5-1873/3

5-1873/3

Sénat de Belgique

SESSION DE 2012-2013

8 MAI 2013


Proposition de loi complétant la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins de blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, en vue d'élargir la compétence de contrôle de la Cellule de traitement des informations financières en ce qui concerne l'extrémisme


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES FINANCES ET DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES PAR

MME TALHAOUI ET M. MORAEL


I. INTRODUCTION

La proposition de loi « complétant la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, en vue d'élargir la compétence de contrôle de la Cellule de traitement des informations financières en ce qui concerne l'extrémisme » (doc. Sénat, nº 5-1873/1) a été déposée par M. Vastersavendts et consorts le 4 décembre 2012. Après le renvoi par la séance plénière le 6 décembre 2012, la commission des Finances et des Affaires économiques a examiné la proposition de loi faisant l'objet du présent rapport au cours des réunions du 30 janvier 2013, du 5 février 2013 et du 23 avril 2013.

II. EXPOSÉ INTRODUCTIF DE L'AUTEUR PRINCIPAL DE LA PROPOSITION DE LOI, M. YOERI VASTERSAVENDTS

Lors de la discussion du rapport annuel 2011 de la Cellule de traitement des informations financières (CTIF), il est apparu que les enquêtes effectuées par la CTIF sur le financement du terrorisme sont efficaces dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. L'intervenant cite l'extrait suivant du rapport annuel 2011 de la CTIF (page 93): « La part limitée des dossiers en relation avec le financement du terrorisme — en ce compris le financement de la prolifération — dans le total des dossiers transmis en 2011 ne signifie pas que la CTIF sous-évalue l'importance des investigations financières pour lutter contre le financement du terrorisme. De telles enquêtes ne vont peut-être pas permettre de déjouer des actions ponctuelles ou des attentats mais peuvent contribuer à empêcher des organisations terroristes ou des États de mettre en place des infrastructures ou de créer un climat favorable à la prolifération de telles actions violentes. »

La CTIF reconnaît qu'il lui est parfois très difficile de faire la distinction entre l'extrémisme et le terrorisme. Alors qu'elle est habilitée à examiner les comptes des organisations visées par des dossiers de terrorisme, elle ne l'est pas dans le cas de dossiers d'extrémisme. Les auteurs de la proposition de loi à l'examen estiment qu'il est plus que jamais opportun que la CTIF ait également un droit de regard sur les transactions financières dans les dossiers d'extrémisme. La proposition de loi a donc pour objet de remédier à cette lacune dans la législation actuelle.

M. Vastersavendts signale encore que, lors de la présentation de son rapport annuel 2010, la CTIF a explicitement demandé à pouvoir également mener des enquêtes dans le cadre de dossiers d'extrémisme.

En réponse à une question écrite posée le 26 mai 2011 par M. De Croo aux ministres de la Justice et des Finances, ces derniers ont déclaré ce qui suit:« Il apparaît, suite aux constatations de la CTIF, qu'il existe cependant un risque en l'état actuel de la législation de ne pas toujours pouvoir aboutir à la transmission d'informations pertinentes en la matière. Sur la base de ces constatations, il serait en effet souhaitable de préciser l'énumération prévue à l'article 5 de la loi du 11 janvier 1993 précitée en ajoutant la notion d'extrémisme, telle qu'elle est définie dans la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité. » (questions écrites nos 5-2390 et 5-2391 de M. Alexander De Croo, Sénat, 26 mai 2011). M. Vastersavendts signale par ailleurs qu'il arrive qu'une partie des allocations sociales versées contribuent, par toutes sortes de voies détournées, au financement d'objectifs extrémistes voire terroristes. La CTIF a transmis, en 2009 et 2010, plusieurs dossiers d'acquisition de biens immobiliers par des ASBL à caractère religieux. Ces acquisitions sont en général réalisées avec des fonds qui ont été préalablement versés en espèces sur les comptes de l'ASBL et qui proviennent de dons personnels.

La proposition de loi à l'examen vise dès lors à ajouter la notion d'« extrémisme », telle qu'elle est définie dans la loi du 30 novembre 1998, à l'énumération prévue à l'article 5 de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme.

