5-528/3

5-528/3

Sénat de Belgique

SESSION DE 2011-2012

12 JUILLET 2012


Proposition de loi complétant l'article 124 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre en ce qui concerne la réduction du capital d'une assurance vie en cas de succession


AMENDEMENTS


Nº 6 DE M. TORFS ET MME TAELMAN

Art. 1/1 (nouveau)

Insérer un article 1/1, rédigé comme suit:

« Art. 1/1. Dans l'article 1400 du Code civil, remplacé par la loi du 14 juillet 1976, le point 7 est remplacé par ce qui suit:

« 7. La prestation que le preneur d'assurance perçoit au décès de son conjoint, en exécution d'un contrat d'assurance sur la vie individuelle qu'il a conclu à son propre bénéfice. » »

Justification

Le point de départ est le suivant.

Un preneur d'assurance, marié sous le régime légal, conclut pendant le mariage un contrat d'assurance sur la vie individuelle qui prévoit une prestation d'assurance au profit du preneur, au décès de son conjoint. Il paie les primes d'assurance au moyen de deniers communs.

Cette prestation revient, aux termes du contrat d'assurance, au seul preneur d'assurance. Elle a cependant été obtenue moyennant le paiement au moyen de deniers de la communauté: la communauté a droit à une récompense de ce chef. C'est pourquoi cette prestation est reprise à l'article 1400, où il est question de biens qui sont propres « quelque soit le moment de l'acquisition et sauf récompense s'il y a lieu ».

Les époux peuvent en convenir autrement, s'ils estiment qu'il s'agit d'une utilisation normale des fonds de la communauté au profit du survivant d'entre eux. Ils peuvent donc renoncer à cette récompense (par une clause de leur contrat de mariage ou par un acte modificatif de leur régime matrimonial), mais la renonciation à cette récompense n'est pas présumée dans l'hypothèse envisagée ici. Il est en effet possible que l'époux ait conclu ce contrat seul et sans que son conjoint ne le sache, et qu'il ait donc utilisé les fonds de la communauté exclusivement à son propre profit. Ceci n'est pas interdit, mais, dans la logique du régime légal, cela fait naître un droit à récompense au profit du patrimoine commun.

La Cour constitutionnelle aussi a, dans son arrêt du 26 mai 1999, relevé qu'il peut y avoir des circonstances où ni l'assentiment du conjoint, ni son intention libérale au profit du bénéficiaire ne peuvent être présumés (point B.5 de cet arrêt).

Si le contrat d'assurance sur la vie a été conclu avant le mariage, la prestation d'assurance est un bien propre au bénéficiaire, sauf l'obligation de récompense au profit de la communauté pour les primes payées au moyen de deniers communs, comme il est prévu à l'article 1432 du Code civil.

De même s'applique la règle selon laquelle aucune récompense n'est due, dans la mesure où il est démontré que les primes ont été payées au moyen de deniers propres.

Nº 7 DE M. TORFS ET MME TAELMAN

Art. 1/2 (nouveau)

Insérer un article 1/2 rédigé comme suit:

« Art. 1/2. L'article 1401 du même Code, modifié par les lois du 14 juillet 1976 et 1er avril 1987, est complété par un point 6 rédigé comme suit:

« 6. la prestation que le bénéficiaire perçoit au décès de son conjoint, en exécution d'un contrat d'assurance sur la vie individuelle que ce conjoint a conclu. » »

Justification

Le point de départ est le suivant.

Un preneur d'assurance, marié sous le régime légal, conclut pendant le mariage un contrat d'assurance sur la vie individuelle qui prévoit une prestation d'assurance au profit du conjoint du preneur d'assurance, au décès dudit preneur. Il paie les primes d'assurance au moyen de deniers communs.

Cette prestation d'assurance doit être traitée comme un bien propre à l'époux bénéficiaire. Il s'agit en effet d'un contrat d'assurance sur la vie qui a été conclu au profit de l'autre, et donc d'une mesure de prévoyance au profit du survivant. L'intention du preneur d'assurance serait méconnue si la prestation n'était pas attribuée exclusivement au conjoint bénéficiaire, et tombait dans le patrimoine commun. Dans ce dernier cas en effet, la prestation serait, dans le régime légal actuel, destinée, comme tous les autres biens communs à subir un partage par moitiés entre le conjoint survivant et la succession du conjoint décédé.

