5-1429/1

5-1429/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2011-2012

10 JANVIER 2012


Les élections en République Démocratique du Congo


RAPPORT

FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES RELATIONS EXTÉRIEURES ET DE LA DÉFENSE PAR

M. VANLOUWE


I. INTRODUCTION

Le 28 novembre 2011, pour la deuxième fois depuis l'indépendance, des élections libres se sont tenues au Congo.

Ce scrutin a amené la commission à organiser une série d'auditions sur les récents développements en RDC, y compris dans le domaine du respect des droits de l'homme et des droits et libertés fondamentaux. (voir doc. Sénat, nº 5-389/1). Le Sénat a ensuite adopté, en date du 30 juin 2011, une résolution concernant les élections présidentielles et législatives du 28 novembre 2011 en République démocratique du Congo (doc. Sénat, nº 5-992/4), dans laquelle il demande au gouvernement belge de soutenir le bon déroulement des élections présidentielles et législatives à la condition explicite qu'elles soient transparentes, libres et honnêtes et que les droits de l'opposition soient respectés.

À l'issue du scrutin, la commission a décidé de procéder à de nouvelles auditions, lesquelles ont eu lieu le 20 décembre 2011 et le 10 janvier 2012.

Ont été entendus le 20 décembre 2011:

— Mme Mariya Nedelcheva, chef de la mission d'observation électorale de l'UE en RDC;

— M. Luc Dhoore, vice-président honoraire de l'AWEPA et coordinateur politique du programme RDC de l'AWEPA;

— M. Bogdan Vanden Berghe, secrétaire général 11.11.11;

— Mme Sabine Kakunga, chargée des programmes Afrique centrale au CNCD 11.11.11;

— Mme Colette Braeckman, journaliste Le Soir;

— M. Peter Verlinden, journaliste VRT.

Le 10 janvier 2012, la commission a entendu M. Reynders, ministre des Affaires étrangères.

II. AUDITIONS DU 20 DÉCEMBRE 2011

A. Exposé de M. Luc Dhoore, vice-président honoraire de l'AWEPA (Association des parlementaires européens pour l'Afrique) et coordinateur politique du programme RDC de l'AWEPA

Le communiqué relatif à la mission d'observation de l'AWEPA comprend le nom des 31 observateurs envoyés en RDC, soit 21 observateurs envoyés par l'AWEPA, 4 par la Chambre des représentants, 2 par le Sénat, 2 par le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et 2 par le SPF Affaires étrangères. Ils étaient tous observateurs à court terme, ce qui signifie qu'ils sont restés à peine une semaine au Congo. La mission d'observation était aussi limitée par la force des choses: environ 650 des 63 000 bureaux de vote et de dépouillement ont pu être contrôlés, soit à peine 1 %.

Les constats de la mission d'observation sont dès lors très partiels. La présence des observateurs valait-elle la peine ? Était-il souhaitable d'être sur place ? M. Dhoore a tendance à en douter, mais il ne s'agit là que d'un point de vue personnel, non d'un point de vue officiel. M. Vanackere, ministre des Affaires étrangères, M. Dominique Struye de Wielande, ambassadeur belge au Congo, ainsi que d'autres membres de l'ambassade avaient vivement insisté pour que le Parlement belge et l'Association des parlementaires envoient des observateurs. Tant lors des préparatifs de la mission que sur place, des concertations ont eu lieu avec des représentants d'autres organisations, telles que 11.11.11, le CNCD, la mission d'observation de l'UE, le Centre Carter et la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC). Très peu d'observateurs internationaux étaient cependant présents.

Un accord de coopération lie depuis 1999 l'AWEPA au parlement de la RDC. En l'occurrence, on parlait en 1999 de « Commission constitutionnelle », puis d'« Assemblée constituante et législative — Parlement de transition (ACL PT) », et enfin du parlement désigné dans le cadre de la formule « 4+1 ». Un nouvel accord a été signé après les élections de 2006.

Les membres de l'AWEPA proviennent de tous les partis politiques. Il n'y a pas la moindre préférence politique, ni au Congo ni dans d'autres pays. Dans le courant de l'année 2011, l'AWEPA a par conséquent eu des contacts avec tous les partis politiques importants dans le cadre des élections du 28 novembre 2011. Le but était d'encourager le bon déroulement des élections, bien qu'il n'appartienne bien évidemment pas à l'AWEPA de donner des directives à cet égard.

Le communiqué met l'accent sur trois éléments en rapport avec les élections.

Premièrement, il a été constaté tout au long de l'année 2011 que l'accès aux médias était très contestable. Deuxièmement, les frais de campagne créent des inégalités auxquelles une loi, comme la loi belge relative à la limitation des dépenses électorales, pourrait remédier. Enfin, les femmes n'ont pas reçu de place utile sur les listes de candidats. Pour l'AWEPA, il s'agit d'un point très important, y compris pour l'avenir. Lors des élections de 2006, les femmes ne représentaient que 8 % des députés et 4 % des sénateurs qui ont été élus.

Échange de vues

M. Sevenhans souligne que selon l'AWEPA, les élections se sont manifestement déroulées conformément aux normes internationales, alors que M. Dhoore nuance quelque peu sa propre conclusion.

Il est indéniable qu'un peuple peut être manipulé. Les images de la Corée du Nord en sont une preuve tangible. La même chose se produit au Congo depuis déjà plusieurs années. La victoire électorale de Kabila était inéluctable, essentiellement en raison du fait qu'il est le seul candidat à être connu dans l'ensemble du pays. La population des zones congolaises reculées ne connaît probablement même pas les autres candidats.

M. Sevenhans fait remarquer par ailleurs que M. Dhoore minimise les résultats des missions d'observation en affirmant qu'à peine 1 % des bureaux de vote et de dépouillement ont été contrôlés. Il a lui-même suivi attentivement les élections, lu les commentaires internationaux et vu les reportages qui y ont été consacrés. Trois jours avant le scrutin, d'aucuns disaient encore que les élections ne pourraient peut-être pas avoir lieu. M. Sevenhans s'étonne dès lors de la conclusion de l'AWEPA et souhaiterait obtenir plus de précisions sur la manière dont l'association est parvenue à cette conclusion.

Selon M. Anciaux, il n'était pas écrit d'avance que Kabila remporterait la victoire au motif qu'il était le seul candidat connu; de nombreuses autres personnalités connues se présentaient également dans différentes régions du Congo. Par contre, il est parfaitement possible que Kabila ait remporté les élections parce qu'il a abusé du système.

Les observateurs s'accordent manifestement à dire que relativement peu d'irrégularités ont été constatées le jour du scrutin. L'intervenant s'étonne toutefois que l'AWEPA ne souffle mot en ce qui concerne les comptages et la suite des événements après le jour du scrutin. En effet, selon un grand nombre de rapports, la majorité des manipulations et des irrégularités n'auraient été commises qu'après le jour du scrutin. L'AWEPA peut-elle donner de plus amples informations sur ce qui s'est passé ensuite ?

Le nouveau ministre des Affaires étrangères a explicitement dit la semaine dernière que la Cour suprême devrait apporter une réponse détaillée à toutes les questions concernant les irrégularités qui ont été constatées. En l'absence d'une réponse sérieuse, notre pays donnera un signal clair au Congo, principalement au régime. Quelle est l'opinion de M. Dhoore à ce sujet ? Il nous est impossible de continuer à faire comme si tout allait bien. Le risque de guerre civile au Congo est réel. Quel est le point de vue de l'AWEPA en ce qui concerne l'approche à adopter à l'avenir, compte tenu de l'existence d'un nombre particulièrement élevé d'indices donnant à penser que le résultat électoral ne reflète pas le scrutin ?

Mme Tilmans s'est rendue à Kisangani où elle n'a pas du tout eu l'impression que le scrutin a été entaché de fraudes. Avant les élections, elle et les autres membres de l'équipe se sont déployés sur le terrain et ont passé beaucoup de temps à expliquer à la population comment elle devait émettre son vote. C'était seulement la deuxième fois que des élections démocratiques étaient organisées au Congo. Le territoire est gigantesque et compte 35 millions de personnes, dont 40 % d'analphabètes. Cela rend la situation très complexe. Nous ne pouvons exiger que les élections s'y déroulent tout à fait de la même manière que chez nous. Il y a une tolérance que nous devons pouvoir accepter.

À Kisangani, Mme Tilmans n'a observé aucune fraude. Les problèmes touchent plutôt à l'organisation. Elle s'est surtout rendue dans les bureaux de vote où la file était longue, car c'est un indice de problème. Il est vrai qu'elle a découvert une fois deux listes d'électeurs différentes, l'une comptant 11 personnes, l'autre 17. Les membres du bureau de vote étaient tout désemparés et ont demandé de l'aide: elle leur a conseillé d'utiliser la liste de 17 personnes et de compléter la liste de 11 personnes en y ajoutant le nom des électeurs sur la base des cartes de vote. Mme Tilmans a donc parfois joué le rôle d'organisateur plutôt que d'observateur:

Quant au dépouillement, Mme Tilmans voudrait insister pour que tous les observateurs puissent participer activement au dépouillement et restent dans le bureau de dépouillement jusqu'au bout. Le lendemain, elle a donc vérifié si les résultats affichés étaient les mêmes que ceux qu'elle a noté et c'était le cas. Il faudrait en outre que des équipes d'observateurs puissent se rendre au centre local de la CENI pour y contrôler le dépouillement, ainsi qu'au bureau central de dépouillement. Un contrôle aurait ainsi lieu à tous les niveaux. Si irrégularités il y a eu, c'est plutôt au moment du dépouillement qu'elles se sont produites et moins dans les bureaux de vote où les observateurs nationaux étaient présents en nombre impressionnant. Il aurait été difficile de trafiquer les votes.

Il est donc excessif de dire que les irrégularités étaient généralisées. À Kisangani, en tout cas, Mme Tilmans a exercé un contrôle très méticuleux et n'a observé aucune fraude; elle a plutôt apporté une assistance pour l'organisation pratique du scrutin. Mme Tilmans a suggéré des améliorations dans son rapport, mais l'effort essentiel à faire concerne la présence d'observateurs internationaux, plutôt que nationaux, à tous les stades du dépouillement.

Mme Zrihen a fait partie de la mission de l'AWEPA qui s'est rendue dans la province du Katanga, dans la zone de Lubumbashi. Le travail a été partagé en constituant trois équipes. Chacun était donc chargé de contrôler six ou sept centres et une centaine de bureaux en moyenne. La veille du scrutin, son équipe a pris la responsabilité de contrôler tous les lieux où se déroulerait le vote. Le constat a été partagé. À certains endroits, toutes les opérations étaient bien organisées et, à d'autres, on attendait toujours le matériel nécessaire.

La mission consistait à observer la manière dont le processus d'élection se déroulait dans les bureaux. Lorsque le matériel était disponible à temps et avait pu être installé la veille, les observateurs requis étaient bien présents, les bureaux étaient bien installés et les électeurs s'étaient assurés la veille que leur nom figurait bien sur la liste et qu'ils détenaient bien la carte d'électeur. Elle a constaté qu'à l'intérieur des bureaux se trouvait bien un fichier alphabétique contenant le nom des personnes, avec un fichier spécial pour les personnes omises et un autre pour les dérogations.

Sur les cent bureaux que son équipe a visités la veille et le jour du scrutin, elle nous a constaté que trois bureaux n'ont jamais pu être installés, faute des tentes nécessaires, et que d'autres n'ont pas été équipés en raison d'un attentat contre les voitures transportant le matériel électoral. Lorsque elle est repassée vers 16 17 heures aux endroits où aucun bureau n'avait pu être installé, la décision a été prise de fermer des bureaux qui avaient pu fonctionner pour ouvrir trois nouveaux bureaux et lancer la procédure. Les bureaux ont été installés, l'équipement requis était disponible, les témoins étaient également présents et en possession de leur carte et ils ont surveillé très attentivement les opérations. La seule difficulté a été qu'à partir de 17 heures, l'obscurité est tombée. Tous les bureaux qui n'ont pu être ouverts selon les horaires prévus, soit de 6 heures à 17 heures, et qui n'ont ouvert leurs portes que vers 15 heures, ont dû accueillir les électeurs la nuit. Déplier des bulletins de vote et cocher le nom d'un candidat à la lumière d'une bougie ou d'un gsm, dans un isoloir en carton, ce n'était pas simple. Ce qui est extraordinaire, c'est que les gens étaient présents, tant les témoins que les électeurs. Dans la zone de son équipe, elle a conclu que le déroulement du scrutin a été des plus corrects.

Pour le dépouillement, Mme Zrihen est retournée à Lubumbashi où elle a été confrontée au même problème d'absence de lumière. Seules quelques lampes halogènes ont pu être utilisées. Lors du dépouillement, chaque bulletin a été présenté, tous les bulletins ont été comptés, tous les chiffres ont été vérifiés, les documents nécessaires ont été rédigés et signés par les témoins.

L'intervenante déclare ne regretter qu'une chose, c'est de ne pas avoir pu accompagner les bulletins et le document qui serait affiché sur les portes des bureaux jusqu'au centre et de ne pas avoir pu rester deux jours encore pour s'assurer de la suite qui serait donnée aux opérations. Elle ne peut garantir que les opérations auxquelles elle a assisté et non le stade ultérieur. Sa mission d'observateur est de rapporter ce qu'elle a vu, ce qui ne cautionne en rien l'ensemble du dispositif.

Mme Arena y ajoute que les citoyens congolais n'ont plus aucune confiance en l'appareil de l'État. Les 30 observateurs de l'AWEPA ont pu contrôler un peu moins de 1 000 bureaux sur plus de 64 000. On nous reproche de nous référer à un système d'organisation de l'État, composé de la Cour suprême, de la CENI, les militaires et la police qui a escorté le matériel. Le débat qui a lieu aujourd'hui traduit donc une réelle rupture de confiance et les observations ne suffisent pas. En effet, le débat démocratique dans un pays ne se pose pas uniquement au moment des élections mais bien avant.

Sans faire nécessairement un « mea culpa » pour les événements du passé, il serait important que, dans un futur très proche, la Belgique puisse définir clairement la manière dont elle travaillera avec la RDC à l'avenir. Nous devons entendre le ras-le-bol de la population congolaise qui réclame un changement. Nous, responsables politiques, qui avons des liens diplomatiques, économiques et de coopération au développement avec la RDC, nous devons formaliser un autre partenariat avec la RDC. C'est la seule leçon que nous avons à tirer, en tant qu'observateurs politiques, de ces élections. La population congolaise a fait preuve d'un civisme exemplaire mais est toujours confrontée à d'extrêmes souffrances, que ce soit dans le domaine de la santé ou de l'économie, etc.

Les élections sont certes un moment important. Elles cristallisent une réalité, mais elles sont vite oubliées et il ne faudrait pas abandonner le peuple congolais à son sort.

M. Vanlouwe explique qu'il était à Lubumbashi en tant qu'observateur. Sur les conseils du consulat, il a décidé de ne pas rester seulement à Lubumbashi, mais de visiter aussi les petits villages situés une centaine de kilomètres plus loin. Là-bas, il a pu constater que le matériel électoral n'était pas arrivé la veille des élections, mais bien le jour même des élections. Les électeurs sont venus en nombre, mais de gros problèmes se sont posés sur le plan de l'organisation: les gens devaient faire la file pendant des heures avant de pouvoir voter.

