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20 DÉCEMBRE 2011
I. INTRODUCTION
La proposition de loi modifiant la loi du 24 janvier 1977 relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits, visant à interdire le bisphénol A dans les contenants de denrées alimentaires (doc. Sénat, nº 5-338/1) a été déposée le 18 octobre 2010 et a été transmise à la commission des Affaires sociales le 21 octobre 2010. La proposition de loi relative à l'interdiction du bisphénol A dans les récipients alimentaires (doc. Sénat, nº 5-821/1) a été déposée le 2 mars 2011 et a été transmise à la commission des Affaires sociales le lendemain.
Lors de sa réunion du 19 octobre 2010, la commission a décidé de procéder à des auditions sur la problématique du bisphénol A dans les emballages de produits destinés à la consommation. Ces auditions ont eu lieu le 1er février et le 26 avril 2011. Leur compte-rendu figure en annexe du présent rapport (1) .
Suite aux auditions, une proposition de résolution visant à promouvoir la recherche sur les perturbateurs endocriniens et à lutter contre leurs effets nocifs sur la population et les écosystèmes (doc. Sénat, nº 5-1144/1) a été déposée le 4 juillet 2011 et transmise à la commission des Affaires sociales le 14 juillet 2011. Cette proposition de résolution fait l'objet d'un rapport distinct (doc. Sénat, nº 5-1144/3).
La commission a ensuite examiné les propositions à la lueur des auditions lors de ses réunions du 29 novembre et du 20 décembre 2011. La proposition de loi nº 5-338 a été mise au vote lors de cette dernière réunion.
II. EXPOSÉS INTRODUCTIFS DES AUTEURS DES PROPOSITIONS
A. Exposé relatif à la proposition de loi modifiant la loi du 24 janvier 1977 relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits, visant à interdire le bisphénol A dans les contenants de denrées alimentaires (doc. Sénat, nº 5-338/1)
M. Mahoux fait observer qu'il a déposé ce texte lors de la précédente législature et qu'il l'a réintroduit car ses inquiétudes n'ont pas été dissipées. Il épingle la prise de position de plusieurs pays face à l'évaluation du risque que représenterait le bisphénol A alors que, face à des problématiques de ce type, ces pays ne se distinguent généralement pas par leur prudence. Le Canada, par exemple, a interdit sur son territoire l'utilisation de bisphénol A dans les biberons. Aux États-Unis, la Food and drugs administration, qui applique pourtant le principe de précaution avec modération, adopte une attitude très réservée vis-à-vis du bisphénol A. De nombreux pays européens aussi émettent des réserves à l'égard de cette substance.
Depuis le dépôt de la proposition, son auteur a été contacté par des représentants de l'industrie du plastique soucieux de lui démontrer le caractère inoffensif de leurs emballages. Cette démarche s'avère toutefois peu convaincante au regard de quantité d'études réalisées dans un objectif de santé publique.
Pour certains contenants, en particulier les biberons, il existe des alternatives sur le marché. S'il existe donc un risque lié à l'utilisation du bisphénol, il paraît évident qu'il faille en informer la population.
En ce qui concerne la substance elle-même, il convient de noter que l'impact oestrogénique qu'on lui attribue se produirait sans effet-seuil. Il est donc encore plus important dans un tel cas de tenir compte de la cible. Plus l'utilisateur est vulnérable, plus les conséquences risquent d'être graves. La proposition vise à interdire le bisphénol A dans tous les contenants alimentaires, mais en sachant que les biberons sont en priorité visés.
M. Mahoux s'étonne par ailleurs de certaines conclusions de l'Autorité européenne de la Sécurité des Aliments (EFSA). Il a l'intention d'entendre le commissaire européen à la Santé dans le cadre du comité d'avis chargé des questions européennes, notamment pour l'interroger sur la composition de l'autorité. S'il est vrai que la présidente de celle-ci a partie liée, de près ou de loin, avec l'industrie agro-alimentaire, il est permis d'avoir des doutes sur l'indépendance de cette autorité. Le membre insiste sur le fait que la confusion d'intérêts n'est pas établie à ce stade mais il n'est pas sain qu'on puisse même seulement suspecter une telle situation.
L'auteur de la proposition ajoute encore que la France a récemment adopté un moratoire en attendant la décision d'une structure nationale, sans se référer aucunement à la structure européenne.
Il serait utile que la commission des affaires sociales procède à des auditions d'experts.
B. Exposé introductif relatif à la proposition de loi relative à l'interdiction du bisphénol A dans les récipients alimentaires (doc. Sénat, nº 5-821/1)
Mme Thibaut déclare que la proposition de loi insère un article 1erbis dans la loi du 24 janvier 1977 relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits. Cet article vise à interdire la fabrication, l'importation, l'offre, la détention en vue de la vente ou de la distribution à titre gratuit, de récipients destinés aux denrées alimentaires et contenant du bisphénol A.
Vu les résultats de nombreuses études, il est aujourd'hui nécessaire que le législateur interdise le bisphénol A dans tout récipient alimentaire pour des raisons de santé publique évidentes.
L'auteur renvoie pour le surplus aux développements de sa proposition de loi.
III. DISCUSSION GÉNÉRALE
M. du Bus de Warnaffe remercie les auteurs des propositions d'avoir soulevé le problème du bisphénol A, sujet préoccupant tant au regard de la santé publique qu'en raison de la controverse dans ce secteur.
L'intervenant attire l'attention sur la forme de la proposition de loi nº 5-338/1: elle modifie la loi du 24 janvier 1977, laquelle prévoit que le Roi peut appliquer une série de mesures visées à à l'article 2, « aux objets et matières destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires, ainsi que réglementer et interdire l'emploi de ces objets et matières ». Il serait préférable, soit de conserver le texte de la proposition de loi mais d'en faire une loi distincte, soit de modifier l'article 2 de la proposition de loi de manière à compléter l'article 3, 2º, a), de la loi de 1977 (« appliquer les mesures visées à l'article 2, alinéas 1er et 2, aux objets et matières destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires ») en ajoutant « de même que leur composition », soit encore en laissant au Roi l'opportunité d'adopter un arrêté royal visant l'interdiction, la fabrication, l'offre et la détention du bisphénol A.
Mme Franssen estime que le sujet abordé concernant la santé publique, il convient d'adopter une attitude prudente. L'auteur de la proposition nº 5-338/1 a fait valoir qu'il accordait plus de crédit aux études réalisées dans une optique de protection de la santé publique qu'à celles réalisées par le secteur de l'industrie. Toutefois, il semble que même dans les premières, les opinions divergent. Il est certain qu'il faut davantage de clarté et de sécurité mais l'interdiction totale du bisphénol A dans les emballages apparaît peut-être exagérée.
L'Agence fédérale pour la Sécurité de la chaîne alimentaire ou le Conseil supérieur de la Santé ont-ils déjà rendu des avis en la matière ? Dans le cas contraire, la ministre pourrait-elle le leur demander ?
La membre souscrit aussi à l'idée d'organiser des auditions, de manière à ce que les défenseurs et les adversaires du bisphénol A puissent exposer leurs arguments.
M. Ide se dit favorable à ce qu'on prenne comme point de départ de la discussion l'état de la question au niveau scientifique. En vérité, comme l'a dit l'intervenante précédente, les études existantes reflètent des points de vue très divers. Cependant, si l'on examine les études valides selon les principes de bonne gouvernance scientifique, il n'y a pas de preuve établie que le bisphénol A serait nocif, par exemple pour les jeunes enfants.
Un biberon contenant du bisphénol A doit être chauffé au moins cinq ou six fois avant que la concentration de bisphénol A ne chute en dessous d'un seuil critique. Mais cela ne signifie pas que la présence de bisphénol A dans l'eau chauffée soit forcément nocive.
Il n'y a donc pas de preuve scientifique justifiant une interdiction du bisphénol A, mais en vertu du principe de précaution, il serait utile d'imposer un étiquetage sur les biberons de manière à permettre aux parents d'acheter en connaissance de cause.
Le membre conclut donc en proposant, non d'organiser des auditions qui risquent d'aboutir à la conclusion déjà énoncée qu'il n'y a pas de preuve scientifique de la nocivité du bisphénol A, mais bien de prendre une initiative afin d'imposer une sorte de label sur les emballages ne contenant pas de bisphénol A.
M. Vandenbroucke s'exprime avec prudence sur le sujet. Les quelques spécialistes qu'il a lui-même consultés semblaient favorables à ce qu'on envisage une interdiction du bisphénol A en vertu du principe de précaution, mais il n'a pas consulté suffisamment de personnes pour que leur opinion puisse fonder une décision.
Le membre est d'avis qu'il faut approfondir le débat, notamment en invitant des experts. L'idéal serait que l'un d'eux puisse dresser un panorama des études existantes.
M. Ide répond qu'il existe en Belgique des toxicologues suffisamment indépendants pour remplir cette mission mais il s'agira d'un énorme travail car le nombre des études est impressionnant.
À la remarque relative à la forme de la proposition de loi, M. Mahoux répond qu'il n'est pas du tout opposé à ce qu'on transforme le texte en habilitation au Roi si l'on estime que c'est la forme la plus appropriée.
Au niveau du calendrier, M. Mahoux estime que les alertes dans l'opinion publique au sujet des biberons contenant du bisphénol A sont suffisamment importantes pour qu'on puisse déjà donner un signal de précaution. Par contre, il faut prendre le temps de légiférer. Comme le sénateur précédent, il aimerait entendre un expert qui ferait le bilan de toutes les études réalisées et des initiatives prises au niveau international.
M. Vandenbroucke est d'avis que les informations recueillies permettent en effet d'adresser un signal à la population, mais que pour fonder une interdiction, il faut des débats approfondis sur base d'auditions d'experts.
M. Ide estime qu'il y a une gradation dans les mesures qui peuvent être prises avant d'aller jusqu'à l'interdiction totale. Il sera intéressant de demander aux experts quel type de mesure est le plus appropriée, selon eux, pour appréhender le risque.
Mme Franssen constate qu'il y a plusieurs demandes en vue d'organiser des auditions. La proposition d'introduire un label est intéressante mais la sénatrice est d'avis que celui-ci aura peu d'impact sur les consommateurs aussi longtemps que l'on ne connaît pas avec plus de certitude les conséquences du produit. De plus, il faut éviter que l'introduction de ce label ne creuse encore un fossé en matière de santé publique, au détriment de la population moins instruite qui ne comprendra pas ce qu'il en est. On peut l'imposer aux producteurs, mais la membre tient quand même à ce que la commission puisse être mieux éclairée sur la nocivité du produit, d'une part par l'audition d'experts, d'autre part en demandant l'avis du Conseil supérieur de la Santé.
Mme Tilmans est d'avis que le sujet est interpellant. L'Autorité européenne pour la sécurité des aliments s'est prononcée en 2006, en 2008 et en 2010 et les trois avis se voulaient rassurants. Pourtant, la France et le Danemark interdisent la fabrication et la commercialisation des biberons contenant du biphenol A. Le Danemark va même au-delà en visant tous les emballages contenant de l'alimentation destinée aux enfants de 0 à 3 ans. Le Canada, l'Australie et plusieurs États américains vont dans le même sens.
Considérant qu'il y a une certaine urgence pour les bébés, la membre se dit favorable à l'apposition rapide d'un label sur les biberons. Comme la plupart des autres membres, elle estime que la commission doit être mieux informée — en entendant des experts et en recueillant des avis-- avant d'exiger éventuellement l'interdiction totale du bisphénol A dans les emballages alimentaires.
Mme Thibaut se rallie aux autres propositions en insistant pour que l'on envoie un signal de précaution aux utilisateurs. Quant à l'Autorité européenne, l'impartialité de ses avis a déjà été remise en cause. Elle fait d'ailleurs l'objet d'un audit à la demande de M. Tarabella, député européen.
Mme Onkelinx, vice-première ministre et ministre de la Santé publique démissionnaire, remercie les membres de la commission d'avoir mis à l'agenda ce sujet qui fait débat depuis, déjà, de longs mois, y compris au niveau international. La ministre de la Santé publique partage les préoccupations des auteurs des propositions de loi. Elle vient d'ailleurs de demander en urgence un avis au Conseil supérieur de la Santé.
Il semblerait que l'industrie prépare également un phasing out de l'utilisation du bisphénol A.
Le Cabinet de la ministre s'est également penché sur la forme juridique la plus adéquate que devrait prendre la proposition de loi. Actuellement, le bisphénol A est déjà réglementé dans un arrêté royal relatif aux matériaux entrant en contact avec les denrées alimentaires, lequel transpose une directive européenne. Pour cette raison, notamment, la Belgique suit de près les évolutions européennes en la matière.
M. Mahoux souhaite faire le point sur l'évolution des travaux. Des auditions ont eu lieu, particulièrement éclairantes quant aux points de vue des uns et des autres sur le bisphénol A. Des études internationales ont également été publiées sur les perturbateurs endocriniens. La législation européenne a évolué. Après un avis positif de l'Autorité européenne de sécurité sanitaire, on a assisté à une sorte de volte-face de la Commission européenne qui décide d'interdire le bisphénol A dans les biberons.
Les études concordent sur la nocivité du bisphénol A, avec des mesures de toxicité qui ne tiennent plus seulement compte de la substance et de doses-seuils mais aussi du récepteur dont le stade de développement est ici extrêmement important.
D'aucuns ont peut-être lu les articles publiés dans le journal Le Monde, terriblement accusateurs envers le lobby européen particulièrement actif dans l'industrie chimique. Certaines substances sont sous les feux de l'actualité en raison de procès en cours. Il n'est pas inutile de faire un parallèle avec le bisphénol A pour en tirer des leçons.
Le membre rappelle que les experts entendus étaients unanimes. Le secteur de l'industrie, quant à lui, est venu mettre en garde contre la difficulté de trouver des produits de substitution, comme si l'argument était pertinent sur le plan de la santé publique.
On peut également faire référence aux mesures prises dans d'autres pays tels que Canada ou Suède, de même que dans certains États américains. Plus proche de nous, l'Assemblée nationale en France a adopté à une écrasante majorité une décision très claire relative à l'information du consommateur, d'une part, et à l'interdiction du bisphénol A dans les contenants alimentaires utilisés de manière générale pour les enfants d'autre part.
M. Brotchi a retenu des auditions que la période critique se situait entre 0 et 3 ans. C'est pourquoi il a l'intention de déposer un amendement visant à interdire le bisphénol A dans les biberons et récipients alimentaires pour les enfants de la naissance à 3 ans.
Pour les enfants de moins de trois ans, il est aisé de légiférer de manière à interdire tout contact avec le bisphénol A. Pour la femme enceinte, c'est moins évident. Dans ce cas, il faut mettre l'accent sur l'information. Cette compétence relève des communautés, c'est pourquoi le sénateur a interpellé le ministre de l'Enfance en Communauté française sur la nécessité d'une information à ce sujet, notamment par l'ONE.
Au sujet de la prise de position du Parlement en France, le membre fait remarquer que le Sénat ne s'est pas encore prononcé. On ne peut donc pas encore affirmer que la France a adopté une décision d'interdiction du bisphénol A.
Peut-être sur la base d'études ultérieures arrivera-t-on à la conclusion que le bisphénol A présente également des risques pour la population adulte. Mais actuellement, cette affirmation n'est scientifiquement fondée que pour les enfants de 0 à 3 ans et pour les femmes enceintes. C'est exactement ce qu'a démontré le professeur Bernard lors des auditions.
M. Ide trouve curieux qu'on se tourne autant vers la France, son législateur ou ses experts. La Belgique a ses propres experts, dont le professeur Tytgat qui a été entendu par la commission et a relativisé les risques. Il a précisé que le danger n'était pas établi avec certitude.
Indépendamment de cela, le membre reconnaît qu'il faut tenir compte du principe de prudence et il approuve l'initiative prise pour interdire le bisphénol A dans les biberons, en s'inscrivant dans une logique internationale.
Lorsque les biberons sont chauffés plusieurs fois, le risque de migration du bisphénol A disparaît. Dès lors, la présence de bisphénol A dans les petits pots pour bébé est plus problématique. C'est pourquoi le membre se rallie aux propos du sénateur Brotchi et à l'avis du Conseil supérieur de la Santé selon lesquels il faut plutôt se focaliser sur tous les contenants d'alimentation pour bébé plutôt que sur les biberons.
Par ailleurs, le membre pense qu'il faut s'inscrire dans la logique européenne. La protection de l'environnement et de la santé publique ne s'arrête pas aux frontières. Il est donc important de considérer ce qui se fait dans le reste de l'Union européenne. Cependant, comme l'a dit M. Mahoux, l'Union européenne est sous la pression de nombreux lobbys. Il faut donc être attentif, en toute indépendance, à ce qui est aujourd'hui scientifiquement fondé. Or, tout n'est pas encore évident.
Mme Thibaut demande si l'on dispose de l'avis du Conseil supérieur de la Santé que la ministre de la Santé publique avait évoqué en octobre 2010.
Mme Lijnen répète un élément qui l'a frappée lors des auditions, à savoir que même si la nocivité du bisphénol A est établie, la science ne peut garantir que les produits de substitution éventuels seraient moins dangereux. C'est un problème à prendre en considération car il existe actuellement trop peu d'études sur les produits de substitution.
L'information sur les biberons, tétines, etc. est claire. Un label « BPA free » est sytématiquement apposé. Mais la question est: par quoi l'a-t-on remplacé ?
Si l'on adopte les propositions à l'examen, l'interdiction entrera en vigueur dix jours après la publication de la loi au Moniteur belge. Ne faudrait-il pas, via un amendement, prévoir une phase transitoire, de manière à ce que le secteur puisse s'y préparer ?
