5-1419/1

5-1419/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2011-2012

23 DÉCEMBRE 2011


Proposition de loi modifiant l'article 329bis et 332quinquies du Code civil afin de permettre au tribunal de tenir compte de l'intérêt de l'enfant, quelque soit son âge, pour refuser la reconnaissance si celle-ci est manifestement contraire à cet intérêt

(Déposée par Mme Christine Defraigne et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


Le 16 décembre 2010, la Cour constitutionnelle a rendu un arrêt (1) répondant à une question préjudicielle que lui avait adressée le tribunal de première instance de Bruges. L'objet de cette question était le suivant: l'article 329bis, § 2, alinéa 3, du Code civil est-il discriminatoire au regard des articles 10 et 11 de la Constitution ?

Cette disposition permet à un tribunal de refuser la reconnaissance, hors mariage, d'un enfant âgé d'un an ou plus lorsqu'elle est manifestement contraire à l'intérêt de celui-ci; mais lorsque la demande de reconnaissance est introduite dans l'année qui suit la naissance, seul un contrôle de la réalité biologique peut avoir lieu. La reconnaissance n'est dès lors refusée que s'il est prouvé que le candidat à la reconnaissance n'est pas le père biologique.

La reconnaissance d'un enfant est un mode subsidiaire d'établissement de la filiation qui se réalise par un acte juridique unilatéral par lequel une personne déclare qu'il existe un lien de maternité ou de paternité entre elle et l'enfant concerné, qui est alors constaté avec un effet rétroactif. La volonté de l'auteur de la reconnaissance est fondamentale au point de permettre l'établissement d'une filiation non conforme à la vérité biologique.

Dans une procédure en reconnaissance de paternité ou maternité, si le candidat à la reconnaissance n'obtient pas les consentements exigés, il peut directement introduire un recours devant le tribunal de première instance par voie de citation. Ainsi, le candidat à la reconnaissance, qui se heurte au refus de consentement de la mère, peut agir en autorisation de reconnaissance.

Si le tribunal de première instance n'arrive pas à concilier les parties, la demande de reconnaissance est rejetée s'il est prouvé que le demandeur n'est pas le père ou la mère biologique de l'enfant. C'est la vérité biologique qui prime.

Par ailleurs, la loi distingue deux cas. Si l'enfant est âgé de moins d'un an au moment de l'introduction de la demande, le tribunal doit autoriser la reconnaissance. Si l'enfant est âgé d'un an ou plus au moment de l'introduction de la demande, dans ce cas, le tribunal peut refuser la reconnaissance dès lors que celle-ci s'avère « manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant ». Il appartient alors à celui qui s'oppose à la reconnaissance de démontrer en quoi l'établissement de la filiation serait, in casu, contraire à l'intérêt de l'enfant.

C'est ce que l'article 329bis, § 2, alinéa 3, du Code civil organise. Ainsi, si la demande concerne un enfant âgé de plus d'un an, il est prévu que le tribunal peut, malgré la réalité biologique, refuser la reconnaissance si celle-ci est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant. En revanche, pour les enfants de moins d'un an, le législateur a estimé qu'il fallait tenir compte de la réalité biologique et qu'il fallait, dès lors, dans une mesure limitée, faire primer celle-ci. C'est pour cette raison qu'il a prévu une présomption légale de non-contradiction manifeste avec l'intérêt de l'enfant si la demande de reconnaissance était introduite rapidement.

Le législateur semble, toutefois, avoir voulu indiquer que le contrôle devait rester marginal (2) . La jurisprudence (3) considère également que « le mot « manifestement » conduit à considérer que le contrôle est marginal et que la reconnaissance ne devra être écartée que lorsqu'elle ferait craindre une situation gravement préjudiciable à l'enfant ».

Lors de la réforme de 2006, en établissant une condition particulière pour les enfants âgés d'un an ou plus, la volonté du législateur était donc de conférer au tribunal le pouvoir d'apprécier si la reconnaissance correspond ou non à l'intérêt de l'enfant dès lors que le candidat à la reconnaissance agit « tardivement », soit, dans l'esprit du législateur, plus d'un an après la naissance de l'enfant (4) .

Le choix de réserver un sort différent aux enfants selon qu'ils sont âgés de plus ou de moins d'un an ne faisait pourtant pas l'unanimité lors des travaux préparatoires (5) .

