5-1442/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2011-2012

18 JANVIER 2012


Proposition de résolution relative à la 8e Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) consacrée au cycle de négociation de Doha pour le développement (15 au 17 décembre 2011)

(Deposée par Mme Olga Zrihen et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Instauré en 2001, le cycle de Doha pour le développement connaît depuis 2008 de réelles difficultés qui ne permettent pas actuellement d'atteindre un accord global sur l'ensemble des questions traitées.

En effet, la 8e Conférence ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) prévue du 15 au 17 décembre 2011 doit normalement consacrer une conclusion équilibrée du Cycle de Doha prenant en considération les évolutions géopolitiques qui ont marqué cette dernière décennie. Toutefois, les pays membres de l'OMC sont contraints d'acter leurs divergences sur plusieurs questions concernant les pays les moins avancés (PMA) (1) — à savoir ce qu'il est convenu d'appeler le « paquet PMA + » — et paralysent la fonction de négociation de l'OMC tout en consacrant sa difficulté d'adaptation aux nouvelles réalités et nécessités du commerce mondial en vue d'obtenir un accord général équitable et durable.

Les principaux points d'achoppement dans ces discussions sont actuellement au nombre de cinq:

1) l'accès au marché agricole

Les États-Unis ont actuellement des droits de douanes bien inférieurs à ceux des pays européens ou des économies émergentes. Ils demandaient par conséquent une baisse de 90 % des droits de douane les plus élevés sur les produits agricoles et une réduction moyenne de 66 % des droits de douane pour les pays développés. Afin de répondre à cette exigence, l'Union européenne a accepté d'augmenter son offre initiale (39 % de réduction en moyenne) pour se rapprocher de la position du G20, à savoir 54 %. Malgré cette démarche, les États-Unis ont jugé cet effort insuffisant.

Les États-Unis ont par ailleurs également accusé l'Union européenne d'utiliser des produits sensibles afin de « contrebalancer » le niveau d'accès au nouveau marché qu'elle offrait (l'Union européenne souhaitant maintenir des tarifs plus élevés sur 8 % de ses produits agricoles). L'Union européenne a ainsi fait valoir qu'elle était déjà « très ouverte » aux exportations agricoles des pays en développement car elle offrait aux cinquante PMA un accès sans droit de douane et sans quota dans le cadre de l'initiative « Tout sauf les armes » (TSA), absorbant ainsi plus de produits agricoles de leur provenance que l'ensemble des autres pays développés réunis.

2) les subventions agricoles

Bien que l'agriculture ne représente que 8 % du commerce mondial, il s'agit de la principale source de revenus d'environ 2,5 milliards de personnes (surtout dans les pays en développement). Cependant, les agriculteurs des pays pauvres sont incapables de concurrencer les exportations fortement subventionnées en provenance de l'Union européenne, des États-Unis et du Japon.

Comme le demandaient les pays en développement, l'Union européenne a décidé de réduire de 75 %l'ensemble des subventions ayant des effets de distorsion des échanges. Le niveau de ces subventions européennes serait donc passé de 58,1 milliards d'euros en 2004 à environ 28 milliards d'euros aujourd'hui.

Les États-Unis, quant à eux, ont proposé de réduire leurs subventions de 53 %, ce qui aurait ramené le niveau des dépenses autorisées par l'OMC dans ce domaine à environ 22,7 milliards (contre 48,2 milliards). Cependant, l'Union européenne et le G20 craignent une hausse des subventions agricoles des États-Unis, étant donné que ces derniers n'ont dépensé que 19,7 milliards d'euros en subventions de ce type en 2005. Ils ont donc demandé une baisse allant de 60 % (proposition de l'Union européenne) à 75 % (proposition du G20) sans pour autant que cela soit accepté par les États-Unis.

3) l'accès au marché des produits industriels

La question de l'accès au marché des produits non agricoles (NAMA) a été abordée par les États-Unis et l'Union européenne en vue d'obtenir un accès aux énormes marchés des économies émergentes (BRIC). Dans le même temps, les pays en développement souhaitaient protéger leurs industries naissantes et maintenir leur accès privilégié aux marchés des pays riches.

Les négociateurs ont finalement décidé de réduire les droits de douane sur les produits industriels selon ce que l'on appelle la « formule suisse » (réduction des droits de douane les plus élevés et introduction d'un plafond des droits). Cependant, les négociations ne sont pas parvenues à définir la forme que devait prendre ses réductions ou à fixer le niveau de ce plafond. L'Union européenne et les États-Unis avaient proposé que les plafonds soient fixés à 10 % pour les pays développés et à 15 % pour les pays en développement. De leur côté, les pays en développement souhaitaient obtenir un plafond de 30 % pour eux-mêmes, ce qui aurait permis des réductions moyennes moins élevées.

