5-139/2

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2012-2013

21 FÉVRIER 2013


Révision du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer un article nouveau permettant de garantir la jouissance des droits et libertés aux personnes handicapées

(Déclaration du pouvoir législatif, voir le « Moniteur belge » nº 135, deuxième édition du 7 mai 2010)


Proposition de révision de la Constitution visant à insérer, au titre II de la Constitution, un article 22ter garantissant le droit des personnes handicapées de bénéficier des mesures appropriées qui leur assurent l'autonomie et une intégration culturelle, sociale et professionnelle


RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES INSTITUTIONNELLES PAR MM. CLAES ET DEPREZ


La Commission des Affaires institutionnelles a examiné la présente proposition de révision de la Constitution au cours de ses réunions du 24 et 31 janvier 2013.

Le présent rapport a été soumis à la commission pour approbation le 21 février 2013.

I. EXPOSÉ DE M. DELPÉRÉE

La présente proposition de révision de la Constitution repose sur une proposition de consensus déposée au Sénat par MM. Monfils et Delpérée le 8 décembre 2009 sous la précédente législature (doc. Sénat, nº 4-1531/1 — 2009/2010). Cette proposition découlait elle-même des propositions déposées individuellement par MM. Monfils et Delpérée respectivement le 14 novembre 2007 et le 10 mars 2009 (doc. Sénat, nos 4-393/1 — 2007/2008 et 4-1205/1 — 2008/2009). À l'issue d'une première discussion en commission, les deux sénateurs ont décidé d'unir leurs forces et de déposer la proposition de consensus précitée (voir le rapport de commission de MM. Mahoux et Van Den Driessche, doc. Sénat, nº 4-1531/3 — 2009/2010).

Le 10 décembre 2009, la commission des Affaires institutionnelles a adopté cette proposition, après l'avoir amendée, à l'unanimité des 12 membres présents. Ensuite, l'unique article visant à insérer un nouvel article 22ter a été adopté en séance plénière du 14 janvier 2010 par 51 voix et 1 abstention, après quoi le texte a été transmis à la Chambre des représentants (doc. Chambre, nº 52-2368/1). Cette dernière n'a plus eu l'occasion d'examiner le projet, les Chambres ayant été dissoutes le 7 mai 2010.

L'article 195 de la Constitution prévoit qu'en pareil cas, la procédure de révision doit être refaite dans son intégralité, à commencer par la déclaration de révision de la Constitution. Cette première étape a été franchie lors de la déclaration de révision du 7 mai 2010, dans laquelle les Chambres et le Roi déclarent qu'il y a lieu à la révision notamment du titre II de la Constitution, en vue d'y insérer un article nouveau permettant de garantir la jouissance des droits et libertés aux personnes handicapées (Moniteur belge, deuxième édition, du 7 mai 2010). Le 22 septembre 2010, M. Delpérée a déposé la proposition visant à insérer, au titre II de la Constitution, un article 22ter garantissant le droit des personnes handicapées de bénéficier des mesures appropriées qui leur assurent l'autonomie et une intégration culturelle, sociale et professionnelle (doc. Sénat, nº 5-139/1 — S.E. 2010). Cette proposition reprend mot pour mot le texte de la proposition adoptée par le Sénat le 14 janvier 2010.

On peut espérer que le Sénat adoptera une nouvelle fois cette proposition à un large consensus pour que la Chambre puisse en débattre.

Pour ce qui est de la portée de la proposition, deux points retiennent l'attention.

Premièrement, la Constitution belge conçue en 1831 consacre des droits fondamentaux qui ont une portée générale. Chaque Belge peut les invoquer. Depuis vingt-cinq ans, le constituant s'est engagé sur une nouvelle voie en inscrivant des droits fondamentaux spécifiques (les droits sectoriels), par exemple pour les femmes (articles 10, alinéa 3, et 11bis) et pour les enfants (article 22bis). Dans le même ordre d'idées, MM. Monfils et Delpérée ont également proposé sous la précédente législature d'ancrer les droits des personnes handicapées dans la Constitution.

