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M. Philippe Mahoux (PS). - Les États parties à la Convention sur certaines armes classiques (CCAC) du 10 octobre 1980 se réunissent en ce moment à Genève et ce, jusqu'au 25 novembre.
Selon certaines sources, plusieurs États parties - dont les États-Unis et la France - souhaiteraient l'adoption d'un texte (le Protocole VI) autorisant les pays à utiliser, à stocker et à commercialiser en toute impunité des bombes à sous-munitions.
Si un texte de cette nature était approuvé, ce serait une régression inacceptable en matière de droit international humanitaire eu égard aux engagements pris dans le cadre de la Convention sur les armes à sous-munitions, adoptée le 30 mai 2008 et qui compte aujourd'hui plus de 110 États signataires.
Les effets de ce type d'engagement seraient bien sûr considérables. D'abord, les États producteurs et utilisateurs de bombes à sous-munitions pourraient justifier légalement leur activité. Ensuite, les États susceptibles de signer la Convention sur les armes à sous-munitions pourraient en être dissuadés face à ce texte moins contraignant.
Quelle est la position défendue par la Belgique, qui est largement représentée à cette conférence, sur ce problème particulier ? La Belgique s'exprime-t-elle à ce sujet ? Si oui, de quelle manière ? Comment fait-elle valoir son point de vue vis-à-vis de la France et des États-Unis qui, si les informations qui nous sont données sont exactes, auraient tendance à défendre ce protocole additionnel ?
M. Steven Vanackere, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères et des Réformes institutionnelles. - La Belgique maintient la Convention sur les armes à sous-munitions comme référence et comme instrument prioritaire de droit international en la matière. Cette convention est totalement en phase avec notre loi nationale de 2006.
Des négociations finales sont en effet en cours au sein de la Conférence d'examen de la convention sur certaines armes classiques, à Genève, en vue d'adopter un nouveau protocole (le Protocole VI) qui limiterait jusqu'à un certain point l'usage des armes à sous-munitions. Ce texte ne va pas aussi loin que la Convention d'Oslo mais il constituerait un nouvel engagement à caractère plus limité dans le chef des principaux producteurs et utilisateurs de ce type d'armes.
La pression pour l'adoption d'un tel protocole est d'ailleurs exercée par ces pays. Le texte actuel ne fait pas l'objet d'un consensus. Au sein même de l'Union européenne, les différents États membres sont très divisés à propos de ce protocole. Certains, comme la Finlande, la Pologne, l'Estonie et la Roumanie, sont très favorables à sa conclusion. D'autres, comme l'Autriche et le Danemark, considèrent qu'il s'agirait d'un recul en termes de droit international humanitaire.
Pour notre pays, l'interdiction totale de ces armes doit être le seul objectif final. Actuellement, déjà 66 pays sont États parties à la Convention d'Oslo. Selon nous, le Protocole VI doit être envisagé comme un petit progrès dans l'espoir que les États qui n'ont pas encore accepté la Convention d'Oslo finissent par sauter le pas pour y accéder dans le futur.
J'ai donné instruction à nos diplomates à Genève de sonder des États déjà juridiquement liés par la Convention d'Oslo, tout comme nous, et qui partagent nos préoccupations, en vue de leur proposer une déclaration commune qui soulignerait, d'une part, que ces États ne signeraient pas le Protocole VI et, d'autre part, que nous espérons tous que ce protocole signifie bien un premier pas dans la direction qui devrait aboutir finalement à une interdiction à l'échelle mondiale de cette arme inhumaine.
Comparaison n'est pas raison. Néanmoins je souhaite comparer la situation évoquée à celle d'un pays où il n'y aurait aucune limitation de vitesse et où l'on déciderait d'en instaurer une, fixée à 140 kilomètres à l'heure. Faut-il se montrer favorable à cette idée ou plutôt réticent ? Il est vrai que la France qui, elle, est partie prenante dans la Convention d'Oslo, soutient l'idée de ce Protocole VI qui, bien que nettement plus faible que la Convention d'Oslo, n'est pas en contradiction avec celle-ci.
Nous avons déjà connu la même dynamique dans un dossier similaire, celui de la lutte contre les mines antipersonnel, lorsque la Convention d'Ottawa n'était pas acceptée par certains pays qui estimaient que le texte allait trop loin. Aujourd'hui, des pays comme la Finlande et la Pologne, qui sont passés par une première étape, accéderont bientôt, en 2012, à la Convention d'Ottawa.