Alors que l'Union européenne était prête à autoriser un plafond intermédiaire de 20 % pour les pays en développement, les États-Unis ont continué à demander à ce que le différentiel entre pays développés et en développement ne dépasse pas 5 %.

4) les services

Un accord ambitieux sur la libéralisation des services était dans l'intérêt de l'Union européenne (laquelle réalise 75 % de son commerce dans le domaine des services). Les échanges accrus dans ce domaine auraient également contribué à atteindre les objectifs pour le développement car les transports, les technologies de l'information et les télécommunications, les secteurs de la banque et de l'assurance sont la pierre angulaire d'une économie en croissance.

Cependant, les échanges dans le domaine des services doivent faire face à de nombreuses restrictions essentiellement dues à des réglementations nationales (telles que des normes techniques ou des systèmes d'attribution de licences).

Selon une étude du Centre d'étude prospectif et d'informations internationales (CEPII), une baisse de 25 % des droits de douane sur les services serait plus bénéfique pour toutes les parties qu'une baisse de 70 % dans le Nord et de 50 % dans le Sud des droits de douanes sur les produits agricoles. Par ailleurs, la Banque mondiale estime que les pays en développement pourraient augmenter leur revenu annuel de près de 900 milliards de dollars s'ils éliminaient leurs barrières douanières sur les services.

Les discussions à l'OMC ont essentiellement porté sur l'établissement d'une discipline parmi les membres afin que des réglementations domestiques ne viennent pas ajouter des entraves inutiles au commerce. Des progrès significatifs ont été faits dans ce domaine mais les négociations restent bloquées par l'absence de progrès sur la question de l'accès au marché des produits industriels et agricoles.

5) la facilitation des échanges

De nombreuses études montrent que la facilitation des échanges est bénéfique pour tous.

Une transparence accrue et une procédure uniformisée pour le passage en douane pourrait donner lieu à une hausse du PIB deux fois plus importante que celle obtenue grâce à la libéralisation des tarifs douaniers, notamment dans les pays en développement où les administrations douanières sont moins efficaces et organisées.

Le 26 juillet dernier, suite à la réunion informelle du Comité des négociations commerciales constatant l'état de blocage des négociations menées dans le cadre du Cycle de Doha au sein de l'OMC, son directeur général, Monsieur Pascal Lamy, appelait les gouvernements des États membres de l'Organisation à réfléchir à l'avenir de cette institution consacrée au commerce mondial. D'une manière plus précise était également demandé aux membres de réfléchir aux « perspectives pour le cycle de Doha et l'OMC » en vue de la 8e Conférence ministérielle de l'OMC prévue en décembre 2011.

Meme si une dérogation autorisant le traitement préférentiel des fournisseurs de service des PMA a été adoptée lors de la huitième Conférence ministérielle de l'OMC (17 décembre 2011), aucun accord définitif n'a été conclu pour 2011. Il importe dès lors de réitérer un total attachement à une approche multilatérale de la politique commerciale au profit des pays les plus fragiles. L'Union européenne, les États-Unis ainsi que les autres nouveaux grands acteurs économiques mondiaux réunis au sein du G20 doivent plus que jamais assumer leurs responsabilités et s'engager à parvenir au plus vite à un accord respectant pleinement l'esprit du cycle de Doha pour le développement.

Il est un fait que tout retard dans le cadre de la conclusion d'un accord commercial a un coût plus difficile à supporter pour les pays en développement que pour les pays appartenant au pays industrialisés ou émergents. Pour s'en convaincre, il suffit de constater que les États-Unis, comme l'Union européenne, restent libres de subventionner leurs plus importants producteurs agricoles et de continuer leur dumping, alors que les pays en développement luttent toujours pour assurer leur simple capacité de subsistance et leurs accès aux marchés des pays riches.

Par ailleurs, l'arrêt — le blocage — des discussions commerciales dans le cadre de l'OMC appelle les autorités compétentes à réfléchir à l'élaboration d'un « nouveau système commercial mondial reposant sur l'équité et la durabilité ».