III. DISCUSSION

a) Discussion générale

Réunion du 30 janvier 2013

M. Marc Penna, représentant de la CTIF, déclare que la CTIF soutient la proposition de loi. Lors de ses enquêtes, la CTIF a effectivement des difficultés à distinguer les transactions financières qui financent directement le terrorisme de celles qui le financent indirectement en soutenant des activités extrémistes. Actuellement, la CTIF doit classer sans suite les dossiers de financement indirect alors que ceux-ci pourraient également contenir des informations essentielles ayant un lien, certes indirect, avec des activités terroristes. L'intervenant confirme également que la CTIF a constaté que des allocations sociales étaient directement versées soit à des organisations qui financent des activités terroristes, soit à des ASBL qui soutiennent financièrement l'extrémisme et la radicalisation. L'intervenant estime qu'il est important d'inscrire le « financement de l'extrémisme » dans la loi du 11 janvier 1993. M. Penna précise encore que comme telle, la CTIF n'a pas de véritable pouvoir de contrôle: la cellule examine les transactions financières signalées comme potentiellement suspectes et transmet au besoin les résultats de l'enquête aux services de contrôle compétents.

Mme Talhaoui estime qu'il est essentiel de définir très précisément le terme « extrémisme », surtout s'il est utilisé dans le contexte du droit pénal. En effet, l'extrémisme se décline sous les formes les plus diverses, il peut se revendiquer aussi bien de gauche que de droite, ou émerger d'une mouvance tantôt religieuse, tantôt écologique, etc. L'intervenante aimerait donc que les auteurs de la proposition de loi définissent avec précision la notion « d'extrémisme » ajoutée à la loi du 11 janvier 1993.

M. Sannen, coauteur de la proposition de loi, précise que les développements définissent la notion « d'extrémisme », en renvoyant à l'article 8, 1, c), de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité: « extrémisme: les conceptions ou les visées racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires, qu'elles soient à caractère politique, idéologique, confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou en pratique, aux principes de la démocratie ou des droits de l'homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l'État de droit; ».

Mme Arena déclare que le groupe PS a pris connaissance de la proposition de loi avec intérêt. Elle aussi souhaitait une définition plus précise de la notion « d'extrémisme » et elle l'a trouvée dans les développements de la proposition de loi (doc. Sénat, nº 5-1873/1, p. 4, avant-dernier paragraphe). Elle souligne que le lien établi avec la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité est pour elle essentiel. Il n'est en aucun cas question d'aboutir à une autre définition de l'extrémisme.

M. Schouppe déclare comprendre les réticences exprimées par Mme Talhaoui lors de son intervention. Même si M. Penna, représentant de la CTIF, a parlé d'extrémisme et de radicalisme, il serait saurait être question d'ajouter de nouvelles interprétations à la notion « d'extrémisme ». Le CD&V estime également qu'il ne faut retenir qu'une seule définition de l'extrémisme, celle énoncée par l'article 8, 1, c), de la loi du 30 novembre 1998. La liberté d'opinion est un principe garanti par la Constitution (article 19) que l'on ne peut pas limiter sans plus.

M. Daems se rallie à l'intervention de M. Schouppe pour qui il faut être prudent lorsqu'on introduit de nouvelles définitions, parce qu'elles sont susceptibles de restreindre la liberté d'opinion. L'intervenant souhaite donc que les auteurs de la proposition de loi confirment à nouveau de manière explicite que pour l'application du nouveau § 2/1 inséré dans l'article 5 de la loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, le terme « extrémisme » sera utilisé uniquement dans le sens défini par l'article 8, 1, c), de la loi du 30 novembre 1998.

M. Boogaerts insiste également sur une définition claire de la notion « d'extrémisme ».

M. Penna, représentant de la CTIF, répète que la CTIF vise uniquement « l'extrémisme » dans le cadre de la lutte contre le financement d'actes de violence et de terrorisme, et rien de plus. C'est d'ailleurs la mission qui lui incombe.

L'auteur principal de la proposition de loi, M. Vastersavendts, rappelle une nouvelle fois que la proposition de loi trouve son origine dans certaines constatations faites par la CTIF dans le cadre d'une des missions qu'elle exerce en vertu de la loi du 11 janvier 1993, à savoir le traitement et la transmission d'informations en vue de la lutte contre le financement du terrorisme. La constatation a été faite que le terrorisme est financé par l'intermédiaire de mouvements extrémistes. C'est ce qui explique la demande d'élargissement de la compétence de la CTIF à cet égard. Pour la définition de « l'extrémisme », il est fait exclusivement référence à la définition qui figure à l'article 8, 1, c), de la loi du 30 novembre 1998. En d'autres mots, une modification de cette loi n'est pas à l'ordre du jour.