Le soir du scrutin, l'intervenant est retourné dans le centre de Lubumbashi où une certaine tension était perceptible. Il y avait beaucoup de militaires et d'agents de police dans certains quartiers. Des incendies ont été signalés dans plusieurs bureaux de vote, et l'on a déploré des victimes dans certains quartiers de Lubumbashi.

Son rapport fait explicitement mention des incidents à Lubumbashi et à Mbandaka qui ont empêché plusieurs électeurs de voter.

Alors que la mission d'observation s'est limitée à un seul jour sur place, M. Vanlouwe tient à insister sur le fait que le processus électoral comprend non seulement le jour du scrutin, mais aussi les préparatifs et les opérations ultérieures. S'il est vrai que le contenu du rapport correspond aux observations, il porte uniquement sur le résultat des urnes et pas sur la centralisation des résultats électoraux qui a duré plusieurs jours. De plus, la publication des résultats provisoires a été reportée à plusieurs reprises. Nous devons oser poser des questions sur le court comme le long terme.

Réponses de M. Dhoore

Le communiqué ne laisse absolument pas entendre que tout s'est parfaitement déroulé: la liste des problèmes, des irrégularités et des difficultés d'ordre logistique est impressionnante. L'important est d'aboutir à une conclusion sur ce que le petit groupe d'observateurs a constaté le jour des élections. Le résultat des observations effectuées ce jour-là dans 650 à 700 bureaux de vote satisfait aux normes internationales. C'est la conclusion qui a été présentée par 29 des 31 observateurs (deux d'entre eux n'étaient plus joignables car ils étaient partis en passant par Kigali). Il arrive souvent que l'on s'abstienne de tirer une conclusion, bien que cela soit important.

On peut se demander à juste titre ce qui s'est passé ensuite. M. Dhoore répète que l'action de l'AWEPA est en réalité très limitée. Certains, parmi lesquels une personnalité importante d'un groupe d'opposition, demandent pourtant encore aujourd'hui si l'AWEPA ne peut pas réagir à ce qui s'est passé.

M. Dhoore laisse le soin à la diplomatie de répondre aux questions concernant la Cour suprême et les initiatives de la communauté internationale. Ce n'est pas à l'AWEPA d'y répondre.

Comme Mme Tilmans, M. Dhoore pense également qu'il importe effectivement d'assister au dépouillement. Pour les élections provinciales de 2012 en vue de la constitution du Sénat, par exemple, notre présence sur place pourrait être prolongée. Mais, de toutes façons, ce ne sera possible que dans un seul bureau de dépouillement, voire deux. En revanche, il est capital d'assurer le suivi et le transport des résultats. La présence de témoins des partis politiques — les premiers intéressés — au-delà des observateurs nationaux, nous semble également essentielle, de même que le constat, la liste et le résultat; même si les résultats ne sont pas communiqués d'office, il importe que les témoins soient là pour centraliser le tout. Mais si on ne tient pas compte de ces résultats partiels, alors c'est grave.

La question des témoins est très importante, et nous devons insister sur ce point. Le fait que nous ayons pu reconnaître les lieux deux jours avant l'élection contribue évidemment à une bonne préparation de la mission. Mais s'il y a rupture de confiance, comme on le constate aujourd'hui, comment s'y prendre ? Devons-nous tirer des conclusions ?

Ce que M. Vanlouwe déclare à propos des élections à Lubumbashi est un autre problème.

AWEPA a demandé qu'un rapport soit établi dans chaque centre. Cela a été fait dans quatre des six centres. Il conviendrait peut-être de faire figurer ces rapports dans le rapport global qu'AWEPA est en train de rédiger pour que l'on puisse vraiment voir en détail ce qu'il a été constaté, que ce soit à Lubumbashi, à Kisangani ou ailleurs.

B. Exposé de Mme Mariya Nedelcheva, chef de la Mission d'observation électorale de l'Union européenne en RDC

En tant que cheffe de la mission d'observation électorale de l'Union européenne, Mme Nedelcheva attirera d'abord l'attention sur plusieurs points de la méthodologie de l'Union européenne en matière d'observation électorale, et rappellera ensuite brièvement le contexte de l'élection pour insister ensuite sur les quatre étapes essentielles. Elle soulignera les caractéristiques, les lacunes et les avantages que l'on a pu observer durant l'organisation de ces élections, la campagne et le jour du scrutin. Elle abordera aussi l'analyse post-scrutin.

La mission de l'Union européenne a déployé 147 observateurs. La mission d'observation électorale de l'UE était la seule mission internationale déployée dans les onze provinces du pays: 46 observateurs long terme déployés depuis le 18 octobre 2011 et 90 observateurs court terme.

Le jour de l'élection, la mission de l'UE a pu observer 678 bureaux de vote, soit 1,06 %. Son observation s'est essentiellement limitée aux zones urbaines. L'UE n'a pas pu nous rendre dans les zones rurales.

Dès la première semaine de la mission, la mission d'observation électorale de l'UE a établi une coopération étroite quotidienne entre les institutions organisées, les autres missions d'observation internationales et les observateurs nationaux. Ces derniers ont eu un rôle très important puisque l'Église catholique a été le seul réseau qui a pu déployer 30 000 observateurs dont la plupart des informations a d'ailleurs été très utiles. Bien entendu, chaque mission garde sa marge de manœuvre et son indépendance dans l'analyse.

Le contexte de ces élections est différent de celui de 2006. Cette fois, ce sont les autorités congolaises qui ont financé et organisé les élections avec des défis logistiques énormes vu la taille du pays ainsi que les moyens financiers et la mobilisation matérielle nécessaires. Il s'agit de la deuxième élection censée marquer une étape vers la consolidation de la démocratie. En outre, la Constitution a été modifiée afin d'organiser l'élection présidentielle en un seul tour. C'est un aspect important puisque l'analyse de l'UE relève qu'à la suite de cette modification, les candidats ont axé leur campagne sur la mobilisation de certaines régions qui leur étaient favorables; cela a été confirmé par les résultats.

Quant à l'organisation des élections avant le lancement officiel de la campagne le 28 octobre, Mme Nedelcheva rappelle que le fichier électoral n'a pas fait l'objet d'un consensus. Jusqu'au dernier jour, l'UDPS a demandé un audit du fichier. L'étape cruciale de nettoyage de fichiers en vue d'éliminer les doublons reste aussi une question en suspens. La mission européenne de l'ONU n'a jamais pu obtenir le rapport de la société Hologram afin de vérifier si le travail avait été correctement effectué. Ce sujet continue à alimenter des critiques et des rumeurs. Selon les chiffres officiels fournis par la CENI de deux millions de doublons, nous sommes passés à 119 000. Cette question mérite d'être mise en lumière.

La cartographie des bureaux de vote n'a pas été réalisée dans les délais définis par la loi électorale, ce qui a notamment eu des répercussions sur la formation des témoins des partis. Ces derniers n'ont pas pu s'organiser à temps pour déployer des témoins sur l'ensemble du territoire, même si la mobilisation a été importante.

Pour ce qui est du déploiement du matériel, la mission d'observation électorale de l'UE a effectivement observé au fil des semaines les efforts louables de la CENI. L'UE a ainsi vu, par exemple, des urnes qui arrivaient de Chine, des bulletins qui étaient imprimés en Afrique du Sud. En revanche, l'UE a remarqué dès le début un manque de communication de la CENI vers les partis politiques et les organisations de la société civile. Or, une communication renforcée de la part de la CENI et une plus grande transparence auraient permis d'éviter de nombreuses tensions.

Cela vaut aussi pour le forum des partis qui ne s'est réuni que trois fois et qui a quand même eu des effets positifs. Sur place, dans les différentes provinces, la mission d'observation électorale de l'UE a constaté la nécessité de ce genre de plateforme où les différents partis politiques peuvent discuter de leur divergences de vue.

Ainsi, dans les régions où les comités de médiation sont mis en place, comme au Katanga, et où les partis, la CENI et le gouverneur peuvent se rencontrer chaque semaine, les tensions diminuent et les violences disparaissent quasi totalement. En revanche, dans des régions comme les deux Kasaï, où ces structures sont inexistantes, les violences éclatent beaucoup plus facilement.

Dans les provinces, on observe le rôle très controversé des gouverneurs des régions. La plupart des gouverneurs étaient aussi candidats. Or la distinction entre leur autorité publique dans leur fonction de gouverneur et leur statut de candidat n'était pas nette. Cela nous renvoie à un problème plus général, celui de l'utilisation des ressources de l'État. Ce problème a été observé tout au long du processus dans les différentes régions.

Pour ce qui est de l'accès aux médias, la mission de l'UE a constaté une campagne nettement déséquilibrée en faveur du président sortant, M. Kabila, puisqu'il a occupé 80 % du temps d'antenne.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel et de la communication, le fameux CESAC, qui devait être mis en place à la suite de la réforme de la Constitution, reste une coquille vide. Certes, les moyens font défaut et les besoins sont énormes, mais il fait rester attentif à la mise sur pied de cette structure censée gérer le temps de parole et l'accès des différents candidats aux médias.

En ce que concerne la campagne et l'utilisation des ressources de l'État, Mme Nedelcheva souligne qu'aucune loi ne règle le financement des campagnes ni celui des partis. L'UE a clairement observé que les différentes ressources étaient utilisées en fonction du camp représenté par le candidat.

Le jour du scrutin, la mission d'observation électorale de l'UE a remarqué la forte mobilisation et le réel civisme des Congolais, mais aussi des situations très contrastées. En certains endroits, tout s'est très bien passé, les bureaux de vote étaient équipés et fonctionnels dès l'ouverture, mais d'autres bureaux n'ont pas pu ouvrir immédiatement, et le scrutin a eu lieu les 29 et 30.

L'analyse révèle donc des situations contrastées, avec parfois des équipements qui ont permis un bon déroulement du processus dans le calme et une bonne organisation, mais parfois aussi des situations beaucoup plus difficiles voire chaotiques.

La mission d'observation de l'UE attire l'attention sur la liste des omis. C'est l'un des principaux problèmes qui se sont posés lors de cette élection, à savoir que certains ne trouvaient pas leur nom sur les listes dans le bureau de vote. Si, en 2006, les omis représentaient 8 % du nombre d'électeurs, cette fois, ils sont passés à 17 %, ce qui donne 3,2 millions d'électeurs. Cela reste un sérieux problème, d'autant plus que les différentes missions d'observation électorale avaient émis des recommandations à ce sujet en 2006.

La mission de l'UE n'a pas constaté de fraude dans les bureaux de vote étant donné que les témoins des partis étaient présents et que les gens étaient très vigilants. Cependant, les choses ne se sont pas déroulées correctement par la suite, dans les centres locaux de compilation des résultats, par exemple à Kisangani.

Deux types d'éléments clés devant garantir la transparence n'ont pas été respectés.

D'une part, l'accès des témoins, des partis et des candidats n'a pas été systématique: ils n'ont pas pu avoir accès à certains bureaux de vote et centres de compilation des résultats. Ce fut notamment le cas au Katanga, au Sud-Kivu, à Kinshasa et dans la Province orientale.

D'autre part, la loi électorale impose l'affichage public immédiat des résultats dans les CLCR. Or, à Kinsangani, Kinshasa, Lubumbashi, Goma et Mbandaka, ces résultats ont d'abord été envoyés à Kinshasa, à la centrale de la CENI pour « un contrôle de cohérence ». Parfois, à la suite de ces contrôles de cohérence, les résultats finalement affichés ne correspondaient plus à ceux que les observateurs avaient pu noter. Ce fut le cas à Lubumbashi.

La mission d'observation de l'UE continue à insister sur la publication de chaque procès-verbal par bureau de vote sur le site de la CENI. Tant que l'UE ne disposera pas de tous les procès-verbaux scannés, les soupçons, les doutes quant aux résultat du scrutin ne pourront être qu'alimentés et renforcés. La CENI avait d'ailleurs au départ promis que ce serait fait. À l'annonce des résultats provisoires, personne ne comprenait d'où ils provenaient, comment ils avaient été déterminés car, dans la plupart des territoires, la compilation des résultats dans les CLCR n'était pas terminée.

Si la mission continue à insister sur ces différents éléments, c'est parce qu'elle a affaire à des élections non seulement présidentielles, mais aussi législatives. Vu la force qu'une chambre parlementaire peut avoir et le contre-pouvoir qu'elle peut représenter face au président, il importe de continuer à mettre en évidence toutes ces lacunes de sorte que l'on puisse y remédier pour les législatives dont les résultats commencent à être compilés.

Mme Nedelcheva attire encore l'attention sur trois points.

Tout d'abord, aucun observateur ni témoin de parti n'a eu accès au Centre national de traitement des résultats, pièce centrale au sein de la CENI. Mme Nedelcheva s'y est rendue plusieurs fois, mais la porte a toujours été fermée.

Ensuite, la mission de l'Union européenne n'a jamais eu accès aux arrêts de la Cour suprême de justice lorsqu'il s'agissait encore de traiter les candidatures. Elle a prêté particulièrement attention à l'audience publique qui a eu lieu voici deux jours. Rappelons que la loi a été modifiée il y a quelques mois pour que les débats publics puissent se transformer en débats à huis clos pendant les délibérations de la Cour suprême de justice. On pourrait considérer comme un point positif le fait que l'audience ayant trait à la demande d'annulation du résultat des élections ait été publique, mais il faut aussi voir le contenu et la manière dont l'affaire a été traitée. Force est de constater que les organisations telles que la CENI ou la Cour suprême de justice, de par leur composition et le manque de communication, alimentent les critiques. Il y a une réelle crise de confiance et il s'impose de réfléchir à la légitimité de ces institutions et à la manière dont elles sont perçues par les acteurs politiques et les citoyens congolais.

Enfin, certains procès-verbaux des élections présidentielles n'ont pas encore été comptabilisés dans les résultats. La mission de l'Union européenne attend de voir ce qu'il adviendra des 4 850 procès-verbaux de Kinshasa, qui représentent 1,6 million d'électeurs qui n'ont pas été pris en compte dans les résultats annoncés à ce stade.

C. Exposé de M. Peter Verlinden, journaliste à la VRT

M. Verlinden explique qu'il s'est rendu au Congo du 24 novembre — soit quelques jours avant les élections — au 1er décembre 2011 afin d'y réaliser un reportage. Il y est ensuite retourné du 5 au 12 décembre.

Les comptes rendus des correspondants de presse peuvent être utilisés à mauvais escient et manipulés. Il faut de toute façon faire une distinction absolue entre ce qui s'est passé le jour des élections et ce qui s'est produit par la suite. On évitera ainsi tout malentendu majeur, comme ce fut le cas notamment lorsque notre ministre des Affaires étrangères, M. Didier Reynders, a réagi aux événements.

Les contestations actuelles trouvent justement leur origine dans le décalage entre les résultats qui ont été la plupart du temps affichés dans les bureaux de vote et les résultats qui ont été communiqués officiellement. Dans le contexte congolais, le travail à accomplir pour résoudre ce hiatus serait énorme.

L'intervenant précise que les images qu'il a tournées dans le grand centre de compilation à Kinshasa ne laissent subsister aucun doute sur le fait que le recomptage des voix est parfaitement illusoire. Si jamais la communauté internationale envisageait un jour de rectifier cette situation, elle ne pourrait le faire, pour autant que cela soit possible, qu'en consultant les procès-verbaux originaux des bureaux de vote, cosignés par les observateurs locaux et aussi, dans certains cas, par des observateurs internationaux.

