5-1977/1

5-1977/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2012-2013

21 FÉVRIER 2013


Proposition de loi modifiant la loi du 26 juillet 1962 relative à la procédure d'extrême urgence en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique

(Déposée par Mme Martine Taelman et M. Yoeri Vastersavendts)


DÉVELOPPEMENTS


La présente proposition de loi reprend le texte d'une proposition qui a déjà été déposée au Sénat le 18 octobre 2007 (doc. Sénat, nº 4-286/1 - 2007/2008).

Des expropriés se plaignent du fait que l'expropriant n'a pas fait d'offre sérieuse, voire n'en a fait aucune, de sorte qu'ils ont été impliqués indûment dans une procédure d'expropriation. Il s'avère, dans la pratique, que l'autorité expropriante ou le Comité d'acquisition intervenant se limite trop souvent à formuler un seul montant sans autre explication.

Lorsque les expropriés demandent davantage d'explications au sujet de cette offre, il est manifeste que l'expropriant ne leur répond pas ou qu'il leur donne une réponse vague. Les expropriés ont l'impression, avec raison, que « c'est à prendre ou à laisser ». C'est certainement le cas lorsque l'expropriant les menace d'inscrire un montant inférieur dans la citation en expropriation.

La jurisprudence est partagée sur cette question. Une tendance significative semble considérer qu'il n'y a aucune obligation de négociation. Les partisans de cette tendance estiment également que l'offre faite par l'expropriant dans le but d'acquérir à l'amiable le bien exproprié n'est pas soumise à des conditions formelles et ne doit pas non plus être motivée. Ils soulignent également que l'offre qui est faite préalablement à la procédure ne doit pas être la même que celle qui est formulée dans la citation.

Lorsqu'une autorité juge nécessaire de devenir propriétaire d'un bien pour mettre en œuvre sa politique, il est important, dans l'intérêt général, que la situation soit clarifiée dans les plus brefs délais. Il importe également, pour l'autorité expropriante, de savoir aussi rapidement que possible quel sera le coût de l'acquisition. D'autre part, le propriétaire concerné souhaite obtenir au plus vite une indemnisation complète et définitive.

Dans de nombreux cas, cet objectif n'est pas atteint. Ce n'est pas parce qu'aucune procédure judiciaire n'a été entamée que le propriétaire n'a pas l'impression d'avoir été traité de manière vexatoire. Il existe même un cas où le Comité d'acquisition a refusé d'examiner la proposition documentée de l'exproprié parce que d'autres propriétaires avaient déjà vendu leur propriété à l'amiable à un prix inférieur et que ces derniers avaient donc en fait également droit à une indemnisation plus élevée.

Une proposition transparente et documentée d'achat à l'amiable de la propriété serait une bonne chose, tant pour l'autorité expropriante que pour les expropriés.

Dans le cadre d'une bonne administration, l'autorité doit acquérir les biens nécessaires à sa politique par la négociation. Une bonne administration implique également que l'autorité doit évaluer correctement le préjudice causé par l'expropriation et fournir des explications à ce sujet. L'autorité est tenue par l'offre qu'elle a faite.

Un exproprié ne sera logiquement pas enclin à accepter une offre qui se contente de mentionner un montant sans autres explications, et qui lui paraît inférieure à la valeur marchande du bien. Quant aux Comités d'acquisition, ils ne se donnent souvent pas la peine de justifier leur offre. En effet, ils disposent de toute façon d'un moyen de pression, à savoir le lancement de la procédure devant le juge de paix.

Au cours de la procédure judiciaire, les deux parties doivent alors encore justifier leur évaluation intrinsèque du bien et expliquer leur estimation de sa valeur marchande, de l'indemnité de remploi et de l'intérêt d'attente.

Si les Comités d'acquisition faisaient une offre détaillée depuis le début, de nombreux expropriés seraient plus rapidement convaincus du fait que l'offre était conforme à la valeur marchande du bien. Il y aurait davantage d'achats à l'amiable, ce qui permettrait d'éviter les procédures judiciaires.

Le nombre de litiges portant sur la détermination de la valeur augmente en effet sensiblement. En 2004, 105 procédures ont été engagées auprès du juge de paix sur la base de la procédure d'extrême urgence.

Le 31 décembre 2004, il y avait toutefois encore 1 038 dossiers d'expropriation pendants dans le cadre de la procédure d'extrême urgence, c'est-à-dire quelle que soit l'année de l'introduction de la procédure. Nous devons donc en conclure que beaucoup de dossiers traînent plusieurs années.

Sur ce millier de dossiers d'expropriation, 307 étaient encore au stade de l'indemnité provisionnelle auprès du juge de paix et 731 concernaient la procédure de révision (dont 401 en première instance et 330 en degré d'appel et en cassation).

Nombre de ces dossiers auraient indubitablement pu être évités si le Comité d'acquisition s'était dès le départ adressé à l'exproprié avec un dossier bien étayé et une offre motivée.

En fin de compte, l'objectif de la présente proposition de loi est également de garantir l'octroi d'une juste indemnité, comme le prescrit l'article 16 de la Constitution.

Il est dès lors tout à fait logique qu'il faille convaincre l'exproprié du caractère « juste » de cette offre en faisant une offre plus détaillée prévoyant des postes de dommages distincts. Beaucoup de discussions survenant par la suite à propos du montant proposé pourraient ainsi être évitées.

Dès lors que la jurisprudence ne donne pas de réponse claire et nette conforme à l'intention du constituant et du législateur, il incombe au législateur de clarifier les choses en la matière.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

(article 3 de la loi relative à la procédure d'extrême urgence en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique)

§ 1er. Il est inséré, dans l'actuel article 3, un nouveau paragraphe 1er, qui prévoit que l'autorité expropriante (commune, région, autorité fédérale, ...) doit tenter préalablement de conclure un contrat d'achat/de vente traditionnel à l'amiable. Cela signifie en pratique que le Comité d'acquisition fait une offre.

