail interparlementaire Quart Monde, qui se réunit régulièrement au Sénat pour aborder ces thèmes.

Les membres de la commission des affaires sociales le connaissent comme un ardent défenseur des accords de coopération, qui constituent, à ses yeux, un instrument nécessaire pour mieux harmoniser le fonctionnement des différentes entités fédérées, sans que ces dernières doivent y sacrifier leur spécificité. Cet habitant de Courtrai, à un jet de pierre de la frontière linguistique, a récemment manifesté à plusieurs reprises son agacement face au manque de coopération entre les services de placement de cette région. En effet, les premières victimes de cet état de choses sont en fait les chômeurs dans les deux parties du pays, et telle ne saurait avoir été la finalité des transferts de compétences dans ce secteur.

Je serais injuste à l'égard de Marc si je ne profitais pas de l'occasion pour citer deux autres domaines dans lesquels il se montre un sénateur actif.

En sa qualité de démocrate convaincu, il a toujours considéré qu'une composition équilibrée des institutions dans tous les domaines constitue un élément naturel de notre système politique. Ce n'est donc pas un hasard s'il est le représentant masculin le plus actif du Comité d'avis pour l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Malgré son agenda surchargé, Marc Olivier est également un membre particulièrement actif du Conseil interparlementaire consultatif de BENELUX. Son intérêt pour la problématique des travailleurs frontaliers est une des constantes qui caractérisent son activité au sein de cette institution. Etant un parlementaire pour qui le contact avec la base fait partie de l'essence de l'activité politique, il connaît mieux que personne les problèmes qui se posent à cet égard sur le terrain.

Depuis quelques mois, ses activités au sein du Benelux sont fortement axées sur la toxicomanie, un problème transfrontalier par excellence. Elles ont donné lieu à un volumineux rapport, qui décrit la situation dans les trois pays concernés et formule une série de recommandations tendant à favoriser une politique intégrée. Ce dossier aboutira, d'ici quelques semaines, à une journée d'étude internationale, qui aura lieu - et ce n'est peut-être pas un hasard - à Courtrai.

Quiconque veut, en semaine, avoir avec Marc Olivier une conversation suivie doit agir comme lui : avec promptitude et à-propos. Le mieux est d'essayer de le rencontrer dans le train entre Courtrai et Bruxelles ou sur le chemin entre le Parlement flamand et le Sénat, un trajet qu'il parcourt à la hâte plusieurs fois par jour.

Il appartient à la race remarquable des hommes qui font maintes choses à la fois, tout en ne donnant jamais l'impression d'être très occupé, attitude qu'il faut sans doute attribuer à son enjouement permanent et à la capacité de relativiser qu'il possède à fond.

Mais tous ceux qui ont travaillé avec lui ces vingt-cinq dernières années voient avant tout en lui le travailleur infatigable, le fédéraliste convaincu empreint d'un grand respect pour les institutions politiques, et l'homme politique largement ouvert aux problèmes d'ordre social et qui tient toujours parole.

Cette caractéristique justifierait déjà à elle seule l'hommage qui lui est rendu aujourd'hui par le Sénat.



Voici déjà vingt longues années que le Sénat porte Jacqueline Mayence dans son coeur.

Dans notre institution, son nom est à lui seul un véritable sésame, comme en témoigne l'attitude de nos Collègues en général et celle du personnel en particulier, qui est très sensible, et à juste titre, à la manière dont il est traité.

Probablement Jacqueline Mayence est-elle appréciée et aimée à ce point parce qu'elle possède, elle aussi, cette qualité précieuse entre toutes d'être une personnalité parfaitement libre qui apprécie et aime autrui dans ses actes, à une époque où l'écoute et le respect des autres sont d'autant plus préconisés que rarement et parcimonieusement pratiqués.

Dans le cas de notre Collègue, cette faculté d'ouverture et de sympathie est naturelle; elle ne s'est pas développée au détriment de sa personnalité. Notre Collègue n'a jamais changé sur l'essentiel; elle n'a cessé de cultiver les mêmes valeurs à travers toute sa vie.

Aussi n'est-il guère étonnant de la voir surfer sur ce que d'aucuns considèrent comme d'insurmontables contradictions, eux qui ont oublié que l'être humain est rarement univoque et que la vraie sagesse se nourrit aussi aux sources de la relativité.

Ces valeurs, auxquelles elle est restée fidèle et qu'elle s'est efforcée de réaliser, on les retrouve dans les phrases de son maître à l'Université de Louvain, le chanoine Jacques Leclercq, qui nous dit à tous : « Je n'écris pas pour ceux qui partagent ma foi. Je n'écris pas pour les incroyants. Je refuse une fois pour toutes cette séparation entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas.