Sur place, le volume d'informations potentiellement disponibles est considérable. En effet, il y a non seulement les informations dont disposent les observateurs internationaux, mais il y a aussi les informations détenues par les 30 000 observateurs de l'Église catholique du Congo. Monseigneur Monsengwo, qui est arrivé en Belgique le 20 décembre 2011, aurait rencontré beaucoup de difficultés pour quitter son pays. Cette situation n'est évidemment pas étrangère aux vives tensions qui opposent l'Église et l'État congolais au sujet de la possibilité de charger les observateurs de l'Église de remettre de l'ordre dans toutes les informations.

Dans les milieux diplomatiques internationaux, l'idée qui prédomine depuis plusieurs décennies déjà est que la continuité est un gage de stabilité. À force de voir certains chefs d'État à l'œuvre, on sait à quoi s'en tenir sur leur compte. Dans le meilleur des cas, on les maintient plus ou moins sous contrôle. C'est le raisonnement qui a prévalu à l'égard de Mobutu au Zaïre, de Moubarak en Égypte, de Ben Ali en Tunisie, de Saddam Hussein en Irak, etc.

Et c'est ce même raisonnement qui est suivi aujourd'hui. À Kinshasa, dans les jours voire dans les mois qui ont précédé les élections, il se murmurait dans les milieux diplomatiques qu'il serait préférable que Joseph Kabila soit réélu comme président car avec lui, il est quand même possible de collaborer, même si cela n'est pas toujours facile.

L'attitude du principal leader de l'opposition, Etienne Tshisekedi, à qui tous les dirigeants qui se succèdent à la tête de l'État se heurtent depuis plus de trente ans déjà, confirme l'opinion communément répandue au sein de la communauté internationale présente dans la capitale congolaise, selon laquelle il vaut encore mieux avoir Kabila comme président qu'un homme têtu et à moitié fou comme Tshisekedi, avec qui il est impossible de travailler. M. Verlinden précise que ces propos sont authentiques et qu'ils les restitue tels qu'ils les a entendus lors de conversations ces dernières semaines.

Mais ce qui est un peu dérangeant en l'espèce, c'est que, simultanément, cette même communauté internationale défendait avec force le modèle démocratique qu'elle a contribué à mettre en place en 2006 en République démocratique du Congo, à savoir un système présidentiel à la française, avec un président tout-puissant et un parlement docile, mais élu directement. En 2006, cet exercice démocratique sans précédent s'est relativement bien déroulé. Le prix en fut certes élevé, mais il fut presque entièrement payé par la communauté internationale, au premier rang de laquelle figuraient la Belgique et l'Europe.

Le 28 novembre 2011, soit cinq ans plus tard, le même exercice a eu lieu mais aux frais cette fois des autorités congolaises, c'est-à-dire indirectement aussi aux frais de la Coopération au développement. Ce n'est donc plus à la communauté internationale qu'il incombait de veiller au bon déroulement du processus électoral, même si l'on a noté la présence sur place de centaines d'observateurs internationaux plus ou moins vigilants, parmi lesquels plusieurs Belges.

La population congolaise a continué, avec le courage de ses convictions démocratiques, à s'investir dans le processus démocratique. Bravant tous les temps, les Congolais se sont rendus par millions dans les bureaux de vote, situés parfois à plusieurs heures de marche. Les petits fonctionnaires présents sur place faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour assurer le bon déroulement du processus électoral tandis que les observateurs locaux, ou internationaux parfois, observaient attentivement les opérations de vote et de comptage ainsi que les résultats fièrement suspendus sur la porte du bureau ou, à défaut de porte — le cas de figure le plus fréquent — sur le mur écaillé.

Le sérieux avec lequel le Congolais lambda a vécu cette expérience de la démocratie — même s'il s'agissait en l'occurrence d'un modèle imposé qu'il connaît et comprend à peine — contraste singulièrement avec l'attitude des dirigeants actuels et, par extension, de la communauté internationale dans son ensemble.

En effet, au grand étonnement de la plupart des observateurs, ce n'est pas le président en exercice, M. Kabila, mais l'éternel opposant M. Tshisekedi qui a, de manière inattendue, recueilli de nombreuses voix d'une population mécontente de n'avoir pas constaté la moindre amélioration dans sa vie quotidienne ces cinq dernières années. Il ne s'agissait pas tant d'un vote d'adhésion en faveur de l'ancien opposant que d'un vote protestataire contre le dirigeant actuel, M. Kabila. Et cette issue du scrutin n'était pas du tout en phase avec le scénario escompté par le régime Kabila ni avec celui envisagé par la communauté internationale, en ce compris la Belgique.

Le reste de l'histoire est connu.

Grâce au soutien de la Commission électorale indépendante, composée en grande partie de fidèles de Kabila, et de la non moins manipulée Cour suprême, c'est finalement Kabila qui a été officiellement déclaré vainqueur des élections, avec près de 49 % des voix. La majorité absolue eût été un résultat un peu trop ambitieux ...

Joseph Kabila a prêté serment ce matin pour un nouveau mandat de cinq ans. Le ministre des Affaires étrangères, M. Didier Reynders, a finalement décidé de ne pas y assister, sous la pression de l'Europe, dont la diplomatie est un peu plus prévoyante que celle de la Belgique. L'Europe se garde de manifester trop d'égards au président réélu, car on ne sait jamais ...

Dans les faits, cela ne fait cependant pas une grande différence.

M. Kabila conserve le pouvoir, et son entourage plus encore. L'opposition impuissante, pauvre et désarmée n'est pas en mesure d'affronter les troupes de maintien de l'ordre de Joseph Kabila, qui, soit dit en passant, ont été formées et armées à grand renfort de fonds européens et belges.

Quant au citoyen congolais lambda, il a une fois encore dû déchanter en perdant l'illusion que la « démocratie » améliorerait son quotidien comme le lui avait annoncé le monde. Voilà un énième coup porté à ceux qui espéraient que le Congo aurait la force de prendre son destin en main. Avec l'énergie du désespoir, les Congolais vont de nouveau se résoudre à attendre le terme du nouveau mandat de cinq ans, impuissants à faire autre chose

Échange de vues

M. Anciaux fait remarquer que le ministre — et, par sa voix, le gouvernement — a déclaré que des initiatives devraient être prises si une réponse satisfaisante n'était pas apportée à une série de questions.

L'intervenant estime personnellement qu'il serait possible de procéder à un recomptage des suffrages sur la base des quelque 60 000 procès-verbaux des bureaux de dépouillement. C'est la seule méthode envisageable car, comme l'ont souligné Peter Verlinden et des membres de la diaspora, de nombreux bulletins de vote ont disparu.

Est-il exact que ces procès-verbaux ont été établis en trois exemplaires, dont un a été envoyé à la Cour suprême, un à la Commission électorale nationale indépendante et un à des observateurs neutres ? Ces procès-verbaux contiennent-ils des résultats électoraux fiables ? Qui sont ces observateurs neutres et peuvent-ils nous procurer les procès-verbaux ?

Selon M. Anciaux, on peut tenter de sauver ce qui peut l'être, même s'il partage l'analyse assez sombre de Peter Verlinden selon laquelle la communauté internationale a fait de ce scrutin un grand show et ne souhaitait pas une autre issue. Si notre pays et la communauté internationale ne font pas d'efforts pour recompter les suffrages, ils prouvent qu'ils ne prennent pas au sérieux l'aide à la démocratisation du Congo.

Quels sont alors les groupes d'opposition qui méritent notre soutien ? M. Anciaux songe à l'Église, pour autant qu'elle ait la capacité et la volonté de jouer ce rôle.

Mme Tilmans estime que la communauté internationale a une lourde responsabilité. Elle se doutait que les choses ne se passeraient pas facilement. L'Europe, de même que différents pays et organisations, ont participé financièrement et ont envoyé des observateurs. Serait-il possible de modifier les conditions d'envoi des observateurs internationaux afin de suivre toutes les étapes de l'élection: les préparatifs, le vote, et surtout le dépouillement et la récolte des données.

Mme Tilmans se demande ce que fait-on maintenant ? M. Kabila est là; recompter tous les bulletins semble très difficile; repart-on des procès-verbaux ?

M. Sevenhans constate que de toute évidence, les commissaires francophones réagissent aux événements du Congo avec davantage d'optimisme, ce qui au demeurant l'étonne.

D'autre part, l'intervenant souligne qu'il adhère totalement aux conclusions de Peter Verlinden. Il suit la situation au Congo avec un intérêt très marqué et est bien au fait de ce qui s'y passe concrètement. Les propos tenus par Mme Nedelcheva paraissent également très crédibles et corroborent les informations que M. Sevenhans a lui-même pu recueillir auprès de contacts familiaux présents au Congo.

Comme l'a dit M. Verlinden, il faut établir une distinction entre ce qui s'est passé le jour des élections et les événements qui se sont produits par la suite. Des milliers de gens n'ont pas ménagé leurs efforts pour que ces élections se passent dans de bonnes conditions, pas seulement les observateurs, mais aussi les Congolais eux-mêmes. Des problèmes ont néanmoins été constatés par la suite. Peut-être devrions-nous faire davantage confiance aux Congolais et n'organiser les contrôles qu'au lendemain des élections.

M. Sevenhans est convaincu, comme M. Anciaux, qu'il faudrait recompter les bulletins de vote, mais se rend bien compte que ce vœu est utopique.

Heureusement, la communauté internationale n'a pas délégué de personnalité à la prestation de serment de Kabila; seul le Zimbabwe y était représenté par son président. Tous les autres chefs d'État et de gouvernement se sont abstenus. Le signal fut donc on ne peut plus clair.

M. Sevenhans prône néanmoins le réalisme: Kabila ayant prêté serment, il faudra bien communiquer avec lui. La Belgique devra toutefois tirer des leçons du passé pour ne pas reproduire les mêmes erreurs lors des prochaines élections.

Selon M. Mahoux deux types de questions se posent.

La première: beaucoup d'officines contrôlent les élections. Ne pourrait-on pas charger une seule structure internationale de ce contrôle ? L'AWEPA, l'UE et la Fondation Carter ont délégué des observateurs. Même en pleine confiance des collègues qui étaient sur place, ceux-ci ont toutefois la modestie de dire « dans ce que nous avons observé, voici ce que nous avons constaté ... ». Ne peut-on imaginer un organe de contrôle, qui associerait bien entendu les populations locales ?

M. Mahoux s'étonne que l'UE se soit basée sur une seule structure, à savoir l'église catholique, pour désigner 30 000 observateurs, alors que le Congo compte nombre d'autres organisations importantes, liées notamment aux protestants et aux kimbanguistes. On peut certes se référer au contrôle des églises, tout en s'assurant que les déclarations reflètent la réalité sans interférences politiques. Mgr. Monsengwo avait déjà fait des déclarations de « troisième voie » à la fin du mobutisme, fin 1993, lorsque M. Tshishekedi était à la primature.

M. Mahoux préfère les observateurs locaux — pour autant que leur qualité et le pluralisme soient garantis — aux observateurs internationaux et souhaiterait avoir l'avis de la représentante de l'UE, qui a organisé cette mission.

Le second thème est lié à l'intervention de M. Verlinden. Il semble dire que, de toute manière, notre opinion était déjà faite et que nous n'étions là que pour favoriser la stabilité. Tout en ayant des orientations politiques, nous visons tous à l'objectivité.

M. Miller déclare être surpris par le choix unilatéral de l'église catholique par l'UE.

M. Torfs pointe l'attentisme de la communauté internationale et se demande s'il ne serait pas opportun qu'elle se positionne clairement, pour la stabilité de la région. Quelles pourraient être les conséquences d'un tel immobilisme ? La communauté internationale ne fait-elle pas naître une présomption de lâcheté et ne risque-t-elle pas d'être accusée d'opportunisme, peut-être pas tout à fait à tort ?

Quelles seront les conséquences pour les élections locales et régionales de 2012 et 2013 ? Auront-elles encore lieu ? Est-il encore sensé de les organiser ? M. Verlinden a évoqué l'enthousiasme avec lequel la population a participé aux élections. L'absence quasi totale de lien entre les votes émis et les résultats ne risque-t-elle pas, à terme, de faire obstacle à l'organisation de nouvelles élections ?

Un pays comme le Congo, où la notion de leadership est peut-être vécue différemment, a-t-il vraiment intérêt à organiser des élections qui se focalisent exclusivement sur la personne d'un président ? En fin de compte, il s'agit quand même d'une élection de type « tout ou rien », avec un président tout-puissant et un parlement aux poings liés. Tout cela a-t-il encore du sens ?

En Belgique, nous disposons d'une multitude de techniques pour filtrer les voix à travers le système, comme la représentation échelonnée, la particratie, etc. Mais un système où prévaut le tout ou rien n'est-il pas la recette idéale pour susciter les abus et conduire automatiquement à des fraudes ?

L'Église joue par ailleurs un rôle essentiel. Certes, la question qui compte le plus, indépendamment de nos opinions personnelles sur l'Église, ici et ailleurs, est de disposer des informations les plus fiables. L'Église catholique, qui reste de loin majoritaire en dépit de la présence de groupes évangéliques, joue-t-elle vraiment un rôle objectif au Congo ? Pendant les derniers jours du régime Mobutu, par exemple, le pape Jean-Paul II avait interdit, au demeurant en totale cohésion avec le droit canon, à Mgr. Monsengwo de jouer un rôle transitoire parce qu'il aurait sans doute vendu son âme au diable. Aujourd'hui, la situation apparaît différente. Dans sa dimension actuelle, l'Église est-elle apolitique ou a-t-elle aussi un tant soit peu succombé aux clivages ethniques ?

M. Torfs souligne enfin que très peu de personnalités officielles ont assisté à la prestation de serment du président Kabila. L'on peut se demander s'il ne vaut pas mieux ne plus organiser aucune élection afin de laisser la force brute s'exprimer sans fard pour pouvoir mieux la combattre, ou allons-nous nous contenter d'élections dont le bon déroulement n'est pas garanti et qui font naître une semi-légitimité, laquelle ne fait que compliquer la lutte contre le régime ?

Mme Arena se réfère d'abord à l'exposé de Mme Nedelcheva qui a plaidé pour une plus grande transparence dans l'organisation de ces élections. Il importe que la communauté internationale continue à revendiquer cette transparence, surtout pour l'avenir. En effet, d'autres processus électoraux sont prévus au Congo. Si l'on veut que la population retrouve la confiance dans les systèmes congolais, il faut montrer que l'on est capable de transparence. Si la Communauté internationale n'obtient pas qu'on lève le voile sur certaines zones d'ombre, elle perd toute crédibilité quant à son rôle d'observateur. Quelle position la délégation européenne aura-t-elle et quel profil adoptera-t-elle par rapport aux réponses que le Congo lui fournira concernant la demande de transparence ?

En ce qui concerne l'exposé de M. Verlinden, Mme Arena souhaite obtenir davantage d'informations.

Premièrement, M. Verlinden a dit que l'argent de la coopération au développement aurait été indirectement utilisé pour l'organisation d'élections, ce qui signifie un détournement de fonds de la coopération au développement pour l'organisation d'élections. En tant que sénateurs chargés, non pas du contrôle budgétaire mais du contrôle politique de la coopération au développement, il importe que le Sénat obtient davantage d'informations à ce sujet. Il conviendrait peut-être d'interroger les ministres précédents de la Coopération au développement, à savoir MM. Michel et Chastel, pour confirmer ces déclarations.