M. Brotchi souligne que l'information doit être adressée aux jeunes mamans en particulier. Les Communautés ont en ce domaine un rôle important à jouer.
M. du Bus de Warnaffe s'interroge toujours sur la forme de la proposition de loi nº 5-338/1. En vertu de la loi du 24 janvier 1977, le Roi peut déjà adopter une série de mesures, dont « réglementer et interdire la fabrication, l'exportation et le commerce des objets et matières destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires ». Il suffit donc que le Roi adopte de telles mesures par arrêté sans qu'il soit nécessaire d'ajouter un point c) à l'article 3, 2º, de la loi.
Si l'on préfère agir par voir législative, il faudrait faire du point c) proposé une proposition de loi distincte ne visant plus la loi du 24 janvier 1977.
Mme Thibaut reconnaît que le texte de la proposition nº 5-338/1 constituerait une avancée pour la santé publique, dans la mesure où il délivrerait un signal à l'attention de l'industrie. Néanmoins, il ne faut pas faire l'autruche: le bisphénol A est présent dans les parois des canalisations qui transportent l'eau que nous — et nos enfants — buvons. C'est pourquoi elle insiste pour que l'on fasse pression pour intensifier la recherche afin de mettre au point des alternatives et aussi de mieux connaître les autres modes d'exposition au bisphénol.
Mme Temmerman demande à la ministre de la Santé publique de commenter le contenu de l'avis du Conseil supérieur de la Santé.
Dans le prolongement de l'intervention de M. du Bus de Warnaffe, la membre ne trouve guère utile d'effectuer un travail législatif pour les biberons, mise à part la transposition de la directive européenne qui peut se faire par arrêté royal. Par contre, la membre soutient la proposition de résolution mettant l'accent sur la recherche, d'une part, et approuve le signal donné au secteur de l'industrie en fixant une date pour s'attaquer aussi au problème de l'exposition au bisphénol A en dehors des récipients pour l'alimentation destinée aux enfants.
Mme Onkelinx, vice-première ministre et ministre des Affaires sociales et de la Santé publique démissionnaire, se réjouit d'avoir vu la commission aborder toutes les facettes de la problématique, aussi bien sanitaire que juridique et pratique.
Le Conseil supérieur de la Santé a rendu un avis en novembre 2010 sur la question des biberons et l'exposition des nourrissons au bisphénol A. Il recommandait, compte tenu des incertitudes existant en matière de toxicité du bisphénol A, de limiter l'exposition des jeunes enfants au bisphénol A à un niveau aussi bas que possible. En parallèle, le Conseil supérieur recommandait de stimuler la recherche, notamment en ce qui concerne les alternatives au bisphénol A, ainsi que sur la toxicité du bisphénol A.
Dans le cadre de la recherche contractuelle de la DG IV, la Belgique va lancer un appel à projets pour analyser l'alternative aux biberons sans bisphénol A. Le CSS recommande d'ailleurs de faire attention lorsqu'on remplace les bouteilles en polypropylène par d'autres substances, la meilleure alternative restant jusqu'ici les biberons en verre.
Le CSS recommandait aussi d'analyser les autres voies d'exposition au bisphénol A, notamment via les jouets et autres. Pour cette raison, le CSS rendra un avis complémentaire au début de l'année 2012.
La ministre signale en outre que la Commission européenne a l'intention de lancer un bio-monitoring de la population en collaboration avec certains États membres dont la Belgique, le but étant d'évaluer l'exposition de la population à une série de substances.
Le cadre réglementaire mis en place il y a quelques années tient généralement compte de la problématique des perturbateurs endocriniens (par exemple le règlement REACH, le règlement sur les produits cosmétiques ou encore le prochain règlement en matière de biocides).
Mme Lijnen s'interroge sur les termes utilisés dans les propositions de loi à l'examen. En français, le texte de la proposition de loi nº 5-338 vise les « récipients destinés aux denrées alimentaires » tandis qu'il est question, dans la version néerlandaise, de « verpakkingen ». Il lui semble que les termes ne signifient pas la même chose. En outre, dans la proposition de loi nº 5-821, les termes « récipients alimentaires » sont traduits par « recipiënten voor voedingsmiddelen ».
Qu'entend-on exactement par récipients ? Peut-être serait-ce utile d'en donner une définition.
IV. DISCUSSION DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er est adopté sans discussion à l'unanimité des 11 membres présents.
Article 2
M. Brotchi et Mme Tilmans déposent un amendement nº 1 (doc. Sénat, nº 5-338/2) visant à limiter l'interdiction du bisphénol A aux récipients destinés aux denrées alimentaires pour les enfants de 0 à 3 ans.
C'est la période critique, de même que la grossesse. Les experts ont été très clairs à ce sujet tandis qu'ils étaient moins catégoriques en ce qui concerne les risques chez l'adulte.
M. Ide soutient cet amendement. Il ne faut pas aller trop loin en raison de l'incertitude scientifique. De plus, il est préférable d'attendre une recommandation ou une directive claire de l'Union européenne. Il y a actuellement une opposition dans la littérature scientifique et médicale entre les francophones et les anglo-saxons.
M. Mahoux précise qu'il existe une définition du « contenant » au niveau européen. Il serait utile de compléter l'amendement afin de bien cerner le concept.
M. Brotchi précise bien que l'amendement propose d'interdire le bisphénol A dans les contenants de denrées alimentaires destinées aux enfants de 0 à 3 ans, et non seulement dans les biberons comme l'a fait la Commission européenne.
La précision de l'âge entre 0 et 3 ans relève d'un choix médical: on sait que le tube digestif de l'enfant se modifie et qu'il y a un changement vers l'âge de trois ans au niveau de la résorption du bisphénol.
Comme l'amendement vise à compléter l'article 2 de la proposition de loi pour ne viser que les récipients destinés aux denrées alimentaires pour les enfants de 0 à 3 ans, Mme Lijnen demande si cela signifie que pour les enfants au delà de l'âge de trois ans, le bisphénol A est à nouveau autorisé.
M. Mahoux admet qu'en principe, ce qui n'est pas interdit est autorisé. Néanmoins par rapport à une substance comme le bisphénol A, il est évident qu'il faut respecter un principe de prudence et rester particulièrement attentif à l'évolution des connaissances scientifiques. Ainsi, il faut éviter absolument les cuissons au bain-marie.
M. Ide répète que la décision de la Commission européenne est illogique: la directive interdit le bisphénol A dans les biberons alors qu'on sait qu'il suffit de les chauffer à quelques reprises pour supprimer le problème. Par contre, les petits pots pour bébé, qu'ils soient en plastique ou en verre avec un couvercle métallique, contiennent du bisphénol A qui est en contact avec la nourriture. C'est là ce qu'il aurait fallu réglementer en priorité. C'est pourquoi le membre soutient l'amendement de M. Brotchi et Mme Tilmans.
En ce qui concerne l'adoption de mesures supplémentaires, le sénateur rappelle que l'impact du bisphénol A, comme d'autres substances, n'est pas clair. Il faut davantage de recherches afin d'avoir plus de certitudes. Il convient également de s'inscrire dans une logique internationale.
Le membre suggère donc de travailler uniquement sur cet amendement et de fixer une date réaliste pour son entrée en vigueur.
L'amendement nº 1 est adopté par 9 voix et 3 abstentions.
L'article 2 ainsi amendé est adopté par le même vote.
Article 3 (nouveau)
M. Mahoux dépose un amendement nº 2 (doc. Sénat, nº 5-338/3) visant à ajouter un article 3 concernant l'étiquetage à destination des femmes enceintes.
M. Ide remarque que l'amélioration de l'information via l'étiquetage est positive mais il faut veiller à éviter l'excès d'informations et en arriver à ce que l'arbre cache la forêt. Il ne faudrait pas non plus rajouter de l'emballage, ce qui ne serait guère écologique.
Mme Lijnen demande si le but est que l'avertissement déconseillant l'usage du bisphénol soit d'application dans la période intermédiaire précédant l'entrée en vigueur de l'interdiction totale le 1er janvier 2014.
M. Mahoux répond que la mesure d'interdiction générale qu'il propose ne rencontre pas un grand soutien. Il se borne donc à une interdiction dans les contenants alimentaires destinés aux enfants de 0 à 3 ans et préconise une information par ailleurs.
M. Brotchi insiste sur la nécessité de relayer cette recommandation au niveau des communautés car la prévention relève de leurs compétences.
M. Ide et Mme Sleurs déposent un amendement nº 5, sous-amendement à l'amendement nº 2 (doc. Sénat, nº 5-338/3), visant à compléter l'article 3 proposé pour imposer l'information aussi sous la forme d'un pictogramme.
M. Ide précise que l'information et la prévention relèvent des communautés mais l'introduction d'un pictogramme constitue bien un compétence fédérale.
M. Brotchi et consorts déposent un amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 5-338/3) visant à insérer un article 3 (nouveau) prévoyant que la loi entre en vigueur le 1er janvier 2013.
M. Ide et Mme Sleurs déposent un amendement nº 6, sous-amendement à l'amendement nº 4 (doc. Sénat, nº 5-338/3), visant à remplacer dans l'article 3 proposé, l'année 2013 par l'année 2014.
Cet amendement tient compte du temps nécessaire pour que la loi puisse être votée au Parlement.
M. Brotchi n'est pas favorable à ce que l'on retarde encore d'un an une décision de santé publique aussi importante.
L'amendement nº 2 est retiré par son auteur. Celui-ci précise qu'il ne remet pas en cause la pertinence de son amendement mais que, s'agissant d'une problématique d'étiquetage, la disposition nécessiterait peut-être une réflexion plus approfondie au niveau de sa conformité à la législation européenne. Par conséquent, l'amendement nº 5, sous-amendement à l'amendement nº 2, devient sans objet.
L'amendement nº 6, sous-amendement à l'amendement nº 4, est rejeté par 9 voix contre 2 et 1 abstention.
L'amendement nº 4 est adopté par 10 voix et 2 abstentions.
L'article 3 (nouveau) est adopté par 10 voix et 2 abstentions.
Article 4 (nouveau)
M. Mahoux dépose un amendement nº 3 (doc. Sénat, nº 5-338/3) visant à insérer un article 4 (nouveau) fixant des dates d'entrée en vigueur distinctes pour l'interdiction dans les contenants destinés aux enfants de moins de 3 ans, pour l'interdiction dans les contenants alimentaires en général et pour l'obligation d'étiquetage.
M. Mahoux explique que son amendement nº 3 vise à fixer le 1er janvier 2013 comme date limite d'entrée en vigueur pour l'interdiction du bisphénol A dans les récipients contenant des denrées alimentaires destinées aux enfants en dessous de 3 ans. Les études ayant clairement montré la toxicité du BPA pour ceux-ci, il est nécessaire de légiférer rapidement à l'instar de la loi française.
Mme Lijnen constate que M. Mahoux insiste sur la nécessité de fixer une date précise pour l'entrée en vigueur de l'interdiction, qui pour les nourrissons, doit être très proche. Ne faudrait-il pas être plus concret pour introduire une phase transitoire ?
À la remarque de Mme Lijnen, M. Mahoux objecte que si l'on n'indique aucune date d'entrée en vigueur, rien ne se passe. Il est important de donner un signal fort à l'industrie. La loi pourrait d'ailleurs prévoir une obligation pour le Parlement de faire le point sur la situation dans un certain délai.
M. Brotchi partage cette dernière opinion. Il est important de fixer une date d'entrée en vigueur.
Cependant, le membre ne comprend pas l'alinéa 2 de l'article 4 proposé par l'amendement nº 3 de M. Mahoux. Il y est fait référence à l'article 2, a) et b) de la directive 2006/141/CE du 22 décembre 2006. Or, le a) définit les nourrissons et le b) définit les enfants en bas âge.
M. Mahoux souligne l'importance d'être précis afin que les fabricants de récipients destinés à recevoir des produits alimentaires sachent ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. C'est pourquoi il souhaiterait pouvoir faire référence à une définition européenne du récipient à contenu alimentaire.
M. Ide critique la justification de l'amendement nº 3 qui se borne à renvoyer à l'exemple de la loi française. C'est pour des raisons de bonne administration et de clarté qu'il faut fixer une date d'entrée en vigueur de la mesure.
M. Mahoux constate que l'interdiction générale du bisphénol A dans les contenants alimentaires ne rencontre pas un grand soutien. Il vaudrait mieux fixer une date à laquelle il faudra revoir la problématique des contenants alimentaires.
M. Brotchi répond qu'une loi n'est pas immuable. Il est toujours possible de mener des débats s'il y a un élément nouveau. Si dans un an ou deux, les recherches fournissent de nouvelles certitudes, d'où l'on déduit la nécessité d'interdire le bisphénol A de manière plus large, le membre se dit prêt à prendre aussitôt une initatiative en ce sens.
L'amendement nº 3 est retiré.
Mme Thibaut constate un recul par rapport au texte initial de la proposition de la loi puisque le texte amendé ne visera plus que les récipients destinés à l'alimentation des enfants de 0 à 3 ans. Néanmoins la membre soutient quand même la proposition de loi dans la mesure où elle envoie un signal clair à l'attention de l'industrie.
Il reste que la problématique doit être appréhendée de manière globale et en concertation. C'est pourquoi la membre renvoie à la proposition de résolution qu'elle a déposée avec Mme Vogels (doc. Sénat, nº 5-1144/1) et insiste pour que les deux textes soient examinés en parallèle.
V. VOTE FINAL
L'ensemble de la proposition de loi ainsi amendée est adoptée par 10 voix et 2 abstentions.
La proposition de loi relative à l'interdiction du bisphénol A dans les récipients alimentaires (Doc. Sénat, nº 5-821/1) devient sans objet.
M. Ide souligne que son groupe politique est favorable à cette proposition telle qu'amendée par les amendements nº 1 et nº 4, mais il déplore néanmoins que ses propres amendements soient devenus sans objet. Le texte doit encore être discuté à la Chambre et la date de 2013 fixée pour son entrée en vigueur semble très rapprochée. Le membre regrette qu'on n'ait pas pu débattre de cette entrée en vigueur.
Confiance a été faite au rapporteur pour la rédaction du présent rapport.
Les rapporteuses, | La présidente, |
Fabienne WINCKEL. Nele LIJNEN. | Elke SLEURS. |
ANNEXES
I. AUDITIONS DU 1er FÉVRIER 2011
Audition des personnes suivantes:
1) Mme Marie-Louise Scippo, professeur au Département de Sciences des Denrées alimentaires, ULG;
2) M. Nic Van Larebeke, professeur au Studiecentrum Carcinogenese en Primaire Preventie van Kanker, UZ Gent;
3) M. Jean Pierre Bourguignon, professeur à l'Unité de Neuroendocrinologie du développement, CHU Liège;
4) M. Adriaan Meirsman, directeur de l'information au Centre de Recherche et d'Information des Organisations de Consommateurs (CRIOC);
5) M. Leo Goeyens, professeur au Laboratory of Analytical and Environmental Chemistry, VUB.
A. Exposé de Mme Marie-Louise Scippo, Professeur, Faculté de Sciences vétérinaires, Département des Sciences des Denrées alimentaires, ULG
Mme Scippo dirige le laboratoire d'analyse des denrées alimentaires, lequel travaille plus particulièrement sur les contaminants chimiques dans les denrées alimentaires et les résidus de médicaments vétérinaires dans les denrées alimentaires d'origine animale. En ce qui concerne les contaminants chimiques, des méthodes in vitro ont été mises au point pour étudier les perturbateurs endocriniens.
Mme Scippo est en outre experte pour le Conseil supérieur de la Santé et a participé en cette qualité à l'élaboration de l'avis rendu récemment par le Conseil sur le bisphénol A.
L'exposé commencera par une présentation générale du bisphénol A, l'état des lieux concernant l'évaluation de l'exposition au bisphénol A par voie orale et l'évaluation du risque lié à l'ingestion du bisphénol A. Il passera en revue les données récentes concernant la toxicité du bisphénol A et les derniers avis des différentes institutions internationales. On verra que la gestion de ce risque n'est pas traitée de la même manière à partir des mêmes données toxicologiques. Seront ensuite abordées les autres voies d'exposition au bisphénol A, les alternatives possibles et enfin quelques conclusions.
Le bisphénol A est composé de deux phenols et d'une molécule d'acétone. Dans la réglementation européenne relative aux matériaux destinés à entrer en contact avec les denrées alimentaires, on trouve un synonyme, à savoir le terme 2,2-bis (4-hydroxyphenyl) propane. Quand on parle d'une molécule chimique, il est préférable d'utiliser le nº CAS, c'est-à-dire ici 80-05-7. C'est un numéro unique de référence.
Le bisphénol A entre dans la composition de polycarbonates et de résines epoxy. La molécule est alors le monomère à la base du polymère. Il peut également être utilisé comme additif, soit comme antioxydant dans le PVC, soit pour le « coating » de papier thermique.
Le polycarbonate et les résines époxy sont utilisés dans des matériaux destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires (biberons, fontaines d'eau, ustensiles de cuisine divers, revêtements internes des boîtes de conserves) mais il convient de remarquer que cela ne concerne que 3 % des polycarbonates et 10 % des résines époxy. D'autres objets nous mettent aussi en contact avec le bisphénol A, tels que jouets, CD-rom, lunettes de soleil, tickets de caisse des supermarchés ...
Quels sont les facteurs influençant la migration du BPA à partir de matériaux en contact avec les aliments ? Deux phénomènes coexistent. Le plus important est celui de la migration de monomères de bisphénol A résiduels, l'autre consistant en l'hydrolyse du polymère en monomères de BPA.