La CTIF n'effectue pas de contrôles. Il s'agit d'une autorité administrative indépendante dotée de la personnalité juridique, qui est chargée de traiter et de transmettre des informations en vue de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, notamment le financement de la prolifération d'activités nucléaires sensibles ou la mise au point de vecteurs d'armes nucléaires.

La commission aimerait connaître le plus rapidement possible l'avis du gouvernement sur la proposition de loi.

Réunion du 5 février 2013

M. Crombez, secrétaire d'État à la Lutte contre la fraude sociale et fiscale, précise la position du gouvernement comme suit. Une importance de tout premier ordre est accordée à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme, et ce tant au niveau international que sur le plan européen. Aujourd'hui encore a été publiée une communication de la Commission européenne mettant l'accent sur la lutte contre le blanchiment d'argent: deux directives relatives au trafic de drogue, au financement du terrorisme, au trafic d'armes, etc., y sont annoncées.

En ce qui concerne la proposition de loi à l'examen, le secrétaire d'État estime que sa teneur s'inscrit dans le droit fil des initiatives déployées en la matière aux niveaux international et européen. Il exprime dès lors son soutien à la proposition de loi.

M. Schouppe souhaite que le gouvernement lui dise si la Commission européenne prépare des mesures similaires et si, par conséquent, celles-ci feront l'objet d'une directive, ou si l'on peut attendre une initiative en la matière de la part du gouvernement fédéral. L'intervenant émet en effet des réserves à propos d'une interprétation éventuellement très extensive de la notion d'« extrémisme ». Selon lui, la définition de l'extrémisme figurant à l'article 8, 1, c), de la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité se prête quand même à une large interprétation. L'intervenant déclare en outre être partisan de la possibilité d'associer une telle initiative législative à une réglementation internationale ou européenne.

M. Laaouej souscrit en grande partie à l'intervention de M. Schouppe. Il souhaite, par la même occasion, souligner que le groupe PS soutient en tout cas l'objectif de la proposition de loi. Néanmoins, il est plutôt favorable à l'insertion de pareille mesure dans le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude, annoncé par le gouvernement.

M. Vastersavendts, l'auteur principal de la proposition de loi, déclare qu'il ne comprend pas bien l'inquiétude du groupe CD&V face à la proposition à l'examen. Il renvoie donc une fois encore à la réponse que les ministres des Finances et de la Justice ont donnée le 26 mai 2011 à la question écrite de M. Alexander De Croo, alors sénateur: « Il apparaît, suite aux constatations de la CTIF, qu'il existe cependant un risque en l'état actuel de la législation de ne pas toujours pouvoir aboutir à la transmission d'informations pertinentes en la matière. Sur la base de ces constatations, il serait en effet souhaitable de préciser l'énumération prévue à l'article 5, § 1er, de la loi du 11 janvier 1993 précitée en ajoutant la notion d'extrémisme, telle qu'elle est définie dans la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité. La CTIF, tout en ayant une finalité judiciaire, répond en effet aux normes internationales des Cellules de renseignement financier. Le renvoi à une définition prévue dans un texte légal visant le renseignement peut donc constituer une référence suffisante pour compléter le champ d'action de la mission opérationnelle. » (questions écrites nos 5-2390 et 5-2391 de M. Alexander De Croo, Sénat, 26 mai 2011). En d'autres termes, les deux ministres ont répondu qu'il serait souhaitable d'ajouter la notion d'« extrémisme » à l'article 5 de la loi du 11 janvier 1993.

En outre, M. Vastersavendts souligne que la définition de l'extrémisme figurant à l'article 8, 1, c), de la loi du 30 novembre 1998 n'a, jusqu'à présent, causé aucun problème d'interprétation. L'article en question dispose explicitement que les pratiques sont « contraires, en théorie ou en pratique, aux principes de la démocratie ou des droits de l'homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l'État de droit ». Selon l'intervenant, cette disposition garantit suffisamment l'interprétation correcte de la notion d'« extrémisme ». L'auteur principal demande dès lors aux commissaires d'accorder leur soutien à la proposition de loi, car elle constituerait un bon complément à la législation actuelle en vue d'identifier des flux financiers et d'empêcher que des groupements extrémistes ne sponsorisent des activités terroristes.