Deuxièmement, selon M. Verlinden, l'armée, qui était l'outil de répression du gouvernement Kabila, était financée par la Belgique. Une des priorités de la Belgique était d'intégrer les différentes armées congolaises et tout le monde était d'accord pour reconnaître que c'était un élément de paix au Congo. Il paraît très grave de dire que finalement, et cela a été repris par un certain nombre d'acteurs sur le terrain, c'est la Belgique qui a été à la manœuvre de la répression exercée par l'armée congolaise. La formation de l'armée a effectivement été un choix politique, effectué en 2006, avec le gouvernement congolais en vue du processus de paix.

Troisièmement, une diplomatie à Kinshasa aurait fait un choix politique. S'il s'agit de la diplomatie belge, il faut entendre le ministre Vanackere, qui était responsable de la diplomatie belge, qui aurait fait un choix politique au moment de la campagne électorale. Ce serait une faute grave.

Dernier point, en ce qui concerne les images des centres où il restait des bulletins de vote après l'élection, un certain nombre de Congolais a parlé de fraude étant donné que tous ces bulletins ne pouvaient plus être comptabilisés. Tout le monde sait que c'est le procès-verbal signé par tous les observateurs, témoins, présidents, etc. qui fait foi après une élection. Il est grave également de laisser croire que des mannes de bulletins de vote qui ne peuvent être comptés, seraient entreposées quelque part et seraient une source de fraude.

Mme Tilmans explique qu'elle a été très déçue par le manque de coordination des observateurs internationaux, alors qu'elle aurait permis un déploiement plus efficace sur différents sites et d'éviter de concentrer certains observateurs aux mêmes endroits. Mme Tilmans et son équipe a d'ailleurs pris des contacts avec la délégation européenne qui se trouvait à Kisangani et le moins que l'on puisse dire c'est qu'il n'y a pas eu de réaction positive ! À l'avenir, une meilleure coordination s'avère indispensable.

Enfin, en ce qui concerne l'église catholique au Congo et le reproche d'avoir joué un rôle dans l'observation des élections, Mme Tilmans explique qu'elle a été frappée par l'état de délabrement du pays et par le dénuement de sa population. Dans un tel dénuement, la présence de l'église était un bien même si elle n'est pas neutre et plutôt proche de Kabila.

M. Vanlouwe relève que le Congo est un partenaire important de la Belgique. Près de la moitié du budget de la coopération belge au développement est destinée à la région des Grands Lacs. La Belgique a consacré un budget de 16,5 millions d'euros aux élections qui viennent de se dérouler en RDC; ce montant a été versé au Congo en trois tranches, à la condition impérative que le processus électoral se déroule correctement.

Le 30 juin 2011, le Sénat a adopté la résolution concernant les élections présidentielles et parlementaires de novembre 2011 en République démocratique du Congo (doc. Sénat, nº 5-992/4). Dans les recommandations, le Sénat demandait au gouvernement de soutenir le bon déroulement des élections présidentielles et parlementaires à la condition explicite que les élections soient transparentes, libres et équitables et que les droits de l'opposition politique soient respectés.

Nous recevons aujourd'hui les rapports critiques des observateurs de l'AWEPA, de l'UE, du Centre Carter, de l'Église catholique, des observateurs sud-africains et mozambicains et d'autres observateurs internationaux. Mais dans le même temps, on entend dire que les manquements constatés ne remettent pas en cause l'ordre des candidats dans les résultats du scrutin. Là n'est pourtant pas l'essentiel. En effet, la question primordiale est de savoir si les élections se sont déroulées de manière correcte, équitable et transparente.

Notre gouvernement n'était pas présent lors de la prestation de serment, mais la Belgique était représentée par son ambassadeur. Cela ne revient-il pas à admettre la situation, et est-ce bien acceptable ? Ne devons-nous pas réclamer un recomptage des voix sur la base des procès-verbaux ? La communauté internationale peut-elle tout simplement ignorer les rapports critiques et attendre que quelques mois se soient écoulés ? Ne faudrait-il pas lancer un signal fort ? Ne convient-il pas d'ouvrir une enquête internationale sur la base des procès-verbaux ? Les Nations unies, l'Union africaine ou d'autres organisations multilatérales pourraient s'en charger.

Réponses de M. Verlinden

Tout d'abord, M. Verlinden précise qu'en montrant les images du désordre régnant dans les centres de dépouillement, il ne cherchait pas à prouver que le désordre conduisait automatiquement à la fraude, mais simplement qu'il était inconcevable de recompter les bulletins de vote. Il serait plus réaliste d'utiliser les procès-verbaux qui ont été dressés par les quelque 64 000 bureaux de vote. Ces procès-verbaux existent en plusieurs exemplaires et ont été établis au moment où les bureaux de vote fermaient leurs portes pour se transformer en bureaux de dépouillement. L'UDPS aussi dispose de plusieurs copies de ces procès-verbaux. Les observateurs locaux avaient le droit de recevoir une copie. Mme Nedelcheva pourra mieux expliquer les aspects techniques de cette question. Ce n'est qu'en se basant sur ces procès-verbaux que l'on pourra obtenir des résultats électoraux fiables.

Le fait que la communauté internationale et la diplomatie internationale recherchent en général la stabilité et le maintien du statu quo n'est plus un secret pour les politologues depuis des années. Cependant, l'attitude attentiste adoptée actuellement par la communauté internationale est une illustration du proverbe « qui ne dit mot consent ». Ni plus, ni moins.

Il est un fait que la majorité des diplomates internationaux présents à Kinshasa étaient persuadés qu'il était préférable pour la situation au Congo que Kabila puisse être réélu ou, tout au moins, qu'il soit à nouveau président. Pratiquement tous ceux qui suivent la situation congolaise depuis des années le confirmeront. Bien entendu, aucun diplomate ne l'a déclaré officiellement. D'ailleurs, M. Verlinden n'expliquera pas comment il obtient ces informations, car il ne veut pas compromettre les diplomates, qui ne font que leur travail. Au demeurant, les diplomates qu'il rencontre ne sont pas nécessairement la source de cette information.

Les diplomates en poste à Kinshasa ne sont d'ailleurs pas les seuls à partager cette opinion; c'est le cas de la quasi-totalité de la communauté blanche. Quand on s'établit quelque part, il est évidemment bien plus simple que les choses continuent à tourner de la même manière. En outre, lorsqu'on sait que le seul opposant qui ait une chance de l'emporter s'appelle Tshisekedi — que l'une des sources qualifie d'à moitié fou — on comprend pourquoi certains cercles préfèrent encore Kabila.

Mais là n'est pas la question à l'heure actuelle; il s'agit avant tout de savoir si l'on a affaire ou non à un régime démocratique. S'il s'agit d'un régime démocratique, il faut le respecter. Et c'est précisément ce que ne fait pas aujourd'hui la communauté internationale, qui ne réagit pas plus énergiquement que la Belgique à ce qui se passe au Congo. Ce n'est pas une opinion, c'est un simple constat.

Pour quelqu'un qui a travaillé deux semaines à Kinshasa, il est pour ainsi dire incroyable d'entendre le ministre Reynders évoquer le rapport de la Cour suprême congolaise, lors de l'émission « De Zevende dag ». Cela donne l'impression d'un manque d'information sur la situation réelle du Congo, alors qu'il devrait pourtant être beaucoup mieux informé en tant que ministre.

En ce qui concerne l'argent utilisé pour l'organisation des élections, M. Verlinden souligne que si les autorités congolaises maintiennent aujourd'hui qu'elles ont investi un milliard de dollars dans l'organisation du scrutin, cela signifie qu'elles n'ont pas consacré cet argent à l'enseignement, aux soins de santé et à d'autres secteurs qu'elles devraient prendre en charge elles-mêmes mais qui, en réalité, sont financés actuellement par l'aide au développement. Ce raisonnement est difficile à entendre, mais c'est la réalité. Sur ce point, le gouvernement congolais s'est fixé comme priorité de gérer lui-même les élections, mais à quel prix ?

La formation et l'entraînement de la police et de l'armée peuvent évidemment être des objectifs tout à fait légitimes. Cependant, le fait de prendre en Belgique la décision politique de réaliser ces objectifs est une chose, et ce qui se passe sur le terrain en est une autre. Ainsi, la brigade de police anti-émeutes à Kinshasa, équipée et formée par la France, sait parfaitement comment faire pour garder la situation sous contrôle. La décision d'apporter un soutien dans ce domaine relève d'un choix politique, mais le risque est que les services d'ordre, une fois renforcés grâce à cette formation, défendent uniquement les intérêts des dirigeants en place au lieu de servir la paix, comme prévu. C'est un risque que tout responsable politique doit évaluer. Quoi qu'il en soit, M. Verlinden a pu constater que les services d'ordre formés par la communauté internationale sont engagés pour défendre certains intérêts.

La Radio-Télévision nationale congolaise (RTNC), qui a accordé 80 % du temps d'antenne à son candidat favori, prépare un plan de restructuration de grande envergure à l'aide de fonds européens. Il y a un an et demi, la Commission européenne a toutefois décidé de geler ce projet jusqu'après les élections, afin d'éviter que la RTNC, dotée de nouveaux moyens et d'une capacité de diffusion accrue, ne soit utilisée à des fins électorales.

M. Verlinden ne souhaite pas commenter le rôle de l'Église, mais bien celui des 30 000 observateurs. Peu importe qu'ils soient croyants ou non, l'essentiel est qu'ils soient compétents et qu'ils disposent de bonnes informations. Il faut rechercher les procès-verbaux non falsifiés des bureaux de vote. Si on les récupère par l'entremise de ces 30 000 observateurs de l'Église catholique, c'est tant mieux.

Pour ce qui est du sens de telles élections, ainsi que des élections locales et régionales à venir, et de l'utilité d'élire des dirigeants sans légitimité, M. Verlinden se dit convaincu que ce type de démocratie ne convient absolument pas à un pays comme le Congo, pas plus d'ailleurs qu'à de nombreux autres pays.

En tant que politologue, et de plus en plus en tant qu'anthropologue également, l'intervenant constate en effet qu'un système politique ne peut véritablement fonctionner que s'il est adapté au maximum à la réalité sociologique de l'endroit où il est mis en œuvre.

Même le principe « une personne = une voix », que le ministre Vanackere considère comme l'une des grandes réalisations récentes de notre pays au Congo, parce qu'il ouvre définitivement la voie à la démocratie, est un non-sens.

Ce principe n'est même pas appliqué dans notre propre pays car, s'il l'était réellement, les néerlandophones majoritaires à 60 % dicteraient leur loi aux francophones. Après de longues palabres, la Belgique a ainsi adapté son système politique à la réalité sociologique du pays. En Occident, il est donc normal de faire correspondre le système politique à la réalité sociologique locale.

Chez nous, nous estimons donc normal de chercher une solution et de concevoir un système auquel une partie suffisamment grande de la population puisse adhérer. En revanche, quand il s'agit d'autres cultures, d'autres environnements et d'autres réalités sociologiques, nous voudrions imposer aveuglément un système « une personne = une voix ». Au Congo, nous voulons en outre que le pouvoir se situe à un niveau totalement incontrôlable. Or, la seule chose qui soit contrôlable dans ce pays, c'est pouvoir qui se situe à des niveaux bien inférieurs. Ce n'est donc pas du tout un hasard si on n'y organise pas d'élections locales, car elles menaceraient le pouvoir aux échelons supérieurs.

Réponses de Mme Nedelcheva

Concernant le recomptage des bulletins de vote, Mme Nedelcheva tient à rappeler que, dès le départ, la mission de l'UE a constaté une lacune importante: les plis sécurisés contenant les résultats devaient être envoyés à la CENI — la Commission électorale nationale indépendante —, aux secrétariats exécutifs provinciaux et à la Cour suprême de justice, mais cela n'a pas été fait de manière systématique. D'où les questions à propos des différents procès-verbaux qui ont été transmis.

De plus, beaucoup de procès-verbaux n'ont pas été signés par les témoins. D'où le rôle que peut jouer la communauté internationale. Un exemple est le Centre local de compilation des résultats (CLCR) à Kinshasa. Il a été décidé de ne pas comptabiliser le nombre incroyable de procès-verbaux non signés par les témoins de partis. Il faudrait que ces procès-verbaux puissent être pris en compte. C'est un rôle que pourraient jouer les missions internationales d'observation.

Quels sont les procès-verbaux qui vont faire foi ? Si, généralement, les procès-verbaux ont été envoyés à trois niveaux, si les témoins ont reçu une copie de ces procès-verbaux, quelles seront les personnes qui vont certifier les résultats finaux, vu le nombre considérable de procès-verbaux qui n'ont pas été signés ? Cela reste une zone d'ombre importante.

En ce qui concerne la question du choix de l'Église catholique, Mme Nedelcheva explique que le choix n'a pas été unilatéral. Dès le début, la mission de l'Union européenne a communiqué avec tous les représentants des différentes églises, ainsi que les représentants des différentes communautés locales. Force est cependant de constater que c'est l'Église catholique qui a déployé le plus grand nombre d'observateurs. Il ne faudrait pas considérer les 30 000 observateurs présents sur le terrain comme des représentants de la seule Église catholique. Parmi eux se trouvaient, par exemple, des observateurs dont la formation a été financée par des États membres de l'Union européenne. Mais on ne sait pas exactement de quels États il s'agit et quel a été le montant de leur investissement. Cela fait partie des efforts déployés par l'Union européenne et le mérite n'en revient pas à l'Église catholique.

Il est essentiel de vérifier l'organisation au niveau central, c'est-à-dire à Kinshasa. Chaque semaine, l'équipe de l'UE a rencontré les représentants de l'Église catholique et des autres organisations observatrices. Même en étant très vigilant mais — et cela reste une faiblesse de toutes les missions nationales et internationales — s'il n'y a pas de coordination entre les différentes missions d'observation, il arrive que certains bureaux reçoivent la visite d'une quinzaine d'observateurs alors que d'autres n'en accueillent aucun. C'est pourquoi Mme Nedelcheva a eu soin de communiquer à toutes les missions la liste des bureaux où se rendraient des observateurs de l'Union européenne. Il restait à ces organisations à transmettre à leurs observateurs au niveau local cette liste. La coordination des différentes missions reste en tout cas un point sensible.

En ce qui concerne l'importance de ces élections pour la région, la observateurs de l'UE s'est rendu compte que la nature de mission d'observation de la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) n'était pas la même que la sienne. L'UE a un regard très attentif et des exigences très strictes correspondant aux standards internationaux prévus pour les élections. La position de la SADC était plus politique puisque l'enjeu portait aussi sur la manière dont ces élections pouvaient contribuer à la stabilité dans la région.

De plus, les méthodologies sont très différentes. La mission de la SADC est arrivée une semaine avant les élections et n'a pu observer les opérations que pendant quelques jours seulement. La mission de l'Union européenne, au contraire, se fonde sur une vision à long terme et à veiller à avoir un échantillon représentatif des tendances qui se manifestent dans les différentes régions du pays.

Est-il possible de modifier les conditions d'envoi des missions et dans quelle mesure la communauté internationale pouvait exiger les procès-verbaux par bureau de vote ?