Deuxièmement, il importe de respecter, en particulier dans cette matière, la répartition des compétences entre l'État fédéral, les communautés et les régions. C'est pourquoi l'article 22ter, alinéa 2, proposé, prévoit que « la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection de ce droit ».

II. DISCUSSION

M. Deprez souscrit à la proposition de révision parce qu'elle reprend mot pour mot le texte de la proposition que le Sénat a adoptée à l'unanimité, à une abstention près, le 14 janvier 2010, ce qui prouve que l'article 22ter proposé a passé le test de qualité et se justifie. Aussi l'intervenant espère-t-il que la proposition pourra compter sur la même unanimité malgré les changements survenus sur l'échiquier politique, y compris de la part de la N-VA.

M. Pieters souhaite se pencher sur la signification juridique de l'article 22ter proposé. Cette question a déjà été abordée au sein de la commission lors de la discussion de la proposition de consensus de MM. Monfils et Delpérée (voir le rapport de commission de MM. Mahoux et Van Den Driessche, doc. Sénat, nº 4-1531/3, pages 11à 15). La question qui se pose est de savoir si l'article 22ter proposé comporte une déclaration de nature purement programmatique ou s'il peut être invoqué, éventuellement en combinaison avec d'autres dispositions constitutionnelles, pour faire valoir des effets juridiques concrets. Une comparaison juridique pourrait illustrer la question. En vertu d'une disposition semblable, un programme d'enseignement entièrement individualisé a été exigé auprès des pouvoirs publics danois en faveur d'une personne atteinte d'un handicap grave. Une telle exigence peut être considérée comme justifiée. Mais la proposition visant à insérer dans la Constitution un article 22ter, dans sa formulation actuelle, requiert que l'on mène une discussion sur les droits pouvent être puisés dans cet article.

Une deuxième réflexion concerne l'évolution de la terminologie. En tant que professeur de droit de la sécurité sociale, l'intervenant constate qu'au bout de trente ans, nous sommes arrivés au quatrième stade dans ce domaine. Il était tout d'abord question d'infirmes, ensuite de moins valides, puis d'handicapés. L'on parle à présent de personnes atteintes d'un handicap. Aujourd'hui, il est d'ailleurs également question de personnes ayant des limitations fonctionnelles ou d'autre nature. Il convient donc d'utiliser dans la Constitution une terminologie qui résistera à l'épreuve du temps. Actuellement, les groupes d'intérêts concernés sont scandalisés lorsque l'on utilise la mauvaise notion comme celle de « moins valide ».

Une troisième observation porte sur la formulation de l'article 22ter proposé. Il est absolument impossible pour les pouvoirs publics de concrétiser le droit prévu à l'article 22ter proposé, à savoir qu'ils doivent assurer l'autonomie et une intégration culturelle, sociale et professionnelle des personnes handicapées. les pouvoirs publics peuvent en revanche en créer la possibilité, c'est-à-dire prendre des mesures permettant aux personnes handicapées de vivre de manière autonome et de s'intégrer culturellement, socialement et professionnellement. L'article 22ter proposé tel qu'il est formulé actuellement comporte cependant une obligation que les pouvoirs publics ne sont pas en mesure d'assurer.

L'intervenant conclut en disant qu'il peut marquer son accord avec la portée de la révision proposée, mais qu'un débat doit encore avoir lieu afin de formuler de manière plus adéquate la disposition proposée.