Il y a la tendresse et c'est le même chef-d'oeuvre.

Il y a l'intelligence et c'est la même lumière.

Il y a la liberté et c'est la même passion.

Il y a la mort et c'est le même vertige.

Il y a l'homme et c'est pour cela que j'écris. »

Les libéraux de Charleroi furent très probablement impressionnés par ces qualités lorsqu'ils pressentirent pour les élections communales de 1977, cette licenciée en sciences politiques et diplomatiques, épouse d'un avocat du cru déjà talentueux et qui, jusqu'à ce moment-là, s'était manifestée avant tout par une activité nourrie dans la haute école de la démocratie qu'est la vie associative.

Elle retint de cette activité intense le surnom de « Madame Propre », tant son zèle à assainir - au sens littéral du terme - l'environnement carolorégien était patent. Une fois balayés les trottoirs et arrachées les affiches électorales sauvages, une fois surtout le mandat communal conquis de haute lutte, elle sentit son appétit politique s'ouvrir et devint sénatrice en 1978, ce qu'elle n'a plus cessé d'être jusqu'à ce jour, compte tenu, bien entendu, de deux mandats ministériels, le premier en qualité de secrétaire d'Etat à la coopération au développement, de 1981 à 1983, et le second de ministre de la Région wallonne, avec le logement et l'informatique pour compétences, de 1983 à 1985. Dans cette dernière fonction, elle s'employa à responsabiliser les acteurs principaux dans le secteur du logement social, à savoir les propriétaires et les locataires. Dès 1984, elle en arriva à énoncer une constatation largement acceptée aujourd'hui : que la Wallonie devait retrouver une mentalité victorieuse.

Peu de nos Collègues sont en mesure de présenter un bilan d'activités aussi impressionnant du point de vue quantitatif; il l'est également si l'on se place au point de vue de la qualité. Que ce soit à l'Exécutif ou au sein de notre Assemblée, la démarche de Jacqueline Mayence a toujours été marquée par l'intelligence, le bon sens et le souci du consensus. Menée en plein accord et en pleine harmonie avec ses proches, sa carrière témoigne également, en diverses circonstances, d'une fermeté et d'une ténacité étonnantes, relevées encore par un grand sourire.

Si elle n'a jamais dû se faire remarquer, c'est bien parce qu'elle est naturellement remarquable.

Jacqueline Mayence présente, par ailleurs, un trait de caractère qu'il me plaît de mettre en évidence, parce qu'il rend sa compagnie très agréable : elle est excellente psychologue, pleine de fantaisie et d'humour et sait captiver ses interlocuteurs. Ceux parmi nous qui ont eu l'occasion de partir en mission avec elle n'ignorent pas qu'il lui arrivait souvent, grâce à ces qualités et aussi à son plurilinguisme, de devenir la diva de la délégation et ce, parfois, en éclipsant le Président en titre.

Enfin, une vie aussi bien remplie, inaugurée sous les auspices de l'Année de la Femme, ne pouvait pas échapper à l'emprise de ce mouvement. Le féminisme, dont notre Collègue n'a cessé de se prévaloir, est à son image : profondément ressenti et vécu, il est certes enthousiaste mais en même temps subtil, nuancé et pétri d'humour.

En l'occurrence, elle s'est toujours refusée à prêter l'oreille aux sirènes de l'extrémisme. Plutôt femme dans la vie politique que féministe à tous crins, elle n'a jamais voulu militer en dehors des structures existantes, celles où, dit-elle, se prennent les décisions. Ainsi, dans les mois suivant les élections de 1985, où sa popularité électorale avait été portée au zénith, son nom apparut-il régulièrement lorsqu'il s'agit de pourvoir à diverses présidences d'assemblée, dont la nôtre. Et elle faillit même nous faire goûter quelque dix années à l'avance aux délices du titre de « Gouverneuse » de la province de Brabant encore unitaire à ce moment-là.

Tout compte fait, elle préféra rester au Sénat, où elle se distingua par une activité attentive et talentueuse. Entourée et choyée par ses proches, se ressourçant dans de longues balades à la campagne et dans les paysages plus tourmentés de l'île de Jersey, là même où Victor Hugo, exilé, vitupérait contre Napoléon III, elle a réussi à trouver de la sorte l'équilibre et le bonheur et, grâce à son optimisme et à son énergie, à vaincre les inévitables douleurs et avanies de la vie, auxquelles tant restent malheureusement accrochés.

Quand on l'observe, avec son entregent naturel, on pense à ce mot de Sacha Guitry : « Je conviendrais bien volontiers que les femmes nous sont supérieures, si cela pouvait les dissuader de se prétendre nos égales. »

Au nom de l'ensemble du Sénat, je tiens à vous remercier, chère Collègue, pour ces bonnes années d'activité bénéfique et jamais démentie. (Applaudissements sur tous les bancs.)