Il n' y a donc pas lieu d'imposer une récompense pour les primes payées au moyen de deniers communs. Cette utilisation des deniers communs est considérée comme conforme à la nature du patrimoine commun, qui est un patrimoine d'affectation et qui peut dès lors être utilisé pour pourvoir aux besoins du survivant des époux. Si les époux voyaient les choses autrement, libre à eux d'en convenir autrement (par leur contrat de mariage ou par un acte modificatif de leur régime matrimonial).

Que la prestation soit qualifiée de « propre sans récompense » n'exclut par ailleurs pas qu'elle soit considérée comme réalisant une donation, qui serait soumise à l'article 124 nouveau de la loi sur le contrat d'assurance terrestre (LCAT). Sinon en effet on créerait de nouveau un instrument qui permettrait d'échapper aux règles de la réserve. Mais si donation il y a, c'est une donation faite par le biais de la communauté, qui ne sera donc imputée sur la succession du premier mourant qu'à concurrence de la moitié, puisque, par hypothèse, le premier mourant n'avait droit qu'à la moitié du patrimoine commun.

Si les primes ont été payées au moyen de deniers propres, il n'y aura bien sûr pas lieu à récompense; mais dans ce cas on considérera que la prestation d'assurance a été donnée par le preneur d'assurance personnellement, dans la mesure de ce payement par le patrimoine propre.

Si le contrat d'assurance sur la vie a été conclu avant le mariage, la prestation d'assurance est également un bien propre du bénéficiaire, et l'imputation se fera sur le patrimoine propre ou sur le patrimoine commun, en proportion du payement des primes.

Comme la prestation est propre sans récompense, elle doit trouver sa place à l'article 1401 du Code civil où sont énumérés les biens propres de cette catégorie.

Nº 8 DE M. TORFS ET MME TAELMAN

Art. 1/3 (nouveau)

Insérer un article 1/3, rédigé comme suit:

« Art. 1/3. Dans l'article 1405 du même Code, remplacé par la loi du 14 juillet 1976, sont insérés entre les points 3 et 4 les points 3/1 et 3/2, rédigés comme suit:

« 3/1. La prestation que le bénéficiaire perçoit en exécution d'un contrat d'assurance sur la vie individuelle que lui ou son conjoint a conclu, et qui est due pendant le mariage;

3/2. La valeur patrimoniale de la prestation à laquelle a droit le bénéficiaire en exécution d'un contrat d'assurance sur la vie individuelle, que lui ou son conjoint a conclu pendant le mariage, et qui sera due après la dissolution du régime matrimonial, lorsqu'il aura atteint un âge déterminé. » »

Justification

Le point de départ est le suivant.

Première hypothèse (art. 1405, 3/1).

Un preneur d'assurance, marié sous le régime légal, conclut pendant le mariage un contrat d'assurance sur la vie, qui prévoit une prestation d'assurance à son propre profit, lorsqu'il aura atteint un âge déterminé. Au moment où il atteint cet âge, il est encore marié.

La prestation doit, dans la logique du régime légal, revenir au patrimoine commun. Il s'agit en effet d'un bien acquis pendant le mariage au moyen de deniers communs.

Si les primes ont été payées au moyen de deniers propres, il y aura lieu à récompense, en application, ici aussi, des règles de droit commun du régime légal (art. 1434 du Code civil).

Si le contrat d'assurance sur la vie a été conclu avant le mariage, la prestation d'assurance est également un bien propre au bénéficiaire, moyennant une obligation de récompense au profit de la communauté pour les primes payées au moyen de deniers communs, comme il est prévu à l'article 1432 du Code civil.

Deuxième hypothèse (art. 1405, 3/2)

Un preneur d'assurance, marié sous le régime légal, conclut pendant le mariage un contrat d'assurance sur la vie, qui prévoit une prestation d'assurance à son profit personnel, lorsqu'il aura atteint un âge déterminé. Au moment où il atteint cet âge, il est divorcé. Autrement dit: au moment du divorce, la prestation n'est pas encore due par l'assureur.

La date déterminante (« le moment du divorce ») est celle de la dissolution de la communauté, c-à-d. la date à laquelle le divorce sortit ses effets à l'égard des époux, en ce qui concerne leurs biens (art. 1278 en 1304 Code judiciaire).

La Cour constitutionnelle a jugé qu'il y a discrimination si une telle prestation est propre, comme le prévoit l'article 127 LCAT, sans droit à récompense pour la communauté, comme le prévoit l'article 128 LCAT sauf si les primes étaient « manifestement exagérées ».

C'est pourquoi, dans la pratique, les articles 127 en 128 LCAT ne sont, en raison de leur inconstitutionnalité, plus appliqués,.

