5-1065/1 | 5-1065/1 |
7 JUIN 2011
La présente proposition de révision de la Constitution et la proposition de révision de l'article 157, déposée par les mêmes auteurs (doc. Sénat 5-1066, 2010-2011) s'inspire de la note relative à la discipline, la déontologie et l'évaluation déposée par le ministre de la Justice dans le cadre de la nouvelle architecture du paysage judiciaire.
À plusieurs reprises et par les lois des 7 mai 1999 et 7 juillet 2002, le législateur a essayé de mettre en place, pour l'ordre judiciaire, un régime disciplinaire efficace, rapide et adapté, permettant au citoyen d'avoir confiance en l'institution de la justice, tout en respectant la nécessaire indépendance des magistrats.
Ce système mis en place se révèle cependant complexe et lacunaire et de nombreuses difficultés d'interprétation ou de mise en uvre ont été constatées.
Plutôt que de tenter une nouvelle fois de remédier à ces difficultés, nous avons choisi de redessiner le cadre global du système disciplinaire actuel, créant un système nouveau, neutre et indépendant.
L'objectif poursuivi par les deux propositions est de confier le contentieux disciplinaire à une instance judiciaire spécifique, ce qui évite les inconvénients d'une trop grande proximité entre les autorités disciplinaires et la personne mise en cause.
La raison pour laquelle certains faits ne sont pas sanctionnés tient parfois également à l'heure actuelle au fait que le chef de corps a un rôle actif (voire exclusif) au stade du déclenchement de la procédure disciplinaire et de sa poursuite. Cela explique qu'une réforme du système actuel a été souhaitée en vue de limiter son rôle à la dénonciation des faits et en vue de confier la décision à une instance collégiale indépendante et impartiale.
Dès lors que la nouvelle juridiction disciplinaire sera compétente à l'égard des membres et du personnel de l'ordre judiciaire, celle-ci trouve logiquement sa place au sein de cet ordre.
Les juridictions disciplinaires seront des juridictions non permanentes comme cela est aussi le cas des cours d'assises.
L'évaluation actuelle du contentieux ne justifie en effet pas la création de juridictions permanentes.
L'objectif de la réforme étant de renforcer l'indépendance des membres de ces juridictions, la création de nouvelles juridictions distinctes a été préférée à la création de chambres spécialisées au sein d'un tribunal existant.
On évite ainsi de créer une apparence de partialité lorsque la personne poursuivie disciplinairement exerce ses fonctions dans cette juridiction. On évite aussi que les membres de ces chambres ne soient évalués par le chef de corps de cette juridiction.
Le fait que les chambres disciplinaires ne soient pas intégrées dans un tribunal existant est donc de nature à renforcer cette indépendance.
La création au sein de l'ordre judiciaire de nouvelles juridictions disciplinaires composées de magistrats du siège et d'assesseurs qui ne sont pas des magistrats du pouvoir judiciaire ne peut se faire sans révision préalable de la Constitution.
L'article 152, alinéa 2, de la Constitution dispose qu'« Aucun juge ne peut être privé de sa place ni suspendu que par un jugement ».
Le constituant n'a pas défini le mot jugement.
Le terme jugement vise une décision d'un tribunal au sens de l'article 144 de la Constitution, c'est-à-dire une juridiction de jugement faisant partie de l'ordre judiciaire. L'article 152, alinéa 2, demeure inchangé en ce qu'il interdit la destitution ou la suspension d'un juge par un autre organe qu'un tribunal au sens de l'article 144 de la Constitution, soit par un acte du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif.
L'article 157 de la Constitution prévoit actuellement que la loi règle le mode de nomination et la durée des fonctions des membres des tribunaux de commerce, des juridictions du travail et des tribunaux de l'application des peines. La constitution habilite donc le législateur à régler, uniquement pour ces juridictions, le mode de nomination de leurs membres, et la durée de leurs fonctions.
De lege lata, la Constitution s'oppose donc à une composition mixte des juridictions disciplinaires lorsque le législateur entend régler de manière spécifique le mode de nomination de leurs membres et la durée de leurs fonctions
L'interprétation des articles 40 et 146 de la Constitution, défendue entre autres par le Conseil d'État, selon laquelle de nouvelles catégories de juridictions ne peuvent être créées au sein de l' Ordre judiciaire par le législateur implique qu'il appartient au Constituant de créer de nouvelles catégories de juridictions (voyez à ce sujet J. Velaers, De grondwet en de Raad van State, afdeling wetgeving, Maklu 1999, p. 476 et s.).
Les articles 152 et 157 de la Constitution ont été ouverts à révision en vue de rendre possible la création au sein de l'ordre judiciaire de juridictions disciplinaires à composition mixte.
Un des objectifs poursuivis étant la création de juridictions spécialisées en fonction de la personne mise en cause, il convient de compléter l'article 157 de la Constitution afin de permettre la désignation d'assesseurs représentants les différentes catégories de membres et du personnel de l'ordre judiciaire au sein des juridictions disciplinaires.