M. Sannen, coauteur de la proposition de loi, se rallie sans réserve à l'intervention du préopinant et plaide pour le maintien de la définition de la notion d'« extrémisme » de l'article 8, 1, c), de la loi du 30 novembre 1998. Il rappelle que la CTIF n'exerce pas une compétence de contrôle mais collecte et transmet des informations.

M. Schouppe précise sa préoccupation en citant un passage qu'il a retrouvé à la page 93 du rapport annuel 2011 de la CTIF: « De l'analyse des dossiers, il ressort en effet que les transactions financières servent surtout à soutenir financièrement des organisations qui répandent des idées extrémistes. Gráce à ce soutien financier, ces organisations extrémistes peuvent à long terme constituer une source pour des activités terroristes, souvent dans des régions de conflit à l'étranger. La loi donne des compétences à la CTIF uniquement en matière de financement du terrorisme et pas en matière de financement de l'extrémisme. En pratique, la limite entre terrorisme et extrémisme est très mince et les compétences limitées de la CTIF font qu'elle doit se concentrer sur les organisations qui figurent sur les listes de terroristes. Une extension du champ d'application de la loi au financement de l'extrémisme permettrait à la CTIF en collaboration avec les partenaires dans ces matières — police, parquet fédéral et services de renseignements — de jouer un rôle plus proactif dans l'approche du terrorisme et de stopper le développement financier et logistique de ces réseaux extrémistes à un stade plus précoce. » M. Schouppe partage cette approche, car la CTIF prouve ici elle-même que l'extrémisme est un terreau fertile pour le terrorisme.

M. Sannen fait remarquer que l'interprétation citée par M. Schouppe ne propose aucune nouvelle définition de la notion d'« extrémisme ».

M. Schouppe l'admet; toutefois, la CTIF établit formellement, dans son interprétation, le lien entre extrémisme et terrorisme pour justifier l'extension de ses compétences, ce qui est d'une importance cruciale pour l'intervenant. Il s'agit d'un ajout important dans les développements de la proposition de loi.

M. Vastersavendts insiste une fois encore sur le fait que la définition de la notion d'« extrémisme », telle qu'elle figure à l'article 8, 1, c), de la loi du 30 novembre 1998, a déjà prouvé son utilité. C'est cette définition, certes assez vaste, qui sera désormais utilisée dans une loi visant à prévenir le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Dans cette perspective, la définition de l'« extrémisme » peut être suffisamment large, du moins en ce qui concerne l'intervenant.

Mme Talhaoui fait remarquer qu'elle a, elle aussi, déjà fait part de ses réserves au cours de la réunion précédente: le terrorisme est toujours de l'extrémisme, mais l'extrémisme n'est pas toujours nécessairement du terrorisme. C'est pour cette raison que sont établies, au niveau européen ainsi qu'au niveau des États (services de renseignement), des listes de groupements extrémistes susceptibles de commettre des actes de terrorisme. L'intervenante propose également d'insérer dans le dispositif de la proposition de loi — en plus de la référence à la définition de l'extrémisme, visée à l'article 8, 1, c), de la loi du 30 novembre 1998 — une définition telle que celle utilisée par exemple au niveau européen ou par la Sûreté de l'État. Il ne faut pas perdre de vue que la loi pénale doit être interprétée de manière restrictive. Tout le monde doit savoir clairement ce qui est punissable.

M. Sannen, président, retient des interventions qu'il est important d'établir un lien manifeste entre extrémisme et terrorisme pour justifier l'élargissement des compétences de la CTIF. Il s'agit d'être en mesure de révéler les liens financiers entre des organisations extrémistes et des activités terroristes.

Le secrétaire d'État à la Lutte contre la fraude sociale et fiscale déclare soutenir la demande d'élargissement des compétences formulée par la CTIF et rappelée dans la justification citée par M. Schouppe. Cette mesure permettra assurément de renforcer le fonctionnement de la CTIF. Mais l'intervenant demande aux membres de la commission de clarifier eux-mêmes la discussion relative aux définitions avant d'approuver le texte de la proposition de loi.

M. Vastersavendts précise qu'il faut effectivement démontrer que les moyens financiers des organisations extrémistes servent au terrorisme et alimentent les flux financiers entre ces organisations et le terrorisme. L'intervenant préparera un amendement dans ce sens et le soumettra à la signature des commissaires.

