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25 FÉVRIER 2014
Par lettre du 13 février 2014, à la demande de la commission des Finances et des Affaires économiques du Sénat, Madame Sabine de Bethune, Présidente du Sénat, a saisi le Conseil national du travail d'une demande d'avis relative à une proposition de loi portant modification du Code des impôts sur les revenus 1992 en ce qui concerne les titres-repas et les éco-chèques (doc. Sénat, nº 5-2182/1).
Cette proposition de loi vise à remplacer, à partir de l'exercice d'imposition 2015, le support matériel des titres-repas et des éco-chèques (titre papier ou carte) par un avantage net versé directement sur le compte bancaire des bénéficiaires avec maintien des conditions d'application des systèmes existants et sans intervention d'un tiers (émetteurs des titres-repas et éco-chèques).
L'examen de cette saisine a été confié à la Commission de la sécurité sociale.
Sur rapport de cette Commission, le Conseil a émis le 25 février 2014, l'avis suivant.
AVIS DU CONSEIL NATIONAL DU TRAVAIL
I. OBJET ET PORTÉE DE LA SAISINE
Par lettre du 13 février 2014, à la demande de la commission des Finances et des Affaires économiques du Sénat, Madame Sabine de Bethune, Présidente du Sénat, a saisi le Conseil national du travail d'une demande d'avis relative à une proposition de loi portant modification du Code des impôts sur les revenus 1992 en ce qui concerne les titres-repas et les éco-chèques (doc. Sénat, nº 5-2182/1).
Cette proposition de loi vise à remplacer, à partir de l'exercice d'imposition 2015, le support matériel des titres-repas et des éco-chèques (titre papier ou carte) par un avantage net versé directement sur le compte bancaire des bénéficiaires avec maintien des conditions d'application des systèmes existants et sans intervention d'un tiers (émetteurs des titres-repas et éco-chèques).
Dans les développements, divers arguments sont avancés pour justifier cette suppression du support matériel des titres-repas et des éco-chèques: systèmes actuels onéreux et compliqués pour les commerçants et les employeurs, perte des titres par les travailleurs qui entraîne une perte nette pour ceux-ci et durée de validité de ces titres qui est limitée.
Pour introduire la modification susvisée sur le plan légal, la proposition de loi adapte l'article 38 § 1er, du Code des impôts sur les revenus pour que l'exonération fiscale existante des avantages découlant de l'intervention de l'employeur dans les titres-repas et les éco-chèques soit applicable aux avantages correspondant payés sous forme d'indemnités.
Par ailleurs, le Conseil a été informé que des amendements ont été déposés à la commission des Finances et des Affaires économiques lors de sa réunion du 12 février 2014, dont le Conseil n'a pas été saisi. Le Conseil a par conséquent décidé de se prononcer uniquement sur la proposition de loi.
II. POSITION DU CONSEIL
Le Conseil a examiné la proposition de loi qui lui a été soumis pour avis avec la plus grande attention.
A. Position du Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO a analysé la proposition de loi qui lui a été soumise pour avis sous divers angles: les implications juridiques en particulier les impacts sur la sécurité sociale et les aspects fiscaux, la faisabilité de la formule proposée en ce compris en termes de simplifications des charges administratives et de coûts, impacts économiques en ce compris l'effet sur l'emploi.
Au préalable, le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, formule quelques considérations générales.
1. Considérations générales
a. Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, rappelle en premier lieu que la raison d'être initiale des titres-repas était la compensation donnée aux travailleurs qui pour certaines raisons, ne pouvaient bénéficier d'un restaurant d'entreprise. Les repas d'entreprise étant généralement accordés à un prix préférentiel au regard d'un repas en dehors de l'entreprise, l'attribution des titres-repas a donc bénéficié d'une exonération fiscale et en sécurité sociale, moyennant un certain nombre de conditions, dont une retenue à charge des travailleurs et des employeurs. De même, l'attribution des éco-chèques, qui répond à des préoccupations écologiques, bénéficie d'une exonération fiscale et en sécurité sociale, pour autant également qu'une série de conditions soient remplies.
