5-1258/1

5-1258/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2011-2012

11 OCTOBRE 2011


Proposition de loi modifiant le Code pénal pour ce qui concerne la responsabilité pénale de certaines personnes morales de droit public

(Déposée par M. Huub Broers)


DÉVELOPPEMENTS


1. Objectif initial et application actuelle de l'article 5 du Code pénal

En 1999, le législateur a inscrit à l'article 5 du Code pénal la responsabilité pénale des personnes morales. L'objectif de cette nouvelle disposition était de combattre la « criminalité organisée ». Auparavant, il était souvent impossible de contrer efficacement ce phénomène « en raison de l'impossibilité d'engager des poursuites pénales contre des personnes morales ». Cette initiative répondait en outre à des recommandations formulées par le Conseil de l'Europe et s'inscrivait dans le droit fil de plusieurs autres initiatives législatives visant la criminalité organisée et mettant personnes morales et personnes physiques sur un pied d'égalité en matière pénale (voir doc. Chambre, 1998-1999, nº 2093/5).

L'article 5 du Code pénal a été modifié de manière à permettre à une personne physique d'invoquer dans certains cas un motif d'exonération de responsabilité pénale lorsqu'une infraction a été commise dans le cadre de l'activité d'une personne morale. Un décumul de responsabilité pénale est en principe appliqué. La personne condamnée est celle qui a commis la faute la plus grave. Toutefois, un concours de responsabilités est également possible. Il s'avère que l'application concrète de ces dispositions est parfois entourée du plus grand flou, entraînant de grandes divergences d'interprétation au sein de la jurisprudence et de la doctrine.

De plus, la règle vaut pour tous les types d'infractions. Ainsi, elle vise aussi bien les infractions environnementales que la criminalité économique ou les infractions commises par négligence. Cependant, il faut toujours garder à l'esprit que la règle imaginée en 1999 vise surtout la criminalité organisée.

L'exonération de responsabilité pénale également instaurée en 1999 en faveur de certaines personnes morales de droit public, que la Cour constitutionnelle a certes admise dans un arrêt rendu le 10 juillet 2002, empêche aussi le citoyen de poursuivre une personne morale de droit public au pénal. Les mandataires de ces personnes morales ont souvent des pouvoirs et des responsabilités clairement définis par la loi, si bien que dans de nombreux cas, une personne physique peut facilement être pointée du doigt, même si celle-ci a agi au nom et pour le compte de la personne morale et n'était souvent pas animée de la moindre mauvaise intention. À défaut de pouvoir atteindre la personne morale, on prend alors pour cible la personne physique.

Ces éléments sont aussi à rapprocher de l'adage « Le criminel tient le civil en état ». L'application de ce principe de base incite souvent le justiciable confronté à un sinistre, et qui cherche un responsable, à opter pour des poursuites pénales. Un tel choix est souvent opéré parce qu'en procédant de la sorte, la charge de la preuve de la responsabilité peut être en partie reportée sur le parquet. Des personnes morales de droit public peuvent être tenues pour responsables civilement, mais le parquet ne peut pas les poursuivre. C'est la raison pour laquelle les poursuites pénales visent la personne physique qui est derrière la personne morale.

Dans un contexte d'administrations locales, ces éléments génèrent un cocktail particulièrement trouble. Depuis que certaines décisions ont été rendues en matière de responsabilité, le justiciable a un peu l'impression qu'il sera perdant dans tous les cas de figure. Il n'y a pourtant pas d'autre partie adverse que ces personnes morales de droit public et il faut donc trouver des mandataires qui acceptent d'assumer les tâches de ces personnes morales.

La présente proposition poursuit deux objectifs. Elle vise d'abord à lever toute ambiguïté en ce qui concerne le décumul de la responsabilité des personnes physiques et morales. Elle propose ensuite une solution pour les mandataires de certaines personnes morales de droit public, sans conduire pour autant à une immunité pénale.