L'on m'a bien mis en garde : en fait, Roger Lallemand ne raffole pas des cérémonies. Pourtant, j'aimerais le réconcilier avec l'exercice protocolaire que nous lui imposons aujourd'hui en lui rappelant qu'un hommage solennel a aussi des fonctions bien concrètes.

Si la plus évidente est de marquer la gratitude du groupe social envers le jubilaire, ce moment permet également de présenter à la réflexion du groupe l'exemple d'une destinée dont, pour l'occasion, l'on restitue les mérites.

Je me propose donc, non seulement de féliciter Roger Lallemand pour vingt ans de mandat parlementaire, mais de dresser ici, plutôt qu'un buste froid de marbre réglementaire, un portrait pris sur le vif de notre jubilaire. Peut-être me pardonnera-t-il alors de n'avoir pas consacré ces précieuses heures à un colloque ou un séminaire sur l'un des thèmes qui lui tiennent tellement à coeur...

Pour nos actuels collègues Sénateurs, Roger Lallemand est la figure de proue de la Commission de la justice dont il anime les travaux depuis bientôt quinze ans.

Avec bien entendu les membres du Groupe socialiste du Sénat, les membres de cette commission sont sûrement les premiers qui m'approuveront sans réserve quand j'affirme ici, Monsieur le Président, que, sous votre férule, on travaille dur, beaucoup et sans désemparer ! Ils savent par ailleurs qu'une idée exprimée n'est jamais assez claire, un texte jamais assez nuancé, un rapport - hélas ! - jamais tout à fait achevé...

Mais assez étrangement, l'on constatera que ces victimes de votre perfectionnisme ont appris non pas à s'en accommoder, mais au contraire à s'y mesurer. Avec et grâce à vous, la Commission de la justice du Sénat constitue véritablement un laboratoire législatif de pointe.

Pour les collègues qui, si j'ose dire, ne sont pas nés de la dernière législature, Roger Lallemand est également un de ceux qui, au nom d'une qualité supérieure de législation, au nom de la nécessité d'un lieu de dialogue serein entre les communautés de notre petit pays complexe, a défendu la création d'un Sénat qui ne serait plus le doublon de la Chambre, mais ce lieu de réflexion prospective et de haute exigence qualitative que nous avons entrepris de mettre sur pied durant cette législature-ci. Là aussi, Roger Lallemand a pu donner la mesure de son potentiel admirable de dynamisme et de créativité.

Il y a vingt ans, quand Roger Lallemand est devenu sénateur, il était déjà un acteur significatif de notre société belge. Et cela lui a conféré une aisance toute personnelle dans sa démarche de sénateur, de président de groupe, de président de commission et de président de cette assemblée. Roger Lallemand n'avait plus à faire connaître ses engagements : il était d'emblée prêt à engager le dialogue.

Son identité et sa personnalité étaient déjà forgées, disais-je donc - et pour cause ! C'est probablement en premier lieu de son père forgeron qu'il hérita le souci du travail bien fait et la ténacité dans l'effort. Il a en outre souvent rappelé lui-même que son attachement à la dignité humaine lui a en premier lieu été inculqué par ses parents.

Albert Camus écrit dans la préface de l'Envers et l'Endroit « qu'une oeuvre d'homme n'est rien d'autre que ce long cheminement pour retrouver par les détours de l'art les deux ou trois images simples et grandes sur lesquelles le coeur une première fois s'est ouvert ».

Gageons que dans le cas de Roger Lallemand ces images fondatrices héritées de l'enfance recouvrent l'idéal suivant : « acquérir la liberté par l'effort, le bonheur par le sacrifice et la sagesse par le détachement personnel. »

Ces valeurs étaient de toute évidence illustrées au quotidien à Quevaucamps. Roger Lallemand n'a jamais voulu se distancier ni de ces valeurs, ni de son village natal. C'est ainsi qu'il a tenu à rester président d'honneur de la fanfare locale.

A l'université d'ailleurs, une formation unique ne suffit pas à son appétit : il devient docteur en droit et licencié en philologie romane.

Par la suite, les succès de son action en faveur du respect des Droits de l'Homme, pour la promotion du Libre examen, pour la défense de la libre expression ne sont certes pas étrangers à ces mêmes règles de conduite. Sa remarquable aptitude à l'effort, à l'engagement inconditionnel, à la perfection au quotidien ne serait pourtant pas beaucoup plus qu'une forme de stakhanovisme forçant l'admiration, si elle ne servait chez Roger Lallemand une pensée fondamentalement humaniste et d'ouverture, mais toujours sensible à la nuance, au détail, à la différence.

