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M. Gérard Deprez (MR). - Je suis quelque peu embarrassé de la formulation de ma question étant donné que j'ai eu, dans l'intervalle, l'occasion de poser une question orale au premier ministre en séance plénière. Par ailleurs, la semaine dernière, le ministre a donné des précisions lors d'une réunion conjointe de notre commission et de la Chambre à laquelle je n'ai malheureusement pas pu assister.
Certaines questions restent, me semble-t-il, d'actualité, notamment concernant l'attitude de l'Italie qui, face à l'afflux « massif » de Tunisiens, a décidé d'octroyer des titres de séjour temporaires pour permettre aux migrants de quitter le territoire italien, la décision, annoncée par le gouvernement français, de rétablir des contrôles aux frontières, en particulier avec l'Italie, et la décision conjointe des gouvernements français et italien d'introduire, auprès de la Commission européenne, une demande de modification du code Schengen afin de permettre, dans des circonstances exceptionnelles, le rétablissement temporaire des contrôles aux frontières.
Les décisions prises, d'une part, par le gouvernement italien d'octroyer des titres de séjour temporaires et, d'autre part, par le gouvernement français de rétablir des contrôles aux frontières internes sont-elles compatibles avec le droit européen applicable ?
Quelle position avez-vous défendue, au nom du gouvernement belge, lors des réunions qui ont eu lieu en avril et mai derniers ?
Enfin, selon les informations dont je dispose, Malte aurait obtenu d'une dizaine d'États membres de l'Union européenne, dont la Belgique, qu'ils se partagent quelques centaines de réfugiés venus de Libye. Cette information est-elle correcte ? Dans l'affirmative, combien de réfugiés libyens seront-ils accueillis sur notre territoire et sous quel statut précis ?
Enfin, le 6 avril dernier, les députés européens ont adopté la proposition de directive relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait de la protection internationale dans les États membres. Cette directive va dans le sens d'un renforcement des garanties pour les demandeurs d'asile. Quelle position avez-vous défendue lors de l'adoption de cette directive ? N'y a-t-il pas contradiction de fait entre cette directive et les dernières décisions de certains États membres ?
M. le président. - Je souhaiterais me joindre à cette question pour demander au ministre où en sont les relations avec la Tunisie.
On me signale la présence, dans ma municipalité, de jeunes Tunisiens qui, semble-t-il, n'ont pas de titre de séjour. Vous savez que nous avons déjà un problème avec certains pays, notamment l'Algérie. Nous avons régulièrement des personnes originaires d'Algérie qui sont dans la plus grande illégalité et auxquels l'Office des étrangers est obligé de délivrer ce qu'ils appellent pudiquement des ordres de quitter le territoire sans effet.
Quelles sont les possibilités éventuelles d'accueil de ces personnes en Tunisie ? Seront-elles acceptées ou non en sachant que les Européens n'ont peut-être pas très bien compris que le printemps arabe aura des conséquences auxquelles ils ne s'attendaient pas. Ce n'est qu'un début, mais je ne suis pas sûr que cela va s'arrêter. Nous risquons de devoir faire face à des situations extrêmement difficiles. Il est essentiel de nouer, avec le nouveau gouvernement en place, des relations de confiance afin de trouver une solution humaine pour ces personnes et, le cas échéant, de leur permettre de retourner dans leur pays.
M. Melchior Wathelet, secrétaire d'État au Budget, à la Politique de migration et d'asile, à la Politique des familles et aux Institutions culturelles fédérales. - En réponse à votre question, monsieur le président, je dirai, comme je l'ai fait lors du dernier conseil Justice et Affaires intérieures, que la réponse au défi migratoire potentiel issu de l'Afrique du Nord doit être européenne.
L'Europe est en effet à la croisée des chemins : si elle ne se décide pas à offrir une réponse européenne, on risque d'assister à un repli identitaire et national, consistant à rétablir des frontières à l'intérieur de l'UE, ce qui pourrait plaire à certains mais ne résoudra en rien le défi migratoire de l'Afrique du Nord.
