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10 JANVIER 2013
Il y a dix ans cette année qu'était promulguée la loi dépénalisant partiellement l'euthanasie.
L'adoption de cette loi fut précédée de long débats parlementaires, irrigués de contacts nombreux avec la société civile et le monde médical.
Dès 1996, le Sénat adoptait une résolution « en vue de rassembler des informations et d'organiser un débat sur la fin de vie ». Il était donné suite à cette résolution par l'organisation, au Sénat, d'un colloque les 9 et 10 décembre 1997, autour des avis remis par le comité national consultatif de bioéthique sur l'opportunité d'une réglementation légale de l'euthanasie. De nombreuses propositions de loi furent déposées dans les deux assemblées, et en nombre plus important encore au Sénat lors de la législature 1995-1999.
Le Sénat a ouvert un débat sur les propositions redéposées dès le début de la législature suivante, devant ses commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales. Le débat a duré près de deux ans, a donné lieu à quarante auditions, de médecins et de membres du monde médical, de juristes, de représentants d'institutions spécialisées dans la fin de vie et les soins palliatifs, de patients malades...
Le débat a rapidement dépassé l'enceinte du parlement; il a eu un retentissement très grand dans l'ensemble de la société. La presse a donné un écho important au débat; les auditions ont été télévisées. On est passé sur ces difficiles questions de la fin de vie d'un véritable tabou sociétal à une parole ouverte.
On peut affirmer que la loi issue de ces débats constitue réellement une norme collectivement déterminée. En adoptant ce texte, le législateur belge a consacré une évolution tangible de la société. Il a réduit la discordance entre le cadre légal et le réel.
Ce texte fixe donc une nouvelle norme collective. Il n'impose aucune pratique à qui s'y opposerait à titre individuel. Mais il ouvre le droit à la maîtrise de sa vie.
Cette loi a rendu au patient le magistère sur sa vie, tout en le protégeant contre les abus. La loi a libéré la parole du patient et du médecin quant à la fin de vie, qui peuvent échanger en confiance, sans dissimulation ou décision hátive. Cela rassure le malade, qui sachant que sa demande pourra être entendue, accepte plus sereinement une prise en charge palliative, délivré de la peur de souffrir excessivement ou de se voir perdre toute dignité. Cela rassure le médecin, qui sait désormais qu'il peut accomplir l'acte ultime d'humanité pour délivrer un patient de la souffrance sans transgresser la loi, quand il agit dans le cadre de celle-ci, à la demande du patient.
Cette loi constitue donc une avancée réelle. Aujourd'hui, après dix ans, l'heure est à l'évaluation, et le cas échéant, à amélioration.
La loi a prévu la mise en place d'une commission d'évaluation. Les rapports bisannuels que la Commission adresse aux Chambres législatives sont la première source d'évaluation de la loi.
Le dernier rapport, déposé en 2012 et portant sur les années 2010-2011, confirme une lente et régulière augmentation du nombre de déclarations d'euthanasie, qui représentent aujourd'hui plus ou moins mille cas par an, soit 1 % du total des décès annuels. Dans ses recommandations, la Commission « confirme ses avis antérieurs selon lesquels l'application de la loi n'a pas donné lieu à des difficultés majeures ou à des abus qui nécessiteraient des initiatives législatives ».
Par contre, la Commission souligne la nécessité d'un « effort d'information tant vis-à-vis des citoyens que des médecins ». La Commission souhaiterait « la réalisation d'une brochure d'information destinée au public, qui permettrait notamment d'attirer l'attention sur l'importance de la déclaration anticipée d'euthanasie pour les cas d'inconscience irréversible où les décisions médicales sont particulièrement difficiles à prendre ». Et la Commission rappelle à ce propos que plusieurs membres « ont regretté la complexité de la rédaction, des procédures d'enregistrement et de renouvellement de la déclaration qui limitent son usage ».
Enfin, la Commission souligne la nécessité d'améliorer la formation des médecins concernant la fin de vie en ce compris les soins palliatifs et la pratique d'une euthanasie. Elle souligne également l'importance de la disponibilité des produits nécessaires à une euthanasie.
Ces derniers points, essentiels, ne relèvent cependant pas d'une modification de la loi de 2002.