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, met l'accent sur le fait qu'une éventuelle suppression matérielle des titres-repas et des éco-chèques ne peut être développée et encore moins mise en œuvre sans en mesurer au préalable les impacts sur la fiscalité, la parafiscalité ainsi que sur l'emploi (direct et indirect). En outre, les titres-repas et les éco-chèques sont des éléments qui font partie intégrante de la concertation sociale. À cet égard, il convient également de rappeler que les éco-chèques ont été introduits par une convention collective de travail conclue au sein du Conseil national du travail (convention collective de travail nº 98 du 20 février 2009 concernant les éco-chèques). De plus, les titres-repas et les éco-chèques ne remplacent pas le salaire.
b. Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, constate en outre que la proposition de loi soumise pour avis part du principe que le système actuel des titres-repas et des éco-chèques est onéreux et compliqué tant pour les employeurs et les travailleurs que pour les commerçants et avance comme unique amélioration possible la suppression des titres matériels existants, à savoir tant les titres papiers que les titres électroniques, et leur remplacement par un avantage net versé directement sur le compte bancaire des bénéficiaires.
1) Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, rappelle dans ce cadre que l'article 16 de l'arrêté royal du 12 octobre 2010 fixant les conditions d'agrément et la procédure d'agrément pour les éditeurs des titres-repas sous forme électronique, exécutant les articles 183 à 185 de la loi du 30 décembre 2009 portant des dispositions diverses prévoit une évaluation de ce système trois ans après son entrée en vigueur notamment par le Conseil national du travail et déplore que lors de ses travaux, la commission des Finances et des Affaires économiques du Sénat n'ait également pas tenu compte de cette obligation légale et des travaux actuellement en cours à ce propos entre autres au sein du Conseil national du travail avec le concours de l'ASA. Cette évaluation est étroitement liée aux questions soulevées par la proposition de loi qui a été soumise pour avis au Conseil, entre autres en termes de coûts et de simplification administrative.
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, estime effectivement que les titres-repas papier et les éco-chèques papier présentent des inconvénients mais que le système des titres électroniques est une alternative appropriée pour pallier à ceux-ci.
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, se réfère d'ailleurs à cet égard à l'accord de gouvernement et au Plan fédéral d'actions de simplification administrative. En effet, l'accord de gouvernement du 1er décembre 2011 contient dans sa partie II — Socio-économique, un point 2.5.1 « Soutenir les entreprises et leur faciliter la vie ». Sous ce point, il est indiqué que le gouvernement « renforcera la modernisation des processus électroniques favorables à l'activité des entreprises par exemple l'e-facturation et l'e-greffe ainsi que la généralisation de l'informatisation de l'usage des titres-repas et éco-chèques en tenant compte des réalités propres aux petites entreprises. Cette nouvelle dynamique s'inscrira dans le processus de l'agenda digital européen ».
Le Plan fédéral d'actions de simplification administrative 2012-2015 du 20 avril 2012 prévoit également d'encourager l'emploi des titres-repas électroniques et en particulier qu'en exécution de l'accord de gouvernement, seront étudiés les obstacles et les actions nécessaires pour basculer complètement dans le système de ces e-chèques-repas tout en tenant compte des préoccupations des petites entreprises.
À cet égard, et sans préjudice de l'évaluation devant encore être menée par les interlocuteurs sociaux, il convient de signaler que le Conseil s'est déjà prononcé dans des avis unanimes sur les projets d'arrêté royal et d'arrêté ministériel mettant en place le cadre réglementaire permettant l'utilisation des titres-repas électroniques (avis nº 1 602 du 30 mars 2007, nº 1 680 du 1er avril 2009 et nº 1 712 du 25 novembre 2009) et entend poursuivre son étroite implication dans la réflexion sur le passage vers les titres électroniques.
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, constate en outre que les émetteurs ont déjà consenti des investissements importants en vue de l'émission des titres-repas électroniques et qu'il importe d'assurer une sécurité juridique à ceux-ci pour qu'ils poursuivent ces investissements. Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, note dans ce cadre la venue sur le marché de deux émetteurs de titres-repas électroniques. Il est à souligner que les employeurs et les commerçants qui sont déjà passés aux titres-repas électroniques ont également consentis des investissements importants, comme l'indique l'étude susvisée de l'ASA.
À terme, le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, estime que pour assurer une simplification et une faisabilité optimale, il conviendrait qu'un seul système de titres-repas subsiste.