Le Conseil d'État avait, d'ailleurs, à l'époque, attiré l'attention du législateur sur cette question en ces termes: « Le Conseil d'État s'interroge sur la compatibilité, au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, de la différence que font, par rapport à la prise en compte de l'intérêt de l'enfant, les articles 329bis, § 2, alinéa 4, et § 3, alinéa 5, 330, § 4, et 332quinquies, en projet, selon que l'enfant a atteint ou non l'âge d'un an. En effet, ce n'est que si l'enfant a atteint l'âge d'un an qu'une reconnaissance ou qu'une action en contestation ou en recherche de paternité ou de maternité, même fondée au point de vue biologique, peut être refusée pour contrariété manifeste à l'intérêt de l'enfant. La pertinence de ce critère devrait être établie par rapport au principe d'égalité tel qu'il est appliqué dans la jurisprudence de la Cour d'arbitrage (6)  ».

Malgré cette position du Conseil d'État, le législateur a décidé de maintenir cette distinction en soutenant que « toute différence de traitement n'est pas nécessairement une discrimination, pour autant qu'elle soit justifiée par un objectif approprié. En l'espèce, le gouvernement a estimé qu'il n'y avait pas de discrimination, la différence de traitement étant justifiée par l'objectif de favoriser le lien biologique, en tout cas lorsque le père prend ses responsabilités dans la première année de la naissance de l'enfant, ou de la prise de connaissance de celle-ci », estimant « qu'il pouvait paraître curieux qu'un homme attende plus d'un an avant de reconnaître son enfant, le point de départ du délai étant évidemment la prise de connaissance de la naissance » et que dès lors « il pourrait s'agir d'un indice que [la reconnaissance] pourrait être contraire à l'intérêt de l'enfant (7)  ».

On peut, malgré tout, se demander si la durée d'un an, ainsi établie par le législateur, est un critère suffisamment pertinent pour considérer qu'une reconnaissance est ou n'est pas conforme à l'intérêt de l'enfant. En outre, les arguments avancés par le législateur sont loin d'être convaincants.

En effet, il faut prendre en considération le fait que, contrairement à ce qui était soutenu lors des travaux préparatoires, le critère retenu par le législateur à l'article 329bis du Code civil n'est pas le délai écoulé entre la prise de connaissance de la naissance et la reconnaissance mais exclusivement l'âge de l'enfant.

Dès lors, par application de ce texte, si le père apprend la naissance de son enfant après trois ans et malgré le fait qu'il agit immédiatement, le tribunal va contrôler la conformité de la reconnaissance exclusivement par rapport à l'intérêt de l'enfant sans prendre en considération le fait qu'il ne s'est même pas écoulé un an depuis la prise de connaissance de la naissance.

En vertu de cette règle, comment le législateur peut-il justifier une différence de traitement avec le père qui apprend la naissance lorsque celle-ci a lieu et qu'il agit dans le même délai mais que cette fois, l'enfant n'a pas atteint l'âge d'un an ?

La question s'est rapidement posée de savoir si l'article 329bis du Code civil n'était pas contraire à la Constitution. Le tribunal de première instance de Liège a été saisi d'une affaire dont les faits sont les suivants (8) : un couple se sépare alors que madame est enceinte. Monsieur souhaite reconnaitre l'enfant dès avant la naissance mais madame s'y oppose. Monsieur saisit le tribunal afin d'obtenir l'autorisation de reconnaitre l'enfant à naître (article 328bis du Code civil). Devant le tribunal, madame refuse de consentir à la reconnaissance mais ne conteste pas la filiation biologique de monsieur à l'égard de l'enfant. D'après le texte légal, le tribunal aurait dû passer outre le refus de consentement de la mère et autoriser la reconnaissance sans opérer de contrôle de conformité à l'intérêt de l'enfant et cela en vertu du fait que l'enfant n'étant pas encore né, il n'a pas atteint l'âge d'un an ou plus. Dans cette affaire, la mère fait toutefois valoir que la distinction établie par la loi entre les enfants de plus d'un an et de moins d'un an entraîne une discrimination justifiant que le tribunal pose à la Cour constitutionnelle une question préjudicielle.

Le tribunal ne répondra pas à la demande de la mère et ne posera pas de question préjudicielle relative à la constitutionnalité de l'article 329bis du Code civil à la Cour constitutionnelle dès lors qu'en l'espèce, la reconnaissance ne lui paraît pas contraire à l'intérêt de l'enfant.

Le tribunal invoquera, pour esquiver le recours à la Cour constitutionnelle, que l'article 26, § 2, 2º, in fine, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 permet que la juridiction dont la décision est susceptible d'appel, d'opposition, de pourvoi en cassation ou de recours en annulation au Conseil d'État, n'est pas tenue de poser la question à la Cour constitutionnelle lorsqu'elle estime que la réponse à la question préjudicielle n'est pas indispensable pour rendre sa décision.