Il y a, dans la doctrine et dans la jurisprudence, un consensus assez large pour inclure la valeur patrimoniale dans le patrimoine commun, dans la mesure où les primes ont été payées au moyen de deniers communs.

Cette solution se concilie en effet le mieux avec le caractère strictement personnel des droits que le preneur d'assurance puise dans le contrat d'assurance sur la vie (droit de désigner le bénéficiaire, droits de rachat et de réduction, d'avance sur prestation ou de cession, etc.) et avec les intérêts du conjoint, avec lequel le preneur est marié sous le régime légal. Le « titre » ou la « qualité » du preneur d'assurance est un bien propre; mais la « valeur patrimoniale » ou la « finance » est commune dans la mesure où elle est a été constituée grâce à des deniers communs. Ceci est donc en parfaite conformité avec la logique du régime légal.

Cela signifie aussi que, dans la mesure où les primes sont payées au moyen de deniers propres, le patrimoine propre par lequel les primes ont été payées, a droit à une récompense à charge du patrimoine commun à concurrence de ces payements (art. 1434 du Code civil). Il y aura donc lieu à compensation entre la récompense due et la valeur patrimoniale à laquelle le patrimoine commun a droit.

Cette règle présente un inconvénient: l'époux-preneur d'assurance n'a pas encore perçu la prestation d'assurance, mais doit déjà en partager le valeur avec son ex-époux, en raison du divorce. Cet inconvénient n'existerait pas, si on pouvait faire attendre l'ex-conjoint, et que celui-ci ne percevait sa part de la prestation que lorsque celle-ci sera effectivement perçue par le preneur d'assurance.

Mais ceci entraînerait deux autres inconvénients: d'une part, la dépendance de l'ex-époux qui reste dans l'attente de ce payement, alors qu'il n'est même pas certain que le contrat d'assurance sur la vie sera poursuivi; d'autre part, la difficulté de calculer le montant qui sera dû à terme, tenant compte aussi de ce que la prestation peut encore augmenter de valeur, à la suite par exemple d'une participation aux bénéfices.

On ne pourrait davantage envisager l'alternative qui consisterait à imposer le rachat de l'assurance vie pour pouvoir disposer tout de suite de sa valeur patrimoniale et la partager entre les époux divorcés. Le régime fiscal du rachat est en effet lourd, et le preneur d'assurance perd l'avantage de la constitution de réserves si, après le rachat, il décide de conclure une nouvelle assurance sur la vie. On en arriverait à sanctionner le preneur d'assurance parce qu'il avait conclu une assurance sur la vie et qu'il divorce, ce qui ne pourrait pas être raisonnablement justifié.

De là donc le maintien de la proposition d'insérer la valeur patrimoniale dans la masse à partager, conformément à l'approche actuelle de la pratique judiciaire.

Nº 9 DE M. TORFS ET MME TAELMAN

Art. 1/4 (nouveau)

Insérer un article 1/4, rédigé comme suit:

« Art. 1/4. Insérer dans le même Code un article 1405/1, rédigé comme suit:

« Article 1405/1 — § 1. La prestation d'une pension complémentaire que perçoit un époux pendant le mariage, est commune, même si la prestation est payée sous la forme d'un capital.

§ 2. Si le régime matrimonial est dissous pour une autre cause que le décès de l'époux retraité, cet époux a droit à une récompense qui lui est due par le patrimoine commun, comme il est prévu à l'article 1435/1.

§ 3. Si la prestation d'une pension complémentaire est due après la dissolution du régime matrimonial, le montant de celle-ci revient exclusivement au conjoint retraité. Il n'est dû de ce chef aucune récompense au patrimoine commun, qui n'a pas droit non plus à la valeur patrimoniale de cette prestation. » »

Justification

(1)

La Cour constitutionnelle s'est prononcée sur les assurances sur la vie individuelles et sur les assurances groupes, et a jugé que ces deux types de prestation d'assurance doivent, en ce qui concerne leur régime matrimonial, être soumises aux mêmes règles.

Les auteurs de ces amendements estiment néanmoins qu'il existe, entre les assurances sur la vie individuelles et les pensions complémentaires (dont font parties les assurances groupes) des différences essentielles qui justifient au contraire un traitement différent au regard du régime matrimonial.

Les pensions complémentaires sont en effet, à la différence des assurances sur la vie individuelles, généralement issues comme de règlements collectifs, faisant partie du deuxième pilier des pensions; elles sont soumises au règlement des pensions de l'employeur ou du secteur, et des clauses dérogatoires individuelles sont exclues.

