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25 FÉVRIER 2014
I. INTRODUCTION
La commission a examiné le projet de loi qui fait l'objet du présent rapport au cours de sa réunion du 25 février 2014.
II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DU REPRÉSENTANT DU VICE-PREMIER MINISTRE ET MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DU COMMERCE EXTÉRIEUR ET DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Le projet de loi à l'examen tend à porter assentiment à l'Accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, fait à Bruxelles le 19 février 2013. Il est aussi fait référence à cet accord sous son appellation anglaise « Agreement on a Unified Patent Court » (Accord UPC). Le texte a été ratifié par les États membres de l'Union européenne; l'Union européenne n'est elle-même pas partie à cet accord.
L'Accord instaure une juridiction unifiée du brevet (ci-après dénommée « l'UPC »), qui sera compétente pour régler les litiges portant sur la validité des brevets européens classiques comme des brevets européens à effet unitaire, et sur les infractions à ces derniers. Une telle juridiction unifiée rendra la procédure plus efficace en Europe. Aujourd'hui, les titulaires ou utilisateurs de brevet doivent en effet encore introduire une procédure relative à un seul et même brevet européen devant les tribunaux nationaux de plusieurs États, ce qui rend la procédure plus onéreuse et augmente le risque de jugements contradictoires.
Les principaux aspects de l'UPC peuvent être résumés comme suit:
— l'UPC sera une juridiction internationale dotée de la personnalité juridique. Cela implique, dès lors, que les règles de procédure de droit belge (comme par exemple la loi du 15 juin 1935 sur l'emploi des langues en matière judiciaire) ne seront pas directement applicables aux divisions de l'UPC, ni même à l'éventuelle division locale qui serait établie en Belgique (article 4);
— l'UPC est une juridiction commune à tous les États membres contractants de l'Union européenne qui, comme toute juridiction nationale, coopère avec la Cour de Justice de l'Union européenne à la bonne application et à l'interprétation uniforme du droit de l'Union (article 21);
— seuls les États membres de l'Union européenne peuvent adhérer à cet accord (article 84.1);
— l'UPC comprend un tribunal de première instance, une cour d'appel et un greffe (article 6). Le tribunal de première instance comprend une division centrale ainsi que des divisions régionales et locales, lesquelles sont établies à la demande des États membres concernés (article 7). La cour d'appel ne comprend pas de division régionale ou locale;
— tous les panels de l'UPC (tant ceux du tribunal de première instance que ceux de la cour d'appel) sont composés de manière multinationale. En faisant siéger dans chaque panel des juges de nationalités différentes, une véritable jurisprudence « européenne » se développera donc à terme. En pratique, les juges feront partie d'un pool européen de juges (article 18);
— lorsque des divisions régionales ou locales ont été établies, les litiges peuvent être portés devant elles, conformément aux règles de compétence territoriale fixées à l'article 33. Les actions en constatation de non-contrefaçon et les actions en nullité sont, quant à elles, portées devant la division centrale (article 33);
— la langue de procédure devant les divisions locales ou régionales est normalement la langue nationale (ou une des langues nationales) de l'État membre contractant où la division est établie. Ce principe connaît plusieurs exceptions. Les États membres contractants peuvent ainsi désigner une ou plusieurs langue(s) de l'Office européen des brevets (qui ne seraient pas des langues nationales) comme langue de procédure de leur division locale ou régionale (article 49). Devant la cour d'appel, dont le siège est établi à Luxembourg, la langue de la procédure est celle utilisée dans le cadre de la première instance. Des possibilités de dérogation sont toutefois prévues (article 50).
III. DISCUSSION GÉNÉRALE
M. Hellings constate que la juridiction unifiée du brevet est créée par les États membres de l'Union mais ne fait pas pour autant partie des structures de l'Union européenne. À part l'Espagne et l'Italie, y a-t-il d'autres pays qui ne font pas partie de cette juridiction ?