Déclaration anticipée sans limite de validité
Le processus de la déclaration anticipée est réglé directement par la loi et ses arrêtés d'application.
Il y a dix ans, le législateur a tenu compte de la modification considérable du droit que représentait la dépénalisation partielle de l'euthanasie. Il a veillé à ce qu'une déclaration anticipée non seulement ne puisse être rédigée « à la légère », sous le coup d'une dépression passagère, mais a voulu qu'elle ne vaille que pour une durée limitée de cinq ans, pour que les individus puissent confirmer leur volonté relative à leur fin de vie, mais aussi pour poser des balises à la mise en œuvre de cet aspect de la loi. Le législateur songeait non seulement au changement de volonté concernant la survie elle-même, mais aussi par exemple aux personnes de confiance désignées par la déclaration: des changements peuvent survenir dans la vie affective, qui justifient la modification des personnes désignées.
Aujourd'hui, on constate, d'après les rapports de la Commission d'évaluation, que seules 2 % des euthanasies sont pratiquées en application d'une déclaration anticipée.
Petit à petit, le public prend connaissance des règles régissant l'euthanasie, et de plus en plus nombreux sont les Belges qui désirent faire une déclaration anticipée. Après dix ans, ceux qui l'ont fait dès les premières années ont déjà eu à renouveler cette déclaration. Et l'on entend des plaintes quant à la lourdeur de ce renouvellement obligatoire tous les cinq ans.
Un sondage, certes à prendre sous toute réserve, s'agissant d'un sondage mené sur internet (sur www.peil.nl), auprès d'habitants du Bénélux, fournit cependant une indication intéressante: 76 % des répondants approuvent la suggestion suivante: « une fois qu'elle a été signée, la déclaration anticipée reste valable et ne doit plus être signée à nouveau ultérieurement (mais elle peut évidemment toujours être révoquée). »
À suivre cette suggestion, la déclaration anticipée recevrait désormais le même statut qu'un testament: toujours révocable ou modifiable, elle reste cependant valable ad vitam.
Cette modification semble logique: les Belges s'appropriant la loi sur l'euthanasie, il n'y a plus lieu aujourd'hui de craindre que la déclaration signée un jour risque plus d'être oubliée que des dispositions testamentaires patrimoniales. Si le testament est valable sans limitation de durée, on ne voit pas ce qui justifierait aujourd'hui que la déclaration anticipée ne le soit pas. Si l'on se souvient de modifier son testament suite aux expériences de la vie, pourquoi oublierait-on la déclaration anticipée relative à la fin de sa vie ?
La présente proposition vise donc, notamment, à supprimer toute notion de délai de validité pour la déclaration anticipée visée à l'article 4 de la loi.
Formation des médecins et capacité de réponse médicale partout dans le pays
L'autre volet des recommandations de la commission concerne la formation des médecins aux problématiques de fin de vie. On l'a dit, cette problématique importante ne relève pas directement du texte de la loi euthanasie. Elle s'inscrit dans la question, plus large encore, de l'amélioration des capacités de réponses du monde médical aux situations de fin de vie. La qualité de cette réponse, et même la possibilité d'apporter une réponse aux différentes demandes, des soins palliatifs à l'euthanasie, n'est pas de même niveau sur tout le territoire belge. La formation des médecins et du personnel médical en général doit être améliorée pour permettre une généralisation des compétences dans le domaine de la fin de la vie. Les moyens doivent être donnés pour que des équipes multidisciplinaire soient capables, partout sur le territoire, de fournir des soins palliatifs en maîtrisant notamment efficacement la lutte contre la douleur et en étant capable de répondre à une demande d'euthanasie.
L'objection de conscience appartient au médecin seul
La possibilité qu'une demande d'euthanasie trouve une réponse médicale ne dépend pas que de la formation des médecins et des moyens mis à œuvre, mais aussi de la volonté du médecin. La loi a prévu que personne n'est tenu de pratiquer (ou de concourir à) une euthanasie. Outre, bien entendu, des objections de caractère médical, le médecin peut opposer une clause de conscience à une demande d'euthanasie. C'est là une liberté du médecin qui fait face au droit du patient. Et c'est une liberté fondamentale qui doit être absolument respectée.