Pour éviter ce danger, l'Europe doit établir des priorités, la première étant d'apporter un véritable soutien humanitaire aux pays d'Afrique du Nord, que nous avons encouragés dans leur volonté de changement de régime. Nous devons aussi leur demander de contrôler eux-mêmes leurs frontières extérieures et négocier avec eux des accords de réadmission mais cela doit se faire dans le cadre de relations bilatérales.
Ensuite, deuxième priorité, la gestion des frontières extérieures de l'UE doit se faire à l'échelon européen. Nous en avons discuté hier, en Serbie, à propos de la frontière serbo-hongroise.
Pour l'Afrique du Nord, le problème se pose à Lampedusa et à Malte, et potentiellement en Grèce. Nous devons démontrer notre capacité à mener là-bas une véritable politique européenne.
Enfin, troisième priorité, la politique d'asile doit être harmonisée au niveau européen, sinon, les demandeurs d'asile continueront à se diriger vers le pays où ils auront le plus de chances d'être reconnus comme réfugiés.
Il faut en outre instaurer une solidarité avec la « ligne de front » de l'UE : Malte, qui compte 300 000 habitants, aura beaucoup de difficultés à accueillir 800 demandeurs d'asile tandis que l'Italie, vaste territoire comptant 60 millions d'habitants, devrait pouvoir accueillir sans trop de problèmes 20 000 migrants économiques tunisiens. Par ailleurs, nous devons obliger les pays situés à la frontière extérieure de l'UE, notamment la Grèce, à respecter leurs obligations européennes mais aussi en matière d'acquis communautaire, ce qu'ils ne font pas.
Nous devons également les obliger à être solidaires avec les pays dans lesquels ces gens veulent se rendre, notamment la Belgique. Aujourd'hui, avec ses dix millions d'habitants, la Belgique a plus de demandeurs d'asile en chiffres absolus que l'Italie. Quand on parle de solidarité, il faut comparer ce qui est comparable. Notre situation est extrêmement difficile et, pour la Suède, c'est encore pire. Ils ont moins d'habitants et encore plus de demandeurs d'asile.
En résumé, il faut un vrai partenariat avec les pays d'Afrique du nord. La meilleure mesure que la Belgique ait prise actuellement, c'est d'affréter un avion allant de Djerba en Égypte pour permettre à une série d'Égyptiens de retourner dans leur pays. Nous soutenons les pays en organisant des mouvements migratoires au nord de l'Afrique.
Par ailleurs, il faut une meilleure gestion des frontières extérieures de l'Union et une véritable politique européenne harmonisée et solidaire.
J'en arrive aux questions de M. Deprez.
Autant l'Italie bénéficie de compétences nationales pour délivrer des titres de séjour, autant cette décision ne rejoint pas l'esprit de collaboration Schengen lorsqu'elle intervient uniquement dans le but d'inciter leurs titulaires à rejoindre d'autres pays de l'espace Schengen.
M. Gérard Deprez (MR). - Vous avez dit « à l'esprit Schengen », mais cette décision est-elle en contradiction avec le droit communautaire tel qu'il existe actuellement ?
M. Melchior Wathelet, secrétaire d'État au Budget, à la Politique de migration et d'asile, à la Politique des familles et aux Institutions culturelles fédérales. - Vous savez comme moi qu'un État membre ne doit pas être le gardien des traités. Nous avons tous ensemble confié cette mission à la Commission.
Comme moi, vous savez également que la Commission a demandé des informations complémentaires à l'Italie. Mais, en ce qui me concerne, le fait de régulariser collectivement des personnes - c'est ce qu'a fait l'Italie - en leur donnant à tous un titre de séjour n'est pas conforme à nos engagements dans le cadre de l'application de Schengen.
