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16 AVRIL 2013
1. À l'heure actuelle, toutes les fautes civiles commises par un mandataire n'impliquent pas que le mandataire ait à en répondre personnellement.
Tout dépend de savoir si le mandataire entre dans le champ d'application de la loi du 10 février 2003 « relative à la responsabilité des et pour les membres du personnel au service des personnes publiques » (1) ou pas.
2. Si le mandataire entre dans le champ d'application de la loi du 10 février 2003, il engage sa responsabilité civile dès lors qu'il se rend coupable d'un dol, d'une faute lourde ou d'une faute légère habituelle.
Pour être pris en considération, il s'impose que le dol, la faute lourde ou la faute légère habituelle aient été commis « dans l'exercice » des fonctions du mandataire (2) . Sont ainsi pris en considération les actes et les faits qui répondent à la double condition suivante: d'une part, la faute doit avoir été commise pendant la durée des fonctions, c'est-à-dire soit sur le lieu et pendant l'horaire normal des prestations, soit en dehors de ces limites mais pendant l'horaire normal des prestations convenues; d'autre part, l'acte doit présenter un rapport, même indirect ou occasionnel, avec les fonctions du mandataire (3) .
Au cas où le mandataire a commis un dol, une faute lourde ou une faute légère habituelle, la victime a le choix d'assigner soit le mandataire, soit la personne publique dont le mandataire ressortit, soit le mandataire et la personne publique dont le mandataire ressortit. Il est toutefois une hypothèse dans laquelle la victime n'a pas le choix. C'est l'hypothèse où la faute commise par le mandataire est une faute légère occasionnelle. « Dans ce cas, seule la personne publique est tenue d'en répondre, à l'exclusion du mandataire qui aurait commis la faute. Par voie de conséquence, la personne publique condamnée ne pourra se retourner contre le mandataire par le biais d'une action récursoire (4) . »
Au regard du champ d'application de la loi du 10 février 2003 tel que mis en lumière par les travaux préparatoires, il apparaît que la loi en cause ne s'applique qu'aux « membres du personnel » dans une situation hiérarchique à l'égard d'une personne publique.
En d'autres termes, la loi s'applique, d'abord et avant tout, à l'agent statutaire. Elle ne s'applique tout au plus au mandataire que dans l'hypothèse où ce dernier peut être qualifié de « membre du personnel » (5) et qu'il se trouve dans un lien de « subordination hiérarchique » (6) . C'est le cas des gouverneurs de province — qui ne sont pas à proprement parler des mandataires, mais de hauts fonctionnaires. C'est également le cas des députés provinciaux, bourgmestres et échevins, dans l'exercice des missions qu'ils exercent en qualité d'autorité déconcentrée (7) .
Dans l'exercice des fonctions qu'ils exercent en qualité d'autorité administrative décentralisée, les mandataires ne se trouvent pas dans un lien de subordination hiérarchique, dès lors que la décentralisation est caractérisée non par la subordination, mais par l'autonomie (8) . En conséquence, les conseillers provinciaux et communaux, qui exercent ce seul type de missions, et les bourgmestres, les échevins et les députés provinciaux, dans la mesure où ils exercent ce type de missions, ne ressortissent pas au champ d'application de la loi du 10 février 2003 précitée. Il en va de même de tout autre mandataire en fonction décentralisée.
Les mandataires fédéraux, régionaux et communautaires, dans la mesure où ils échappent à tout lien de subordination, se situent, eux aussi, en dehors du champ d'application de la loi du 10 février 2003 (9) , sans compter que certaines catégories d'entre eux se voient — ou doivent se voir — appliquer un régime de responsabilité civile spécifique (10) .
3. Si le mandataire n'entre pas dans le champ d'application de la loi du 10 février 2003 et qu'il ne répond pas à un régime spécifique, il répond du régime de responsabilité civile de droit commun applicable aux personnes qui agissent pour le compte de l'administration.