Il s'agit, pour les travailleurs, des pensions complémentaires dont il est question dans la loi du 28 avril 2003 relatives aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale (LPC). Une « pension complémentaire » est, aux termes de la LPC: « La pension de retraite et/ou de survie en cas de décès de l'affilié avant ou après la retraite, ou la valeur en capital qui y correspond, qui sont octroyées sur la base de versements obligatoires déterminés dans un règlement de pension en complément d'une pension fixée en vertu d'un régime légal de sécurité sociale » (art. 3 § 1er, 1º de la loi). Il s'agit (1) d'engagements de pension, aussi bien individuels que collectifs au profit de travailleurs et (2) d'engagements de pension au niveau des entreprises comme au niveau des secteurs.

Font en outre partie des engagements de pension « deuxième pilier »: les engagements de pension pour les dirigeants d'entreprises indépendants, les anciennes promesses de pension financées par des provisions internes ou par une assurance dirigeant d'entreprises et la pension complémentaire libre des indépendants.

Si on isolait les assurances groupe de cet ensemble de règlements visant à accorder une pension complémentaire, pour soumettre ces assurances groupe, sur le plan du régime matrimonial, aux mêmes règles que les assurances sur la vie individuelles, on introduirait des dispositions qui ne serait pas raisonnablement justifiées.

(2)

Quels seraient en effet les arguments qu'on pourrait invoquer pour soumettre, au regard du régime matrimonial, les assurances sur la vie individuelles et les pensions complémentaires aux mêmes règles ? Les arguments principaux sont: la logique du régime matrimonial légal et l'équité.

La logique du régime matrimonial légal. Le raisonnement est construit comme suit: une pension complémentaire est financée par des primes qui sont payées par l'employeur, en qui font donc partie de la rémunération du travail presté; donc elles sont payées au moyen de revenus professionnels; dans le régime légal, les revenus professionnels promérités pendant le mariage reviennent au patrimoine commun; le capital de pension complémentaire acquis grâce à ce revenu professionnel doit donc, lui aussi, entrer dans le patrimoine commun. C'est ce raisonnement qu'a tenu la Cour constitutionnelle pour les assurances groupe (c'est-à-dire un engagement de pension collectif géré par un assureur), encore qu'on ne puisse déduire de l'arrêt si, dans le cas pour lequel la question préjudicielle a été posée, la prestation due du chef de l'assurance groupe avait été perçue avant le divorce ou non.

Réfutation de cet argument. Ce sont en effet les règles déterminant les relations entre l'employeur et le travailleur qui déterminent que des primes sont dues en exécution d'un plan de pension dans le cadre d'une pension complémentaire; ces règles portent en effet sur la rémunération des prestations de travail. Mais il n'en est pas autrement pour la constitution de la pension légale (« premier pilier »). Et, certes, dans l'état actuel du droit des régimes matrimoniaux, les prestations de pension d'un époux retraité marié sous le régime légal rentrent dans le patrimoine commun tant qu'il est marié. Et après le divorce, ces prestations lui sont propres. Pourquoi dès lors en serait-il autrement pour les prestations de pension complémentaires ? Et surtout, pourquoi en serait-il autrement, uniquement pour les prestations d'assurance groupe, et non pour toutes les pensions complémentaires ? Comment justifier raisonnablement un traitement différent déterminé selon le régime de la pension complémentaire qu'on envisage ? Le fait que la prestation d'assurance groupe est généralement versée sous la forme d'un capital, et non par paiements périodiques, ne permet tout de même pas, à lui seul, de justifier cette différence de traitement ?

L'équité. C'est un argument fréquemment invoqué. Il repose sur le constat suivant. Dans beaucoup de mariages, la femme est financièrement dépendante de son mari, parce qu'elle a renoncé à ses ambitions professionnelles pour assumer principalement les tâches ménagères; elle n'a dès lors pas eu de carrière professionnelle à temps plein, et elle n'a pas acquis de droits à une pension complète. Sa situation financière en cas de divorce est donc bien plus précaire que celle de son ex-conjoint, qui ne devra jamais lui verser qu'une pension après divorce, limitée au tiers de ses revenus, et pour une période limitée dans le temps(art. 301 du Code civil). Cette iniquité n'est pas toujours suffisamment compensée par le fait que la femme peut avoir droit à une pension de conjoint divorcé.

