5-1303/1

5-1303/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2011-2012

9 NOVEMBRE 2011


Proposition de loi modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus, en vue de garantir la disponibilité du personnel des prisons

(Déposée par Mme Martine Taelman)


DÉVELOPPEMENTS


Les grèves de gardiens de prisons sont fréquentes en Belgique. Ces grèves ont des conséquences néfastes.

Ainsi, en cas de grève, les détenus sont soumis à un régime beaucoup plus sévère. La surveillance de la prison est assurée par la police, qui travaille avec un effectif minimum. Toutes les activités qui se déroulent hors cellule sont réduites à un minimum. La situation est identique en ce qui concerne les heures de visite et les douches. La « promenade » est souvent supprimée et les « sections ouvertes », dans lesquelles les détenus ont la possibilité de circuler librement, sont temporairement fermées, ... Il arrive même que les avocats doivent insister pour pouvoir communiquer avec leurs clients. Inutile de dire que l'enfermement dans l'espace réduit de la cellule devient rapidement insupportable pour les détenus, a fortiori lorsque la grève se prolonge pendant plusieurs jours.

De même, le recours au personnel de la police pour surveiller la prison pose problème. Les réserves de la police fédérale sont très vite épuisées lorsqu'elles doivent prendre le relais à plusieurs endroits. La police locale est aussi souvent appelée en renfort, ce qui, parfois, l'empêche de garantir le service de police de base à la population locale (1) .

Il n'est malgré tout pas logique que pendant les grèves, nous imposions un service minimum à la police pour ne pas porter atteinte au service de police de base et au droit à la sécurité du citoyen, mais qu'indirectement, celui-ci soit malgré tout vidé de sa substance par les grèves des gardiens de prison !

Force est en tout cas de constater que d'autres pays mettent en balance le droit de grève et la continuité du service public. Souvent, certains secteurs publics — et parfois même tous les fonctionnaires nommés à titre définitif — se voient interdire la grève. Si tel n'est pas le cas, un service minimum leur est en tous cas imposé (2) .

La législation de ces États membres de l'Union européenne est conforme à la Charte sociale européenne (3) . Ce traité déclare que les limitations au droit de grève sont possibles, pour autant qu'elles soient prescrites par la loi et qu'elles soient nécessaires, dans une société démocratique, pour garantir le respect des droits et des libertés d'autrui ou pour protéger l'ordre public, la santé publique ou les bonnes mœurs.

Le droit de grève n'est donc pas un droit absolu, mais doit être mis en balance avec d'autres droits fondamentaux et avec le droit du citoyen à la continuité du service public. La Cour d'arbitrage l'a également reconnu (4) . Sur cette base, le droit de grève des gardiens de prison a déjà été limité dans plusieurs pays.

La présente proposition de loi entend imposer un service minimum au personnel des prisons, par analogie avec le service minimum applicable dans les services de police. Les articles sont dès lors comparables aux articles 125 et 126 de la loi organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux (5) .

Ces articles sont insérés dans la nouvelle loi de principes concernant l'administration pénitentiaire (6) . Il nous paraît opportun d'insérer là cette disposition, eu égard à l'impact qu'elle aura sur l'amélioration de la position des détenus en cas de grève des gardiens.

À l'inverse d'autres pays, la Belgique ne dispose pas encore d'une réglementation générale relative à la continuité du service ou à la prestation d'un service minimum.

Lors de la discussion de la loi de principes concernant l'administration pénitentiaire, il est apparu, au cours d'une audition organisée avec le secteur pénitentiaire en commission de la Justice de la Chambre le 4 février 2004 (7) , que la formation de ces agents laissait souvent à désirer. Un article général destiné à assurer une formation adéquate du personnel pénitentiaire est donc inséré préalablement (8) , ce qui renforcera la sécurité et améliorera le climat au sein de la prison.

Martine TAELMAN.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Dans le titre III de la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus, il est inséré un chapitre IIIbis contenant les articles 19bis à 19quater et libellé comme suit:

« Chapitre IIIbis. Du personnel de la prison

Art. 19bis. Le personnel de la prison reçoit une formation comprenant:

1º les dispositions légales et réglementaires;

2º les techniques permettant de garantir la sécurité au sein de la prison;

3º l'assimilation de qualités comportementales et relationnelles adéquates.