Mais s'agissant d'une limite à un droit du patient, l'exercice de cette clause de conscience ne peut empêcher le patient de trouver réponse à sa demande. La loi protège la partie faible. Dans le dialogue médecin-patient, c'est ce dernier qui est la partie faible, dépendante du praticien, et plus encore sans doute dans les situations de fin de vie. Il faut donc que le médecin fasse un usage responsable de sa clause de conscience.
Ainsi, le médecin qui entend faire valoir une telle clause de conscience doit le communiquer au plus tôt au patient qui lui fait part de ses résolutions quant à la fin de sa vie. Actuellement, la loi stipule que le médecin consulté qui refuse de pratiquer une euthanasie doit en informer le patient « en temps utile ». Le législateur n'avait pas voulu figer un délai de réponse, tant peuvent être diverses les situations concrètes. Mais cette totale absence de délai semble parfois mener à une difficulté de dialogue clair sur ces questions, et in fine à une absence de réponse en temps opportun. L'inscription d'un délai de réponse maximum clarifierait les choses. S'agissant de faire état d'une objection de conscience, il semble qu'on puisse exiger une réponse assez rapide.
La présente proposition entend modifier l'article 14 de la loi en précisant que le refus de pratiquer une euthanasie pour une raison non médicale doit être communiqué par le médecin au patient dans les sept jours de la formulation de la demande.
De même, le dossier médical doit être rapidement transmis au médecin désigné par le patient ou la personne de confiance. Un nouveau délai de quatre jours maximum est proposé dans le présent texte.
À ce propos, la désignation d'un nouveau médecin par le patient est une difficulté réelle. Il est un peu illusoire d'imaginer un patient affaibli trouver par ses propres moyens un médecin qui accepterait de répondre à sa demande. Sans doute, obliger le médecin excipant une clause de conscience à référer son patient à un médecin acceptant de répondre à la demande pourrait-il être considéré comme une mise en cause de cette clause de conscience.
La réponse à cette difficulté est l'amélioration de l'information sur la fin de vie, qui devrait, elle, être obligatoire dans toute les structures de soin, et disponible par exemple dans toutes les pharmacies. Cette information devrait faire notamment référence, outre toutes les possibilités de prise en charge palliative, à l'euthanasie, et au forum de médecins LEIF-EOL, apte à apporter une réponse aux demandes dans les diverses configurations possibles (patient au domicile, en institution, etc.).
Par ailleurs, la clause de conscience est propre au médecin. C'est un droit strictement individuel accordé au médecin de ne pas pratiquer un acte médical que sa conscience réprouve. Cette clause de conscience ne peut pas être étendue à une institution qui l'imposerait aux soignants. Le droit du médecin ne peut en effet justifier une interdiction portée soit dans un contrat, soit dans une convention d'association qui lierait le médecin avec une institution de soins reconnue et subsidiée par les autorités compétentes en Belgique. Le médecin est libre d'accéder, ou non, à la demande d'euthanasie, où qu'il exerce. Aucun établissement de soin, hôpital, MRS, ne peut interdire à un médecin de pratiquer une euthanasie en ses murs. En effet, conformément à l'article 11 de l'arrêté royal nº 78 sur l'exercice des professions de soins de santé, la liberté de soins du médecin ne peut être limitée par aucune convention. Et l'euthanasie est bien un acte de soins: l'article 1erbis de l'arrête royal nº 78 définit les soins de santé comme étant les « services dispensés par un praticien professionnel au sens du présent arrêté, en vue de promouvoir, de déterminer, de conserver, de restaurer ou d'améliorer l'état de santé d'un patient ou de l'accompagner en fin de vie ». La liberté thérapeutique du médecin couvre donc le recours à l'euthanasie dans le cadre de la loi.
Or, il est rapporté qu'actuellement, des établissements hospitaliers « institutionnalisent » la clause de conscience individuelle, en refusant que l'euthanasie y soit pratiquée.
Dans sa thèse de doctorat consacré à la question, Madame Sylvie Tack, de l'Université de Gand, conclut que cette pratique est illégale (1) .
Pour autant que de besoin, l'auteur de la présente proposition entend affirmer clairement ce principe dans la loi: aucun médecin ne peut être ni obligé, ni empêché de pratiquer une euthanasie dans les conditions légales, où qu'il exerce.