Si pour beaucoup l'article premier de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme : « Tous les hommes sont égaux », n'est qu'un slogan de plus gravé au fronton des bonnes intentions stériles, pour Roger Lallemand, le fait d'y souscrire implique une action multiple, intransigeante, ininterrompue.

Cela explique que longtemps avant d'être le président pointilleux de la Commission de la justice, Roger Lallemand était déjà un avocat aux idéaux bien arrêtés et dont la démarche conciliait éthique et engagement personnel. D'ailleurs, ne le désignait-on pas par le vocable « l'avocat rouge », il y a plus de vingt ans déjà ?

N'oublions pas que c'est à lui que pensent Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir lorsqu'il s'agit de faire défendre Régis Debray devant les tribunaux bien peu engageants de Bolivie. N'est-ce pas lui qui s'empresse de défendre les syndicalistes marocains et les membres du FLN à une époque où le général Oufkir n'encourageait pas précisément une justice équitable et un débat démocratique dans son pays ? C'est encore lui qui défend notre compatriote Roger Noël lorsque celui-ci se trouve en bien mauvaise posture en Pologne pour y avoir importé un émetteur radio pour le syndicat Solidarnosc.

Il n'est dès lors pas étonnant que Roger Lallemand ait tenu son engagement envers ses électeurs : pendant vingt ans d'action politique, il n'a jamais cessé, selon sa propre formule, de placer l'éthique au coeur de la politique.

Mais avoir décelé dans le regard de notre président de la Commission de la justice l'héritage du forgeron de Quevaucamps et la fougue de l'avocat rouge ne restitue toujours pas entièrement la stature de Roger Lallemand.

En vérité, il faut par un paradoxe - facile, je le concède, mais surtout précieux par sa clarté - rappeler ici que l'engagement le plus permanent de Roger Lallemand consiste... en la remise en question permanente de cet engagement.

Fidèle à ses icônes fondatrices et fort de ses qualités intellectuelles, Roger Lallemand est nécessairement un grand adepte du dialogue et de la remise en cause. Ainsi, il recherche le dialogue avec les représentants du monde chrétien et ne se prive pas de citer la Bible et plus particulièrement saint Paul, au cours d'un débat public avec le Cardinal Danneels.

Par ailleurs, Roger Lallemand n'interrompt jamais son interrogation sur la société, ses acteurs et ses enjeux. Il affine ses connaissances, il aiguise sa pensée. De la pierre brute extraite naguère à Quevaucamps, de nombreuses faces sont aujourd'hui polies.

Le nom de Roger Lallemand restera ainsi attaché à la longue marche vers la dépénalisation de l'avortement, à l'interdiction des mines anti-personnel, à la préservation de la libre expression et à la réforme de la Justice.

Voici peut-être l'ultime tension qui régit la démarche de Roger Lallemand : le va-et-vient constant entre le respect de l'altérité et un désir profond d'harmonie dans tous les aspects de son existence.

Bien longtemps avant son entrée au Sénat, notre jubilaire avait solidement ancré l'harmonie au sein de sa vie privée. Son engagement politique n'a nullement altéré la qualité de sa vie familiale. Il me pardonnera de le souligner ici, car c'est un équilibre hélas assez ardu à réaliser que pour l'applaudir. Ce sens de la famille, cette cordialité qui permet d'explorer les différences sans aller à l'affrontement, Roger Lallemand les a introduits dans sa commission, dans son groupe politique.

De par leur expérience au sein du Bureau du Sénat, les présidents de groupe de l'opposition en savent d'ailleurs quelque chose : il est terriblement inconfortable de se brouiller avec Roger Lallemand, puisque sa botte secrète est de tisser des liens forts et chaleureux auxquels on tient. L'on s'en veut forcément de le décevoir... Convivialité, gastronomie, humour, éloquence... voilà les pièges où nombreux de nos collègues sont déjà tombés... fort volontiers, il est vrai !

C'est par ce biais que nous découvrons le dernier Roger Lallemand dont je ne peux m'empêcher de vous entretenir ici : l'amoureux du verbe qui s'exprime avec une aisance redoutable et dont les citations en laissent plus d'un rêveur. D'ailleurs, ne soupçonnons-nous pas notre collègue Lallemand de travestir de temps à autre en citation une pensée personnelle dont il veut éprouver l'impact sur son auditoire ?

Ce passionné de la langue, c'est d'abord un licencié en philologie romane, un spécialiste en littérature, et le cofondateur de l'Institut de Sociologie de la Littérature de l'Université libre de Bruxelles.