2. Réponse générale aux problèmes liés au régime du décumul

La présente proposition abroge l'article 5, alinéa 2. Cette question n'est pas neuve. Ci-dessous sont esquissés les différents problèmes générés par l'application de cette disposition.

En 1999, le législateur a opté pour le principe d'une responsabilité pénale autonome pour la personne morale. Dans cette conception, la personne morale est susceptible de commettre une faute pénale dont elle doit pouvoir être tenue pour responsable sur le plan pénal. Le législateur ne voulait pas assimiler la responsabilité pénale de la personne morale à une responsabilité dérivée résultant du comportement délictuel d'une personne physique imputable à la personne morale (doc. Sénat, 1998-99, nos 1271/1 et 1271/6).

Autrement dit, la personne morale peut commettre elle-même une infraction et elle est responsable au plan pénal de ses propres actes ou négligences. Le régime complexe mis en place par l'article 5, alinéa 2, du Code pénal n'est pas conforme à cette conception de départ.

La formulation actuelle de l'article 5, alinéa 2, du Code pénal exige l'intervention d'une personne physique identifiée. De plus, le législateur établit une distinction entre les cas où la personne physique identifiée a commis l'infraction sciemment et volontairement et les autres cas. Lorsque l'infraction a été commise sciemment et volontairement, il y a concours de responsabilités. Lorsque tel n'est pas le cas, seule la personne qui a commis la faute la plus grave peut être condamnée.

La formulation actuelle s'avère en contradiction avec la philosophie à la base de la loi du 4 mai 1999 — à savoir que les personnes morales ont une responsabilité pénale propre — du fait qu'elle prévoit à l'alinéa 2 de l'article 5 du Code pénal que la responsabilité pénale de la personne morale n'est engagée que par l'intervention d'une personne physique identifiée. Le régime de cumul des responsabilités accroît encore plus l'insécurité juridique. En effet, si l'on suit la philosophie de base de la loi du 4 mai 1999, la personne morale ne pourrait normalement pas être tenue pour responsable pénalement de l'intervention exclusive d'une personne physique.

Le régime du décumul lié à l'imputation de la responsabilité à celui qui a commis la faute la plus grave complique énormément la tâche du juge. Il doit en effet apprécier si l'infraction est exclusivement imputable à une personne physique, mais quand même constater et évaluer le comportement fautif de la personne morale. De plus, le texte ne donne aucune indication concrète de ce que recouvre exactement la notion de « faute la plus grave ». Le juge doit en faire une application au cas par cas.

Ceci l'expose à d'énormes difficultés en cas de cumul de plusieurs fautes commises par plusieurs entreprises, par exemple sur un chantier impliquant entrepreneurs et sous-traitants. Faut-il alors évaluer parmi toutes ces fautes celle qui est la plus grave ou faut-il à chaque fois évaluer séparément à chaque niveau la faute de l'acteur-personne morale ?

De plus, le critère « sciemment et volontairement » ne manquera pas non plus d'engendrer son lot de problèmes. D'après la Cour de cassation, ce critère n'implique pas qu'un dol général ou spécial soit requis. L'existence d'une intention doit être appréciée en tenant compte de l'état d'esprit concret de la personne physique et non pas de la qualification légale de l'infraction. Il est donc possible de commettre des infractions sciemment et volontairement par négligence (Cass., 4 mars 2003, P.02 1246.F).

Le décumul conduit en outre à une différence de traitement de la personne physique selon que celle-ci a ou non commis un acte dans le cadre de l'activité d'une personne morale ou qu'elle a agi avec une autre personne ayant ou non la qualité de personne morale (Cour d'arbitrage, 10 juillet 2002, arrêt nº 128/2002; Cour d'arbitrage, 5 mai 2004, arrêt nº 75/2004).

