5-1333/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2011-2012

18 NOVEMBRE 2011


Proposition de résolution relative à la mise en place d'une politique adaptée dans le cadre de la lutte contre la consommation abusive d'alcool

(Déposée par Mme Dominique Tilmans et consorts)


DÉVELOPPEMENTS


L'abus de consommation d'alcool, en particulier chez les jeunes, reste très préoccupant. Trop souvent, l'alcool est banalisé et perçu comme un geste de société, comme une boisson chaleureuse que l'on partage entre amis ou en famille. Les statistiques des contrôles effectués sur le terrain sont là pour nous le prouver.

On constate que la mode du « Binge drinking (1)  » est en nette augmentation. En ingérant une grande quantité d'alcool en un court laps de temps afin d'atteindre l'état d'ivresse le plus rapidement possible, les jeunes mettent leur santé et celle des autres en danger. Ce phénomène est souvent retrouvé dans les fêtes d'étudiants, les regroupements de jeunes avec « beuveries » sur la voie publique, etc.

La consommation abusive d'alcool peut entraîner des comportements violents et agressifs, des actes sexuels à risques, des comas éthyliques ainsi que d'autres conduites à risque, en particulier la prise du volant en état d'ébriété. Trop souvent les week-ends, des fêtes se terminent en drame. Des jeunes se tuent en état d'ivresse au volant ou se transforment en « assassins » de la route. À terme, la consommation fréquente d'alcool entraîne un désinvestissement scolaire ou professionnel, de la dépression, de l'anxiété et de l'alcoolisme chronique.

La consommation abusive d'alcool a des répercussions très importantes sur la santé et contribue de manière importante à la mortalité prématurée par cirrhose du foie et autres maladies qui prennent naissance suite à une surconsommation d'alcool.

C'est pourquoi, la présente proposition de résolution jette les bases d'un nécessaire « plan de lutte contre la consommation abusive d'alcool », de manière à protéger et conscientiser la population, et plus particulièrement les jeunes.

Une information accrue et des contrôles renforcés et efficaces

Toute la législation concernant la vente et le service d'alcool aux mineurs a été regroupée dans la loi du 24 janvier 1977 relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits. Cette loi coordonnée permet ainsi de simplifier la législation. Par ailleurs, depuis le 10 janvier 2010, il est interdit de vendre, de servir ou d'offrir des boissons ayant un titre d'alcoométrie supérieur à 0,5 % vol aux jeunes de moins de seize ans et de vendre, de servir ou d'offrir des boissons spiritueuses aux jeunes de moins de dix-huit ans.

Cela étant, ces nouvelles dispositions sont encore mal connues et trop souvent contournées. Les contrôles ne sont pas suffisamment nombreux et efficaces.

Agir avec les Communautés et le pouvoir local

Les Communautés, les provinces et les communes ont un rôle à jouer, en prévenant et en responsabilisant les familles et les jeunes des dangers d'une consommation d'alcool abusive. C'est la raison pour laquelle les auteurs souhaitent que soit menée, en concertation étroite avec les communautés et en associant les provinces et communes, une campagne active de prévention et de responsabilisation visant à avertir les familles et les jeunes des dangers de l'alcool et des risques liés à une consommation abusive.

Il semble également important d'opérer concrètement au niveau communal pour développer des projets de sensibilisation à l'égard des jeunes et du danger que représentent les abus d'alcool. Le pouvoir local doit renforcer sa collaboration avec l'ensemble des acteurs de terrain afin de mener à bien cet objectif.

De nombreuses communes ont adopté des règlements de police en vue de restaurer la sécurité, la tranquillité et la propreté publiques. Certaines communes interdisent déjà la consommation d'alcool dans les lieux publics de leur commune. On peut évoquer à cet égard les exemples, parmi d'autres, des ordonnances de police de Nivelles (2) , Uccle et Linkebeek interdisant de consommer des boissons alcoolisées sur la voie publique.

Les communes peuvent également agir par le biais de la loi du 10 novembre 2006 (3) qui prévoit, en son article 18, qu'un règlement communal peut soumettre tout projet d'exploitation d'un magasin de nuit à une autorisation préalable délivrée par le Collège des bourgmestres et échevins de la commune où le magasin de nuit sera exploité. Cette autorisation peut être refusée sur la base de plusieurs critères prévus dans la loi.

Ces critères sont clarifiés dans un règlement communal. Le bourgmestre peut ordonner la fermeture des magasins de nuits en contravention avec ces dispositions. À l'heure actuelle, trop peu de bourgmestres utilisent ces dispositions pour agir sur les night shops. Il conviendrait donc de sensibiliser les bourgmestres quant à l'existence de ce moyen d'action qui pourrait être utilisé comme dispositif assurant le respect des dispositions légales en matière d'alcool.