Nous ne nous étonnerons donc pas de le savoir depuis 1984, aux côtés d'Ilya Prigogine, membre du Haut Conseil de la Francophonie instauré par François Mitterrand et présidé par le Président de la République française. Là aussi, il explore la tension entre harmonie et respect de l'altérité : il y défend la francophonie, mais dans la multiplicité de toutes les nuances locales, contre la stérilité uniformisante.

En somme, l'action de notre jubilaire correspond merveilleusement à la belle définition que Saint-John-Perse a donné de la poésie : « Se refusant à dissocier l'art de la vie, ni de l'amour la connaissance, la poésie est action, elle est passion, elle est puissance, et novation toujours qui déplace les bornes. L'amour est son foyer, l'insoumission sa loi, et son lieu est partout, dans l'anticipation. Elle ne se veut jamais absence ni refus. »

Au nom de nos collègues, je vous remercie pour vingt ans de cet exemple inspirateur. (Applaudissement sur tous les bancs.)

Philippe Busquin est un homme aux racines profondément ancrées dans le petit village hennuyer où il est né. Touchant au Pays noir, Feluy a vécu jadis de l'industrie des carrières. Bien que flanqué aujourd'hui d'un zoning industriel, il n'a jamais perdu son cachet rural. C'est avec une fougue juvénile que Philippe Busquin parle de son village. Il y est chez lui. S'il a choisi d'en devenir le bourgmestre, c'est parce qu'il tient, comme il le dit lui-même, à garder une « prise avec la gestion réelle ». Il aime à rappeler le mot du poète Rilke, tant il lui va bien : « Les pays sans légende sont condamnés à mourir de froid ». Philippe Busquin est un amateur de balle pelote, un sport très populaire dans sa région, qui a la saveur des souvenirs d'enfance. Selon ses dires, ce jeu lui apporte une détente et une respiration.

Mais le feluysien est aussi un homme du large. Les études secondaires à peine achevées, Il s'embarque comme aide-cantinier sur le Kamina. Philippe Busquin est un homme ouvert sur le monde, sur la modernité et le changement. J'en veux pour preuve sa passion pour la peinture contemporaine. Sa maison est une vraie galerie d'art. C'est alors un autre visage qui se révèle, celui d'un homme qui a choisi « aujourd'hui, le futur ».

Chez vous, Philippe Busquin, ce sont bien les contrastes qui frappent en premier lieu. Ce sont eux aussi qui font la richesse de votre personnalité.

Votre engagement politique est marqué par ce même trait, qui allie l'ancien et le nouveau.

Je ne dresserai pas la longue liste des mandats que vous avez exercés. Vous avez assumé des responsabilités à tous les niveaux de pouvoir. A l'exception, provisoire sans doute, du niveau européen.... Le 26 mai 1992, le Roi vous nomme ministre d'Etat.

« Plus on vieillit, plus on a besoin de racines profondes. » La phrase est de vous. Quand vous parlez des racines du socialisme, vous avez l'accent de la sincérité. Vous vous dites « un peu proudhonien ». Vous croyez à la valeur de l'idéologie.

Mais, lorsque le 25 janvier 1992, on vous confie les commandes de votre parti, vous lancez son « aggiornamento ».

C'est vous qui utilisez l'expression, même si elle ne fait pas vraiment partie du vocabulaire socialiste. Vous réveillez les dormeurs, à grand renfort d'affiches. Pour séduire vos ouailles, vous commandez une version rajeunie, et pour le moins rythmée, de l'Internationale... Vous vous refusez à « regarder l'avenir dans un rétroviseur » et vous plaidez pour un retour de l'utopie en politique.

Vous êtes sensible au « nouvel âge des inégalités », dénoncé par Fitoussi et Rosanvallon, et vous cherchez avec ces derniers, une voie possible « à distance de la résignation distinguée et de l'utopie incantatoire ».

Il y a dans la vie des événements qui forgent une conviction. Le déclin industriel de la région du Centre, le décès prématuré de votre père frappent durement votre famille. Ces drames sont vécus « avec l'acuité d'une blessure morale ». La lutte contre la pauvreté devient votre priorité. Comme ministre régional, vous créez le droit à une fourniture minimale d'électricité. Comme député, vous déposez une proposition ambitieuse, visant à prévenir et à combattre la pauvreté.

Vous souhaitez que le parti socialiste s'ouvre au monde associatif. Seriez-vous l'homme de l'olivier ? Vous semblez plutôt préférer le cerisier. « C'est, dites vous, un arbre adapté aux pays du nord, les fruits sont rouges. »

Sur un mode moins poétique, vous appelez de vos voeux un rassemblement que vous baptisez « l'axe progressiste ». Vous êtes un bâtisseur de ponts. Cette qualité, vous l'avez sans doute acquise par la pratique d'un jeu où vous excellez : le bridge. Jeune espoir belge durant les années soixante, vous avez ce que l'on appelle la présence à table.