Le Conseil émettra donc à très court terme un avis portant sur une évaluation du système des titres-repas électroniques en ce compris la question de la généralisation des titres-repas électroniques (délai/éventuelle période transitoire pour un éventuel passage total et définitif aux titres électroniques et conditions/éléments d'attractivité à réunir pour un passage total aux titres électroniques).
Dans le cadre de cette évaluation, seront notamment examinées les répercussions de l'arrivée sur le marché de deux émetteurs de titres-repas électroniques en termes de concurrence et de réduction des coûts de prestations de services, de livraison et de charges administratives, et ceci dans la perspective d'un fonctionnement optimal de ce marché. Il sera également examiné dans quelle mesure les résultats de cette évaluation quant aux titres-repas électroniques pourraient, dans une seconde phase, être transposés aux éco-chèques afin qu'à terme, un seul système soit applicable à ces deux titres. Cette discussion sera menée en parallèle avec celle portant sur la généralisation de certains scénarii de la déclaration des risques sociaux (DRS) électronique.
2) Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, souligne à nouveau qu'un tel projet ne peut être développé et mis en œuvre sans mesurer au préalable les impacts sociaux-économiques, plus particulièrement au niveau de la fiscalité et de la sécurité sociale ainsi que sur l'emploi (direct et indirect). À cet égard, il se réfère aux études suivantes:
— « Remplacer les chèques-repas par des espèces ? — Une analyse économique », Prof. J. Konings, Professeur d'économie à l'Université de Leuven, 18 décembre 2013;
— « Voorafgaande analyse van het wetvoorstel betreffende de maaltijd- en ecocheques », Prof. A. Haelterman, Freshfields Bruckhaus Deringer, 13 février 2014;
— « Généralisation des titres-repas électroniques », ASA, 11 décembre 2013;
— « Macro-economische impact van de maaltijdcheques », Eindrapport, IDEA consult, septembre 2013;
— « Afschaffing van de vrijstelling van maaltijdcheques en ecocheques », SPF Finances, 25 mars 2013;
— « Notion de salaire: inventaire des exonérations et des réductions de cotisations de sécurité sociale », Comité de gestion de la sécurité sociale, ONSS, 5 juillet 2013.
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, regrette que lors de ses auditions, la commission des Finances et des Affaires économiques du Sénat n'ait pas entendu l'ensemble des experts ayant mené les études susvisées et en particulier ceux de l'ASA et le Professeur J. Konings ainsi que tous les interlocuteurs sociaux interprofessionnels qui sont représentés au Conseil national du travail.
2. Sous l'angle juridique en particulier les aspects fiscaux et les impacts sur la sécurité sociale
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, constate qu'en vertu du principe de l'égalité de traitement, il est impossible de limiter un avantage fiscal aux seuls travailleurs qui bénéficiaient des titres-repas et/ou des éco-chèques avant l'entrée en vigueur d'un remplacement par un montant net, tel que visé par la proposition de loi. En effet, ce principe de l'égalité de traitement requiert que cette exonération fiscale s'applique à tous les travailleurs qui recevraient un avantage net. Or, l'Administration fiscale a calculé en 2013 qu'un remplacement des titres-repas et des éco-chèques sur support matériel par un montant net, assorti d'une nouvelle exonération fiscale générale pour tous les travailleurs, aurait un coût budgétaire d'environ 2 milliards d'euros.
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, souligne les impacts parallèles et négatifs que ceci aurait en outre sur les cotisations de sécurité sociale et partant sur les revenus entrant dans la gestion globale de la sécurité sociale car les titres-repas et les éco-chèques doivent recevoir le même traitement en sécurité sociale qu'en droit fiscal. Ainsi, également compte tenu du principe d'égalité de traitement, le manque à gagner pour la sécurité sociale serait, selon l'évaluation des services de l'ONSS, de 1,8 milliard d'euros.