Olga ZRIHEN.
Philippe MAHOUX.
Marie ARENA.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A) considérant le document final adopté par consensus à Genève le 22 mars 2011, à l'issue de la session annuelle 2011 de la conférence parlementaire sur l'OMC;

B) considérant les réunions informelles du Comité des négociations commerciales de l'OMC des 31 mai et 22 juin 2011, et les rapports des présidents des groupes de négociations présentés le 21 avril 2011;

C) considérant la déclaration du directeur général de l'OMC, Monsieur Pascal Lamy, faisant suite à la réunion informelle du Comité des négociations commerciales du 26 juillet 2011;

D) considérant les propositions de résolution B7-0000/2011 (7 juillet 2011) et B7-0478/2001 (7 septembre 2011) du Parlement européen sur l'état actuel des négociations autour du programme de Doha pour le développement;

E) considérant le point 13 de la Déclaration du deuxième sommet du Forum Afrique-Inde 2011 d'Addis Abeba (25 mai 2011) soulignant « [...] la nécessité d'un résultat global et équilibré du Cycle de Doha, de manière à renforcer son mandat en tant que « cycle de développement » [afin de dissiper] les préoccupations des pays en développement en matière de moyens de subsistance, de sécurité alimentaire et de développement rural [...] »;

F) rappelant l'objectif initial du cycle de Doha lancé en novembre 2001 visant l'émergence d'un système d'échanges commerciaux mondial équitable, règlementé, juste et durable via notamment le renforcement des règles multilatérales du commerce au service du développement de tous les continents;

G) réaffirmant son attachement à une approche multilatérale de la politique commerciale dans une perspective de développement global et équilibré;

H) constatant l'enlisement depuis juillet 2008 des négociations liées au cycle de Doha pour le développement et considérant, malgré l'enregistrement de quelques progrès dans le domaine de ces négociations depuis début 2011 (telle l'adoption d'une dérogation autorisant le traitement préférentiel des fournisseurs de service des PMA lors de la huitième Conférence ministérielle de l'OMC — 17 décembre 2011), et qu'aucun accord définitif n'a été acquis en la matière;

I) préoccupé par le fait qu'aucun progrès significatif n'ait été réalisé en ce qui concerne les questions clefs qui intéressent les pays en développement et considérant que les intérêts de ces derniers (PMA compris) doit rester au cœur de négociations,

Demande au gouvernement:

1) d'exhorter les principales parties prenantes du cycle de Doha à accorder la priorité à la résolution de toutes les questions qui sont d'une importance cruciale pour les pays en développement, notamment en ce qui concerne les questions de négociation sur l'agriculture;

2) d'insister auprès des principales parties prenantes du cycle de Doha sur le fait qu'en raison des fluctuations récentes des prix alimentaires, les règles régissant le commerce international doivent contribuer à une plus grande sécurité alimentaire;

3) d'inviter les autorités européennes, les États-Unis ainsi que les autres nouveaux grands acteurs économiques mondiaux réunis au sein du G20 à réorienter le processus de négociation du cycle de Doha sur base des progrès relevés au sein des rapports des présidents des groupes de négociation (présentés le 21 avril 2011) en vue de l'obtention d'un accord équitable et durable en matière de commerce international qui prenne réellement en compte les intérêts des pays en développement, voire en ouvrant un nouveau cycle;

4) de rappeler à l'ensemble des « pays développés » et des « pays en développement avancé » la pertinence de l'initiative européenne « Tout sauf les armes » (TSA) — garantissant un accès au marché totalement hors taxe et quota pour les PMA — et de les inviter à initier de pareils mécanismes;

5) d'inciter les autorités compétentes de l'OMC et des États qui y sont membres à réfléchir à l'élaboration d'un « nouveau système commercial mondial reposant sur l'équité et la durabilité » afin de tendre vers une OMC réformée plus efficace, transparente et légitime;

6) dans une perspective de réforme du système commercial international, de plaider pour une réelle coordination entre l'OMC et l'Organisation internationale du travail (OIT) afin de tendre vers une meilleure cohérence des politiques en matière d'emploi (ayant notamment pour base les huit conventions de l'OIT en la matière).

30 novembre 2011.

Olga ZRIHEN.
Philippe MAHOUX.
Marie ARENA.

(1) Ces questions centrales concernant les PMA sont l'accès aux marchés en franchise de droits et sans contingent (FDSC) pour leurs exportations vers les pays les plus riches, la simplification des règles pour déterminer si les produits proviennent de pays moins avancés, une dérogation exemptant les pays moins avancés d'engagements concernant le commerce des services, et des réductions supplémentaires des subventions et des obstacles au commerce dans le secteur du coton.