5-1815/1

5-1815/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2012-2013

24 OCTOBRE 2012


Proposition de loi spéciale modifiant les lois spéciales du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises

(Déposée par Mme Zakia Khattabi, MM. Dirk Claes, Philippe Mahoux, Bert Anciaux, Mme Christine Defraigne, MM. Rik Daems, Francis Delpérée et Mme Freya Piryns)


DÉVELOPPEMENTS


L'accroissement sensible des compétences régionales et communautaires rend plus souhaitable encore que par le passé des mécanismes qui autorisent les autorités autonomes à exercer ensemble certaines de leurs compétences.

Actuellement, le principal mode de coopération entre les entités prévu par la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles est la conclusion d'accords de coopération conformément à l'article 92bis de cette loi.

Cet article 92bis présente certaines limites. Tout d'abord le rôle des Parlements est limité. Les accords de coopération sont conclus par les Gouvernements et ils ne peuvent être amendés par les Parlements. En outre, la portée des accords de coopération interparlementaires est limitée. Il est généralement admis qu'ils peuvent seulement avoir trait à ce qu'on appelle les « prérogatives du Parlement ». Deuxièmement, la modification d'un accord de coopération est ardue. Toute modification d'une norme contenue dans un accord de coopération nécessite un nouvel accord de coopération. Troisièmement, la répartition des pouvoirs entre le législatif et l'exécutif est imparfaite. L'article 92bis, § 1er, ne permet pas l'exécution d'accords de coopération au moyen d'« accords de coopération d'exécution » lorsque ces mesures d'exécution sont susceptibles à leur tour de grever, selon le cas, l'Etat, la communauté ou la région concernée ou de lier les Belges individuellement. En effet, de tels accords d'exécution doivent également faire l'objet d'un assentiment par les parlements.

La proposition veut rencontrer ces difficultés.

C'est pourquoi la proposition prévoit de simplifier les procédures de coopération entre les Communautés et Régions. La proposition pourvoit à l'exécution des mêmes dispositions constitutionnelles que celles qui fondent l'article 92bis, de la loi spéciale du 8 août 1980. En ce qui concerne les compétences communautaires, la proposition donne exécution aux articles 127, § 1er, alinéa 2, et 128, § 1er, alinéa 2, de la Constitution, suivant lesquels une loi adoptée à la majorité spéciale règle les formes de coopération. En ce qui concerne les compétences régionales, la proposition donne exécution à l'article 39 de la Constitution en vertu de laquelle la loi détermine les matières, pour lesquelles les Régions sont compétentes, à l'exception de celles visées aux articles 30, 127 à 129, dans le ressort et selon le mode qu'elle établit, ce qui implique aussi la compétence de régler les formes de la coopération dans les matières régionales.

La présente proposition vise à créer de la sorte un nouvel instrument de coopération, à savoir l'adoption de décrets conjoints. Un décret conjoint peut prévoir qu'un arrêté d'exécution d'un décret conjoint est adopté par les différents Gouvernements concernés et ceci sans préjudice de la possibilité dont disposent les Gouvernements d'exécuter les décrets conjoints chacun pour ce qui le concerne.

Un décret conjoint est une norme législative adoptée conjointement par les pouvoirs législatifs de plusieurs entités fédérées. Ils constituent une alternative aux accords de coopération qui sont conclus entre les Communautés et les Régions. Cela vaut tant pour les accords de coopération volontaires que pour les accords de coopération obligatoires. En ce qui concerne les accords de coopération obligatoires, la proposition prévoit dès lors que ces accords de coopération obligatoires peuvent prendre la forme d'un décret conjoint.

La proposition prévoit que ces normes conjointes ont le même objet que les accords de coopération.

La présente proposition n'entend pas déroger à la répartition des pouvoirs entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif, tel qu'il est prévu par la loi spéciale précitée.

La proposition n'entend pas davantage déroger à la répartition territoriale et matérielle des compétences telle qu'elle est réglée par et en vertu de la Constitution. Les décrets conjoints visent à compléter efficacement le principe de la répartition exclusive des compétences. Les décrets conjoints permettront de coopérer plus étroitement en ce qui concerne les compétences communautaires et régionales. La limite à cet exercice conjoint de compétences est donc que les décrets conjoints ne peuvent pas avoir pour conséquence un transfert de compétences. Cela vaut tant pour la compétence législative, exécutive que de financement.