Une étude sur les biberons réalisée en 2009 (De Coensel et al.) montre que la migration du BPA est d'autant plus importante que l'on chauffe le biberon. Par contre, cette migration n'est pas influencée par le mode de chauffage (micro-ondes ou bain-marie). Les quantités relarguées sont néanmoins faibles: dans le cas d'un chauffage de 60 secondes à 65 degrés au micro-ondes, la migration est inférieure à 300 nanogrammes par kilo. Or, la limite de migration spécifique a été fixée à 600 000 nanogrammes par kilo.
Le BPA est qualifié de perturbateur endocrinien. On a constaté in vitro que la molécule était capable de se mêler aux récepteurs des hormones oestrogènes, mais avec une capacité 1000 à 5000 fois moindre que l'hormone naturelle. Le BPA est classé comme substance reprotoxique de catégorie 3, c'est-à-dire substance préoccupante pour la fertilité de l'espèce humaine.
In vivo, il n'y pas de perturbation endocrinienne évidente, en raison d'une métabolisation rapide: la molécule est transformée en une molécule inactive excrétée rapidement via l'urine. Il n'y a donc pas de bio-accumulation. Cependant, beaucoup de questions se posent encore et il n'est pas sûr que les effets aient été suffisamment étudiés.
Pour qualifier la toxicité du bisphénol A, on détermine une « dose journalière tolérable (DJT) », à partir d'études toxicologiques sur des animaux de laboratoire. C'est ainsi qu'une dose sans effet observé (NOAEL) a été établie chez le rat, elle est divisée par un facteur d'incertitude pour être appliquée à l'homme. Ces doses sont revues au fil des années en fonction des nouvelles connaissances.
En 1986, on considérait qu'un être humain pouvait ingérer 0,05 mg de BPA par kg de poids corporel par jour. La NOAEL était de 25 mg/kg/jour, auquel on appliquait un facteur d'incertitude 500 vu le peu de données en la matière à l'époque. Cette DJT est encore d'application en Europe aujourd'hui, elle a été confirmée récemment par l'EFSA dans son avis de 2010.
Une directive 2002/72/CE et ses amendements indique depuis 2004 une limite de migration spécifique du BPA à ne pas dépasser dans les denrées alimentaires. Cette limite est fixée à 0,6 mg/kg d'aliment. À partir du 1er mai 2011, cette directive sera remplacée par le règlement 10/2011 mais la limite reste inchangée.
Différents rapports fournissent des données permettant d'évaluer l'exposition par voie orale: ainsi, des bébés de 0 à 6 mois nourris au lait maternel ingéreraient de 0,1 à 1 microgramme/kg de poids corporel/jour, soit beaucoup moins que des bébés nourris au lait maternisé qui ingéreraient de 1 à 11 microgrammes/kg de poids corporel/jour. Les adultes sont les moins exposés (0,008 à 1,5 microgramme/kg de poids corporel/jour). Rappelons toutefois que la DJT s'élève à 50 microgrammes/kg de poids corporel/jour. Seuls les travailleurs exposés au BPA risquent d'ingérer des quantités plus importantes (de 0,043 à 100 microgrammes/kg de poids corporel/jour).
Les données disponibles à l'heure actuelle indiquent donc une exposition inférieure à la DJT, sauf pour des travailleurs exposés. Mais la marge entre la quantité ingérée et la DJT est plus faible pour les enfants que pour les adultes.
En 2010, de nouvelles données sont apparues dans la littérature. Le BPA a été réévalué sur base d'études récentes de l'OMS, l'EFSA, le Bfr (Bundesinstitut fûr Risikobewertung, Allemagne) et l'ANSES (Agence nationale de Sécurité sanitaire de l'Alimentation, de l'Environnement et du Travail, France). Une étude de Stump et collaborateurs réalisée en 2009 indiquait une neurotoxicité développementale possible (effet négatif sur la capacité d'apprentissage). Cette étude a été invalidée par l'EFSA en 2010 sur la base d'une expertise statistique très poussée. Cette étude a également été invalidée par le Bfr.
Des études épidémiologiques récentes ont montré un lien entre l'exposition au BPA et des effets néfastes au niveau du système cardiovasculaire et de l'appareil reproducteur. Sur les rats, des effets possibles ont été mis en évidence à faibles doses sur le développement et la reproduction, ainsi que des effets sur le système immunitaire. Toutes ces études ont été invalidées par l'EFSA dans son avis de 2010 en raison de faiblesses dans les études (utilisation de protocoles non conformes aux standards internationaux).
L'EFSA a enfin invalidé une autre étude portant sur des rats exposés in utero ou pendant la lactation, laquelle montrait une augmentation de la susceptibilité de développer un cancer de la glande mammaire après une exposition à une substance cancérigène. L'EFSA a néanmoins recommandé d'étudier plus avant ces aspects.
L'ANSES en France a remis en question la DJT comme valeur toxicologique de référence. Pour des molécules ayant un effet de perturbateur endocrinien, il conviendrait d'utiliser la « Margin of exposure » (MOE), c'est-à-dire le rapport entre la plus petite dose ayant un effet chez l'animal ou l'homme et la dose ingérée via l'alimentation. Ce rapport doit être le plus élevé possible (au moins 1 000).
À partir des mêmes données de la littérature, la caractérisation et la gestion des risques diffère selon les institutions et les pays.
En novembre 2010, l'OMS a publié un rapport indiquant l'existence de lacunes dans les études toxicologiques. Toutefois, on a pu lire dans la presse que l'OMS estimait « prématuré de prendre des mesures publiques » alors que cette information ne se retrouve pas sur son site Internet.
Dans son dernier avis d'octobre 2010, l'EFSA a estimé qu'il n'y avait pas lieu de revoir la DJT. Pourtant, la Commission européenne a quand même décidé d'interdire le BPA dans les biberons à partir du printemps 2011.
Au Canada, le site de Santé Canada indique qu'il n'y a pas de risque pour la santé publique sur base des connaissances actuelles mais le BPA est interdit dans les biberons depuis 2008 sur la base du principe d'exposition ALARA (As Low As Reasonably Achievable).
Les autres voies d'exposition au BPA, tels que jouets et autres objets en polycarbonate ou en PVC, représentent une source non négligeable d'exposition. Une étude réalisée en 2010 (Geens et collaborateurs) a montré que les taux urinaires de BPA chez l'homme ne sont pas entièrement expliqués par les données d'exposition via les matériaux en contact avec les aliments, ce qui indique que d'autres sources contribuent de manière non négligeable à l'exposition humaine.
Une étude récente (Zalko et al., 2010) démontre, par exemple, la pénétration du BPA par la peau.
Les bouteilles en polycarbonate peuvent être remplacées par des bouteilles en polypropylène ou en polyéther sulfone. Les biberons réalisés dans ces matières sont présentés comme sans BPA mais, dans son avis récent, le BfR fait remarquer que le polypropylène peut relarguer plus de substances dans l'alimentation que le polycarbonate et que la toxicité du polyéther sulfone a été moins étudiée que celle du BPA. La meilleure alternative reste donc les biberons en verre.
En guise de conclusions, Mme Scippo livre quelques considérations. Ainsi, le Conseil supérieur de la Santé recommande, dans un avis récent, de diminuer le plus possible l'exposition des jeunes enfants au BPA, en raison d'incertitudes quant à certains effets, notamment à faibles doses.
Interdire le BPA dans les matériaux en contact avec les denrées alimentaires pose le problème des matériaux qui vont remplacer le BPA. Ont-ils été étudiés de manière aussi approfondie que le BPA ? Sont-ils inoffensifs ?
Il est en tout cas nécessaire de poursuivre les efforts de recherche de manière à lever les incertitudes quant à certains effets toxiques du BPA, et éventuellement revoir la stratégie de caractérisation du risque (remplacer la DJT par la MOE). Il faudrait étudier les autres voies d'exposition au BPA, mesurer la toxicité du BPA suite à une exposition par voie dermique; réévaluer le risque lié à l'exposition au BPA en tenant compte de toutes les voies d'exposition; étudier les matériaux alternatifs au BPA en ce qui concerne les matériaux en contact avec les denrées alimentaires.
B. Exposé de M. Nic Van Larebeke, professeur, Studiecentrum Carcinogenese en Primaire Preventie van Kanker, UZ Gent
Pour le professeur Nic Van Larebeke, du Studiecentrum Carcinogenese en Primaire Preventie van Kanker, UZ Gent, la question à se poser est celle de savoir comment de très faibles doses d'un perturbateur hormonal, qui sont pratiquement inexistantes par rapport aux concentrations d'autres substances toxiques, peuvent quand même avoir un effet. Il fait référence à une expérience menée sur l'utérus d'une souris, qui a montré que l'estradiol, hormone sexuelle naturelle, renforce l'expression d'une série de gènes tandis qu'il affaiblit l'expression de plusieurs autres gènes. Des substances telles que le diéthylstilbestrol (DES), qui étaient même utilisées autrefois pour empêcher une interruption prématurée de la grossesse, ont un effet analogue sur un certain nombre de gènes, alors qu'elles ont un effet inducteur sur une série de gènes qui ne sont pas influencés par l'estradiol. C'est également le cas du nonyphénol, un dérivé des détergents. Le bisphénol A influence lui aussi certains gènes qui ne sont pas influencés par l'hormone naturelle.
Tout cela est possible parce que, lorsqu'un récepteur d'oestrogènes est lié par une hormone naturelle, il subit une transformation. Ce récepteur d'oestrogènes modifié va interagir avec plusieurs séquences de l'ADN. Tel est également le cas lorsque le récepteur d'oestrogènes est lié par une xéno-hormone étrangère à l'organisme, comme le bisphénol A, mais dans ce cas, la transformation n'est pas identique à celle qui se produit après la liaison par une hormone naturelle. Le récepteur se liera en partie aux mêmes séquences que le récepteur avec l'hormone naturelle, mais une autre partie va aussi se lier à des séquences auxquelles le récepteur naturel ne se lie pas. Voilà la raison fondamentale pour laquelle les xéno-hormones peuvent avoir des effets qui imitent en partie les effets d'une hormone naturelle et qui en sont en partie différents.
L'intervenant attire l'attention sur le fait que, lorsqu'une hormone se lie à un récepteur, la relation dose-effet est supralinéaire, ce qui signifie que l'effet par unité de dose est le plus fort lorsque les doses sont faibles, tout comme c'est le cas de l'effet d'une enzyme sur un substrat. C'est d'ailleurs ce qui se passe, entre autres, avec le bisphénol A.
Concernant le bisphénol A, on peut encore observer d'autres phénomènes particuliers. La dihydrotestostérone produit un très grand effet sur la vitesse de division des cellules cancéreuses humaines de la prostate. Des expériences ont toutefois établi que des concentrations relativement faibles de bisphénol A, à peine supérieures aux concentrations de dihydrotestostérone, accroissent aussi légèrement la fréquence de division des cellules cancéreuses humaines de la prostate, mais que cet effet est pratiquement annihilé, de façon assez étrange, en présence d'une concentration plus élevée de bisphénol A. Il s'agit de ce qu'on appelle un « effet non monotone »; d'aucuns parlent même plutôt d'un effet inverse.
Les données d'un biomonitoring sur des adolescents illustrent le rapport entre les concentrations de testostérone et d'estradiol, d'une part, et les concentrations de cadmium dans les urines et de PCB dans le sang, d'autre part. On remarque que le cadmium urinaire présente une association négative avec la concentration de testostérone mesurée dans le sang d'adolescents de sexe masculin. En d'autres termes, plus le corps d'un adolescent renferme de cadmium, plus la probabilité d'une teneur plus faible en testostérone est élevée. Il est curieux de constater que cette association est la plus marquée dans le cas de concentrations en cadmium inférieures à la concentration médiane au sein de la population adolescente flamande. L'effet augmente donc fortement au début et s'estompe progressivement en présence de concentrations plus élevées. On constate un effet identique — mais en sens inverse — s'agissant des taux de PCB mesurés dans le sang des adolescents. Ces PCB sont associés à un accroissement de la concentration de testostérone: un adolescent dont le taux de PCB est plus élevé a généralement aussi davantage de testostérone. En l'occurrence également, l'effet est plus prononcé en présence de concentrations inférieures à la médiane.
Le professeur Van Larebeke indique ensuite que la sensibilité à des agents mutagènes tels que des perturbateurs endocriniens est beaucoup plus élevée au cours des périodes in utero et postnatale. Cela est dû au fait que le développement d'un être vivant repose sur des contacts de cellule à cellule et sur des gradients de molécules de signal. Ces cellules d'embryons « savent » ainsi qu'elles doivent s'assembler pour former un foie ou un cerveau. Tout cela est facilement perturbable, notamment par des substances se liant aux récepteurs et par des substances qui vont se comporter comme une hormone. Des expériences menées sur des souris illustrent la sensibilité du développement in utero. On peut ainsi détecter chez des souris adultes une différence entre des embryons mâles qui se trouvaient parmi des embryons femelles et des embryons mâles qui se sont développés parmi d'autres embryons mâles, alors que ces deux types d'embryons mâles se trouvent dans le même utérus de la même souris.
La structure chimique du bisphénol A ressemble légèrement à l'estradiol naturel. Les « Centers for Disease Control Studies » aux États-Unis ont montré que la présence de bisphénol A peut être détectée dans les urines de 95 % de la population. Le biomonitoring réalisé sur des adolescents flamands a mis en évidence une concentration médiane de 2,21 microgrammes de bisphénol A par litre d'urine. Des études établissent que les chiffres flamands sont assez proches des chiffres américains.
Des études prouvent que de très faibles concentrations de bisphénol A — à savoir des concentrations de 0,025 microgrammes par jour et par kilo, ce qui est inférieur à la concentration normalement présente chez un adulte, — entraînent une augmentation du nombre de ramifications dans la glande mammaire et dans les bourgeons terminaux, ce qui a pour effet d'accroître le risque de cancer de la glande mammaire. Les influences externes sont très importantes dans le cas du cancer du sein. Même chez les personnes porteuses d'un des gènes BRCA — qui sont donc sensiblement plus susceptibles que d'autres de développer un cancer du sein — le risque de cancer du sein s'est accru au cours du XXe siècle. Cette augmentation est parfois très spectaculaire, comme c'est le cas en Islande par exemple. Les facteurs externes sont donc très importants dans le développement de toutes sortes de formes de cancer, même dans les cas de prédisposition génétique manifeste.
Le cancer de la prostate est un autre type de cancer qui, au même titre que le cancer du sein, est de plus en plus fréquent dans la population. L'évolution du développement de la prostate révèle qu'une exposition aux oestrogènes, même in utero, entraîne une augmentation du nombre de cellules présentant des défauts de différenciation. Ces cellules mal différenciées augmentent le risque de développer un cancer de la prostate. Par conséquent, une exposition précoce aux oestrogènes a déjà en soi un impact sur la différenciation cellulaire mais, curieusement, un processus s'enclenche et ces cellules deviennent sensibles à une exposition supplémentaire à l'âge adulte. L'exposition au bisphénol A, par exemple, a des conséquences majeures sur l'incidence d'un cancer précoce de la prostate.
On peut dès lors conclure, sur la base de données expérimentales, qu'une exposition à une faible dose d'estradiol ou de bisphénol A accroît le risque de cancer de la prostate plus tardif et qu'une exposition précoce au bisphénol A entraîne une sensibilité accrue aux perturbations endocriniennes à l'âge adulte. Des expositions précoces, à un jeune âge voire in utero, ont donc des effets sur la méthylation des gènes, qui a pour effet de retarder la sensibilité à la perturbation à l'âge adulte.
Concernant le bisphénol A, un phénomène très curieux s'est produit. On constate en effet une très grande différence entre les recherches qui ont été effectuées en concertation avec l'industrie chimique ou à la demande de celle-ci, et les recherches qui ont été subsidiées par les pouvoirs publics. Les études réalisées à la demande de l'industrie chimique ont révélé qu'aucun effet de l'exposition à de faibles doses de bisphénol A ne pouvait être démontré, alors que 90 % des études subsidiées par les pouvoirs publics ont démontré le contraire. Des effets ont notamment été décelés sur le fonctionnement de la structure du cerveau des cobayes, sur les dimensions de la prostate et sur le risque de cancer, sur la production de sperme, sur les taux d'hormonémie, sur la structure des glandes mammaires, sur le poids, sur les troubles du système immunitaire et sur la puberté des cobayes femelles.
En conclusion, le professeur Van Larebeke cite un « public policy statement » de l'« American Health Association » (2009):
« A large and growing body of environmental health literature shows that endocrine disrupting substances have complicated dose-response curves that do not fit the central tenet of regulatory toxicology, namely, that the « dose makes the poison. » Like the hormones whose actions they disrupt, endocrine disrupting chemicals can follow what endocrinologists call bi-phasic, or non-monotonic, dose response curves. This makes it impossible to predict the effects of low-dose exposures based upon high-dose experiments. The effects can be not only different, but opposite. While well established in medical endocrinology, such responses have been less well understood in traditional toxicology. »
« Green chemistry research aimed at identifying and developing functional alternatives that do not have endocrine disrupting activity. »
Assez curieusement, cette association attire elle-même l'attention sur les effets de l'exposition à de faibles doses de bisphénol A et invoque la « chimie verte ». Telle est également la conviction du professeur Van Larebeke lui-même. Il faut ouvrir la voie au développement de substances moins nocives pour la santé.
L'« Endocrine Society » a elle aussi publié, en 2009, le « Scientific Statement » suivant: « As endocrinologists, we suggest that The Endocrine Society actively engages in lobbying for regulation seeking to decrease human exposure to the many endocrine-disrupting agents. »
C. Exposé de M. Jean-Pierre Bourguignon, Professeur, Unité de Neuroendocrinologie du Développement, CHU, Liège
M. Bourguignon annonce qu'il va balayer de manière plus large le problème de la perturbation endocrinienne, de ses enjeux et ses priorités.