La Cour d'arbitrage a constaté que lorsque deux personnes physiques sont poursuivies simultanément en raison d'un même fait, le juge doit examiner, à la lumière des circonstances concrètes, si elles sont toutes deux coupables. En revanche, la Cour d'arbitrage est d'avis que l'article 5, alinéa 1er, du Code pénal rend la personne morale automatiquement responsable de la négligence imputable à la personne physique qui a agi pour son compte. La Cour d'arbitrage est partie du principe d'une responsabilité pénale objective de la personne morale et va de ce fait à l'encontre du principe de la responsabilité pénale autonome qui ne requiert pas l'intervention d'une personne physique. Dans une telle lecture, le cumul de la responsabilité pénale ne peut s'appliquer qu'aux infractions intentionnelles, en s'appuyant sur la qualification légale de l'infraction. Cette vision ne correspond donc pas à celle de la Cour de cassation.

Compte tenu de ces difficultés, l'option retenue dans la présente proposition de loi a été d'abroger l'alinéa 2 de l'article 5 du Code pénal, comme dans le précédent projet de loi (doc. Chambre, nº 51-2929/001) et conformément au rapport de suivi législatif du Collège des procureurs généraux (doc. Chambre, nº 53-1414/002). Les règles de droit commun relatives à la participation criminelle doivent être suffisantes pour atteindre les objectifs fixés en 1999 par le législateur, en l'occurrence éviter en principe l'instauration d'une responsabilité pénale objective de la personne morale, d'une part, et exclure que soit la personne morale, soit la personne physique puisse évaluer a priori le risque pénal encouru, d'autre part (doc. Sénat, nº 1-1217/6-7).

Le régime de décumul prévu actuellement par l'article 5, alinéa 2, produit un effet inverse, contre-productif et déresponsabilisant.

À l'origine, le décumul a été instauré pour protéger les travailleurs et pour obliger le juge à opérer un choix. Le législateur entendait éviter que les personnes physiques pénalement responsables ne soient toujours condamnées en même temps que des personnes morales. Il n'a toutefois pas atteint le résultat escompté, à savoir éviter une cascade de poursuites et de condamnations. Les parquets ne prennent logiquement pas le risque de rejet mutuel de la faute et engagent systématiquement des poursuites à l'encontre tant de la personne physique que de la personne morale. Tout le poids de l'évaluation de la faute la plus grave repose intégralement sur les épaules du juge répressif, si bien que le décumul des condamnations conduit à un cumul de poursuites. On peut dès lors constater un retard au niveau de la liquidation des dossiers répressifs et un alourdissement de la procédure.

Compte tenu notamment de ces arguments qui ont déjà été invoqués par le passé, il semble indiqué d'abroger l'alinéa 2 de l'article 5. Les personnes physiques pourront toujours être placées devant leurs responsabilités et le ministère public pourra déterminer s'il y a lieu ou non de poursuivre les deux parties, en fonction de la nature des dossiers.

En outre, la loi du 4 mai 1999, qui visait notamment à répondre à la recommandation nº R (88) 18 du Comité des ministres du Conseil de l'Europe concernant la responsabilité pénale des entreprises personnes morales pour des infractions commises dans l'exercice de leurs activités, s'oppose diamétralement au principe, établi dans cette recommandation, du cumul de la responsabilité pénale des personnes morales et des personnes physiques. Cette recommandation ne prévoit pas de système de décumul.

Il en va de même pour les pays limitrophes de la Belgique. Comme l'instauration de la responsabilité pénale des personnes morales vise également une approche plus efficace de la criminalité internationale, une telle incompatibilité pose problème. Il est vrai que les réglementations ne sont pas conciliables. Ainsi, pour le législateur français, la personne morale n'est qu'un participant, ce qui implique que le juge doit formuler les modalités de l'implication de la personne morale dans la perpétration de l'infraction. Par contre, la législation néerlandaise considère la personne morale comme auteur et le ministère public peut se prononcer sur l'opportunité de poursuites pénales.

En 1999, le législateur n'a pas non plus suffisamment tenu compte des implications pour les victimes. En effet, une constitution de partie civile ne pourra être déclarée fondée qu'à l'égard du prévenu qui a commis la faute la plus grave. En revanche, il ressort de l'article 1382 du Code civil que pour évaluer le droit à des dommages-intérêts, la faute la plus légère devra également être prise en considération.