Votre socialisme ne rime pas avec sectarisme, mais avec humanisme. On prétend que votre pensée n'est pas éloignée du personnalisme. Quoi qu'il en soit, vous souscrirez sûrement au mot d'Emmanuel Mounier : « L'homme concret, c'est l'homme qui se donne ».

C'est à un renouveau de toute la société que vous aspirez. Vous fustigez ses structures pyramidales. Vous êtes attaché à une éthique de la responsabilité. Vous prônez une économie à visage humain.

A la tribune du Sénat, lors du débat sur le sommet d'Amsterdam, vous plaidez pour que l'on concilie le souci de modernité et la solidarité sociale qui caractérise le modèle européen. Pour vous, l'économie ne doit pas être vécue comme un carcan, mais comme un outil au service de tous les citoyens.

Vos discours sont truffés de citations... Pas une de vos réflexions qui n'ait été au préalable nourrie par des auteurs, parfois austères. Il y a en effet en vous un autre contraste. L'homme de terrain est aussi un chercheur de sens. L'homme d'action est aussi un homme de réflexion.

L'homme politique est aussi écrivain.

Commençons par l'homme de réflexion. Votre curiosité est insatiable, votre érudition étonnante. Physicien et philosophe. Les deux qualités se rencontrent rarement dans un seul homme et témoignent d'une ouverture peu commune. Ce sont aussi des qualités trop rares en politique. Physicien dans un monde de juristes ! Vous devez parfois vous sentir bien seul... Quant à la philosophie, elle vous permet sans doute, dans la fougue des débats, de prendre cette hauteur débonnaire qui vous est caractéristique.

Votre formation ne s'arrête cependant pas là. Une licence en Environnement vient compléter un cursus déjà très fourni. Qui se souvient que vous fûtes l'auteur de la première étude d'incidence, en consacrant un mémoire aux aspects écologiques du développement industriel de la région de Seneffe ?

Mais pour vous, la pensée n'est pas une fin en soi. Vous n'êtes pas « livre ou bréviaire, ni baratin ni théorie, qu'on range entre deux dictionnaires ou sur une table de nuit. » Ce vers, d'un chanteur que vous aimez beaucoup, s'adresse à vous. La spéculation ne vous intéresse pas, qu'elle soit intellectuelle ou financière.

Quant à l'homme d'action, comment le définir ? Par les grandes réformes qu'il a réalisées, la simplification du système des allocations familiales, l'assurance maternité ou la loi-cadre sur les mutualités ? Certainement. Mais il y a plus. « Pour transformer la société belge, dites-vous, il n y a qu'une solution : agir par petites touches. » Vous défendez la théorie des petits leviers. Cela va de soi pour un physicien. Ce sont les petites fluctuations qui provoquent les gros bouleversements. En politique, cette théorie constitue votre credo et inspire toute votre action. Encore récemment, vous avez déposé neuf propositions en vue de limiter le cumul des mandats et de revaloriser les mandats locaux. Mieux que quiconque, vous avez résumé - que dis-je : affiché ! - ce trait marquant de votre engagement politique : « positif et concret ».

Lorsqu'on vous demande comment vous combinez la pensée et l'action, vous vous plaisez à citer cette très belle phrase de Goethe : « Penser est facile, agir est difficile, agir selon sa pensée est la chose la plus difficile au monde. » Vous avez le sens de la valeur des choses. Vous êtes de ceux qui accordent leurs actes à une ligne de conduite.

Un journaliste a dit de vous, non sans humour, que vous cumulez « une rigueur éthique irréprochable et l'art, très oriental, de cheminer, à l'instinct, avec le sourire, dans toutes les nuances de la complexité humaine. »

Vos travers aussi sont connus. Ils sont plutôt charmants : on vous dit distrait, un peu gauche, aimable et bonhomme, mais toujours très courtois. La candeur est un défaut majeur en politique. Mêlée de subtilité, elle devient chez vous un atout.

Ici s'arrête le portrait. Il est fait d'un foisonnement de couleurs, à l'image d'un paysage de Toscane.

Votre devise tient dans une phrase : « Humant nihil a me alienum puto. » C'est en effet l'homme que vous avez placé au coeur de votre engagement. C'est avec la même simplicité que vous rencontrez les plus grands et les plus petits. Votre spontanéité vous donne d'être tel que vous êtes réellement : souriant, attentif, sans fard, ni apprêt. Vous avez la bienveillance du sentimental qui aime les gens et s'efforce sincèrement de les comprendre.

Ce sont là les qualités qui ont fait de vous, si j'en crois les résultats des dernières élections, le sénateur francophone le plus populaire.