Dès lors qu'il est question de mandataires, qui, par hypothèse, sont des « agents organes » au sens de la jurisprudence de la Cour de cassation (11) , ils répondent au régime de responsabilité civile défini à l'article 1382 du Code civil, qui veut que la personne en cause réponde de toutes les fautes qu'elle commet, qu'il s'agisse d'un dol, d'une faute lourde, d'une faute légère habituelle ou d'une faute légère occasionnelle.
Étant considéré comme faisant corps avec la personne publique qu'il « incarne » (12) , l'agent organe — et, partant, le mandataire —, répond, en cette qualité, des fautes qu'il aurait commises « dans les limites » de ses fonctions (13) . La faute qu'il commettrait « dans l'exercice » de ses fonctions, mais qui ne s'inscrirait pas dans les « limites » de ses fonctions, relève non plus de sa responsabilité d'organe, mais de particulier.
Parce que l'agent organe incarne la personne publique, celle-ci engage sa responsabilité civile dans la même mesure que l'agent organe. S'agissant d'une faute commise « dans les limites » des fonctions du mandataire, la victime a ainsi le choix d'assigner soit le mandataire, soit la personne publique que le mandataire incarne, soit l'un et l'autre (14) qui seront, s'il échet, condamnés in solidum. S'agissant d'une faute commise « en dehors des limites » des fonctions du mandataire, la victime n'a d'autre choix que d'assigner le mandataire en sa qualité de particulier, à l'exclusion de la personne publique dont ce dernier est, par ailleurs, l'organe. La victime s'expose ainsi à un risque d'insolvabilité plus important, si l'on suppose que le mandataire dispose d'un patrimoine moins étendu que celui de la personne publique au service de laquelle il se trouve.
La jurisprudence a pris conscience du risque d'insolvabilité auquel la victime pourrait être confrontée, si la faute n'était pas commise « dans les limites » des fonctions de l'agent organe.
Elle a ainsi admis, dès 1947 (15) , que l'agent organe engageait sa responsabilité d'organe — et, dans son sillage, la responsabilité de la personne publique qu'il incarne — dans l'hypothèse où tout « homme raisonnable et prudent » pouvait croire que l'organe avait agi « dans les limites de ses attributions » (16) , au nom d'une « apparence de fonctionnalité » (17) .
4. Dans le cadre ainsi tracé, il apparaît que les mandataires, dans la mesure où ils ne ressortissent pas au champ d'application de la loi du 10 février 2003, se trouvent particulièrement exposés. Ils sont, en effet, tenus de répondre — le cas échéant personnellement — de toutes les fautes commises.
La faute peut consister en l'adoption d'un acte juridique illégal. À l'heure d'une hémorragie normative que l'on sait croissante, il est, pour le moins, difficile à un mandataire de prendre des actes juridiques irréprochables. Au surplus, la faute peut consister en toute action ou omission qui porterait atteinte au « devoir général de prudence » qui s'impose à tous, notamment aux mandataires, en vertu des articles 1382 et 1383 du Code civil. À cet égard, les mandataires publics en général et singulièrement le bourgmestre, eu égard aux compétences de police qui lui sont confiées, se trouvent particulièrement exposés (18) .
Il paraît ainsi indispensable que le régime institué par la loi du 10 février 2003 — dont on a observé le caractère plus favorable que celui consacré par l'article 1382 du Code civil —, puisse être étendu au profit de l'ensemble des mandataires, quelles que soient leur qualité et la mission dans le cadre de laquelle ils sont amenés à commettre la faute (19) .
Une telle réforme présenterait au moins trois avantages:
— exonérer le mandataire de sa faute légère occasionnelle, ce qui placerait ce dernier sur un pied d'égalité avec les agents statutaires, mais aussi contractuels (20) , de même qu'avec les mandataires locaux qui exercent des fonctions déconcentrées.
