5-1086/1

5-1086/1

Sénat de Belgique

SESSION DE 2010-2011

9 JUIN 2011


RÉVISION DE LA CONSTITUTION


Révision de l'article 25 de la Constitution

(Déclaration du pouvoir législatif, voir le « Moniteur belge » nº 135, Éd. 2 du 7 mai 2010)


PROPOSITION DE M. ANCIAUX


DÉVELOPPEMENTS


Quelques arrêts de la Cour d'arbitrage — maintenant dénommée Cour constitutionnelle — et de la Cour de cassation ont mis les points sur les i concernant deux principes du droit de la presse belge, tels qu'ils sont ancrés dans la Constitution: la liberté de la presse et la responsabilité en cascade en cas de délits de presse (prétendus) (C. Const. 22 mars 2006; Cass. 31 mai 1996 et 2 juin 2006). Les hautes juridictions rappellent essentiellement que la Constitution est susceptible de discussions philosophiques, mais non d'interprétations. Or, il se fait que ces dernières années, de nombreuses théories et interprétations se sont développées dans la doctrine précisément à propos de ces principes, et surtout de la liberté de la presse. Cependant, après avoir lu le texte de l'article 25 de la Constitution de façon objective et rationnelle, on ne peut que conclure que ce texte est clair et qu'il n'est donc pas susceptible d'interprétation. La Cour européenne des droits de l'homme a considéré dans son arrêt nº 50084/6 du 29 mars 2011 en cause RTBF/Belgique, que la Cour de cassation faisait erreur en affirmant que l'article 25 de la Constitution peut être interprétée. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il n'y a pas de problèmes, auxquels il serait préférable d'apporter une solution de fond dans le droit constitutionnel.

1. La presse est libre... (article 25, alinéa 1er de la Constitution)

Ces quatre mots ont déjà fait couler beaucoup d'encre dans la doctrine. Dans la jurisprudence, ils ont donné lieu, ici et là, à des jugements divergents. La controverse est connue: faut-il interpréter le mot « presse » au sens strict, dans la signification que le Congrès national a indéniablement trouvée dans le Grand Larousse en 1831, au moment de la rédaction de la Constitution: les journaux, les hebdomadaires, etc, et peut-être l'outil avec lequel ces écrits étaient multipliés ? Peut-on aussi considérer des livres comme de la presse, et si oui, des œuvres scientifiques et littéraires également ? Ou bien le Constituant visait-il plutôt le journalisme ? Peut-on, plus de cent septante-cinq ans plus tard, tenir compte de l'évolution technologique et de contenu qu'ont connue les médias et l'édition de livres ? Le vocable « presse » couvre-t-il la radio, la télévision et l'Internet ?

Si le mot français « presse » peut encore se prêter, le cas échéant, à une interprétation élastique, le mot néerlandais « drukpers », confirmé en 1994 lors de la coordination de la Constitution, ne laisse pratiquement aucune marge d'interprétation. La Cour de cassation ne laisse en tout cas planer aucun doute à ce sujet. Se souvenant de la règle selon laquelle un texte clair ne tolère aucune interprétation, elle statue de façon laconique que: « Les émissions de télévision ne sont pas des modes d'expression par des écrits imprimés. Le moyen qui soutient que l'article 25 de la Constitution s'applique à de telles émissions manque en droit. »

Les conséquences de cette prise de position ne sont pas minces: dès lors que l'article 25 de la Constitution s'applique uniquement à la presse écrite, l'interdiction de censure s'applique exclusivement à cette presse, et non aux opinions exprimées par d'autres canaux: radio, télévision et modes d'expression actuels et peut-être à venir. Cependant, cela signifie également que ces autres moyens d'expression ne bénéficient pas non plus de toutes les autres règles imaginées par le Constituant pour protéger la presse écrite, par exemple de la procédure d'assises pour le jugement des délits de presse et de la responsabilité graduelle en cas de poursuites éventuelles.

2. Responsabilité graduelle (article 25, alinéa 2, de la Constitution)

La réglementation « en cascade »— qui, en tant qu'élément de l'article 25 de la Constitution, ne s'applique, suivant le raisonnement de la Cour de cassation, qu'à la presse écrite — ne s'applique-t-elle que sur le plan pénal ou porte-t-elle aussi sur les prétentions de droit civil ? Le journaliste doit-il, en d'autres termes, supporter lui-même le coût des dommages causés par ses écrits ? Et dans l'affirmative, comment cette règle se concilie-t-elle, s'il est engagé dans les liens d'un contrat de travail, avec la doctrine de la responsabilité visée à l'article 1384 du Code civil ? La doctrine et la jurisprudence ont longtemps répondu de façon divergente à ces questions, jusqu'à ce que la Cour de cassation tranche à nouveau à la fin des années nonante: la Cour a estimé que la responsabilité en cascade est un mécanisme juridique qui s'applique tant sur le plan pénal que sur le plan civil. Mais cet arrêt est curieux: tandis que la Cour de cassation s'en tient strictement à la lettre de l'article 25, alinéa 1er, de la Constitution, elle se laisse tenter par une interprétation de son alinéa 2. En effet, la formulation (« ne peut être poursuivi ») et l'économie de tout cet article indiquent qu'en instaurant une réglementation en cascade, le Constituant de 1831 visait seulement la responsabilité pénale.

