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17 FÉVRIER 2012
Introduction
Depuis quelques années, le mot whistleblower ou « sonneur de tocsin » a pris une signification nouvelle. Le mot est devenu une métaphore pour désigner des membres du personnel qui dénoncent à une instance externe des irrégularités ou des abus commis au sein de leur administration. Des « donneurs d'alerte » sortent de l'ombre pour dénoncer des situations inadmissibles, ce qui nécessite souvent beaucoup de courage et d'abnégation, car on tire presque toujours sur le pianiste.
Généralement, le donneur d'alerte n'est pas très apprécié lorsqu'il a divulgué des informations. L'exemple le plus notoire est incontestablement celui de l'eurocrate Paul Van Buitenen qui, à l'issue de son combat contre la commissaire européenne de l'époque, Edith Cresson, est devenu un paria au sein de l'administration européenne. Il fut suspendu au motif qu'il aurait nui au crédit de la fonction et violé le secret professionnel. Il perdit une partie importante de ses revenus et fut l'objet d'une procédure disciplinaire. Ce n'est qu'après une forte pression publique que des mesures furent prises à l'encontre des situations inadmissibles, mais Van Buitenen ne réintégra jamais sa véritable fonction. En 2004, il fut élu député européen dans le parti qu'il avait lui-même créé, « Europe Transparente », et qui a pour objectif principal de rechercher et de dénoncer les situations inadmissibles au sein de l'administration européenne.
Van Buitenen n'est pas un cas isolé. De nombreux donneurs d'alerte se sentent menacés ou mis sous pression par leur environnement de travail. Ceux qui étalent le linge sale sur la place publique ne sont souvent que modérément appréciés. Même l'opinion publique ne sait pas toujours très bien quoi penser des donneurs d'alerte: s'agit-il d'un problème réel ou de plaintes de personnes qui ont l'impression d'avoir été mises de côté ?
Tout cela justifie une protection des membres du personnel qui ont le courage de signaler des irrégularités. En effet, pour le moment, ils ne bénéficient d'aucun soutien. Ils courent plutôt le risque de se voir accoler une image négative qui sera bien sûr néfaste pour la suite de leur carrière.
En même temps, nous devons éviter que chaque fonctionnaire ressentant une frustration personnelle ne se mette à jouer un rôle de donneur d'alerte en vue d'assouvir sa rage. C'est pourquoi il est nécessaire de disposer d'un filtre crédible et indépendant qui évalue l'exactitude des informations obtenues.
Le contrôle en tant que valeur démocratique
Nous attachons une grande importance à la mise sur pied d'un statut pour les donneurs d'alerte. Le citoyen souhaite à juste titre que l'administration et les décideurs exercent correctement leurs responsabilités. Un contrôle en la matière constitue dès lors une valeur essentielle dans une démocratie.
C'est à cette valeur démocratique que le donneur d'alerte attache une grande d'importance, lorsqu'il renonce à la conception classique d'une loyauté stricte envers ses supérieurs pour opter en faveur des responsabilités du fonctionnaire, plutôt qu'en faveur de la structure dans laquelle il fonctionne. Un citoyen reste en effet toujours un citoyen, et pas seulement en dehors des heures de travail.
La protection d'intérêts publics importants est essentielle pour le donneur d'alerte. Parmi ces intérêts, on peut de toute façon compter le maintien, et parfois même la promotion, des potentialités qu'ont les organes démocratiques pour orienter et contrôler l'action de l'organisation dont il fait partie.
La présente proposition de loi vise précisément à protéger le donneur d'alerte en raison de cette valeur démocratique. Dans cet esprit, nous estimons qu'il est le plus indiqué de confier cette protection à l'organe de contrôle de la démocratie par excellence: le Parlement. Concrètement, nous souhaitons, au moyen de la présente proposition de loi, renforcer les possibilités de contrôle du Parlement en élargissant les missions du service de médiation parlementaire.
Bien sûr, nous ne portons pour autant aucun jugement sur le contenu des dossiers amenés par les donneurs d'alerte. Il reviendra alors aux médiateurs fédéraux d'examiner ces dossiers. La présente proposition de loi vise cependant à permettre que les informations sur de possibles irrégularités au sein des administrations soient traitées correctement et sur le fond. En outre, elle offre la garantie au membre du personnel qui a mentionné les possibles irrégularités qu'il bénéficiera d'une protection juridique sans faille.
Le rôle des médiateurs fédéraux
Les donneurs d'alerte sont souvent contraints de se tourner vers les médias. Il est assez logique que cette démarche n'engendre pas la sérénité requise. Une enquête sur des irrégularités menée dans les médias condamne trop souvent d'emblée les intéressés. Lorsque la dénonciation s'avère infondée par la suite, il n'est pas simple de réparer le préjudice subi.
Le besoin que ressentent les dénonciateurs de s'adresser malgré tout aux médias résulte de l'absence d'une instance de contrôle claire, qui puisse examiner leur plainte de manière correcte et indépendamment du service public concerné.