J'espère avoir expliqué clairement que nous continuons à défendre la thèse selon laquelle c'est la convention, en tant que telle, qui doit continuer à être notre objectif principal. Cependant, nous allons vérifier si pour les pays qui ne sont pas signataires de la convention, le protocole peut constituer un pas dans la bonne direction.
M. Philippe Mahoux (PS). - Je pense que le problème est très clair. Vous dites, monsieur le ministre, que la position de la Belgique par rapport à l'interdiction est ambiguë. Je rappelle que nous sommes le premier pays à avoir interdit ces armes, comme d'ailleurs les mines antipersonnel.
En réalité, vous devez absolument combattre ce protocole additionnel. En effet, comme je l'ai dit tout à l'heure, accepter un protocole de cette nature, c'est donner une légitimité à ceux qui refusent d'entrer dans le cadre de la convention d'interdiction des bombes à sous-munitions.
La Belgique ne peut avoir qu'une seule attitude, à savoir être formellement opposée à ce protocole additionnel.
Vous dites qu'elle ne le signera pas. C'est la moindre des choses. Si la Belgique signait ce protocole, cela signifierait qu'elle approuve un document international allant à l'encontre d'une législation propre. Il va de soi que ce n'est pas acceptable.
Il faut aller plus loin et être beaucoup plus ferme par rapport à la discussion actuellement en cours.
M. Steven Vanackere, vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères et des Réformes institutionnelles. - Je crains que M. Mahoux ne se trompe. Le protocole ne va pas à l'encontre de la convention ; il ne va pas aussi loin.
Les pays ayant décidé aujourd'hui qu'il est inacceptable pour eux d'adhérer à la convention ne sont soumis à aucune obligation internationale.
Il n'est pas opportun pour notre pays de signer un protocole qui n'a pas beaucoup de sens juridique, dans la mesure où il ne va pas aussi loin que la convention.
En revanche, pour les pays qui ne sont pas parties à la Convention d'Oslo - 66 pays y adhèrent -, il faut reconnaître que le protocole, tout en n'allant pas à l'encontre de la convention, accomplit un petit pas dans le sens de ce qui peut ou non être fait dans le cadre de ces armes à sous-munitions.
Ne me faites pas dire, monsieur Mahoux, que le protocole va à l'encontre de la convention ; je m'inscris en faux par rapport à cette analyse.
Vous dites que certains pays qui n'approuvent pas la convention utiliseront cet argument comme excuse pour se trouver une légitimité. Je reconnais comme vous qu'il y a là matière à une discussion politique. Faut-il accepter ce « petit pas » comme un progrès, un pas dans le bon sens, ou faut-il le refuser en disant « c'est tout ou rien » ?
Dans le débat sur les mines antipersonnel, nous avons assisté à la même dynamique. En effet, des pays qui, dans un premier temps, n'étaient pas prêts à accepter le cadre juridique que nous souhaitions imposer dans l'ensemble du monde ont bien voulu faire un premier pas et ont ensuite décidé d'adhérer à ce cadre.
Dans cette logique, nous allons oeuvrer avec beaucoup de pays européens qui partagent nos préoccupations pour élaborer une déclaration commune. Celle-ci mettrait clairement en exergue le fait que la Belgique souhaite rester à la pointe des pays qui veulent lutter contre ces armes. Mais il faut en même temps reconnaître que le protocole ne diminue pas les engagements de ceux qui n'ont pas encore accepté la convention.
(M. Armand De Decker, vice-président, prend place au fauteuil présidentiel.)
M. Philippe Mahoux (PS). - Je suis complètement en désaccord avec ce que vous venez de dire. Nous avons enregistré des progrès dans ce dossier sur le plan international. Votre position en retrait n'est dès lors pas admissible. Elle n'est pas compatible avec le combat que la Belgique mène dans la lutte contre les mines antipersonnel, les bombes à sous-munitions et les bombes à uranium appauvri. Madame de Bethune a d'ailleurs défendu l'interdiction de ces dernières. Votre position est en contradiction avec la politique consécutive à ces progrès. En outre, légitimer ce protocole additionnel n'est absolument pas défendable. Je vous le dis et je vous le répète : je suis totalement en désaccord avec le point de vue que vous défendez.