5-2351/1 | 5-2351/1 |
20 NOVEMBRE 2013
La présente proposition de loi entend mettre fin à la pratique par laquelle des établissements financiers et des gestionnaires de fonds prêtent les actions de leurs clients à des spéculateurs et empochent la majeure partie de la rémunération découlant de cette opération.
Peu de citoyens savent que le fonds de pension ou de placement dans lequel ils investissent prête les actions qu'il gère à des tiers. Cette pratique est connue sous le nom de « securities lending » (prêt de titres).
En théorie, la rémunération que le fonds perçoit pour le prêt des titres accroît le rendement. Or, la pratique montre que le gestionnaire du fonds empoche, sous la forme d'une commission, jusqu'à 50 % de la rémunération découlant du prêt d'actions qui, en fait, ne lui appartiennent pas.
En Belgique, cette commission est souvent disproportionnée puisqu'elle représente la moitié de la rémunération (1) .
Pourtant, l'ESMA, l'Autorité européenne des marchés financiers, a édicté cette année des règles claires: tout ce que rapporte le produit des prêts de titres, déduction faite des frais de transaction, doit aller à l'investisseur. La discussion bat encore son plein en ce qui concerne la notion de frais de transaction.
Au sujet des nouvelles directives instaurées, l'ESMA déclare que celles-ci renforceront la transparence et la protection de l'investisseur, mais qu'elles contribueront aussi à préserver la stabilité des marchés financiers. (traduction) (2)
Selon les auteurs de la présente proposition de loi, c'est là plus qu'une évidence. En effet, l'investisseur est souvent, sans qu'il le sache, exposé au risque d'une défaillance de l'emprunteur. On n'a rien sans rien.
Étant donné que l'investisseur supporte les conséquences d'une faillite de l'emprunteur, il est tout à fait normal qu'il perçoive l'ensemble des revenus découlant de l'opération. Les auteurs de la présente proposition de loi ne peuvent concevoir que nombre d'investisseurs qui n'ont pas donné explicitement leur consentement à une tierce partie soient exposés à des risques concernant des actions ou d'autres éléments d'actifs, comme des obligations, qu'ils détiennent en portefeuille.
Le méga-fonds Fidelity envisage d'abandonner la pratique controversée du prêt de titres au motif que le jeu n'en vaut plus la chandelle. De plus, Fidelity en a assez de la connotation négative attachée à ce type d'opérations. Ainsi, il n'est pas rare que des titres soient prêtés à des « short sellers », des « investisseurs sophistiqués » qui parient sur une baisse du cours de celles-ci, en vendant les actions empruntées dans l'espoir de les racheter ultérieurement à un prix inférieur.
Il n'est quand même pas normal que des gestionnaires de fonds procurent à des « short sellers » les outils nécessaires pour spéculer sur les actions détenues par le fonds. Les actions dans lesquelles les gestionnaires de fonds placent leur confiance et qui recèlent un potentiel sont ainsi prêtées à des tiers qui n'attendent qu'une chose; que le cours de ces actions baisse.
La presse a mené l'enquête auprès de l'industrie des fonds de placement, mais elle s'est heurtée à un mur de silence. Dans le cadre d'une enquête menée auprès des principaux acteurs du secteur, Beama, l'Association belge des gestionnaires de fortune, a répondu par une déclaration écrite précisant qu'en Belgique, l'activité du secteur est régie par l'arrêté royal du 7 mars 2006 relatif aux prêts de titres par certains organismes de placement collectif, lequel dispose que la moitié au moins de la rémunération provenant du prêt de titres doit être attribuée au gestionnaire de fonds.
Un article de journal rapporte les propos d'un témoin anonyme, actif dans le secteur: « Chaque gestionnaire de fonds ou presque se livre à ce genre d'activités, nous aussi. Il est en effet très intéressant pour un gestionnaire de se livrer à des prêts de titres. Mais c'est un sujet sensible. » (traduction)
Un autre gestionnaire de patrimoine cité est catégorique: « Nous ne nous livrons pas à ce genre d'opérations, mais nous devons quasiment être les seuls. Le grand problème est de savoir à qui appartiennent les recettes générées par les opérations de prêt de titres. » (traduction)
L'enquête menée par ce même journal a montré que les prospectus et les rapports annuels des gestionnaires de fonds de la société Petercam, de la Banque Delen et de la Banque Degroof sont ceux qui font preuve de la plus grande transparence. Il ressort des prospectus que la société Petercam prélève 15 % des recettes au titre des frais de transaction et que les banques Delen et Degroof respectivement en prélèvent la moitié. Dans un commentaire de son rapport annuel, KBC Asset Management indique qu'elle prélève, elle aussi, 50 % du produit des opérations de prêts de titres. Quant à ING, elle précise qu'elle perçoit un quart des recettes générées dans le cadre du fonds de pension Star Fund.