Encore une fois, l'abrogation de l'alinéa 2 de l'article 5 du Code pénal peut apporter une solution.

À cet égard, on part du principe que poursuivre une personne morale ne peut en aucun cas exclure la possibilité de poursuivre la personne physique comme auteur, coauteur ou complice. L'appréciation de la responsabilité pénale est laissée au parquet et aux tribunaux. Le ministère public doit pouvoir décider en toute indépendance qui doit être poursuivi. La situation actuelle ne le permet pas et a pour conséquence, comme nous l'avons déjà souligné, que le ministère public poursuit généralement les deux parties.

Les principes existants du droit pénal restent donc intacts. La responsabilité pénale de la personne physique et celle de la personne morale doivent pouvoir coexister. Chacune d'elles peut commettre une faute dans sa propre sphère de responsabilité.

Les principes en vigueur du droit pénal, notamment en matière de participation, sont suffisants pour permettre au ministère public d'engager des poursuites de manière efficace. Il faut pouvoir vérifier pour chacun des inculpés, tant personnes physiques que personnes morales, s'ils ont commis une faute qui présente un lien de causalité avec les suites occasionnées.

3. Responsabilité pénale de mandataires de certaines personnes morales de droit public

a. Exposé du problème

Comme indiqué précédemment, la responsabilité pénale des personnes morales a été conçue avant tout pour lutter contre la criminalité organisée. Lors de l'instauration de la responsabilité pénale des personnes morales, une série de personnes morales de droit public ont été exclues du champ d'application. Le législateur estimait que certaines personnes morales de droit public qui ne faisaient qu'accomplir des missions de service public et devaient exclusivement servir l'intérêt général ne devaient pas être soumises aux mêmes mesures que celles qui visaient à lutter contre les organisations criminelles.

Sont ainsi exclues les personnes morales qui disposent d'un organe directement élu, selon des règles démocratiques (doc. Sénat, 1998-1999, nº 1-1217/1). La Cour constitutionnelle accepte cette différence de traitement étant donné que la distinction repose sur un critère pertinent. Elle considère aussi à cet égard que les organes de ces personnes morales de droit public sont soumis à un contrôle politique et qu'il faut également éviter de mener, par la voie pénale, des combats qui doivent se traiter par la voie politique (Cour constitutionnelle, nº 31/2007, 21 février 2007).

L'application de cette exclusion conduit néanmoins à viser personnellement les mandataires ou membres des organes politiques qui incarnent ces personnes morales de droit public, notamment en raison du fait que la personne morale elle-même ne peut pas être poursuivie au pénal. L'on crée ainsi de nouveaux problèmes et la responsabilité pénale personnelle de ces mandataires risque d'être engagée pour des problèmes qui se posent dans le cadre de l'exécution de leur mandat ou pour lesquels leur responsabilité — de par leur seule qualité — pourrait également être engagée. De plus, il peut s'agir de problèmes résultant de la négligence de l'administration publique dans son ensemble ou découlant indirectement de certains choix politiques sur lesquels le mandataire en question n'a personnellement aucune influence.

Parmi les affaires les plus retentissantes, l'on peut citer certains accidents de roulage survenus sur les voies communales et qui seraient dus en partie à la mauvaise qualité des infrastructures. Lors d'un accident survenu à Damme en 2006, le bourgmestre a vu sa responsabilité pénale engagée et n'a été acquitté au pénal qu'à l'issue de plusieurs années de procédure.

Très récemment, il a été décidé de poursuivre l'ensemble du conseil du CPAS de Bruxelles dans le cadre des problèmes relatifs à la crise de l'accueil et de l'asile. Chaque conseiller communal a été individuellement tenu pour responsable d'une décision prise par le CPAS dans une situation en partie imposée par une autorité supérieure.