Pour toute clarté, il est également proposé d'inclure une référence à la définition des soins de santé portée par l'article 1erbis de l'arrête royal nº 78 dans la loi sur les hôpitaux.
L'euthanasie est devenue, depuis dix ans, un droit pour le patient qui se trouve dans les conditions légales prévues, au même titre que les autres droits conférés au patient par la loi du 22 août 2002 (relative aux droits du patient). S'il devait être constaté à l'avenir que des établissements « institutionnalisent » le refus de réponse à une demande d'euthanasie, refusant ainsi l'application d'un droit reconnu au patient et bafouant la liberté thérapeutique des médecins, les autorités compétentes devraient prendre des mesures pour y mettre fin.
La situation des mineurs
La loi de dépénalisation partielle de l'euthanasie a réservé ses effets aux patients majeurs ou mineurs émancipés (l'émancipation est possible à partir de l'áge de quinze ans).
Les mineurs non émancipés ne peuvent donc demander l'euthanasie.
Parmi d'autres, deux éléments ont principalement justifié le choix du législateur de l'époque. D'abord une volonté très claire de circonscrire l'ouverture du droit aux personnes juridiquement capables. D'autre part, le souci de ne pas aller plus loin que ce que le corps social pouvait accepter.
Ces deux éléments ont fait discussion dès 2002, bien entendu. Le critère de la capacité juridique était déjà mis en cause: du point de vue de la santé du mineur, ce n'est pas un critère absolu.
Le législateur en était parfaitement conscient à cette époque, puisqu'en parallèle aux travaux sur la fin de vie était élaborée la loi relative aux droits des patients. Cette loi du 22 août 2002 prévoit qu'il doit être tenu compte de l'avis des mineurs en matière de décisions médicales. En effet, après avoir indiqué que « Si le patient est mineur, les droits fixés par la présente loi sont exercés par les parents exerçant l'autorité sur le mineur ou par son tuteur », le paragraphe 2 de l'article 12 de la loi porte: « suivant son áge et sa maturité, le patient est associé à l'exercice de ses droits. Les droits énumérés dans cette loi peuvent être exercés de manière autonome par le patient mineur qui peut être estimé apte à apprécier raisonnablement ses intérêts. »
Intégrant ces évolutions législatives, l'Ordre des médecins soulignait dès 2003 que « du point de vue déontologique, l'áge mental d'un patient est plus à prendre en considération que son áge civil » (2) .
Le législateur a conclu à l'époque des auditions que la société n'était pas prête à accepter et assimiler sereinement l'euthanasie des mineurs. Cette dissociation du débat selon le critère strict de la capacité juridique a pourtant paru choquante à certains, des soignants d'enfants à la Commissaire aux droits des enfants de la Communauté flamande. Celle-ci écrivait, dans un avis rendu à l'occasion du débat de la loi sur l'euthanasie à la Chambre: « Les mineurs peuvent également se retrouver dans une situation, si dramatique et si rare qu'elle soit, où une demande d'euthanasie peut être justifiée. Si le législateur permet aux adultes de formuler pareille demande à certaines conditions, les mineurs qui se trouvent dans la même situation doivent bénéficier également de la possibilité de mourir dignement. En de pareilles circonstances, et uniquement pour les personnes capables d'exprimer leur volonté, l'áge objectif joue un rôle secondaire » (3) .
Le législateur a cependant choisi, il y a dix ans, de ne pas se prononcer sur la problématique de l'euthanasie des mineurs. Il a été répété lors des débats que les situations de fin de vie impliquant des mineurs étaient évidemment problématiques. Mais le législateur a estimé que la réflexion éthique devait se poursuivre pour déterminer ce qui pourrait fonder l'intervention du médecin confronté à une demande d'euthanasie qui émanerait d'une personne juridiquement incapable.
Cette réflexion doit se faire, d'abord, à l'aune du réel, de la pratique médicale. Car si la loi ne peut précéder le réel, elle ne peut le nier. Que nous apprend donc la pratique médicale ?
Face à des situations de douleur inapaisable, des soignants choisissent d'administrer à des mineurs des substances létales qui accélèrent ou causent le décès. Cette réalité, exposée déjà lors des auditions de 2001, n'est pas mise en doute aujourd'hui.