En ce qui concerne la Belgique, lorsque nous avons fait une régularisation, c'était sur la base d'analyses individuelles et de cas individuels. C'est ce que chaque pays peut continuer à faire. Ici, le gouvernement italien a donné un titre de séjour en disant aux gens que, ce qu'ils recevaient, ce n'était pas un titre de séjour mais un visa pour quitter l'Italie. Il ne m'appartient pas de juger ce qu'a fait l'Italie mais, à tout le moins, ce n'est pas conforme à l'esprit Schengen, voire c'est contraire aux textes de Schengen. L'Italie a utilisé un moyen impropre en vue de faire partir l'ensemble des personnes vers d'autres pays de l'Union européenne. En tout cas, elle n'a pas caché son jeu.
Aujourd'hui, c'est ce manque de confiance entre les États membres qui met l'espace Schengen en péril. C'est ce que nous avons vécu avec la Grèce et que nous vivons entre l'Italie et la France. Nous ne nous faisons pas assez confiance entre nous.
Concernant Malte, la Commission s'est engagée, lors du dernier conseil, à proposer un mécanisme de relocation pour Malte, sans doute volontaire.
Vous savez qu'il y a déjà eu un projet-pilote pour Malte, à l'époque, pour les mécanismes de relocation en tant que tels. Avant cette proposition, la Belgique, s'était déjà engagée à un certain nombre de resettlements, ce qui consiste à faire venir des réfugiés qui se trouvent à l'extérieur de l'UE tandis que la relocation consiste à envoyer, dans d'autres pays de l'UE, des réfugiés reconnus dans un pays de l'UE. D'autres pays de l'espace Schengen ont déjà répondu favorablement à la proposition de la Commission.
À propos de solidarité, il me semble normal de demander à un pays qui compte très peu de demandeurs d'asile d'accueillir, dans le cadre des relocations, des réfugiés qui se trouvent, par exemple, à Malte, plutôt que d'imposer une charge supplémentaire à des pays qui en comptent déjà proportionnellement beaucoup, les trois premiers étant Chypre, la Suède et la Belgique.
Concernant le texte « Procédure », dans le cadre de la présidence belge, notre pays s'est attelé à faire avancer ce régime d'asile commun. Le prochain trio Pologne-Allemagne-Chypre s'est d'ailleurs engagé à poursuivre le travail que la Belgique avait entamé dans le cadre du trio de présidences Espagne-Belgique-Hongrie.
Nous sommes en pleine négociation. Le Parlement a voté son texte et le rapport devrait être adopté assez rapidement mais il faudra une nouvelle négociation avec le Conseil étant donné les réticences qu'ont certains pays à harmoniser vers le haut les minima en termes de procédure, d'autant que les systèmes restent assez différents. Des pays dans l'UE privilégient davantage les mécanismes de protection subsidiaire plutôt que les mécanismes de réfugiés en tant que tels. Or, ce texte « Procédure » aligne les deux systèmes, ce qui va alourdir considérablement la charge de certains États.
Faute d'harmonisation du système, il manquera cette relation de confiance nécessaire et nous resterons dans un mécanisme de shopping.
M. Gérard Deprez (MR). - Je remercie le secrétaire d'État pour sa réponse et j'approuve sans réserves les orientations politiques générales qu'il souhaite voir mener au niveau européen.
Ma conviction personnelle est que nous devrions faire de l'ensemble de la politique d'asile et d'immigration une politique commune et qu'il est absurde de vouloir continuer à gérer, à l'échelon national, les frontières de l'espace Schengen.
Il nous faudra faire un saut qualitatif à l'échelon européen en faisant de la politique d'asile, d'immigration et de contrôle des frontières, l'équivalent de la politique agricole commune. Nous devons faire sauter ce verrou stupide de la convention de Dublin qui fait qu'un petit pays est obligé d'accueillir de nombreux réfugiés politiques, alors qu'il n'en a pas la capacité. C'est l'inverse d'une politique intelligente de solidarité et de gestion de l'espace commun.
M. le président. - Sans compter que l'on observe aujourd'hui une tendance au repli national.
M. Gérard Deprez (MR). - Nous sommes d'accord sur la nécessité de la combattre.