La procédure normale de plainte n'est naturellement pas vidée de sa substance. Le premier niveau auquel un membre du personnel doit adresser sa plainte est et reste son propre service et son chef de service. Si cela ne donne rien, le plaignant doit cependant pouvoir s'adresser à un interlocuteur indépendant.
Il ne semble pas souhaitable de créer un nouveau service. Il serait beaucoup plus judicieux d'étendre les compétences et les missions des médiateurs fédéraux. L'indépendance des médiateurs est garantie par la loi et leur attachement au Parlement. En vertu de l'article 458 du Code pénal, ils sont, qui plus est, tenus, au même titre que leur personnel, à une obligation de confidentialité concernant les secrets qui leur sont confiés.
Il n'est donc pas déraisonnable de considérer que les médiateurs disposent déjà des connaissances et de l'autorité nécessaires pour examiner des plaintes au sein de l'administration. L'actuelle loi du 22 mars 1995 dispose certes que « toute personne intéressée peut introduire une réclamation, par écrit ou oralement, auprès des médiateurs, au sujet des actes ou du fonctionnement des autorités administratives », mais ne prévoit pas encore explicitement le cas des dénonciations faites par les membres du personnel ni une éventuelle protection de ces derniers.
Ce qui est aussi important, c'est que les médiateurs font chaque année rapport sur leurs activités à la Chambre des représentants. De cette manière, la Chambre peut veiller à ce qu'il ne soit pas porté atteinte aux droits des membres du personnel.
Pour permettre aux médiateurs de remplir correctement cette nouvelle mission, il s'indique de revoir et, le cas échéant, d'adapter leur effectif et leurs moyens de fonctionnement.
Conclusion
Le but ultime des médiateurs est d'améliorer le fonctionnement des services et des organismes de l'autorité fédérale. La mise sur pied d'un statut correct pour les donneurs d'alerte peut les y aider. L'examen des plaintes exprimées par ces derniers reposera entre des mains sûres, indépendantes et discrètes s'il est confié aux médiateurs fédéraux. Les auteurs de la présente proposition estiment dès lors que l'instauration d'un statut protégé pour les donneurs d'alerte et l'examen des plaintes ou dénonciations de ces derniers constitue une garantie supplémentaire d'une amélioration continue des services publics.
Article 2, A et B
Cet article ajoute aux tâches des médiateurs fédéraux l'examen des dénonciations d'abus, de négligences, de délits, ..., par des membres du personnel d'une autorité administrative fédérale.
Article 2, C
Cet article règle la compétence des médiateurs fédéraux sur les autorités administratives fédérales dotées de leur propre médiateur par une disposition légale particulière. Comme les médiateurs fédéraux bénéficient, en raison de leur dépendance de la Chambre, d'une protection complète et peuvent donc également offrir une protection aux donneurs d'alerte, ils sont tout de même considérés comme compétents, même s'il est clair qu'ils ne le sont que lorsqu'il s'agit d'une dénonciation d'un membre du personnel. Dans tous les autres cas, la condition restrictive de la loi de 1995 s'applique intégralement.
Article 4
L'ajout d'un paragraphe 2 à l'article 8 de la loi du 22 mars 1995 instaurant des médiateurs fédéraux crée la possibilité, pour les membres du personnel d'une autorité administrative fédérale, de dénoncer une négligence, un abus ou un délit. Ainsi, les médiateurs fédéraux peuvent intervenir quand les membres du personnel donneurs d'alerte ne sont pas écoutés lorsqu'ils dénoncent des irrégularités dans leur service.
Le même paragraphe fixe également les conditions auxquelles un membre du personnel peut s'adresser aux médiateurs fédéraux. Ainsi, le membre du personnel doit d'abord s'adresser à son supérieur hiérarchique. Cela est jugé nécessaire afin de ne pas trop troubler les relations de travail habituelles. C'est finalement faire preuve d'un bon sens civique que d'essayer d'abord de résoudre les problèmes éventuels en interne. Si le membre du personnel estime néanmoins que cela n'est pas possible, car la dénonciation entraînerait une sanction déguisée ou non, il peut tout de même s'adresser directement aux médiateurs fédéraux.
Article 5
L'ajout d'un article 9/1 à la même loi permet aux médiateurs fédéraux de réaliser une enquête préliminaire, afin de s'assurer du sérieux de la plainte avant de véritablement instruire celle-ci. On évite ainsi les dénonciations erronées ou les fausses dénonciations. Si la dénonciation est déclarée irrecevable ou manifestement non fondée, les médiateurs fédéraux le font savoir par écrit à l'auteur de la dénonciation.
La procédure à suivre pour réaliser une enquête préliminaire est détaillée par les médiateurs fédéraux dans un règlement d'ordre intérieur. Pour l'enquête proprement dite, la présente proposition de loi prévoit que les médiateurs fédéraux pourront utiliser les mêmes moyens que pour l'examen des plaintes des citoyens.
Le dernier alinéa de l'article règle la méthode à utiliser par les médiateurs fédéraux pour les plaintes qui, en raison de leur nature, font l'objet d'une instruction judiciaire. En l'occurrence, il y a lieu de donner priorité à l'instruction judiciaire pour éviter des vices de forme. La tâche des médiateurs fédéraux se limite dans ce cas à un bref examen visant à placer sous protection le membre du personnel qui est à l'origine de la plainte.