Chez BNP Paribas Fortis et Dexia Asset Management, il est impossible d'obtenir une quelconque information sur la manière dont les recettes sont réparties. Toute demande de renseignements reste aussi sans réponse.
En Belgique, les gestionnaires cherchent manifestement à optimiser le rendement, à quelques exceptions près. Précisons, pour mettre les choses en perspective, qu'aux États-Unis, les géants de la gestion d'actifs BlackRock et State Street font l'objet de poursuites parce qu'ils se seraient approprié une part trop importante du produit des opérations de prêts de titres, à hauteur respectivement de 40 et de 50 %. Cette pratique exaspère les investisseurs. Selon un administrateur d'une grande banque de dépôt européenne, une répartition 50/50 est considérée comme très généreuse, a fortiori si le risque est supporté intégralement par le fonds. Ce sont les banques de ce type qui mettent en place des systèmes de prêt de titres pour les acteurs financiers.
L'ESMA et son homologue britannique, la FSA, disent très clairement qu'il n'est pas justifiable que la rémunération perçue soit aussi importante alors que le risque est supporté par le fonds.
Interrogée à ce sujet, la FSMA, l'autorité de contrôle du secteur, dit n'avoir aucune objection contre ce type d'opérations. Selon elle, l'arrêté royal belge n'est pas contraire aux règles européennes, même si, dans l'esprit, ils diffèrent fondamentalement. Beama aussi se donne bonne conscience. C'est ainsi que dans un e-mail, elle indique que les prêts de titres visent à optimiser la gestion des fonds et à permettre à ceux-ci de rester compétitifs par rapport aux fonds étrangers en générant des recettes additionnelles pour le fonds et les investisseurs.
L'argument selon lequel les fonds belges doivent prêter des titres s'ils veulent rester compétitifs par rapport aux fonds étrangers ne tient plus la route. Aux Pays-Bas et dans d'autres pays européens, on constate clairement que la tendance est de rétribuer davantage les clients/investisseurs. On le voit d'ailleurs aussi par le biais des primes de distribution (rétrocessions), qui seront supprimées à partir de 2014.
Les auteurs de la présente proposition de loi propose, à l'instar de l'ESMA, que les revenus issus des prêts de titres, déduction faite des frais de transaction, soient intégralement rétrocédés à l'investisseur.
Article 2
Cet article reprend les définitions utilisées dans l'arrêté royal du 7 mars 2006 relatif aux prêts de titres par certains organismes de placement collectif.
Article 3
Les auteurs de la présente proposition de loi proposent, à l'instar de l'ESMA, que les revenus issus des prêts de titres, déduction faite des frais de transaction, soient intégralement rétrocédés à l'investisseur. Une fois que la présente proposition de loi aura été adoptée, il conviendra de mettre l'article 9 de l'arrêté royal du 7 mars 2006 relatif aux prêts de titres par certains organismes de placement collectif en conformité avec l'article 3 du texte adopté. L'article 9 s'énonce actuellement comme suit: « Au moins la moitié de la rémunération provenant du prêt de titres, après déduction, le cas échéant, de la rémunération du gestionnaire du système de prêt de titres et du conservateur de la garantie financière, doit revenir à l'organisme de placement collectif prêteur. »
Les auteurs de la présente proposition de loi sont conscient qu'en conséquence de la mesure proposée, rares seront les établissements qui continueront à prêter des titres d'investisseurs, mais tel est le but implicite de la présente proposition de loi.
Rik DAEMS. |
Martine TAELMAN. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Pour l'application de la présente loi, il y a lieu d'entendre par:
1º « système de prêt de titres »: un système standardisé et organisé géré par un principal ou par un agent, même à titre d'activité accessoire, et dont l'objet est la conclusion de prêts de titres; et
2º « titres »: les valeurs mobilières et les instruments du marché monétaire visés à l'article 2, 2 et 3, de l'arrêté royal du 4 mars 2005.
Art. 3
La rémunération découlant du prêt de titres, après déduction, le cas échéant, de la rémunération du gestionnaire du système de prêt de titres et du conservateur de la garantie financière, doit revenir à l'organisme de placement collectif prêteur.
Art. 4
La présente loi entre en vigueur six mois après sa publication au Moniteur belge.
28 juin 2013.
Rik DAEMS. |
Martine TAELMAN. |
(1) De Tijd, « De geheime vergoeding die uw fonds opstrijkt », 29 mai 2013, p. 25.
(2) http://www.ft.com/cms/s/0/3bd466ac-6ec1-11e2-8189-00144feab49a.html#axzz2Umt88DPe.