En permettant d'une manière générale à chaque entité d'abroger unilatéralement, moyennant concertation préalable, une norme conjointe, l'autonomie de chacune est en tout état de cause respectée. Cette concertation constitue une règle de répartition des compétences.

Sauf lorsque la présente proposition y déroge, toutes les dispositions de la loi spéciale relatives à l'adoption des décrets ou arrêtés restent intégralement d'application aux décrets conjoints et aux arrêtés d'exécution des décrets conjoints.

S'agissant des décrets conjoints, ils devront, avant leur adoption par leur Parlement respectif, être soumis à une commission interparlementaire constituée paritairement, chaque délégation étant composée en respectant l'importance respective des groupes politiques. Il appartiendra aux Parlements, à leur président, et à leur bureau, de prévoir ensemble les modalités de fonctionnement de cette commission interparlementaire. Des modalités spécifiques sont prévues pour les institutions bruxelloises

Le mécanisme sera également applicable aux institutions de la Région bilingue de Bruxelles-Capitale dotées d'un pouvoir législatif (Région, ainsi que Commission communautaire commune et Commission communautaire française dans la mesure où elles disposent de compétences législatives). Les normes législatives issues de la collaboration entre la Région de Bruxelles-Capitale et une Communauté, par exemple, seront intitulées « décret et ordonnance conjoints de la Communauté (flamande, française ou germanophone) et de la Région de Bruxelles-Capitale. Au sein du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale et de l'assemblée réunie de la Commission communautaire commune, les ordonnances adoptées conformément à l'article 92bis/1 requerront toujours une majorité dans chaque groupe linguistique.

Zakia KHATTABI.
Dirk CLAES.
Philippe MAHOUX.
Bert ANCIAUX.
Christine DEFRAIGNE.
Rik DAEMS.
Francis DELPÉRÉE.
Freya PIRYNS.

PROPOSITION DE LOI SPÉCIALE


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 77 de la Constitution.

Art. 2

Dans la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, il est inséré un article 92bis/1 rédigé comme suit :

« Art. 92bis/1. — § 1er. Sans préjudice de l'article 92bis, et dans le respect des compétences attribuées respectivement à leur Parlement et à leur Gouvernement, les communautés et les régions peuvent adopter des décrets ou des arrêtés d'exécution des décrets conjoints portant notamment sur la création et la gestion conjointe de services et institutions communs, sur l'exercice conjoint des compétences propres ou sur le développement d'initiatives en commun.

§ 2. Le droit d'initiative des décrets conjoints appartient aux Gouvernements et aux membres des Parlements.

Préalablement à leur adoption par les Parlements des communautés et des régions auprès desquels ces propositions ou projets de décret conjoint sont déposés, ceux-ci sont adoptés par une commission interparlementaire, composée d'un nombre égal de représentants de chacun des Parlements concernés, chacune des délégations étant composée dans le respect de la représentation proportionnelle des groupes politiques du Parlement que la délégation représente. Chaque délégation comprend un minimum de 9 membres. Les séances de la commission interparlementaire sont publiques.

Une proposition ou un projet de décret conjoint est examiné par la commission interparlementaire lorsque les parlements concernés l'ont eux-mêmes pris en considération.

L'intitulé du décret conjoint comprend en tout cas les mots « décret conjoint ».

Le projet ou la proposition n'est adopté par la commission interparlementaire que si la majorité des membres est présente et qu'il est adopté par une majorité absolue des membres de chaque délégation.

Si un des Parlements concernés amende le projet ou la proposition, celui-ci est renvoyé à la commission interparlementaire.

Les décrets conjoints sont sanctionnés et promulgués par les Gouvernements concernés.

§ 3. Sans préjudice de la possibilité dont disposent les gouvernements pour, chacun en ce qui le concerne, exécuter les décrets conjoints, un décret conjoint peut prévoir qu'un arrêté d'exécution d'un décret conjoint peut être adopté par les gouvernements concernés.

§ 4. Un décret conjoint peut abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions légales ou décrétales en vigueur. Il ne peut être modifié, complété ou remplacé que par un décret conjoint adopté par les mêmes Parlements.

Il ne peut être abrogé que par un décret conjoint adopté par les mêmes Parlements ou par un décret adopté par un des Parlements concernés après une concertation. Cette concertation a lieu entre les Gouvernements concernés. Si cette abrogation fait l'objet d'une proposition de décret, cette concertation a lieu selon les règles prévues par le règlement du Parlement devant lequel la proposition de décret abrogatoire est déposée.