En l'espèce, le tribunal va constater que même si l'enfant était âgé de plus d'un an, il ne faudrait pas refuser la reconnaissance au nom de son intérêt, dès lors, la réponse à la question préjudicielle envisagée n'est pas nécessaire à la solution du litige.

On se demandera légitimement si le tribunal ne considère pas implicitement que la distinction opérée entre les enfants d'un an ou plus et ceux de moins d'un an est discriminatoire dès lors qu'il examine si, en l'espèce et s'agissant d'un enfant de moins d'un an, il est de l'intérêt de l'enfant que la reconnaissance ait lieu.

En effet, respecter la disposition légale eut dû le conduire à considérer que, l'enfant étant âgé de moins d'un an, il ne lui appartenait pas de se pencher sur la question de son intérêt à voir sa filiation paternelle établie ou non, sauf à poser à la Cour constitutionnelle la question soulevée par la mère.

En d'autres mots, pour affirmer que la question de l'anticonstitutionnalité de l'article 329bis nouveau du Code civil ne se pose pas, le tribunal ne l'applique pas.

Jusqu'à il y a peu, aucun tribunal face à une affaire portant sur l'article 329bis du Code civil, n'a saisi l'occasion de voir la Cour constitutionnelle se prononcer sur la discrimination éventuelle instaurée par le législateur.

Depuis le 16 décembre 2010, c'est chose faite puisque la Cour constitutionnelle a été amenée à rendre un arrêt suite à une question préjudicielle relative à l'article 329bis, § 2, alinéa 3, du Code civil, posée par le tribunal de première instance de Bruges.

La Cour constitutionnelle fait remarquer que la Convention européenne relative aux droits de l'enfant dispose que « dans toutes les décisions concernant les enfants, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ».

Ce que confirme l'article 22 de la Constitution belge qui énonce que: « Dans toute décision qui le concerne, l'intérêt de l'enfant est pris en considération de manière primordiale. »

Comme la Cour l'a déjà observé dans son arrêt nº 66/2003 du 14 mai 2003, il peut exister des cas dans lesquels l'établissement juridique de la filiation paternelle d'un enfant cause à celui-ci un préjudice. Si, en règle générale, on peut estimer qu'il est de l'intérêt de l'enfant de voir établie sa double filiation, on ne peut présumer de manière irréfragable que tel soit toujours le cas.

Toujours selon la Cour, si l'âge d'un an constitue un critère objectif, il ne saurait être considéré comme pertinent au regard de la mesure en cause. Rien ne peut justifier que le juge saisi d'une demande de reconnaissance de paternité prenne en considération l'intérêt de l'enfant lorsqu'il est âgé de plus d'un an mais ne puisse en tenir compte lorsque l'enfant a moins d'un an.

En outre, en ce qu'elle a pour conséquence que l'intérêt d'un enfant âgé de moins d'un an n'est jamais pris en compte lors de l'établissement de sa filiation paternelle par reconnaissance, cette mesure porte une atteinte disproportionnée aux droits des enfants concernés.

En effet, la mesure en cause a pour conséquence que le juge ne peut jamais rejeter la demande de reconnaissance si la demande a été introduite avant que l'enfant à reconnaître ait atteint l'âge d'un an et s'il est établi que la personne qui souhaite reconnaître l'enfant est le père biologique de l'enfant.

La Cour est donc arrivée à la conclusion que cette disposition violait bel et bien les articles 10 et 11 de la Constitution en raison de l'absence de toute possibilité de contrôle judiciaire portant sur l'intérêt de l'enfant mineur non émancipé à voir établie la filiation paternelle par reconnaissance dans l'hypothèse visée à l'article 329bis, § 2, alinéa 3, du Code civil.

Par le biais de cette proposition de loi, les auteurs entendent répondre aux griefs formulés par la Cour dans son arrêt du 16 décembre 2010. Dès lors, bien que l'intention du législateur de faire primer l'intérêt de l'enfant est louable, il parait peu justifié d'établir une distinction entre les enfants ayant un an ou plus et les autres.

En effet, pour quel(s) motif(s) légitime(s) en soi la prise en considération de son intérêt serait-elle plus adaptée à sa situation lorsque l'enfant a un an ou plus ? N'y aurait-il pas matière à réfléchir, notamment lorsque le juge se trouverait face à des enfants d'une même fratrie dont certains auraient un an ou plus mais pas tous ? Pourquoi l'intérêt de l'un d'entre eux devrait être pris en considération et pas l'intérêt des autres ?