3. Faisabilité, simplification des charges administratives et coûts
a. Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, relève que selon les développements précédant la proposition de loi, celle-ci se justifie car les systèmes actuels des titres-repas et des éco-chèques sont onéreux et compliqués pour les employeurs et les commerçants entre autres en raison de frais et coûts administratifs, des commissions dues aux émetteurs et des frais de distributions physiques des titres aux travailleurs.
b. Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, constate que selon l'étude susvisée du bureau international d'avocats Freshfields Bruckhaus Deringer, la proposition de loi a pour conséquences de rendre les systèmes des titres-repas et des éco-chèques plus complexes, plus déséquilibrés et n'apporte aucune simplification ni réduction des charges administratives. Par ailleurs, le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, renvoie à l'étude susvisée de l'ASA qui réalise une analyse d'impact la plus complète possible (analyse et coûts) de trois systèmes (titres-repas papier, titres-repas électroniques et remplacement des titres-repas par une ligne supplémentaire sur la fiche salariale, c'est-à-dire le remplacement par un avantage net). Sont pris en compte dans cette étude tant les coûts administratifs que les coûts supplémentaires (frais de livraison, ...).
Ainsi, il ressort de cette étude que l'ajout d'une ligne supplémentaire sur la fiche de paie représente un coût administratif, contrairement à ce que pourrait laisser croire les développements précédant la proposition de loi. Si celui-ci (11 724 930 euros pour les employeurs) est certes moindre que celui résultant des charges administratives propres aux titres-repas papier (29 209 089 euros pour les employeurs), il n'est pas extrêmement éloigné des charges administratives induites par les titres-repas électroniques (16 328 794 euros pour les employeurs). Pour les commerçants, les coûts afférents aux charges administratives, aux coûts de prestations de services/coûts de transactions vis-à-vis des émetteurs et coûts de transactions résultant des paiements électroniques par les consommateurs se répartissent comme suit: 84 246 847 euros pour les titres-repas papier, 15 952 930 euros pour les titres-repas électroniques et 5 999 225 euros pour la ligne supplémentaire sur la fiche de paie. Ce dernier chiffre ne tient pas compte des coûts administratifs afférents aux moyens de paiements électroniques ou cash. Ces derniers sont estimés par les émetteurs (VIA) à 22,6 millions d'euros.
L'étude de l'ASA démontre que globalement, le passage des titres-repas papier aux titres-repas électroniques permettrait de réduire le coût des charges administratives de quelques 61 % pour l'ensemble des parties concernées et 80 % pour les commerçants. Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, estime que cette donnée apporte un éclairage pertinent quant aux solutions pouvant être apportées aux difficultés soulevées par la proposition de loi.
Quant au coût de livraison, l'étude de l'ASA démontre que tant pour les titres-repas électroniques que pour la ligne supplémentaire sur la fiche de paie, ce coût serait nul, compte tenu du fait que les cartes titres-repas électroniques sont délivrées tous les cinq ans et que par conséquent, leur coût d'émission rapporté par année est minime.
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, prend également acte des réflexions en cours entre les émetteurs et l'ASA afin de réduire les coûts de service et les fais de livraison, celles-ci pouvant mener à une éventuelle mise sur pied d'une plate-forme commune d'affiliation. Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, souligne qu'il importe d'assurer une sécurité juridique pour que ces réflexions puissent se poursuivre dans le meilleur contexte possible.
c. Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, constate également qu'aux termes de la proposition de loi, un montant net serait versé sur le compte des travailleurs bénéficiant antérieurement de titres-repas et/ou d'éco-chèques « matérialisés », montant dont ils pourraient par conséquent librement disposer, ce qui modifie d'ailleurs fondamentalement la nature de ces systèmes. Or, selon la proposition de loi, les conditions actuelles d'application de ces derniers seraient maintenues. Ceci comprend donc l'obligation d'acquérir uniquement avec ces titres des denrées alimentaires ou des produits ou services écologiques tels que repris dans la liste annexée à la convention collective de travail nº 98.
La proposition de loi aurait ainsi pour conséquence qu'en pratique, avec les moyens actuellement disponibles, aucun contrôle ne pourrait plus être mis en place quant à la destination réellement réservée à ce montant net, alors que le contrôle constitue une préoccupation essentielle des interlocuteurs sociaux comme le reflètent les avis unanimes nº 1 758 du 21 décembre 2010 et nº 1 787 du 20 décembre 2011 du Conseil national du travail quant à l'évaluation du système des éco-chèques. Pour assurer le contrôle effectif de la destination réservée au montant net, la proposition de loi impliquerait donc qu'il faudrait élaborer des moyens de contrôle beaucoup plus importants que ceux existant actuellement, ce qui ne répond pas à l'objectif de simplification administrative poursuivi par celle-ci.