Réunion du 23 avril 2013

Mme Maes commente le point de vue du groupe N-VA comme suit.

Les auteurs de la proposition de loi à l'examen et, par extension, les signataires de l'amendement, souhaitent étendre, dans des proportions limitées, les táches de la CTIF de manière que celle-ci puisse exercer sa compétence de contrôle dans le domaine non seulement du terrorisme mais aussi de l'extrémisme. La CTIF a en effet constaté que la frontière entre ces deux phénomènes est très ténue.

Il est incontestable que l'extrémisme peut inciter au terrorisme. Il n'en reste pas moins qu'il existe, sur le plan juridique, une nette distinction entre les deux concepts.

Si le terrorisme est une infraction, l'extrémisme ne l'est généralement pas:

« Constitue une infraction terroriste, l'infraction prévue aux §§ 2 et 3 qui, de par sa nature ou son contexte, peut porter gravement atteinte à un pays ou à une organisation internationale et est commise intentionnellement dans le but d'intimider gravement une population ou de contraindre indûment des pouvoirs publics ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte, ou de gravement déstabiliser ou détruire les structures fondamentales politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d'un pays ou d'une organisation internationale. » (article 137, § 1er, du Code pénal).

On entend par « extrémisme » les conceptions ou les visées racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires, qu'elles soient à caractère politique, idéologique, confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou en pratique, aux principes de la démocratie ou des droits de l'homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l'État de droit (article 8, 1, c), de la loi 30 novembre 1998). Ainsi, les personnes qui ont saccagé des plants de pommes de terre OGM peuvent, aux termes de cette définition, être considérées comme des extrémistes.

En soi, l'extrémisme n'est pas une infraction pénale, même si toute activité individuelle ou collective qui peut avoir un rapport avec celui-ci et qui est déployée à l'intérieur du pays ou à partir de l'étranger (1) constitue ou pourrait constituer une menace pour un État de droit démocratique. Hormis le racisme et la xénophobie, les délits d'opinion ne sont pas des infractions.

En insérant la notion d'extrémisme dans la loi visant à prévenir le blanchiment d'argent, on introduit une dérogation particulière au principe du contrôle de l'origine de capitaux ou de biens liés au blanchiment de capitaux ou au financement du terrorisme. En effet, la législation actuelle prévoit que l'origine de capitaux ou de biens est illicite dès lors qu'elle est liée à un délit sous-jacent.

Les auteurs souhaitent donc lutter contre le financement de l'extrémisme, bien que les délits d'opinion ne constituent pas en soi une infraction. La proposition de loi prévoit à cet égard une extension des táches de la CTIF afin qu'elle puisse enquêter sur le financement d'activités extrémistes individuelles ou collectives et transmettre les informations y afférentes au parquet. En effet, il n'existe actuellement aucune base légale permettant à la CTIF de transmettre aux autorités judiciaires des informations relatives à des opérations de blanchiment ou de financement du terrorisme si la seule activité à la base de celles-ci se révèle être liée à l'extrémisme, sans qu'il soit possible de retenir une autre infraction visée par la loi visant à prévenir le blanchiment d'argent.

On peut se demander si la solution préconisée par les auteurs de l'amendement est vraiment adaptée à un État de droit démocratique. En effet, ils entendent avant tout donner à la CTIF une compétence de contrôle en matière d'extrémisme. Or, l'adaptation légistique choisie va plus loin que cet objectif. L'insertion du concept « extrémisme » dans la liste des infractions sous-jacentes au blanchiment d'argent — ce qui est une contradiction en soi puisque l'extrémisme n'est pas une infraction en règle générale — aura pour conséquence que toutes les obligations imposées par la loi visant à prévenir le blanchiment d'argent s'appliqueront au financement de l'extrémisme. Ainsi, toutes les personnes et organismes soumis à déclaration devront contrôler leurs clients afin de voir:

— premièrement, si elles ont des conceptions ou des visées extrémistes;

— deuxièmement, si la transaction financière a trait à des activités liées à ce genre de convictions.