M. Bourguignon est pédiatre-endocrinologue. Outre ses consultations, il effectue des recherches dans un centre de neurosciences. Dans le cadre clinique, ses collègues et lui-même ont rencontré 150 enfants à puberté précoce. Plus d'un quart de ces patients étaient des enfants migrants. On s'est aperçu que les taux de DDT chez ces enfants étaient d'autant plus élevés qu'ils avaient émigré en Belgique à un âge avancé et que ces taux baissaient au fur et à mesure de la durée de leur séjour en Belgique.
Des recherches ont été menées sur un modèle animal pour confirmer les effets du DDT sur la région du cerveau où se déclenche la maturité sexuelle.
Les différents perturbateurs endocriniens relèvent de l'usage domestique — parmi lesquels le BPA —, l'agriculture, l'industrie. Les phtalates sont très préoccupants car ils sont aussi des dérivés liés au plastique, doués surtout d'une action anti-androgénique, avec des données qui montrent l'altération possible de la différenciation sexuelle du bébé, la diminution de la qualité du sperme et enfin la possibilité de cancer testiculaire.
Dans les dérivés de l'agriculture, on retrouve le DDT mais aussi une série d'autres pesticides. Enfin, figurent parmi les dérivés d'origine industrielle, les PCB et les dioxines.
Le BPA n'est donc qu'une substance parmi de nombreuses autres. Celles qui ont été citées comme exemples sont en général les plus connues parce qu'elles font l'objet de beaucoup de recherches.
Ces substances ont des effets sur le cerveau, elles causent notamment des troubles sur la neurogenèse. Elles altèrent la différenciation sexuelle. Elles sont encore à l'origine d'altérations du système reproducteur. Enfin, récemment, on a constaté une influence possible sur le tissu adipeux et la balance énergétique. L'épidémie d'obésité dans nos sociétés occidentales pourrait peut-être trouver là une explication.
Le BPA aurait des effets très larges car on le retrouve dans toutes les catégories: effets sur le système nerveux central, sur l'appareil reproducteur et sur la balance énergétique. Beaucoup d'études montrent également des effets liés au BPA sur les hormones thyroïdiennes.
Pourquoi le contrôle de la perturbation endocrinienne est-il complexe ?
Cela s'explique d'abord par un effet de mixtures à faibles doses. Dans les conditions de vie les plus habituelles, on n'est pas confronté à l'action d'une seule substance mais bien d'une série de substances à faibles doses. Or, des études récentes indiquent que des substances qui, à des taux pris individuellement ne génèrent pas d'effet, en produisent une fois qu'elles sont associées. Il faut donc prendre en compte les interactions entre composés.
Le deuxième problème concerne la rémanence du produit dans l'organisme et dans l'environnement.Cela ne vaut pas tant pour le BPA car la durée de vie de cette substance est plus courte que pour d'autres perturbateurs, tels que PCB ou DDT.
Troisièmement, la latence peut être longue entre l'exposition et les effets. Le mécanisme peut s'installer chez le foetus exposé mais ne s'exprimer que beaucoup plus tard dans la vie.
Une autre difficulté pour le BPA tient au fait que tout le monde y est exposé. Il est virtuellement très difficile de trouver des sujets « contrôle » pour réaliser des études épidémiologiques.
Le sexe et l'âge vont déterminer une sensibilité différente. Si les phtalates perturbent la masculinisation, ils n'influencent pas la différenciation sexuelle chez les filles. De même, la réceptivité aux hormones peut être affectée par des caractéristiques individuelles — les polymorphismes géniques —, qui font que certaines populations pourraient y être plus sensibles.
Les relations doses-réponses sont non conventionnelles. On ne peut pas se dire que plus on diminue la dose, plus on augmente la protection. Pour certains composés, des doses faibles sont paradoxalement plus actives que des doses élevées.
Enfin, le nombre de mécanismes et de récepteurs impliqués est vraiment très large. Le BPA a la capacité d'interagir avec différents types de récepteurs. Il aura un effet parfois oestrogénique et parfois anti-oestrogénique.
En tant que pédiatre, le professeur Bourguignon insiste pour que la priorité soit donnée à la protection du ftus et du nourrisson. Il fait référence au déterminisme foetal et néonatal de la santé future. Il est probable que certaines maladies qui apparaissent à l'âge adulte sont le résultat d'une programmation durant notre vie précoce, notamment intra-utérine. Le professeur Van Larebeke en a donné une explication cellulaire. D'un point de vue conceptuel, le foetus a une grande plasticité, il doit pouvoir s'adapter à des conditions de vie très différentes mais cette plasticité est aussi un facteur de vulnérabilité. C'est une période pendant laquelle des interventions extérieures, par des mécanismes peut-être épigénétiques, vont entraîner, après une latence variable, des manifestations diverses pendant toute la vie.
Ce concept a été amené par un épidémiologiste anglais, qui a constaté que les décès d'accidents coronariens étaient d'autant plus importants que le poids de naissance était faible. Ce n'est pas le retard de croissance intra-utérin lui-même qui est le « primum movens », il est l'expression d'événements survenus pendant la grossesse qui prédisposent ultérieurement au diabète, aux maladies qui favorisent l'arthérosclérose et donc les accidents coronariens.
Un autre exemple peut être trouvé avec le DES. Une maman prend du diethylstilbestrol. Vingt à trente ans plus tard, sa fille développera un cancer vaginal tout à fait inhabituel qui aura été induit spécifiquement pendant cette période d'exposition intra-utérine.
Le professeur Bourguignon termine en plaidant pour qu'à côté du principe d'éviction d'une substance comme le BPA, on pose un principe de précaution. Il faut donner des conseils aux femmes enceintes et aux jeunes mères, les inciter à se questionner sur toute une série d'aspects: à coté du BPA dans les biberons et les contenants alimentaires, il faudrait éviter les cosmétiques qui contiennent du parabène, éviter d'acheter pendant la grossesse des meubles ou du tapis-plain contenant des polybromés, limiter l'utilisation d'insecticides, de fongicides, de peintures contenant des solvants. Ce sont évidemment des recommandations et le scientifique ne se prononce pas sur leur faisabilité.
Pour terminer, le professeur Bourguignon mentionne une étude récente réalisée chez des primates, avec la dose-limite de 50 microgrammes/kg/jour.
On sait que les oetrogènes favorisent la genèse de synapses qui sont les connexions entre les neurones. Chez des guenons castrées, auxquelles on a administré un traitement par oestrogènes, les synapses se sont reformées. Par contre, chez des guenons traitées pendant quatre semaines avec le BPA, la réponse synapsienne n'apparaît plus.
Ce n'est là qu'un exemple parmi d'autres dans la littérature mais M. Bourguigon est convaincu que la perturbation endocrinienne liée au BPA est bien réelle.
D. Exposé de M. Adriaan Meirsman, directeur de l'information au Centre de Recherche et d'Information des Organisations de Consommateurs (CRIOC)
Depuis un certain temps, le CRIOC tente d'attirer l'attention du public sur les dangers liés à l'utilisation de plastiques contenant du bisphénol A ou des phtalates.
Ces additifs technologiques sont utilisés dans les plastiques pour en modifier certaines propriétés comme les rendre plus souples et moins cassants et, dans les plastiques transparents, pour en augmenter l'aspect cristallin. Ils entrent également dans la composition de plastiques pouvant être chauffés à de plus fortes températures que d'autres.
Depuis plusieurs années, différentes études indiquent que l'utilisation de ces substances devrait être évitée. Ainsi, selon le Journal of the American Medical Association, le bisphénol A pourrait engendrer des problèmes de santé chez l'homme tels que la perturbation de l'activité hormonale et la diminution de la fertilité. Les chercheurs de l'Université Paris 7 ont récemment démontré des effets similaires sur la santé, dus aux phtalates.
Le bisphénol A (BPA) est un produit chimique industriel utilisé dans la fabrication d'un plastique dur transparent, soit le polycarbonate, que l'on trouve dans de nombreux produits de consommation, dont les bouteilles d'eau réutilisables et les biberons. On retrouve également du bisphénol A dans les résines époxy, utilisées comme couche protectrice dans les boîtes de conserve métalliques pour aliments et boissons.
Ces substances qui sont piégées dans la matrice plastique et qui ne migrent normalement pas dans des conditions normales d'utilisation sont adaptées pour l'eau froide de consommation. Cependant, le plastique utilisé peut libérer ces substances et se retrouver dans les aliments si:
— le liquide ou le récipient est chauffé (surtout au micro-ondes qui peut provoquer des surchauffes locales provoquant la dépolymérisation partielle ou la dilatation des mailles polymériques);
— le liquide n'est pas de l'eau et contient des substances qui altèrent (notamment par dissolution) la structure du plastique (huile, graisse, lait, alcool, détergents, émulsifiants, vinaigre, fromage fermenté, bicarbonate ...).
Par conséquent on a ajouté du bisphénol A ou des phtalates aux plastiques pour qu'ils restent d'un aspect et d'une utilisation agréable et puissent éventuellement être chauffés. Or, en les chauffant, on libère une partie de ces poisons dans l'alimentation, en particulier lorsque le produit chauffé se trouve être un produit qui altère la structure du plastique.
Comme le bisphénol A peut pénétrer dans l'environnement dans des quantités de nature à constituer un danger pour la santé humaine et pour l'environnement, le CRIOC partage l'avis de l'auteur du texte et estime qu'il convient d'interdire cette substance.
En conclusion, le CRIOC soutient cette proposition de loi qui lui semble aussi bien nécessaire qu'opportune, mais regrette qu'elle ne concerne pas également les phtalates.
E. Exposé du professeur Leo Goeyens, Laboratory of Analytical and Environmental Chemistry, VUB
M. Goeyens souhaiterait ajouter quelques remarques à ce qui a été dit par les intervenants précédents. Le bisphénol A est un « produit chimique à large volume », ce qui veut dire qu'il est fabriqué en très grande quantité par l'industrie chimique et que ses applications sont multiples. En effet, hormis les applications bien connues que sont le polycarbonate et la résine époxy présente dans le revêtement intérieur des boîtes de conserve, il y a aussi de nombreuses autres applications qui sont produites en quantité moindre mais qui n'en sont pas moins importantes. En outre, des études menées récemment en Amérique du Nord, en Europe, en Belgique, au Japon et dans d'autres pays encore révèlent que des résidus de bisphénol A sont présents dans les urines de plus de 95 % de la population, ce qui veut dire, en d'autres termes, que plus de 95 % de la population est exposée au bisphénol A.
Il ressort de tous les exposés qui précèdent que l'exposition au bisphénol A est devenue un sujet de préoccupation. M. Goeyens indique qu'il existe d'ailleurs deux méthodes distinctes pour calculer le taux d'exposition au bisphénol. La première méthode consiste à faire une analyse des résidus de bisphénol A présents dans l'urine. On peut alors, sur la base de la valeur résiduelle décelée dans l'urine, calculer la valeur présente dans l'organisme. La seconde méthode consiste à passer au crible l'alimentation de la personne. Toutefois, les deux méthodes n'aboutissent pas aux mêmes résultats puisque la première indique des valeurs d'exposition plus élevées que la seconde. La conclusion de M. Goeyens est que tout le monde est exposé au bisphénol et que l'alimentation est loin d'être la seule source d'exposition à cette substance. Il partage l'avis de Mme Scippo, selon lequel il faut absolument réaliser des études sur les autres sources d'exposition. Ce serait une erreur de se limiter à l'alimentation. Des études montrent que le bisphénol A est présent dans la poussière du tapis plain ou dans les corbeilles à papier des bureaux, ce qui est dû au fait que tout le monde utilise du matériel informatique. Ce sont des éléments auxquels il convient aussi d'être attentif car ils constituent vraisemblablement des sources d'exposition non négligeables.
F. Discussion
Mme Tilmans s'interroge sur le danger éventuel que pourrait représenter pour les caissières la manipulation des tickets de caisse, en particulier lorsqu'elles sont enceintes.
Mme Scippo déclare qu'on manque d'études de toxicité pour l'exposition par voie dermique. La toxicité liée à l'exposition par voie dermique est établie mais il reste encore à en déterminer le niveau. Dans l'attente de nouvelles données, plusieurs chaînes de supermarchés ont déjà abandonné l'utilisation de papier thermique pour l'impression de leurs tickets de caisse.
M. Mahoux se réjouit de l'angle très large sous lequel les orateurs ont présenté le bisphénol A, à la fois clinique, expérimental, biochimique. Plusieurs voies s'offrent au législateur en fonction de l'importance de la menace, à savoir une interdiction de la substance dans certaines utilisations, une interdiction pure et simple ou encore de simples recommandations aux utilisateurs.
Pour le sénateur, l'un des enseignements importants des différents exposés concerne le fait que l'organisme aurait une mémoire. Des expositions fugaces, rapidement métabolisées, auraient des répercussions longtemps après, pendant tout le développement de l'enfant et jusqu'à un âge avancé. Elles développeraient même un terrain propice à l'apparition de cancers.
Le moment de l'exposition serait en outre important pour la détermination des conséquences.
Il est frappant de constater que les résultats des études américaines diffèrent selon qu'elles sont financées par le gouvernement ou par l'industrie pharmaceutique. Parallèlement en Europe, des avis d'instances officielles concluent à l'absence de toxicité prouvée mais la Commission décide néanmoins d'interdire l'utilisation du BPA dans les biberons.
Si 95 % de la population est en contact avec la substance, les conséquences devraient être les mêmes pour tout le monde. Mais d'autres éléments entrent en compte, tels que le moment de l'imprégnation, le rapport au poids corporel, le caractère spécifique de l'effet qui n'est pas lié à la dose-seuil.
Le membre remarque aussi l'absence d'influence du mode de chauffage utilisé alors que certains représentants de l'industrie opposaient le fait que seul le chauffage au micro-ondes pouvait être incriminé.
Mme Thibaut estime que le législateur n'a plus le choix car des recommandations seraient trop complexes et n'atteindraient qu'un public suffisamment éduqué. Il est important que les mesures adoptées touchent l'ensemble du public.
La membre s'interroge sur l'utilité technique du BPA dans d'autres objets que les contenants alimentaires: qu'apporte-t-il au papier thermique, par exemple ?
On s'aperçoit que la proposition de loi à l'examen ne va pas assez loin. On ne peut se limiter aux contenants alimentaires.
Si l'on manque d'études sur le niveau de toxicité de l'exposition par voie dermique, dispose-t-on quand même déjà de certaines données justifiant d'élargir le texte ? Ne faudrait-il pas aussi étendre la proposition de loi aux phtalates, très présents dans le matériel médical par exemple ? Le règlement européen est-il plus strict à ce sujet ?
A-t-on comparé l'exposition au BPA de bébés nourris avec des biberons en verre par rapport à ceux nourris avec des biberons contenant du BPA ? Qu''entend-on par « travailleurs exposés au BPA » ?
Mme Lijnen trouve très préoccupant que les alternatives au bisphénol A n'aient pas encore été étudiées au niveau de leur toxicité et qu'on ne puisse donc même pas les recommander.
La proposition de loi à l'examen va plus loin que la législation européenne en interdisant le BPA dans tous les contenants alimentaires. Qu'en pense-t-on au niveau européen ?
Enfin, la membre propose d'entendre le point de vue de la Fédération de l'Industrie alimentaire.
À la première question de Mme Thibaut, Mme Scippo répond que l'étude réalisée sur des bébés nourris au lait maternel et au lait maternisé n'a pas fait de distinction, pour ces derniers, selon le type de biberon utilisé. Il convient de préciser que le problème ne vient pas uniquement du biberon mais aussi du revêtement intérieur des boîtes de conserve qui contiennent le lait en poudre. La question a été étudiée par le ministère de la Santé au Canada qui a mis en évidence la migration du BPA vers le lait en poudre.
Par travailleurs exposés, on vise essentiellement les employés de l'industrie du plastique qui travaillent dans la fabrication des polycarbonates.
M. Van Larebeke souligne d'abord qu'il ne faut pas faire une fixation sur le bisphénol A. Beaucoup d'autres substances ont des effets perturbateurs, notamment des substances de classe de risques plus élevée, comme les substances mutagènes. C'est pourquoi il faut se garder d'adopter des mesures à l'aveuglette.
Il est évident qu'un grand nombre des maladies contemporaines (cancer, diabète, obésité ...) ont un lien avec les polluants. L'objectif est d'arriver à réduire notre exposition globale aux polluants. Il ne faudrait pas limiter brutalement notre exposition au BPA pour la remplacer par une exposition aux phtalates, par exemple.
S'il est vrai que le BPA entre dans la composition de nombreux objets, le professeur Van Larebeke se demande néanmoins si l'on ne se trompe pas en considérant que ces produits constituent une source importante d'exposition. Pour lui, il est probable que l'alimentation consitue la majeure source d'exposition à la substance et qu'il faudrait réduire drastiquement l'utilisation de BPA en contact avec la nourriture. Il recommande d'étudier plus avant les autres sources d'exposition mais il conserve de sérieux doutes quant à leur importance relative.
M. Goeyens raconte qu'il s'est amusé, il y a environ un an, à éplucher les revues sur les polymères afin de déterminer pour quels usages le BPA est employé. Celui-ci est avant tout utilisé dans les polycarbonates et dans les résines epoxy pour les boîtes de conserve. Le BPA est aussi utilisé pour le polysulfone. Il s'agit d'un matériau plastique plus souple utilisé notamment pour le matériel médical. Certains articles dénoncent même une contamination au bisphénol pour les patients diabétiques à travers le matériel de dialyse. Le polyéthrimide est un produit similaire, mais plus dur, encore plus stable.
Le BPA est encore couramment utilisé dans les acrylates qu'on retrouve dans les colles de toutes sortes, tant des colles utilisées pour l'étiquetage de produits alimentaires que des colles utilisées en dentisterie et en chirurgie, ce qui implique à nouveau une exposition de l'être humain.