Un décret conjoint peut abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions d'un accord de coopération conclu entre des Communautés et des Régions pour autant que le décret conjoint soit adopté par l'ensemble des Communautés et des Régions qui sont parties à l'accord de coopération. Un accord de coopération qui est conclu par des Communautés et des Régions, peut abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions de ce décret conjoint lorsque ce décret conjoint a été adopté par les mêmes Communautés et Régions.

Dans les cas où, selon la présente loi, des accords de coopération doivent être conclus entre des Communautés et des Régions, cette coopération peut avoir lieu au moyen d'un décret conjoint.

§ 5. Les arrêtés d'exécution des décrets conjoints peuvent abroger, compléter, modifier ou remplacer les dispositions réglementaires en vigueur. Ils ne peuvent être modifiés, complétés ou remplacés que par des arrêtés d'exécution d'un décret conjoint adoptés par les mêmes Gouvernements. Ils ne peuvent être abrogés que par des arrêtés d'exécution d'un décret conjoint des mêmes Gouvernements ou d'un de ces Gouvernements après une concertation entre les Gouvernements concernés.

Art. 3

L'article 28 de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises, modifié par les lois spéciales des 16 juillet 1993, 13 juillet 2001, 10 juillet 2003, 27 mars 2006 et ....., est complété par l'alinéa suivant :

« Par dérogation à l'article 35, § 2, de la loi spéciale, les ordonnances prises en application de l'article 92bis/1 de la loi spéciale sont adoptées à la majorité absolue des suffrages dans chaque groupe linguistique.»

Art. 4

L'article 42 de la même loi spéciale est complété par trois alinéas, rédigés comme suit :

« Si le projet ou la proposition de décret conjoint visé à l'article 92bis/1, de la loi spéciale, est déposé auprès du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, au moins un tiers de la délégation du Parlement au sein de la commission interparlementaire visée à l'article 92bis/1, § 2, alinéa 2, appartient au groupe linguistique le moins nombreux avec un minimum de trois membres.

La représentation proportionnelle visée à l'article 92bis/1, § 2, alinéa 2, de la loi spéciale est, en ce qui concerne la délégation du Parlement de Bruxelles-Capitale, organisée par groupe linguistique.

Sans préjudice de l'article 92bis/1, § 2, alinéa 5, de la loi spéciale, un projet ou une proposition de décret conjoint visé à l'article 92bis/1, de la loi spéciale, est adopté par la commission interparlementaire à la majorité absolue des suffrages dans chaque groupe linguistique de la délégation du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale. »

Art. 5

Dans l'article 63 de la même loi, modifié par la loi du 5 mai 1993, les modifications suivantes sont apportées:

1° à l'alinéa 1er, les mots «, 92bis/1 » sont insérés entre les mots « 92bis » et les mots « et 92ter »;

2° l'article est complété par trois alinéas rédigés comme suit :

« Si le projet ou la proposition de décret conjoint visé à l'article 92bis/1, de la loi spéciale, est déposé auprès de l'assemblée réunie de la Commission communautaire commune, au moins un tiers de la délégation de cette assemblée au sein de la commission interparlementaire appartient au groupe linguistique le moins nombreux avec un minimum de trois membres.

La représentation proportionnelle visée à l'article 92bis/1, § 2, alinéa 2, de la loi spéciale est, en ce qui concerne la délégation de l'assemblée réunie de la Commission communautaire commune, organisée par groupe linguistique.

Sans préjudice de l'article 92bis/1, § 2, alinéa 5, de la loi spéciale, un projet ou une proposition de décret conjoint visé à l'article 92bis/1, de la loi spéciale, est adopté par la commission interparlementaire à la majorité absolue des suffrages dans chaque groupe linguistique de la délégation de l'assemblée réunie de la Commission communautaire commune. »

Art. 6

Dans l'article 72, alinéa 4, de la même loi spéciale, modifié par les lois spéciales des 16 juillet 1993, 13 juillet 2001 et 10 juillet 2003, les mots « Si cette majorité » sont remplacés par les mots « Sauf en cas de vote sur un projet ou une proposition d'ordonnance visée à l'article 92bis/1 de la loi spéciale, si cette majorité ».

18 octobre 2012.

Zakia KHATTABI.
Dirk CLAES.
Philippe MAHOUX.
Bert ANCIAUX.
Christine DEFRAIGNE.
Rik DAEMS.
Francis DELPÉRÉE.
Freya PIRYNS.