Elle est reflétée par diverses études scientifiques:
— une étude publiée dans The Lancet, publiée en 2005, mais réalisée avant les débats parlementaires (1999-2000), démontre l'importance des décisions de fin de vie dans les décès de mineurs: dans ce champ d'étude — impliquant les services de néonatologie — 57 % des décès étudiés sont précédés d'une décision de fin de vie (4) ;
— une étude menée en Flandre entre juin 2007 et novembre 2008 auprès de médecins (signataires de certificat de décès), concernant 250 décès de mineurs ágés de 1 à 17 ans montre que dans 36,4 % des décès, une décision de fin de vie avait été prise (décision qui mène à l'administration d'une drogue létale causant le décès — 13 % des cas — ou l'administration de médicaments aux fins de soulager la douleur ou d'autres symptômes mais pouvant háter le décès, ou la non-poursuite d'un traitement) (5) ;
— en 2010, des experts de la VUB, de l'Université de Gand et de l'Université d'Anvers ont réalisé une étude sur l'implication du personnel infirmier dans les décisions de fin de vie dans les unités de soins intensifs pédiatriques en Belgique (6) . Sur cent quarante-et-un infirmier(e)s de ces unités interrogés, 85 % avaient soigné au moins un enfant pour lesquelles une décision de fin de vie avait été prise. 78 % de ces infirmier(e)s se disaient préparés à intervenir dans une procédure d'euthanasie d'un mineur.
Il est donc patent, que, par humanité, des médecins (et manifestement, dans certains cas, des infirmiers) prennent ou interviennent dans des décisions de fin de vie concernant de jeunes patients mineurs. Parmi les cent vingt-et-un répondants à l'étude du Lancet de 2005, nonante-cinq (soit 79 %) estimaient qu'il était parfois de leur devoir d'alléger la souffrance en hátant la mort.
Si la pratique est établie, le législateur doit-il s'en saisir ?
C'est en tout cas l'avis des répondants aux enquêtes citées: cent vingt des cent vingt-et-un répondants à l'étude du Lancet étaient partisans d'un règlement légal de ces questions et 89 % des répondants à l'enquête de 2010 publiée dans l'AJCC souhaitaient une adaptation de la loi. C'est aussi la position de l'association belge des intensivistes pédiatriques. Cela semble également être l'option qui l'emporte aujourd'hui dans l'opinion publique.
Ainsi, une enquête menée en 2004 par TNS Di Marso pour l'association Recht op Waardig Sterven auprès de cinq cent quatre-vingt six Flamands montre que près de neuf répondants sur dix estiment que les mineurs doivent pouvoir bénéficier des dispositions de la loi sur l'euthanasie (7) .
Cette opinion repose sur une conviction première: la décision de fin de vie est un acte d'humanité, posé en dernier recours. De ce point de vue, pourquoi priverait-on des mineurs du soulagement ultime que représente cet acte ?
La réflexion est identique à celle qui a mené à la loi actuelle. Si la pratique est avérée, même si heureusement, elle ne concerne que de rares cas; si elle est acceptée par une large majorité du corps social, comment le législateur pourrait-il ignorer la réalité ?
Faut-il laisser les médecins gérer, au cas par cas, seuls, ou parfois en équipe, la transgression légale ? Faut-il que le médecin acceptant de poser cet acte ne puisse faire valoir devant la justice que la cause d'excuse qu'est l'état de nécessité ? Faut-il donc que le corps médical seul construise le cadre de son intervention ultime ? Faut-il que persiste l'impossibilité du dialogue assumé, face à la menace de l'absence de cadre pénal ?
Instruits de l'expérience du fonctionnement de la loi actuelle quant aux personnes juridiquement capables, les médecins concernés semblent aujourd'hui majoritairement désireux que le législateur intervienne pour poser les conditions suivant lesquelles l'euthanasie d'un mineur ne serait plus une infraction, sans référence juridique à l'état de nécessité.
Et un consensus social semble rejoindre ces praticiens pour que soit établi un cadre légal qui permette un véritable dialogue en même temps qu'un vrai contrôle social. L'obscurité et le manque de transparence nourrissent en effet à la fois le manque de réponse à la demande que la suspicion d'excès dans la pratique.
