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Sénat de Belgique

Annales

JEUDI 26 AVRIL 2012 - SÉANCE DE L'APRÈS-MIDI

(Suite)

Question orale de M. Gérard Deprez à la ministre de la Justice sur «le projet de réforme de la Cour européenne des droits de l'homme soumis par le Royaume-Uni au Conseil de l'Europe» (no 5-506)

M. Gérard Deprez (MR). - Instituée en 1959, la Cour européenne des droits de l'homme est la juridiction internationale compétente pour veiller au respect des droits de l'homme de 800 millions de citoyens européens. En près d'un demi-siècle, elle a déjà rendu plus de 10 000 arrêts et reçoit chaque année plus de 65 000 nouvelles requêtes. Mais actuellement, plus de 150 000 dossiers à traiter se sont accumulés et il faut en moyenne un délai de sept ans avant d'obtenir un jugement.

Très récemment, les 47 pays membres du Conseil de l'Europe se sont réunis à Brighton, sous la présidence du Royaume-Uni, qui leur a soumis son projet de réforme de la Cour comportant de nombreuses propositions.

Selon Human Rights Watch, certains points avancés par Londres sont positifs, notamment ceux qui visent à améliorer la mise en oeuvre des jugements de la Cour par les autorités des États membres et ainsi éviter la multiplication des demandes de réparation pour des violations de même nature, ce qui est l'une des causes principales de l'accumulation de dossiers soumis à la Cour.

Toutefois Jean-Paul Costa, président de la Cour de 2007 à 2011, Amnesty International et d'autres ONG mettent aussi en garde contre certaines propositions britanniques qui risqueraient de restreindre l'indépendance de la Cour et la possibilité pour les citoyens d'y déposer des requêtes.

En effet, fin janvier à Strasbourg, le premier ministre Cameron a plaidé pour que la CEDH se concentre sur les cas plus graves de violation des droits fondamentaux, laissant les gouvernements nationaux assumer la responsabilité du droit primaire pour la protection de leurs citoyens.

Lors de la réunion de Brighton, le président de la CEDH, M. Nicolas Bratza, a appelé les participants à ne pas se tromper d'objectif. Selon lui, le principal problème pour la CEDH est l'important volume d'affaires portées devant elle et les États n'ont pas à dicter à la Cour la manière dont sa jurisprudence doit évoluer ou dont elle doit exercer les fonctions judiciaires qui lui ont été conférées.

D'après les informations diffusées par le journal Le Soir, lors de cette réunion, le gouvernement belge aurait appuyé la volonté de réforme lancée ces dernières années et adhérerait globalement au projet de déclaration finale de la réunion de Brighton, qui serait le fruit d'un compromis.

Madame la ministre, pouvez-vous nous informer sur les différentes propositions de réforme de la Cour faites par le gouvernement britannique et nous dire quelles propositions la Belgique a elle-même formulées en vue d'améliorer le fonctionnement de la Cour, pour autant qu'il faille l'améliorer ?

Enfin, le gouvernement belge est-il pleinement satisfait du texte de la déclaration finale de la réunion de Brighton consacrée à la réforme de la Cour européenne des droits de l'homme ?

Mme Annemie Turtelboom, ministre de la Justice. - Adoptée à Brighton ce 20 avril, la Déclaration sur l'avenir de la Cour figure sur le site de celle-ci, avec les déclarations des présidents de la Cour et de l'Assemblée parlementaire ainsi que du secrétaire général du Conseil de l'Europe.

Avant d'aborder le fond de la question, permettez-moi de souligner que l'objectif de la Belgique, tout au long des négociations sur la Déclaration, a été de viser la promotion de mesures contribuant à l'efficacité de la Cour, tout en préservant le droit de recours individuel.

Notre analyse du résultat des négociations - partagée d'ailleurs par les officiels du Conseil de l'Europe - est que rien dans la Déclaration de Brighton ne devrait diluer la Convention ou menacer la Cour qui a l'autorité d'interpréter la Convention en vue de sa mise en oeuvre par les États.

En ce qui concerne votre première question, vu la longueur de la Déclaration, je me limiterai à souligner les mesures principales.

D'abord, en ce qui concerne le principe de subsidiarité et la doctrine de la marge d'appréciation, le paragraphe 12 de la Déclaration encourage la Cour à prêter la plus grande attention à ces principes. Un compromis s'est dégagé autour de l'inscription de ces principes dans le Préambule de la Convention. Le gouvernement belge l'avait lui-même proposé à titre de dernier compromis, de préférence à une insertion dans le corps de la Convention proposée par les Britanniques. Notre souci était de rappeler que les principes étaient déjà appliqués par la Cour qui ne devait pas perdre son autonomie d'appréciation, à la fois en fonction du cas d'espèce et des droits en jeu.

La Déclaration dans sa version finale ne propose pas de nouveau critère de recevabilité. Le paragraphe 15 affirme en effet ce qui suit : « Une requête devrait être considérée comme manifestement irrecevable au sens de l'article 35, entre autres, dans la mesure où la Cour estime qu'elle soulève un grief qui a été dûment examiné par un tribunal interne appliquant les droits garantis par la Convention à la lumière de la jurisprudence bien établie de la Cour, y compris, le cas échéant, sur la marge d'appréciation, à moins que la Cour estime que la requête soulève une question sérieuse relative à l'interprétation ou à l'application de la Convention. »

Le gouvernement belge a également été à la pointe des propositions formulées sur cette question, insistant pour que la Cour soit encouragée à poursuivre avec rigueur sa politique actuelle en matière de constat d'irrecevabilité et que ne soit pas introduit de nouveaux critères permettant qu'un État puisse bloquer une requête en invoquant seulement qu'elle a déjà été examinée par le tribunal national.

En ce qui concerne la possibilité pour la Cour de donner des avis consultatifs à la demande des hautes juridictions nationales, la proposition initiale visait à permettre qu'après avis consultatif de la Cour, le recours individuel à la Cour soit impossible sur le même sujet. La proposition est aujourd'hui optionnelle. D'abord les 47 États devront décider de l'opportunité d'introduire le mécanisme, ensuite chacun d'eux devra pour sa part décider de l'accepter ou non. Enfin, les avis ne seront pas contraignants pour les États tiers.

Le délai de saisine de la Cour est abaissé de six à quatre mois. Cet abaissement du délai d'introduction de la requête s'explique par la plus grande rapidité des outils de communication dans notre société comparativement à il y a 60 ans.

Enfin, l'exécution des arrêts est renforcée. Le Comité des ministres est en effet invité à examiner si des mesures sont nécessaires à l'égard des États qui ne donnent pas suite aux arrêts de la Cour dans un délai approprié.

En conclusion, nous pouvons être satisfaits du compromis atteint, qui permet à la Cour de fonctionner plus efficacement tout en maintenant son pouvoir de contrôle.

M. Gérard Deprez (MR). - Je remercie la ministre de ses explications. Elles répondent à la plupart des questions que je me posais, en particulier à propos de l'introduction de nouveaux critères de recevabilité, ce qui serait revenu à accorder une prime à un certain nombre d'États par rapport aux droits des citoyens. Ces nouveaux critères n'ayant pas été acceptés, je suis donc satisfait.