Il convient de trouver un équilibre entre les intérêts légitimes du citoyen et ceux du mandataire, sans exposer la personne morale de droit public à une bataille juridique politicienne.

La présente proposition de loi prend en outre l'option d'assouplir quelque peu l'immunité de certaines personnes morales de droit public tout en offrant au mandataire une forme de protection. Il ne s'agit en aucun cas d'offrir au mandataire un régime d'immunité pénale ou de créer une sorte d'immunité comparable à l'immunité parlementaire. Au contraire, le citoyen doit conserver la possibilité d'exercer un recours contre les pouvoirs publics. D'un autre côté, il convient de protéger le mandataire de la judiciarisation croissante de la société, mais pas plus que nécessaire. La gageure est d'y parvenir autant que faire se peut sans favoriser cette judiciarisation croissante.

La présente proposition n'a pas la prétention de proposer une réponse au problème de la judiciarisation croissante ni de résoudre définitivement tous les problèmes liés à l'application de la responsabilité pénale des personnes morales de droit privé et de droit public. Elle entend néanmoins apporter une réponse concrète à un problème concret qui se pose avec de plus en plus d'acuité.

b. Traitement différencié pour les personnes morales de droit public

Dans un arrêt du 10 juillet 2002, la Cour constitutionnelle, qui s'appelait encore Cour d'arbitrage à l'époque, a admis une différence de traitement pour les personnes morales de droit public (Cour d'arbitrage, 10 juillet 2002, Moniteur belge du 13 novembre 2002). La Cour a accepté cette différence en invoquant le fait que les personnes morales de droit public mentionnées à l'article 5, alinéa 4, n'ont que des missions de service public et ne doivent servir que l'intérêt général. Le législateur peut considérer que son souci de lutter contre la criminalité organisée ne l'oblige pas à prendre à l'égard des personnes morales de droit public les mêmes mesures qu'à l'égard des personnes morales de droit privé.

Toujours selon la Cour constitutionnelle, le législateur doit cependant tenir compte du fait que des personnes morales de droit public peuvent aussi déployer des activités semblables à celles de personnes morales de droit privé et que, dans l'exercice de telles activités, les premières peuvent se rendre coupables d'infractions qui ne se distinguent en rien de celles qui peuvent être commises par les secondes. Il lui appartient, pour concilier avec le principe d'égalité sa volonté de mettre fin à l'irresponsabilité pénale des personnes morales, de ne pas exclure du champ d'application de la loi les personnes morales de droit public qui ne se distinguent des personnes morales de droit privé que par leur statut juridique.

La Cour constitutionnelle juge pertinent le critère retenu par le législateur pour l'exception, en l'occurrence le fait de disposer d'un organe directement élu, selon des règles démocratiques. L'immunité est limitée aux personnes morales de droit public qui sont principalement chargées d'une mission essentielle dans une démocratie représentative, qui disposent d'assemblées démocratiquement élues et qui possèdent des organes soumis à un contrôle politique. D'après la Cour constitutionnelle, le législateur n'a pas accordé une immunité qui serait injustifiée.

c. Distinction entre les différentes personnes morales de droit public

Cette distinction essentielle entre les personnes morales de droit privé et les personnes morales de droit public actuellement énumérées à l'article 5, alinéa 4, est maintenue. La présente proposition réserve un traitement distinct aux deux types de personnes morales sur la base des critères cités. Il faut continuer à privilégier le contrôle démocratique et la responsabilité politique. Les règlements de compte politiques ne peuvent être arbitrés par le juge.

Si, sur le fond, ce principe est parfaitement louable, il a donné lieu à des effets secondaires particulièrement désagréables pour certains mandataires. En effet, un citoyen qui subit un préjudice résultant probablement d'une décision prise par la personne morale de droit public ne peut assigner cette dernière au pénal, que ce soit par le biais de sa compagnie d'assurances ou non. Bien qu'une personne morale ait évidemment une existence juridique et qu'elle puisse prendre des décisions autonomes, l'intervention de cette personne morale suppose en fait un acte concret de la part d'une ou de plusieurs personnes physiques.