Dans le cadre du recyclage des matériaux d'emballage imposé par l'Union européenne, des résidus de matériaux plastiques se retrouvent fréquemment dans le papier ou le carton recyclé. Il est probable que c'est aussi une source d'exposition au BPA.
Le professeur Goeyens ne doute pas que la principale source d'exposition au BPA soit l'alimentation. Toutefois, il ne faut pas négliger la contamination silencieuse par d'autres voies, telles que les voies respiratoires, la voie dermique, et aussi des situations qu'on n'imaginait pas source de contamination telles qu'une intervention chez le dentiste.
Le professeur Bourguignon se dit d'accord sur le principe d'éviction des produits dont la nocivité est suffisamment prouvée, mais il plaide en outre pour l'affirmation d'un principe de précaution. Sachant qu'il y a des phases critiques d'exposition, les professionnels de la santé qui interviennent lors de ces phases, c'est-à-dire les gynécologues et les pédiatres, devraient jouer un rôle d'éducation afin de rassurer les parents.
Des soucis ont été exprimés au sujet de la nourriture des enfants au lait maternisé, notamment en raison de la présence de BPA dans les boîtes de conservation du lait. Il convient toutefois de remarquer que l'allaitement maternel constitue la voie de prédilection de transmission de perturbateurs endocriniens. Il ne s'agit pas ici de décourager l'allaitement mais bien de développer une vision globale en améliorant notamment la biosurveillance du lait maternel afin de promouvoir la santé à ce niveau.
En Belgique, la carence iodée touche une fraction importante de la population et notamment les femmes enceintes. On cumule dès lors un problème dont la solution serait assez simple avec l'exposition à des substances qui agissent aussi via le système thyroïdien. Le professeur est d'avis qu'il faudrait d'abord se pencher sur les aspects influant sur les systèmes hormonaux auxquels on pourrait apporter une réponse assez facilement.
M. Meirsman revient sur la notion de « période critique ». L'Union européenne a décidé d'interdire le BPA dans les biberons parce que les bébés sont vraiment trop vulnérables. Toutefois, l'Union ne prend pas position pour les autres contenants alimentaires. Le CRIOC estime que toute personne a droit à ce qu'on lui fournisse des produits exempts de substances potentiellement dangereuses pour la santé.
La problématique s'inscrit dans une conception globale de la société où la santé publique ne doit pas céder le pas devant les enjeux économiques.
Les phtalates sont interdits dans la plupart des jouets. Dans les autres produits, les phtalates sont tolérés pour autant qu'il ne dépassent pas une norme jugée acceptable.
Quant aux alternatives au BPA, il en existe quand même dont on peut être sûr de l'innocuité, telles que les biberons en verre.
M. Van Larebeke ajoute une information relative au fait que l'exposition au BPA peut avoir des effets à très long terme: sur des souris, on a détecté des effets sur les représentants de la quatrième génération !
M. Goeyens souligne que de très nombreuses alternatives existent (bisphénol B, bisphénol D, bisphénol S, etc.) mais leurs effets sont encore nettement moins connus que ceux du bisphénol A.
Par ailleurs, il remarque que la dose journalière admissible n'a pas été modifiée ces dernières années. C'est donc qu'on a estimé qu'il n'y avait pas d'arguments suffisants pour la modifier. Il convient quand même d'en tenir compte, même s'il faut envisager aussi les cas extrêmes. À ce sujet, le problème de la température a été mis évidence. Là aussi, le professeur relativise: il est d'avis que la température n'est pas un problème si important en comparaison par exemple des effets liés aux détergents agressifs dans certains produits de lessive.
M. Du Bus de Warnaffe demande si les traces de bisphénol présentes dans l'urine de 95 % de la population sont des traces de bisphénol A ou de toutes sortes de variétés de bisphénol.
Quel est le temps de latence entre le moment où l'on absorbe le bisphénol et celui où il se retrouve dans les urines ?
Le membre se dit très interpellé par l'affirmation de la présence de bisphénol dans les urines de 95 % de la population. Jusqu'à présent, l'attention était focalisée sur les contenants alimentaires et surtout les biberons, ce qui avait une connotation très affective dans la mesure où les intéressés sont des enfants, usagers vulnérables. En réalité, la problématique est beaucoup plus générale et les auditions vont mener à élargir considérablement les débats. Le bisphénol est présent partout au quotidien. L'alimentation n'est pas la seule voie à examiner, la fabrication de tous les produits contenant du BPA, leur manutention sont également source d'inquiétude.
Le sénateur suggère d'organiser d'autres auditions, notamment de représentants du monde économique.
M. Mahoux s'interroge sur la pertinence de légiférer à partir du récepteur, soit l'être humain bébé ou enfant, plutôt qu'à partir de la substance à risque. Les exposés ont montré que le moment de l'exposition à la substance est très important.
Mme Thibaut se souvient que la ministre Onkelinx a signalé que l'industrie alimentaire était déjà dans une période de « phasing out » du bisphénol A. Est-on déjà en train d'utiliser de nouvelles substances ?
M. Goeyens apporte une précision quant à la contamination de 95 % de la population. En pratique, des échantillons d'urine ont été analysés et 95 % d'entre eux ont révélé des traces de résidus de bisphénol A. Cela signifie que c'était détectable et identifiable. Par contre, le professeur ne s'exprime pas sur les taux de concentration, ni sur les conséquences négatives de l'exposition au bisphénol A.
Quant aux autres types de bisphénol ou autres substances à risques, l'intervenant ne peut se prononcer sur leur présence dans les urines. Il est clair en tout cas qu'ils sont utilisés dans de multiples applications et que les possibilités d'exposition sont multiples. À titre d'exemple, des incidents récents survenus dans l'Union européenne, ont montré de hauts niveaux de 4-méthyl-benzophénone dans les céréales pour le petit déjeuner. Ce composant chimique utilisé pour l'encre d'imprimerie aurait migré à travers l'emballage,
Mme Temmerman conclut en se réjouissant que la Commission européenne ait décidé d'interdire les biberons contenant du BPA. C'est un peu dans la même optique que s'inscrit une proposition de loi déposée au Sénat visant à interdire la « Boîte rose » et les publicités que reçoivent les mères à la maternité pour des produits qui contiennent souvent du BPA et d'autres substances potentiellement nocives (proposition de loi de Mmes Temmerman et Defraigne visant à compléter l'arrêté royal du 23 octobre 1964 portant fixation des normes auxquelles les hôpitaux et leurs services doivent répondre en vue de restreindre la distribution dans les hôpitaux de produits publicitaires non contrôlés aux patients (nº 5-92)).
II. AUDITIONS DU 26 AVRIL 2011
La commission a entendu les personnes suivantes:
1) le professeur Jan Tytgat, directeur du laboratoire de Toxicologie et de Bromatologie, KU Leuven;
2) le professeur Alfred Bernard, toxicologue aux cliniques Saint-Luc, UCL;
3) M. Geert Scheys, secrétaire général Federplast.be (Association des producteurs d'articles en matières plastiques et élastomères);
4) M. Raf Bouckaert, manager HSEQ, Bayer Anvers, président du groupe de travail « Product Stewardship » de la FEB;
5) M. Gustaaf Bos, manager « Plastiques et composites », Agoria (Fédération de l'industrie technologique) et MM. Pierre Cloquet et Karl Vanderwallen, de l'association European Metal Packaging (EMPAC).
A. Exposé du professeur Jan Tytgat, directeur du laboratoire de Toxicologie et de Bromatologie, KU Leuven
Le professeur Jan Tytgat, directeur du laboratoire de Toxicologie et de Bromatologie à la KU Leuven, fonde son exposé sur son expérience en matière d'évaluation des risques en ce qui concerne la possible toxicité de divers produits chimiques et substances étrangères à l'organisme. Ces dernières années, d'innombrables publications ont été consacrées au bisphénol A, sous un angle tant académique qu'industriel ou politique. Pour son exposé, le professeur Tytgat s'est basé principalement sur les publications des années 2010 et 2011 et sur des bases de données spécifiques fiables, telles que PubMed Health de la US National Library of Medicine, la plus grande bibliothèque médicale au monde. Rien que pour ces dernières années, on trouve des centaines de publications qui alimentent la controverse sur l'exposition au bisphénol A, tant en ce qui concerne la population en général que les nouveau-nés et les jeunes enfants en particulier. Initialement, l'effet strogène de l'exposition au bisphénol A était le principal sujet de préoccupation, mais entre-temps, on s'est également intéressé à d'autres effets pharmacologiques et toxicologiques d'une telle exposition.
Selon le professeur Tytgat, la controverse est née des conclusions contradictoires formulées à la suite de deux types d'études différents, à savoir, d'une part, des études exploratoires portant sur l'observation, suivant un modèle déterminé, d'un nombre limité d'animaux de laboratoire (essentiellement des rongeurs) et, d'autre part, des études minutieuses de grande envergure fondées sur l'observation d'un grand nombre d'animaux de laboratoire. L'intervenant se réfère en particulier à la très sérieuse étude intitulée « Critical evaluation of key evidence on the human health hazards of exposure to bisphenol A », réalisée à l'initiative de la Société allemande de toxicologie et publiée dans le numéro d'avril 2011 de la revue « Critical Reviews in Toxicology ». Elle est très fiable, car elle a été réalisée par le plus grand organisme de toxicologie de l'Union européenne, qui compte plus de 1 000 membres et est un consortium rassemblant des personnes issues des milieux scientifique, administratif, industriel et juridique. Selon le professeur Tytgat, cette étude doit dès lors être considérée comme la meilleure référence en la matière. Elle est également critique envers d'autres études qui ont déclenché et alimenté la controverse.
En résumé, l'étude conclut qu'il n'y a aucune raison scientifique impérieuse de diminuer la norme actuelle, à savoir une dose journalière tolérable (DJT) de 50 microgrammes de bisphénol A par kilogramme de poids corporel par jour. Les scientifiques en charge de l'étude estiment qu'il n'y a pas de risque non plus lorsqu'on isole les nouveau-nés de la population générale. Ils formulent leur conclusion sur la base de preuves scientifiques. À cet égard, il convient de souligner qu'il y a également eu de nombreuses études exploratoires, dont les résultats ont souvent été relayés dans les médias, mais qui ne répondaient pas aux exigences d'une étude scientifique sérieuse, notamment en ce qui concerne le nombre de doses, le nombre d'animaux de laboratoire utilisés, les voies d'exposition, l'absence d'un plan de recherche avec des données authentiques permettant de reproduire l'étude à l'échelle mondiale et l'absence d'un lien de causalité. Les chercheurs se sont aussi basés sur les études qui respectaient différentes normes, comme les bonnes pratiques de fabrication du monde industriel ou encore les directives de l'OCDE. Bon nombre d'études exploratoires ne satisfaisaient pas à ces normes car elles visaient à tester de nouvelles hypothèses ou à mettre en lumière de nouveaux mécanismes de fonctionnement plutôt qu'à fournir une étude épidémiologique et statistique à grande échelle.
Il faut également souligner que les scientifiques basent leurs conclusions sur les fameux « métabolites », qui sont très importants d'un point de vue toxicologique. En effet, le bisphénol A est une substance dotée d'une demi-vie très courte, inférieure à 2 heures. Cette caractéristique n'est pas sans importance. En effet, chez une personne qui ingère cette substance, il s'enclenche un processus de désintoxication efficace qui, en moins de deux heures, transforme la substance en question en métabolites qui ont pour vocation de la désactiver et de la rendre soluble dans l'eau. « Désactiver la substance » signifie que le bisphénol A ne produit plus d'effet strogène: la substance se retrouve alors dans l'urine en attendant d'être éliminée.
Le professeur Tytgat attire ensuite l'attention sur le fait que plusieurs études récentes ont permis d'analyser les traces de l'exposition au bisphénol A auprès de grands groupes de la population répartis dans le monde entier. Une concentration de moins d'un microgramme par litre de sang et de moins de 10 microgrammes par litre d'urine a généralement été relevée. Il existe néanmoins une certaine controverse à ce sujet, car les traces relevées auprès de certains groupes se sont avérées plus importantes. L'on peut toutefois objecter à cela que la technique d'exposition au bisphénol A était différente. Par exemple, les tests exploratoires recourent souvent à la technique dite « Elisa » alors que d'autres techniques sont utilisées dans le cadre des tests de confirmation. Pour obtenir des résultats précis, les toxicologues refusent de se baser aveuglément sur ces techniques dites « Elisa ».
La proposition de loi à l'examen modifiant la loi du 24 janvier 1977 relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits, visant à interdire le bisphénol A dans les contenants de denrées alimentaires (doc. Sénat, nº 5-338) traite spécifiquement de la présence de bisphénol A dans les biberons. Le professeur Tytgat fait référence à la valeur limite proposée par l'Union européenne. Celle-ci est de 50 microgrammes de bisphénol A par litre mais devrait peut-être être ajustée pour les nouveau-nés, chez lesquels il est possible que le processus de désintoxication fonctionne moins bien voire pas du tout. Dans cette hypothèse, les biberons devraient être soumis à des normes plus strictes. À cet égard, il convient de souligner que la dose journalière tolérable (DJT) de 50 microgrammes est une norme 100 fois plus stricte que la valeur correspondant à la dose sans effet nocif observé. Elle a été fixée à ce niveau pour tenir compte des différentes espèces sur lesquelles se basent les tests ainsi que des différences qui existent entre les animaux de laboratoire et les êtres humains. Selon le professeur Tytgat, même si la norme pour les biberons en polycarbonate était encore trois fois plus stricte, il n'y aurait toujours aucun problème, car cette valeur serait encore supérieure aux 11 microgrammes considérés comme problématiques pour les nouveau-nés.
L'intervenant attire toutefois également l'attention sur le fait que certains chercheurs scientifiques plaident pour que l'on approfondisse les recherches sur les mécanismes de fonctionnement du bisphénol A, qui est une substance très répandue dans notre société. Il serait certainement opportun d'effectuer des recherches supplémentaires en ce sens. En effet, on connaît l'effet strogène du bisphénol A, mais on en sait encore trop peu sur les effets produits au niveau d'autres récepteurs. S'il s'avérait que le bisphénol A produit un effet aussi fort sur d'autres récepteurs, il s'agirait de récepteurs ayant une influence sur la biotransformation hépatique, donc sur le processus de désintoxication. Il semble dès lors opportun de poursuivre les recherches en la matière. Enfin, on en sait également trop peu sur le « sulfatage ». Il serait aussi utile de poursuivre les recherches à ce sujet.
B. Exposé de M. A. Bernard, toxicologue aux cliniques Saint-Luc, UCL
M. Bernard précise qu'il est professeur mais aussi directeur de recherches au FNRS. Il a participé aux débats qui ont amené l'Assemblée nationale française à décider d'interdire le bisphénol A dans les biberons.
Il est frappant de constater que de tels débats ont lieu plus de trente ans après les premières observations. Cela illustre la difficulté qu'a notre société à gérer les risques, ainsi que le temps qui lui est nécessaire avant d'adopter des mesures de prévention. Le cas du bisphénol A est emblématique de cette tendance.
Des études importantes ont été financées par l'Agence nationale de sécurité sanitaire en France (ANSES). Deux éléments méritent d'être soulignés. D'abord, les perturbateurs endocriniens sont présents partout, au point qu'on peut parler de cocktail de perturbateurs. Ensuite, les voies d'absorption varient, et par conséquent le risque aussi.
En Belgique, une étude au sujet de la fertilité a été réalisée sur des adolescents de quinze ans, au moyen de marqueurs dans le sang. De façon surprenante, l'étude montre l'effet bénéfique de l'allaitement maternel sur l'inhibine B. Celle-ci constitue un excellent marqueur de fertilité. Elle apparaît pendant l'enfance et atteint son taux final à l'âge de dix ans.
La numération spermatique, la taille des testicules et l'efficacité de la spermo-genèse sont nettement meilleures chez les garçons qui ont été allaités par leur mère.
Pourquoi l'allaitement est-il bénéfique pour la fertilité ? On peut évidemment invoquer les bienfaits du lait maternel, comparé au lait artificiel. On peut aussi avancer la toxicité du bisphénol A contenu dans les biberons en plastique. Cela pourrait aussi tenir aux réactions de Maillard, soit la migration dans le lait de substances potentiellement dangereuses lorsqu'on chauffe le biberon. Il conviendrait même de vérifier l'impact de l'eau utilisée. En effet, l'eau potable contient des produits de chloration qui sont des repro-toxiques. En Belgique, on ne contrôle que 15 % des sous-produits de chloration.
Les données proviennent de trois écoles en Communauté française, situées à Louvain-La-Neuve, Bastogne et Lessines. Or, il est frappant de constater que les taux d'inhibine B sont nettement plus bas (jusqu'à 40 %) à Bastogne et Lessines. La différence avec Louvain-la-Neuve est probablement liée au mode de vie (plus d'enfants allaités à Louvain-la-Neuve).
La baisse de fertilité masculine n'est pas un mythe. Des données récentes publiées en 2011 sur le Danemark montrent cette diminution d'année en année. Les cas d'azoospermie et d'oligospermie sont de plus en plus fréquents.
Le monde occidental fait face à un problème de fertilité lié à un facteur de risque et au mode de vie. L'allaitement maternel peut jouer un rôle mais il n'est pas le seul facteur.
La TDI pour le bisphénol A est de 50 microgrammes/jour/kg. Elle est basée sur des données expérimentales. Ce raisonnement est-il correct ? Peut-on tester sur l'animal à fortes doses et extrapoler pour l'être humain à faibles doses ? On a affaire, d'une part, à des mélanges de substances qui agissent à très faibles doses, et, d'autre part, à des populations (femmes enceintes, bébés) qui ne peuvent faire l'objet d'études pour des raisons éthiques. Il n'est pas question de soumettre de jeunes enfants à des prises de sang pour réaliser des études scientifiques.
