5-2163/1 | 5-2163/1 |
25 JUIN 2013
Malgré le silence des médias turcs, qui minimisent le conflit et couvrent pas l'événement de manière équilibrée, les médias étrangers ont trouvé un moyen d'informer le public sur la situation en Turquie. La liberté de la presse est un problème majeur en Turquie. Beaucoup ont accès à, d'autres canaux pour compenser ce déséquilibre. Les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, ...) constituent actuellement le principal moyen de communication pour les opposants au gouvernement, au grand dam du premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, qui, le 10 juin 2013, au onzième jour des manifestations dirigées contre lui et son gouvernement, a ordonné à la police anti-émeute d'arrêter des dizaines d'utilisateurs des réseaux sociaux soupçonnés de troubler l'ordre public ou de préparer des attaques.
Le 11 juin 2013, au douzième jour des protestations, la police anti-émeute a en outre repris le contrôle de la place Taksim, à coups de canons à eau et de grenades lacrymogènes. Les milliers de manifestants ont été brutalement délogés de la place, ce qui soulève des questions quant à la garantie du droit à la liberté d'expression et du droit de protester dont bénéficient ces opposants au gouvernement.
Il convient par ailleurs de condamner l'attitude du premier ministre Erdogan, qui abuse de la repression sans faire la moindre concession. Le 10 juin 2013, il annonçait vouloir discuter avec les (représentants des) manifestants; le lendemain, il ordonnait à la police anti-émeute de faire évacuer la place Taksim manu militari.
En Europe, les faits susmentionnés ainsi que le récent communiqué faisant état de trois morts à la suite de cette vague de protestations, de rassemblements et de manifestations suscitent des débats approfondis sur la politique du gouvernement turc et une préoccupation croissante. Cette façon de traiter les citoyens est inadmissible en démocratie. Dans un pays démocratique, les citoyens ont des droits et des libertés. Il est temps que la Turquie montre si elle est ai ou non une démocratie.
Le premier ministre Recep Tayyip Erdogan et son parti, l'AKP
L'Adalet ve Kalkınma Partisi (AKP ou parti AK), ce qui signifie en turc « le Parti de la Justice et du Développement », est un parti politique turc que l'on peut qualifier de parti centriste de tendance conservatrice. Ce parti, dont le président n'est autre que le premier ministre Recep Tayyip Erdogan, est au pouvoir en Turquie depuis 2002.
Une partie de la population turque s'insurge actuellement contre le premier ministre et son parti et exprime son mécontentement face à la politique menée par le gouvernement actuel. C'est la décision de raser le parc Gezi, voisin de la place Taksim, qui a déclenché une vague de protestation au départ pacifique. Les manifestants ont occupé le parc pour empêcher le début des travaux de démolition, dans l'espoir de parvenir à un dialogue. Cette action a été brutalement réprimée par la police, ce qui a incité de nombreux Turcs à vouloir multiplier les actions plus de plus grande envergure. Mais plus la participation à ces manifestations est importante, plus la police et les forces de l'ordre ont recours à la violence pour les contenir. C'est un cercle vicieux.
Le premier ministre Erdogan, qui conseillait hier aux autorités syriennes de nouer un dialogue avec les manifestants et de discuter franchement et ouvertement avec eux, minimise aujourd'hui la situation dans son propre pays et bloque toute forme de dialogue entre lui (son gouvernement) et les manifestants/opposants au gouvernement.
Depuis le début de son premier mandat déjà, le premier ministre met tout en œuvre pour affaiblir, voire renverser, sous son autorité, les principes de base de la démocratie séculière, en restreignant subrepticement des droits fondamentaux comme la liberté d'expression et la liberté de protester. En dépit d'une croissance de l'économie turque de 300 % ces dix dernières années, le mécontentement gagne une grande partie de la population, ce qui ne présage rien de bon. Ce ne sont pas des raisons socioéconomiques qui poussent les gens à descendre dans la rue, mais le sentiment d'un déficit démocratique. Les (jeunes) citoyens ont le sentiment que leurs droits et libertés ne sont pas respectés comme ils devraient l'être dans une démocratie. Il faut dès lors voir dans cette révolte bien plus qu'un simple mouvement de contestation pour la sauvegarde du parc Gezi. Il s'agit bel et bien d'une lutte inspirée par la crainte d'un régime autoritaire qui cherche à imposer des valeurs trop conservatrices à la société.
Depuis le début de son mandat, le premier ministre Erdogan et son parti conservateur ont clairement bridé le droit à la liberté d'expression. Aucun pays au monde ne compte autant de journalistes emprisonnés, ce qui fait de la Turquie « la plus grande prison de journalistes au monde ». La plupart de ces journalistes sont incarcérés sans qu'un délit ne soit prouvé dans leur chef, et sans la moindre perspective concrète d'un procès (Rubin, M., « Erdogan's Agenda », http://www.nationalreview.com/article/348422/erdo %C4 %9Fan %E2 %80 %99s-agenda, 16 mai 2013).
Dans l'armée, Erdogan a évincé plusieurs officiers supérieurs d'autres tendances, pour les remplacer par des généraux plus dociles. Selon certaines sources, un officier supérieur « dissident » sur cinq serait emprisonné. Si Erdogan a pu agir de la sorte, c'est parce qu'il a placé les différents pouvoirs sous l'influence de son parti, l'AKP. Le président et le premier ministre turcs sont tous deux issus de l'AKP, de même que la majorité au Parlement. Le parti peut ainsi, gráce à son président qui est aussi le premier ministre, nommer les juges de son choix, dévoués à sa cause.
