5-2170/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2012-2013

26 JUIN 2013


Proposition de loi modifiant la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie en vue de l'étendre aux mineurs

(Déposée par les MM. Philippe Mahoux, Jean-Jacques De Gucht, Mme Christine Defraigne et M. Guy Swennen)


DÉVELOPPEMENTS


La loi de 28 mai 2002 relative à l'euthanasie dépénalisant partiellement l'euthanasie est en vigueur depuis dix ans.

Le Sénat, saisi de nombreux textes visant à modifier la loi, a organisé des auditions devant ses commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales.

Ces auditions ont permis de constater combien la loi de 2002 a répondu à un besoin résultant à la fois d'une attente de la population ainsi que de la possibilité légale d'y répondre.

En adoptant ce texte, le législateur belge a consacré une évolution tangible de la société. Il a réduit la discordance entre le cadre légal et la réalité médicale.

Cette loi a rendu au patient le magistère sur sa vie, tout en le protégeant contre les abus. La loi a libéré la parole du patient et du médecin quant à la fin de vie, qui peuvent échanger en confiance, sans dissimulation ou décision hátive. Cela rassure le malade, qui sachant que sa demande d'euthanasie pourra être rencontrée, peut, s'il le souhaite, accepter plus sereinement une prise en charge palliative, délivré de la peur de souffrir excessivement ou de se voir perdre toute dignité. Cela rassure le médecin, qui sait désormais qu'il peut accomplir l'acte ultime d'humanité pour délivrer un patient de la souffrance sans transgresser la loi, quand il agit dans le cadre de celle-ci, à la demande du patient.

La législation de 2002 concernait à la fois l'euthanasie et les soins palliatifs considérant que les deux approches étaient nécessaires.

Les auditions tenues entre février et mai 2013 ont permis d'identifier quelques problèmes d'application de la loi, et d'en examiner certaines modifications ou extensions possibles.

Les auteurs de la présente proposition ont retenu quelques-uns de ces points qui leur paraissent pouvoir faire accord auprès d'une majorité de sénateurs.

Ils concernent la situation des mineurs, la déclaration anticipée, les délais de réponse du médecin et la transmission du dossier ainsi que la confirmation du champ d'application de la clause de conscience.

Cette proposition de loi concerne la situation des mineurs.

Les autres problématiques seront abordées dans des propositions distinctes.

La loi de dépénalisation partielle de l'euthanasie a réservé ses effets aux patients majeurs (ou mineurs émancipés). Les mineurs non émancipés ne peuvent donc pas bénéficier d'une euthanasie.

La plupart des intervenants qui soignent des mineurs (pédiatres intensivistes, oncologues, etc.) ont confirmé aux auditions que face à des situations de douleur inapaisable, des soignants choisissent d'administrer à des mineurs des substances létales qui accélèrent ou causent le décès. Cette réalité, exposée déjà lors des auditions de 2001, s'est confirmée par la suite.

La loi de 2002 a réservé le droit à l'euthanasie aux personnes juridiquement capables.

Le critère de la capacité juridique était déjà mis en cause à l'époque: du point de vue de la santé du mineur.

Le législateur en était parfaitement conscient, puisqu'en parallèle aux travaux sur la fin de vie, était élaborée la loi relative aux droits des patients. Cette loi du 22 août 2002 prévoit qu'il doit être tenu compte de l'avis des mineurs en matière de décisions médicales. En effet, après avoir indiqué que « Si le patient est mineur, les droits fixés par la présente loi sont exercés par les parents exerçant l'autorité sur le mineur ou par son tuteur », le paragraphe 2 de l'article 12 de la loi porte: « suivant son áge et sa maturité, le patient est associé à l'exercice de ses droits. Les droits énumérés dans cette loi peuvent être exercé de manière autonome par le patient mineur qui peut être estimé apte à apprécier raisonnablement ses intérêts ».

Intégrant ces évolutions législatives, l'Ordre des médecins soulignait dès 2003 que « du point de vue déontologique, l'áge mental d'un patient est plus à prendre en considération que son áge civil ».

De nombreuses personnes auditionnées ont confirmé ce point de vue devant les commissions réunies.

Plusieurs ont plaidé pour une intervention législative.