Réfutation de cet argument. On ne peut nier le sérieux de cet argument. Mais on peut démontrer que le problème n'est pas abordé de manière adéquate si la seule solution qu'on apporte à cette inéquité, consiste à faire entrer en communauté la prétendue valeur patrimoniale de l'assurance groupe telle qu'elle pourrait prétendument être déterminée au moment du divorce. Introduire cette « solution » par une règle légale ne serait pas raisonnablement justifié. Elle serait en effet fragmentaire, et méconnaîtrait la complexité et la diversité des règlements de pension du « deuxième pilier ».

Fragmentaire, ainsi qu'il a été dit, parce qu'il ne serait pas tenu compte des différences dans les situations qui déjà se présentent dans le premier pilier. Voici un fonctionnaire marié qui divorce; il ne partage pas, après son divorce, ses droits de retraité avec son ex-épouse; son ex-épouse, quant à elle, n'a pas droit à une pension de conjoint divorcé. On ne remédie pas à cette situation par la seule introduction d'une règle imposant le partage de l'assurance groupe. Que du contraire même, on l'aggrave, si la femme divorcée du fonctionnaire a travaillé sous contrat d'emploi, jouit d'une pension complémentaire qui lui est accordée par une assurance groupe, et se verrait dans l'obligation de la partager avec son ex-époux — qui lui ne partage rien avec elle. Où en serait-on de l'équité dans cette hypothèse ?

En général par ailleurs les droits de pension ne sont pas constitués année par année; ils ne peuvent être déterminés qu'en fin de parcours professionnel. En outre il existe des différences énormes entre les droits à une pension légale, selon que le parcours professionnel a été accompli sous le statut de travailleur, d'indépendant ou de fonctionnaire. Il n'est pas possible de prédire le parcours futur ni de déterminer dans quelle mesure il influera sur les droits à une pension légale; encore moins est-il possible d'en envisager un partage équitable à n'importe quel moment de ce parcours professionnel.

Méconnaissance de la complexité, parce qu'une seule règle légale ne pourrait déterminer le sort de toutes les pensions complémentaires, en raison de leur importante diversité. Il y a par exemple en effet des pensions complémentaires, qui ne prévoient pas de prestation, ou seulement une prestation moindre si le travailleur décède avant sa retraite; il y a des pensions complémentaires où aucune prestation n'est due si l'indépendant n'a pas exercé sa profession pendant au moins un certain nombre d'années, etc. Comment dès lors justifier qu'un homme ou une femme doive payer, suite au divorce, une partie de la somme qu'il pourrait toucher lorsqu'il aura atteint l'âge de la retraite, si en outre on ne peut pas savoir à ce moment à quel montant il aura droit ultérieurement ?

(3)

Peut-être imposera-t-on un jour le partage généralisé des prestations de pension entre époux divorcés. Mais un tel « split » des pensions ne peut être envisagé que d'une manière globale, ou alors pas du tout, mais en aucun cas de manière fragmentaire. Sinon on risque l'arbitraire, qui sera parfois équitable et parfois inéquitable, ou même très inéquitable; il n'y a pas de justification raisonnable pour un traitement qui serait indistinctement applicable à des situations totalement dissemblables. En outre, on ne peut créer l'instrument d'un partage des prestations de pension par une simple règle du droit des régimes matrimoniaux, surtout si celle-ci n'est applicable qu'aux conjoints mariés sous le régime légal de communauté. (1) .

Par contre, il est bon que les époux soient encouragés à élaborer un règlement spécifique adapté à leur situation spécifique, sur mesure, selon la spécificité de leur parcours professionnel à tous deux, et sur base d'une information fiable portant sur les droits que l'un et l'autre obtiennent par leurs plans de pension personnels. La question de la nécessité de légiférer sur ce point ne rentre pas dans l'objectif recherché par les auteurs de ces amendements, qui ne visent, quant à eux, qu'à mettre fin à l'inconstitutionnalité constatée des articles 127 et 128 LCAT.

(4)

Le point de départ des auteurs de cet amendement est donc que les assurances groupes ne peuvent pas être approchées, sur le plan du droit des régimes matrimoniaux autrement que pour ce qu'elles sont, c'est-à-dire des pensions complémentaires (2) accordant des revenus complémentaires, ce que par ailleurs la cour constitutionnelle n'a pas contredit.

Une pension complémentaire n'est pas un produit d'épargne. Une pension complémentaire, comme une pension légale du « premier pilier » accorde un revenu. Et les revenus, dans le régime matrimonial légal, font partie du patrimoine commun (art. 1405, 1ºdu Code civil).