En notre nom à tous et en mon nom personnel, je tiens en ce jour à vous adresser mes sincères et cordiales félicitations à l'occasion de vos vingt ans de mandat parlementaire.(Applaudissements sur tous les bancs.)

Chers Collègues,

En 1961, arrivant en France pour la première fois à l'occasion d'une visite officielle, le président des Etats-Unis John Kennedy eut, pour se présenter devant plus de cinq cents journalistes, ces mots touchants de simplicité : « Je suis le mari de Jacqueline ».

De même, aujourd'hui, nos quatre jubilaires pourraient également confier : « Je suis l'épouse de Philippe, le mari de Ida, de Claudine of de echtgenoot van Annie ». En effet, leur carrière politique aurait-elle été la leur sans la présence - souvent dans l'ombre - et l'aide patiente, continue et efficace de leurs conjoints ?

C'est pourquoi je tiens à associer leurs conjoints à l'hommage que je viens de rendre à nos collègues, et à les remercier en votre nom à tous. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. Dehaene, premier ministre (en néerlandais). - Au nom du gouvernement, je m'associe bien évidemment à l'hommage que le président vient de prononcer. Le protocole permettrait de m'en tenir là, mais j'ai trop collaboré personnellement avec chacun des jubilaires pour ne pas y ajouter quelques considérations personnelles. Je partage les mêmes racines que M. Olivier, non seulement parce que nous appartenons au même parti et au même mouvement, mais aussi parce que nous avons parcouru un long chemin ensemble. Il nous arrivait parfois de ne pas être d'accord, surtout lorsque M. Olivier évoquait une de ses préoccupations majeures, à savoir la construction de logements sociaux, de préférence sans payer d'impôts. Je pense que M. Olivier est le type même du parlementaire tout aussi actif au Sénat qu'au Parlement flamand, dont il est d'ailleurs vice-président. En fait, il n'a jamais eu de difficulté pour exercer ces deux fonctions, et il l'a fait de façon exemplaire. Je tiens également à le remercier personnellement pour son assistance technique, son aide et ses conseils lorsque je tentais d'obtenir quelque chose de mon potager.



J'ai eu le bonheur de siéger au gouvernement aux côtés de Jacqueline Mayence. J'ai ainsi pu apprécier son engagement pour la coopération. Je n'oublierai jamais l'amitié qui régnait dans ce gouvernement ni le moment où elle est partie. Elle regrettait de devoir quitter l'équipe. Nous l'avons également regrettée. J'ai eu d'excellents contacts avec Jacqueline Mayence. Avec elle, on sait à l'avance qu'il faudra faire ce qu'elle demande car on ne peut rien lui refuser. Roger Lallemand est un des sénateurs les plus assidus. C'est un grand monsieur, un humaniste et un excellent juriste. J'ai beaucoup apprécié de travailler avec lui en Commission des réformes institutionnelles. Je me mords encore les doigts des concessions que j'ai dû faire au bicaméralisme. Roger Lallemand a veillé à ce que le Sénat ait son mot à dire. J'ai apprécié sa collaboration loyale et ai beaucoup de respect pour quelqu'un qui personnifie le Sénat, qui est un sénateur modèle. Je n'oserai pas dire la même chose de Philippe Busquin.

C'est avant tout un homme d'action. Je me souviens de son maiden speech. Je crois bien que c'est le seul discours qu'il ait tenu au Sénat ! J'ai apprécié sa collaboration loyale et sa franchise dans les discussions qui ont permis de rapprocher les visions. J'ai une première fois collaboré avec lui lorsque j'étais ministre fédéral des affaires sociales. Même si nous n'étions pas dans le même camp, nous avions la volonté de faire avancer la politique de la santé et la politique sociale. Lorsque Philippe Busquin a pris ma succession, il a poursuivi la plupart des lignes que j'avais esquissées. Cette approche commune nous a permis d'obtenir des résultats. Je me souviens fort bien des joutes oratoires que nous avons eues avec Louis Tobback et Philippe Moureaux à propos de la banque Carrefour de la sécurité sociale. Je crois que nous avons fait le bon choix. Philippe Busquin est un homme de convictions. Grâce à lui, les choses n'avancent que si chacun se retrouve dans les accords conclus afin de pouvoir les défendre ensemble. Je félicite chaleureusement les quatre sénateurs jubilaires. (Applaudissements sur tous les bancs.)

M. le Président. - Je prie MM. les vice-présidents Mahoux, Verhofstadt et Moens, de remettre aux jubilaires la médaille d'honneur qui leur est décernée par le Sénat.

MM. les vice-présidents Mahoux, Verhofstadt et Moens remettent la médaille d'honneur aux jubilaires (Applaudissements.)