La qualité de jugements (et d'arrêts) des décisions prises par les juridictions visées à l'article 157 de la Constitution ne fait pas l'objet de discussions. Dans la formulation proposée dans les présentes propositions, l'article 152, alinéa 2, de la Constitution attribue explicitement aux seules juridictions disciplinaires visées à l'article 157, alinéa 5 nouveau, le pouvoir de prononcer les sanctions les plus lourdes pouvant être infligées aux magistrats du siège.
Bien que les termes « magistrats du siège » soient plus exacts que le terme « juge » utilisé à l'article 152 de la Constitution, la terminologie est maintenue dans un souci de cohérence avec les autres articles de ce chapitre de la Constitution.
Les dispositions de l'article 152 ayant toutes un lien avec la notion d'inamovibilité des magistrats du siège, il ne convient pas d'y régler davantage la discipline et ce d'autant plus que les compétences des juridictions disciplinaires seront fixées par le législateur.
Il est à noter que, n'étant pas une mesure disciplinaire, la suspension dans l'intérêt du service des magistrats du siège n'est pas visée à l'article 152, alinéa 2, nouveau, de la Constitution.
L'article 152, alinéa 3, de la Constitution est également modifié de manière à rendre possible le déplacement disciplinaire.
À l'instar de la jurisprudence française, nous pouvons considérer que le principe d'inamovibilité des magistrats du siège n'a pas un caractère absolu; il ne fait pas obstacle à ce que soit prise à l'encontre d'un magistrat du siège, dans le respect des garanties prévues par la Constitution et la loi, une sanction disciplinaire de déplacement d'office.
Cette possibilité de déplacement est conforme à la recommandation CM/Rec(2010)12 sur les juges: indépendance, efficacité et responsabilité.
Les attributions des juridictions disciplinaires seront fixées par la loi en vertu de l'article 157, alinéa 5, de la Constitution.
Il reviendra donc au législateur de déterminer si ces juridictions seront compétentes pour prononcer des peines mineures et majeures à l'encontre des magistrats du siège, pour prononcer des peines mineures et majeures autres que la révocation à l'encontre des magistrats du ministère public et pour prononcer des peines mineures et majeures à l'encontre du personnel de l'ordre judiciaire.
Les termes juridictions disciplinaires désignent un tribunal disciplinaire et une cour disciplinaire. Il appartiendra au législateur de décider s'il crée un tribunal et une cour disciplinaire néerlandophone et un tribunal et une cour disciplinaire francophone ou s'il crée un seul tribunal et une seule cour composés d'une ou plusieurs chambres de langue française, d'une ou plusieurs chambres de langue néerlandaise et d'une ou plusieurs chambres de langue allemande.
Le législateur fixera le siège de ces juridictions.
Outre leur organisation, le législateur déterminera également le mode de nomination des membres de ces juridictions et la durée de leurs fonctions.
C'est au législateur qu'il appartiendra de donner un contenu concret à la spécialisation recherchée par le Constituant, ce qu'il fera en fixant les catégories d'assesseurs appelés à siéger. Le législateur déterminera si, à côté des membres de l'ordre judiciaire et du personnel de l'ordre judiciaire, une place doit, par exemple être faite aux avocats.
Les révisions proposées n'entreront en vigueur qu' au moment où les conditions nécessaires au fonctionnement des juridictions disciplinaires seront remplies.
Il n'est pas prévu que la loi, visée à l'article 157, alinéa 5, de la Constitution détermine la date d'entrée en vigueur de la révision des articles 152 et 157 dès lors que les articles de cette loi qui détermineront le mode de désignation des membres de ces juridictions entreront en vigueur avant les autres. L'entrée en vigueur des différentes autres dispositions de cette loi pourrait donc être fixée par le Roi.
L'entrée en vigueur des nouveaux articles 152 et 157 avant que les membres des futures juridictions ne soient désignés pourrait empêcher que certains faits disciplinaires puissent être sanctionnés.
Le législateur déterminera dans quelle mesure une procédure disciplinaire entamée avant l'entrée en vigueur complète de la loi visée à l'article 157, alinéa 5, se poursuivra sur base de la législation applicable au moment où elle a été entamée.
Francis DELPÉRÉE Christine DEFRAIGNE Sabine de BETHUNE. |
Article unique
À l'article 152 de la Constitution les modifications suivantes sont apportées:
1º l'alinéa 2 est remplacé par ce qui suit:
« Aucun juge ne peut être privé de sa place que par un jugement. La révocation ou la suspension d'un juge à titre disciplinaire est prononcée par les juridictions visées à l'article 157, alinéa 5 »;
2º l'alinéa 3 est remplacé par ce qui suit:
« Sans préjudice des sanctions prononcées par ces juridictions, le déplacement d'un juge ne peut avoir lieu que par une nomination nouvelle et de son consentement. »;
3º l'article est complété par une disposition transitoire, rédigée comme suit:
« Disposition transitoire
Les alinéas 2 et 3, remplacés par la révision du .... entreront en vigueur à la date à laquelle toutes les dispositions de la loi visée à l'article 157, alinéa 5, seront entrées en vigueur. ».
25 mai 2011.
Francis DELPÉRÉE Christine DEFRAIGNE Sabine de BETHUNE. |