Ce qui est déterminant dans cette approche, ce n'est donc pas de savoir si les primes ont été payées au moyen de deniers communs. Ce qui est déterminant, c'est de savoir si la pension complémentaire est due pendant le mariage, et donc alors que le régime légal fonctionne toujours. Et s'il s'agit de revenus qui sont dus après la dissolution du régime légal, le patrimoine commun n'y a plus droit (pas plus qu'il n'a droit aux revenus qui sont promérités avant le mariage et qui ne rentrent pas davantage dans le patrimoine commun).

Lorsque l'assurance groupe, ou, plus généralement, la pension complémentaire, est, comme c'est bien souvent le cas, attribuée sous forme d'un capital, et non comme une rente ou un revenu périodique, alors cette prestation représente la valeur capitalisée et actuelle de revenus futurs.

Si ce capital est versé après la dissolution du régime matrimonial, c.-à-.d. après le divorce (mais aussi après le décès du conjoint de la personne concernée par le plan de pension), alors ce capital est, dans la conception développée selon laquelle il s'agit bien d'une pension complémentaire, représentatif de revenus auxquels seuls le conjoint retraité a droit, puisqu'il n'est plus marié. Il faut donc exclure que la valeur patrimoniale théorique des assurances groupe soit incluse dans le patrimoine commun, par application des règles du régime légal. Sinon on méconnaîtrait la nature des assurances groupe et, plus généralement, celles des pensions complémentaires dont ces assurances font partie.

Si ce capital est versé pendant le mariage, lorsque le conjoint atteint l'âge déterminé pour le percevoir, alors ce capital entre en communauté. Mais le patrimoine commun n'a pas un droit inconditionnel à la totalité du montant versé: celui-ci ne revient en effet à la communauté que dans la mesure où il représente un revenu pour la période pendant laquelle le régime matrimonial régit encore les relations patrimoniales entre les époux. Au-delà, il revient au patrimoine propre du conjoint retraité.

Cela signifie qu'en cas de dissolution du régime matrimonial après que la prestation l'assurance groupe/la pension complémentaire ait été versée, il faudra établir un décompte entre le patrimoine propre du conjoint retraité et le patrimoine commun. Ce n'est que si le mariage est dissous par le décès du conjoint retraité que l'entièreté du capital reste commun et que le décompte ne doit pas se faire: le conjoint retraité a, dans cette hypothèse, été marié jusqu'à son décès, et il ne revient rien à son patrimoine propre.

Dans tous les autres cas de dissolution du régime matrimonial, et en particulier en cas de dissolution pour cause de divorce ou de décès du conjoint du retraité, une récompense sera due au patrimoine propre du retraité. Cette récompense lui est due parce que la prestation lui est propre dans la mesure où elle lui accorde un revenu supplémentaire pour la période qui suit la dissolution du régime matrimonial.

Il y a encore lieu de déterminer comment cette récompense devra être déterminée.

(5)

La règle proposée ne s'applique cependant pas si l'époux affilié a pris lui-même l'initiative de faire des payements supplémentaires volontaires (lorsque le régime de l'assurance groupe le permet). Dans ce cas il est bien question d'une mesure d'épargne, puisque cet époux conjoint a décidé lui-même, en accord ou non avec son conjoint, de destiner une partie de ses revenus à la formation d'un capital. Ce capital ne fait pas partie des pensions complémentaires du deuxième pilier. Le bénéfice de cette prestation doit, conformément aux règles applicables au fonctionnement du régime légal, et ici encore sauf décision contraire prise de commun accord par les époux eux-mêmes, revenir au patrimoine commun, comme c'est le cas pour les assurances sur la vie individuelles.

Nº 10 DE M. TORFS ET MME TAELMAN

Art. 1/5 (nouveau)

Insérer un article 1/5 rédigé comme suit:

« Dans le même Code il est inséré un article 1435/1 rédigé comme suit:

« Art. 1435/1. — La récompense prévue à l'article 1405, § 2, est égale à la différence entre le montant total de la prestation et la part de celui-ci qui revient au patrimoine commun. La part qui revient au patrimoine commun est une fraction de la prestation perçue pendant le mariage. Le numérateur de cette fraction est la durée du mariage depuis la date à laquelle la prestation est accordée; le dénominateur est l'espérance de vie de l'époux bénéficiaire à cette même date. La durée du mariage et l'espérance de vie sont calculés par années, avec deux décimales. » »

Justification

La récompense dont il est question à l'article 1/4 doit être calculée comme suit. Il revient au patrimoine commun un montant, qui correspond au nombre d'années pendant lesquelles les époux ont été mariés, donc au nombre d'années qui se sont écoulées entre le moment où le capital a été attribué et celui de la dissolution du régime matrimonial, par rapport à l'espérance de vie du conjoint retraité. Il revient au patrimoine propre un montant, qui correspond au nombre d'années pendant lesquelles le conjoint retraité peut espérer de vivre après la dissolution du mariage.