M. Lallemand (PS). - Au nom de mes collègues, c'est avec plaisir mais aussi avec un brin de nostalgie que je répondrai aux éloges du président.

Nous fêtons vingt ans de vie parlementaire pour Mme Mayence-Goossens, M. Busquin et moi-même et vingt-cinq ans pour M. Olivier. Persévérer dans le temps est une épreuve obscure pour chacun. Mais nous avions trouvé ce que nous cherchions, à savoir faire un très long voyage sans atteindre jamais le rivage. Evidemment, nous n'avons connu cette aventure que dans un fauteuil.

Les mérites relevés ne sont pas garantis et nous sommes dans une assemblée d'hommes et de femmes égaux comme M. le président a été le premier à le reconnaître et à dire tout le bien qu'il pensait des sénateurs.

On relativise les mérites en affirmant ceux des autres. Dans ce cas, c'est l'inverse qui se passe comme l'a souligné Montesquieu dans ses « Lettres persanes ».

Nous avons fait régner dans cette assemblée une convivialité et sans doute une connivence. Je n'ai d'ailleurs pas souvenance d'avoir vécu au Sénat ce qui s'est parfois passé à la Chambre. Ainsi, le président Van Acker déclara qu'il était d'accord qu'on ne respectait pas toujours le Règlement à un jeune parlementaire qui, finalement, fit remarquer que les articles invoqués par M. Van Acker n'avaient pas de rapport avec l'incident qui l'avait fait réagir. M. Van Acker marqua son accord et déclara l'incident clos.

On ne fonde pas une communauté sur le mépris mais sur l'humour, le plaisir d'être ensemble, sur les différences et les proximités.

Nous avons passé d'innombrables heures dans cette belle salle, encerclés par les portraits de ces anciens souverains dont plusieurs étaient étrangers, ce qui illustrait déjà un futur Sénat européen.

Nos rencontres nous ont amené à délimiter nos divergences et parfois à conclure des accords communs.

Sous votre présidence, ainsi que de celle de vos prédécesseurs, notamment MM. Harmel, Vandekerckhove et Leemans, le Sénat nous a convaincus de ne pas mépriser les consensus plus ou moins équilibrés.

Après vingt ans de vie parlementaire ou plus, nous avons toujours le sentiment d'avoir beaucoup à apprendre. Le moraliste français, Chamfort, déclarait que : « L'homme arrive novice à chaque âge de sa vie. » Soit dit en passant, cet adage nous permet de toujours espérer un avenir et de ne pas considérer cette séance d'amitié comme une conclusion définitive.



Je voudrais conclure, en notre nom à tous les quatre, en remerciant chaleureusement nos collègues.

En premier lieu, pour avoir accepté de nous tenir compagnie à un moment où, bizarrement, nous nous sentons un peu seuls, au milieu de tous ces éloges.

Ensuite, parce qu'ils forment, avec nous, une communauté liée par le respect des différences et une même foi dans la démocratie qui valorise chacun d'entre nous.

Monsieur le Président, au cours de ces vingt années, et de ces vingt-cinq années, pour M. Olivier, nous avons connu, dans ce Parlement, plusieurs moments clés de l'histoire de notre pays.

Nous avons débattu de lois complexes qui nous ont profondément divisé. Nous avons impulsé, examiné et voté d'importantes réformes institutionnelles.

Depuis que nous y siégeons, le Sénat n'a jamais cessé d'être une chambre de réflexion sur les incessantes modifications de loi. Nous ne dirons pas, à l'instar de ces plaideurs inquiets, « dura lex sed lex », puisque nous ne cessons jamais de modifier la loi.

Pour le reste, il y a tous ces moments agréables comme celui que nous connaissons aujourd'hui.

Nous apprécions plus particulièrement la manière dont vous nous recevez, nous et nos familles.

Si de la fausse modestie ! Sachez que vos éloges nous ont profondément touché.

Nous sommes sans doute les disciples de tous les hommes politiques du monde. Maurice Clavel, qui se moquait volontiers de lui-même, disait : « J'aimerais bien être un saint, mais je n'aimerais pas qu'on l'ignore ». Soyez tranquille, Monsieur le président, chers collègues, tel n'est pas notre souhait.

Nous vous remercions d'avoir souligné que nous avons pu vivre ensemble une longue page de notre existence de manière aussi agréable.



Nous remercions le personnel du Sénat pour sa tenue et ses qualités qui lui ont permis d'être la fidèle courroie de transmission de toutes ces rencontres. Nous remercions tous ceux qui ont prononcé ces mots généreux. Ce moment restera inscrit en nous comme celui de la frets de l'amitié. (Applaudissements sur tous les bancs.)

- La séance extraordinaire est levée à 18 h 15 m.