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, ne peut donc souscrire à un nouveau système dans lequel le lien avec les objectifs fondamentaux originels des systèmes des titres-repas et des éco-chèques seraient abandonnés ou incontrôlables.
d. En ce qui concerne l'attractivité des titres-repas électroniques, pointée par les développements précédant la proposition de loi (en termes de taux de passage du papier vers l'électronique ainsi que de coûts, frais et commissions), le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, indique qu'elle fera l'objet d'une réflexion lors de l'évaluation susvisée du système des titres-repas électroniques et renvoie aux études existantes en la matière, en particulier celles précitées de l'ASA et du Professeur J. Konings.
e. Quant à la simplification pour les travailleurs, le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, constate que suivant les développements précédant la proposition de loi, les titres-repas sur supports matériels présenteraient des inconvénients en termes de perte de ces supports et de durée de validité limitée. Ce dernier point est également cité par les développements quant aux titres-repas électroniques. Ces questions seront également abordées dans le cadre de l'évaluation des titres-repas électroniques.
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO relève toutefois déjà, quant à la date de péremption des titres-repas, qu'un allongement de la validité a été prévu et qu'ils sont dorénavant utilisables pendant un an. En outre, une date de péremption peut permettre d'écarter un risque d'achats impulsifs au début de mois (par une surestimation des consommateurs de leur capacité à planifier leurs dépenses) ou d'épargne (phénomène de procrastination ou autrement dit de report d'achats justifiables comme de la nourriture en suffisance) et donc pousser les consommateurs à effectuer les achats justifiables en temps voulu. Les titres-repas « matérialisés » induisent donc une consommation plus stable (voir ci-dessous le point 4 et l'étude du Professeur J. Konings).
Quant à la perte des titres matériels, l'étude précitée de l'ASA démontre que le recours au support électronique en réduit le risque à zéro gráce au système « card stop ».
f. Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, rappelle que les titres-repas et les éco-chèques sont insaisissables puisqu'ils ne constituent pas une rémunération. Au moins cinquante mille travailleurs (tenant compte des données de la sécurité sociale) sont ainsi concernés. La proposition de loi ne prévoit aucune mesure particulière pour régler cette question en pratique. Même si une disposition devait être prévue en la matière, il en résulterait néanmoins une surcharge administrative importante pour les employeurs concernés car ils devraient nécessairement prévoir au moins une ligne supplémentaire et particulière sur la fiche salariale. Des complications importantes interviendraient également pour la sécurité sociale.
4. Sous l'angle économique, en ce compris l'effet sur l'emploi
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, constate qu'en termes économiques, les développements précédant la proposition de loi notent que la suppression matérielle des titres-repas n'aurait aucune influence sur le modèle des dépenses des consommateurs et n'incitera pas à l'épargne car chacun doit acheter de quoi manger.
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, souligne toutefois que le Professeur J. Konings, dans son étude précitée, ne tire pas de conclusion allant dans ce sens. En effet, aux termes de son étude d'impact économique, le Professeur relève que:
— le système des titres-repas crée de l'emploi chez les commerçants qui les acceptent en raison de l'augmentation de leur chiffre d'affaires. En effet, un euro dépensé par le biais de titres-repas génère des ventes additionnelles de 1,8 euros (« effet de levier »);
— le remplacement par une indemnité en espèces pourrait, selon le Professeur J. Konings, entraîner la disparition de plus de neuf mille emplois chez les commerçants agréés, dépendant des facteurs suivants:
* le phénomène « d'illusion monétaire » peut avoir un impact négatif sur la consommation: le travailleur estimant percevoir moins de revenus, il consomme moins. En effet, dans le système actuel, le montant facial du titres-repas est d'au maximum 7 euros et la contribution du travailleur est retenue par l'employeur (1,09 euros pour un titre-repas de 7 euros) alors qu'en cas de remplacement par un avantage versé sur le compte du travailleur, seul le montant net sera versé au travailleur, soit au maximum 5,91 euros. Le travailleur-consommateur peut donc estimer percevoir un avantage moindre et adapter son comportement de consommation, c'est-à-dire acheter moins de denrées alimentaires. Le Professeur J. Konings estime que ce phénomène pourrait entraîner une perte de deux mille trois cents emplois;