Article 6
Cet article règle la protection du membre du personnel au moyen d'un « statut de donneur d'alerte ». Tout membre du personnel qui a porté plainte auprès des médiateurs fédéraux et craint que celle-ci ne donne lieu à des vexations ou des mesures susceptibles de nuire à sa carrière, peut se placer sous la protection des médiateurs fédéraux. L'anonymat du membre du personnel est ainsi automatiquement brisé.
Les mesures précises de protection de cette personne sont détaillées dans un protocole établi entre le gouvernement fédéral et les médiateurs fédéraux. Ce protocole prévoit au moins les mesures de protection suivantes:
— la suspension des procédures disciplinaires;
— la durée de la période de protection;
— les règles relatives à la charge de la preuve (de manière à ce que le fonctionnaire ne doive pas apporter lui-même la preuve, mais que cette tâche incombe aux médiateurs fédéraux);
— la procédure d'entrée en vigueur de la protection;
— des moyens et du personnel en suffisance pour garantir le bon fonctionnement du service.
Jacky MORAEL. | |
Freya PIRYNS. | |
Mieke VOGELS. | |
Claudia NIESSEN. | |
Cécile THIBAUT. |
Article 1er
La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.
Art. 2
Dans l'article 1er de la loi du 22 mars 1995 instaurant des médiateurs fédéraux, les modifications suivantes sont apportées:
A) dans l'alinéa 1er, avant les points 2º et 3º qui formeront respectivement les points 3º et 4º, il est inséré un point 2º, rédigé comme suit:
« 2º d'examiner des dénonciations de la part de membres du personnel attaché à une autorité administrative fédérale visée à l'alinéa 2; »;
B) dans le nouveau point 4º du même alinéa, les mots « visées aux 1º et 2º » sont remplacés par les mots « visées aux 1º, 2º et 3º »;
C) l'alinéa 2 est complété par une nouvelle phrase, rédigée comme suit:
« Si toutefois, les médiateurs reçoivent une dénonciation visée à l'article 8, § 2, ils sont également compétents à l'égard de ces autorités administratives dotées de leur propre médiateur. »
Art. 3
L'intitulé du chapitre II de la même loi est complété par les mots « et dénonciations ».
Art. 4
L'article 8 de la même loi, dont le texte actuel formera le paragraphe 1er, est complété par un paragraphe 2, rédigé comme suit:
« § 2. Tout membre du personnel attaché à une autorité administrative fédérale visée à l'article 1er, alinéa 2, peut dénoncer par écrit ou oralement auprès des médiateurs des négligences, des abus ou des délits, dénommés ci-après irrégularités, si le membre du personnel estime:
— ou bien qu'après notification à son supérieur hiérarchique, il n'a pas ou pas suffisamment été donné suite à sa communication dans un délai de trente jours;
— ou bien que, pour la seule raison de la publication ou dénonciation de ces irrégularités, il est ou sera soumis à une peine disciplinaire ou à une autre forme de sanction publique ou déguisée. »
Art. 5
Dans la même loi, il est inséré un article 9/1 rédigé comme suit:
« Art. 9/1. Les médiateurs examinent le bien-fondé de la dénonciation d'une irrégularité telle que visée à l'article 8, § 2. S'ils estiment, après un examen préliminaire, que la dénonciation est recevable et n'est pas manifestement non fondée, ils poursuivent l'examen des faits selon les dispositions des articles 10 à 14 inclus. Dans le cas inverse, ils communiquent par écrit au membre du personnel concerné les motifs pour lesquels ils estiment que l'affaire est irrecevable ou manifestement non fondée.
En cas d'instruction ou d'information sur l'irrégularité dénoncée, l'action des médiateurs se limite à un examen sommaire en vue de la mise sous protection du membre du personnel concerné. »
Art. 6
Dans la même loi il est inséré un chapitre II/1 intitulé « De la protection des fonctionnaires dénonçant des irrégularités ».
Art. 7
Dans le chapitre II/1 inséré par l'article 6, il est inséré un article 14/1 rédigé comme suit:
« Art. 14/1. Le membre du personnel qui dénonce une irrégularité visée à l'article 8, § 2, est placé, à sa demande, sous la protection des médiateurs. Le Roi élabore à cet effet un protocole avec les médiateurs fédéraux. Ce protocole prévoit, outre la durée de la période de protection, les mesures de protection, qui doivent se traduire au moins par la suspension des procédures disciplinaires et la fixation de règles d'attribution de la charge de la preuve. Le Roi prévoit, dans les réglementations relatives au statut du personnel, des dispositions visant à exécuter le protocole. Dès qu'ils reprennent l'affaire, les médiateurs informent sans délai le supérieur hiérarchique du fonctionnaire concerné de cette protection. »
Art. 8
La présente loi entre en vigueur le premier jour du troisième mois qui suit celui de sa publication au Moniteur belge.
8 septembre 2011.
Jacky MORAEL. | |
Freya PIRYNS. | |
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Claudia NIESSEN. | |
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