Selon Mme Nedelcheve, il n'est pas nécessaire de modifier les conditions d'envoi des missions. Une procédure est prévue, mais elle n'a pas été appliquée en RDC. En outre, la mission de l'Union européenne s'est rendue en RDC sur invitation. Et si cette invitation a été adressée à l'UE, c'est parce que la RDC a souscrit aux standards régionaux, nationaux et internationaux relatifs aux élections.

Si l'on analyse la déclaration de principe pour l'observation des élections, on remarque que la RDC s'est engagée à donner aux observateurs l'accès à toutes les étapes, y compris au moment du contrôle du processus. Force est toutefois de constater que, dans les faits, cet accès a été refusé. C'est pourquoi Mme Nedelcheva a accordé une grande importance au Centre national de traitement des résultats, lequel centralise ces derniers et les transmet à la commission ad hoc qui a été créée par la CENI et dont le rôle consiste à consolider les résultats. Cette commission rassemble des experts. Hélas, la mission de l'UE, les observateurs et les témoins des partis n'ont pas eu accès à cette commission.

Quant à la capacité de la communauté internationale d'exiger les procès-verbaux de chaque bureau de vote, il faut rester cohérent. L'UE a pour principe de ne pas interférer directement dans le processus mais, grâce à un dialogue avec tous les acteurs pour qu'ils ne se sentent pas exclus, et grâce à ses communications, l'UE peut exercer une certaine influence. Cela s'est vérifié dans les faits. Ainsi, la mission de l'UE a beaucoup insisté pour que les listes électorales soient affichées trente jours avant le déroulement du scrutin. Certes, ce délai n'a pas été respecté mais les listes ont néanmoins été affichées. Quant à la cartographie des bureaux de vote, après trois semaines d'entretiens quasi quotidiens avec la CENI, la mission a pu obtenir que la cartographie des bureaux de vote soit communiquée sur le site de la CENI une semaine avant les élections.

Il en a été de même pour les procès-verbaux qui ont été publiés à la suite des résultats provisoires. Le problème est que seuls les procès-verbaux informatisés, tels que compilés dans les CLCR, ont été publiés. Or l'UE exige de disposer des procès-verbaux scannés pour pouvoir nous assurer qu'ils sont authentiques.

En ce qui concerne l'importance de ces élections, Mme Nedelcheva estime que les élections sont importantes dans une démocratie mais qu'elles ne forment pas la démocratie. C'est la perspective dans laquelle se trouve la RDC qui donne à ces élections leur importance: la RDC vit un cycle électoral dont le déroulement est prévu de 2011 à 2013. Après les élections présidentielles et législatives, il reste à insister pour que les élections locales et provinciales aient effectivement lieu.

Cela soulève la question de la décentralisation qui, pour l'instant, n'existe que dans les textes. Il est difficile pour Kinshasa d'œuvrer au développement de chaque région, d'autant que chacune a ses spécificités. Faisons donc en sorte que le processus de décentralisation puisse aller plus loin, et le moyen d'y arriver est la tenue d'élections locales et provinciales. Les élections législatives ont fait prendre conscience de cette nécessité. C'est du moins ce que Mme Nedelcheva a ressenti lors de ses rencontres avec les différents candidats aux élections législatives, parmi lesquels d'aucuns reconnaissaient s'être forgé une certaine popularité qui, s'ils n'étaient pas élus au parlement national, pouvait néanmoins leur être utile aux prochaines élections.

À cet égard aussi, l'Église catholique a joué un grand rôle; elle a été très active dans la sensibilisation des électeurs. La CENI n'a prévu aucun moyen pour faire l'éducation des électeurs et leur donner ensuite une éducation civique. Cela reste un aspect à mettre en évidence car dans les régions où ils ont pu être sensibilisés, les électeurs savaient à quoi ils pouvaient s'attendre, à quoi ils devaient être attentifs. L'organisation y a été bien meilleure qu'à d'autres endroits où les gens ignoraient l'utilité de leur vote.

Enfin, en ce qui concerne le rôle de la police et de l'armée, il importe de bien différencier les deux. Il faut reconnaître que depuis 2006, la situation sécuritaire s'est améliorée. Il y a trois mois encore, l'on s'attendait à ce que l'Est du Congo fasse beaucoup parler de lui durant la campagne électorale. Or la situation y est restée bien plus calme que prévu. Un travail important a été accompli. Il y a, d'une part, une police bien formée, équipée, qui connaît et respecte les consignes de n'utiliser les armes en aucun cas et, d'autre part, la garde présidentielle, sa façon d'agir et la perception qu'en a la population. Le cas de la garde présidentielle est beaucoup plus sensible.

D. Exposé de M. Bogdan Vanden Berghe, secrétaire général de 11.11.11

Le CNCD et 11.11.11 ont participé à une mission d'observation de l'EURAC, une organisation faîtière européenne d'ONG. Environ nonante observateurs internationaux ont été dépêchés sur place; ils ont collaboré avec près de 12 000 observateurs locaux issus de la société civile congolaise. Les nonante observateurs internationaux ont principalement soutenu la mission d'observation dans les différentes provinces.

Les observateurs ont contrôlé un tiers des 60 000 bureaux de vote. Les analyses sont actuellement terminées, mais elles correspondent dans les grandes lignes à celles effectuées par le Centre Carter et l'Union européenne. Pas moins de 1,6 million de voix pourraient avoir été perdues, ce qui est un chiffre relativement élevé. Aucune mission d'observation n'a conclu que les nombreux incidents constatés auraient entraîné une modification de l'ordre des résultats électoraux. Il est certain, en tout cas, que le président Kabila a un gros problème de confiance et de légitimité.

11.11.11 a également demandé au ministre Reynders de ne pas accéder à la demande formelle d'assister à la prestation de serment. M. Vanden Berghe se réjouit dès lors que le ministre ne s'y soit pas rendu et qu'il ait fait part de son intention de ne se rendre au Congo qu'une fois l'impact des incidents et des irrégularités clairement connu. Des suggestions ont déjà été faites à cet égard, et elles n'ont pas été vaines car les élections législatives ne sont toujours pas terminées et les voix doivent encore être comptées. La communauté internationale et la Belgique doivent maintenir les autorités congolaises et la CENI sous pression pour que les opérations de dépouillement des élections législatives se déroulent en toute régularité, ce qui ne sera pas facile. 11.11.11 plaide dès lors pour qu'on dégage des moyens supplémentaires afin d'aider les Congolais dans les opérations de décompte des voix. Si la tendance des résultats de l'élection présidentielle se reproduit lors du prochain scrutin législatif, on assistera à un glissement de pouvoir au sein du parlement congolais.

M. Vanden Berghe plaide par ailleurs pour la mise en place d'une médiation. La CENI a créé un comité de médiation, au sein duquel la société civile est également représentée. Ce comité peut jouer un rôle, mais il faut aussi tendre vers une médiation au niveau international. D'une part, le décompte et le contrôle des résultats doivent se dérouler de façon optimale et, d'autre part, une médiation doit — si nécessaire — être mise en place entre les différents ténors politiques. On se trouve actuellement dans une impasse: Kabila affirme que la légitimité des résultats ne peut plus être contestée, alors que, de son côté, Tshisekedi s'autoproclame président. De plus, la CENI n'a pas réagi aux nombreuses dénonciations d'irrégularités.

Il faut aussi maintenir l'assistance logistique et technique en faveur de la CENI par le biais de la coopération au développement, à condition que cette commission puisse fonctionner dans une plus grande indépendance à l'égard des autorités. D'énormes lacunes ont été constatées en matière d'éducation civique. En 2002, celle-ci était mieux organisée. Lors de la révision du programme de coopération belge avec le Congo en 2012, il faudra absolument envisager la formule de l'enveloppe conditionnelle, prévoyant une aide liée au bon déroulement du processus démocratique.

L'harmonisation des missions s'est encore relativement bien passée dans la pratique. L'EURAC a lancé un appel au calme quelques jours avant les élections, alors que la violence faisait rage à Kinshasa. Lorsque de nombreuses irrégularités ont été signalées au soir du scrutin, il en a été brièvement fait mention. Le mercredi qui a suivi les élections, M. Vanden Berghe était présent à la conférence de presse du Carter Center, où il a été dit que les élections s'étaient bien déroulées, alors que le dépouillement était encore en cours à Kinshasa. Les missions d'observation ont en tout cas le mérite d'avoir mis en lumière la nécessité d'une meilleure communication après les élections. Le communiqué plutôt rassurant diffusé le mercredi par le Carter Center a été la porte ouverte à de nouvelles irrégularités. M. Vanden Berghe se réjouit dès lors que le Carter Center ait ensuite fait des déclarations très critiques.

E. Exposé de Mme Colette Braeckman, journaliste au journal Le Soir

Mme Braeckman a assisté à la campagne électorale à Kinshasa et dans le Bas-Congo et elle a été frappée par la volonté d'appropriation par les Congolais: ils voulaient absolument organiser les élections dans les délais convenus, et ce pour diverses raisons. Ils craignaient notamment qu'après le 6 décembre 2011, date d'expiration du mandat du président, il n'y ait un vide du pouvoir. Il y avait un fossé manifeste entre la volonté des Congolais de respecter les délais et les conseils de la communauté internationale qui leur répétait qu'ils ne seraient pas prêts et qui prônait une négociation entre les partis intervenants en vue de retarder la date. Il y avait sans doute des raisons techniques mais peut-être aussi des arrière-pensées politiques.

Toujours est-il que la Commission électorale indépendante a procédé à une sorte de forcing pour respecter les délais, répartir les bulletins et les urnes sur l'ensemble du territoire. Tout cela était conçu comme une opération militaire. On avait d'abord compté sur l'aide des pays occidentaux mais, aux dires de certains, elle s'est avérée moins importante que prévu et les vraies bonnes volontés qui se sont manifestées étaient africaines. L'appropriation est donc le fait des autorités congolaises mais aussi des pays de la région qui se sont impliqués en gage de stabilité pour aider le Congo à relever ce défi, comme l'Angola, l'Afrique du Sud, le Congo Brazzaville, l'Ouganda. Tous ces pays ont contribué à la réussite du processus dans les délais.

Quant à la campagne, Mme Braeckman a constaté le déséquilibre des moyens en présence. Le camp présidentiel bénéficiait de moyens supérieurs en termes d'organisation et de présence médiatique mais aussi de soutien des gouverneurs de province et de l'appareil d'État. On avait l'impression d'une campagne organisée de manière militaire et méticuleuse, dont les messages étaient calibrés. Les messages du président et des candidats du PPRD portaient sur leurs réalisations passées et sur leur volonté de poursuivre leur politique. Il s'agissait de messages à caractère quasiment technocratique qui évoquaient les kilométrages de routes ou nombre de ponts déjà construits. Pour le Congolais moyen, l'infrastructure ou les réalisations technologiques ou technocratiques ne changent hélas pas grand-chose à sa vie quotidienne !

En revanche, les autres candidats avaient un discours « normal » de dénigrement des réalisations de leur principal adversaire, mais ils adoptaient aussi des propos plus dangereux — répercutés par les médias — en abordant des thèmes ethniques ou carrément xénophobes à propos des Rwandais et des Swahiliphones. Cela a créé des incidents et réveillé des démons que l'on souhaitait voir endormis depuis la pacification.

Un grand parti, l'UDPS, n'avait pas signé l'accord de bonne conduite avant les élections — on peut débattre des raisons — et surtout, en tout cas à Kinshasa, les esprits étaient extrêmement tendus. Le jour du vote, on a constaté un certain cafouillage lors de l'ouverture des bureaux de vote et des problèmes liés à la localisation des bureaux de vote et aux listes électorales. En dépit de ces problèmes logistiques, il se manifestait de la bonne volonté. Certains Congolais qui allaient voter, ont eu des difficultés à localiser leur bureau de vote et à retrouver leurs noms classés par ordre alphabétique. Mais, un problème insoluble à 7 heures du matin trouvait une solution vers 11 heures: tout à coup, on retrouvait le bureau ou on autorisait les intéressés à voter ailleurs.

Énormément de témoins censés pouvoir voter dans le bureau où ils se présentaient comme témoins furent confrontés à des difficultés dues au manque de bulletins de vote, mais on en amenait en catastrophe. Donc, la volonté de permettre à chacun d'exprimer son vote ce jour-là était bien présente même si le formalisme de l'organisation n'était pas respecté et qu'il y avait du cafouillage. On a d'ailleurs aussi permis de voter plus tard que prévu.

Il y avait surtout à Kinshasa une atmosphère qui montrait que les électeurs se sentaient vraiment impliqués. Les électeurs étaient très préparés, très conscientisés. Certains ont repéré la veille leur candidat sur les listes et le numéro du parti. Ils avaient préparé un petit copion pour être certains de savoir où aller voter, quoi faire et ne pas perdre trop de temps à consulter les bulletins de vote le jour même. Les témoins étaient là en nombre important et le personnel de la CENI était présent sur place, patient, aimable et respectueux des électeurs.

Il y régnait aussi par ailleurs, en tout cas dans beaucoup de bureaux de vote à Kinshasa, une atmosphère de très grande suspicion: les gens pensaient qu'on aller leur voler ces élections, trafiquer les résultats. Ils avaient tout cela à l'esprit avant même d'avoir exprimé leur vote.

Lors de deux interviews de Mme Braeckman avec le principal concurrent du président, M. Tshisekedi, celui-ci a affirmé les deux fois qu'il gagnerait les élections et serait président. Il a réaffirmé chaque fois que c'était exclu qu'il allait perdre les élections et que si on déclarait qu'il avait perdu les élections, ce serait la preuve de la tricherie. Ces propos tenus par deux fois lors des interviews, l'une à Bruxelles et l'autre à Kinshasa, ont été répétés à longueur de campagne et les esprits de tout le monde — en tout cas de ses partisans — en étaient imprégnés. Il n'y avait donc pas de consensus minimal sur le respect des règles du jeu.

De l'autre côté, le président Kabila aurait déclaré « il est certain en tout cas que je ne peux pas perdre ». Alors si l'un des deux ne peut pas perdre et que l'autre a déjà gagné, il ne peut y avoir qu'un problème ! C'est exactement ce qui s'est passé.

L'implication africaine, la volonté d'apporter une aide logistique, ont frappée avant les élections, mais aussi la présence d'observateurs africains et leurs déclarations très rapides après le scrutin. Ils ont « dribblé » toutes les autres missions d'observation. Il est clair qu'ils voulaient exprimer leur message, à savoir que ces élections étaient conformes aux normes de l'Union africaine et de la SADC.

Il est assez facile et simpliste de se gausser des observateurs africains en disant que la situation n'est pas meilleure dans leur pays. En fait, il y a une appropriation de la part de l'Afrique. Une observatrice sud-africaine a dit: « Ces élections nous concernent parce que si ce pays retombe dans la guerre demain, ce n'est pas les Occidentaux, qui en subiront les conséquences, mais bien nous, les pays voisins ». On constate donc un véritable engagement des pays de la région. Ils ont voulu s'impliquer dans l'organisation et l'observation des élections pour garantir la stabilisation du Congo.

N'assiste-t-on pas à une dérive des continents où l'Europe observe sans vraiment s'impliquer, critique sans vraiment s'engager ou s'engage trop tard ?

L'incompréhension est croissante et l'Afrique s'approprie les élections au Congo comme si elle avait tiré les leçons de certains événements politiques qui se sont déroulés cette année en Côte d'Ivoire et en Libye.