On veut mettre en place un brevet européen moins cher pour sauvegarder les idées innovantes créées au sein de l'Union européenne. Le brevet coûterait en moyenne 5 000 euros, ce qui resterait quand même extrêmement élevé pour une petite ou très petite entreprise mais profiterait surtout aux multinationales qui peuvent facilement bloquer un brevet et menacer la compétitivité des petites et très petites entreprises souvent par des pratiques de copie et d'espionnage.
La juridiction unifiée du brevet qui n'appartient pas aux structures de l'Union européenne ne pourra pas bénéficier de l'acquis communautaire en matière de brevetabilité du vivant et de logiciel. L'orateur craint que des logiciels libres comme Linux fassent également l'objet d'un brevet ce qui empêcherait l'innovation.
Par la mise en œuvre de ce cadre légal, on risque de créer des parasites économiques, comme par exemple des bureaux d'avocats qui collectent des centaines voire des milliers de brevets et dont l'unique objectif est de créer une plus-value purement fictive et purement spéculative sur des brevets qu'ils ont acquis et qu'ils pourraient défendre sur la base de la nouvelle législation.
Mme Zrihen souhaite une liste des États qui ne seraient pas concernés par le présent Accord.
Les délais prévus par l'Accord permettent-ils de retarder, voire de paralyser, la procédure de délivrance d'un brevet ?
Existe-t-il une hiérarchie légale entre les règles européennes et le présent dispositif et peut-on opposer, le cas échéant, le droit européen aux règles de l'Accord ?
Quelle est la marge de manœuvre pour accéder à la procédure des décisions de gel prévu à l'article 61 de l'Accord ?
M. Vanlouwe renvoie au commentaire des articles 6 à 12, dans lequel les deux termes français « juridiction » et « tribunal » sont traduits par le même terme néerlandais « gerecht » (doc. Sénat, nº 5-2478/1). N'y a-t-il pas lieu d'adapter le texte néerlandais ?
Le représentant du ministre des Affaires étrangères signale que le brevet européen à effet unitaire est déjà créé. Deux pays, à savoir l'Italie et l'Espagne, ne participent pas au système.
Le coût actuel de 5 000 euros pour le dépôt d'un brevet est beaucoup moins élevé qu'auparavant.
La création de la juridiction unifiée du brevet vise d'ailleurs à maintenir un bon fonctionnement de la loi précédente.
Le représentant du ministre de l'Économie ajoute que la juridiction unifiée du brevet constitue un accord intergouvernemental, ouvert à tous les membres de l'Union européenne. Il a été signé par tous les États membres de l'UE, à l'exception de l'Espagne et de la Pologne.
De plus, l'orateur renvoie aux deux règlements européens qui instituent la protection unitaire par brevet, à savoir les règlements nº 1257/2012 et nº 1260/2012 du 17 décembre 2012. Ils ont vu le jour dans le cadre d'une coopération renforcée à laquelle participent tous les membres de l'UE, à l'exception de l'Espagne et de l'Italie.
Le règlement nº 1257/2012 prévoit que le niveau des taxes est fixé par le Comité restreint du conseil d'administration de l'Organisation européenne des brevets. L'article 12.2 de ce règlement stipule que:
« Le niveau des taxes annuelles est fixé en tenant compte, entre autres, de la situation d'entités spécifiques telles que les petites et moyennes entreprises, de manière à:
a) faciliter l'innovation et à promouvoir la compétitivité des entreprises européennes;
b) refléter la taille du marché couvert par le brevet; et
c) être comparable au niveau des taxes annuelles nationales afférentes à un brevet européen moyen prenant effet dans les États membres participants au moment où le niveau des taxes annuelles est fixé pour la première fois. »
Le comité restreint veillera à mettre en œuvre un niveau de taxes le plus bas possible pour qu'il y ait une véritable différence vis-à-vis du système actuel du brevet européen classique qui est très cher en raison des frais de validation et de traduction.