Il s'ensuit que des dizaines de milliers de personnes travaillant dans des établissements financiers ou qui exercent une profession libérale devront sonder leur clients afin de connaître leurs opinions. À cet effet, les personnes et organismes soumis à déclaration devront mettre en œuvre des mesures et des procédures de contrôle interne adéquates en vue d'assurer le respect de cette obligation. Conformément à la loi visant à prévenir le blanchiment d'argent, elles devront prévoir des procédures de communication et de centralisation des informations afin de prévenir, de détecter et d'empêcher la réalisation d'opérations liées à l'extrémisme. Les organismes et les personnes soumis à déclaration doivent exercer une vigilance constante à l'égard de la relation d'affaires et procéder à un examen attentif des opérations effectuées et, si nécessaire, de l'origine des fonds, et ce, afin de s'assurer que celles-ci sont cohérentes avec la connaissance qu'ils ont de leur client, de ses activités professionnelles et de son profil de risque.

S'ils savent ou soupçonnent qu'une opération à exécuter est liée en particulier à l'extrémisme, ils devront, avant de l'exécuter, en informer par écrit ou par voie électronique la Cellule de traitement des informations financières, laquelle pourra éventuellement s'opposer à l'exécution de l'opération.

La CTIF communique les conclusions de l'examen auquel elle a procédé si celui-ci fait apparaître un indice sérieux de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme. La question est de savoir à quelle instance la CTIF doit transmettre ses informations si elle constate que certaines opérations financières sont liées à l'extrémisme. Au parquet ? Probablement pas, puisque les délits d'opinion ne constituent pas en principe une infraction. À la Sûreté de l'État ou au Service général du renseignement et de la sécurité des Forces armées ? Probablement pas. La loi du 11 januari 1993 ne prévoit pas cette possibilité. Elle dispose simplement que la Cellule avertit la Sûreté de l'État ou le Service général du renseignement et de la sécurité des Forces armées de la transmission d'informations si ces organismes eux-mêmes lui ont communiqué des renseignements (article 35, dernier alinéa, de la loi du 11 janvier 1993).

Mme Maes se penche ensuite sur la question de la proportionnalité de la proposition de loi.

Les activités de la Sûreté de l'État et du Service général du renseignement et de la sécurité des Forces armées sont contrôlées de l'extérieur par le Comité permanent R, qui fait partie du pouvoir législatif. Selon l'intervenante, seules ces institutions sont aujourd'hui habilitées à dépister l'extrémisme, et disposent pour ce faire de méthodes particulières de recherche.

En outre, la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité prévoit explicitement qu'elles peuvent demander des informations à propos de comptes bancaires et d'opérations bancaires auprès des institutions financières (article 18/15 de la loi du 30 novembre 1998).

Les services de renseignements disposent d'ores et déjà de la compétence que la proposition de loi entend accorder à la CTIF, à la différence près qu'ils sont sous le contrôle du Comité permanent R.

De plus, la loi organique des services de renseignement et de sécurité règle la conservation et la destruction des données traitées par les deux services (article 21 de la loi du 30 novembre 1998). La loi relative à la prévention du blanchiment (loi du 11 janvier 1993) contient-elle une disposition similaire vis-à-vis de la CTIF ?

La question se pose de savoir si la proposition de loi à l'examen est proportionnelle à l'objectif poursuivi, eu égard à la liberté d'opinion garantie par la Constitution.

Le groupe N-VA aimerait à tout le moins poser cette question à la section de législation du Conseil d'État, avant de passer au vote.

M. Schouppe déclare ne pas bien comprendre la question de Mme Maes et reprécise à nouveau le but de la proposition de loi: évaluer le caractère extrémiste ou potentiellement terroriste des activités éventuellement déployées par certaines organisations constitue un exercice délicat. Lors de l'analyse de ce genre de dossiers, la CTIF essaie de mettre en lien les informations financières avec les informations spécifiques disponibles auprès de services spécialisés. Les contacts avec la Cellule « Terrorisme et Sectes » de la police, le parquet fédéral, l'Organe pour la coordination et l'analyse de la menace (OCAM), la Sûreté de l'État et le Service général du renseignement et de la sécurité (SGRS) de l'armée sont donc cruciaux dans l'analyse du financement du terrorisme. Le fait que celle-ci ne puisse jusqu'à présent intervenir que dans les cas de terrorisme, et non d'extrémisme, constitue peut-être une occasion manquée. Les extrémistes peuvent en effet financer des bases de repli et des réseaux de soutien du terrorisme échappant à tout contrôle de la CTIF. Cette extension limitée de la compétence de la CTIF a donc été exclusivement dictée par le souci de la protection de notre démocratie. C'est également dans ce sens qu'il faut comprendre l'amendement nº 1 déposé par les partis de la majorité.