Renforcer l'autorégulation du secteur de la publicité

La publicité portant sur l'alcool et les boissons alcoolisées n'est actuellement pas encadrée par une législation. La loi du 24 janvier 1977 relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits donne cependant la faculté au Roi de réglementer et interdire la publicité portant sur l'alcool et les boissons alcoolisées si l'intérêt de la santé publique le requiert.

Le secteur a pris l'initiative de se doter d'un code de déontologie en la matière. En effet, si une grande partie de la population consomme des boissons alcoolisées de façon responsable, il convient néanmoins de veiller à éviter toute consommation déraisonnable de boissons contenant de l'alcool qui pourrait avoir des conséquences négatives en termes de santé.

Si la publicité réalisée par les entreprises du secteur doit permettre à celles-ci de se faire connaître sur le marché et de donner des renseignements sur leurs produits, cet outil doit être utilisé de façon responsable. C'est la raison pour laquelle le secteur a pris l'initiative de prévoir un encadrement de la publicité via une autorégulation du secteur.

Ainsi, le 12 mai 2005, une convention « Arnoldus » en matière de bonne conduite et de publicité des boissons contenant de l'alcool a vu le jour. Les Brasseurs belges, la Fédération belge des vins et spiritueux, la Fedis, les Fédérations Horeca Wallonie, Bruxelles, Flandre, la Fédération patronale des professionnels de la restauration et le Jury d'éthique publicitaire (JEP) ont signé avec le ministre de la santé de l'époque Rudy Demotte et les associations de consommateurs CRIOC et Test Achats, la Convention Arnoldus. C'est la première fois que des producteurs, des distributeurs, des commerçants et des points de vente signent conjointement un accord avec les autorités sur un thème sociétal spécifique. Cette convention protège le consommateur, en particulier les jeunes, contre des pratiques publicitaires non éthiques en matière de boissons alcoolisées.

Cette convention s'applique à l'ensemble des produits contenant plus de 1,2 % d'alcool par volume. Elle pose un certain nombre de balises. La publicité ne doit ainsi pas poursuivre des objectifs qui seraient préjudiciables à la santé du consommateur tels qu'encourager une consommation irréfléchie, exagérée ou encore illégale.

La convention prévoit également d'importantes dispositions visant à protéger les mineurs d'âge. Ainsi, la publicité ne peut les cibler ou user de moyens qui viseraient spécifiquement cette catégorie de la population.

La convention prévoit, par ailleurs, un certain nombre de principes que la publicité réalisée doit respecter lorsqu'elle touche au travail, à la sécurité routière ou encore au sport. La teneur en alcool de la boisson alcoolisée visée par la publicité doit répondre à des mentions précises. Enfin, des dispositions sont prévues pour encadrer la publicité réalisée dans les médias dont la télévision.

Un système de plaintes est également organisé auprès du Jury d'éthique publicitaire. Toute personne physique ou morale ne poursuivant pas d'intérêt concurrentiel peut adresser au Jury d'éthique publicitaire une plainte relative à un message publicitaire diffusé dans les médias.

Ce système n'est cependant pas encore suffisamment connu par la population. Il conviendrait de renforcer la communication quant à son existence.

Il convient de mettre en avant cette initiative d'autorégulation du secteur qui vise à promouvoir une attitude responsable respectueuse de la santé de nos concitoyens. Il convient ainsi de rendre ces règles de bonne conduite imposables à tous non seulement pour renforcer leur respect mais encore pour garantir une égalité entre les secteurs concernés. Le législateur l'a bien compris. C'est la raison pour laquelle la loi du 24 janvier 1977 relative à la protection de la santé des consommateurs en ce qui concerne les denrées alimentaires et les autres produits a été complétée pour permettre au Roi d'approuver les conventions conclues entre les associations du secteur ayant pour objet d'encourager une consommation raisonnable des boissons contenant de l'alcool. La convention signée en 2005 est notamment visée. Cette reconnaissance doit permettre de faire appliquer ces dispositions à l'ensemble des acteurs concernés ainsi que de permettre d'en assurer le contrôle. Force est toutefois de constater qu'à ce jour, cette convention n'a toujours pas été institutionnalisée.

