5-115COM | 5-115COM |
Mme Cécile Thibaut (Ecolo). - La communauté scientifique a été récemment secouée par une controverse à propos de la façon dont une découverte est passée à la postérité.
En effet, le cosmologue belge Georges Lemaître, prêtre et mathématicien, a publié dès 1927 sa découverte sur l'expansion de l'univers, résumant dans une formule la façon dont les galaxies s'éloignent d'autant plus vite qu'elles sont éloignées. Cet article, sur Un Univers homogène de masse constante et de rayon croissant rendant compte de la vitesse radiale des nébuleuses extra-galactiques, a été publié dans une revue scientifique belge peu connue et sa découverte n'a donc pas fait l'objet de tout le retentissement qu'elle méritait. Deux ans plus tard, Hubble publia une formule similaire qui passera, elle, à la postérité comme la « constante de Hubble ».
En 1931 l'article de notre compatriote sera traduit et publié en Grande-Bretagne mais se verra à cette occasion amputé des références permettant d'identifier le chanoine belge comme étant le premier à avoir défini la vitesse de fuite des galaxies en fonction de leur distance.
La polémique sur la paternité de la formule a pris fin grâce à Mario Livio, astrophysicien au Hubble Space Telescope Science Institute qui s'occupe du télescope spatial Hubble. Plongeant dans les archives de Lemaître et dans celles de la Royal Astronomical Society, il confirme que c'est Lemaître qui a effectué la traduction anglaise de son article, mais nous apprend également que ce dernier s'est censuré. Lemaître n'a donc pas éprouvé le besoin de clamer sa propriété et a laissé l'honneur de sa découverte à Hubble, refusant d'entrer dans une polémique. Aujourd'hui ce serait donc sur base d'une imposture que l'astronome américain a donné son nom à un télescope spatial.
Eu égard à cette vérité historique, monsieur le ministre, que comptez-vous faire dans les instances de la politique scientifique où vous siégez ? Comptez-vous défendre un nouveau nom pour ce télescope ? Ne pensez-vous pas que le nom du Belge serait une bonne suggestion pour baptiser une future mission spatiale ? Cette proposition a été avancée dans un éditorial de la dernière édition de la revue scientifique britannique Nature. Allez-vous plaider dans ce sens ?
M. Paul Magnette, ministre des Entreprises publiques, de la Politique scientifique et de la Coopération au développement, chargé des Grandes Villes. - L'excellence scientifique de Georges Lemaître est de nos jours reconnue par les scientifiques de la discipline. Ceux-ci ont connaissance des articles respectifs de Georges Lemaître et d'Edwin Hubble sur la question de la vitesse d'éloignement des galaxies, même si l'article de Hubble est plus connu et plus souvent cité.
Le récent article du professeur Livio dans Nature a clairement montré que la censure avérée et délibérée entre la version française (1927) des travaux de Georges Lemaître et la version anglaise du même article (1931) concernant la relation entre les vitesses d'éloignement des galaxies et leur distance (communément appelée « Loi de Hubble » ou « Constante de Hubble »), émane de Georges Lemaître lui-même. En effet, Livio a trouvé une copie d'une lettre de 1931 où Lemaître se présente comme traducteur de son propre article et signale qu'il a supprimé la discussion sur les vitesses des galaxies parce que c'était un sujet of no actual interest. Cela met donc fin à la controverse concernant une possible machination de Hubble ou de ses supporters qui auraient censuré l'article de Lemaître en 1931 pour réserver à Hubble la primeur de la découverte en 1929.
Bien sûr, a contrario, la controverse sur ce que pensaient vraiment Lemaître et Hubble ne pourra sans doute jamais être définitivement tranchée. Les questions suivantes alimenteront encore les discussions : Hubble avait-il connaissance des travaux de Lemaître et avait-il lu l'article français de 1927 ? Hubble a-t-il expressément omis en 1929 de citer les travaux de Lemaître ? Quand il a traduit son article en anglais, Lemaître était-il suffisamment intéressé par la reconnaissance de la primeur de sa découverte ? Était-il réellement plus soucieux de la précision scientifique et de l'actualisation des mesures utilisées pour démontrer la Loi de Hubble, ou voulait-il agir diplomatiquement lors de la soumission de la version anglaise de son article en 1931, tandis qu'il faisait part de son souhait de devenir membre de la Royal Astronomical Society ? Quoi qu'il en soit, comme l'a démontré le récent article du professeur Livio, il est inapproprié d'utiliser le terme « imposture ».
Le télescope Hubble a été lancé le 24 avril 1990 par la navette spatiale Discovery. Il s'agit d'une collaboration de longue haleine entre NASA et ESA qui s'est avérée très fructueuse. Initialement conçu pour une durée de 15 années, il sera en service pour environ 25 ans. II n'est pas à ce stade concevable de proposer un nouveau nom pour ce télescope.
La NASA, l'ESA et la communauté des astronomes préparent la succession du télescope Hubble, couvrant l'infrarouge proche jusqu'au proche ultraviolet en passant par le visible. La NASA a déjà prévu comme successeur du télescope Hubble, le lancement du JWST (James Webb Space Telescope) qui devrait être lancé en 2018. Ce NGST (Next Generation Space Telescope) sera lui uniquement un télescope infrarouge.
Par ailleurs, des avancées stupéfiantes dans la technologie des télescopes opérant à partir de la terre ont été faites, de sorte que les télescopes terrestres ne sont pas à la traîne. Ainsi, la communauté des chercheurs prévoit pour 2021 son E-ELT (European Extremely Large Telescope), projet qui doit encore être voté par leur conseil.
D'autres missions spatiales futures pourraient très bien s'accorder avec le nom de Georges Lemaître. En ce sens, la Politique scientifique belge n'hésitera pas à mettre en avant ses travaux et son nom chaque fois que l'occasion se présentera, et à promouvoir la reconnaissance de Georges. Lemaître au sein des organisations scientifiques internationales comme l'ESA ou l'ESO - et, en tant que Carolo, j'y veillerai particulièrement.
Mme Cécile Thibaut (Ecolo). - Je remercie le ministre. Je partage ses interrogations sur la vérité historique et ne doute pas de sa volonté de valoriser notre patrimoine historique dans le domaine de la recherche spatiale.