Il faut donc appliquer au montant total de la prestation une fraction. La part du patrimoine commun dans ce montant est déterminée par la fraction dont le numérateur est égal au nombre d'années pendant lesquelles le mariage s'est poursuivi, depuis la date où la prestation était due, jusqu'à la dissolution du régime matrimonial. Le dénominateur est égal au nombre d'années correspondant à l'espérance de vie du conjoint retraité au moment om la prestation a été attribuée.

Tout ce qui dépasse la part revenant au patrimoine commun, doit faire l'objet d'une récompense au patrimoine propre.

Un calcul précis du montant de cette récompense requiert la détermination précise des périodes à prendre en considération; comme dans les tables de mortalité, en tiendra compte de deux décimales.

Exemple: A et B sont mariés sous le régime légal. A perçoit à l'âge de 65 ans un capital de pension complémentaire. Trois ans plus tard il divorce. L'espérance de vie de A est à ce moment de 15 ans. Cela veut dire que 3/15 du montant perçu revient au patrimoine commun; tout ce qui dépasse ce montant revient au patrimoine propre, par le payement d'une récompense à charge du patrimoine commun. Dans cet exemple, la récompense est de 12/15 du capital pension.

Nº 11 DE M. TORFS ET MME TAELMAN

Art. 3

Remplacer cet article par ce qui suit:

« Art. 3. Les articles 127 en 128 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre sont abrogés. »

Justification 

1) Les articles 127 et 128 de la loi sur le contrat d'assurance terrestre (LCAT) règlent le statut matrimonial des prestations d'assurance sur la vie qui sont versées au décès d'un preneur d'assurance marié sous un régime de communauté. La Cour constitutionnelle a, par son arrêt du 26 mai 1999 jugé que ces dispositions sont inconstitutionnelles. Par son arrêt du 27 juillet 2011, elle a confirmé cette inconstitutionnalité quant aux assurances groupe obligatoires, pour lesquelles les primes sont payées par l'employeur.

La proposition de loi initiale ne visait qu'une modification de l'article 124 LCAT, portant sur le statut successoral de la prestation d'assurance; elle doit donc être amendée pour porter aussi sur le statut matrimonial de cette prestation, et ce statut doit être conforme à la constitution.

Les dispositions matrimoniales doivent en outre être extraites de la LCAT. En effet, cette loi contient surtout des règles de droit impératif (art. 3 LCAT), qui régissent en particulier les relations entre l'assureur et le preneur d'assurance, ainsi que celles entre l'assureur et le bénéficiaire, mais qui n'ont aucune vocation à s'appliquer aussi aux relations entre le preneur d'assurance et son conjoint. L'amendement vise donc à supprimer les dispositions des articles 127 et 128 et à les remplacer par des dispositions nouvelles qui auront leur place dans le Code civil.

2) Le statut à définir au regard du droit des régimes matrimoniaux n'est pas seulement celui des assurances sur la vie individuelles; il faut également définir celui des assurances groupe. Il ne suffit dès lors pas de modifier la LCAT, parce que cette loi ne tient pas compte de la différence entre ces deux catégories d'assurance.

Les assurances groupe doivent être distinctes des assurances individuelles. Elles sont en effet des assurances sur la vie dites collectives, c'est-à-dire qu'elles accordent des engagements de pension (formant ce qu'on appelle le « deuxième pilier ») soumises aux dispositions de la loi du 28 avril 2003 relative aux pensions complémentaires, et qui peuvent être gérées soit par un assureur, soit par une institution de retraite professionnelle. Si on introduisait uniquement des dispositions identiques qui vaudraient aussi bien pour les assurances individuelles que pour les assurances groupe, on méconnaîtrait cette différence essentielle et on en arriverait à des règles non justifiées, qui seraient en outre source d'inéquités.

Les amendements présentés sont donc fondés sur cette distinction, comme il a été exposé. Ils visent l'introduction de dispositions matrimoniales conformes à la constitution, compatibles avec le droit actuel des régimes matrimoniaux, mais qui ne sont pas impératives. Ces dispositions ne valent en effet que pour ceux qui sont mariés sous le régime matrimonial légal, dont presque toutes les règles sont de droit supplétif: si les époux désirent être soumis à d'autres règles, ils restent bien sûr libres de les adopter par convention matrimoniale, soit avant soit pendant le mariage; cette possibilité est ouverte aussi aux époux mariés sous le régime de la séparation de biens.