Mme Maes rétorque qu'en ajoutant « le financement de l'extrémisme » à l'article 5 de la loi du 11 janvier 1993, on n'étend pas seulement la compétence de la CTIF, mais aussi celle de tous les déclarants au sens de la loi. D'après la sénatrice, cela risque d'hypothéquer l'efficacité de la nouvelle mesure. M. Vastersavendts se rallie à l'intervention précédente de M. Schouppe et souligne à nouveau que la modification de loi proposée répond à une demande légitime de la CTIF. Le texte légal n'établit pas de nouvelles définitions, il fait seulement référence à des définitions existantes disposant déjà d'un ancrage légal.

La commission ne répond pas favorablement à la proposition du groupe N-VA de demander l'avis de la section de législation du Conseil d'État sur la proposition de loi à l'examen.

b) Discussion de l'amendement global

Amendement nº 1

MM. Vastersavendts et Schouppe et consorts déposent l'amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 5-1873/2) qui vise à remplacer l'ensemble du texte de la proposition de loi initiale.

L'auteur principal, M. Vastersavendts, commente l'amendement en ces termes. L'examen de la proposition de loi a mis en lumière la nécessité de définir clairement, dans le cadre des travaux parlementaires, ce qu'il y a lieu d'entendre en l'espèce par « extrémisme » et d'intégrer cette définition dans les développements de la proposition de loi ainsi que dans le commentaire des articles.

M. Laaouej déclare que le groupe PS soutiendra l'amendement global n 1. La proposition de loi s'inscrit clairement dans le contexte de la réglementation relative à la prévention du blanchiment: il est d'avis que la CTIF ne reçoit pas de réelles nouvelles compétences. La CTIF pourra seulement inventorier avec davantage d'efficacité les flux financiers qui pourront ensuite être transmis pour plus ample examen aux services de contrôle de l'État, c'est-à-dire au fisc et à la Justice. Autrement dit, aucune modification n'est apportée au droit pénal.

L'intervenant poursuit en expliquant qu'il est toujours très délicat de définir une notion telle que l'extrémisme. En effet, il en existe plusieurs formes et la définition de l'extrémisme peut varier considérablement dans le temps. En raison de leurs convictions idéologiques, certains groupes peuvent avoir des idées fort extrémistes, mais ne représentent pas nécessairement une menace pour l'ordre démocratique et constitutionnel. C'est la raison pour laquelle M. Laaouej est très satisfait des réserves et précisions formulées par M. Schouppe, qui ont finalement conduit au dépôt de l'amendement nº 1 de MM. Vastersavendts et Schouppe, et consorts. L'intervenant souhaite souligner les passages suivants des développements, qu'il cite ci-dessous:

« Pour la définition de l'« extremisme », il est renvoyé à la définition donnée dans la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité. Ce phénomène, tel qu'il est visé dans cette loi, qualifie uniquement des activités qui menacent ou pourraient menacer, entre autres, la sûreté intérieure et extérieure de l'État ainsi que la pérennité de l'ordre démocratique et constitutionnel ...

... Une extension du champ d'application de la loi au financement de l'extrémisme permettrait à la CTIF en collaboration avec les partenaires dans ces matières — police, parquet fédéral et services de renseignements — de jouer un rôle plus proactif dans l'approche du terrorisme et de stopper le développement financier et logistique de ces réseaux extrémistes à un stade plus précoce. » » (doc. Sénat, nº 5-1873/2, pp. 5-6)

IV. VOTES

L'amendement nº 1 de MM. Vastersavendts et Schouppe et consorts est adopté par 8 voix contre 1.

Les articles 1er à 3 amendés, ainsi que l'ensemble de la proposition de loi amendée, sont adoptés par 7 voix contre 1 et 1 abstention.


Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 11 membres présents.

Les rapporteurs, Le président,
Fauzaya TALHAOUI. Jacky MORAEL. Ludo SANNEN.

Texte adopté par la commission (voir le doc. Sénat, nº 5-1873/4 — 2012/2013).


(1) En ce compris la diffusion de propagande, l'encouragement ou le soutien direct ou indirect, notamment par la fourniture de moyens financiers, techniques ou logistiques, la livraison d'informations sur des objectifs potentiels, le développement des structures et du potentiel d'action et la réalisation des buts poursuivis.