Le citoyen en question va donc rechercher la personne qui incarne la personne morale. Dans le cas des personnes morales de droit public telles que les communes, il existe de surcroît souvent une description légale des compétences des organes de la personne morale. Ces organes peuvent d'ailleurs généralement se réduire à une ou plusieurs personnes clairement identifiables. Il s'agit par exemple du bourgmestre ou du collège des bourgmestre et échevins ou même du conseil communal lui-même. Bien qu'il s'agisse d'organes de la commune qui, en tant que telle, ne peut être pénalement responsable, il est fait abstraction de la qualité d'organe en citant personnellement les personnes physiques qui constituent l'organe devant le tribunal pénal. Forte de son immunité, la personne morale n'est plus en ligne de mire puisque c'est la personne physique qui prend sa place.

Ce raisonnement ne peut toutefois s'appliquer à n'importe quelle personne physique qui représente la personne morale de droit public. Pour certaines personnes morales de droit public, le législateur a en effet conféré une sorte de protection à la personne physique qui incarne la personne morale. Nous nous référons notamment aux dispositions suivantes:

— les articles 58 et 59 de la Constitution: l'immunité parlementaire fédérale;

— l'article 122 de la Constitution: l'immunité parlementaire dans les régions et les communautés;

— l'article 103 de la Constitution: la procédure relative aux poursuites engagées à l'encontre de ministres pour les infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions;

— l'article 125 de la Constitution: la procédure relative aux poursuites engagées à l'encontre de ministres de Communauté et de Région.

Les parlementaires et les ministres ne peuvent pas être poursuivis comme de simples citoyens. Le législateur a prévu certaines modalités qui doivent protéger leur action politique. Les poursuites ne sont cependant pas totalement exclues. Concrètement, il s'agit de « mandataires » de la « première catégorie » suivante de personnes morales de droit public:

— l'État fédéral;

— les régions;

— les communautés;

— la Commission communautaire française;

— la Commission communautaire flamande;

— la Commission communautaire commune.

Pour la « deuxième catégorie » de personnes morales de droit public exclues de toute responsabilité pénale, aucune règle particulière en matière de poursuites ne s'applique en ce qui concerne leurs mandataires. Il s'agit des personnes morales suivantes:

— les provinces;

— l'Agglomération bruxelloise;

— les communes;

— les zones pluricommunales;

— les organes territoriaux intracommunaux (districts);

— les CPAS;

— les zones de secours à créer.

C'est en faveur de ces dernières personnes morales de droit public que nous souhaitons légiférer, sans créer pour autant un équivalent de l'immunité parlementaire. Ces personnes morales de droit public accomplissent en effet également des tâches décentralisées et ne sont donc pas entièrement autonomes dans leur action. Les normes adoptées par ces personnes morales de droit public sont en outre hiérarchiquement inférieures aux lois, décrets et ordonnances. En d'autres termes, elles ne peuvent pas être mises sur le même pied que des assemblées ou des personnes morales qui exercent (également) une compétence législative.

d. Limites de la responsabilité pénale de la personne morale de droit public

La présente proposition de loi entend conserver la philosophie à la base de la modification légale de 1999. En principe, toutes les personnes morales de droit public citées ci-avant demeurent exclues de la responsabilité pénale. Pour la « deuxième catégorie » de personnes morales de droit public, elle instaure toutefois une responsabilité pénale objective à l'égard de leurs mandataires. Cette responsabilité objective n'est cependant pas absolue: elle se limite en l'occurrence à la faute légère.

Cette responsabilité pénale objective doit dès le début empêcher que des personnes physiques soient personnellement citées. En effet, la frontière entre la qualité d'organe d'une personne morale de droit public bénéficiant de l'immunité pénale et la qualité de personne physique est parfois ténue. La formulation de la proposition ne précise pas cette qualification.

e. Limites de la responsabilité pénale du mandataire

Pour les motifs énumérés ci-avant, la présente proposition de loi ne vise nullement à instaurer, pour les mandataires de personnes morales de droit public de la « deuxième catégorie », un équivalent de l'immunité parlementaire ou ministérielle.