L'auteur de la proposition suggère en conséquence que soit fixé un cadre légal pour permettre, dans certains cas, la pratique d'euthanasie sur des mineurs.
Dans quelles limites ?
L'euthanasie est définie par la loi, qui reprend la définition proposée par le Comité de bioéthique, comme étant « l'acte, pratiqué par un tiers, qui met intentionnellement fin à la vie d'une personne à la demande de celle-ci ».
L'euthanasie est donc un acte répondant à la demande de la personne concernée.
Pour exprimer valablement une demande, il faut être capable de juger raisonnablement de ses intérêts.
Selon la définition légale retenue par le législateur belge, l'euthanasie ne pourrait donc concerner que les mineurs disposant de la capacité de discernement. Pour rappel, la capacité de discernement n'est pas un état absolu dont disposerait une personne à partir d'un certain áge et pour le reste de sa vie, pour toute situation vécue. Elle est évaluée pour chaque individu, face à une situation particulière. Elle doit être attestée pour chaque question nouvelle.
Par ailleurs, bien entendu, un mineur non émancipé n'a pas la capacité juridique. C'est donc ses représentants légaux (parents ayant autorité parentale, tuteur, ...) qui agissent pour son compte pour poser des actes juridiques. En conséquence, l'intervention des représentants légaux est obligatoire pour pouvoir pratiquer une euthanasie sur un mineur.
La présente proposition vise donc à autoriser la pratique de l'euthanasie, dans les conditions déjà fixées par la loi, sur un mineur dont la capacité de discernement est attestée et dont la demande, émise dans les conditions de la loi, est confirmée par ses représentants légaux.
L'évaluation de la capacité de discernement devra être réalisée par un pédo-psychiatre ou un spécialiste disposant d'une expertise similaire pertinente, qui attestera que le mineur est à même d'apprécier raisonnablement les conséquences de sa demande.
Le discernement ne peut pas être déduit simplement de l'áge de l'enfant. Tous les spécialistes admettent que la capacité de discernement est variable d'un individu à l'autre, d'une situation à l'autre. Les spécialistes pédiatriques entendus il y douze ans lors de l'élaboration de la loi insistaient sur l'extraordinaire maturité que des enfants peuvent acquérir quand ils font face à une maladie létale. Il est préférable de ne pas tracer de limite d'áge arbitraire, mais de se fonder sur la réponse à la question: la demande du patient est-elle éclairée, est-il en capacité d'en apprécier toutes les conséquences ?
Une question liée à l'áge peut cependant subsister: faut-il distinguer, parmi les mineurs disposant de la capacité de discernement, une limite d'áge au-delà de laquelle l'avis du mineur l'emporte sur celui des parents ?
C'est la solution retenue par le législateur néerlandais, qui prévoit qu'au-delà de seize ans, l'avis des parents, qui doit toujours être demandé, n'est pas contraignant.
Cette logique de « seuil » peut être soutenue par un argument: le mineur pourrait être émancipé à partir de quinze ans, pour des raisons tout à fait indépendantes de l'euthanasie. Dans ce cas, il pourra, en vertu de la loi actuelle, exercer seul son droit à demander l'euthanasie. Mais un autre jeune de quinze ans, dont le discernement serait également attesté mais qui serait toujours incapable juridique ne pourra demander seul à bénéficier de la loi. Cette différence de traitement peut paraître injustifiée. Ne faut-il pas alors traiter de manière égale toutes les personnes ágées d'au moins quinze ans ? Si la question est légitime, n'est-elle pas très théorique ?
Sans doute la situation d'un jeune de seize ans demandant l'euthanasie, demande que contesterait farouchement les représentants légaux de ce mineur, est-elle possible. Mais concrètement, imagine-t-on vraiment que face à une telle situation, un médecin puisse sereinement accéder à la demande ?
Cela semble peu probable, et c'est un dilemme que le législateur ne peut faire peser sur les soignants.
À moins que les débats parlementaires ne puissent démontrer, par exemple au travers de l'expérience hollandaise, que le seuil établi en fonction de l'áge ait permis de résoudre des situations qui n'auraient pas trouvé de solution sans cela, il paraît opportun à l'auteur de s'en tenir à la capacité de discernement du mineur et à la confirmation légale de sa demande par ses représentant légaux.