Personnellement, Mme Braeckman estime que les élections ne se sont pas bien passées au Congo et que le président Kabila a été mal élu, mais le président Ouattara a été beaucoup plus difficilement élu en Côte d'Ivoire. Pourtant, lors de sa prestation de serment, la Belgique — le ministre Van Ackere en l'occurrence — n'a éprouvé aucune hésitation à accompagner tous ceux qui y ont assisté.

Quelles sont les conséquences de ces élections congolaises ? Au départ, elles avaient pour but de consolider la démocratie, de stabiliser la société, de renforcer l'unité nationale et d'acheminer ce pays vers la paix. Or que constate-t-on aujourd'hui ? La déception de la population et un vote sanction à l'égard du régime sortant parce que les gens n'ont pas retiré le bénéfice social de la démocratie.

Aujourd'hui, force est de constater que les tensions sont ravivées au sein de la société congolaise. Des tensions interreligieuses apparaissent. Les Kibangistes sont attaqués par des militants politiques parce qu'ils sont censés soutenir le président Kabila. L'église protestante est aussi en difficulté parce qu'elle a validé les élections. Le chef de l'église catholique, Monseigneur Monsengwo, a pris une position un peu différente de celle de la CENCO, la commission électorale de l'église catholique.

À ces tensions, s'ajoutent d'autres tensions au Katanga contre les ressortissants Kasaïens, contre des Katangais, contre des swahiliphones, suspectés à l'est.

Les durs du régime estiment qu'on ne peut pas compter sur l'Europe et ont très mal vécu les critiques ... L'on n'assiste à l'avenir à un durcissement et un éloignement croissants. Ces durs du régime ne se renforcent à l'inverse de ce que certains d'entre nous souhaitaient.

En définitive, il y a moins de consensus national, moins de légitimité, moins de stabilité au Congo. Sans entrer dans les considérations sociologiques et anthropologiques, Mme Braeckman s'interroge sur l'opportunité de ce type d'exercice qui a coûté très cher et qui, comme la procession d'Echternach, a fait faire un pas en avant et deux en arrière.

F. Exposé de Mme Sabine Kakunga, chargée des programmes Afrique centrale au CNCD-11.11.11

Tout le monde a apprécié l'enthousiasme de la population qui s'est impliquée dans les élections. N'oublions pas que la société civile n'a pas quitté le terrain depuis 2006. Mais depuis un an, elle s'inquiète pour les élections de 2011, c'est pourquoi AETA (Agir pour des Élections Transparentes et Apaisées) a été créée. La plateforme pressentait déjà la difficulté de communication entre l'organe chargé d'organiser les élections et les autres acteurs (partis politiques, société civile).

La CENI est composée de représentants des partis politiques, la société civilde en a été écartée, la communication avec la population est donc difficile. Hélas, la société civile congolaise n'avait pas de moyens ni pour la sensibilisation ni pour la formation de la population. Grâce au fonds que la CNCD-11.11.11 a reçu des Affaires étrangères, et l'appui de certains ONG européens membres du réseau Européen pour l'Afrique Centrale (EURAC), la mission d'observation AETA-EURAC de 30 000 observateurs n'a pu formé et déployé que 3 000 observateurs congolais et 90 observateurs membres d'EURAC.

Le jour J tout s'est bien passé, surtout la forte implication de la population. Les meilleurs observateurs étaient la population elle-même. Partout où il y a eu des dysfonctionnements, elle était là pour surveiller, constater et même agir. Quand un problème avait lieu, le numéro du bureau de vote était communiqué et dans certains cas, la CENI était tout de suite interpellée.

L'idéal est de faire un travail sociologique ou anthropologique de savoir si ces dysfonctionnements étaient la conséquence d'une mauvaise organisation ou s'ils ont été systématiques pour avantager ou désavantager tel ou tel candidat.

Ce qui s'est passé par la suite est quand même inquiétant. Au moment de la proclamation des résultats, chaque témoin faisait son calcul sur la base des copies de procès-verbaux signés dont il disposait et lorsque certains se rendaient compte que parfois, les résultats ne correspondaient pas aux résultats proclamés, cela posait un réel problème. Il n'est donc pas correct de dire que tout s'est bien passé le jour des élections et de s'en tenir là. Dans l'ensemble, cela s'est bien passé. On a dénoncé certains dysfonctionnements, mais les choses se sont compliquées par la suite. D'ailleurs, même la CENI a admis qu'elle n'avait pas respecté le calendrier car elle avait décidé de ne pas continuer à publier les résultats tant que l'on ne se référait pas aux procès-verbaux qui avaient un lien très clair avec le bureau de vote.

Parmi les dysfonctionnements inquiétants, il y a également eu des procès-verbaux perdus et des procès-verbaux invalidés parce que l'on ne retrouvait pas les procès-verbaux d'origine. Ce sont les organes congolais appropriés qui doivent proclamer les résultats, mais si l'on s'en tient à la logique et que l'on prend en considération tous les dysfonctionnements, on ne peut tirer des conclusions quant au gagnant ou au perdant. Les Congolais en tout cas ont l'impression de s'être fait rouler. Ils souhaitaient avoir le véritable résultat des urnes et non pas polémiquer sur le fait d'être partisan de tel ou de tel candidat. À force de polémiquer et de prendre position, de manière formelle ou informelle, on en arrive à iriter les Congolais et on leur donne l'impression de choisir pour eux le candidat idéal. Ils connaissent les qualités et défauts des candidats. Et ils entendent des tiers s'interroger sur la capacité d'untel à gouverner le Congo. Quand on vote pour un candidat, qu'il soit bon ou mauvais, personne ne doit venir dire pour quelle raison on l'a élu. Nous devons être très attentifs à la manière dont nous communiquons.

Au-delà de ces polémiques, il faut penser aux législatives: des milliers d'hommes et de femmes risquent de se disputer. Le même problème que celui rencontré au niveau des présidentielles, se pose: certains des procès-verbaux transmis — cela concerne environ 30 centres sur 169 — n'étaient pas signés par les témoins. Pourquoi certains témoins refusaient de signer les procès-verbaux ? On ne s'est pas posé cette question, même au niveau des présidentielles.

Avec ces dysfonctionnements, on aboutit à des résultats qui laissent songeur. Le problème a commencé avec les législatives. Comment va-t-on le résoudre ? La CENI dit que la MONUSCO doit venir prêter main forte, mais la MONUSCO dit qu'elle n'a pas de terme de référence. Nous sommes préoccupés par ce qui va se passer avec un président élu et un président autoproclamé, mais que va-t-il se passer avec les législatives ? Les gens disent « on commence à nous voler des voix ». Qui vole des voix à qui ?

Cela va être un problème crucial. Il faut continuer à demander des explications sur les vrais procès-verbaux. Où sont-ils ? Faut-il rappeler les témoins ? Qu'est-ce qu'il se passait avec les bulletins de vote dans les centres de compilation à Kinshasa ?

À un moment où il y avait des débats très durs et où l'on s'interrogeait sur l'accès au serveur, la CENI avait garanti que les choses se dérouleraient dans la transparence : il y aurait des procès-verbaux, des copies, tout serait affiché ! C'est ce que les gens exigent maintenant. La plupart des Congolais refont les calculs. Ils ont raison de vouloir retrouver le résultat d'un scrutin auquel ils ont participé et qu'ils ont surveillé mais pour les élections législatives, il serait vraiment dommage que nous assistions à la même chose. Même les gens de la CENI se posent sans doute des questions : doivent-ils publier ou non les résultats car là où ils le font, surgissent des polémiques.

Mme Kakunga veut aussi évoquer la sécurité. Il y a une polémique au sujet de l'armée et de sa formation. La société congolaise ne doit pas avoir peur: tout ce que ces gens ont fait, c'est voter, et voter ce n'est pas déclarer la guerre à qui que ce soit ! Quand on vote, c'est pour être en paix, pour être heureux d'être représenté par ceux que l'on a choisis ! Or les gens vivent dans la peur. On voit que l'insécurité règne: il y a des hommes et des femmes armés dans la rue pour surveiller une population qui n'est pas armée. Qu'on rassure au moins la population, qu'on dise s'il y a une menace d'invasion de la part d'un pays voisin ... Il faut aider les autorités à rassurer la population. Il faut éviter que la peur vienne s'ajouter aux conditions socioéconomiques déjà très difficiles, il faut éviter que les gens s'enferment chez eux et n'osent plus se rendre au marché pour y vendre leur marchandises.

Nous (la communauté internationale) allons continuer à nous exprimer sur les élections; les hommes et les femmes politiques congolais continueront à polémiquer et, finalement, les seuls qui n'auront pas le droit de s'exprimer sur la validité des élections, c'est la population congolaise ! On peut toujours dire que si elle s'exprime, elle sera instrumentalisée par les uns ou les autres. Mais pourquoi ne pourrait-elle pas être autorisée à s'exprimer ? Ces gens ont surveillé leurs élections, ils ont voté et tout ce que l'on entend dire, c'est « on leur a donné une fois l'occasion de s'exprimer, d'aller voter et cela suffit » ! Pourquoi continuerions-nous à palabrer sur les élections si les personnes concernées n'ont pas la possibilité de s'exprimer, si elles ne peuvent se prononcer sur les événements actuels à cause de l'insécurité et de la peur ? Comment, dans ces conditions, pourra-t-on encore mobiliser ces personnes pour les élections locales ?

Finalement, les gens disaient qu'ils allaient voter pour choisir leurs dirigeants et qu'ils allaient s'impliquer à la base. La plupart des femmes attendent les élections locales pour mieux s'investir au niveau où elles ont l'habitude de le faire. Or on risque de polémiquer des années durant sur ces résultats. Nous devons aller jusqu'au bout du processus, faute de quoi les gens auront participé uniquement à une partie du processus électoral qui n'est d'ailleurs pas très clair les Congolais se demandent ce qu'on a fait de leurs votes. Cela étant, il ne faut pas non plus s'enliser dans la polémique au niveau national et international, car on risquerait de ne pas aider le Congo à organiser ses élections locales.

Échange de vues

Mme Arena pense également que la société civile a un rôle très important à jouer dans le processus électoral mais aussi de manière générale en RDC.

En revanche, les conclusions de Mmes Katunga et Braeckman interpellent davantage. Mme Braeckman conclut que les élections avaient pour objectif d'unifier les citoyens, de leur redonner confiance, de souder la population congolaise. Or on observe l'inverse dans les faits. Il faut aller plus loin et organiser les élections locales et provinciales. La population souhaite-t-elle vraiment aller plus loin ? La communauté internationale a-t-elle la possibilité de soutenir le déroulement d'un processus électoral complet, compte tenu des remarques de Mme Katunga sur l'implication de la société civile dans les élections locales ?

M. Mahoux fait observer que l'alternative à ce processus, certes éminemment insatisfaisant car entaché d'irrégularités, est la situation que le Congo connaissait encore il y a peu: des factions opposées qui prennent les armes et s'affrontent. Malgré les frustrations que peuvent causer les irrégularités commises et les résultats des élections, il ne faut pas oublier d'où l'on vient et la guerre civile qui ravageait encore le pays il y a peu. Pensons que les horreurs dont le Nord-Kivu est encore régulièrement le théâtre se passaient avant dans tout le pays.

Le processus électoral est certes imparfait, mais que faire d'autre ? Il faut pousser le processus au maximum et admettre qu'il ne faut pas de demi-mesures lorsqu'il s'agit d'organiser des élections. Certains estiment qu'il faudrait envisager des périodes plus longues d'observation. Pour les premières élections palestiniennes, des observateurs sont restés un an sur le terrain; cela a coûté une fortune.

Voici cinq ans, lorsque l'UDPS a refusé de participer au scrutin, beaucoup d'observateurs ont été déployés, ce qui a coûté cher, et il y a eu peu de contestations. Il faut dire qu'après la défection de l'UDPS, Kabila n'avait plus guère d'opposants réellement menaçants, quoique le compromis de Sun City ait montré qu'il y avait des concurrents. Est-il possible d'organiser des élections dans un contexte comme celui du Congo sans dégager des moyens financiers importants ? Si vraiment le processus électoral encadré permet de prévenir des conflits, cela vaut peut-être la peine de lui affecter des moyens importants.

M. Vanlouwe se demande si, compte tenu des rapports critiques dont elle a connaissance, la Belgique doit adopter une attitude de retenue ou, au contraire, adresser un signal fort. Devons-nous demander l'ouverture d'une enquête internationale sur la base des diverses données, rapports et procès-verbaux existants, ou devons-nous faire comme si de rien n'était ?

Réponses de Mme Colette Braeckman

Tout dépend de la situation sur le terrain et du rapport de force. Le problème de ces élections — et cela remonte à 2006 — est que l'on a commencé à construire la pyramide à partir du sommet. Quand on commence par le sommet, on aboutit inévitablement à une guerre des chefs. On observait déjà une guerre des chefs en 2006, elle était bien plus terrible que maintenant, avec Jean-Pierre Bemba qui disposait de milices dans la ville de Kinshasa, ce qui rendait le risque de guerre urbaine bien réel. Aujourd'hui, nous assistons à une nouvelle guerre des chefs, Tshisekedi ayant décidé de s'autoproclamer président. La démocratie passe par la base et la communauté internationale a tort de ne vouloir parler qu'avec le chef.

Dès 2005 2006, la Belgique a proposé de commencer par les élections locales mais cette idée a été rejetée. On a ainsi oublié ces élections locales qui sont la base de la pyramide. Les élections locales auraient été pour les femmes une occasion de se faire connaître. Si l'on avait commencé par les élections locales, davantage de candidats issus de la base, dont des femmes, auraient déjà pu accéder aux échelons intermédiaires et, la prochaine fois, au sommet. On a fait l'inverse.

Mme Braeckman fait un appel pour veiller à ce que les élections locales se déroulent rapidement et dans de bonnes conditions pour créer enfin l'indispensable base politique et sortir des « chefferies » et de la guerre des chefs qui risque de nouveau d'embraser le pays, comme ce fut le cas en 2006.

Que faire ? Il paraît impossible de recompter les bulletins de vote. Les élections au Congo ne se sont certainement pas passées dans de bonnes conditions mais, en tout cas, la situation n'est pas pire que ce que l'on a vu dans de nombreux pays d'Afrique où des éminences belges, françaises et autres se sont précipitées pour valider les élections. Il ne faut pas appliquer au Congo des critères différents de ceux que l'on utilise pour le Tchad, le Niger ou la Côte d'Ivoire.

Réponses de Mme Sabine Kakunga

La plupart des Congolais étaient désespérés par la guerre et par le gouvernement appelé « 1+4=0 ». Le message des Congolais était « Nous faisons notre choix ». Ils en arrivent à l'impression d'avoir été instrumentalisés par la manipulation des résultats. Les gens ne voient pas très clair dans l'acte citoyen qu'ils ont posé. Cela dit, il faut essayer de sauver les meubles, pour que la population ne se décourage pas et puisse garder confiance en la démocratie qu'elle a commencé à construire.

