5-1176/1

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Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

19 JUILLET 2011


Proposition de déclaration de révision de l'article 167, § 1er, alinéa 2, de la Constitution

(Déposée par M. Alexander De Croo et Mme Nele lijnen)


DÉVELOPPEMENTS


Les événements en Libye démontrent une nouvelle fois, s'agissant de l'engagement des forces armées belges, à quel point l'absence d'un contrôle parlementaire efficace est néfaste pour une démocratie moderne. Le vendredi 18 mars 2011, alors que les commissions réunies des Affaires extérieures et de la Défense nationale de la Chambre des représentants marquaient unanimement leur accord sur une participation belge à l'intervention militaire internationale en Libye, le gouvernement fédéral était invité, dans la résolution correspondante, à garantir en permanence l'implication du Parlement si de nouvelles circonstances venaient à modifier la nature de l'engagement de la Belgique.

Pareille implication suppose évidemment qu'il y ait une continuité dans la collaboration et qu'un véritable dialogue s'instaure de manière à permettre au moins à la Chambre d'être informée à l'avance lors de chaque phase. La séance plénière spéciale du lundi 21 mars 2011 a clairement montré que cette condition n'avait pas été respectée. En effet, alors que la Chambre devait encore se prononcer sur la participation à l'intervention, quatre F16 belges étaient déjà occupés à exécuter leur première mission. Le problème est que la Chambre n'a pas le pouvoir de sanctionner le non-respect de l'une de ses résolutions.

Il serait possible de remédier à cette lacune en conférant un ancrage constitutionnel au contrôle parlementaire des missions militaires à l'étranger.

L'article 167, § 1er, alinéa 2, de la Constitution dispose que le Roi commande les forces armées, et constate l'état de guerre ainsi que la fin des hostilités. Il en donne connaissance aux Chambres aussitôt que l'intérêt et la sûreté de l'État le permettent, en y joignant les communications convenables. Cet article a vu le jour dans le cadre de la révision de la Constitution du 5 mai 1993. Le Constituant avait en effet estimé que le texte de l'article 68 initial de la Constitution n'était plus conforme à l'état du droit international qui condamne la guerre. Or, aucune modification ne fut apportée aux pouvoirs du Roi pour ce qui est du commandement suprême. C'est ainsi que le commandement de l'armée est resté et reste un prérogative exclusive du Roi. Les actes que le Roi pose et les décisions qu'Il prend dans ce domaine relèvent des règles générales de la responsabilité ministérielle. Cette réglementation a pour conséquence que le Parlement ne peut appeler le gouvernement fédéral à justifier sa politique qu'a posteriori, par le biais des mécanismes traditionnels. Il n'en reste pas moins que les Chambres législatives devraient être informées de certaines décisions dès que les circonstances le permettent et même, éventuellement, de manière anticipée.

C'est pourquoi, lors de l'examen du projet de révision de l'ancien article 68 de la Constitution, d'aucuns émirent notamment le souhait de soumettre l'engagement des forces armées dans des opérations internationales à un contrôle parlementaire renforcé. Ce contrôle constitue avant tout une composante essentielle de la démocratie, laquelle a le devoir de veiller à ce qu'un pays préserve la paix autant que possible et, partant, que la sécurité s'améliore. Il importe par ailleurs que les forces armées disposent de la légitimité nécessaire. Un manque d'adhésion et de considération de la part de la société pourrait être un obstacle à la mobilisation des moyens requis en cas de nécessité.

Cette conception a trouvé une certaine forme de concrétisation dans le cadre des travaux de la commission d'enquête du Sénat concernant les événements du Rwanda et, en particulier, dans la recommandation 54 du rapport de cette commission: « Lorsque notre pays participe à une mission à l'étranger, un groupe de travail de la commission des Affaires étrangères du Sénat en suivra les développements et en informera le Parlement. » C'est ainsi qu'en application de cette recommandation, la commission « Participation aux missions à l'étranger » fut instituée au Sénat. Elle n'a pas toujours fonctionné de manière optimale.

