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M. Gérard Deprez (MR). - La saisie sur salaire permet au créancier, après jugement d'un tribunal, de prélever directement une partie des revenus du débiteur pour le remboursement de sa dette. Un huissier est chargé de signaler ce jugement à l'employeur, qui doit alors verser directement au créancier saisissant les sommes retenues sur la rémunération du travailleur.
Toutefois, seule une certaine quotité de cette rémunération peut être saisie. Ces plafonds sont adaptés chaque année. Ainsi, depuis le 1er janvier 2013, la saisie sur salaire n'est possible que chez les personnes gagnant plus de 1 059 euros nets par mois, contre 1 037 euros nets par mois en 2012. La différence est minime.
La rétention de salaire semble ne plus être un phénomène marginal dans notre pays. En effet, les quotidiens Het Belang van Limburg et Gazet van Antwerpen ont récemment rapporté, sur la base des chiffres du secrétariat social SD Worx, que pour l'année 2012, plus de 11 000 Belges encore endettés avaient été saisis sur salaire. Or, en 2008, ils n'étaient « que » 8 303 à avoir subi une telle rétention. La hausse est donc de 40% en comparaison avec le début de la crise économique.
D'après Dirk van Bastelaere, porte-parole du secrétariat social SD Worx, ce sont surtout les propriétaires, les hôpitaux et les opérateurs de téléphonie mobile qui revendiquent leur argent de cette manière. Le fait que certaines entreprises et banques réagissent plus rapidement lorsqu'un ou plusieurs paiements dus se font attendre pourrait expliquer cette hausse.
À ce propos, j'ai déposé avec d'autres sénateurs de mon groupe une proposition de loi visant à renforcer la protection du consommateur dans le cadre d'un recouvrement amiable des dettes. Cette proposition vise principalement la mise en place d'un contrôle plus efficace des pratiques de certains huissiers de justice qui, bien souvent, assignent trop rapidement les consommateurs en justice au lieu de privilégier un recouvrement à l'amiable. Ce comportement est contraire à leur déontologie, qui oblige l'huissier à choisir la possibilité de recouvrement la moins onéreuse pour le consommateur et à éviter une procédure judiciaire dont les coûts seraient disproportionnés par rapport aux montants en jeu.
Je ne résiste d'ailleurs pas au plaisir, madame la ministre, de me référer à un rapport qui vient d'être établi par la Commission des Communautés européennes, intitulé « Tableau de bord de la justice dans l'Union européenne ». Ce rapport fait l'inventaire des performances des systèmes judiciaires dans les différents pays de l'Union européenne. On y constate - cela ne vous surprendra pas - le mauvais classement de la Belgique en matière d'arriéré judiciaire. Dans d'autres domaines, elle est tout simplement absente du classement car, contrairement à Chypre, par exemple, elle n'a pas fourni les données nécessaires.
Cependant, la Belgique figure parmi les meilleurs élèves de l'Union européenne quant à la rapidité en matière de récupération des créances ; elle occupe en effet la deuxième place, juste derrière l'Irlande.
Madame la ministre, confirmez-vous les chiffres que je viens de citer et disposez-vous d'informations plus précises au sujet des caractéristiques des personnes concernées, en matière de revenu, de localisation et de statut ?
Si elle est confirmée, cette hausse de 40% s'explique bien évidement par la crise économique que nous connaissons actuellement et qui frappe durement certaines catégories sociales.
Mais ne s'expliquerait-elle pas également - je dispose d'informations en ce sens - par les pratiques de certains huissiers de justice qui ont tendance à procéder à un recouvrement judiciaire accéléré ? Dans l'affirmative, n'estimez-vous pas qu'il faille organiser un meilleur contrôle sur cette pratique ?
Mme Annemie Turtelboom, ministre de la Justice. - Le SPF Justice ne peut confirmer ces données car il ne tient pas à jour de tels chiffres. D'ailleurs, la saisie-arrêt-exécution n'est en principe pas soumise au juge des saisies, sauf en cas d'opposition.
Le SPF Justice est donc dans l'impossibilité de tenir à jour des chiffres sur cette question, via les greffes par exemple. Il ressort des contacts avec la Chambre nationale des huissiers de justice que celle-ci conserve des chiffres sur les saisies en général, mais pas spécifiquement sur la catégorie Saisies sur salaire.
Des entreprises comme SD Worx interviennent en tant que secrétariat social et règlent l'administration des salaires de leurs clients. En tant que tels, il arrive que ces établissement aient une certaine vue sur les saisies sur salaire qu'ils gèrent administrativement mais cette approche nous paraît limitée. En effet, toutes les sociétés ne font pas appel à de tels services. Il est donc difficile d'évaluer dans quelle mesure ces chiffres donnent une image fiable.
Lorsqu'un créancier fait procéder à une saisie sur salaire, sur la base d'un titre exécutoire obtenu par jugement, la procédure juridique est déjà passée. La saisie sur salaire est simplement l'exécution du jugement et, je le répète, le juge des saisies n'est pas impliqué dans cette exécution, sauf en cas de problème.
La phase de l'éventuelle solution amiable du litige, c'est-à-dire le moment où il est encore possible d'éviter une procédure juridique, est donc terminée depuis longtemps lorsque survient le moment de l'exécution. Certes, on demandera toujours au débiteur de respecter volontairement le jugement, attitude favorable à toutes les parties. Mais si ce n'est pas le cas, il ne reste plus que l'exécution forcée.
Jusqu'à présent, nous n'avons pas reçu d'éléments portant à croire que des huissiers de justice ne respectent pas leur déontologie, dans la phase qui précède la saisine du litige ou dans celle de l'exécution.
Enfin, il convient également de souligner que l'huissier de justice est tenu de respecter les souhaits de son client. Personne ne peut empêcher qu'un créancier cite son débiteur, pas même un huissier de justice. De même, personne ne peut empêcher qu'un créancier muni d'un titre exécutoire procède à l'exécution forcée.
M. Gérard Deprez (MR). - Je remercie respectueusement la ministre de la Justice pour la manière dont elle n'a pas répondu à ma question. (Rires)
(Mme Sabine de Bethune, présidente, prend place au fauteuil présidentiel.)
Je ne suis pas surpris que Mme Turtelboom ne dispose pas de données spécifiques aux saisies sur salaire. Le fait n'est pas nouveau puisque le rapport européen que j'ai cité, « Tableau de bord de la Justice dans l'Union Européenne », indique que la Belgique est le pays qui se distingue le plus de tous les autres par son incapacité à fournir les données demandées par les institutions européennes, que ce soit en matière d'arriéré, d'évaluation et même de ressources financières consacrées à la justice, etc.
Ensuite, madame la ministre, vous avez répondu à une question que je n'ai pas posée. Je n'avais nullement évoqué le juge des saisies.
Par contre, vous n'avez rien dit du comportement de certains huissiers de justice.
Vous prendrez sans doute connaissance avec intérêt de la proposition de loi que nous avons déposée et qui vous démontrera, témoignages et preuves à l'appui, que sévissent actuellement un certain nombre d'huissiers de justice qui procèdent d'une manière incompatible avec la déontologie.