Si on se fonde sur la TDI de 50 microgrammes, il est clair que la dose qu'on absorbe se situe nettement en deçà. Cependant, l'EFSA calcule cette dose journalière acceptable en tenant compte de l'élimination. Chez l'être humain, le foie élimine très vite au contraire du rat. Toutefois, il faut accueillir cet argument avec prudence car certains cancérogènes, tels que le benzène du tabac, sont vite éliminés et cela ne signifie pas pour autant que le risque est éliminé.
L'autre faiblesse dans le raisonnement de l'EFSA consiste à se baser sur l'exposition par ingestion, soit une élimination qui transite par le foie. Or, des travaux en France ont montré un effet de ces molécules sur la barrière intestinale et notamment sur la perméabilité des intestins. Il y a un effet local avant absorption.
Le bisphénol A, aux doses que nous absorbons quotidiennement, provoque des effets chez les rongeurs, notamment par injection. Or, le monde occidental fait face à des problèmes de fertilité, et si l'on tient compte de l'impossibilité de réaliser des études sur la population ciblée, le plus sage est certainement d'appliquer le principe de substitution. C'est le seul message que le scientifique peut délivrer puisqu'il n'aura pas de certitude. Si l'on peut se passer de cette substance, faisons-le et cessons de spéculer sur les risques pour les jeunes enfants.
Des travaux récents mettent l'accent sur les périodes précoces d'exposition, soit pendant la grossesse et les quelques mois qui suivent la naissance. Le bisphénol A et d'autres molécules peuvent agir sur des phases extrêmement sensibles. Ce sont des fenêtres de sensibilité. Si à un moment vous diminuez le taux d'une hormone, vous perturbez le développement tant des organes reproducteurs que du cerveau, de façon irréversible.
Le professeur Bernard conclut en admettant que le législateur doit intervenir ici dans un contexte d'incertitude, mais avec trente ans de recul et 2 000 publications à l'appui.
C. Exposé de M. Geert Scheys, secrétaire général de Federplast.be (Association des producteurs d'articles en matières plastiques et élastomères)
M. Geert Scheys, secrétaire général de Federplast.be, indique, chiffres à l'appui, que l'industrie plastique est un secteur très important en Belgique.
La Belgique transforme près de deux fois plus de matières plastiques par habitant que l'Allemagne et plus du double de la quantité transformée dans toute l'Europe. Notre pays est donc un grand producteur et exportateur de produits en plastique. Nous produisons près de 600 kilos de plastique par année et par habitant, ce qui représente 5 à 6 fois la moyenne européenne et bien plus que les Pays-Bas et l'Allemagne, par exemple, et nous exportons 80 % de cette production. Notre pays, dont la population représente 2,2 % de la population européenne totale, assure 5 % de la transformation et 10 % de la production de matières plastiques en Europe.
L'industrie du plastique en Belgique est organisée en deux fédérations: Agoria (la fédération de l'industrie technologique) et Essenscia (la fédération des industries chimiques et des sciences de la vie). Elle compte 306 entreprises, dont 52 produisent des matières plastiques et 254 produisent des articles en plastique. Elle occupe 34 000 travailleurs et réalise un chiffre d'affaires de près de 15 milliards d'euros. Les transformateurs et producteurs de matières plastiques, qui sont par ailleurs répartis sur l'ensemble du pays, apportent ainsi la plus grande contribution à la balance commerciale de la Belgique, qui indique la différence entre les exportations et les importations. La part que représente l'industrie du plastique continue de croître par rapport à l'industrie sidérurgique et à l'industrie automobile.
En tant que représentant des producteurs d'articles en plastique, M. Scheys relève que les entreprises concernées souhaitent, autant que possible, utiliser des matériaux qui sont adaptés à leurs applications. Si un matériau ne convient pas, elles en utiliseront un autre. Néanmoins, c'est sur la base d'arguments scientifiques, et non en se laissant influencer par une quelconque chimiophobie ou l'une ou l'autre campagne de dénigrement, qu'il faut mener ce débat. Par conséquent, le secteur demande instamment que l'on puisse dégager un consensus scientifique le plus large possible sur la question. À cet égard, il faut souligner la récente confirmation de l'avis de l'Autorité européenne de sécurité des aliments, selon lequel le niveau de migration actuel du bisphénol A n'est pas dangereux. Cette décision a été prise en 2010 par un groupe de 28 experts, dont 27 se sont ralliés à l'avis précité. Seul un expert français a voté contre, et s'il devait s'avérer qu'il a raison, le secteur se plierait au verdict. Néanmoins, à ce jour, il n'existe pas de consensus scientifique pour affirmer que l'utilisation du bisphénol A serait dangereuse.
D. Exposé de M. Raf Bouckaert, manager HSEQ chez Bayer Anvers, président du groupe de travail Product Stewardship de la FEB
M. Raf Bouckaert, manager HSEQ (Health Safety, Environment and Quality) chez Bayer Anvers, président du groupe de travail Product Stewardship de la FEB, souligne que les solutions polymères de haute technologie sont généralement utilisées dans l'industrie automobile (7 %), dans l'industrie de l'emballage (40 %), dans le secteur de la construction (20,4 %), en électronique et en électricité (5,6 %) et dans de nombreuses autres applications, comme les biens de consommation, les articles ménagers, le mobilier, des applications médicales, etc. Le bisphénol A est un intermédiaire — ce n'est donc pas un additif — qui est généralement utilisé dans la production de polymères tels que le polycarbonate (PC) et les résines époxy. Ces produits finis contiennent uniquement des traces de bisphénol A. Le PC s'utilise notamment pour sa légèreté et parce qu'il est incassable, de sorte qu'il offre dans certains cas une alternative intéressante au verre. On l'utilise en particulier pour fabriquer des bouteilles à boisson pour les régions en proie à une sécheresse massive. Le polycarbonate est en outre un matériau durable et recyclable. Il est aussi résistant à la chaleur, raison pour laquelle on l'utilisait aussi pour la fabrication des biberons, jusqu'à ce que l'Union européenne l'interdise pour cette application.
Le PC contribue également à la lutte contre le réchauffement climatique car il offre des solutions en matière de réduction des émissions de CO2. Il se caractérise par un poids de transport limité et permet en outre de fabriquer des lampes LED, à faible consommation d'énergie. Le PC soutient l'expansion des applications photovoltaïques. Il permet d'économiser les matières premières en proposant des solutions de rendement élevé pour les matériaux utilisés dans la fabrication de produits réutilisables et il favorise la conception orientée vers le recyclage (« design for recycling »). En outre, il ne pose aucun problème de valorisation en fin de vie. De plus, son impact socioéconomique est également considérable, une étude ayant démontré que le PC apporte une contribution très importante à l'économie et à la qualité de vie en Europe.
Le polycarbonate est produit dans quatre pays européens: en Belgique, en Espagne, en Allemagne et au Luxembourg. Ces quatre pays assurent la quasi-totalité de la production mondiale de polycarbonate, qui est utilisé dans tous les pays du monde puisqu'on le retrouve dans tous les ordinateurs, dans les GSM et dans les voitures. Rien qu'au port d'Anvers, on parle d'une production de 240 000 tonnes de polycarbonate par an.
Pourquoi l'interdiction du bisphénol A fait-elle débat ? En 1936 a été publié, pour la première fois, un article faisant état d'un léger effet oestrogène imputable au bisphénol A. Des matériaux à base de PC et de résine époxy sont utilisés dans la fabrication de produits destinés à entrer en contact avec la nourriture, ce qui ne manque pas de susciter un certain émoi. Le bisphénol A est dans le collimateur de la recherche exploratoire depuis la fin des années 90, lorsque furent constatés, par exemple, des effets suspects en cas d'exposition à de très faibles doses (« hypothèse de la faible dose »). En outre, des découvertes réalisées dans le cadre de cultures cellulaires ou d'expériences menées sur des animaux de laboratoire avec des voies d'exposition arbitraires sont présentées, notamment aux médias, comme une preuve évidente de la manifestation d'effets identiques chez l'homme. Les médias manifestent aussi un grand intérêt pour cette question, à laquelle ils consacrent régulièrement des articles ou des émissions. Mais la question du bisphénol A a également fait l'objet d'initiatives législatives sans fondement scientifique, qui ont donné lieu, au Canada, dans plusieurs États américains, en France et au Danemark, à des mesures de restriction basées sur le principe de précaution. En outre, certaines ONG brandissent l'argument du bisphénol A dans le débat politique, par exemple dans le cadre de la directive REACH.
Il est un fait que le bisphénol A est l'une des substances les plus étudiées du paysage scientifique. Plus de 1 800 études toxicologiques portant sur le bisphénol ont ainsi été évaluées par des instances régulatrices dans le monde entier. Il s'agit aussi bien d'études de haute qualité, basées sur des données statistiques sérieuses, menées conformément aux directives en vigueur et axées sur les voies d'exposition pertinentes comme l'ingestion par le biais de l'alimentation, que d'études exploratoires qui n'ont pas été effectuées de manière conforme aux directives. Malheureusement, les études exploratoires de ce genre présentent certaines limites: les effets constatés ne peuvent, bien souvent, pas être reproduits dans des conditions scientifiquement acceptables, ces études recourent à des cultures cellulaires et elles sont souvent basées sur des sources d'exposition non pertinentes (par exemple, par le biais d'une pompe d'infusion implantée) et sur un nombre restreint de doses pour animaux de laboratoire (d'où une pertinence statistique insuffisante).
Dans le paysage scientifique, les données expérimentales validées (c'est-à-dire celles générées conformément à la directive CLP) confirment la faible toxicité et constituent la base du dossier d'enregistrement REACH qui a été déposé à l'ECHA (Agence européenne des produits chimiques) en 2010. Il s'avère que le bisphénol A présente un faible niveau de toxicité aiguë et n'est ni cancérogène, ni mutagène. Il n'a pas non plus d'effet négatif sur la reproduction ni sur le développement foetal lorsqu'il est présent en doses comme celles qui existent dans la réalité (applications réelles). Selon des études sérieuses, menées conformément aux directives, il ne produit aucun effet endocrinien à faible dose sur la reproduction ni sur le développement du ftus. Les effets « faible dose » qui ont été rapportés n'ont été ni confirmés, ni reproduits (voir aussi les analyses de risques détaillées effectuées, par exemple, par l'UE ou la FDA (Food and Drug administration américaine). Le bisphénol A n'est pas une substance persistante, bioaccumulatrice et toxique (PBT). Il est « métabolisé » de manière efficace et est rapidement éliminé après ingestion par voie orale; il a d'ailleurs été démontré que les métabolites du bisphénol A ne sont pas oestrogènes. Le bisphénol A ne présente un faible effet oestrogène qu'en cas d'exposition à des doses extrêmement élevées et jamais atteintes dans la vie de tous les jours (situation comparable à celle des phyto-oestrogènes présents dans les fèves de soja, les carottes, le tofu, etc.).
Toutefois, les médias donnent souvent une autre image. On prétend que de faibles doses de bisphénol A ont un effet néfaste sur la fertilité et le système nerveux, et provoquent le diabète, le cancer, l'obésité, la puberté précoce, des troubles du comportement, des maladies cardiovasculaires, etc. L'existence de ces prétendus effets n'a pas été prouvée scientifiquement. Certains affirment aussi que, malgré la grande quantité de données disponibles, il faudrait agir immédiatement au moindre doute. D'un point de vue scientifique, il existera pourtant toujours des imperfections qui donneront matière à interrogation. C'est la raison pour laquelle on prévoit toujours des marges de sécurité lorsqu'on tire des conclusions en matière de risques. Les médias affirment souvent que les instances publiques se basent sur quelques études réalisées par l'industrie et ignorent le grand nombre d'études indépendantes. Cependant, dans le cadre de leur évaluation du bisphénol A, ces instances et notamment l'Autorité européenne de sécurité des aliments prennent en compte absolument toutes les études, y compris les centaines qui n'ont pas été réalisées par l'industrie et qui dénoncent les prétendus effets.
On entend souvent aussi que les études réalisées par l'industrie sont partiales et qu'elles ne peuvent dès lors pas servir de base de décisions réglementaires. À ce propos, il convient toutefois de noter que la directive REACH a déplacé la charge de la preuve vers l'industrie: l'industrie doit fournir toutes les données scientifiques permettant aux autorités d'évaluer les propriétés d'une substance en termes de sécurité.
Lorsqu'on mesure quelque chose, d'aucuns en déduisent automatiquement qu'il existe un effet néfaste; ils oublient toutefois qu'un lien de cause à effet entre une concentration mesurée et un effet néfaste pour l'organisme doit toujours être validé officiellement.
On prétend aussi que le bisphénol A serait un plastifiant ou un additif. C'est faux: le bisphénol A sert uniquement à synthétiser des polymères. Il faut par ailleurs nuancer l'affirmation selon laquelle n'importe quel autre matériau serait préférable tant qu'il ne contient pas de BPA. En effet, on peut pratiquement affirmer avec certitude qu'il n'existe aucune autre substance ou aucun autre matériau qui ait été testé et évalué aussi minutieusement que le BPA en vue d'une utilisation en contact avec la nourriture.
L'industrie se conforme aux règles en vigueur en la matière. Elle se réfère aussi au « Product Stewardship » applicable à tous les produits chimiques; il s'agit en fait d'un contrat conclu avec les Nations unies, par lequel elle s'engage à rendre l'ensemble des données validées accessibles à tout un chacun. Telle est d'ailleurs l'une des obligations imposées par la directive REACH et appliquée au niveau international.
Des instances régulatrices du monde entier autorisent l'utilisation du bisphénol A et du polycarbonate en contact avec des denrées alimentaires:
— au niveau européen, le BPA satisfait aux exigences de la directive 2002/72/CE et figure dans la liste positive publiée dans l'annexe II (amendée en mars 2011 par la directive 2011/8/UE de la Commission — Utilisation interdite pour la production de biberons en polycarbonate);
— la dose journalière acceptable (DJA), c'est-à-dire le niveau actuel de sécurité dans l'UE, est de 0,05 mg par kilo de poids corporel et par jour (EFSA 2010);
— la limite de migration spécifique européenne (LMS) reste fixée à 0,6 mg par kilo d'aliment, sur la base du rapport EFSA de 2002.
En ce qui concerne l'exposition du consommateur au bisphénol A, M. Bouckaert signale que pour atteindre la limite de sécurité, une personne pesant 60 kilos devrait manger quotidiennement l'équivalent de son poids en nourriture en conserve ou boire 600 litres d'eau contenue dans des bouteilles en polycarbonate. Une ingestion de bisphénol A supérieure à la limite de sécurité est donc manifestement impossible ! La consommation d'oestrogènes « externes » fait partie de l'alimentation normale. Ainsi, on ingère 400 fois plus de composés oestrogéniques en consommant 200 grammes de carottes qu'en buvant du lait pour nourrisson dans un biberon. Le bisphénol A ne présente un faible effet oestrogène qu'en cas d'exposition à des doses extrêmement élevées et jamais atteintes dans la vie de tous les jours (situation comparable à celle des phyto-oestrogènes présents naturellement dans le soja, les carottes, le tofu, etc.).
Les instances européennes ont déjà réalisé deux analyses de risques. La dernière, qui date de 2008, a abouti à la conclusion suivante:
« We found that the margin of safety is high enough in relation to consumer exposure of BPA in plastic packaging and, as a result, there is no need for further information, testing or risk reduction measures beyond those which are being applied already ».
Au niveau mondial, l'Organisation mondiale de la Santé et l'Agence alimentaire des Nations unies ont formulé la conclusion suivante:
« at present, there appears to be no single replacement for BPA for all food contact applications. Furthermore, data on the safety of some of these replacement materials are limited or non-existent. (...) It is important to note that any of these new or existing alternative materials would need to be assessed for appropriate functionality and safety using state of the art methodology and scientific knowledge. »
Cela n'a finalement pas empêché l'interdiction de l'utilisation du bisphénol A dans les biberons, même si la Commission européenne a souligné ce qui suit:
« We are not planning to take further action because the advice from EFSA does not give us a basis to do so. [...] If you look at the (EFSA) opinion there is currently no need to move further on BPA. »
Beaucoup d'autres pays ont critiqué la décision de la Commission européenne concernant l'alimentation pour nourrissons. Quoi qu'il en soit, l'industrie s'est pliée à cette décision et ne produit donc plus de biberons contenant du bisphénol A. Elle craint toutefois que l'on étende cette décision à toutes les applications à base de polycarbonate, ce qui serait une mesure excessive.
E. Exposé de M. Gustaaf Bos, manager « Plastiques et composites » chez Agoria (Fédération de l'industrie technologique) et de MM. Pierre Cloquet et Karl Vanderwallen de l'association European Metal Packaging (EMPAC)
M. Bos, manager « Plastiques et composites » chez Agoria, donne un aperçu de l'utilisation du bisphénol A dans les revêtements de protection appliqués sur les pièces métalliques d'articles en plastique destinés à être en contact avec des denrées alimentaires ou de l'eau destinée à la consommation humaine.