Dans certaines paroisses, les prêtres recommandaient aux parents de ne pas laisser leurs enfants se laisser instrumentaliser par les partis politiques et marcher dans la rue, car ils risquent de se faire tirer dessus. On leur répondait: « De quel côté êtes-vous ? Nous voulons la vérité, et s'il le faut nous descendrons dans la rue, quitte à nous faire tuer ». Parfois les responsables des différentes églises ne sont plus sur la même longueur d'onde que les croyants. La confiance est rompue, pas seulement avec les autorités politiques, mais avec tous ceux qui ont accès au pouvoir. En juillet déjà, les gens s'en prenaient aux dirigeants religieux qui donnaient la priorité aux politiques venant faire compagne dans toutes les églises confondues. Les riches ne se trouvent pas seulement au sommet de l'État, mais aussi dans les églises. La population veut avoir accès à ces dividendes de la démocratie. Les gens souffrent beaucoup; en dépit de tous les discours de pacification, si les conditions socio-économiques ne s'améliorent pas, une guerre civile peut en résulter. La radicalisation des discours se fait surtout dans le domaine socio-économique.

À propos des récents événements, Mme Kakunga a reçu des courriels terribles disant « la communauté internationale dit que la diaspora ne fait rien pour le Congo; n'envoyons plus rien, et qu'ils crèvent de faim, même si ce sont nos parents, ou alors que la communauté internationale aille les nourrir ».

Les citoyens congolais en ont assez de mourir de faim et les Congolais de la diaspora en ont assez de se priver d'une bonne part de leur salaire pour soigner les malades et enterrer les morts au pays. La situation devient intenable et la seule chose que nous souhaitons est que le Congo aille mieux, qu'il utilise ses ressources pour nourrir les gens, pour scolariser les enfants, pour soigner les malades et que les citoyens congolais ne vivent plus dans des conditions socio-économiques dramatiques.

Si ce message est entendu et si la Belgique soutient une politique en ce sens au Congo, il n'y aura guère de problème, mais si les responsables s'emparent du pouvoir pour le pouvoir, la situation sera très difficile dans les années à venir.

Réponses de M. Vanden Berghe

À la question de savoir si la Belgique doit faire comme si de rien n'était ou lancer un signal fort, une seule réponse s'impose: faire comme si de rien n'était n'est pas une option envisageable. Les liens entre la Belgique et le Congo sont suffisamment forts pour que notre pays ne reste pas les bras croisés, mais un signal fort adressé uniquement par la Belgique n'aura que peu d'impact. Nous devons rechercher des alliés en Europe afin de faire savoir clairement qu'il y a un problème de confiance. On a entendu des déclarations pour le moins provocantes, selon lesquelles aucune irrégularité n'aurait été commise. Ces propos risquent d'hypothéquer les prochaines élections.

Les élections locales et provinciales sont certainement beaucoup plus importantes que les présidentielles, mais elles risquent de se dérouler dans un climat de méfiance si la communauté internationale ne lance pas un signal dès à présent. Les possibilités en la matière sont nombreuses et il appartient à la Belgique de prendre l'initiative.

III. AUDITION DU 10 JANVIER 2012

A. Exposé de M. Didier Reynders, ministre des Affaires étrangères

Le processus électoral congolais s'étend jusqu'en 2013 (année où auront lieu les premières élections locales dans l'histoire du pays) et la première étape était les élections législatives et présidentielle du 28 novembre 2011.

Onze candidats étaient en lice pour la présidentielle et plus de 18 000 (pour les 500 postes à pourvoir) aux législatives. Malgré les nombreux problèmes logistiques rencontrés dans l'acheminement du matériel, les 2 élections ont bien eu lieu ensemble et à la date prévue.

Élection présidentielle

La CENI a annoncé le 9 décembre 2011 (après 2 reports) la victoire de Joseph Kabila avec 48,95 % des voix contre 32,33 % à son plus proche adversaire, Etienne Tshisekedi. Les autres candidats sont très loin (Vital Kamerhe arrive en 3e place avec environ 7,7 %).

Mais de nombreuses irrégularités ont été constatées par les observateurs, surtout lors de la phase de compilation des résultats. Il faut noter toutefois qu'aucune mission d'observation n'a remis en cause l'ordre des candidats annoncé par la CENI.

L'opposition a immédiatement contesté la validité du scrutin.

Le 13 décembre 2011, Etienne Tshisekedi, Vital Kamerhe et Nzanga Mobutu ont publié une déclaration commune dans laquelle ils rejettent les résultats publiés par la CENI, déclarent Etienne Tshisekedi vainqueur de la présidentielle et réclament une médiation internationale (ONU, UA, SADC, CEEAC ou UE). Ils soulignent également qu'ils ne se désolidariseraient pas d'un éventuel mouvement populaire de contestation, invoquant l'article 64 de la Constitution qui autorise le peuple à destituer « tout individu ou groupe d'individus qui prend le pouvoir par la force ou l'exerce en violation des dispositions » de la Constitution.

Le lendemain (le 14 décembre 2011), 3 autres candidats de l'opposition, Léon Kengo wa Dondo, Antipas Mbusa et Adam Bombole, ont publié leur propre déclaration appelant cette fois-ci à l'annulation pure et simple des élections. Kengo, Mbusa et Bombole proposent aussi la concertation des acteurs politiques pour un gouvernement de transition et une médiation internationale.

Le seul candidat à avoir présenté un recours en annulation de la présidentielle devant la Cour suprême est Vital Kamerhe. Mais ce recours a été rejeté le 16 décembre 2011 par la Cour pour manque de preuves. La Cour a donc confirmé les résultats annoncés 7 jours plus tôt par la CENI.

Joseph Kabila a donc prêté serment le 20 décembre 2011 pour un deuxième mandat. Cette prestation de serment s'est déroulée sans incidents majeurs. Un seul chef d'État assistait à cette cérémonie (le président zimbabwéen Robert Mugabe). Quelques pays africains avaient envoyé une délégation ministérielle. La Belgique, comme les autres pays européens, la Chine, la Russie et le Brésil, était représentée par son ambassadeur.

S'autoproclamant président élu, Etienne Tshisekedi a tenté d'organiser sa propre prestation de serment au Stade des Martyrs de Kinshasa le 23 décembre 2011. La manifestation a été interdite par les autorités congolaises. Cette interdiction a provoqué quelques incidents autour du Stade des Martyrs, mais un seul manifestant est mort et de manière accidentelle (il a marché sur des fils électriques alors qu'il était poursuivi par les policiers). On note aussi quelques arrestations. La situation est redevenue calme assez rapidement.

Etienne Tshisekedi a finalement prêté serment dans sa résidence de Limete mais aucun pays n'a envoyé de délégation à cette cérémonie. La Belgique a dit vouloir éviter une situation où deux présidents revendiquent la légitimité du pouvoir.

L'UDPS a réclamé le jeudi 5 janvier 2012 un recomptage des voix et, à défaut, au moins l'organisation d'un second tour comme c'était prévu avant le changement constitutionnel. Félix Tshisekedi, le fils d'Etienne Tshisekedi, s'en est pris directement à la Belgique qualifiant de « dangereux » les propos du ministre des Affaires étrangères (dans son communiqué de presse du 17 décembre 2011 faisant suite à la décision de la Cour suprême sur le recours de Vital Kamerhe et la confirmation des résultats), se référant au passage dans lequel notre ministre précisait que les irrégularités constatées lors de l'élection présidentielle du 28 novembre 2011 ne paraissaient pas « de nature à remettre en cause l'ordre des résultats ». Félix Tshisekedi considère qu'il s'agit d'un « coup de pouce à Kabila ».

Un recomptage des voix paraît peu utile vu le nombre de bulletins perdus ou trop endommagés et un second tour serait très coûteux sans garantie qu'il se déroulerait dans de meilleures conditions.

Même le Centre Carter n'a pas remis en cause l'ordre des candidats lors de cette élection présidentielle.

Élections législatives

L'attention de la communauté internationale se porte désormais sur la compilation des résultats des élections législatives.

Cette compilation des résultats prend beaucoup plus de temps que pour la présidentielle pour 2 raisons:

1) il y avait bien sûr beaucoup plus de candidats (plus de 18 000) et 500 postes à attribuer;

2) suite aux nombreux problèmes rencontrés lors de la compilation des résultats de la présidentielle et aux critiques de la communauté internationale, la CENI a voulu se montrer plus prudente cette fois-ci.

Le 19 décembre 2011, alors que la CENI avait déjà terminé son travail de compilation dans 90 des 169 centres locaux, les États-Unis et le Royaume-Uni ont annoncé être prêts à fournir leur aide pour le traitement des résultats.

Cette proposition a été acceptée par les autorités congolaises. Deux experts américains sont arrivés le 4 janvier 2012 à Kinshasa pour fournir une assistance technique et 4 autres experts sont attendus pour la fin de la semaine. Le Royaume-Uni se limite à fournir une aide financière (par le DFID).

À noter que, contrairement à par exemple la France ou l'Allemagne, le Royaume Uni a toujours adopté une attitude très pragmatique vis-à-vis du processus électoral. C'est-à-dire que, tout comme la Belgique, le Royaume Uni considère que, malgré les déficiences, les jeux sont faits et il importe maintenant d'éviter que les erreurs de dépouillement et de compilation ne se reproduisent dans les élections à venir, et de travailler avec Kabila II de façon « critique » et constructive.

Dans son communiqué de presse du 17 décembre 2011, notre ministre des Affaires étrangères a annoncé que la Belgique était également prête à apporter son aide pour la compilation des résultats des législatives. Toutefois, aucune décision n'a encore été prise concernant les modalités de cette aide. Il importe que la Belgique continue à faire confiance dans la volonté et la capacité de la MONUSCO pour continuer à aider la CENI, à la fois dans son travail de compilation des résultats des législatives et de l'organisation des élections à venir (provinciales et locales).

Il faut noter que la proclamation des résultats des législatives est toujours prévue pour le 13 janvier 2012.

Les premiers résultats faisaient état d'une large avance du camp présidentiel, ce qui a provoqué des tensions. Dans un esprit d'apaisement, la CENI a arrêté temporairement les opérations de compilation le 21 décembre 2011 pour attendre l'arrivée de la mission américaine. Mais l'arrivée de ces experts prenant du retard, la CENI a décidé de reprendre le processus de compilation le 27 décembre 2011. Au 5 janvier 2012, les résultats doivent encore être traités dans seulement 26 des 169 centres locaux de compilation.

Soutien financier de la communauté internationale

Les irrégularités constatées lors des dernières élections ont suscité des critiques de la communauté internationale.

Le 22 décembre 2011, l'Union européenne, par la voix de sa Haute Représentante pour les Affaires étrangères Catherine Ashton, s'est déclarée prête à réévaluer son soutien au processus électoral en raison des « déficiences sérieuses et de l'absence de transparence dans la compilation et la publication des résultats de la présidentielle ». L'Union européenne a prévu un budget de 47,5 millions d'euros pour le soutien au processus électoral congolais payable en 3 tranches. La décision concernant le versement de la dernière tranche dépend donc du bon déroulement des opérations de compilation des résultats des législatives. La mission d'observation de l'UE s'était montrée particulièrement critique sur le travail de la CENI dans le cadre de la présidentielle.

La Belgique, qui a déjà versé 15 millions d'euros pour soutenir le processus électoral en RDC, a également suspendu sa décision concernant le versement des 3 derniers millions d'euros de sa contribution au programme PACE (basket fund) du PNUD en attendant la fin du processus de compilation des résultats des législatives. Ces 3 millions d'euros sont normalement destinés au financement des élections provinciales et locales.

Cette conditionnalité des derniers versements financiers de la communauté internationale permet de mettre la pression sur la CENI pour que les opérations de compilation des résultats des législatives et les prochaines échéances électorales se déroulent dans des conditions plus satisfaisantes.

Situation sécuritaire

Il y a eu des violences à Kinshasa, Lubumbashi, à Mbuji-Mayi et à Kananga pendant les opérations de vote. Ces violences ont fait 18 morts selon Human Rights Watch.

Après la proclamation des résultats par la CENI le 9 décembre 2011, des incidents ont eu lieu à Kinshasa qui ont fait 5 morts selon le bilan officiel (3 pillards, 1 militaire et 1 passante atteinte par une balle perdue). On a relevé aussi 2 morts dans des incidents séparés en province et une tentative d'évasion ratée de la prison de Ndolo (5 prisonniers morts, aucun évadé).

Depuis, il n'y a pas eu d'autres décès liés directement à la tension postélectorale, même si des incidents relativement limités ont suivi l'interdiction du rassemblement de l'opposition au Stade des Martyrs pour la prestation de serment d'Etienne Tshisekedi. Certaines manifestations de l'opposition depuis l'arrêt de la Cour suprême du 16 décembre 2011 ont dû être dispersées de force par la police et des cas d'arrestations arbitraires ont été rapportés par des ONG et par la presse. Il n'y a cependant aucun signe avant-coureur d'un soulèvement généralisé de la population congolaise ou même d'émeutes à grande échelle.

Les Belges n'ont pas été visés par les manifestants jusqu'à présent. Toutefois, les opposants congolais à l'étranger se sont eux montrés beaucoup plus agressifs envers la Belgique.

Des partisans de Tshisekedi ont ainsi tenu des manifestations impromptues dans le quartier de Matonge à Bruxelles plusieurs jours de suite et celles-ci ont dégénéré en affrontements avec la police et destructions de biens publics et privés. Plusieurs ambassades de Belgique ont reçu la visite d'opposants congolais (Pretoria, Dublin, Helsinki, Copenhague) car la Belgique est perçue par beaucoup d'entre eux comme un soutien à Joseph Kabila. L'opposition congolaise semble vouloir déplacer la confrontation dans les pays étrangers.

Le dernier incident en date, même s'il n'a pas été revendiqué clairement est le passage à tabac de Kengo wa Dondo, pourtant adversaire de Joseph Kabila, lors d'une visite à Paris. Kengo wa Dondo n'a heureusement été que légèrement blessé suite à cette agression. Les manifestants reprochaient à Kengo d'avoir assisté à la cérémonie d'investiture de Joseph Kabila (il l'a fait en sa qualité de président du Sénat) et de s'apprêter à pactiser avec le président.

Échange de vues

M. Morael explique qu'il a participé à la mission d'observation électorale de l'AWEPA à Goma. Des problèmes liés aux préparatifs électoraux se sont effectivement posés la veille du scrutin, mais tout s'est bien déroulé le jour du scrutin. Malgré l'ambiance surchauffée, il n'y a pas eu d'incidents violents.

À l'instar de nombreux autres observateurs, l'AWEPA a souligné dans son rapport que l'accès aux médias était loin d'être irréprochable (les médias audiovisuels ont d'ailleurs perdu toute crédibilité au Congo) mais que peu d'irrégularités avaient été constatées le jour des élections, sauf à quelques endroits très localisés. Les problèmes sont apparus lors du rassemblement des bulletins de vote dans les centres régionaux. À ce moment-là, il n'y avait plus d'observateurs internationaux sur place, à l'exception d'observateurs du Centre Carter. Un recomptage des voix n'est même pas possible étant donné que de nombreux bulletins de vote ont été perdus ou détruits.

Sur qui ou quoi se base le ministre lorsqu'il affirme que selon la majorité des observateurs, la fraude n'était pas de nature à remettre en question l'ordre des candidats ?

Le cycle électoral en RDC vise à rétablir la paix, la stabilité et la crédibilité dans le pays. Un constat d'échec s'impose sur ces trois points. La situation au Congo à l'heure actuelle n'est pas plus stable ni plus rassurante qu'elle ne l'était avant les élections du 28 novembre 2011.