À côté de cela, un certain ressentiment gagne la société turque dans d'autres domaines. Les femmes qui occupaient naguère de hautes fonctions ont été contraintes d'abandonner celles-ci face à l'idéal conservateur qu'Erdogan leur a imposé: « En Turquie, la femme doit rester au foyer plutôt que de chercher à faire carrière; elle doit avoir au moins trois enfants. » Le premier ministre Erdogan accorde en outre des privilèges aux jeunes qui fréquentent les écoles islamistes, leur facilitant ainsi l'accès à l'université. Cela ne se passait pas comme ça auparavant (J.V.R., « Stapje voor stapje naar een strenger Turkije », Het Laatste Nieuws, 4 juin 2013 et BBC, « Turkey's women struggle for work », 15 octobre 2012.
Une nouvelle loi sévère sur la consommation d'alcool (ratifiée entre-temps par le président Abdullah Gül) a aussi été instaurée dernièrement et les couples s'embrassant dans le métro ont clairement été invités à ne pas afficher leurs sentiments en public. Les jeunes Turcs considèrent ces mesures comme une atteinte de plus à leur liberté.
L'indicateur « Vivre mieux » de l'Organisaation de coopération et de développement économiques (OCDE) ne contredit pas ces considérations. Au contraire, il fait clairement apparaître un niveau de bien-être médiocre en Turquie, du moins si on le compare à celui de trente-six autres pays (http://www.oecdbetterlifeindex.org/).
La vision d'avenir du premier ministre Erdogan et de son parti AK.
L'AKP entend à l'avenir étendre les pouvoirs du président de la Turquie, et ce dans l'optique de l'élection de l'actuel premier ministre Erdogan comme nouveau président en 2014.
Yoeri VASTERSAVENDTS. |
Johan VERSTREKEN. |
Bert ANCIAUX. |
Jean-Jacques DE GUCHT. |
Le Sénat,
A. vu la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948;
B. vu le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) de 1966, auquel la Turquie est partie;
C. vu la résolution (2013/2664(RSP)) votée au Parlement européen, qui déplore les réactions du gouvernement turc et du premier ministre Erdogan et demande à ceux-ci de prendre les mesures nécessaires en vue d'une conciliation, afin de lutter contre une polarisation croissante;
D. vu le statut de la Turquie, qui est candidate à l'adhésion à l'Union européenne, et les négociations d'adhésion en cours entre la Turquie et l'Union européenne;
E. vu la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, à laquelle la Turquie devra aussi souscrire si elle veut devenir membre de l'Union européenne et dont elle semble s'écarter de plus en plus;
F. vu la déclaration de Catherine Ashton, haute représentante de l'Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité, en date du 2 juin;
G. vu l'appel lancé par les Nations unies en faveur de l'autorisation des manifestations pacifiques;
H. vu le grand nombre de journalistes, étudiants, manifestants et officiers militaires emprisonnés arbitrairement;
I. considérant que les manifestations en Turquie ont commencé dans la ville d'Istanbul et se sont ensuite rapidement étendues à d'autres grandes villes du pays que le mouvement de protestation ne se limite donc pas à la question du parc Gazi;
J. considérant que les manifestations ont été réprimées avec violence sur ordre du gouvernement turc;
K. considérant qu'il existe d'autres évolutions positives, dont un train de réformes en matière de Justice adopté récemment par le Parlement turc et des avancées positives dans les négociations avec les Kurdes,
Demande au gouvernement fédéral, à la fois par le biais d'une position ferme de l'Union européenne et par la voie bilatérale:
1. d'adresser au gouvernement turc un signal fort indiquant qu'il condamne le recours à la violence policière contre des manifestants pacifiques et désapprouve la violation de la liberté de manifester;
2. d'appeler la Turquie à éviter une polarisation croissante en trouvant une solution par la voie démocratique;
3. d'insister sur la nécessité, d'une part, d'éviter une dictature de la majorité et, d'autre part, de garantir et respecter les droits des minorités, ainsi qu'il sied à toute démocratie;
4. d'ouvrir un dialogue direct avec les autorités turques afin que soit garanti à tout citoyen le libre exercice de ses droits fondamentaux, parmi lesquels — mais pas uniquement — la liberté de la presse, la liberté d'expression et la liberté de manifester;
5. d'insister, dans le cadre des négociations d'adhésion, sur le respect et la sauvegarde des valeurs fondamentales et universelles visées dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, comme une condition à l'adhésion; à cet égard, il convient d'accorder une attention spécifique, mais pas exclusive, à l'égalité hommes/femmes, à la liberté de la presse, à la liberté d'expression, à l'égalité de tous les individus, indépendamment du contexte culturel, ethnique, politique et social dans lequel ils vivent ou de leur orientation sexuelle, à la séparation de la religion et de l'État et à la liberté religieuse;
6. d'aider la Turquie à être durablement un État de droit démocratique et séculier.
13 juin 2013.
Yoeri VASTERSAVENDTS. |
Johan VERSTREKEN. |
Bert ANCIAUX. |
Jean-Jacques DE GUCHT. |