L'on note, à cet égard, que, dans le tome III du précis de droit administratif qu'il a récemment consacré au contrôle de l'administration, David Renders, professeur à l'Université catholique de Louvain, écrit ce qui suit: « une réforme serait, à notre estime, souhaitable (...), le mandataire, quel qu'il soit, n'ayant pas de raison d'être traité avec plus de dureté que l'agent » (21) . Il ajoute: « L'on peut, du reste, se demander si la Cour constitutionnelle n'invaliderait pas le régime actuel (22) . »;
— esquiver le débat qui consiste à se demander, pour ce qui concerne le mandataire local, s'il a agi en qualité d'autorité décentralisée ou en qualité d'autorité déconcentrée, ce qui, en pratique, n'est pas toujours simple à déterminer;
— esquiver le débat touchant à l'apparence de fonctionnalité, dès lors que la loi du 10 février 2003 prend en compte, non pas « les limites » des fonctions mais « l'exercice des fonctions », ce qui évite de devoir s'interroger sur le point de savoir si le mandataire se trouvait, au moment de la commission de la faute, dans la sphère de ses compétences (23) .
5. Les règles de droit civil et, en son sein, les règles générales de responsabilité civile ressortissent à la compétence de l'autorité fédérale (24) , même appliquées aux mandataires des pouvoirs locaux dont l'organisation ressortit, depuis la réforme de la Saint-Polycarpe, à la compétence des régions (25) .
La réforme sollicitée, qui reviendrait à adopter une loi comparable à la loi du 10 février 2003 pour les mandataires au service des personnes publiques, ne saurait cependant préjudicier à l'application d'autres dispositions qui régissent les matières visées par la présente loi, pour certaines catégories de mandataires.
Armand DE DECKER. | |
Philippe MOUREAUX. | |
Francis DELPÉRÉE. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Les mandataires qui causent un dommage dans l'exercice de leurs fonctions à la personne publique ou à des tiers ne répondent que de leur dol et de leur faute lourde. Ils ne répondent de leur faute légère que si celle-ci présente dans leur chef un caractère habituel plutôt qu'accidentel.
Art. 3
Les personnes publiques sont responsables du dommage causé à des tiers par leurs mandataires dans l'exercice de leurs fonctions, de la même manière que les commettants sont responsables du dommage causé par leurs préposés.
Art. 4
Les mandataires au service d'une personne publique qui font l'objet d'une action en dommages et intérêts devant la juridiction civile ou pénale en raison d'un dommage causé à un tiers dans l'exercice de leurs fonctions en informent la personne publique. Ils peuvent appeler en intervention forcée la personne morale; celle-ci peut également intervenir volontairement.
Art. 5
L'action en dommages et intérêts ainsi que l'action récursoire exercée par une personne publique contre un mandataire, n'est recevable que si elle est précédée d'une offre de règlement amiable faite au défendeur.
Les personnes publiques peuvent décider que le dommage ne doit être réparé qu'en partie.
Art. 6
La présente loi ne porte pas préjudice à l'application d'autres dispositions qui régissent les matières visées par la présente loi, pour certaines catégories de mandataires au service des personnes publiques.
28 mars 2013.
Armand DE DECKER. | |
Philippe MOUREAUX. | |
Francis DELPÉRÉE. |
(1) Moniteur belge du 27 février 2003.
(2) Article 3 de la loi du 10 février 2003.
(3) Voy. not. C. Dalcq, « La responsabilité du fait des personnes agissant pour autrui », in Responsabilités — Traité théorique et pratique, titre IV, livre 40, Diegem, Kluwer, 2001, p. 22; P. Henry, « La responsabilité des organes: le début ou la fin ? », JLMB, 1997, p. 215 et ss.; D. Deom, « La responsabilité des fonctionnaires: une page se tourne », Rev. dr. comm., 2004, p. 17.
(4) D. Renders et al., « Le contrôle de l'administration », Droit administratif, t. III, Bruxelles, Larcier, 2010, p. 196.
(5) Article 2 de la loi du 10 février 2003.
(6) D. Deom, « La responsabilité civile des fonctionnaires: une page se tourne », op. cit., p. 22; voy. égal. Doc. parl. Chambre, sess. ord. 2001-2002, no 50-736/1, p. 16.
(7) Voy., en ce sens, D. Renders et F. Piret, « La responsabilité pénale et civile des mandataires provinciaux et communaux », in L. le Hardy de Beaulieu (dir.), Droit de la démocratie provinciale et communale: la désignation et la responsabilité des mandataires, Namur, Presses universitaires des FUCAM, 2006, p. 112-115; égal. D. Renders et al., « Le contrôle de l'administration », Droit administratif, t. III, op. cit., p. 192-196.