Dans le respect de la législation européenne et nationale en vigueur ainsi que des limites autorisées de migration (celle du bisphénol A est actuellement fixée à 0,6 mg/kg d'aliment), le bisphénol A et certains dérivés du bisphénol A, comme le bisphénol — A — diglycidyléther (« BADGE »), sont utilisés — suivant le type de métal ou d'alliage, l'usage envisagé et le type d'aliment concerné (aliments à base d'eau, d'alcool ou de produits laitiers, ou aliments acides, gras ou secs) — dans des vernis de résine époxy appliqués sur diverses pièces métalliques destinées à entrer en contact avec des aliments ou de l'eau potable. L'objectif principal des résines époxy est de former un revêtement de protection ayant pour but de prévenir la corrosion du métal grâce à une barrière fonctionnelle étanche notamment à l'eau contenue dans les aliments, de favoriser l'adhérence du composé (qui forme une barrière fonctionnelle empêchant l'infiltration d'oxygène ou de liquide) et d'empêcher que les métaux ou leurs sels ne se dissolvent dans l'aliment ou la boisson et, partant, ne migrent vers les denrées alimentaires, ce qu'interdit l'article 3 du règlement-cadre (CE) nº 1935/2004 concernant les matériaux et objets destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires.
De tels revêtements sont notamment utilisés, le cas échéant, comme revêtement de protection dans la production de:
— conduites métalliques d'adduction d'eau potable dans des systèmes de distribution d'eau (législation sur l'eau potable jusqu'au robinet, législation sur les matériaux en contact avec les denrées alimentaires);
— réservoirs et citernes métalliques destinés au stockage d'aliments et de boissons (législation sur les matériaux en contact avec les denrées alimentaires);
— pompes et conduites dans les installations destinées aux aliments ou boissons (législation sur les matériaux en contact avec les denrées alimentaires);
— camions-citernes destinés au transport d'aliments ou de boissons (législation sur les matériaux en contact avec les denrées alimentaires);
— canettes de bière ou de boisson rafraîchissante (législation sur les matériaux en contact avec les denrées alimentaires);
— capsules pour bouteilles de bière ou de boisson rafraîchissante (législation sur les matériaux en contact avec les denrées alimentaires);
— couvercles pour bocaux à conserves en verre (législation sur les matériaux en contact avec les denrées alimentaires);
— récipients pour aérosols, comme ceux utilisés par exemple pour la crème fraîche (législation sur les matériaux en contact avec les denrées alimentaires);
— couvercles métalliques de boîtes de conserve (législation sur les matériaux en contact avec les denrées alimentaires).
La législation de l'Union européenne, qui s'applique déjà au bisphénol A et au BADGE utilisés dans les revêtements de protection recouvrant les métaux destinés à être en contact avec des denrées alimentaires, est constituée des textes suivants:
— règlement-cadre (CE) nº 1935/2004 (concernant les matériaux en contact avec les denrées alimentaires)
— Règlement (CE) nº 1895/2005 (concernant le BADGE)
Le Conseil de l'Europe a publié les documents suivants qui font office de lignes directrices:
— la résolution-cadre ResAP (2004)1 sur les vernis destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires;
— le document technique nº 1: liste des substances autorisées
— le document technique nº 2: base scientifique
L'article 3 du règlement-cadre (CE) nº 1935/2004 sur les matériaux en contact avec les denrées alimentaires impose quelques exigences générales. Les matériaux et objets, y compris les matériaux et objets actifs et intelligents, sont fabriqués conformément aux bonnes pratiques de fabrication afin que, dans les conditions normales ou prévisibles de leur emploi, ils ne cèdent pas aux denrées alimentaires des constituants en une quantité susceptible:
a) de présenter un danger pour la santé humaine, ou
b) d'entraîner une modification inacceptable de la composition des denrées, ou
c) d'entraîner une altération des caractères organoleptiques de celles-ci. En d'autres termes, les revêtements de protection époxy à base de bisphénol A ou de BADGE (disposant d'un agrément pour être utilisés au contact de denrées alimentaires ou d'eau destinés à la consommation humaine) doivent empêcher que des métaux ne migrent vers les aliments, les boissons ou l'eau potable.
La résolution-cadre ResAP (2004)1 sur les vernis destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires s'applique aux vernis qui, à l'état fini, sont destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires ou qui sont mis en contact avec des denrées alimentaires et conçus à cette fin. Sont couverts les types de vernis suivants:
a) vernis pour emballages en métal;
a) vernis pour emballages souples;
c) vernis ultra résistants.
Ces vernis époxy ultra résistants permettent, sans que le revêtement de protection ne s'abîme d'utiliser une dose élevée de chlore pour la javellisation permanente de l'eau destinée à la consommation humaine, ce qui est nécessaire pour mettre les consommateurs à l'abri d'une contamination microbiologique de l'eau potable et des aliments et boissons préparés avec cette eau. Ces revêtements époxy ultra résistants sont utilisés depuis déjà plus de 50 ans dans des conduites (conduites d'adduction d'eau potable et conduites au sein d'entreprises d'alimentation et de boissons) et disposent d'un agrément tant pour les denrées alimentaires que pour l'eau potable. Ces vernis ultra résistants sont principalement produits en France, mais sont importés dans notre pays.
Les revêtements de protection pour les emballages en métal sont utilisés dans un très grand nombre d'applications différentes et ce, pour toutes sortes de denrées alimentaires. Citons à titre d'exemples:
— les mini-fûts et canettes métalliques pour les bières, les boissons rafraîchissantes et les eaux;
— les couvercles pour toutes sortes de bocaux à conserves en verre;
— les aérosols pour des denrées alimentaires comme la crème fraîche, par exemple;
— les capsules de bouteilles de bières, de boissons rafraîchissantes et d'eaux;
— les boîtes métalliques pour conserves, pour le poisson et d'autres denrées alimentaires.
Ces revêtements peuvent donc difficilement être remplacés par un produit ou une technologie de substitution unique parce qu'il faudrait pour cela trouver de nombreuses alternatives mais aussi les tester non seulement en fonction de denrées alimentaires de toutes sortes (eau, acide, alcool, produits laitiers, graisse, denrées solides) mais aussi en fonction d'un grand nombre de durées de contact et de températures différentes. Il faudrait aussi effectuer des tests non seulement pour vérifier les propriétés de la couche d'arrêt destinée à empêcher l'infiltration d'oxygène ou de liquide, mais aussi pour tester la fermeture (fissures entraînant de la corrosion, infiltration d'oxygène) et l'ouverture.
L'intervenant cite ensuite quelques exemples concrets d'applications spécifiques. Le revêtement de protection intérieur d'une capsule de bouteille de bière ou de boisson rafraîchissante doit rester suffisamment souple pour empêcher l'apparition de fissures lors de la fermeture de la bouteille. Le revêtement de protection intérieur d'un couvercle de bocal en verre a pour but non seulement de prévenir la corrosion du métal mais aussi de permettre une bonne adhérence du composé, afin de faire en sorte que les fonctions physiques d'ouverture et de fermeture soient possibles et de garantir l'intégrité des denrées alimentaires. Le fer-blanc et le revêtement de protection d'une boîte de conserve doivent empêcher la corrosion de la boîte, préserver les propriétés organoleptiques pendant plusieurs années, permettre l'application de techniques de remplissage efficaces, garantir une protection contre l'activité bactérienne sous l'effet de l'oxygène et de la lumière, etc.
Plusieurs revêtements de protection différents ont été testés et comparés sur la base des critères suivants:
— la quantité de données scientifiques: la preuve que les revêtements sont sûrs ou les préparations réalisées sur la base de listes positives (c'est-à-dire les substances autorisées par l'EFSA). Il s'avère que, sous les limites de migration imposées, le bisphénol A est sûr.
— la résistance à la corrosion du métal;
— la possibilité de donner une forme au revêtement;
— la possibilité de l'utiliser pour une application spécifique;
— la durabilité;
— l'employabilité générale: 1 technologie > tous les emballages en métal;
— la non-altération des propriétés organoleptiques;
— la compatibilité entre le récipient et le contenu (denrée alimentaire/boisson).
En conclusion, on peut dire que le bisphénol A est la seule substance qui réponde à tous les critères. L'intervenant estime que si l'on remplace le bisphénol A, on devra sacrifier la qualité sur plusieurs points.
En outre, M. Bos indique que la procédure de qualification pour les emballages et les revêtements de protection se déroule en cinq phases, qui représentent une durée totale d'environ dix ans, comme le montre le tableau ci-dessous:
Vijf fasen qualificatieprocedure voor verpakkingen en deklagen | |||
Fase | Duurtijd | Omschrijving | Partners |
1. Preliminaire testen | 1 tot 2 jaar | Wat kan geschikte verpakking/coating zijn rekening houdend met type voeding, temperatuur, bewaartijd, sperlaag, barstjes, openen, sluiten, behoud organoleptische eigenschappen, wensen klant, ... Ingrediënten goedgekeurd voor contact met voeding ? Alternatieve deklaag veiliger voor consument ? | Leveranciers Fabrikant |
2. Industriële testen | 1 tot 2 jaar | Kleinschalige geschiktheidstesten in labo en productie Eerste migratietesten | Leveranciers Fabrikant |
3. Technische validatie → Goedkeuring verpakking en deklaag | 2 jaar | Technisch en economisch haalbaar in specifieke toepassing ? Verpakkingstesten (shelf life testen): bewaartijd verpakte voeding ? Migratie: alternatieve deklaag OK ? en veiliger voor de consument ? | Leveranciers Fabrikant |
4. Industriële ontwikkeling → Goedkeuring productieproces | Tot 5 jaar | Goedkeuring om in productie te gaan Goedkeuring van coatings in alle fabrieken in alle landen Finaliseren van de verpakkingstesten (o. a. shelf life testen) Technische specificaties uitwerken voor alle fabrieken in alle landen Overal aanpassen productieprocessen voor elke specifieke toepassing Migratietesten, Verklaring van Overeenstemming, traceerbaarheid | Leveranciers Fabrikant Alle klanten |
5. Finale goedkeuring | Finale goedkeuring door alle betrokkenen | Idem | |
Totale duur | 10 jaar |
La question est donc de savoir s'il existe actuellement d'autres substances adéquates en matière de revêtements et de techniques. Quelles seraient les conséquences éventuelles d'un changement ? Les autres substances sont-elles plus sûres à tous points de vue pour le consommateur ? Ont-elles été suffisamment analysées ? Le bisphénol A est l'une des substances les plus analysées et les études disponibles sur les autres substances sont généralement bien moins nombreuses. En outre, vu le très grand nombre d'applications du bisphénol A, il faudrait disposer de plusieurs autres substances et techniques pour convenir à toutes les applications spécifiques. Ces autres substances sont-elles sûres et viables aussi bien techniquement qu'économiquement ? Satisfont-elles à la directive relative au contact alimentaire et aux autres exigences ?
Les autres substances et procédés sont-ils valables sur le plan légal ? Par exemple, sont-ils autorisés dans le sens où ils figurent sur la liste positive ? Il ne faut pas oublier que la législation européenne va devenir plus stricte en ce qui concerne les métaux et les revêtements pour matériaux qui entrent en contact avec les denrées alimentaires. En outre, il faut se demander si d'autres substances sont et seront disponibles en suffisance. Pensons notamment aux applications visées dans la directive REACH et celle relative au contact alimentaire. Enfin, il convient de rappeler que le processus d'agrément pour un revêtement de rechange dure environ 10 ans.
Au vu de ce qui précède, l'intervenant tire les conclusions suivantes:
— l'introduction d'autres substances agréées et applicables prend beaucoup de temps;
— toutes sortes de denrées alimentaires et de boissons disparaîtront des magasins belges si l'on interdit le bisphénol A;
— il est possible que le chiffre d'affaires et les bénéfices baissent, ce qui entraînera du chômage technique et économique pour les personnes concernées;
— enfin, les autres substances agréées coûteront généralement plus cher, ce qui fera augmenter les prix des denrées alimentaires.
On peut se demander quelles seraient les conséquences éventuelles si la législation belge devenait plus stricte que la législation de l'UE. Il existe d'innombrables types de denrées alimentaires et de boissons, toutes d'origine différente. Outre les denrées alimentaires et les boissons conditionnées dans un emballage et produites en Belgique, il en existe aussi qui ont été produites dans un autre pays de l'UE, pour être ensuite conditionnées en Belgique dans un emballage produit dans un autre pays de l'UE. La libre circulation des marchandises au sein de l'UE a fait disparaître les douanes. Le règlement-cadre européen relatif au contact alimentaire est pourtant applicable de la même manière dans toute l'UE. Comment va-t-on contrôler tout cela au sein de l'UE ? De plus, il existe aussi, d'une part, des denrées alimentaires et des boissons conditionnées dans l'UE dans un emballage produit au sein de l'UE ou ailleurs, et, d'autre part, des denrées alimentaires et des boissons conditionnées en dehors de l'UE dans un emballage produit ailleurs qu'en Belgique. L'intervenant met l'accent sur les obstacles au commerce qu'une réglementation plus stricte créerait en vertu de la réglementation de l'OMC. Comment va-t-on contrôler toute la circulation des marchandises en vue de faire respecter la réglementation belge plus stricte sur l'utilisation du bisphénol A ? Les contrôleurs chargés de l'inspection des denrées alimentaires sont déjà surchargés: doivent-ils se concentrer sur le BPA ou sur les hormones de croissance interdites ?
M. Bos communique ensuite quelques observations et données livrées par des entreprises membres d'Agoria qui utilisent des résines epoxy pour des emballages métalliques.
— Plus de 95 % de toutes les boîtes de conserve produites et/ou commercialisées en Belgique présentent un revêtement contenant du bisphénol A ou BADGE sur leur face intérieure.
— Toutes les bombes de crème chantilly produites et/ou commercialisées en Belgique présentent un revêtement contenant du bisphénol A ou BADGE sur leur face intérieure.
— Il serait très difficile de changer de technologie de revêtement. Concrètement, cela supposerait d'abord qu'il existe une autre substance valable. En outre, celle-ci devrait avoir été suffisamment validée. Or, le processus de validation peut prendre plusieurs années, notamment pour les tests de conservation chez les clients. Par conséquent, les implications commerciales pourraient être énormes. Les premières études révèlent qu'il n'existe pas une perspective de technologie de rechange pour toutes les applications. Dans les cas où pareille perspective existe, il ressort des premières études que ces solutions de rechange seraient nettement plus chères, ce qui pourrait aussi entraîner la perte de parts de marché.
— Les producteurs d'emballages métalliques procèdent régulièrement à des tests de migration, dont les résultats concernant le BPA/BADGE sont toujours inférieurs aux limites légales. Les tests sont réalisés aussi bien en interne que par des laboratoires externes.
Le schéma ci-dessous montre comment l'industrie collabore au niveau européen afin d'aboutir à un contrôle sérieux de toute la problématique des enduits sur les emballages métalliques.
Agoria représente non seulement les producteurs d'emballages métalliques, mais aussi les fabricants de plastiques renforcés de fibres, entrant en contact avec de l'eau potable et des aliments. Grâce à leur faible masse qui permet d'économiser l'énergie et de réduire les émissions de CO2, les résines époxy/composites renforcés de fibres sont de plus en plus utilisés dans les avions, les trains, les véhicules, les pales d'éoliennes, réservoirs de stockage et fûts, pièces détachées, etc., si bien qu'il est possible, dans certaines applications, qu'ils entrent en contact avec des aliments et/ou de l'eau potable. Actuellement, les entreprises concernées ne disposent pas de produits de substitution appropriés présentant moins de risques en cas de contact avec des aliments et de l'eau potable. Étant donné que l'EFSA affirme que le bisphénol A ne présente aucun danger tant que la valeur LMS actuelle n'est pas dépassée et qu'il n'est pas nécessaire de prendre des précautions supplémentaires dans les utilisations entraînant un contact avec des aliments, les résines époxy constituent actuellement, d'après les entreprises concernées, la voie la plus sûre pour ces applications. Pour ces entreprises, une éventuelle interdiction du bisphénol A entraînerait donc l'arrêt de la production en Belgique et rendrait les produits indisponibles sur le marché belge. Elle provoquerait par ailleurs un fléchissement du chiffre d'affaires, avec à la clé une diminution de la marge bénéficiaire et des réductions d'effectifs.
Le bisphénol A est également utilisé dans des composants en matière plastique d'appareils ménagers et de machines et installations pour l'alimentation. Les fabricants d'appareils ménagers et de sanitaires, ainsi que de machines et d'installations pour les cuisines de collectivités et pour l'industrie de l'alimentation et de la boisson utilisent en effet dans toutes sortes d'applications des composants en polycarbonate comme « verre de sécurité transparent et incassable ». Exemples:
— verre incassable indicateur de niveau pour des mesures de niveau et de débit;
— morceaux de tuyaux incassables et transparents pour le contrôle de flux;
— bols et couvercles transparents incassables pour mixeurs;
— capuchons ou couvercles transparents de machines entrant en contact avec des aliments;
— récipients métalliques avec couvercles transparents;
— huiliers et vinaigriers sur support (métallique);
— gobelets de salle de bain sur support (métallique);
— gobelets incassables.
Les fabricants d'appareils ménagers et de sanitaires, ainsi que de machines et d'installations pour les cuisines de collectivités et pour l'industrie de l'alimentation et de la boisson ne fabriquent pas d'emballages destinés à un emploi de courte durée, mais bien des produits à utiliser sur le long terme (5 à 10 ans). Ils respectent la loi: tests de migration, déclaration de conformité, traçabilité, etc. Leurs mesures attestent l'absence de migration du bisphénol A, ce qui explique précisément pourquoi ils utilisent du polycarbonate comme matière première. Pourquoi faudrait-il donc interdire le bisphénol A alors qu'il est indétectable, même à l'aide d'instruments de mesure hypersensibles ? Ces entreprises ne disposent d'aucune alternative valable pour fabriquer des matériaux répondant à une bonne combinaison de critères: » sans risques, incassables, résistant au lave-vaisselle et aux chutes, et transparents « . De la déclaration publiée par l'EFSA sur la base d'études scientifiques très approfondies, il ressort « qu'il n'est pas nécessaire d'imposer d'autres restrictions du BPA ». Quant à d'éventuelles alternatives, les données concernant la sécurité pour l'homme et l'environnement ou la sécurité alimentaire sont par ailleurs rares, voire inexistantes. L'utilisation sur de longues périodes nécessite des tests de très longue durée en vue de l'adoption d'une alternative éventuelle qui, pour l'application envisagée, devra être techniquement et économiquement réalisable, plus sûre (preuves scientifiques à l'appui) et disponible en suffisance.