Une même distinction entre les enfants âgés d'un an ou plus et les autres existe dans d'autres dispositions du Code civil, ainsi:

1. L'alinéa 5 du paragraphe 3 de l'article 329bis du Code civil dispose que « les parties entendues, le tribunal statue sur l'action en nullité. II annule la reconnaissance s'il est prouvé que la partie défenderesse n'est pas le père ou la mère biologique. En outre, il annule la reconnaissance si elle est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant lorsque celui-ci est âgé d'un an ou plus au moment de l'introduction de la demande ».

2. Le paragraphe 2 de l'article 332quinquies du Code civil dispose que « Si l'opposition à l'action émane d'un enfant mineur non émancipé qui a douze ans accomplis, ou de celui des auteurs de l'enfant à l'égard duquel la filiation est établie, le tribunal ne rejette la demande, sans préjudice du paragraphe 3, que si elle concerne un enfant âgé d'au moins un an au moment de l'introduction de la demande, et si l'établissement de la filiation est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant. II n'est pas tenu compte de l'opposition de l'enfant interdit, en état de minorité prolongée ou dont le tribunal estime, en raison d'éléments de fait constatés par procès-verbal motivé, qu'il est privé de discernement ».

De la même manière que pour l'alinéa 3 du paragraphe 2 de l'article 329bis du Code civil, la distinction établie dans ces dispositions ne trouve sa source dans aucune justification valable, raison pour laquelle la présente proposition la supprime également.

Christine DEFRAIGNE.
Sabine de BETHUNE.
Zakia KHATTABI.
Guy SWENNEN.
François BELLOT.
Alain COURTOIS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution

Art. 2

Dans l'article 329bis du Code civil, inséré par la loi du 1er juillet 2006, les modifications suivantes sont apportées:

1º dans le paragraphe 2, alinéa 3, le membre de phrase « Lorsque la demande concerne un enfant âgé d'un an ou plus au moment de l'introduction de la demande, » est supprimé.

2º dans le paragraphe 3, alinéa 5, le membre de phrase « lorsque celui-ci est âgé d'un an ou plus au moment de l'introduction de la demande » est supprimé.

Art. 3

Dans l'article 332quinquies, § 2, alinéa premier, du même Code, inséré par la loi du 1er juillet 2006, le membre de phrase « si elle concerne un enfant âgé d'au moins un an au moment de l'introduction de la demande, et » est supprimé.

27 janvier 2011.

Christine DEFRAIGNE.
Sabine de BETHUNE.
Zakia KHATTABI.
Guy SWENNEN.
François BELLOT.
Alain COURTOIS.

(1) Cour constitutionnelle, 16 décembre 2010, n° 144/2010.

(2) Voir Jehanne Sosson, JT, 2007, n° 18/2007, pp. 365 et s., no 42.

(3) Voyez notamment: Civ. Liège (3e ch.) 16 mai 2008, Rev. trim. dr. fam., 2009, liv. 1, 211; TJK 2009 (sommaire Melkebeek, C.), liv. 4-5, 358 et Civ. Liège (3e ch.) 21 décembre 2007, Rev. trim. dr. fam., 2009, liv. 1, 196, note Mathieu, G; TJK 2009 (sommaire Melkebeek, C.), liv. 4-5, 358.

(4) Projet de loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci, Rapport fait au nom de la Commission de la justice par M. Willems, doc. Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/7, p. 42.

(5) Voy. à cet égard M. Demaret, « La réforme du droit de la filiation », Chroniques notariales, sous la direction de Y.-H. Leleu, Bruxelles, Larcier, 2006, nos 32 et 33; N. Massager, « La nouvelle loi sur la filiation », Droit des familles, sous la coordination de D. Pire, Commission Université-Palais, Université de Liège, Liège, Anthemis, 2007, p. 77, nos 28 et 29 et J. Sosson, « Le droit de la filiation nouveau est arrivé ! (deuxième partie) », JT, 19/2007, p. 391, n° 41.

(6) Avis de la section législation du Conseil d'État, doc. Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/2, p. 4.

(7) Rapport fait au nom de la Commission de la justice par M. Willems, doc. Sénat, 2005-2006, n° 3-1402/7, pp. 3, 11 et 12.

(8) Civ. Liège (3e ch.) 21 décembre 2007, Rev. trim. dr. fam., 2009, liv. 1, 196, note Mathieu, G; TJK 2009 (sommaire Melkebeek, C.), liv. 4-5, 358.