Sur ce point, la jurisprudence de la Cour semble incohérente et contestable, d'autant qu'elle néglige les importantes mutations subies par la presse, au fil du temps, en matière d'innovations technologiques et d'organisation rédactionnelle, mutations qui ont entraîné des changements quant à la place, au rôle et à la responsabilité des journalistes. C'est également à ce constat qu'est parvenue l'ancienne Cour d'arbitrage, qui s'est cependant pliée, de manière quelque peu surprenante, à la décision de cassation au motif que « la Cour n'est pas compétente pour mettre en cause un choix du Constituant ».

Dès lors que l'article 25 de la Constitution s'applique exclusivement à la presse écrite et que la réglementation en cascade ne s'applique pas aux nouveaux moyens d'expression, en particulier aux médias audiovisuels et à la dernière innovation en date, c'est-à-dire à la presse sur Internet (auxquels s'appliquent les règles de droit commun en matière de responsabilité), une inégalité de traitement est créée entre la presse écrite et les autres médias d'information.

3. Besoin d'actualisation

Il est clair, depuis un certain temps déjà, que l'article 25 de la Constitution ne répond plus aux pratiques et aux besoins des formes actuelles d'expression d'une manière générale, et de la presse et du journalisme en particulier. En outre, le statut constitutionnel distinct dont bénéficie la presse est complètement dépassé, ne se justifie plus et est discriminatoire à l'égard des nouvelles formes d'expression. Aussi est-il préférable de mettre un terme à toutes sortes de discussions en adaptant la Constitution à la réalité sociale d'aujourd'hui. C'est également la conclusion à laquelle aboutit le Pré-constitutant le 1er mai 2007, lorsqu'il déclara qu'il y avait lieu à révision de l'article 25, et par corollaire, des articles 148 et 150 (Moniteur belge du 2 mai 2007, 2e édition):

« Il y a lieu à révision:

...

— de l'article 25 de la Constitution, en vue d'y ajouter un alinéa permettant d'élargir les garanties de la presse aux autres moyens d'information;

...

— de l'article 148, alinéa 2, de la Constitution;

...

— de l'article 150 de la Constitution. »

3. Article 25

(Interdiction de la censure, interdiction du cautionnement, responsabilité en cascade)

Le choix du Pré-constituant d'adapter l'article 25 en le complétant par un alinéa supplémentaire sans modifier les deux premiers alinéas est un choix malheureux pour diverses raisons. Il empêche d'élaborer une réglementation cohérente et globale, adaptée aux pratiques et à la réalité actuelles des médias. L'imprécision quant à la portée exacte de la notion de « presse » (« drukpers ») demeure, alors que les points litigieux quant à l'applicabilité actuelle et au champ d'application de la responsabilité en cascade ne peuvent pas non plus être résolus.

Il n'est dès lors pas évident d'élargir simplement, dans un texte constitutionnel moderne, « les garanties de la presse », comme la responsabilité en cascade — si tant est que celle-ci réponde encore aux besoins de la presse — ou l'interdiction de cautionnement, aux autres moyens d'information qui n'ont rien ou quasiment rien à voir avec les écrivains, éditeurs, imprimeurs ou distributeurs ni avec les cautionnements.

Notre proposition offre dès lors une solution nécessaire certes, mais seulement provisoire en ce sens qu'elle est imparfaite. Elle respecte, d'une part, la direction imposée par le Pré-constituant en laissant inchangée la formulation actuelle des deux premiers alinéas de l'article 25, visant la presse/drukpers, et en complétant l'article par un alinéa consacré aux autres médias. Par souci de clarté, les deux premiers alinéas sont regroupés sous un paragraphe 1er et le nouveau troisième alinéa constitue un paragraphe 2. Dès lors que ce paragraphe 2 relatif aux autres médias ne contient pas de disposition concernant le régime de responsabilité, il s'ensuit que les principes de droit commun s'appliquent pour ces autres médias et que la responsabilité en cascade ne s'applique que dans le cadre du paragraphe 1er relatif à la presse. Ainsi qu'il a été indiqué, il s'agit d'une solution imparfaite qu'un prochain Pré-constituant aurait intérêt à remplacer, dans une prochaine déclaration, par une révision générale de l'article 25, combinée à l'article 19, qui s'inscrirait ainsi mieux dans le prolongement de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, de sorte que la liberté d'opinion et d'expression et l'interdiction de la censure soient ancrées dans la Constitution pour tous les médias sans distinction dans un texte cohérent et actualisé.

Bert ANCIAUX.

PROPOSITION


Article unique

L'article 25, dont le texte actuel formera le § 1er, est complété par un § 2 rédigé comme suit:

« § 2. Les autres médias sont également libres; ici non plus, la censure ne pourra jamais être établie. ».

31 mai 2011.

Bert ANCIAUX.