La population considère à présent la communauté internationale comme complice du régime sortant. Elle a commis de graves erreurs, déjà avant les élections lorsque la loi électorale a été modifiée et qu'il a été décidé d'organiser les élections présidentielles en un seul tour de scrutin. Cela ne pouvait qu'échauffer les esprits et saper d'avance la légitimité du vainqueur potentiel.

Non seulement la stabilité et la crédibilité du pays sont en jeu, mais également la crédibilité des institutions du pays, de la CENI, des juridictions supérieures et des médias audiovisuels. Il en résulte une situation extrêmement préoccupante puisque tout le monde, pour ainsi dire, a perdu sa crédibilité et que personne ne connaît encore le champ des possibles de ceux qui contestent la situation politique actuelle à l'issue des élections.

Les résultats des élections législatives, qui seront rendus publics le 13 janvier 2012, seront très probablement contestés eux aussi et les contestations seront beaucoup plus nombreuses que pour les élections présidentielles car il y va en l'occurrence du sort de milliers de candidats.

La communauté internationale et la Belgique ont commis des erreurs. La question qui se pose est de savoir si nous maintiendrons simplement notre ligne diplomatique lorsque notre aide sera de nouveau nécessaire pour la poursuite du cycle électoral ou si nous donnerons des signaux clairs et nets faisant comprendre que le processus électoral doit être mené de manière moins contestable, afin d'atténuer la menace de violence qui pèse sur le pays.

M. Torfs évoque les aspects financiers du cycle électoral. Jusqu'à présent, la Belgique a apporté une contribution s'élevant à 15 millions d'euros. L'obtention de l'aide financière était soumise à la condition que les élections soient libres, transparentes et honnêtes, objectif qui n'a pas été pleinement atteint. La question qui se pose à présent est de savoir si la Belgique versera la dernière tranche prévue. Le ministre continuera-t-il à soutenir également les prochaines élections régionales et locales ? Que préfère-t-il faire: apporter une aide financière à l'organisation des prochaines élections qui risquent de ne pas être non plus démocratiques ou ne pas insister afin que des élections soient encore organisées par la suite ?

M. Anciaux se réfère aux questions posées en séance plénière du Sénat (Annales, 15 décembre 2011, doc. Sénat, nº 5-40), à l'occasion desquelles le ministre a expliqué que la Belgique exigerait des réponses claires à toutes les réserves émises concernant le déroulement des élections. Ces réponses n'ont pas été données et ne le seront probablement jamais. Selon l'intervenant, la Belgique est dès lors contrainte de changer d'attitude face au Congo et de réfléchir à une autre manière de soutenir la démocratie dans ce pays. L'on peut encore difficilement parler d'un vrai processus démocratique en RDC.

M. Mahoux souligne que l'objectif premier de la Belgique vis-à-vis du Congo est de soutenir une politique visant à maximiser le bien-être de la population. Il reste beaucoup de travail à accomplir à cet égard, tout d'abord pour les autorités congolaises, mais également pour la Belgique et l'UE dans le cadre des accords de coopération bilatéraux et multilatéraux.

M. Mahoux estime par ailleurs que les irrégularités qui ont été commises ne doivent pas remettre en question en raison le principe du processus électoral.

L'intervenant insiste enfin sur l'importance d'une coordination entre les différentes missions d'observation électorale. Au fond, les observateurs ne peuvent témoigner que de ce qu'ils ont eux-mêmes vu à l'endroit où ils se trouvaient, ni plus ni moins. Compte tenu de l'étendue du pays et de l'existence d'importantes disparités locales, il importe de faire prendre conscience aux observateurs concernés qu'ils ne peuvent se prononcer que sur ce qu'ils ont vu personnellement et non sur le pays dans son ensemble. Une coordination, au moins dans le cadre européen, permettrait déjà de résoudre pas mal de problèmes et de remédier à bon nombre de réserves formulées.

M. Vanlouwe estime, comme M. Mahoux, que la coordination des missions d'observation des élections est très souhaitable, mais que force est de constater que les rapports des observateurs internationaux (l'UE, le Centre Carter) font clairement état d'irrégularités. Le Centre Carter épingle le manque de crédibilité; l'UE, quant à elle, constate un manque de transparence et des irrégularités en ce qui concerne la compilation et le comptage des voix, ainsi que la publication des résultats. Il est écrit textuellement dans le rapport que certains observateurs n'ont pas été admis dans plusieurs bureaux de vote. Le rapport de l'AWEPA attire l'attention sur des irrégularités et des incidents qui se sont produits à Lubumbashi et à Kinshasa, où plusieurs personnes ont même été tuées. La conclusion est donc évidente: ces élections sont entachées d'irrégularités et ne se sont pas déroulées loyalement.

Reste à savoir maintenant quelle attitude la Belgique adoptera à l'égard du Congo.

Lors de l'audition du 20 décembre 2011, il a été proposé de contrôler les procès-verbaux des 64 000 bureaux de vote afin de pouvoir garantir la fiabilité des résultats électoraux. Tous ces procès-verbaux ont été établis en trois exemplaires, qui peuvent encore être contrôlés. On peut ainsi vérifier si les procès-verbaux qui ont été collectés à Kinshasa correspondent à leurs copies.

Il est inacceptable d'affirmer dès à présent que l'ordre des candidats ne serait de toute façon pas affecté par d'éventuelles irrégularités. Nous ne pouvons pas nous baser sur de telles suppositions; nous devons, au contraire, attirer l'attention sur les divers rapports qui font état d'irrégularités, de fraudes et d'un manque de crédibilité.

Dans son exposé, le représentant de 11.11.11 a plaidé en faveur d'une médiation internationale entre les divers ténors politiques, laquelle pourrait être menée sous le contrôle de l'ONU ou de l'Union africaine. On pourrait aussi ouvrir une enquête internationale afin de garantir que les résultats publiés sont corrects. Le jour du scrutin, tout a été mis en œuvre pour organiser correctement les élections, mais de très nombreuses irrégularités voire des fraudes ont entaché les opérations de dépouillement des bulletins de vote et de comptage des voix.

La Belgique a accordé au Congo une aide financière de 15 millions d'euros pour l'organisation des élections. La dernière tranche de trois millions d'euros pour le programme « panier » du PNUD sera temporairement gelée. La Belgique pourrait également récupérer la première tranche versée de 15 millions, car celle-ci avait été octroyée à la condition expresse que les élections soient libres, honnêtes et transparentes. La résolution concernant les élections présidentielles et législatives du 28 novembre 2011 en République démocratique du Congo (doc. Sénat, nº 5-992/4), adoptée par le Sénat le 30 juin 2011, demandait au gouvernement belge de soutenir le bon déroulement des élections présidentielles et législatives à la condition explicite qu'elles soient transparentes, libres et honnêtes et que les droits de l'opposition soient respectés.

Or, si l'on en croit les divers rapports publiés, cette condition n'a pas été remplie. Par conséquent, la Belgique doit affirmer clairement qu'en tant que pays démocratique, elle ne peut tolérer aucune fraude. Même la « moindre » fraude est inacceptable.

Dans la note de politique générale du 21 décembre 2011 (doc. Chambre, nº 53-1964/10), il est question de l'Afrique centrale mais pas spécifiquement du Congo. Par le passé, on avait annoncé à plusieurs reprises la publication d'une note relative au Congo, présentant clairement la politique belge à l'égard de ce pays. Quand sera-t-elle déposée au parlement ?

Fermer les yeux sur les irrégularités n'est pas une option envisageable. En matière d'élections démocratiques, il n'y a pas de demi-mesure: elles se déroulent soit démocratiquement, soit non démocratiquement. Il n'est pas question que nous acceptions des irrégularités.

M. Morael souligne que son groupe ne peut accepter ni la fraude ni les irrégularités, mais qu'il ne remet pas non plus en question la suite du processus électoral. Il n'appartient d'ailleurs pas à la Belgique de décider si le Congo doit organiser ou non des élections régionales et locales.

L'intervenant doute du bien-fondé de la proposition d'examiner les procès-verbaux, car les principaux candidats connaissent les résultats exacts. En effet, après la fermeture des bureaux de vote et le comptage des voix, le procès-verbal a été rédigé et signé en présence des témoins, puis affiché sur la porte de chaque bureau de vote. Les candidats n'ont alors pas manqué d'envoyer immédiatement un observateur prendre connaissance des procès-verbaux affichés, si bien que chaque candidat connaît le résultat exact des élections.

Il y a vraisemblablement beaucoup d'hypocrisie de part et d'autre. Si la Belgique et la communauté internationale veulent retrouver leur crédibilité, elles doivent changer leur fusil d'épaule en ce qui concerne l'aide à apporter pour la suite du cycle électoral.

Réponses du ministre des Affaires étrangères

Le ministre souligne tout d'abord qu'il n'est entré en fonction qu'après les élections présidentielles et parlementaires congolaises du 28 novembre 2011.

Depuis qu'il assume la fonction de ministre des Affaires étrangères, il a demandé aux autorités congolaises de publier les résultats bureau par bureau, ce que la CENI a fait entre-temps sur son site Internet. Pour plusieurs bureaux, l'information a disparu.

Le ministre a également demandé que des réponses concrètes soient apportées aux différentes critiques.

Un seul candidat aux élections présidentielles a introduit un recours en annulation auprès de la Cour constitutionnelle.

Le ministre répète qu'en raison des irrégularités avérées, il a décidé de ne pas assister à la prestation de serment du président à Kinshasa. Comme pour les autres pays d'Europe, seul notre ambassadeur fut présent, la Belgique constatant ainsi que les élections présidentielles sont effectivement terminées, certes dans des circonstances qui ne furent pas parfaites, mais sans en contester le résultat.

Le ministre a aussi plaidé immédiatement en faveur du déroulement correct des opérations de collecte et de comptage des votes émis lors des élections parlementaires, qui donneront probablement lieu à des litiges beaucoup plus nombreux, surtout en raison du grand nombre de candidats.

Aucun rapport des observateurs électoraux ne dément les propos tenus par le ministre, à savoir que les irrégularités ont été nombreuses et qu'elles affectent la légitimité du processus; mais il n'est dit nulle part que le classement des candidats doit être remis en cause.

Le ministre confirme qu'il ne demandera pas le remboursement de l'intervention financière déjà versée pour l'organisation des élections, mais il précise que le versement de la dernière tranche de 3 millions d'euros sera suspendu.

Il souligne l'utilité des élections locales et insiste pour qu'elles se déroulent dans de bonnes conditions. En fait, les élections locales sont les élections les plus importantes du processus démocratique. C'est la raison pour laquelle il faut prévoir davantage de garanties pour qu'elles puissent se dérouler correctement.

Le ministre ne partage pas la thèse d'une démocratie du tout ou rien. Une démocratie se met en place progressivement. La Belgique soutient par exemple les premiers pas du processus démocratique au Myanmar. Si la démocratie était une question de tout ou rien, il ne serait pas utile de soutenir ce processus; c'est pourquoi le ministre n'est pas de cet avis.

Dans la relation qui unit la Belgique au Congo, l'objectif est bien entendu d'améliorer le bien-être de la population. Le processus de démocratisation est une étape essentielle vers la réalisation de cet objectif.

Il sera plus facile d'établir des contacts avec les différentes forces politiques lorsque les résultats des élections parlementaires seront connus et que le parlement sera installé.

À la première occasion, le ministre ne manquera pas d'aborder le problème de la coordination des missions d'observation au plan européen. Énormément d'observateurs étaient sur place jusqu'au jour des élections, mais il apparaît qu'au lendemain de celles-ci, il n'y avait pratiquement plus personne, alors que nous constatons aujourd'hui que ce sont la collecte et le comptage des bulletins de vote qui ont été entachés d'irrégularités.

Répliques des commissaires

M. Anciaux pense, lui aussi, qu'un processus démocratique est en marche, mais il souligne que la voix du peuple doit être entendue lors des élections. Dans ce domaine, il n'y a pas de demi-mesure. Le déroulement des élections est soit bon, soit mauvais.

Au Myanmar, il reste en effet un long chemin à parcourir et des pas importants vers la démocratie sont en train d'être franchis. Nous devons soutenir ce processus. Mais dans un pays qui se prétend démocratique et qui organise des élections officielles, force est de constater que ceux qui ont détourné les élections ne soutiennent en fait pas le processus démocratique et ne peuvent donc pas être nos partenaires.

M. Sevenhans estime, lui aussi, que des élections ne peuvent être que démocratiques. Sinon, il ne s'agit pas d'élections. Un pays qui a la prétention de se dire démocratique se doit d'encourager des élections démocratiques à 100 %, faute de quoi ce ne seraient pas des élections.

Le véritable intérêt des élections présidentielles qui viennent de se dérouler réside dans les leçons que l'on peut en tirer pour l'avenir. Pour les prochaines élections, nous devons absolument veiller à ce que des observateurs soient encore présents après le jour du scrutin, vu que de nombreux problèmes se sont visiblement posés à ce moment. Si le Congo souhaite que nous continuions à le soutenir, il devra remplir certaines conditions en vue de garantir des élections véritablement démocratiques.

La Belgique doit adresser un signal clair, en faisant savoir qu'elle prône la démocratie pleine et entière.

M. Vanlouwe estime que des élections ne peuvent pas être « un peu » démocratiques: elles doivent l'être totalement, ou ne pas avoir lieu. La comparaison avec le processus démocratique enclenché dans d'autres pays ne tient pas. La Belgique doit tabler sur des élections tout à fait équitables au Congo. Notre pays avait d'ailleurs imposé cette condition avant de s'engager à contribuer à l'organisation du scrutin. Le Congo est un pays partenaire important de la Belgique: environ la moitié du budget de la coopération belge au développement est destinée à la région des Grands Lacs. Il est donc normal que nous puissions aussi poser certaines exigences si nous soutenons le processus démocratique. Il ne peut pas et il ne doit pas y avoir la « moindre » fraude.

M. Vanlouwe espère que la Belgique adressera un signal clair et ne versera la prochaine tranche qu'après les élections régionales et locales. Il espère également que le ministre se penchera sur la question du non-respect des conditions qui avaient été imposées en l'occurence. Si la Belgique réclame l'ouverture d'une enquête internationale ou propose une médiation internationale, la situation de la population congolaise ne pourra que s'en trouver améliorée. Nous ne pouvons pas nous contenter d'oeuvrer pour le maintien au pouvoir d'un régime déterminé.

M. Mahoux note que tout le monde s'accorde à dire que des élections libres, honnêtes, transparentes et démocratiques sont souhaitables, mais il tient à apporter des nuances. Jusqu'il y a six ans, le Congo était en proie à une guerre civile d'une violence inouïe. Aujourd'hui, il est clair que la démocratisation et le bien-être de la population congolaise connaissent une évolution positive. Le Congo progresse, pas à pas. Nous devons avoir pour objectif commun de soutenir tout ce qui peut contribuer à la démocratisation et au bien-être de la population congolaise.

M. Sevenhans pense que si nous voulons soutenir la démocratie au Congo, nous devons montrer l'exemple et indiquer ce que renferme exactement la notion de démocratie. En effet, le Congo a encore un long chemin à parcourir, mais nous devons exprimer clairement nos attentes et ne pas faire comme si tout s'était bien passé. La situation humanitaire désastreuse que connaît le Congo ne peut pas servir de prétexte à négliger la démocratie.

Le signal à adresser est le suivant: les élections doivent se dérouler de manière correcte.

De voorzitter-rapporteur,

Karl VANLOUWE.