5-1239/1

5-1239/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

3 OCTOBRE 2011


Proposition de loi visant à allonger le délai pour contester la présomption de paternité, pour des personnes nées dans le mariage

(Déposée par M. Philippe Mahoux)


DÉVELOPPEMENTS


L'article 318 du Code civil dispose que:

« Art. 318 — § 1er. À moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard du mari, la présomption de paternité peut être contestée par la mère, l'enfant, l'homme à l'égard duquel la filiation est établie et par la personne qui revendique la paternité de l'enfant.

§ 2. L'action de la mère doit être intentée dans l'année de la naissance. L'action du mari doit être intentée dans l'année de la découverte du fait qu'il n'est pas le père de l'enfant, celle de celui qui revendique la paternité de l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte qu'il est le père de l'enfant et celle de l'enfant doit être intentée au plus tôt le jour où il a atteint l'âge de douze ans et au plus tard le jour où il atteint l'âge de vingt-deux ans ou dans l'année de la découverte du fait que le mari n'est pas son père.

Si le mari est décédé sans avoir agi, mais étant encore dans le délai utile pour le faire, sa paternité peut être contestée, dans l'année de son décès ou de la naissance, par ses ascendants et par ses descendants.

La paternité établie en vertu de l'article 317 peut en outre être contestée par le précédent mari.

[...]. »

Le délai imposé à l'enfant pour entamer la procédure en contestation de la présomption de paternité est donc limité dans le temps.

C'est ainsi qu'un homme entendait contester le lien de filiation qui existait entre lui-même et l'homme avec qui sa mère était mariée au moment de sa naissance, étant entendu que le demandeur n'avait pas eu de possession d'état à l'égard de cet homme, puisque sa mère s'en était, en effet, séparée peu de temps après sa naissance et en avait divorcé en 1972.

Une analyse génétique dont les résultats furent communiqués le 10 août 2000 démontrait que c'était un autre homme qui était le père biologique du demandeur.

Conformément au délai prescrit par l'article 318, § 2, du Code civil, l'action en contestation de paternité aurait dû être introduite dans l'année des résultats, soit au plus tard le 10 août 2001. L'ayant été le 24 février 2010, ladite action fut déclarée irrecevable.

Le demandeur requiert alors à titre principal qu'il ne soit pas fait application dudit article 318, § 2, au motif qu'il serait contraire tant à la Constitution qu'à la Convention européenne des droits de l'homme. Il expose que la recherche de paternité est ouverte durant un délai de quarante-huit ans à tous ceux dont la mère n'était pas mariée au moment de la naissance et ce, en application de l'article 331ter du Code civil qui prévoit une prescription trentenaire suspendue pendant la minorité.

Il apparaîtrait de ce fait qu'une différence de traitement existe entre les enfants qui souhaitent que leur filiation juridique soit adaptée à la vérité biologique, selon que leur mère était ou non mariée au moment de la conception ou de la naissance.

Interrogée à titre préjudiciel par le tribunal de première instance de Nivelles, la Cour constitutionnelle s'est penchée sur la question de savoir si l'article 318, § 2, précité porte atteinte de manière discriminatoire au droit au respect de la vie privée de l'enfant qui, en l'absence de possession d'état, entend contester la présomption de paternité établie à l'égard du mari de sa mère, compte tenu des délais que cet article 318, § 2, prescrit pour ce faire.

La Cour fait observer que, pour apprécier si une règle législative est compatible avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si le législateur a trouvé un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause.

Il faut ainsi « non seulement mesurer les intérêts de l'individu à l'intérêt général de la collectivité prise dans son ensemble, mais encore peser les intérêts privés concurrents en jeu ». Cette balance des intérêts doit conduire à ce que la réalité biologique et sociale prévale sur une présomption légale heurtant de front les faits établis et les vœux des personnes concernées, sans réellement profiter à personne.

Aussi, si la fixation d'un délai de prescription pour l'ouverture d'une action en recherche de paternité peut se justifier par le souci de garantir la sécurité juridique et un caractère définitif aux relations familiales, la Cour estime néanmoins qu'en prévoyant qu'un enfant ne peut plus contester la présomption de paternité établie à l'égard du mari de sa mère au-delà de l'âge de vingt-deux ans ou de l'année à dater de la découverte du fait que celui qui était le mari de sa mère n'est pas son père, alors que cette présomption ne correspond à aucune réalité ni biologique, ni socio-affective, il est porté atteinte de manière discriminatoire au droit au respect de la vie privée de cet enfant.

En raison du court délai de prescription, celui-ci pourrait ne plus disposer de la possibilité de saisir un juge susceptible de tenir compte des faits établis ainsi que de l'intérêt de toutes les parties concernées, sans que cela puisse se justifier par le souci de préserver la paix des familles alors que les liens familiaux sont en l'occurrence inexistants.

La Cour en conclut que la question préjudicielle appelle une réponse positive en ce que l'article 318, § 2, du Code civil viole les articles 10, 11 et 22 de la Constitution, lus en combinaison avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

L'arrêt ayant été rendu sur question préjudicielle (1) , il s'ensuit que la disposition en question reste en l'état et que seule une initiative législative permettrait de concrétiser cette nécessaire correction.

C'est l'objectif poursuivi par cette proposition.

Il convient donc de supprimer, dans l'article 318, § 2, du Code civil le délai prescrit pour l'enfant, en sorte que l'article 331ter du même Code trouve à s'appliquer.

Pour rappel, celui-ci prévoit en effet que:

« Lorsque la loi ne prévoit pas un délai plus court, les actions relatives à la filiation se prescrivent par trente ans à compter du jour où la possession d'état a pris fin ou, à défaut de possession d'état, à partir de la naissance, ou à compter du jour où l'enfant a commencé à jouir d'une possession d'état conforme à l'état qui lui est contesté, sans préjudice de l'article 2252.

L'article 2253 n'est pas applicable.

Le délai de prescription prévu par le présent article ne s'applique pas aux actions fondées sur l'article 329bis. »

En renvoyant à cet article, on supprime la discrimination entre les personnes nées dans le mariage et celles nées hors mariage, dès lors que les premières disposent d'un délai de vingt-deux ans pour contester la présomption de paternité établie à l'égard du mari de la mère, ou d'une année à compter de la découverte du fait que le mari n'est pas le père de l'enfant (article 318n § 2) alors que les secondes disposent d'un délai de quarante-huit ans (article 331ter).

Philippe MAHOUX.

PROPOSITION DE LOI


Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l'article 78 de la Constitution.

Art. 2

Dans l'article 318, § 2, alinéa 1er, du Code civil, modifié en dernier lieu par la loi du 27 décembre 2006, les mots « et celle de l'enfant doit être intentée au plus tôt le jour où il a atteint l'âge de douze ans et au plus tard le jour où il atteint l'âge de vingt-deux ans ou dans l'année de la découverte du fait que le mari n'est pas son père » sont abrogés.

20 juillet 2011.

Philippe MAHOUX.

(1) Arrêt no 96/2011 du 31 mai 2011 de la Cour constitutionnelle, rendu sur question préjudicielle.