M. Vanlouwe embraie sur ces propos. Lui aussi soutient la proposition quant au fond. Il faut bannir toute forme de discrimination. Encore faut-il savoir si la Constitution doit contenir un catalogue complet de droits fondamentaux abordant chaque forme spécifique de discrimination. Il y a déjà des dispositions génériques portant le principe d'égalité et de non-discrimination et le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine (articles 10, 11 et 23). Comme M. Delpérée l'a déjà expliqué, des dispositions nouvelles ont été insérées dans la Constitution ces dernières décennies afin de garantir les droits fondamentaux de catégories spécifiques de personnes. C'est le cas notamment des articles 10, alinéa 3, et 11bis, concernant les femmes, et l'article 22bis concernant les enfants. Il est toutefois évident que le principe général d'égalité et de non-discrimination s'applique à tous, homme, femme ou enfant, et que les mesures nécessaires doivent être prises afin de combattre toute forme de discrimination. Est-il nécessaire dans ces conditions de prévoir une protection constitutionnelle spécifique pour chaque catégorie spécifique de personnes ayant besoin d'une protection supplémentaire ? Il faut en outre réfléchir à l'impact concret et pratique de l'article 22ter proposé. La disposition proposée implique-t-elle une obligation de standstill ou le but est-il d'imposer aux divers pouvoirs publics une obligation d'agir et, si oui, quelle en est la portée ?

Le groupe N-VA soutient donc la proposition sur le fond, mais demande davantage de précisions sur son incidence pratique.

M. Delpérée considère que les observations de MM. Pieters et Vanlouwe sont judicieuses. Il rappelle que notre Constitution, il y a cent quatre-vingts ans, proclamait les droits et libertés de tous les Belges, sans distinction. À partir des années 1980, le constituant s'est engagé dans une nouvelle voie, non contradictoire, mais complémentaire. Il a d'abord précisé dans la Constitution que les Belges pouvaient être répartis en deux sexes. Le constituant a dès lors consacré les droits des femmes, notamment leurs droits politiques, et le droit d'égalité entre hommes et femmes (articles 10, alinéa 3, et 11bis). À partir de 1996, la question s'est posée de savoir si, dans le prolongement de conventions internationales comme la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, il ne serait pas utile de mettre un accent particulier sur le droit des enfants (article 22bis). La présente proposition constitue un troisième pas dans la protection de droits fondamentaux spécifiques ou de catégories de personnes.

Se référant à l'intervention de M. Vanlouwe, M. Delpérée insiste sur le fait que la proposition contient une invitation, tant à l'État fédéral qu'aux communautés et régions, chacun pour ce qui le concerne, à garantir les droits des personnes handicapées.

M. Cheron fait tout d'abord observer qu'il serait incongru qu'une proposition ayant recueilli l'unanimité en commission lors de la précédente législature, n'en bénéficie plus aujourd'hui.

Quant au fond, il est clair, comme l'a rappelé M. Delpérée, que la présente proposition s'inscrit dans le cadre général du titre II de la Constitution relatif aux Belges et à leurs droits.

Troisièmement, l'article 22ter, alinéa 2, proposé contient une invitation à l'État fédéral, aux communautés et aux régions, à garantir la protection des droits des personnes handicapées. Jusqu'à présent, la définition du handicap relève de la compétence de l'État fédéral. Mais toute cette matière fait actuellement l'objet de débats dans le cadre de transferts de compétences aux entités fédérées, comme par exemple l'aide à la mobilité pour des personnes handicapées. C'est la raison pour laquelle l'invitation contenue à l'article 22ter, alinéa 2, proposé s'adresse non seulement à l'État fédéral, mais aussi aux entités fédérées à la lumière de nouvelles compétences qui seront éventuellement transférées à celles-ci. Les implications du nouvel article 22ter sont d'une nature différente, à savoir juridique, pratique et financière. En effet, les autorités en charge des personnes handicapées sont invitées à « assurer l'autonomie et une intégration culturelle, sociale et professionnelle ». Il en résulte des obligations de résultat qui seront du ressort d'autres autorités que l'État fédéral.