M. Pierre Cloquet, représentant de la European Metal Packaging Association (EMPAC), se borne à remettre une déclaration des fabricants d'emballages qui estiment avant tout que la problématique en discussion dépasse le cadre de la Belgique et doit être examinée dans une perspective européenne.
F. Exposé de M. Guy Gallet, conseiller, Politique alimentaire, FEVIA (Fédération de l'Industrie alimentaire)
M. Guy Gallet, conseiller, Politique alimentaire, FEVIA (Fédération de l'Industrie alimentaire), présente une série de chiffres clés de l'industrie alimentaire belge. Ce secteur compte plus de 5 000 entreprises, qui occupent au total 89 131 personnes. 95 % de ces entreprises — essentiellement des boulangeries — sont des PME. Elles réalisent un chiffre d'affaires de près de 40 milliards d'euros, dont 17 milliards à l'exportation.
En ce qui concerne l'évaluation technico-scientifique du bisphénol A, l'intervenant se rallie à l'exposé de l'orateur précédent. Il relève néanmoins que lors de la réunion conjointe d'experts du FAO et de l'OMS de novembre 2010, consacrée au bisphénol A, l'attention a été attirée sur le fait que les études épidémiologiques disponibles ne se prêtent pas à une analyse de risques, sur le caractère aléatoire d'une extrapolation des données toxicologiques des animaux aux humains et sur la biodisponibilité négligeable du bisphénol A ingéré par voie orale. En ce qui concerne l'analyse de risques, M. Gallet estime qu'une interdiction générale de l'utilisation de bisphénol A dans les emballages ne se justifie pas. Une telle interdiction serait dénuée de fondement scientifique et rien ne justifie d'invoquer le principe de précaution. Il s'agirait d'une mesure disproportionnée qui remettrait en cause l'objectif et la crédibilité de l'EFSA. Il s'avère en outre qu'il n'existe actuellement aucune véritable alternative en la matière.
Selon M. Gaillet, une interdiction du bisphénol A risquerait d'entraver le bon fonctionnement du marché intérieur européen. Qu'adviendrait-il en effet des denrées alimentaires importées dont l'emballage contient du bisphénol A ? Il faut savoir que 50 % des denrées alimentaires disponibles sur le marché belge sont des produits importés, si bien qu'une mesure d'interdiction constituerait un désavantage concurrentiel pour les producteurs belges. D'ailleurs, existe-t-il des emballages équivalents sans bisphénol A ? La réponse est négative: selon les fournisseurs, aucun produit alternatif ne permet de garantir la même qualité, les mêmes propriétés fonctionnelles et la même sécurité.
Une interdiction du bisphénol A pourrait dès lors avoir de graves conséquences économiques. Elle pourrait déboucher sur un arrêt de la production dans les entreprises concernées, sur une pénurie de certains produits dans les rayons des magasins et sur une perte de compétitivité par rapport aux autres États membres et pays tiers.
G. Discussion
M. Mahoux remarque qu'on évoque les risques du bisphénol depuis 1936. Comment se fait-il que, depuis tout ce temps, on ait investi tellement dans son application ?
Si l'on établit un parallèle avec l'amiante, il s'est écoulé des années entre le moment où l'on a commencé à s'interroger sur les dangers de la substance et le moment où la décision de l'interdire a été prise. On en connaît les conséquences, à savoir l'apparition de nombreux cas de maladies et cancers liés à l'utilisation de l'amiante, avec un temps de latence très long entre l'exposition à la substance et l'apparition de la maladie.
Le sénateur souligne qu'il n'a lui-même aucun intérêt propre à l'interdiction du bisphénol A. Il faut se baser sur des études réalisées en toute indépendance. À cet égard, il est assez surprenant que l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) rende un avis favorable, que sa composition politique soit contestée, de même que les antécédents de sa présidente concernant certains liens avec l'industrie, et que s'ensuive une décision de la Commission européenne d'interdire le bisphénol A dans les biberons.
Les représentants de l'industrie ont contesté la concordance entre ce qui se passe chez le rat et chez l'être humain. Or, le professeur Bernard a précisément insisté sur la métabolisation rapide qui différencie l'homme et le rat, ce qui rend la situation encore plus dangereuse pour l'homme. Cependant, le membre souhaiterait des précisions quant à l'effet toxique qui se produirait avant l'absorption.
Pour conclure, l'intervenant constate que tous les scientifiques qui ont été invités s'accordaient sur la nécessité de respecter un principe de précaution, et que plusieurs allaient même plus loin en estimant que la toxicité du bisphénol A était établie à certains niveaux.
L'effet du bisphénol A se produit essentiellement par l'ingestion. Dans le cas d'une femme enceinte, il y a contamination du ftus via le placenta. Le problème à ce stade ne tient pas tellement au dosage qu'à la situation particulièrement fragile du récepteur.
Mme Thibaut remarque que les représentants de l'industrie ont objecté qu'il faudrait dix ans pour développer et tester de nouvelles alternatives. Peut-être faudrait-il amender la proposition de loi afin d'y introduire un « phasing out » pour l'abandon du bisphénol. Mais la membre rappelle que les dangers du bisphénol sont évoqués depuis des années et que l'industrie n'a jamais établi de calendrier pour le remplacement de cette substance.
Tout le monde s'accorde sur le principe de précaution. Or, l'étude présentée par le professeur Bernard a de quoi inquiéter: cela signifie-t-il que l'eau du robinet ne devrait pas être consommée par les enfants de moins de dix ans ?
Quelle est la stabilité du bisphénol A ? Est-il cassant ? Y a-t-il aujourd'hui des tests relatifs à la déformation ?
Plusieurs propositions de loi sont à l'examen. Les scientifiques, quant à eux, en appellent à approfondir la recherche, notamment au sujet de la transmission, ainsi qu'à mettre en place une coordination internationale. C'est pourquoi la sénatrice annonce le dépôt d'une proposition de résolution en ce sens.
M. Bernard, professeur en toxicologie, interroge les représentants de l'industrie sur la possibilité de se contenter de récipients métalliques dépourvus de couverture en plastique.
M. Torfs demande aux deux experts scientifiques présents s'ils sont d'accord entre eux ou s'ils ont eux-mêmes des divergences d'opinion au sujet de la toxicité du bisphénol A.
La nocivité est-elle une notion objective ou dépend-elle de la personne concernée ?
On parle beaucoup du principe de précaution mais quel est le degré de précaution raisonnable ?
Enfin, le sénateur s'interroge sur les conclusions qu'on peut tirer de l'étude présentée par le professeur Bernard au sujet de la fertilité. Il existe tellement de variables qui ne peuvent être prises en considération. Quelle est dès lors la fiabilité d'une telle étude ?
M. Scheys est d'avis que la comparaison avec l'amiante relève de la pure démagogie. On ne trouverait pas au niveau européen de commission scientifique composée de 28 membres qui autoriserait l'utilisation de l'amiante telle qu'on l'a autorisée dans le passé. Or, l'année passée, au niveau européen, une commission composée de 28 scientifiques reconnus (toxicologues, experts dans les questions de mise en contact avec la nourriture, médecins, etc.) a étudié le problème et 27 parmi eux ont admis que les normes actuelles étaient sûres. Un seul a marqué son désaccord.
Que doivent faire les industriels ? Décider d'abandonner un produit existant, dont l'utilisation est validée depuis des années par des experts scientifiques, pour chercher des solutions tout à fait nouvelles, dont personne ne sait à l'heure actuelle ce qu'elles seront ?
M. Mahoux réplique qu'il n'essaie pas de convaincre les représentants de l'industrie. L'amiante constituait un exemple parmi d'autres. Le DDT a eu une action très positive au début, avant qu'on ne se rende compte qu'on ne pouvait plus l'utiliser pour des raisons éthiques.
À la démagogie, le membre oppose l'éthique. Dans cette approche doit intervenir la totalité des facteurs: non seulement ceux évoqués par l'industrie mais aussi l'impact social, la dangerosité, etc.
M. Bernard, toxicologue, revient sur le problème de l'absorption du bisphénol A. Il est très important de constater que l'absorption se fait avant d'arriver au foie. Les études ont montré la présence de récepteurs sur la barrière intestinale. C'est un effet local. Ces découvertes remettent totalement en question le raisonnement de l'EFSA qui se fonde sur l'excrétion.
Il faut être conscient aussi du fait que le bisphénol A n'est pas la seule substance dont il faut s'inquiéter. Stigmatiser les perturbateurs endocriniens est à la mode. M. Bernard rappelle le cas de l'entreprise Belovo qui avait soi-disant utilisé un antibiotique. Or, on a découvert que la substance incriminée, présente en grande quantité dans les pots pour bébé, provenait en réalité du couvercle.
On ne peut pas demander aux scientifiques d'identifier les risques exacts de ces produits pour les bébés de 1 ou 2 ans, alors qu'on ne peut pas réaliser d'études sur ceux-ci. Le principe de précaution n'est pas évident à cerner. Mais l'effort que l'industrie doit produire consiste à minimiser l'exposition. Il s'agit d'une démarche de prévention face à une substance potentiellement toxique d'une part et des groupes à risque d'autre part. Si l'industrie ne trouve pas de substitut, elle doit améliorer les procédés existants. C'est en ce sens qu'il convient d'aller et non s'accrocher à la directive « Reach » ou aux avis de l'EFSA qui peuvent changer complètement demain.
M. Scheys réplique que, si les scientifiques se mettent d'accord sur une limite pour le taux de migration, l'industrie suivra. L'industrie veut se baser sur des règlements solides, fondés sur l'avis d'une majorité de scientifiques. Ce n'est pas à l'industrie à déterminer ce qui est bon ou mauvais. L'industrie fabrique des produits avec les matériaux les mieux adaptés, dans le cadre légal créé par l'Europe.
M. Bos ajoute que, dans les procédés utilisés pour le polycarbonate, des efforts maximaux sont faits pour éviter les résidus de bisphénol A. De la sorte, si les avis évoluent, l'industrie pourra suivre.
M. Mahoux est d'avis que la recherche est multimensionnelle dans de nombreux secteurs. Néanmoins, il est évident que le moteur de la recherche diffère selon qu'elle est menée par l'industrie ou par le monde scientifique.
Lorsqu'on a découvert le DDT, on entendait abandonner la recherche sur les moyens de lutte contre la malaria puisque la maladie allait être éradiquée par le DDT. Découvrir un moyen de lutte ne dynamise pas la recherche.
Enfin, le membre attire également l'attention sur la présence de bisphénol A dans les tickets de caisse. Il est tout de même remarquable qu'une grande chaîne de magasins en France ait décidé de supprimer l'usage du bisphénol dans ses tickets de caisse.
M. Gallet revient sur l'exemple du semi-carbazide mentionné par le professeur Bernard. Il s'agit là d'une illustration parfaite de la façon dont les autorités européennes et l'industrie de l'emballage ont travaillé de concert pour résoudre le problème. L'industrie est toujours ouverte face à de nouveaux éléments apportés par la science et elle travaille constamment à l'amélioration de ses produits.
Cependant, comme on l'a déjà dit, de toutes les solutions testées, c'est toujours le bisphénol A qui a apporté les réponses les plus adaptées aux diverses questions qui concernent entre autres l'intégrité de l'alimentation, soit le « food safety ». À la question relative au « phasing out » du produit, on ne peut donc que répondre que l'on travaille toujours sur les mêmes bases parce qu'on n'a pas encore trouvé d'alternative au BPA, lequel est toujours considéré comme un produit acceptable au niveau de la santé publique.
La liste des ingrédients pouvant être utilisés dans le « coating » se réduisant constamment, cela ne facilite pas la tâche de l'industrie.
La déformation du contenant constitue un élément très important car si un « coating » ne résistait pas à une déformation de la canette, la propriété de barrière entre le produit fini et le métal ne serait plus garantie. L'élasticité constitue donc une caractéristique primordiale.
Vu la controverse persistante, M. Tytgat trouve intéressant de consulter un article paru il y a deux mois dans la « Critical Review of Toxicology ». Cet article conclut en seize points. On y affirme notamment que la dose journalière admissible pour le BPA est scientifiquement fondée et que les études réalisées sur les rongeurs peuvent être utilisées comme une base valide pour l'évaluation des risques sur les humains. Des études de biomonitoring réalisées dans plusieurs pays ont montré que l'exposition estimée de l'homme au bisphénol A se situait bien en dessous de la dose journalière tolérée pour la population en général. Il y a une exception: une exposition systémique élevée a été enregistrée auprès des nouveaux-nés en soins intensifs. Dans ce cas, cela ne vient pas de la nourriture mais du plastique des tuyaux utilisés pour maintenir le bébé en vie.
À sa connaissance, il n'y a pas eu d'article plus récent qui ait tout appréhendé tant sur le plan scientifique que juridique. Or, celui-ci a conclu que la dose journalière admissible pour le bisphénol A était adéquate et justifiée sur le plan scientifique et qu'il n'y avait donc pas de risque notable pour la santé de la population, en ce compris les bébés.
Il s'agit d'un article publié sur le site de PubMed, lequel s'adresse aux scientifiques et au monde académique, non à l'industrie.
L'opinion du professeur Tytgat ne represente que celle d'un seul toxicologue. Mais l'article en question provient de nombreux experts et le professeur n'a certainement pas la prétention de mettre en doute leurs conclusions.
En conclusion, il n'y a pas de raison contraignante de modifier la dose journalière admissible. Par contre, il est nécessaire de continuer à étudier la molécule.
M. Torfs dit avoir l'impression que le professeur Bernard est plus critique vis-à-vis du bisphénol A que le professeur Tytgat.
M. Tytgat confirme cette divergence d'opinion.
M. Mahoux souligne quand même que les nombreux experts qui ont été invités par la commission allaient tous dans le même sens.
Pour le membre, l'élément le plus important tient à la nature du récepteur, c'est-à-dire le stade de son développement. On vise ici l'enfant, depuis le stade ftal jusqu'à celui de la petite enfance. Ce n'est pas un hasard si la Commission européenne a interdit le bisphénol A dans les biberons. Le plus urgent, c'est d'interdire la substance dans les biberons et les petits pots pour bébé.
M. Bouckaert cite une étude récente réalisée par le professeur Covacci à l'Université d'Anvers (Département de biologie moléculaire) intitulée « Food additives and contaminates 2010 ». Il s'est basé sur le nombre de canettes, de bouteilles et de boîtes de conserve que le Belge utilise chaque année. Il en déduit une estimation de 1,05 microgrammes de bisphénol ingéré par jour. Comparé à un poids de 70 kilogrammes, cela représente 0,02 microgrammes par kilogramme par jour. C'est beaucoup moins que la dose limite admissible.
M. Bernard souligne le problème éthique dans la question qui les occupe. Une maman cherche à faire le maximum pour son enfant. Si elle est sensibilisée à la question du bisphénol, elle peut opérer des choix.
Il se rallie à l'intervention de M. Mahoux qui englobe dans la problématique des biberons celle des petits pots pour bébé. Ceux-ci sont aussi concernés par la réaction de Maillard puisqu'on les chauffe avant de les consommer. Se dégagent alors des substances telles que le cad méthyl imidazole, relevant du groupe 2 cancérogène pour l'animal.
La société est en train de modifier la qualité de l'alimentation des enfants. Il faut absolument mettre l'accent sur les personnes visées à un âge précoce.
M. Bouckaert signale que les tests en cas de chauffage — et de chauffage répété — des aliments ont été réalisés et que leurs résultats ont été intégrés dans l'évaluation du risque.
Par ailleurs, il est surpris d'entendre qu'on ne peut faire de prélèvement de sang ou d'urine chez des enfants en dessous de dix ans. C'est quand même étrange alors qu'un nouveau-né se voit déjà prélever du sang dans les premières heures qui suivent sa naissance.
Une étude est en cours en Région flamande au sein du VITO (Vlaamse instelling voor technologisch onderzoek), qui porte sur des jeunes adultes et des enfants. Il lui semblait que les enfants de moins de dix ans étaient aussi concernés.
M. Bernard explique qu'on a renforcé les législations éthiques applicables aux études sur les jeunes enfants et que, dans une certaines mesure, ce renforcement se retourne contre les enfants puisqu'on ne peut plus réaliser d'études qui les concernent. La science est bloquée par ces normes éthiques extrêmement sévères.
M. Tytgat réplique qu'il existe des études mais elles présentent certes de grosses lacunes.
Mme de Bethune demande si la présence de bisphénol A dans les jouets est dangereuse, étant donné que ces objets sont destinés aux enfants.
M. Tytgat répond que, si l'on compare la quantité de bisphénol A qui pourrait être libérée par les biberons avec celle qui proviendrait des jouets, cette dernière est beaucoup plus faible. Le contact avec le bisphénol est beaucoup plus limité, puisqu'il faut mettre le jouet en bouche, le mordiller.
M. Cloquet revient sur la question relative à la possibilité d'utiliser du fer non traité. Les boîtes de conserve doivent dans certains cas avoir une durée de vie d'environ cinq ans. En métal non traité, aucune ne tiendrait. La rouille et donc l'impossibilité de garantir l'intégrité du contenu poserait alors un problème de santé publique.
L'utilisation de produits pour traiter le métal dans ce contexte ne serait-elle pas plus nocive que ce que l'on utilise actuellement ? C'est à nouveau la même question qui se pose.
(1) Les annexes sont disponibles en version électronique sur le site du Sénat (http://www.senat.be).