Dominique TILMANS.
Gérard DEPREZ.
Christine DEFRAIGNE.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION


Le Sénat,

A. considérant la Déclaration conjointe sur la politique future en matière d'alcool du 17 juin 2008, issue, au niveau belge, de la Conférence interministérielle Santé publique;

B. considérant que la Belgique doit poursuivre l'élaboration d'un « Plan d'action national de lutte contre la consommation abusive d'alcool », de manière à protéger et conscientiser la population, et plus particulièrement les jeunes;

C. considérant que le secteur est demandeur d'une application plus stricte relative à la vente d'alcool aux mineurs;

D. considérant que la législation actuelle en matière d'interdiction de vente d'alcool aux mineurs est peu appliquée dans les commerces et les débits de boissons;

F. considérant que les communautés, les provinces et les communes ont un rôle à jouer, en prévenant et en responsabilisant les familles et les jeunes des dangers d'une consommation d'alcool abusive;

G. considérant que la convention conclue par le secteur de la boisson doit permettre de protéger les jeunes de la publicité concernant les boissons alcoolisées;

H. considérant que la consommation abusive d'alcool a des répercussions très importantes sur la santé,

Demande au gouvernement:

1. de finaliser au plus vite un Plan d'action national de lutte contre la consommation abusive d'alcool et ses dérives telles que:

a. l'abus d'alcool chez les mineurs;

b. les accidents, et plus particulièrement les accidents de la route, dus à l'abus d'alcool;

2. que le Plan d'action précité aboutisse à une politique efficace en matière de prévention et de lutte contre les abus d'alcool;

3. de faire appliquer la législation relative à l'interdiction de vente d'alcool aux mineurs;

4. de prévoir et d'appliquer un contrôle efficace de l'interdiction de la vente d'alcool aux mineurs en mettant à disposition du Service public fédéral (SPF) santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement le personnel nécessaire et formé;

5. de mener, en concertation étroite avec les communautés et en associant les provinces et communes, une campagne de prévention et de responsabilisation visant à avertir les familles et les jeunes des dangers de l'alcool et des risques liés à une consommation abusive;

6. de revoir, affiner et le cas échéant renforcer, en collaboration avec le secteur, la Convention du 12 mai 2005 en matière de conduite et de publicité des boissons contenant de l'alcool, conclue par les professionnels de ce secteur et les associations de consommateurs et faisant intervenir, notamment, le Jury d'éthique publicitaire, dénommée Convention Arnoldus;

7. d'institutionnaliser la Convention du 12 mai 2005 précitée;

8. de renforcer le pouvoir de contrôle du Jury d'éthique publicitaire dans le cadre du contrôle de la Convention du 12 mai 2005 précitée;

9. d'informer davantage la population quant à la possibilité de déposer plainte auprès du Jury d'éthique publicitaire;

10. de sensibiliser les bourgmestres afin de les impliquer ainsi que leur Collège dans la lutte contre les abus d'alcool; à cette fin, trois axes doivent être notamment développés:

a) la collaboration du SPF santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement, avec l'ensemble des acteurs de terrain: commune, police et organismes de prévention;

b) l'encouragement des bourgmestres à prendre des dispositions concernant la consommation d'alcool dans les lieux publics par le biais de leur règlement communal et en accord avec les responsables de zone de police;

c) l'information, sous l'impulsion du SPF Santé publique, Sécurité de la chaîne alimentaire et Environnement, quant à la possibilité d'actions des autorités communales par rapport à la réglementation des magasins de nuits et en particulier les dispositions prévues à l'article 18 de la loi du 10 novembre 2006 relative aux heures d'ouverture dans le commerce, l'artisanat et les services;

11. de prévoir une évaluation de la présente résolution un an après son adoption par l'Assemblée plénière; cette évaluation devra, notamment, indiquer le nombre de contrôles réalisés, les infractions constatées, l'état des lieux des initiatives prises avec les autorités locales et communautaires et l'évaluation de la Convention Arnoldus.

12 octobre 2011.

Dominique TILMANS.
Gérard DEPREZ.
Christine DEFRAIGNE.

(1) Tendance à boire jusqu'à l'ivresse.

(2) « Article 1er. Il est interdit de consommer des boissons alcoolisées sur la voie publique. Le Bourgmestre peut accorder des dérogations motivées à l'interdiction formulée à l'alinéa 1er. Il peut assortir sa dérogation de toute condition qu'il jugera bon de poser, en fonction des circonstances. Ces dérogations seront notamment d'application pour les débits de boissons ayant été autorisés par le Bourgmestre à placer une terrasse sur la voie publique ainsi qu'à l'occasion d'événements festifs particuliers tels que le Carnaval, la Pentecôte, l'Ascension, le Tour Sainte Gertrude, le Marché de Noël et le Nouvel an. »

(3) Loi du 10 novembre 2006 relative aux heures d'ouverture dans le commerce, l'artisanat et les services.