Cette opinion repose sur une conviction première: la décision de fin de vie est un acte d'humanité, posé en dernier recours. De ce point de vue, pourquoi les mineurs seraient-ils privés de l'accès à cet acte d'humanité.

Instruits de l'expérience de l'application de la loi de 2002 concernant les personnes juridiquement capables, plusieurs médecins concernés sont venus plaider pour que le législateur intervienne afin de poser les conditions suivant lesquelles l'euthanasie d'un mineur deviendrait possible.

L'euthanasie est définie par la loi, reprenant la définition proposée à l'époque par le Comité de bioéthique, comme étant « l'acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de celle-ci ».

L'euthanasie est donc un acte répondant à la demande de la personne concernée.

Pour exprimer valablement cette demande, il faut être capable d'en juger raisonnablement.

Selon la définition légale des auteurs de la proposition, l'euthanasie ne concerne que les mineurs disposant de la capacité de discernement. Pour rappel, la capacité de discernement n'est pas un état absolu dont disposerait une personne à partir d'un certain áge et pour le reste de sa vie, pour toute situation vécue. Elle est évaluée pour chaque individu, face à une situation particulière. Elle doit être attestée pour chaque question nouvelle.

Mais par ailleurs, un mineur non émancipé n'a pas la capacité juridique. C'est donc ses représentants légaux (parents ayant autorité parentale, tuteur, ...) qui agissent par représentation pour poser des actes juridiques. En conséquence, l'intervention des représentants légaux est nécessaire pour pouvoir pratiquer une euthanasie sur un mineur.

La présente proposition vise donc à autoriser la pratique de l'euthanasie, dans les conditions déjà fixées par la loi de 2002, sur un mineur dont la capacité de discernement est attestée et dont la demande, émise dans les conditions de la loi, est confirmée par ses représentants légaux.

L'évaluation de la capacité de discernement devra être réalisée par un pédo-psychiatre ou un psychologue, qui attestera que le mineur est à même d'apprécier raisonnablement les conséquences de sa demande.

Le discernement ne peut pas être déduit simplement de l'áge de l'enfant. Les personnes auditionnées admettent que la capacité de discernement est variable d'un individu à l'autre, d'une situation à l'autre.

Tous les spécialistes pédiatriques entendus ont insisté sur l'extraordinaire maturité que des enfants peuvent acquérir quand ils font face à une maladie létale. Des mêmes personnes auditionnées, il ressort qu'il est préférable de ne pas tracer de limite d'áge arbitraire, mais de se fonder sur la réponse à la question: la demande du patient est-elle éclairée, est-il en capacité d'en apprécier toutes les conséquences ?

Philippe MAHOUX.
Jean-Jacques DE GUCHT.
Christine DEFRAIGNE.
Guy SWENNEN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Dans l'article 3 de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, les modifications suivantes sont apportées:

1° dans le § 1er, alinéa 1er, la phrase au premier tiret est remplacé par ce qui suit:

« — le patient est majeur ou mineur émancipé capable ou mineur doté de la capacité de discernement et est conscient au moment de sa demande; »;

2° le § 2 est complété par un 7° rédigé comme suit:

« 7° en outre, lorsque le patient est mineur, le médecin doit consulter un pédopsychiatre ou un psychologue, en précisant les raisons de sa consultation.

Le spécialiste consulté prend connaissance du dossier médical, examine le patient, s'assure de la capacité de discernement du mineur, et l'atteste par écrit.

Le médecin traitant informe le patient et ses responsables légaux du résultat de ces consultations.

Le médecin traitant devra s'entretenir avec les représentants légaux du mineur en leur apportant toutes les informations prévues au § 2, 1°, et s'assurer qu'ils marquent leur accord sur la demande du patient mineur. »;

3° dans le § 4, la phrase « La demande du patient doit être actée par écrit. est remplacée par la phrase: « La demande du patient doit être actée par écrit, ainsi que l'accord des représentants légaux si le patient est mineur. »;

4° il est inséré un § 4/1 rédigé comme suit:

« § 4/1 Après que la demande du patient ait été acceptée par le médecin, les personnes concernées sont informées d'une possibilité d'accompagnement psychologique. ».

20 juin 2013.

Philippe MAHOUX.
Jean-Jacques DE GUCHT.
Christine DEFRAIGNE.
Guy SWENNEN.