* une possible fuite de la consommation vers l'étranger (« cross-border shopping ») qui peut engendrer une perte du chiffre d'affaires de 40 millions d'euros et une perte de huit cents emplois: dans le système actuel, les titres-repas favorisent en effet uniquement la consommation nationale de denrées alimentaires (ils représentent plus de 6 % de la consommation totale de denrées alimentaires, à savoir un montant de 1, 9 milliards d'euros pour 1,65 millions de bénéficiaires) et donc la consommation nationale en général et par voie de conséquence, la stabilité économique du pays;
* les ventes (et la croissance ainsi que le chiffre d'affaire) supplémentaires réalisées par les commerçants lorsqu'ils décident d'accepter les titres-repas comme moyen de paiement (et donc également la croissance de l'emploi) diminuent en cas de remplacement par des espèces. En outre, les entreprises qui acceptent les titres-repas résistent mieux à la crise en termes de croissance du chiffre d'affaire et d'emplois. De plus, les titres-repas contribuent à la consommation d'autres produits car les consommateurs disposant de ces titres bénéficient de revenus nets plus élevés leur permettant d'acheter d'autres biens;
* les titres-repas offrent un tampon contre la crise économique. Cette situation s'explique entre autres en tenant compte d'un phénomène d'épargne (« épargne de précaution » ou « épargne d'anxiété ») lié à la peur du lendemain entre autres en période de crise qui incite les ménages à faire davantage d'économies notamment à l'égard des biens de consommation non durables en ce compris les denrées alimentaires. Or, les titres-repas ne pouvant être épargnés, ils constituent un soutien permanent à la seule consommation alimentaire (alors qu'un versement en espèces peut être utilisé librement par le bénéficiaire). Le nombre d'emplois perdus pourrait atteindre cinq mille neuf cent cinquante travailleurs dépendant des comportements d'épargne et de substitution découlant d'un remplacement des titres-repas par des espèces.
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, relève également qu'IDEA Consult, dans son rapport précité conclut que les titres-repas ont un effet stimulant sur l'économie belge plus important qu'aurait les éventuels avantages nets équivalents et créent plus d'emplois supplémentaires que cesdits avantages nets.
De plus, comme pré-indiqué, le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, constate que les systèmes actuels des titres-repas et des éco-chèques sont exclusivement destinés à la consommation sur le marché belge. En particulier quant aux titres-repas, cette consommation favorise la création d'emplois dans des secteurs à haute densité de main d'œuvre, à savoir principalement l'horeca et les détaillants en denrées alimentaires. Cette création d'emplois génère à son tour des recettes fiscales et pour la sécurité sociale.
En outre, le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, note avec l'ASA que par les titres-repas électroniques, « la protection des budgets d'alimentation est maintenue, surtout pour les faibles revenus ». En effet, si les développements précédant la proposition de loi considèrent que « la suppression des titres-repas n'aura aucune incidence sur le modèle de dépense des consommateurs », le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, souligne à nouveau que le Professeur J. Konings relève dans son étude susvisée qu'il s'agit là d'une analyse économique standard et que si l'on tient compte de plusieurs notions d'économie publique et de facteurs psychologiques (également appelés « behavioral economics »), il apparaît qu'un avantage accordé en nature (titres-repas/éco-chèques « matérialisés ») n'équivaut pas à un avantage d'un montant équivalent en espèces. De même, les titres-repas « matérialisés » ont le mérite de la visibilité en tant qu'avantage, ce que ne permet pas un avantage net équivalent.
Le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, en conclut que le remplacement des titres-repas et des éco-chèques par un avantage net aurait des effets économiques négatifs, en ce compris sur l'emploi.
Pour l'ensemble des motifs développés ci-dessus, le Conseil, à l'exception des membres représentant l'UNIZO, souligne qu'il ne peut souscrire à la proposition de loi qui lui a été soumise pour avis ni à l'objectif qu'elle poursuit, à savoir le remplacement des titres-repas et éco-chèques sur support matériel par un avantage net porté au compte bancaire des travailleurs. Il ne peut également souscrire à un système dans lequel un montant net serait combiné avec des titres-repas et les éco-chèques « matérialisés ». Il rappelle dans ce cadre l'évaluation de l'utilisation des titres-repas électroniques qu'il s'engage à réaliser à très court terme, sachant que si les titres-repas papier et les éco-chèques papier présentent des inconvénients, le système des titres électroniques est une alternative appropriée pour pallier à ceux-ci.