Autre question, plus délicate: est-il juste de limiter le bénéfice de l'euthanasie aux seuls mineurs disposant de la capacité de discernement ? Pourquoi un enfant souffrant atrocement d'une affection sans rémission possible ne pourrait-il être aidé à en finir ? Il peut l'être bien sûr, par un médecin qui estimerait se trouver face à un état de nécessité, et qui assumerait agir hors des protections de la loi.
La question devient donc: pourquoi ne pas poser également un cadre légal à ces actes, pour toutes les raisons qui justifient la loi de 2002 et les extensions proposées aujourd'hui ?
Le professeur Englert, entendu par les commissions réunies de la Justice et des Affaires sociales du Sénat ce 11 décembre 2012, lors de la présentation du rapport 2010-2011 de la Commission d'évaluation de la loi, estime qu'un tel cadre légal doit effectivement pouvoir être élaboré, mais cela en dehors de la loi « euthanasie », étant donné l'absence de possibilité pour le patient d'émettre une demande éclairée.
Le Sénat devrait pouvoir étudier également ce délicat problème, en menant un débat sur ces questions.
La dégénérescence mentale progressive
Autre limite que s'est imposée le législateur de 2002: la loi n'est pas applicable aux personnes majeures conscientes mais incapables d'exprimer une volonté éclairée. Dans l'état actuel des choses, elle ne s'applique donc pas aux maladies mentales dégénératives.
La loi de 2002 prévoit que la déclaration anticipée est applicable si le patient n'est plus en état de manifester sa volonté et que le médecin constate l'existence d'une affectation accidentelle ou pathologique grave et incurable, que le patient est inconscient, et que cette situation est irréversible selon l'état actuel de la science.
L'application de ces conditions aux situations de dégénérescence mentale progressive fait l'objet de débats.
Ces maladies peuvent en effet provoquer une altération totale des capacités cognitives, menant le malade, au stade terminal de la maladie, à une absence totale de conscience de lui-même et des interactions avec le monde extérieur.
De très nombreuses personnes, souvent témoins de l'évolution d'une telle maladie chez un proche, déclarent vouloir bénéficier de l'euthanasie avant ce stade ultime de la maladie, estimant que le patient est à ce stade dénué de toute conscience, de toute dignité et de toute humanité.
Une réponse doit pouvoir être apportée aux situations dramatiques que vivent les malades et leurs familles face à cette survie totalement déshumanisée, qui met les proches dans un désarroi terrible, et que de nombreuses personnes voudraient pouvoir s'éviter à elles-mêmes.
Mais la difficulté réside bien entendu dans la détermination de l'état exact du malade. Si la déclaration anticipée peut permettre de demander l'euthanasie à un stade de la maladie qui peut être considéré comme équivalent au stade de l'inconscience irréversible, en ce qu'il est caractérisé par une totale absence de conscience de sa propre personne et de communications inter-subjectives, il faut pouvoir caractériser cet état. Si cet état pouvait être identifié avec certitude, il ne serait d'ailleurs peut-être pas nécessaire de modifier la loi, la pratique médicale pouvant assimiler ce stade de la maladie à la condition actuelle de l'inconscience irréversible.
Mais les neurosciences peuvent-elles identifier de manière parfaitement claire les différents stades de la dégénérescence ?
L'auteur de la présente proposition estime qu'il convient avant tout de répondre à cette question pour envisager d'éventuelles adaptations législatives. Il proposera donc au Sénat d'organiser un débat sur la question permettant de confronter les connaissances scientifiques les plus actuelles à l'avis des juristes et éthiciens.
Philippe MAHOUX. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Dans l'article 3 de la loi du 28 mai 2002 relative à l'euthanasie, les modifications suivantes sont apportées:
1º dans le paragraphe 1er, alinéa 1er, le tiret suivant est inséré entre le premier et le deuxième tiret:
« — Le patient mineur dispose de la capacité de discernement et est conscient au moment de sa demande; »;
2º un paragraphe 2bis est inséré, rédigé comme suit:
« § 2bis. Si le patient est mineur, il doit, en outre:
1º consulter un deuxième médecin, pédo-psychiatre ou détenteur d'une expertise pertinente quant à la capacité de discernement du mineur, en précisant les raisons de la consultation.