La responsabilité pénale objective de la personne morale de droit public ne sera engagée que pour les fautes légères commises dans le cadre du mandat ou pour le compte de la personne morale de droit public concernée.

Pour les fautes commises sciemment et volontairement, les fautes graves ou les fautes légères ayant un caractère habituel plutôt que fortuit, c'est la personne physique elle-même qui reste pénalement responsable.

Le caractère fautif d'un comportement peut résulter de la violation d'une disposition légale ou réglementaire, d'une part, ou de la méconnaissance de l'obligation générale de prudence et du principe qui en découle, qui est « d'agir en bon père de famille », d'autre part. C'est surtout en cas de non-respect de l'obligation générale de prudence que le parquet devra déterminer s'il s'agit d'une faute légère ou d'une faute grave. L'approche civile, qui assimile presque une faute grave à une faute intentionnelle ou à une négligence grave, peut également être suivie dans le cadre de l'application de cette disposition. L'absence d'intention de causer un préjudice constitue dès lors le critère de référence pour le parquet.

La politique des parquets en matière de poursuites pourra être affinée au moyen d'une circulaire ministérielle.

Il n'est donc nullement question d'instaurer une immunité absolue. Au contraire, le présent système va beaucoup moins loin, par exemple, qu'une immunité parlementaire en vertu de laquelle la quasi-totalité des poursuites pénales sont soumises à certaines modalités particulières. La présente proposition lie en effet la qualité de l'intéressé aux actes, et non à la personne elle-même. Il s'agit d'actes posés « pour le compte de » ou « dans le cadre du mandat ».

Cette approche offre donc l'avantage de la clarté et tient par ailleurs compte des observations de l'Union des villes et communes de Wallonie, de l'Association de la Ville et des Communes de la Région de Bruxelles-Capitale et de la « Vereniging van Vlaamse Steden en Gemeenten »:

Seule la responsabilité pénale de la commune est engagée pour les fautes légères commises par les mandataires.

Il n'y a pas de cumul des responsabilités pénales des communes et des mandataires.

Il s'agit d'un système sui generis qui met l'accent sur la notion de « faute légère ».

Il appartient au parquet de déterminer qui pourra faire l'objet de poursuites.

L'immunité n'est que relative; la victime conserve tous ses droits; c'est en fonction de la nature de la faute qu'il est déterminé qui doit faire l'objet de poursuites.

4. Ambition de la présente proposition

La présente proposition n'entend pas réformer le régime de responsabilité de A à Z. La dissociation de la responsabilité pénale et de la responsabilité civile pourrait, par exemple, constituer un exercice particulièrement utile, mais elle modifierait à tel point l'essence de notre régime de responsabilité qu'elle requerrait une étude approfondie. Une étude que nous ne souhaitons pas attendre, car certains problèmes risquent de se poser avec acuité.

En revanche, les auteurs de la présente proposition entendent s'attaquer sans plus attendre aux problèmes généraux liés à l'application de l'article 5 du Code pénal en s'inspirant des recommandations du collège des procureurs généraux, auxquels renvoient également les divers avis de légistique du Conseil d'État. Ils estiment que la modification proposée est la plus pressante eu égard à la responsabilité des mandataires.

La présente proposition ne vise aucunement à accorder une immunité pénale absolue ni un régime totalement dérogatoire au mandataire d'une personne morale de droit public de la « deuxième catégorie ». Seules certaines poursuites pour des faits mineurs commis pour le compte de la personne morale, le citoyen visant en fait plutôt la personne morale même, relèveraient de ce régime spécial. Le mandataire sera personnellement responsable d'infractions graves ou répétées.