(8) Ibid., pp. 112-115.
(9) Voy. D. Renders et al., « Le contrôle de l'administration », Droit administratif, t. III, op. cit., p. 192.
(10) Voy. not. l'article 74 de la Constitution, au sujet de la responsabilité civile des ministres fédéraux, et 125, alinéa 8, de la Constitution, au sujet de la responsabilité civile des ministres régionaux et communautaires.
(11) Cass., 27 mai 1963, Pas., 1963, I, p. 1 034: les mandataires détiennent une parcelle, si infime soit-elle, de la puissance publique.
(12) Voy. C. Cambier, Droit administratif, Bruxelles, Larcier, 1968, p. 580.
(13) Voy. not. B. Froidure et A.-M. Bourgaux, « La responsabilité personnelle civile et pénale des bourgmestres », Mouv. comm., 1997, p. 77.
(14) Voy. not. C. Cambier, Droit administratif, op. cit., p. 582-583; B. Froidure et A.-M. Bourgaux, op. cit., p. 77; P. Van Ommeslaghe, Droit des obligations, op. cit., p. 493; égal. Cass., 17 juin 1982, Pas., 1982, I, p. 1 221; Cass., 27 octobre 1982, Pas., 1983, I, p. 278; Bruxelles, 20 novembre 1985, RGAR, 1987, no 11 311, col. 2 083; Liège, 26 mars 1987, JLMB, 1987, p. 845.
(15) Cass., 29 mai 1947, Pas., 1947, I, p. 216.
(16) Ibid., p. 216.
(17) Voy. C. Dressen, A.-L. Durviaux et P. Lewalle, Rev. dr. comm., 1994, p. 278; égal. S. Bollen, « La responsabilité civile des communes et de leurs agents », Mouv. comm., 1998, p. 20.
(18) Voy. les articles 133 et suivants de la Nouvelle loi communale; égal. C.E., arrêt no 68 125 du 16 septembre 1997, TMR, 1998, p. 120 et note L. Lavreysen; Civ. Courtrai, 19 janvier 2004, TMR, 2004, liv. 5, p. 567: Corr. Bruges, 22 juin 2007, J.J.Pol., 2009, liv. 1, p. 10 et 13; Corr. Courtrai, 12 septembre 2008, J.J.Pol., 2009, liv. 1, p. 10 et 19.
(19) En ce sens, voy. not. D. Renders et F. Piret, « La responsabilité pénale et civile des mandataires ... », op. cit., p. 128.
(20) Voy. l'article 18 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, Moniteur belge du 22 août 1978.
(21) D. Renders et al., « Le contrôle de l'administration », Droit administratif, t. III, op. cit., p. 199.
(22) Ibid., p. 199, note 833; voy. à cet égard, C. const., arrêt no 77/96 du 18 décembre 1996; égal. C. const., arrêt no 19/2000 du 9 février 2000.
(23) Le bourgmestre empêché, qui n'exerce pas les fonctions de bourgmestre, dès lors précisément qu'il en est empêché, répondrait, dans l'état actuel de la législation, de sa responsabilité civile de particulier, s'il venait à se rendre coupable d'une faute commise en qualité de bourgmestre empêché.
(24) Voy. not. l'avis du C.E. du 17 janvier 2002 sur un avant-projet de loi « relative à la responsabilité des et pour les membres du personnel au service des personnes morales de droit public », Doc. parl., Chambre, sess. ord. 2001-2002, no 50-1736/1, p. 31; égal. C. const., arrêt no 44/2007 du 21 mars 2007, B.8.
(25) Voy., à cet égard, l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles; sur le sujet, voy. not. J. Sohier, « Le statut des collectivités locales », in F. Delpérée (dir.), Les lois spéciale et ordinaire du 13 juillet 2001 — La réforme de la Saint-Polycarpe, Bruxelles, Bruylant, 2002, p. 225-239.