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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 21 MARS 2013 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Questions orales

Question orale de M. François Bellot à la ministre de la Justice sur «la transaction pénale» (no 5-906)

M. François Bellot (MR). - Madame la ministre, je viens d'apprendre par la presse orale que le procureur général de Liège avait conseillé à ses procureurs du Roi de ne pas appliquer la loi de transaction financière pour les infractions commises par des mandataires politiques.

Le procureur général justifie sa recommandation en disant que, dans ce cas, la transaction pénale pourrait être jugée partisane et manquer de transparence, ce qui ne serait pas le cas d'un procès. Et de conclure que le citoyen doit savoir pour qui il vote.

Le champ d'application ratione personae de la transaction pénale ne fait l'objet d'aucune restriction légale. À mon sens, aucune raison objective ne la justifie. Tout un chacun doit pouvoir bénéficier d'une transaction pénale si elle est possible ratione materiae. Les mandataires politiques seraient-ils une espèce à ce point particulière ?

Madame la ministre, êtes-vous d'accord avec la limitation du champ d'application de la transaction financière prônée par le procureur général de Liège ? Si tel n'est pas le cas, quelles actions comptez-vous entreprendre ? La prise de position du procureur général de Liège ne constitue-t-elle pas une immixtion du pouvoir judiciaire dans la vie politique ?

Mme Annemie Turtelboom, ministre de la Justice. - L'article 216bis du Code d'instruction criminelle est applicable tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales. Il n'y a pas de restriction légale dans le champ d'application ratione personae.

Il faut souligner que la transaction n'est pas un droit subjectif dans le chef de l'auteur d'une infraction ou du prévenu. Il appartient au ministère public de choisir la voie qui lui paraît la plus indiquée lorsqu'il existe des éléments suffisants pour mettre en mouvement l'action publique : poursuites, transaction, médiation pénale, renvoi aux amendes administratives ou classement sans suite. La Cour de cassation a jugé, à plusieurs reprises, que cette opportunité était compatible avec le principe d'égalité.

Il appartient au procureur général, en vertu de l'article 146bis du Code judiciaire, de veiller à la mise en oeuvre cohérente de la politique criminelle dans son ressort. Il donne à cet égard des instructions générales ou particulières qui ont un caractère contraignant.

La transaction élargie permet au procureur du Roi de proposer une transaction alors que l'action publique a été mise en mouvement et que l'affaire est pendante devant un juge d'instruction, une juridiction d'instruction ou de jugement. Il s'agit par définition de faits ayant une certaine gravité intrinsèque puisque des poursuites ont été engagées.

La transaction élargie repose sur le pouvoir d'appréciation du procureur du Roi qui peut proposer d'interrompre les poursuites engagées moyennant paiement d'une somme d'argent. Cette procédure peut faire l'objet d'une négociation entre le ministère public et l'inculpé ou le prévenu, négociation qui revêt un caractère secret.

Les dossiers concernant des mandataires publics sont toujours délicats. L'action du ministère public est souvent critiquée et régulièrement taxée de partisane. Ce risque est encore plus élevé dans le cadre d'une transaction ; on pourrait lui reprocher d'utiliser cette voie pour les uns et non pour les autres. Le caractère secret de la négociation ne ferait qu'accroître les suspicions à son endroit.

Pour plusieurs infractions relatives au fonctionnement de la chose publique, le juge peut prononcer une interdiction d'exercer des fonctions, emplois ou offices publics. Si une transaction est proposée, cette sanction ne peut être infligée. Il importe que le juge se prononce sur la question de savoir si un mandataire public ayant commis des infractions peut encore exercer ses fonctions publiques ou s'il doit être frappé d'interdiction pendant un certain temps.

M. François Bellot (MR). - Les dossiers concernant les mandataires publics sont, certes, toujours délicats, mais l'égalité de traitement des citoyens est un droit constitutionnel. De plus, certains faits relèvent purement de la vie privée et pour ceux-ci, il ne serait pas normal que le mandataire public ne puisse pas bénéficier des mêmes droits que tout autre citoyen. Le législateur devrait alors établir une différence pour d'autres catégories professionnelles également caractérisées par leur valeur d'exemple ; je pense aux professeurs d'université, aux magistrats, aux policiers, voire aux ministres... Il existe en effet d'autres personnes dont les fonctions nécessitent un exercice irréprochable de leur profession. Cette distinction devrait donc aussi s'appliquer à certaines fonctions publiques qui ne revêtent pas nécessairement un caractère politique.