Toutefois, il ne fait aucun doute qu'il n'existe pas de définitions ni de modèles universellement admis en ce qui concerne le contrôle démocratique de la défense. Les modalités d'intégration de l'armée dans la vie politique d'un pays peuvent varier, mais il n'en reste pas moins qu'il y a chaque fois un certain nombre de conditions à respecter. L'une de ces conditions est l'existence d'un contrôle parlementaire solide et approfondi — et pas uniquement pro forma — de la politique de sécurité et des dépenses y afférentes. Un parlement qui se contente d'avaliser mécaniquement les décisions est le signe d'un mauvais fonctionnement du contrôle démocratique.

La mise en œuvre d'une responsabilité démocratique forte en ce qui concerne l'intervention des forces armées implique la modification de l'article 167, § 1er, alinéa 2, de la Constitution, qui n'est pas à ce jour déclaré ouvert à révision. Or, cet article date d'une période où la politique de défense avait une orientation exclusivement nationale au point qu'elle ne disait mot de l'internationalisation de l'intervention des forces armées. Ce phénomène d'internationalisation a eu indéniablement pour conséquence de transformer la mission de l'armée, qui ne se limite plus à défendre le pays mais qui comporte aussi désormais une mission de défense plus générale inspirée par le droit international. C'est ainsi que les opérations internationales liées à la gestion des crises et au maintien de la paix donnent désormais communément lieu à l'intervention des forces armées belges à l'étranger.

Toutefois, ce type d'intervention soulève une question importante en termes de légitimation démocratique: quel doit être le rôle du parlement dans le processus décisionnel relatif à l'engagement des forces armées dans des opérations à l'étranger ? Vu la nature d'une décision d'engagement des forces armées à l'étranger, une simple obligation de notification au sens de l'article 167, § 1er, alinéa 2, de la Constitution, ne suffit plus. Il faut la remplacer par un droit d'assentiment formel en faveur de l'une ou des deux Chambres fédérales. D'ailleurs, s'agissant de cette dernière option, il est possible d'établir un parallèle entre, d'une part, la procédure parlementaire d'assentiment aux traités et, d'autre part, les obligations internationales dans le domaine militaire.

Toutefois, il est évident qu'un élargissement de l'intervention du Parlement dans le processus décisionnel relatif à l'engagement des forces armées dans des opérations à l'étranger ne saurait en aucune façon limiter la marge de manoeuvre du gouvernement fédéral dans la concertation internationale. En effet, si, en matière de politique intérieure, le gouvernement agit en qualité d'arbitre afin de trancher entre des exigences et des revendications contradictoires, il n'est, sur la scène internationale, qu'un acteur parmi beaucoup d'autres. À ce niveau, toutefois, les exigences en matière de processus décisionnel sont d'une nature telle qu'il est impossible de divulguer anticipativement toutes les informations sans mettre d'emblée en péril sa position de négociation. En outre, il faut éviter d'alourdir la procédure de prise de décisions afin de ne pas nuire à la flexibilité et à la rapidité qui sont nécessaires au règlement des situations d'urgence internationales.

Le renforcement du contrôle parlementaire de l'envoi de forces armées à l'étranger, qui est une nécessité démocratique, devra en tout état de cause tenir compte d'un certain nombre de règles en matière de concertation internationale. Il ne saurait toutefois être question de tirer prétexte de cet impératif pour ne pas conférer un ancrage constitutionnel à un tel contrôle.

Alexander DE CROO.
Nele LIJNEN.

PROPOSITION DE DÉCLARATION


Article unique

Les Chambres déclarent qu'il y a lieu à révision de l'article 167, § 1er, alinéa 2, de la Constitution.

8 avril 2011.

Alexander DE CROO.
Nele LIJNEN.