En rapport avec la question relative à la brevetabilité des logiciels ou du vivant, il est à souligner que le respect du droit de l'UE est réglé par les articles 20 et 21 de l'Accord. La Cour est ainsi tenue de respecter et d'appliquer pleinement le droit de l'UE. Par ailleurs, en tant que juridiction commune aux États membres contractants, elle doit coopérer avec la Cour de Justice de l'UE afin de garantir la bonne application et l'interprétation uniforme du droit de l'UE. La juridiction doit ainsi poser des questions préjudicielles à la Cour de Justice à chaque fois qu'un point de droit soulevé nécessite une interprétation par la Cour. Cela signifie que l'Accord sur la juridiction unifiée ne change rien à l'acquis communautaire en matière de propriété industrielle. Le brevet européen reste donc tel quel, délivré par l'Office européen des brevets (OEB) en application de la procédure réglée par la Convention sur le brevet européen, et ce, qu'un effet unitaire lui soit attribué ou non. La jurisprudence des Chambres de recours de l'OEB relative à l'objet brevetable demeure également inchangée.
La pratique des Patent Trolls est plutôt confinée aux États-Unis et est peu fréquente de ce côté-ci de l'Atlantique. Parmi les instruments pour limiter les effets des Patent Trolls, il y a, à disposition de tout tiers intéressé, une procédure d'opposition ouverte devant l'OEB. Celle-ci peut être actionnée dans les neuf mois de la publication du brevet délivré et permet de filtrer tous les brevets, qui, le cas échéant, auraient été délivrés de manière non conforme à la Convention sur le brevet européen (CBE). Il est aussi possible pour les tiers de contester la validité d'un brevet et d'introduire une action en nullité devant la juridiction unifiée du brevet.
Un deuxième filtre consiste dans le fait que les conditions pour l'obtention d'un brevet au sein de l'Union européenne sont beaucoup plus strictes qu'aux États-Unis. Comme les Patent Trolls visent surtout les brevets faibles pour les acheter et les mettre à profit, ce problème se posera moins vite en Europe.
Concernant le délai de traitement des procédures devant la Cour unifiée des brevets, il convient de souligner que les États membres qui ont signé l'Accord ont fait une déclaration selon laquelle la juridiction doit, dès son entrée en fonction, délivrer des décisions judiciaires de la plus haute qualité et cela de manière expéditive (expeditious).
Un comité préparatoire a été mis en place dans le cadre de l'Accord. Il regroupe toutes les Parties contractantes et a notamment pour táche de rédiger les règles de procédure pour que la Cour puisse statuer dans des délais raisonnables.
L'article 22 de l'Accord sur la juridiction unifiée du brevet prévoit aussi une responsabilité solidaire et extracontractuelle des Parties contractantes de l'Accord dans le cas où la cour d'appel de la juridiction unifiée du brevet venait à méconnaitre ou à violer le droit de l'Union européenne. Le droit de l'UE figure par ailleurs en première place parmi les sources de droit en vertu desquelles la juridiction doit fonder ses décisions.
L'article 61 afférent aux décisions de gel constitue une disposition standard qui existe dans le droit national des États membres et dans la directive 2004/48 qui harmonise, au niveau européen, les procédures civiles en matière de propriété intellectuelle.
Mme Zrihen insiste pour qu'on finalise au plus vite la procédure d'assentiment parlementaire de cet accord, étant donné sa grande importance pour le développement économique régional.
IV. VOTES
Les articles 1er à 4, ainsi que l'ensemble du projet de loi, sont adoptés par 9 voix contre 1.
Confiance a été faite aux rapporteurs pour la rédaction du présent rapport.
| Les rapporteurs, | Le président, |
| Bert ANCIAUX. Olga ZRIHEN. | Karl VANLOUWE. |
Le texte adopté par la commission est identique au texte du projet de loi (voir le doc. Sénat, nº 5-2478/1 — 2013/2014).