Quant à l'esquisse faite par M. Delpérée de l'évolution de droits fondamentaux généraux à des droits spécifiques, M. Cheron cite également les droits économiques, sociaux et culturels, comme le droit au logement (article 23), et le principe du développement durable (article 7bis). Il faudra toutefois, à un moment donné, examiner l'opportunité d'ajouter encore de tels droits spécifiques et la cohérence interne de l'actuel système de protection des droits fondamentaux.

Une dernière remarque porte sur l'efficacité du nouvel article 22ter. Le Sénat, dans sa nouvelle composition, pourrait éventuellement mesurer et évaluer l'impact réel non seulement de cet article, mais de tous les droits spécifiques sur la vie de l'ensemble de nos concitoyens, par exemple après l'expiration d'un délai de quelques années après leur entrée en vigueur.

M. Vanlouwe remercie M. Delpérée pour ses clarifications. L'intervenant retient que l'article 22ter proposé implique que l'État fédéral, les communautés et les régions ont l'obligation d'agir. M. Cheron souligne que l'État fédéral est encore compétent pour définir la notion de handicap, mais que des transferts de compétences concernant la politique des personnes handicapées seront peut-être encore effectués dans le cadre de la réforme de l'État. À l'heure actuelle, les communautés disposent déjà de compétences étendues en matière de bien-être. Il existe des fonds qui déploient des efforts considérables dans le cadre de la politique des handicapés. L'ancrage constitutionnel des droits des personnes handicapées va imposer de nouvelles obligations aux communautés. M. Cheron a déjà attiré l'attention sur les implications juridiques, pratiques et financières qui découleront du nouvel article 22ter, mais rien n'est clair en ce qui concerne les transferts de compétence. D'où la question: a-t-on mené une concertation à ce sujet avec les communautés ? M. Vanlouwe insiste sur le fait que ces questions n'affectent nullement le soutien du groupe N-VA au contenu de la proposition de révision à l'examen, mais qu'elles sont uniquement motivées par les préoccupations du groupe concernant la mise en œuvre pratique et les conséquences de la nouvelle disposition constitutionnelle, tant pour l'État fédéral que pour les communautés.

M. Delpérée souhaite apporter trois précisions.

Tout d'abord, la Constitution n'est pas une règle fédérale. Le Sénat en tant que composante du constituant n'agit pas comme agent de l'État fédéral, mais comme agent de l'État global avec des implications pour l'État fédéral, les communautés et les régions. Par exemple, en matière d'enseignement, l'article 24 de la Constitution proclame la liberté d'enseignement et l'obligation de suivre un enseignement. Mais il appartient aux communautés d'organiser celui-ci. M. Delpérée qualifie cette procédure comme relevant de l'État « fédératif », à savoir l'État qui rassemble l'État fédéral et les entités fédérées.

Deuxièmement, l'article 22ter proposé n'entend pas constituer à lui seul le statut de la personne handicapée. Cette personne continue évidemment à jouir des autres droits et libertés, comme le droit au logement, le droit à l'enseignement et le droit à la liberté d'expression. L'article 22ter proposé offre une protection supplémentaire et ne vient pas se substituer aux autres droits et libertés. La nouvelle disposition ne constitue donc pas le réceptacle exclusif des droits qui reviendraient à la personne handicapée.

Troisièmement, comme M. Vanlouwe l'a soulevé à juste titre, entre l'affirmation d'un principe constitutionnel et la pratique, il y a toujours un divorce. Ainsi, les hommes et les femmes sont égaux en droit, mais la réalité démontre que ce n'est pas toujours le cas.

III. VOTES

L'article unique est adopté à l'unanimité des 11 membres présents.


Le présent rapport a été approuvé à l'unanimité des 9 membres présents.

Les rapporteurs, La présidente,
Dirk CLAES. Gérard DEPREZ. Sabine de BETHUNE.

Le texte adopté par la commission est le même que celui de la proposition de révision de la Constitution (voir le doc. Sénat, nº 5-139/1 — S.E. 2010).