La proposition de loi prévoit toutefois que cette offre doit être détaillée. L'offre énumère les différents types de dommages et motive succinctement les montants prévus pour chaque poste.

Les Comités d'acquisition discutent de cette offre avec l'exproprié. Si aucun accord n'est dégagé, l'autorité indique quels sont les points de désaccord et notifie qu'elle met fin aux négociations (et qu'elle va dès lors introduire la procédure judiciaire).

§ 2. L'actuel article 3 devient le paragraphe 2 du nouvel article 3. Le texte est toutefois légèrement adapté. Il ne parle pas d'arrêté royal, mais d'arrêté, étant donné que les entités fédérées peuvent, elles aussi, autoriser une expropriation en vertu d'un arrêté du gouvernement (article 79 de la loi spéciale de réformes institutionnelles).

Dorénavant, l'introduction de la procédure judiciaire doit s'accompagner du dépôt au greffe de l'arrêté d'expropriation et d'un plan des parcelles, mais aussi de l'offre détaillée faite en vue de l'acquisition amiable du bien.

Article 3

(article 4 de la même loi)

§ 1er. Un nouveau paragraphe 1er est inséré avant le texte actuel de l'article 4.

L'arrêté d'expropriation doit attester la nécessité de l'expropriation en concrétisant l'importance de celle-ci pour « l'utilité publique ».

La requête doit, elle aussi, attester l'urgence. La loi du 26 juillet 1962 était en effet destinée à être appliquée à titre exceptionnel. Il arrivait en effet que la procédure de droit commun prévue par la loi du 17 avril 1835 sur l'expropriation pour cause d'utilité publique ne réponde pas aux besoins réels. Force est cependant de constater qu'en réalité, l'autorité recourt de plus en plus souvent à la procédure d'urgence, la procédure de droit commun tombant en désuétude.

À défaut des justifications précitées, la requête est irrecevable.

§ 2. Le texte actuel de l'article 4 formera le paragraphe 2 du nouvel article 4.

Article 4

(article 5 de la même loi)

La teneur de l'article 5 ne subit guère de modifications.

On y renvoie à l'arrêté plutôt qu'à l'arrêté royal, les entités fédérées pouvant également autoriser une expropriation en vertu d'un arrêté du gouvernement (article 79 de la loi spéciale de réformes institutionnelles).

Le renvoi à l'offre faite préalablement est spécifié. Si les copies des documents mentionnés ne sont pas jointes à la citation, celle-ci est nulle.

Article 5

(article 8 de la même loi)

Dorénavant, le montant des indemnités provisionnelles ne pourra être inférieur à l'offre détaillée faite initialement par l'autorité aux intéressés.

Martine TAELMAN.
Yoeri VASTERSAVENDTS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

L'article 3 de la loi du 26 juillet 1962 relative à la procédure d'extrême urgence en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique est remplacé par la disposition suivante:

« Art. 3. — § 1er. L'autorité qui souhaite procéder à l'expropriation informe les propriétaires et usufruitiers, par lettre recommandée, d'une offre visant à indemniser équitablement le préjudice causé par l'expropriation. L'offre énumère les différents préjudices et motive sommairement la manière dont chaque préjudice a été évalué. L'offre mentionne le montant par préjudice et le total.

L'autorité négocie cette offre. Si elle considère qu'il n'y a pas d'accord possible, l'autorité communique, par lettre recommandée, aux propriétaires et usufruitiers les points ne pouvant faire l'objet d'un accord ainsi que les raisons pour lesquelles un accord ne peut être trouvé et les informe qu'elle met un terme aux négociations.

§ 2. À défaut d'accord entre parties, l'expropriant dépose au greffe de la justice de paix de la situation des biens une requête tendant à voir fixer par le juge, les jour et heure auxquels l'expropriant, les propriétaires et usufruitiers des parcelles à exproprier sont cités à comparaître, devant le juge, sur les lieux à exproprier.

La requête doit être accompagnée des documents suivants:

1º l'arrêté autorisant l'expropriation;

2º le plan des parcelles à exproprier;

3º l'offre qui a été faite en vue de l'acquisition à l'amiable et sur laquelle aucun accord n'a été trouvé.

Les intéressés peuvent prendre gratuitement connaissance au greffe des documents mentionnés à l'alinéa précédent jusqu'au règlement de l'indemnité provisoire. »

Art. 3

Dans l'article 4 de la même loi, dont le texte actuel formera le § 2, il est inséré un § 1er, libellé comme suit:

« § 1er. La requête est irrecevable si l'arrêté d'autorisation ne motive pas la nécessité de l'expropriation et le recours à la procédure d'extrême urgence. »

Art. 4

À l'article 5 de la même loi, les alinéas 2 et 3 sont remplacés par ce qui suit:

« La citation porte, à peine de nullité, copie de:

1º l'arrêté royal décrétant l'expropriation;

2º l'offre faite en vue de l'acquisition amiable et sur laquelle aucun accord n'a été atteint;

3º la requête déposée par l'expropriant;

4º l'ordonnance du juge. »

Art. 5

À l'article 8, alinéa 1er de la même loi, la dernière phrase est remplacée par ce qui suit:

« Le montant de ces indemnités provisionnelles ne peut être inférieur à l'offre faite par l'expropriant en vue de l'acquisition amiable et sur laquelle aucun accord n'a été atteint. »

20 juillet 2010.

Martine TAELMAN.
Yoeri VASTERSAVENDTS.