Enfin, le Conseil se tient à la disposition du Sénat pour toutes informations complémentaires.
B. Position de l'UNIZO
Les membres représentant l'UNIZO ont examiné la proposition de loi soumise pour avis sous différents angles: la faisabilité, la simplification administrative qui en découlera, le coût, ainsi que les éventuelles conséquences juridiques, fiscales et socioéconomiques.
Partant de ces considérations, les membres représentant l'UNIZO ne peuvent pas souscrire à certains des éléments repris ci-avant.
1. Remarque préalable
Les membres représentant l'UNIZO souhaitent tout d'abord souligner l'importance de l'exonération sociale et fiscale de l'avantage d'une indemnité de repas. Il n'est à aucune condition possible de toucher à cette prémisse.
2. Faisabilité, simplification administrative et coûts
Les membres représentant l'UNIZO considèrent néanmoins que la manière dont cet avantage net est actuellement organisé peut être améliorée.
Les titres-repas sur support papier entraînent en effet une lourde charge administrative et un coût financier non justifiable pour les entreprises. Les chiffres de l'Agence pour la simplification administrative montrent que les titres-repas sur support papier coûtent chaque année 111 523 089 euros aux employeurs concernés (« Généralisation des titres-repas électroniques », Agence pour la simplification administrative, 11 décembre 2013). Une grande partie de l'avantage lié à l'exonération sociale et fiscale de l'indemnité de repas se trouve ainsi directement « érodée ».
Les commerçants doivent d'ailleurs également faire face à cette charge administrative et à ce coût financier. La même étude de l'Agence pour la simplification administrative indique qu'il s'agit pour eux d'un coût de 84 246 847 euros par an.
Ces constatations valent encore plus pour les éco-chèques. Un employeur paie en moyenne 3 % de frais de commission sur les chèques commandés. Pour les petits employeurs, ces frais peuvent même s'élever jusqu'à 7 %. Le commerçant qui accepte les chèques paie jusqu'à 5 % de frais aux émetteurs pour le traitement de ces chèques. Selon l'Agence pour la simplification administrative, l'introduction des éco-chèques en 2009 a représenté une augmentation des charges de 13 490 159 euros pour les entreprises. Pour 2010, cette augmentation des charges a même atteint 8 690 153 euros (« Administratieve lasten rond de invoering van ecocheques », Agence pour la simplification administrative, 30 juin 2010).
Ces inutiles coûts et charges administratives sont de plus également reconnus par le gouvernement fédéral, qui indique dans le Plan d'action du Collège pour la lutte contre la fraude fiscale et sociale 2012-2013 que le paiement d'une rémunération exonérée sous la forme de chèques entraîne notamment comme inconvénients des coûts supplémentaires pour les employeurs, suite à quoi une partie de la diminution des charges salariales accordée par l'État n'est donc pas utilisée à cette fin, ainsi que, pour les commerçants, des frais supplémentaires directs et indirects qu'ils n'ont pas demandés.
Depuis trois ans, les employeurs et travailleurs peuvent choisir de commander leur indemnité de repas sous la forme de titres-repas électroniques. Cette variante électronique présente un certain nombre d'avantages clairs par rapport au titre-repas sur support papier, surtout en ce qui concerne les charges administratives. Les frais de traitement sont également plus bas que ceux des chèques sur support papier. Une migration complète vers des titres-repas électroniques entraînerait, selon l'Agence pour la simplification administrative, une baisse des charges totale de 50 462 389 euros pour les employeurs et de 68 293 917 euros pour les commerçants.