Le médecin consulté doit être indépendant, tant à l'égard du patient qu'à l'égard du médecin traitant. Le médecin traitant informe le patient et ses responsables légaux du résultat de cette consultation;
2º s'entretenir avec les représentants légaux du mineur en leur apportant toutes les informations prévues au § 2, 1º et s'assurer qu'ils confirment la demande du patient mineur. »;
»;3º Dans le paragraphe 4, la première phrase est remplacée par la phrase suivante:
« La demande du patient et, s'il est mineur, celle de ses représentants légaux, doit être actée par écrit. Le document est rédigé, daté et signé par le patient lui-même et, s'il est mineur, par ses représentants légaux. Si le patient n'est pas en état de le faire, sa demande est actée par écrit par une personne majeure de son choix qui ne peut avoir aucun intérêt matériel au décès du patient. »
Art. 3
Dans l'article 4, § 1er, sont supprimés:
1º la phrase « La déclaration ne peut être prise en compte que si elle a été établie ou confirmée moins de cinq ans avant le début de l'impossibilité de manifester sa volonté »;
2º les mots « à la confirmation » dans la dernière phrase.
Art. 4
Dans l'article 14 de la loi sont apportées les modifications suivantes:
1º la phrase « Aucun médecin ne peut être empêché de pratiquer une euthanasie en vertu d'une convention. Le cas échéant, une telle clause d'interdiction est réputée non écrite » est ajoutée après la phrase « Aucune autre personne n'est tenue de participer à une euthanasie »;
2º dans la quatrième phrase, les mots « en temps utile » sont supprimés et les mots « dans un délai de sept jours » sont ajoutés entre les mots « personne de confiance éventuelle » et les mots « en en précisant »;
3º la cinquième et dernière phrase est complétée par les mots « dans un délai de quatre jours ».
Art. 5
Dans l'article 144 de la loi relative aux hôpitaux et à d'autres établissements de soins, coordonnée le 10 juillet 2008, le paragrapghe 1er est complété par les mots « au sens de la définition donnée aux « soins de santé » par l'article 1erbis de l'arrêté royal nº 78 relatif à l'exercice des professions des soins de santé. »
18 décembre 2012.
Philippe MAHOUX. |
(1) Tack Sylvie, Het ethisch beleid in zorginstellingen: een juridische analyse met focus op levenseindezorg, U Gent.
(2) Ordre des médecins, Avis relatif aux soins palliatifs, à l'euthanasie et à d'autres décisions médicales concernant la fin de vie, 22 mars 2003.
(3) Avis « Euthanasie en minderjarigen » du Kinderrechtencommissariaat, mars 2002, Doc. Ch, no 50-1488; p. 10.
(4) Provoost V., Cools F., Mortier F. et al. « Neonatal Intensive Care Consortium, Medical end-of-life decisions in neonates and infants in Flanders ». Lancet 2005; 365 (9467) 1315-1320, consulté en ligne le 11 décembre 2012: http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15823381.
(5) Geert Pousset, MA; Johan Bilsen, PhD; Joachim Cohen, PhD; Kenneth Chambaere, MA; Luc Deliens, PhD; Freddy Mortier, PhD, « Medical End-of-Life Decisions in Children in Flanders, BelgiumA Population-Based Postmortem Survey », Arch. Pediatr. Adolesc. Med., 2010;164(6):547-553. doi:10 1001/archpediatrics.2010.59, consulté en ligne le 11 décembre 2012: http://archpedi.jamanetwork.com/article.aspx ?articleid=383274.
(6) Els Inghelbrecht, MA, Johan Bilsen, PhD, Heidi Pereth, MSc, José Ramet, PhD and Luc Deliens, PhD; « Medical End-of-Life Decisions: Experiences and Attitudes of Belgian Pediatric Intensive Care Nurses », American Journal of Critical Care, consulté en ligne le 11 décembre 2012: http://ajcc.aacnjournals.org/content/18/2/160.full#T3.
(7) Rapporté notamment par De Standaard, 20 juin 2005, consulté en ligne le 11 décembre 2012: www.standaard.be/artikel/detail.aspx ?artikelid=GFPBQO5N.