Art. 19ter. Le statut du personnel de la prison garantit sa disponibilité. Le personnel de la prison doit répondre à tout appel relatif à l'exécution du service et éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la confiance du public dans sa disponibilité. Le personnel de la prison ne peut être absent du service sans autorisation ou justification.

Lorsqu'ils sont restés absents irrégulièrement plus de dix jours, les membres du personnel de la prison sont démis d'office de leur emploi aux conditions fixées par le Roi. Cette démission fait perdre aux intéressés leur qualité de membre du personnel de la prison. Cette mesure est prise par le ministre de la Justice.

Art. 19quater. § 1er. L'exercice du droit de grève par le personnel de la prison est soumis aux conditions suivantes:

1º l'annonce préalable de la grève par une organisation syndicale agréée;

2º la discussion préalable avec l'autorité compétente, de la question pour laquelle la grève est envisagée.

Le Roi détermine les modalités relatives au préavis et à la discussion visés à l'alinéa 1er et le délai dans lequel ils doivent avoir lieu.

§ 2. Le ministre de la Justice peut ordonner au personnel de la prison qui fait usage ou qui désire faire usage du droit de grève, de continuer ou de reprendre le travail pendant la période et pour les missions pour lesquelles son engagement est nécessaire et qu'il désigne.

Le ministre de la Justice est tenu de communiquer au préalable aux organisations syndicales représentatives du personnel de la prison et, le cas échéant, à l'organisation syndicale agréée qui a déposé le préavis de grève, les missions pour lesquelles elle estime que l'ordre est nécessaire.

§ 3. Le membre du personnel qui ne donne pas suite à l'ordre d'une autorité visée au paragraphe 2 est puni d'une peine d'emprisonnement de huit jours à un mois et d'une amende de 100 à 10 000 euros, ou d'une de ces peines seulement.

Est puni des peines portées par l'alinéa précédent, celui qui, sciemment et volontairement, amène de quelque manière que ce soit, un membre du personnel de la prison à qui l'ordre visé au paragraphe 2 a été donné, à ne pas donner suite à cet ordre.

Les dispositions du livre premier du Code pénal en ce compris le chapitre VII et l'article 85, sont d'application pour les infractions visées aux alinéas 1er et 2. »

26 janvier 2011.

Martine TAELMAN.

(1) Voyez par exemple la grève des gardiens de prison dans l'institution spéciale d'Everberg. Elle a entraîné la fermeture temporaire du bureau de police dans la zone de police de Kortenberg-Herent. Tout le personnel était réquisitionné pour surveiller les détenus. Le service de police de base ne pouvait dès lors plus être assuré, au grand mécontentement aussi du SNPS (Syndicat national du personnel de police et de sécurité) — voyez www.vrtnieuws.net 31 mars 2005.

(2) Voyez par exemple l'Allemagne, la France, l'Espagne, l'Italie, le Portugal, le Royaume-Uni et le Québec;— Études de législation comparée du service des études juridiques du Sénat (de la République de France): « L'Organisation d'un service minimum dans les services publics en cas de grève »- LC50 janvier 1999 — http://www.senat.fr/elc.html— Dossier no 67 — 2001, Bibliothèque du Parlement fédéral: « Le droit de grève dans les services publics ».

(3) Article 6, 31, de la CSE (Charte sociale européenne).

(4) Cour d'arbitrage, 6 avril 2000, no 42/2000, considérant B.7.4.

(5) Articles 125 et 126 de la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux (Moniteur belge du 5 janvier 1999); exécuté par l'arrêté royal du 23 décembre 1998 (Moniteur belge du 5 janvier 1999); et l'arrêté ministériel du 5 janvier 1999 (Moniteur belge du 8 janvier 1999) et la circulaire POL 1999/1, qui fixe les modalités concernant le droit de réquisition et la spécification des services minimaux.

(6) Loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus (Moniteur belge du 1er février 2005).

(7) Doc no 51 0231/015, p. 197 e.s.

(8) L'article proposé est comparable à l'article 142quater de la loi du 7 décembre 1998 organisant un service de police intégré, structuré à deux niveaux (Moniteur belge du 5 janvier 1999).