Selon les membres représentant l'UNIZO, ces améliorations sont significatives, mais la critique fondamentale adressée au système des titres-repas subsiste: une grande partie de l'avantage lié à l'exonération sociale et fiscale de l'indemnité de repas est toujours « érodée » par les frais de traitement que l'employeur paie à l'émetteur. Alors qu'un employeur qui souhaite donner à cinq travailleurs des titres-repas d'une valeur de sept euros pièce paiera par mois à l'émetteur 69 euros de frais de commission pour des titres-repas sur support papier, il paiera entre 31 et 67 euros (selon l'émetteur) pour des titres-repas électroniques. La situation est d'ailleurs identique pour les commerçants: un commerçant chez lequel, chaque mois, 200 clients paient au moyen de titres-repas pour une valeur moyenne de 10 euros par paiement, paiera 27 euros par mois aux émetteurs s'il s'agit de titres-repas sur support papier et entre 20 et 30 euros (selon l'émetteur) s'il s'agit de titres-repas électroniques.
Les membres représentant l'UNIZO jugent dès lors que le titre-repas électronique constitue une nette amélioration par rapport au titre-repas sur support papier, surtout s'il est possible d'achever l'évolution vers une application généralisée, mais ils constatent que la critique fondamentale subsiste. Pour cette raison, ils sont favorables à la dématérialisation de l'indemnité de repas telle que formulée dans la proposition de loi soumise pour avis. Cette proposition conserve en effet l'indemnité de repas en tant qu'avantage en nature non imposable, mais la combine avec l'élimination complète des charges administratives et coûts financiers désavantageux qui sont liés à un système de titres-repas matériels. Le versement direct de l'indemnité de repas sur le compte du travailleur exclut l'intervention d'intermédiaires (et les charges administratives et coûts financiers y afférents). Selon l'Agence pour la simplification administrative, cela représenterait (par rapport aux titres-repas électroniques) une diminution supplémentaire des charges de 49 335 770 euros pour les employeurs et de 9 953 705 euros pour les commerçants. Les travailleurs réaliseraient eux aussi une économie de quelque 7 035 069 euros.
3. Aspects juridiques, fiscaux et socioéconomiques
Les membres représentant l'UNIZO sont d'avis que la proposition de loi soumise pour avis présente en outre comme avantage que l'objectif de l'indemnité de repas reste maintenu en tant que tel: l'employeur intervient dans les frais de repas, par le biais d'un montant fixé à l'avance qui est exonéré de charges tant pour l'employeur que pour le travailleur. La proposition permet de conserver grosso modo les conditions qui s'appliquent actuellement pour l'octroi de titres-repas (intervention maximale de l'employeur, intervention minimale du travailleur, au maximum une indemnité par jour, ...). Le fait qu'il ne soit pas possible de contrôler si ce montant est effectivement utilisé pour acheter des aliments est accessoire. La valeur des titres-repas correspond en effet au coût d'un repas. La pratique montre de plus que les travailleurs achètent déjà actuellement d'autres choses que des aliments avec leurs titres-repas, et que si de l'argent liquide est rendu sur des titres-repas, il n'est pas non plus possible de vérifier s'il sera effectivement consacré à l'achat d'aliments.
Les membres représentant l'UNIZO se posent par ailleurs différentes questions fondamentales sur les nombreuses études sur ce sujet, qui pour la plupart ont été commandées et financées par les émetteurs. Il n'est pas rare qu'elles partent de suppositions purement théoriques (comme l'hypothèse que les titres-repas sont uniquement dépensés pour des repas ou des aliments prêts à la consommation) qui ne correspondent pas à la pratique.
De la même manière, certains effets supposés, comme celui de l'« illusion monétaire », sont abordés de manière très partiale. Il faut également signaler dans ce cadre que, tout comme aujourd'hui, le travailleur verra sur sa fiche de paie la mention de la valeur totale des titres-repas qui lui sont octroyés, et pas uniquement le montant net après déduction de sa cotisation personnelle.
L'impact supposé sur les finances publiques est largement exagéré. Le chiffre qui est cité part ainsi de la supposition que tous les travailleurs en Belgique seraient occupés à temps plein. En outre, il est supposé que tous les employeurs passeront à l'avantage net, ce dont il est permis de douter vu la charge administrative restante (près de 12 millions d'euros selon l'Agence pour la simplification administrative). Finalement, le chiffre cité ne tient pas non plus compte de l'effet de retour dû au fait qu'une indemnité nette n'est fiscalement déductible que pour un euro, alors qu'en cas d'augmentation ordinaire de la rémunération, c'est l'ensemble de la rémunération qui est fiscalement déductible dans le chef de l'employeur.