Nº 12 DE M. TORFS ET MME TAELMAN

Art. 4

Remplacer cet article par ce qui suit:

« Art. 4. La présente loi s'applique aux époux mariés sous le régime légal à la date de son entrée en vigueur, à l'exception de ceux dont le régime matrimonial doit être considéré comme dissous à cette date en application des articles 1278 ou 1304 du Code judiciaire. »

Justification

En ce qui concerne la suppression de la disposition transitoire antérieurement prévue: Si la modification de l'article 124, la suppression des articles 127 et 128 LCAT et l'insertion de nouvelles dispositions de droit civil relatives au statut matrimonial des assurances sur la vie et des pensions complémentaires sont approuvées, il n'est pas nécessaire de postposer la date de l'entrée en vigueur de la loi. Une loi qui met fin à une contestation doctrinaire qui n'a duré que trop longtemps, et à une incertitude malvenue dans la pratique, doit au contraire entrer en vigueur dès que possible.

En ce qui concerne la disposition transitoire introduite: La loi entrera en vigueur le dixième jour qui suit sa parution au Moniteur belge. Elle sera applicable à tous ceux qui, à compter de cette date, se marient et sont soumis au régime matrimonial légal (art. 1390 du Code civil).

Les règles nouvelles seront applicables aussi à ceux qui, à la date de l'entrée en vigueur de la loi, sont déjà soumis aux dispositions du régime matrimonial légal. Si les époux avaient néanmoins adopté une clause dérogatoire relative aux assurances sur la vie et aux pensions complémentaires, cette clause continuera à sortir ses effets à leur égard.

Par contre, les nouvelles règles ne seront pas applicables à ceux qui étaient mariés le jour de l'entrée en vigueur de la loi, mais dont le régime matrimonial était déjà dissous à cette date, ou dont le régime matrimonial doit, par l'effet rétroactif des disposition des articles 1278 ou 1304 C.jud être considéré comme dissous à cette date.

Les nouvelles règles ne peuvent en effet pas modifier la composition des patrimoines qui avaient déjà cessé d'être soumis aux règles du régime légal au moment de l'entrée en vigueur de la loi. Il en est ainsi même si la communauté dissoute n'a pas encore être liquidée et partagée à cette date. On a opté pour la date de la dissolution à l'égard des époux, quelque soit la date à laquelle le régime matrimonial est dissous à l'égard des tiers. La question du caractère propre ou commun des prestations ou de l'obligation de récompense de ce chef, touche en effet d'abord aux intérêts des époux, plus qu'aux intérêts des tiers.

Bien entendu, la loi nouvelle n'entame pas la possibilité pour les époux de déroger conventionnellement aux règles légales, qui ne sont pas impératives.

Nº 13 DE M. TORFS ET MME TAELMAN

Intitulé

Remplacer l'intitulé de la loi comme suit:

« « Proposition de loi modifiant l'article 124 de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, abrogeant les articles 127 et 128 de le même loi et instaurant dans le Code civil des dispositions quant au régime matrimonial de l'assurance sur la vie et des pensions complémentaires. »

Justification

L'intitulé de la loi doit être modifié pour être mis en conformité avec les modifications apportées par les amendements nº 6 et suivants.

Rik TORFS.
Martine TAELMAN.

(1) C'est en ce sens que le Prof. N. Torfs décrit qu'il faut se demander si « une approche par le droit des régimes matrimoniaux des pensions qui ressortissent à la sécurité sociale est recommandée » et que le « partage des droits à la pension de la sécurité sociale constitués pendant le mariage n'a pas sa place dans le droit des régimes matrimoniaux » (N. Torfs, Wat is het lot van aanvullende pensioenen in het wettelijk huwelijksvermogensstelsel ?, RGDC (Revue générale belge de droit civil) 2004, 123; N. Torfs, Hoe moeten tijdens het huwelijk verworven rechten in een groepsverzekering bij de verdeling van het gemeenschappelijk vermogen worden betrokken ?, RGDC 2010, 334).

(2) Comme expliqué par C. Devoet, La Cour constitutionnelle, l'assurance groupe et les régimes matrimoniaux, De Verzekering, 2011, p. 384-401; voir aussi H. Casman, Note sous C. Const. 27 juillet 2011, Revue pratique du notariat belge, 2012, p. 223-236.