La présente proposition ne modifie rien au système de la responsabilité civile ordinaire. Il est précisé, pour autant que de besoin, que toutes les personnes morales de droit public étaient et demeurent responsables civilement. À ce niveau-là, rien ne change.

La présente proposition vise à résoudre un problème qui ne cesse de s'aggraver. Les personnes morales de droit public de la « deuxième catégorie » concernent en effet les niveaux de pouvoir les plus proches du citoyen. Ce sont ces niveaux de pouvoir qui ont souvent l'impact le plus direct et le plus visible sur la vie quotidienne du citoyen. Ce sont également ces niveaux de pouvoir qui doivent le plus pouvoir solliciter la participation de la population. Les effets secondaires du régime actuel de responsabilité pénale sont à cet égard dissuasifs. À l'heure actuelle, un mandataire local peut en effet être prié de s'expliquer au sujet d'un acte posé en âme et conscience pour le compte du pouvoir local. Or, il est tout bonnement impossible de prévoir tous les problèmes. Il est même souvent difficile de remédier à des problèmes prévisibles, par exemple en raison de contraintes budgétaires. On observe aussi une tendance à une judiciarisation croissante de la société.

Les auteurs de la présente proposition souhaitent réconcilier la demande légitime des citoyens lésés et la crainte légitime des citoyens actifs au niveau politique.

COMMENTAIRE DES ARTICLES

Article 2

Cet article abroge l'alinéa 2 de l'article 5 du Code pénal pour en revenir à l'intention initiale du législateur en 1999. Le Conseil d'État et le Collège des procureurs généraux ont déjà à plusieurs reprises attiré l'attention sur la nécessité de procéder à cette modification.

Il ajoute également les dispositions décrites dans les développements, qui doivent régler les poursuites engagées à l'encontre des mandataires de certaines personnes morales de droit public.

Ces modifications sont décrites en détail dans les développements.

Article 3

La loi du 15 mai 2007 prévoit une modification de l'article 5 du Code pénal à une date qui sera fixée par le Roi. Ce principe est maintenu, mais la modification proposée est adaptée au nouveau texte de l'article 5 du Code pénal.

Cette modification concerne l'insertion des zones de secours dans la réglementation en projet. Lorsque les zones de secours auront effectivement été créées et seront devenues opérationnelles, il conviendra sur le plan de la responsabilité pénale de suivre la même logique que celle adoptée pour la rédaction de la loi du 15 mai 2007. En outre, il y a un parallèle important avec les zones pluricommunales, si bien que les dérogations introduites par la présente loi devront idéalement être appliquées de manière analogue.

Huub BROERS.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Dans l'article 5 du Code pénal, modifié en dernier lieu par la loi du 26 avril 2002, les modifications suivantes sont apportées:

1º l'alinéa 2 est abrogé;

2º l'article est complété par deux alinéas nouveaux rédigés comme suit:

« Par dérogation à l'alinéa précédent, seule la province, l'agglomération bruxelloise, la commune, la zone pluricommunale, l'organe territorial intracommunal ou le centre public d'action sociale est pénalement responsable de la faute légère commise par le mandataire dans le cadre de son mandat ou pour le compte de la personne morale concernée.

En cas de faute commise sciemment et volontairement, en cas de faute grave ou en cas de faute légère présentant un caractère plutôt habituel qu'accidentel, commises par un mandataire des personnes morales de droit public énumérées à l'alinéa précédent, la responsabilité pénale incombe exclusivement au mandataire. »

Art. 3

L'article 188 de la loi du 15 mai 2007 relative à la sécurite civile est remplacé par la disposition suivante:

« Article 188. — Dans l'article 5 du Code pénal, les modifications suivantes sont apportées:

1º à l'alinéa 3, les mots « les zones de secours » sont ajoutés entre les mots « les provinces » et les mots « l'agglomération bruxelloise »;

2º à l'alinéa 4, les mots « la zone de secours » sont ajoutés entre les mots « la province » et les mots « l'agglomération bruxelloise ».

19 juillet 2011.

Huub BROERS.